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    Plan détaillé Texte intégral Structuration initiale du champ de l’alpinisme L’avènement de l’éthique de « l’escalade artificielle » Une évolution des pratiques d’escalade : les « envolées en libre » Expressions critiques dans la presse spécialisée Conclusion. Les enjeux sociaux de la « révolution partielle » des « envolées en libre » Notes de bas de page Auteur

    Le Mai 68 des sportifs et des éducateurs physiques

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    Table des matières

    Socio-genèse de « l’escalade libre » en France à l’aube des années 1960

    Tensions internes et le renouvellement éthique dans l’univers de l’alpinisme

    Olivier Hoibian

    p. 93-112

    Texte intégral Structuration initiale du champ de l’alpinisme L’avènement de l’éthique de « l’escalade artificielle » Une évolution des pratiques d’escalade : les « envolées en libre » Une forme d’escalade inédite Le succès des « envolées en libre » dans le sud de la France Expressions critiques dans la presse spécialisée Le retour à « l’esprit de l’alpinisme » contre la doxa de « l’escalade artificielle » L’exercice d’une forme de coercition par la communauté des alpinistes Conclusion. Les enjeux sociaux de la « révolution partielle » des « envolées en libre » Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Dans les représentations de « sens commun », l’univers des activités de loisir et des sports est présenté comme une sphère sociale neutre fondée sur le principe d’une mise à distance des représentations idéologiques des pratiquants. Cette conviction s’exprime souvent sous la forme d’une injonction fréquemment rappelée à tout un chacun : « Ici, on ne fait pas de politique. » Quelle que soit la diversité des sensibilités et des opinions en présence parmi les participants, cette neutralité affichée permettrait au monde du sport de se maintenir à l’écart des grands débats qui traversent l’ensemble de la société et des clivages qui opposent parfois les générations. À partir d’études empiriques, les travaux en sciences sociales décrivent une situation bien plus contrastée avec, dans certaines conjonctures, une grande porosité du monde des sports aux idéologies comme durant la période de l’entre-deux-guerres sous l’emprise des régimes fascistes. Jean-Pierre Augustin a très bien montré, dans son chapitre introductif, l’émergence de dissensions au sein des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire dans la période qui précède les événements du printemps 1968. Cependant, ce secteur n’est pas le seul à être traversé par des tensions. Si l’on distingue deux pôles dans « le monde des sports », le pôle compétitif fédéral d’une part et le pôle socio-éducatif et des loisirs physiques de l’autre, l’univers de l’alpinisme et des pratiques de grimpe, qui appartient au pôle des loisirs, fournit une bonne illustration d’une opération de renouvellement technique et de recodage symbolique à l’œuvre dès les années 1960. Ce processus précède l’avènement de l’éthique de « l’escalade libre » qui n’est véritablement formalisée en France qu’à partir de 1977, c’est-à-dire dans la période postérieure à Mai 68, et qui ne va vraiment s’imposer qu’à partir du début des années 1980 à l’ensemble des pratiquants.

    2Contrairement à la plupart des pratiques sportives, l’alpinisme se situe aux marges du monde des sports fédéraux tournés vers l’organisation des compétitions. Activité sans règlement et sans arbitre, la définition légitime de sa pratique relève d’une « éthique », au sens de Max Weber, c’est-à-dire de principes qui guident les conduites des adeptes de l’ascension des montagnes et des parois rocheuses sans pour autant prendre le caractère d’une réglementation strictement codifiée1. Ces principes éthiques, souvent évoqués par ses adeptes sous les traits d’un « esprit de l’alpinisme », présentent la particularité d’être élaborés par les pratiquants eux-mêmes. Ils font parfois l’objet de critiques pouvant conduire à leur révocation au profit de l’adoption de nouveaux critères redéfinissant les formes de l’excellence à l’occasion d’une de ces « révolutions partielles » sans remettre pour autant en question l’illusio, c’est-à-dire l’attrait du jeu et l’intérêt de continuer « à jouer le jeu ». Au sein du « champ de l’alpinisme », l’enjeu fondamental tient dans le pouvoir d’imposer la bonne façon de réaliser les ascensions. Les normes de comportement, les valeurs et les techniques en usage au sein de la communauté des pratiquants caractérisent, pour une période donnée, la manière légitime de gravir les sommets et les parois rocheuses2.

    3Cette position ambivalente, à la marge du sport, confère à l’univers social de l’alpinisme une dimension heuristique dans les débats théoriques en sciences sociales. L’analyse socio-historique apporte un éclairage original en permettant de mieux comprendre comment certaines fractions de la classe dominante investissent le monde des loisirs physiques et des sports en réussissant à imposer leurs propres visions du monde et à préserver un certain « entre soi ». Les références théoriques mobilisées sont celles de la sociologie des pratiques culturelles notamment de « la théorie des champs3 ». Il s’agit d’appliquer à ces univers sociaux particuliers le modèle que Pierre Bourdieu utilise pour appréhender d’autres pratiques culturelles notamment dans ses analyses du champ littéraire4.

    4L’objet de ce chapitre consiste à étudier les débats et les oppositions portant sur la définition de l’alpinisme et de l’escalade qui apparaissent dans les années 1960. La démarche consiste à saisir à la fois les pratiques et les représentations des adeptes de ces activités et pour identifier les enjeux des clivages à l’œuvre au sein de ce champ social singulier. Contrairement à ce que laissent entendre les versions « indigènes » de l’histoire de l’escalade libre en France, celle-ci n’est pas née ex nihilo dans les années 1970, de l’action de quelques « hommes providentiels » assimilés parfois à de nouveaux « prophètes ». On peut en effet retracer sa genèse dans certains soubresauts identifiables durant la décennie précédente.

    Structuration initiale du champ de l’alpinisme

    5L’univers social de l’alpinisme se structure en différents pôles antagonistes dans l’entre-deux-guerres avec l’imposition progressive d’un « élitisme technique » fondé sur la consécration des ascensions difficiles comme modalité légitime de la pratique. Cette activité connaît une forme de rationalisation technique conduisant à la valorisation du niveau de difficulté des ascensions et des performances réalisées. On assiste à l’élaboration de méthodes d’entraînement, à l’invention de nouveaux moyens d’assurage et de progression (mousquetons, pitons, rappel de corde, crampons à pointes avant…), et à l’instauration d’un système de hiérarchisation des voies selon une échelle en 6 degrés. L’alpinisme reste cependant à l’écart du processus de « normalisation sportive » qui affecte pratiquement toutes les formes d’exercice physique. Ainsi, les tentatives de lancement, par certains journaux sportifs, de projets de « courses chronométrées » pour l’ascension du Mont Blanc suscitent une réprobation générale de la part des alpinistes et se heurtent une véritable « levée de bouclier » qui conduisent à leur abandon5.

    6À la libération, une sorte « d’accord » est élaborée entre les pratiquants autour de la hiérarchisation des alpinistes selon les critères de « l’excellence technique » mais en se gardant des « excès de la compétition6 ». Dans cette forme de pratique qui devient « l’alpinisme classique », quelques grandes figures de « l’excellence alpinistique » connaissent alors une notoriété internationale comme Walter Bonatti, Lionel Terret, Gaston Rebuffat, Maurice Herzog… Ils sont tous des alpinistes d’un haut niveau technique, dotés d’un palmarès remarquable avec des ascensions sur les plus hauts sommets du globe. Cependant, ce critère ne suffit pas pour leur permettre d’accéder à une reconnaissance unanime au sein de la communauté des alpinistes. Ils doivent également manifester leurs dispositions à la transcription de leurs sentiments et des péripéties de leurs aventures sur les cimes sous une forme esthétique s’exprimant dans des œuvres littéraires ou artistiques (récits d’ascension, biographies, photographies, films de montagne, peintures…).

    7L’alpinisme se présente alors comme la « figure emblématique » de ce que les pratiquants qualifient eux-mêmes « de sport certes mais de sport à part » en agrégeant progressivement dans son sillage d’autres formes de loisirs se déroulant dans la nature comme la spéléologie, le canoë-kayak, la voile hauturière, la plongée sous-marine, etc. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ensemble de ces disciplines se voit désigné par un terme générique : celui d’activités de « Plein air ». Sous ce vocable sont réunies des pratiques physiques qui « n’ayant pas pour objectif essentiel la préparation des compétitions constituent un moyen à la fois éducatif et sportif d’utiliser les loisirs7 ». Ces activités présentent une proximité avec le secteur de l’Éducation populaire et des Mouvements de jeunesse en particulier avec les organisations de scoutisme et le réseau des écoles nouvelles. Dans les années 1950-1960, la notion de « Plein air » devient une catégorie spécifique des politiques publiques en faveur des loisirs en parallèle à des interventions tournées davantage vers la promotion du sport compétitif fédéral.

    L’avènement de l’éthique de « l’escalade artificielle »

    8À partir des années 1950, on observe une renaissance des croyances dans les bienfaits du progrès technique mises au service de la paix et du bien-être de l’humanité. Dans le monde de l’alpinisme, l’utilisation de nouveaux matériels (cordes et vêtements en nylon, mousquetons en alliage léger, pitons à expansion, etc.) conduit à un renouvellement de la manière légitime de gravir les parois. Grâce à ces innovations certains grimpeurs vont s’affranchir de la recherche des lignes de faiblesse du rocher, les zones présentant des fissures permettant la pose des pitons, pour s’attaquer à des passages absolument lissent. Ils s’autorisent désormais la possibilité de prendre appui sur les points d’ancrage qu’ils ont eux-mêmes forés dans la roche pour s’élever dans la paroi. Ils utilisent pour cela des outils de perforation comme « les tamponnoirs », sorte de burin en acier très résistant, qui à l’aide d’un marteau, permettent de creuser des emplacements suffisamment profonds pour la pose de pitons à expansion : « les golots ». Les alpinistes peuvent alors se suspendre à des échelles de cordelettes pour progresser en se hissant d’un point fixe artificiel à un autre sur des dalles totalement compactes8. Deux types d’ascension utilisant ces techniques sont particulièrement valorisés à cette époque : d’une part les ascensions « directicimes », suivant une trajectoire strictement rectiligne à la verticale des sommets, et les ascensions hivernales, d’autre part, inspirées des expéditions himalayennes et privilégiant le recours aux cordes fixes et aux poignées auto-bloquantes : « les jumards9 ».

    9À la suite de ces évolutions de l’éthique de l’alpinisme de pointe, les écoles d’escalade se transforment à leur tour. Des voies sont aménagées selon la technique de « l’escalade artificielle ». On voit même certains blocs de grès de la forêt de Fontainebleau, jusque-là utilisés pour une forme d’escalade sans recours à des moyens artificiels, se couvrir de pitons et devenir un terrain de familiarisation et d’entraînement à cette nouvelle technique. Durant les années 1950-1960, une nouvelle génération d’alpinistes français, comme Georges Livanos ou René Demaison, construit sa réputation sur la réalisation d’ascensions sur des parois souvent surplombantes en recourant presque exclusivement à des moyens artificiels pour s’élever vers la cime. Au début des années 1960, ce modèle « d’excellence alpinistique » tend à s’imposer comme une « nouvelle doxa » dans cet univers social particulier. Si des formes d’escalade libre se développent à l’étranger comme le « All frei » en Allemagne de l’Est ou le « Free climbing » en Angleterre et aux USA et si certains de ces grimpeurs se déplacent d’un pays à l’autre à la fin des années 1960, à cette époque, les informations circulent mal en dehors des pays anglo-saxons10. De ce fait, les français restent relativement à l’écart de ces échanges. Ils ne perçoivent pas les transformations et les débats en cours autour de l’élaboration des « principes de l’escalade libre » hors de l’hexagone. Ils ne vont véritablement découvrir ces manières de réaliser les ascensions rocheuses qu’au début des années 197011. Ce décalage temporel tient sans doute à l’obstacle de la langue mais aussi à la rareté des canaux de diffusion. Jusqu’au milieu des années 1970, l’unique publication spécialisée disponible en France, la revue La Montagne et Alpinisme, est l’organe officiel du Club alpin français. Avant les bouleversements du printemps 1968, elle ne consacre que quelques rares articles aux transformations de l’escalade à l’étranger.

    Une évolution des pratiques d’escalade : les « envolées en libre »

    10Certains indices montrent cependant qu’en France l’usage des moyens artificiels commence à susciter des critiques et une remise en question dès le début des années 1960. Elle émane de la jeune génération des alpinistes et des grimpeurs ayant bénéficié de la massification de l’accès à l’enseignement secondaire. Avec l’arrivée de la vague démographique du « baby boum » à l’âge de l’adolescence une part importante de la jeunesse va venir grossir les rangs des organisations sportives. Le Club alpin français bénéficie, lui aussi, de ce phénomène avec une croissance notable de ses effectifs. Le nombre de ses adhérents triple entre 1950 et 1980 en passant de 29 000 à près de 90 000 licenciés avec un rajeunissement de l’âge moyen de ses membres. La contestation portée par cette nouvelle génération va s’exprimer sous deux formes : d’une part dans l’élaboration de modalités inédites de pratique de l’escalade adoptée par de petits groupes d’alpinistes, répartis en différents points du territoire, qui rejettent la technique de « l’escalade artificielle » et, d’autre part, à travers quelques prises de position publiée dans la revue du Club alpin français.

    Une forme d’escalade inédite

    11Dans les années 1960, la plupart des pratiquants de l’escalade ont pour référence commune les grandes courses en haute montagne. Les sites d’escalade rocheuse sont désignés par le qualificatif d’« école d’escalade » et ne sont fréquentés que dans la perspective de se préparer physiquement et techniquement pour la réalisation de voies d’alpinisme. L’escalade ne bénéficie donc que d’un statut secondaire. Elle n’est pas la modalité d’accomplissement ultime mais représente plutôt une sorte de propédeutique pour la haute montagne. À partir du début des années 1960, dans plusieurs sites d’escalade à travers l’hexagone, des groupes de jeunes grimpeurs cherchent éviter de recourir systématiquement à « l’escalade artificielle ». Ils commencent à imaginer d’autres manières de gravir les parois rocheuses. Les falaises de Freyr en Belgique, régulièrement fréquentées par des cordées françaises, donnent lieu à l’élaboration d’une recherche de modalités différentes : les « envolées en libre ». L’un des grimpeurs les plus assidus des lieux, le belge Claudio Barbier, invente un principe inédit jusque-là. À partir de 1963, il peint en jaune vif les pitons qu’il réussit à ne pas utiliser pour progresser. Il s’astreint à s’élever en ayant uniquement recours aux aspérités du rocher entre deux points d’assurage dont il ne peut se passer12. À partir de cette innovation très locale, l’expression « jaunir un passage » va commencer à se diffuser dans le milieu de l’alpinisme. Les sites d’escalade de la vallée de l’Yonne, notamment les falaises de Saussois et de Surgy, utilisés comme terrain d’entraînement principalement par les grimpeurs parisiens, connaissent, à partir de 1961, une installation des pitons qui restent en permanence en place avec des scellements au ciment dans le rocher. Quelques groupes de jeunes alpinistes parisiens, réunis autour de personnalités connues comme Patrick Cordier ou Jean Fréhel, se fixent pour objectif de réaliser « des envolées en libre » en n’utilisant pas certains pitons, trop rapprochés à leur goût, pour privilégier les seules prises du rocher. Jean Claude Droyer, parisien lui aussi mais évoluant à l’écart des groupes constitués, adopte une démarche similaire tout en préparant le diplôme de guide de haute montagne. Esprit enclin à la provocation, il souhaite imposer sa conception de l’escalade tout en s’assurant une certaine notoriété13. Il n’hésitera pas, dès 1967, à retirer certains pitons en place dans les « falaises écoles » pour obliger les grimpeurs à s’abstenir de les utiliser comme point d’appui dans les passages difficiles et opérer, ainsi, une sélection parmi les adeptes de ces ascensions14.

    12Un processus similaire se produit dans l’est de la France avec les grimpeurs des falaises de la Martinswand en Alsace. Culminant à 1 200 m d’altitude, elles sont situées à proximité de Colmar et de Strasbourg dans la vallée de Munster appartenant au massif des Vosges. Les premières voies d’escalade semblent y avoir été tracées à la fin du xixe siècle. Dans les années 1960 les grimpeurs locaux fréquentent ce site granitique pour se préparer aux ascensions en haute montagne. La réputation de ses itinéraires, pouvant atteindre jusqu’à 100 m de hauteur, incite les alpinistes parisiens et belges à faire le déplacement. Les modalités d’escalade pratiquées évoluent vers les « envolée en libre » avec parfois un espacement de plusieurs mètres entre les points d’assurage impliquant un engagement important : « En fait, (on grimpait) comme tout le monde. C’est à dire que l’on faisait de l’escalade libre entre les points d’assurance. Et quand on arrivait sur un point, on pouvait s’y tenir, s’y reposer si nécessaire […]. Il y avait des voies engagées, c’était que les points étaient distants. Mais il n’y avait pas l’obligation de ne pas utiliser les points15. »

    13Une démarche comparable se développe sur les falaises de la région de Nice, dans le sud de la France où, François Dufranc vient s’installer au début des années 1960. Cet un ancien membre du groupe « des pures lumières du rocher », réuni autour de Pierre Allain à Fontainebleau, ouvre des voies nouvelles sur les parois de « la Côte d’Azur ». Il s’attache à ne pas prendre appui sur les pitons qu’il place uniquement pour assurer sa sécurité en cas de chute. Cette manière originale de gravir les falaises lui vaut bientôt une certaine notoriété auprès de la génération montante des grimpeurs du sud de la France.

    Le succès des « envolées en libre » dans le sud de la France

    14Dans les calanques de Marseille, « l’escalade artificielle » est à l’honneur. Le groupe de Georges Livanos jouit d’une grande réputation à cette époque dans le monde de l’alpinisme et de l’escalade. Il est connu pour les grandes voies artificielles qu’il réalise dans les Alpes françaises mais aussi dans les parois italiennes du massif calcaire des Dolomites très prisées à cette époque. Cependant, tous les jeunes grimpeurs marseillais ne sont pas attirés par cette technique de l’artificiel adopté par Georges Livanos et ses proches. Il s’agit souvent de lycéens et d’étudiants tournés vers les ascensions en haute montagne et par la perspective d’obtenir le très prestigieux diplôme de guide. Ils sont passés par un même « creuset » de formation avec une initiation dans des clubs locaux, « au contact des pairs », tout en se familiarisant avec les techniques de l’alpinisme. À cette occasion, ils s’imprègnent des valeurs, des usages et des références culturelles propres à cet univers social. En lisant les ouvrages qui relatent les exploits des grandes figures de l’alpinisme, en écoutant les récits et les anecdotes, ils incorporent peu à peu les catégories de « l’entendement alpinistique16 ». Au plan institutionnel, différentes instances de célébration viennent renforcer les croyances et les représentations collectives comme la « Chronique alpine », de la revue du CAF, La Montagne et Alpinisme, qui rend compte des ascensions le plus remarquables de l’année, à l’occasion de l’attribution de prix littéraire des livres de montagne ou lors des palmarès des festivals de film de montagne. La reconnaissance suprême consiste, à l’époque, à être admis au sein du Groupe de haute montagne (GHM), véritable « Saint Graal » des alpinistes. Certains de ces jeunes alpinistes de la région marseillaise, particulièrement actifs, intègrent le GHM et sortent « major » de leur promotion de guide à l’issue de la formation à l’École nationale du ski et de l’alpinisme à Chamonix. Ils se passionnent pour la réalisation des voies les plus difficiles des calanques ou des falaises d’Aix-en-Provence et n’hésitent pas à se déplacer à Nice pour aller gravir les voies Dufranc, séduits par le défi de ces « envolées en libre ».

    15Dans cette période, les groupes de grimpeurs du sud-est de la France constituent un microcosme. Tous les jeunes gens qui deviennent un peu performants en escalade sont rapidement repérés et, même s’ils n’appartiennent pas aux mêmes cercles, ils se connaissent tous. Lorsqu’ils évoquent cette époque lors des entretiens, ils expliquent qu’ils étaient surtout attirés par les « envolées en libre » entre deux points d’assurage. Dans les falaises du Sud, où les voies sont souvent longues, les pitons ne restent pas à demeure à cette époque. Chaque cordée doit planter elle-même ses pitons au fur et à mesure de sa progression pour assurer sa sécurité et elle les enlève une fois le passage terminé. Une rivalité amicale s’installe alors entre les cordées et les groupes de jeunes grimpeurs de la région d’Aix-en-Provence. Ils adoptent, de manière tacite, une sorte de règle du jeu qui consiste à poser un minimum de pitons pour leur sécurité, afin de privilégier les « envolées en libre » entre deux points d’assurage vraiment indispensables. Ils peuvent ensuite annoncer fièrement, comme un critère objectif d’excellence, qu’ils ont réalisé telle voie bien connue en ne plantant que x pitons, désignés parfois sous le terme de « clous ». La cordée suivante va alors s’attacher à réduire ce nombre en prolongeant les passages d’escalade « en libre » tout en s’exposant un peu plus en cas de chute donc en augmentant sensiblement l’engagement psychologique et le niveau de prise de risque. Ces principes s’apparentent bientôt à une éthique, adoptée localement, qui guide la pratique des jeunes grimpeurs du sud de la France souhaitant jouer le jeu des « envolées en libre » plutôt que de se conformer à la doxa de « escalade artificielle », dominante durant toute cette période.

    16À Marseille, certains de ces jeunes grimpeurs comme François Guillot, Pierre Louis, Michel Bonnon, Claude Cassin, Jacques Laurent Nosley, etc., partageant un goût commun pour cette forme d’escalade inédite, créent en 1967 un cercle particulier qu’ils appellent le groupe Gamma : le « Groupe des alpinistes méchants malhonnêtes et antipathiques ». Pour y être admis, une épreuve est prévue qui correspond à une sorte de rituel d’initiation. Il s’agit de réaliser l’ascension d’une voie réputée des calanques qui doit être gravie en respectant les principes de leur propre « éthique » : « Ouvrir des voies nouvelles depuis le bas avec un maximum de libre, voilà un nouveau jeu bien exaltant […]. Le “sans étrier” devient le “sans toucher au clou” […]. L’esprit de l’époque était de grimper le plus possible dans le but de s’entrainer pour aller en montagne17. » Du fait de l’adoption de cette nouvelle « règle du jeu », le niveau de difficulté franchi s’élève sensiblement dans ces groupes de jeunes grimpeurs, malgré la nécessité de planter les pitons au fur et à mesure de leur progression et de les enlever ensuite. Les passages qu’ils réussissent selon les principes de l’éthique des « envolées en libre » se situent autour de 6c à 7a selon l’échelle actuelle des cotations. Cela correspond, en fait, au plus haut niveau technique de l’époque compte tenu de la nécessité de poser les pitons au cours de l’ascension pour assurer sa protection en cas de chute. Comme le précise François Guillot, les grimpeurs du Sud développent une habileté particulière dans ce genre d’escalade : « J’étais passé maître dans ce système-là… C’était le piton, 15 kilos de pression pour soulager les avant-bras et on termine18. » Cette technique ne leur permet pas de placer les pitons dans les passages les plus difficiles. Utiliser un point d’assurage pour se reposer n’est donc pas perçu comme problématique car il ne se trouve pas dans les tronçons les plus délicats de l’ascension. Cette habitude ne soulève pas de débat particulier car le véritable défi technique se joue entre les pitons. La chute est proscrite à l’époque et leur progression s’apparente parfois à une sorte de fuite en avant.

    17« C’est des conditions où il fallait passer ou tomber. On ne pouvait pas s’arrêter, on ne pouvait pas se dire : bon, je vais mettre un piton… parce que mousquetonner c’est une chose, mais sortir un piton… c’était impossible ! Au départ d’une voie, encore côté 6b aujourd’hui, je suis passé parce qu’à, un moment donné, je ne pouvais plus redescendre et qu’il fallait passer19… »

    18Les jeunes grimpeurs marseillais adoptent une forme d’escalade qui privilégie les « envolées en libre » en établissant des règles du jeu qui constituent les bases d’une nouvelle éthique. Cependant, ils n’ont pas pour ambition d’imposer leurs modalités de pratique et les règles du jeu des « envolées en libre » qu’ils ont inventé et ils ne cherchent pas à la diffuser au-delà du cercle étroit des grimpeurs de cette région. Ils s’inscrivent, en fait, dans un mode de fonctionnement « élitiste » au sens littéral du terme c’est-à-dire soucieux de contrôler les « entrées » dans ce groupe et de maintenir une distance sociale, à la fois économique mais surtout informationnelle, à l’égard des autres pratiquants. Ainsi, ils ne rédigent pas d’articles dans les revues de montagne et d’escalade pour faire connaître leur démarche et ils ne se préoccupent pas de la promouvoir en dehors de la petite communauté des jeunes grimpeurs du sud de la France. Ils vont également contribuer à importer, dans l’univers de l’alpinisme, des valeurs hédonistes issues des sensibilités qui émergent durant cette période. Elles sont portées par l’affirmation d’une culture propre à la jeunesse scolarisée dans le domaine musical, sur le plan vestimentaire et dans les relations entre les sexes, favorisée par une forme de libération des mœurs et de la sexualité. Ces jeunes grimpeurs investissent les falaises du Verdon, lieu ambivalent entre la haute montagne et l’école d’escalade, avec un plateau situé à 1 000 m d’altitude, enneigé l’hiver, et des parois d’une verticalité impressionnantes, exposées au sud et à la douceur du climat méditerranéen. Jean-Louis Nosley témoigne de l’ambiance conviviale et hédoniste des ascensions de cette époque. « Nous, ce qu’on a un peu changé, c’est d’ouvrir des voies du bas avec des sacs monstrueux […] et au bivouac, après s’être fait une bouffe autour d’un feu de bois […], on sortait le tapis, on sortait les cartes, on sortait le “pétard”, on sortait les petites fioles… On s’est fait des bivouacs royaux […] vraiment on était pas “stakanoff”, hein ! […]. Des fois les premières, elles prenaient 3 jours au lieu de 2 mais, hé ! hé !… On s’éclatait bien comme il faut quoi20 ! »

    Expressions critiques dans la presse spécialisée

    Le retour à « l’esprit de l’alpinisme » contre la doxa de « l’escalade artificielle »

    19Pour mieux cerner les enjeux sous-jacents de la crise qui traverse l’univers de l’alpinisme, on peut s’intéresser maintenant au sens donné par les adeptes du « libre » à leur pratique en cherchant à mieux cerner les catégories utilisées par ces jeunes alpinistes pour se démarquer de la doxa de « l’escalade artificielle » et les ressources argumentaires mobilisées pour justifier leur propre goût pour les « envolées en libre ».

    20Un petit encart de la revue La Montagne et Alpinisme du Club alpin français, de février 1959, mérite une attention particulière. Intitulé : « Vers le 7e degré », il évoque l’emploi par une équipe austro-allemande d’une « chignole » pour placer des « pitons à expansion » dans la voie directe de la paroi nord de la Cima Grandé di Lavaredo, près de Cortina d’Ampezzo, dans les Dolomites. Cet entrefilet précise que cette utilisation a suscité de « véhémentes polémiques » en Italie et il s’accompagne d’un commentaire du guide Cesare Mastri envisageant la perspective d’une ouverture de l’échelle des cotations des voies d’escalade libre vers le haut avec l’ajout d’un 7e degré. Il déclare en effet : « Mais, pour l’appréciation de l’extrême difficulté des passages effectués en libre, il serait peut-être nécessaire d’ajouter un autre degré à la graduation habituelle21. » Il prédit également que dans les années à venir, l’emploi de la perceuse deviendra une pratique commune, perspective à laquelle il va d’ailleurs apporter une contribution personnelle très discutée22. On perçoit à l’occasion de la lecture de cette rubrique que la généralisation de « l’escalade artificielle » conduit à des interrogations sur la question de l’éthique de l’alpinisme, de la cotation des voies d’ascension et de l’éventuelle nécessité d’une évolution de cette échelle d’appréciation des passages « en libre » vers un degré supérieur.

    21Cinq ans plus tard, en octobre 1964, un article signé par l’alpiniste américain Gareth Hemming23, connu pour son appartenance à la « beat-génération », est publié dans la revue La Montagne et Alpinisme sous le titre : « À la recherche d’un équilibre ». Ses propos viennent conforter les indices de tensions à propos de « l’escalade artificielle » aux États-Unis en apportant un éclairage sur les divergences de point de vue au sein de la communauté des alpinistes notamment en Californie. Son auteur fait partie de l’élite des grimpeurs des parois vertigineuses du Yosémite et, au début des années 1960, il réalise quelques premières retentissantes dans les Alpes en utilisant la technique de « l’escalade artificielle ». Dans ce texte, il évoque les deux sources majeures d’inspiration qui caractérisent la culture et la tradition américaine. D’une part, « l’esprit primitif », héritage des populations natives, inspirée par la référence au Wilderness (la vie sauvage) et la symbiose avec la nature. Cette perspective sera d’ailleurs défendue par certaines associations favorables à la création des parcs nationaux dans une démarche de conservation radicale de la nature sauvage. Les principes édictés par le mouvement du « Sierra Club » et son principal dirigeant, John Muir, consistent à ne pas laisser de trace de son passage en s’inspirant du mode de vie amérindien ancestral, pour que « d’autres hommes, passant au même endroit, puisse retirer autant de joie de leur propre découverte24 » que les premiers explorateurs. D’autre part l’orientation matérialiste et moderniste, tournée vers la vitesse et l’efficacité, qui voudra rester à l’avant-garde de la technique et de la mécanisation avec l’ambition de laisser sa marque, son empreinte dans la nature. Au début des années 1960, certains jeunes américains, élevés dans le style de vie moderne, prennent conscience de l’importance de trouver un juste milieu entre ces deux traditions. « Si l’homme veut survivre […] nous sentons le besoin d’un équilibre entre l’esprit de l’homme primitif en rapport avec la nature et l’esprit de l’homme moderne contre la nature. »

    22Cette quête d’un compromis au sein de la culture américaine trouve un terrain d’application dans l’univers de l’alpinisme et des ascensions rocheuses car « sans équilibre, le sport d’escalade, comme tout le reste, risque de se détruire ou tout du moins de perdre sa beauté et son élégance originelle ». Le propos de l’auteur concerne principalement le débat qui fait rage au pied des « big walls » de la vallée du Yosémite entre les tenants de l’escalade artificielle, notamment Warren Harding, pour lequel tous les moyens sont justifiés notamment l’usage des « pitons à expansion » dans l’ascension de ces parois impressionnantes et ceux qui s’y opposent comme Royal Robbins25. Pour préserver « l’esprit de l’alpinisme » il faut, selon Gareth Hemming, parvenir à trouver un équilibre entre ces deux traditions. Il est donc nécessaire d’établir certains principes malgré les restrictions qu’ils engendrent sur la liberté de chacun. « Voilà bien ce qu’en montagne nous n’aimons pas perdre. Cependant, au regard de la destruction complète, respecter quelques règles légitimes est un moindre mal. » Il recommande l’adoption d’un style d’escalade qui ne laisse aucune trace de son passage. Il incite les grimpeurs à privilégier « l’escalade libre », « naturelle », qui consiste à ne jamais se servir « ni de la corde, ni des pitons, ni des mousquetons, ni d’autres objets qui ne soient partie intégrante de la roche pour autre chose que pour l’assurage ». Ces principes, une fois admis par la communauté, sont « adoptés par chaque nouveau grimpeur plutôt comme un ensemble de déductions raisonnables que comme une liste de règles intangibles » c’est-à-dire, en fait, comme une éthique au sens de Max Weber.

    23Cependant, Gareth Hemming n’exclut pas totalement le recours aux « pitons à expansion » qui peut être admis « en dernier ressort » ou « afin de rendre sûr un relais ou un passage en libre qui ne présente pas de fissures suffisantes pour un bon piton d’assurage ». On perçoit donc dans les propos de l’auteur une hésitation dans l’adoption d’une position claire et définitive sur l’usage de ces « pitons à expansion ». D’ailleurs Robin Williams se trouvera lui-même pris dans cette contradiction en étant amené à utiliser une centaine de « pitons à expansion » dans l’ascension de la voix « Tis-as-ack » au Half Dome en 196426. Le renoncement à « l’escalade artificielle » au profit du « free climbing » est donc loin d’être acquis parmi les alpinistes américains à cette époque mais la question est déjà posée afin de maintenir « l’intérêt du jeu ».

    24Dans le numéro suivant de la revue La Montagne et Alpinisme du mois de décembre 1964, un autre article porte sur les débats et les critiques engendrés par le développement de « l’escalade artificielle » mais, cette fois, il concerne plus directement la situation en France. Intitulé : « Les moyens de l’alpinisme27 », il est rédigé par un jeune alpiniste français, Dominique Leprince Ringuet, polytechnicien, fils de Louis Leprince Ringuet, physicien de l’atome, commissaire à l’énergie atomique, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie française. Passionné d’ascensions extrêmes il disparaît tragiquement en 1966 dans une expédition à la face nord du Huscaran dans la cordillère des Andes. Dans ce texte l’auteur propose une réflexion sur les conditions du recours « aux moyens artificiels » en alpinisme. Selon lui, à l’origine, l’alpinisme tenait principalement de la science et de l’exploration et à cette époque la fin justifiait pleinement l’utilisation de tous les moyens disponibles pour parvenir au sommet. Mais, au fil du temps, l’alpinisme a progressivement changé de nature. « Le sport, l’attrait de l’inconnu et la difficulté en sont devenus ses principaux moteurs. » En se transformant en un jeu, il s’est doté de certaines règles au point que l’objectif n’était plus de « gravir une montagne coûte que coûte » mais de réaliser des ascensions en respectant certaines conditions : « La fin ne justifiait plus les moyens. » Si ces règles sont restées implicites, si « elles n’ont jamais été énoncées c’est parce qu’on a toujours voulu éviter de codifier l’alpinisme afin de préserver la liberté de chacun devant la montagne, liberté qui en constitue assurément l’un des attraits28 ».

    25Pour Leprince Ringuet, la situation actuelle se caractérise par une accélération des progrès techniques qui rend les ascensions les plus difficiles accessibles pour peu que l’on en utilise toutes ses ressources. Dans ces conditions, on assiste à la multiplication de l’usage des « pitons à expansion » et bientôt à l’utilisation des « pistolets à pitons » avec pour conséquence « qu’il n’y a plus d’alpinisme possible ». De plus, une fois posés, ils restent en place et il y a un risque bien réel de voir les plus belles voies du patrimoine commun des alpinistes se dégrader progressivement. « De magnifiques itinéraires seront nivelés en une suite de passages sans relief. » Manifestant une forme d’élitisme, il ajoute que la tentation sera grande de voir ces « pitons à expansion » utilisés par des grimpeurs de second rang et « qu’ils en mettent là où les meilleurs s’en seraient passés ».

    26Avec une bonne préparation logistique, un bon entraînement et l’utilisation de toutes les innovations techniques disponibles, on peut, selon l’auteur, réaliser n’importe quelle ascension y compris en hiver. Or, l’incertitude de l’ascension est au cœur de la pratique de l’alpinisme. Ce qui « rend passionnant les voies nouvelles, c’est le doute que fait planer constamment l’issue de la course, c’est ce qui pousse les alpinistes à accomplir des exploits de la plus haute valeur ». En effet, pour l’auteur, « ce qui fait l’intérêt et l’originalité de l’alpinisme, c’est, entre autre, ce mélange de qualités physiques et de qualités morales car l’action de grimper demande tout à la fois de l’audace, de l’adresse et de la force ». Si l’engagement est poussé trop loin, comme avec les principes de Paul Preuss refusant les pitons et le rappel, « ce sont les plus téméraires voir les plus inconscients qui s’attribuent les premières. L’alpinisme devient alors un jeu terriblement dangereux car l’équilibre est rompu ». À l’inverse, avec les « pitons à expansion », « l’incertitude quant au dénouement est fortement atténuée et le sentiment d’aventure bien amoindri ».

    27Pour préserver l’avenir de l’alpinisme et maintenir « l’intérêt du jeu » il faut donc « conserver cet équilibre entre forces morales et forces physiques ». C’est à partir de ce « grand critère » que doivent être élaborés les principes relevant nécessairement d’une part d’arbitraire. Cependant, pour éviter d’imposer une esthétique personnelle, il est souhaitable que « les critères adoptés ne soient ni trop précis, ni les règles trop nombreuses car il s’agit de permettre à des conceptions de l’alpinisme sensiblement différentes de coexister ». Ainsi l’auteur propose cinq règles essentielles finalement assez proches des suggestions de Gareth Hemming : 1. Porter tout son matériel soi-même – 2. Commencer les ascensions par le bas de la voie – 3. Autoriser tous les moyens d’assurage sauf les « pitons à expansion » – 4. Enfin le grimpeur fournit lui-même l’énergie nécessaire à sa progression. Cependant, Dominique Leprince Ringuet se montre beaucoup plus intransigeant que son prédécesseur américain à propos des « pitons à expansion » qui doivent, selon lui, être bannis définitivement tout comme l’utilisation de la perceuse. Pour éviter l’usage abusif des innovations techniques, « il faut faire respecter leur proscription coûte que coûte ».

    28Enfin, quatre ans plus tard, un troisième article est publié, dans la revue La Montagne et Alpinisme, en février 1968, quelques semaines avant les premières manifestations étudiantes de l’université de Nanterre. Cet article, signé par Reinhold Messner, a pour titre, « La dévalorisation du 6éme degré29 ». Il a été traduit par Claudio Barbier après sa publication dans une revue allemande d’alpinisme au cours de l’année 196730. Il montre que des différends apparaissent également entre les alpinistes des Alpes du Nord notamment dans la région du Tyrol où l’adoption de l’éthique de « l’escalade artificielle » suscite des désaccords. L’auteur s’insurge à son tour face à « la crise que connaît le monde de l’alpinisme » et réclame une redéfinition des règles que les alpinistes se donnent à eux-mêmes afin de maintenir « l’intérêt du jeu ». Pour Messner, les pitons ajoutés dans les voies classiques augmentent l’assurance et réduisent l’engagement moral et la prise de risque de l’alpiniste. Ainsi, il explique : « Quand on arrive aujourd’hui au point que les voies classiques […] deviennent des sentiers aménagés alors l’esprit alpin est en décadence. » Ses critiques se révèlent beaucoup plus virulentes que celles de ses deux prédécesseurs. Si les propos de Messner sont aussi radicaux, c’est que pour lui : « L’homme se forme par la montagne ». La valorisation du risque et de l’engagement revient fréquemment dans les propos du grimpeur du Tyrol. En observant les exploits réalisés par les premiers ascensionistes il constate que « les maîtres du style (Preuss, Rossi Tissi, etc.) ouvrent des voies avec moins de pitons que de courage ». Il fixe, lui-même, la barre très haut en évoquant « le véritable courage et les capacités réelles (qui) ne se révèlent que pour le grimpeur, isolé dans une grande paroi, qui surmonte un passage de difficultés extrêmes, 30 m au-dessus du dernier piton ». Il se montre également très critique à l’égard de l’évolution récente dans l’ouverture des voies nouvelles. Le véritable sixième degré se fait rare et « les alpinistes actuels n’ont plus le courage ni le cran des grimpeurs à la limite du dévissage : ils sont gâteux, peureux31 ».

    29Pour l’auteur, il n’y a que deux manières d’envisager l’alpinisme : la réduction de la montagne à l’homme ou l’adaptation de l’homme à la montagne. « C’est l’audace qui détermine le 6e degré et quand elle fait défaut, il manque l’essence de l’alpinisme de pointe et ce dernier disparaît. » Il s’offusque à son tour de l’usage des « pitons à expansion » en particulier dans les voies classiques comme en 1967 à la voie Philippe-Flam de la Civetta où leur introduction a dévalorisé la difficulté initiale de cet itinéraire prestigieux. En ajoutant des pitons les alpinistes d’aujourd’hui « enlèvent à la voie la dimension psychologique et résolvent le problème par lâcheté ». Une évolution problématique pour l’avenir de l’alpinisme qui implique un retour aux sources et à « l’esprit alpin » originel.

    L’exercice d’une forme de coercition par la communauté des alpinistes

    30La définition légitime de la pratique de l’alpinisme relève de débats « éthiques » précisant les principes essentiels guidant l’action des pratiquants. Elle échappe à la configuration des sports compétitifs strictement codifiés, soumis à une réglementation imposée par une organisation juridiquement reconnue, une fédération, chargée de la faire respecter. En l’absence de « monothète32 », les modalités d’escalade adoptées dans l’univers de l’alpinisme, doivent faire l’objet d’une sorte « d’arrangement » entre les protagonistes en fonction des « rapports de force et de sens » en présence. Dans l’élaboration de cet accord, tous les acteurs ne bénéficient pas du même poids. Les dimensions symboliques jouent un rôle essentiel et, selon la structure du « capital spécifique » du champ considéré, certaines « figures majeures33 » jouissent, d’une influence bien supérieure à celle de l’alpiniste anonyme. Par le prestige accumulé, selon la logique propre du champ, ils peuvent s’appuyer sur différents canaux pour relayer leurs points de vue auprès de l’ensemble des pratiquants.

    31Ainsi, pour parvenir à la proscription de l’utilisation des « pitons à expansion » et des perceuses au profit des « envolées en libre », Dominique Leprince Ringuet s’en remet au pouvoir coercitif « des usages » et aux pressions sociales exercées par la communauté des grimpeurs afin d’aboutir « à une autodiscipline générale ». Les alpinistes de « premier plan » comme les responsables des grandes institutions de la montagne peuvent exercer une influence « en proclamant bien haut leur position ». Ainsi, chaque grimpeur pourra prendre conscience du problème et adopter l’éthique nouvelle souhaitée par l’auteur.

    32Reinhold Messner, malgré la virulence de ses propos, en appelle lui aussi à la communauté et à la responsabilité de chaque grimpeur. « Je ne peux pas et ne veux pas leur interdire ce travail parce que la montagne doit rester une réserve de liberté. » Aussi s’adresse-t-il directement aux alpinistes en leur demandant : « Au moins, laissez les voies anciennes dans l’état originel ! »

    33Pour Gareth Hemming, si le renoncement à l’éthique de « l’escalade artificielle » est loin d’être acquis, il pense pouvoir emporter l’adhésion du plus grand nombre en plaidant pour le respect de quelques « règles légitimes » afin d’éviter la disparition de l’alpinisme. Tout en reconnaissant que la liberté de chacun est une dimension essentielle de cette pratique singulière, il s’attache à convaincre ses pairs de l’urgence de réaliser cette « révolution partielle » en faveur du « libre » qu’il appelle, lui aussi, de ses vœux. Il précise ainsi : « toute nouveauté amène un certain nombre de grimpeurs d’avant-garde à l’essayer. Après un certain temps, une opinion plus ou moins générale se forme. S’il est évident que la nouveauté peut augmenter leurs possibilités sans amoindrir l’idéal esthétique de l’escalade, tous l’adoptent. Sinon elle est mise hors-la-loi ». Pour ceux qui persistent à y recourir, malgré la condamnation du groupe, la communauté n’intervient que de manière indirecte en exerçant une pression sociale sous la forme d’une action dissuasive. Le groupe ne fait rien de plus à l’égard du grimpeur récalcitrant « si ce n’est de le décourager discrètement en ne considérant pas ses ascensions comme digne de l’alpinisme ». Et si cela est nécessaire, « contre le “hors-la-loi” qui abîme les courses avec son matériel, il se trouve toujours quelqu’un pour nettoyer la montagne après son passage ».

    34En l’absence de « monothète », la définition légitime de la pratique devient l’enjeu de luttes internes au sein du champ de l’alpinisme. Une fois l’alerte lancée et le ralliement des « figures majeures » du monde de l’alpinisme obtenu, les tenants de la contestation de « l’escalade artificielle » comptent sur le pouvoir de coercition que Durkheim définit comme « les manières d’agir, de penser et de sentir » propres à un groupe humain, susceptible « d’exercer sur l’individu une pression extérieure » capable de de dissuader les comportements déviants par leur stigmatisation34.

    Conclusion. Les enjeux sociaux de la « révolution partielle » des « envolées en libre »

    35Pour essayer de préciser la sociogenèse de cette « révolution partielle » dans le champ de l’alpinisme et ses enjeux, il s’agit maintenant de rendre compte des conditions de l’engagement de la jeune génération des grimpeurs des années 1960 dans une lutte de « subversion erratique » les conduisant à contester la doxa de « l’escalade artificielle ». On observe en effet qu’à l’occasion de cette contestation, ils ne remettent pas en question les fondements mêmes du jeu, le socle de croyances définissant « l’illusio », l’intérêt de maintenir et de participer au jeu.

    36Comme nous l’avons vu, cette contestation de « escalade artificielle » au profit de la valorisation des « envolées en libre » est le fait de la jeune génération des grimpeurs. Ils sont passés par le même creuset de formation que la génération précédente en incorporant les mêmes « catégories de l’entendement alpinistique » valorisant les ascensions en haute montagne, l’idéal de l’admission au sein du Groupe de hautes montagnes et le prestige de l’obtention du diplôme de guide. Cependant, s’ils sont « les fils de leur père, ils sont aussi les fils de leur temps35 » et ils importent dans l’univers de l’alpinisme des valeurs hédonistes propres à la jeunesse scolarisée des années 1960. Contre « l’escalade artificielle », ils s’attachent à souligner leur peu d’intérêt pour les aspects laborieux, et musculaires de l’escalade artificielle. Ils se définissent eux-mêmes comme des « intellos » dont les habitus cultivés les inclinent à rechercher des formes de loisirs physiques en harmonie avec leurs dispositions intellectuelles et culturelles marquées par les sensibilités nouvelles. Comme l’explique François Guillot, chef de file du groupe Gamma de Marseille, « l’aspect quincaillerie (de l’escalade artificielle) me faisait chier […]. Je n’étais pas un laborieux, un bricoleur, j’étais plutôt un intello et je faisais du libre ». La structure des oppositions sous-jacentes dans les catégories discursives mobilisées se trouve également précisée par la lecture des articles précédemment cités. Si tous les auteurs s’accordent pour préserver la part de liberté de chaque grimpeur, élément essentiel de cette activité, ils entendent rappeler que sans le maintien d’une certaine limitation du recours aux moyens technologiques, l’équilibre sera rompu et l’activité condamnée à « perdre de sa beauté et de son élégance originelle » selon l’expression de Gareth Hemming.

    37L’article de Dominique Leprince Ringuet est sans doute le plus explicite du point de vue de l’enjeu social représenté par cette tentative de renouvellement éthique de l’alpinisme des années 1960. Selon lui, l’esprit de l’alpinisme se caractérise à la fois par l’audace, l’adresse et la force qu’il exige. Pour le préserver il faut maintenir le grand critère de l’intérêt du jeu : l’équilibre entre les forces morales et les forces physiques.

    38Une telle rhétorique, par sa construction rationnelle, fait apparaître cet argumentaire comme relevant de la simple déduction logique mais, en fait, elle tend à « naturaliser » le débat. Elle contribue par là même à masquer l’enjeu social sous-jacent : la crainte d’une appropriation de cette pratique par des représentants des classes populaires qui seraient en mesure d’imposer leurs critères d’excellence en fonction de leurs propres dispositions et de leur propre rapport au corps. On perçoit en effet dans les ressources discursives mobilisées par les tenants des « envolées en libre » une opposition fondamentale entre les qualités de l’esprit et celles du corps. Pris sans doute dans l’élan de sa démonstration, Dominique Leprince Ringuet finit par « vendre la mèche ». Il livre alors ce qui constitue la clé d’interprétation de la contestation de la doxa. Si l’escalade artificielle continue de s’imposer en autorisant l’utilisation des pitons à expansion, voire de la perforation mécanique du rocher, alors : « Il résulte de ce jeu-là que c’est celui qui a les plus gros muscles qui va le plus loin. L’art de l’escalade se trouve donc ramené essentiellement à une question de muscle36. » Dès lors l’enjeu social sous-jacent de cette « révolution partielle » se révèle en pleine lumière. Comme le souligne Pierre Bourdieu : « Les conflits à propos des manières légitimes de pratiquer […] reproduisent presque toujours les différences sociales dans la logique spécifique du champ37. »

    39Pour la génération de jeunes grimpeurs des années 1960, scolarisée et diplômée, représentant les fractions cultivées de la classe dominante, s’opposer à la doxa de « l’escalade artificielle » revient à chercher à maintenir leur pouvoir de contrôle sur la définition légitime de la pratique de l’alpinisme. Ils redoutent de voir s’imposer dans l’univers des activités de grimpe des critères d’excellence et de hiérarchisation des pratiquants selon ce qu’ils décrivent comme des dispositions populaires : « prévalence du muscle sur l’esprit », des laborieux, des besogneux, des bricoleurs, etc. sur les « intellos ». Cette grille de lecture se voit corroborée par les formules à connotation sociale encore plus explicites de Reinhold Messner. Dans une critique virulente de l’abus des moyens techniques, il écrit que : « Celui qui grimpe au-delà de ses possibilités, qui dans du IV plante des “clous” comme un charpentier et dans du VI, fore des trous comme un carrier, celui-là se trompe lui-même et il trompe les autres ». Et d’ajouter quelques lignes plus loin : « Que dire de ceux qui, pour passer, font des trous dans des anciennes voies de V ou de VI. Les gens de cet acabit sont des ouvriers du bâtiment mais […] ce ne sont pas des grimpeurs38. »

    40Les prises de position visant à contester la doxa de « l’escalade libre », dans le monde de l’alpinisme, peuvent donc être appréhendées comme « le produit des pratiques et des représentations des agents qui y sont engagés39 ». Sans qu’ils en aient clairement conscience, leur prise de position et leur pratique des « envolées en libre » tendent à préserver leur situation dominante dans cet espace social particulier en réorientant les usages et les manières de réaliser les ascensions en fonction de leurs propres dispositions éthiques et esthétiques et de leur propre rapport au corps. Ils entendent bien continuer à donner le ton et à imposer leur vision de l’alpinisme en harmonie avec leur propre conception de l’existence. Contre la prééminence de la seule force physique qu’autorise l’adoption des nouveaux moyens techniques de « l’escalade artificielle » comme les « pitons à expansion », les représentants de la jeune génération des élites urbaines cultivées, issues principalement des catégories sociales des cadres et de professions intellectuelles supérieures, vont réussir à imposer un retour à des principes éthiques valorisant leurs capacités cognitives et leur goût pour le déchiffrage des passages d’escalade en utilisant exclusivement les prises naturelles offertes par le rocher.

    41Au lendemain de Mai 68, dans le climat « contre-culturel » qui caractérise alors « l’esprit plein air », les représentants de ces mêmes groupes de diplômés du supérieur plutôt aisés seront à l’origine de l’émergence des pratiques « libéristes » et de l’imposition de la catégorie « Activités physiques de pleine nature40 ». Ils assureront l’avènement du « vol libre », de « l’escalade libre », des « courses libres ». Ils prendront, par exemple, l’initiative de la création des premières courses sur route, les 100 km de Millau, en 1972, sur le plateau du Larzac dans les Cévennes41 en prenant leur distance avec les formes classiques des compétitions d’athlétisme sur piste dans l’enceinte close des stades. Quelques années plus tard, ils assureront le succès des marathons sur route à travers le monde42 et lorsque ces courses connaissent une forme de banalisation pour devenir des pratiques communes, ils seront à l’origine de la création et du succès des courses longues dans la nature comme les « trails » ou les « ultra trails43 ». En procédant à ces opérations de « recodages symboliques » ils manifestent ainsi leurs dispositions à élaborer des stratégies de distinctions sociales efficientes maintenant les écarts distantiels entre les groupes sociaux et garantissant le maintien d’un certain « entre soi44 ».

    Notes de bas de page

    1Weber Max, Éthique protestante et esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, p. 47-48.

    2Hoibian Olivier (dir.), L’invention de l’alpinisme, La montagne et l’affirmation de la bourgeoisie cultivée, 1786-1914, Paris, Belin, coll. « Histoire et société », 2008.

    3Bourdieu Pierre, « Quelques propriétés des champs » Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984.

    4Bourdieu Pierre, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, no 89, 1991.

    5Voir la revue du CAF, La Montagne, « Course au Mont Blanc », no 173, 15 juin 1924.

    6Hoibian Olivier, Les alpinistes en France, une histoire culturelle, Paris, L’Harmattan, 2000.

    7Voir Hoibian O. (dir.), La montagne pour tous, la genèse d’une ambition dans l’Europe du xxe siècle, Toulouse, Éd. Le pas d’oiseau, 2020.

    8Frendo Édouard, « Les passages d’escalade artificielle dans la chaine du Mont Blanc », Alpinisme, 1947, p. 141.

    9Des grimpeurs américains, familiers de l’escalade artificielle des « Big walls » dans le parc national du Yosémite, participent à l’ouverture de voies nouvelles dans le massif du Mont-Blanc comme John Harlin et Tom Frost au Pilier dérobé du Frêney puis avec Gareth Hemming et Steve Fulton à la face sud du Fou en 1963. En 1965, Royal Robbins et John Harlin réalisent la directissime de la face ouest des Drus. Ce dernier disparaît lors d’une tentative de directissime à la face nord de l’Eigger en 1966, en utilisant les techniques himalayennes des cordes fixes. Voir Bonington Chris, « Directe à l’Eigger », La Montagne et Alpinisme, avril 1967.

    10Godfrey Bob et Dudley Chelton, Climb, Rock Climbing in Colorado, Boulder Colorado, Alpine House Publishing, Westview Press, 1977.

    11En 1973, un rassemblement international est organisé en Angleterre par le British Mountaineering Council. Plusieurs Français y participent, notamment Jean Claude Droyer, et découvrent l’éthique du « Free climbing » à cette occasion. La même année, Patrick Cordier fait une voyage aux USA et réalise plusieurs ascensions sur les « Big walls » des parcs nationaux notamment le Yosémite. À son retour, il publie un article sur le « Clean climbing » élaboré par les grimpeurs américains.

    12Grosjean Christine, « Claudio Barbier : l’albatros », Alpinisme et randonnée, no 102, sept. 1987.

    13Hoibian Olivier, « De l’Alpinisme à l’escalade libre : l’invention d’un style ? », Staps, no 36, février 1995, p. 7-15.

    14Surpris par ses détracteurs il se voit alors contraint « de refaire la voie sous leurs yeux ». Heureusement, il surmonte ce défi et réussit l’ascension sans chuter. Cité par Aubel Olivier, L’escalade libre en France, Sociologie d’une prophétie sportive, Paris, L’Harmattan, 2005.

    15Entretien avec un grimpeur de l’Est de la France, 2002. Cité par Aubel Olivier, ibid., p. 71.

    16Loïc Wacquant, à propos de la socialisation des boxeurs dans les salles des quartiers déshérités de New York, évoque le processus d’incorporation de « l’entendement pugiliste ». Voir Wacquant Loïc, Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Éd. Agone, 2001.

    17Nosley Jacques Louis, « Un mot d’éthique », in « L’année montagne », Alpinisme et randonnée, hors-série, 1982-1983.

    18Entretien avec François Guillot, juin 1995.

    19Entretien avec Claude Cassin, juin 1995.

    20Entretien avec Jean louis Nosley, juin 1996.

    21« Vers le 7e degré », La Montagne et Alpinisme, février 1959.

    22Cesare Maestri jouit alors d’une grande notoriété après avoir gravi le Cerro Torre dans les Andes de Patagonie en 1959 malgré la disparition de son compagnon de cordée, l’autrichien Tony Egger, à la descente. La réalité de cette ascension sera contestée par la suite. Maestri ternira encore un peu plus sa réputation en se lançant à l’assaut de ce même sommet, en 1971, avec un compresseur de 80 kg pour forer des trous pour les « pitons à expansion » sur l’essentiel de l’itinéraire désigné depuis comme la voie du « compresseur ».

    23Hemming Gareth, « À la recherche d’un équilibre », La Montagne et Alpinisme, mars 1964. Gareth Hemming connaîtra une certaine notoriété médiatique pendant l’été 1965, sous le sobriquet de « Beatnik des cimes » à la suite du sauvetage d’une cordée de grimpeurs allemands bloquée dans la parois Ouest des Drus. En compagnie de René Demaison et de François Guillot, il rejoint les alpinistes en détresse en réalisant l’ascension par le bas de la voie plus rapidement que les secours officiels de la gendarmerie et de la Compagnie des guides de Chamonix qui cherchent à les rejoindre en posant un treuil depuis le sommet. Une polémique se développera par la suite à propos de l’efficacité de l’organisation des secours en montagne qui conduira à l’exclusion du guide Demaison de la Compagnie chamoniarde. Personnalité tourmentée, il met fin à ses jours en 1969 sur les bords du lac Jenny dans le Wyoming dans des circonstances restées obscures. Il avait 39 ans.

    24John Muir cité par Gareth Hemming, in La Montagne et Alpinisme, op. cit., p. 275.

    25Voir Roper Steve, Camp 4, Chroniques du Yosémite, Chamonix, Éd. Guérin, 1979.

    26Bonington Chris, Deux siècles d’histoire de l’alpinisme, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1992.

    27Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », La Montagne et Alpinisme, décembre 1964.

    28Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », art. cité, p. 308.

    29Messner Reinhold., « La dévalorisation du 6éme degré », La Montagne et Alpinisme, février 1968.

    30Messner Reinhold, « Entwertung des VI. Grades : Gedanken zur Schwierigkeitsbewertung », Bergsteiger, 1967, p. 246-254.

    31Messner Reinhold, « La dévalorisation du 6éme degré », art. cité, p. 214.

    32Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 367.

    33Bourdieu Pierre, « L’identité et la représentation », Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.

    34Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988.

    35Ihl Olivier, « Socialisation et évènements politiques », RFSP, vol. 52, no 2-3, avril 2002.

    36Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », ibid., p. 311.

    37Bourdieu Pierre, La distinction, critique sociale des jugements de goût, Paris, Minuit, 1979, p. 234.

    38Messner Reinhold, « La dévalorisation du 6ème degré », art. cité, p. 215.

    39Dubois Vincent, « L’action publique », in Cohen Antonin et Lacroix Bernard, Nouveau manuel des sciences politiques, Paris, La Découverte, 2009.

    40Hoibian Olivier, « Du plein air au cinquième domaine. Évolution du statut des activités physiques de pleine nature en EPS », inTerret Thierry (dir.), Éducation physique, sport et loisir. 1970-2000, Clermont-Ferrand, AFRAPS, p. 67-86.

    41Defrance Jacques, « Un schisme sportif, clivages structurels, scissions et oppositions dans les sports athlétiques », ARSS, no 79, septembre 1989.

    42Faure Jean-Michel, « L’éthique puritaine du marathonien », Esprit, no 4, 1987.

    43Bessy Olivier, Le grand raid de la réunion, Paris, Océan, 2002.

    44Cousin Sakia et Réau Bertrand, Sociologie du tourisme, Paris, La Découverte, 2009.

    Auteur

    Olivier Hoibian

    Maître de conférences-HDR à l’université de Toulouse 3 – laboratoire FRAMESPA (UMR 5136-CNRS)

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    1Weber Max, Éthique protestante et esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, p. 47-48.

    2Hoibian Olivier (dir.), L’invention de l’alpinisme, La montagne et l’affirmation de la bourgeoisie cultivée, 1786-1914, Paris, Belin, coll. « Histoire et société », 2008.

    3Bourdieu Pierre, « Quelques propriétés des champs » Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984.

    4Bourdieu Pierre, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, no 89, 1991.

    5Voir la revue du CAF, La Montagne, « Course au Mont Blanc », no 173, 15 juin 1924.

    6Hoibian Olivier, Les alpinistes en France, une histoire culturelle, Paris, L’Harmattan, 2000.

    7Voir Hoibian O. (dir.), La montagne pour tous, la genèse d’une ambition dans l’Europe du xxe siècle, Toulouse, Éd. Le pas d’oiseau, 2020.

    8Frendo Édouard, « Les passages d’escalade artificielle dans la chaine du Mont Blanc », Alpinisme, 1947, p. 141.

    9Des grimpeurs américains, familiers de l’escalade artificielle des « Big walls » dans le parc national du Yosémite, participent à l’ouverture de voies nouvelles dans le massif du Mont-Blanc comme John Harlin et Tom Frost au Pilier dérobé du Frêney puis avec Gareth Hemming et Steve Fulton à la face sud du Fou en 1963. En 1965, Royal Robbins et John Harlin réalisent la directissime de la face ouest des Drus. Ce dernier disparaît lors d’une tentative de directissime à la face nord de l’Eigger en 1966, en utilisant les techniques himalayennes des cordes fixes. Voir Bonington Chris, « Directe à l’Eigger », La Montagne et Alpinisme, avril 1967.

    10Godfrey Bob et Dudley Chelton, Climb, Rock Climbing in Colorado, Boulder Colorado, Alpine House Publishing, Westview Press, 1977.

    11En 1973, un rassemblement international est organisé en Angleterre par le British Mountaineering Council. Plusieurs Français y participent, notamment Jean Claude Droyer, et découvrent l’éthique du « Free climbing » à cette occasion. La même année, Patrick Cordier fait une voyage aux USA et réalise plusieurs ascensions sur les « Big walls » des parcs nationaux notamment le Yosémite. À son retour, il publie un article sur le « Clean climbing » élaboré par les grimpeurs américains.

    12Grosjean Christine, « Claudio Barbier : l’albatros », Alpinisme et randonnée, no 102, sept. 1987.

    13Hoibian Olivier, « De l’Alpinisme à l’escalade libre : l’invention d’un style ? », Staps, no 36, février 1995, p. 7-15.

    14Surpris par ses détracteurs il se voit alors contraint « de refaire la voie sous leurs yeux ». Heureusement, il surmonte ce défi et réussit l’ascension sans chuter. Cité par Aubel Olivier, L’escalade libre en France, Sociologie d’une prophétie sportive, Paris, L’Harmattan, 2005.

    15Entretien avec un grimpeur de l’Est de la France, 2002. Cité par Aubel Olivier, ibid., p. 71.

    16Loïc Wacquant, à propos de la socialisation des boxeurs dans les salles des quartiers déshérités de New York, évoque le processus d’incorporation de « l’entendement pugiliste ». Voir Wacquant Loïc, Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Éd. Agone, 2001.

    17Nosley Jacques Louis, « Un mot d’éthique », in « L’année montagne », Alpinisme et randonnée, hors-série, 1982-1983.

    18Entretien avec François Guillot, juin 1995.

    19Entretien avec Claude Cassin, juin 1995.

    20Entretien avec Jean louis Nosley, juin 1996.

    21« Vers le 7e degré », La Montagne et Alpinisme, février 1959.

    22Cesare Maestri jouit alors d’une grande notoriété après avoir gravi le Cerro Torre dans les Andes de Patagonie en 1959 malgré la disparition de son compagnon de cordée, l’autrichien Tony Egger, à la descente. La réalité de cette ascension sera contestée par la suite. Maestri ternira encore un peu plus sa réputation en se lançant à l’assaut de ce même sommet, en 1971, avec un compresseur de 80 kg pour forer des trous pour les « pitons à expansion » sur l’essentiel de l’itinéraire désigné depuis comme la voie du « compresseur ».

    23Hemming Gareth, « À la recherche d’un équilibre », La Montagne et Alpinisme, mars 1964. Gareth Hemming connaîtra une certaine notoriété médiatique pendant l’été 1965, sous le sobriquet de « Beatnik des cimes » à la suite du sauvetage d’une cordée de grimpeurs allemands bloquée dans la parois Ouest des Drus. En compagnie de René Demaison et de François Guillot, il rejoint les alpinistes en détresse en réalisant l’ascension par le bas de la voie plus rapidement que les secours officiels de la gendarmerie et de la Compagnie des guides de Chamonix qui cherchent à les rejoindre en posant un treuil depuis le sommet. Une polémique se développera par la suite à propos de l’efficacité de l’organisation des secours en montagne qui conduira à l’exclusion du guide Demaison de la Compagnie chamoniarde. Personnalité tourmentée, il met fin à ses jours en 1969 sur les bords du lac Jenny dans le Wyoming dans des circonstances restées obscures. Il avait 39 ans.

    24John Muir cité par Gareth Hemming, in La Montagne et Alpinisme, op. cit., p. 275.

    25Voir Roper Steve, Camp 4, Chroniques du Yosémite, Chamonix, Éd. Guérin, 1979.

    26Bonington Chris, Deux siècles d’histoire de l’alpinisme, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1992.

    27Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », La Montagne et Alpinisme, décembre 1964.

    28Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », art. cité, p. 308.

    29Messner Reinhold., « La dévalorisation du 6éme degré », La Montagne et Alpinisme, février 1968.

    30Messner Reinhold, « Entwertung des VI. Grades : Gedanken zur Schwierigkeitsbewertung », Bergsteiger, 1967, p. 246-254.

    31Messner Reinhold, « La dévalorisation du 6éme degré », art. cité, p. 214.

    32Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 367.

    33Bourdieu Pierre, « L’identité et la représentation », Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.

    34Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988.

    35Ihl Olivier, « Socialisation et évènements politiques », RFSP, vol. 52, no 2-3, avril 2002.

    36Leprince Ringuet Dominique, « Les moyens de l’alpinisme », ibid., p. 311.

    37Bourdieu Pierre, La distinction, critique sociale des jugements de goût, Paris, Minuit, 1979, p. 234.

    38Messner Reinhold, « La dévalorisation du 6ème degré », art. cité, p. 215.

    39Dubois Vincent, « L’action publique », in Cohen Antonin et Lacroix Bernard, Nouveau manuel des sciences politiques, Paris, La Découverte, 2009.

    40Hoibian Olivier, « Du plein air au cinquième domaine. Évolution du statut des activités physiques de pleine nature en EPS », inTerret Thierry (dir.), Éducation physique, sport et loisir. 1970-2000, Clermont-Ferrand, AFRAPS, p. 67-86.

    41Defrance Jacques, « Un schisme sportif, clivages structurels, scissions et oppositions dans les sports athlétiques », ARSS, no 79, septembre 1989.

    42Faure Jean-Michel, « L’éthique puritaine du marathonien », Esprit, no 4, 1987.

    43Bessy Olivier, Le grand raid de la réunion, Paris, Océan, 2002.

    44Cousin Sakia et Réau Bertrand, Sociologie du tourisme, Paris, La Découverte, 2009.

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    Hoibian, O. (2021). Socio-genèse de « l’escalade libre » en France à l’aube des années 1960. In O. Hoibian (éd.), Le Mai 68 des sportifs et des éducateurs physiques (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/1372h
    Hoibian, Olivier. « Socio-genèse de “l’escalade libre” en France à l’aube des années 1960 ». In Le Mai 68 des sportifs et des éducateurs physiques, édité par Olivier Hoibian. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2021. https://doi.org/10.4000/1372h.
    Hoibian, Olivier. « Socio-genèse de “l’escalade libre” en France à l’aube des années 1960 ». Le Mai 68 des sportifs et des éducateurs physiques, édité par Olivier Hoibian, Presses universitaires de Rennes, 2021, https://doi.org/10.4000/1372h.

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