Implanter une nouvelle institution épiscopale
Spatialisation et visibilité du religieux dans l’Entrée du premier évêque de Blois en 1698
p. 259-271
Texte intégral
« Au milieu des acclamations de ce Peuple innombrable qui s’abandonne à la joye, et qui l’exprime en toutes les manières qu’un zèle ardant et ingénieux peut inventer ; après nous estre laissé nous-mêmes agréablement transporter aux mouvements confus de la multitude, ne devons-nous pas faire entendre une voix plus articulée1 ? »
1C’est ainsi que le jeudi 26 juin 1698, Louis Frotté, dernier prieur-curé de l’église paroissiale Sainte-Solenne transformée en cathédrale Saint-Louis, commence son discours d’accueil à destination du nouvel évêque de Blois David Nicolas de Bertier. Le peuple est venu en nombre pour voir son nouvel évêque. Il manifeste sa joie par un joyeux désordre festif. À cela s’oppose la solennité des corps religieux et laïcs qui viennent de marcher en bon ordre, bien « articulé » dans la ville. Une première tension s’observe entre l’ordre et le désordre, entre la fête et le sacré. Cette tension est classique lors des processions. Les entrées épiscopales, en tant que procession, sont des manifestations spatiales de la religion en acte qui impliquent aussi bien les laïcs que les ecclésiastiques. Plusieurs caractéristiques définissent le processus à l’œuvre lors des entrées d’évêque. Une des caractéristiques premières est avant tout que les entrées solennelles sont « révélatrices d’une combinaison rhétorique de gestes, de paroles et d’objets2 », dont le but est de glorifier un événement en un lieu et un temps donnés3. L’espace qui nous concerne ici est avant tout le cadre urbain blésois, mais de manière plus symbolique c’est aussi le territoire du nouveau diocèse qui se donne à voir. La deuxième caractéristique des entrées solennelles est leur caractère festif. De véritables fêtes urbaines fédératrices se mettent en place autour du prélat4. La dernière particularité d’une entrée solennelle est son enracinement dans une tradition et un temps long.
2C’est sur ce point que l’entrée de David Nicolas de Bertier se démarque. En effet, cette entrée revêt un caractère particulier et exceptionnel. Non pas parce qu’elle est la première entrée d’un évêque à Blois, mais parce qu’elle est la première entrée du premier évêque de Blois. C’est donc une innovation dans une société d’Ancien Régime qui valorise l’ancienneté, l’autorité et l’immuable encore plus en matière religieuse. C’est tout un rituel qu’il s’agit de construire et de mettre en scène à travers l’espace urbain. Une deuxième tension apparaît là entre innovation et légitimation. Or, la question est comment mettre en scène l’entrée de l’évêque par un rituel totalement nouveau et légitimer ainsi la création d’une nouvelle institution : l’évêché. En tant que création, l’entrée épiscopale de Blois ne peut donc pas s’enraciner dans la tradition des entrées précédentes, ou encore dans l’histoire ou la mythologie urbaine de la ville. Elle s’inspire des entrées d’autres villes dans le royaume mais tout est à inventer.
3Le moment de l’entrée devient donc un enjeu central dans la stratégie de légitimation de l’évêque, qui doit faire sans un passé multiséculaire et doit donc compter sur l’instant présent de la journée. C’est pourquoi la spatialisation des signes et des pratiques religieuses sur le territoire blésois joue un rôle déterminant dans la stratégie d’implantation de David Nicolas de Bertier. Un premier questionnement consiste à voir comment les marqueurs visibles du sacré participent à la mise en scène de la prise de possession du diocèse par son nouvel évêque. Cette arrivée d’un haut prélat dans une ville moyenne, habituée à l’éloignement de l’autorité épiscopale, vient transformer et perturber l’ordre établi. Or, dans les sociétés d’Ancien Régime fortement hiérarchisées et marquées par la manifestation extérieure de son rang, par les règles de préséance ou par la défense de son honneur, l’arrivée de l’évêque est un véritable bouleversement. Ce qui amène un deuxième questionnement autour des enjeux qui pèsent sur la visibilité du religieux dans une société blésoise dont l’ordre établi est en pleine recomposition.
4L’historiographie des entrées solennelles souffre d’un paradoxe. Elle est abondante pour les entrées royales5, mais bien plus silencieuse pour les entrées épiscopales, alors que le cérémonial des évêques entrant dans leur cité reste bien vivant localement jusqu’à la Révolution contrairement aux entrées royales. Stéphane Gomis a consacré un article de synthèse aux entrées solennelles des évêques dans la France des xviie et xviiie siècles6. D’autres études locales existent, comme celle de Gaël Rideau, qui analyse sur un temps long les transformations à l’œuvre lors des entrées solennelles des évêques d’Orléans aux xviie et xviiie siècles7. En tant que création d’un nouvel évêché, Blois se démarque des études précédentes. Jules Gallerand a étudié en détail l’érection de l’évêché de Blois dans un article publié en 19568. Il ne s’attarde pas sur la journée d’entrée en elle-même qui n’est que le point d’aboutissement d’un long processus politico-diplomatique entamé dans les années 1690. Plus récemment, à l’occasion d’un colloque commémorant les 300 ans du diocèse de Blois, Olivier Poncet revenait sur le rôle des institutions romaines dans cette création9. La création de diocèse dans la France de l’époque moderne reste rarissime. Deux motivations sont au cœur des négociations avec la papauté dans le cas présent : la volonté de réduire l’immensité du diocèse de Chartres, qu’on surnomme à Rome le « grand diocèse », ainsi que la nécessité d’une lutte plus efficace contre le protestantisme. Une fois les voix discordantes du clergé local éteintes10, la royauté propose le dossier à Rome qui finit par accepter. Par le choix royal de David-Nicolas de Bertier11, c’est bien dans un esprit de lutte contre le protestantisme, dans la continuité de l’abolition de l’édit de Nantes, que se place l’érection du diocèse de Blois.
5L’objet étudié ici est bien la journée de prise de possession réelle par l’évêque de sa chaire épiscopale. Ceci est vécu comme l’aboutissement d’un projet royal négocié à la fois avec Rome, mais aussi avec les pouvoirs locaux qu’ils soient urbain ou religieux. Il est donc nécessaire de donner à cette journée un éclat et un prestige à la hauteur de son exceptionnalité. Plusieurs types de sources relatent ce moment fort de l’histoire blésoise. Tout d’abord, un acte du conseil de ville, rédigé deux jours avant l’entrée, présente le projet de déroulement des cérémonies12. Il s’agit d’un document programmatique qui précise ce qui est prévu et peut donc être différent de ce qui s’est réellement passé. Cependant, il conserve un intérêt, car le corps de ville livre beaucoup de détails sur les préparatifs de la journée. Ensuite, un deuxième groupe de sources rassemble tous les récits descriptifs de la journée elle-même. D’origines ecclésiastique ou laïque, ces descriptions ont été rédigées quelques heures ou jours après l’entrée. Dès le lendemain, le pouvoir épiscopal donne la version la plus détaillée, à travers la plume du notaire apostolique du diocèse Louis Garnier13. Les bénédictins font de même14. En plus de la vision ecclésiastique, on dispose de différentes sources laïques complémentaires. En premier lieu, le conseil de ville livre sa vision de la cérémonie avec un texte manuscrit15. En deuxième lieu, on dispose d’un document imprimé et publié dans le Mercure Galant16. La relation est plus succincte, mais elle montre un autre point de vue et surtout l’événement prend une autre résonance avec une diffusion du récit au-delà du cercle local. La dernière description est extraite d’un journal anonyme17. L’auteur est sûrement proche ou faisant partie du clergé local, en raison de la précision de ses informations mais aussi des nombreuses harangues qu’il retranscrit dans son journal. Cette dernière source permet d’avoir connaissance d’un troisième et dernier corpus constitué des prises de parole en public à destination de l’évêque. Ces discours solennels ont pour but de faire l’éloge du nouveau prélat devant un large public. C’est à la fois une représentation de l’évêque dans son diocèse par les acteurs locaux, mais aussi un positionnement du locuteur et du groupe qu’il représente face au nouveau pouvoir épiscopal.
6Ces diverses sources permettent de croiser les regards sur le déroulement de la journée et de mieux saisir les enjeux propres à chaque groupe d’acteurs. Il est nécessaire de revenir sur le parcours processionnel qui implique l’espace urbain dans les stratégies de légitimation de l’évêque en analysant les significations et les logiques à l’œuvre dans la construction de l’itinéraire. Ensuite, on abordera la transformation et la sacralisation éphémère de l’espace processionnel par les différents marqueurs du sacré, dont le but est de livrer une image idéale d’un évêque de la réforme catholique dans sa cité. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette nouvelle visibilité du religieux à Blois subit de profonds changements entre un ordre ancien hérité qui est en pleine recomposition, pour donner à voir un ordre transitoire et unique à l’occasion de cette journée, tout en amorçant l’ordre nouveau en devenir.
Un espace urbain éphémère construit pour un événement exceptionnel
7L’espace urbain mis en avant par la cérémonie d’entrée de l’évêque est le résultat d’un processus de discussion et de négociation lors d’assemblées, même si ces tractations n’ont pas forcément laissé de traces matérielles. Il fait l’objet d’une attention particulière. Il est donc intéressant de voir quel espace de Blois est au cœur de la procession, ou au contraire celui qui en est exclu, tout en essayant de comprendre la signification que les acteurs donnent à cet espace.
8Le parcours processionnel retenu pour cette journée du 26 juin 1698 est bien une construction sociale, dans le sens où il est le résultat d’une sélection de lieux et de rues. On pourrait même dire « socialement vive » entre les différents acteurs. C’est une partie de l’espace urbain qui se donne à voir, le choix des lieux est donc au cœur de nombreux enjeux. Dans une séance réalisée le 24 juin, soit 2 jours avant l’entrée, le maire et les échevins de la ville livrent un « itinéraire programme » assez précis. Il ne s’agit pas de ce qui a eu lieu mais de ce qui doit avoir lieu. Le corps de ville revient une deuxième fois sur l’itinéraire dans sa relation de l’entrée. On observe que le point de départ est devant le nouveau portail de l’abbaye bénédictine de Saint-Laumer. Enclavée dans le système fortifié de la ville depuis le milieu du xive siècle, l’église bénéficie d’un nouveau portail ouvert vers l’ouest sur le faubourg du Foix. Les travaux qui débutent en 1642, avec le comblement et la transformation des anciens fossés en parvis de forme semi-circulaire et fermé par des murs, se poursuivent jusqu’en 1662. Pour la première fois, un bâtiment obtient l’autorisation de s’étendre au-delà de l’enceinte urbaine18, marquant ainsi une étape importante dans l’évolution de la ville. C’est donc un espace nouvellement embelli dans la ville qui sert de point de départ. De là, l’évêque peut s’acheminer vers la porte du Foix, autre lieu central de la cérémonie. La porte du Foix se situe entre le château et l’abbaye de Saint-Laumer dans la ville basse. C’est là que l’évêque reçoit ses habits pontificaux et monte sur son trône placé à l’extérieur de l’enceinte. Il passe symboliquement les portes de la ville et emprunte la rue de Saint-Lubin, en faisant un crochet vers le Sud où se situent plusieurs établissements religieux, comme l’église des Jacobins, l’Hôtel-Dieu et l’abbaye des chanoines réguliers de Bourgmoyen. Ensuite, au carrefour des Grandes Fontaines, le cortège remonte vers le Nord jusqu’à l’église Saint-Martin pour emprunter la Grande Rue jusqu’à la Porte Chartraine. Une fois à la porte, la procession oblique sur la droite par la rue Beauvoir, passe devant les prisons de la ville, le palais de justice, ainsi que le palais épiscopal provisoire de l’évêque (Hôtel de Saumery). Au final, le cortège aboutit devant le portail de l’église Sainte-Solenne qui devient la nouvelle cathédrale sous le vocable de Saint-Louis. On a donc une traversée de la ville d’Ouest en Est.
Parcours processionnel lors de l’entrée du premier évêque de Blois le 26 juin 1698.

9Les acteurs attachent une attention particulière à ce territoire. Cette construction spatiale fait sens pour les contemporains. Le début du parcours met en valeur les établissements religieux les plus anciens et les plus respectés de la ville, à savoir les bénédictins de Saint-Laumer et les chanoines réguliers de Saint-Augustin de Bourgmoyen. Le choix des lieux religieux les plus élevés en dignité contribue à légitimer et à insérer l’évêque dans sa cité. En plus d’être fortement ecclésiastique, le territoire au cœur du cérémonial avec le trône et le franchissement hautement symbolique de la porte, constitue l’espace urbain le plus ancien au pied du château. À partir de cet espace ecclésiastique et ancien, il s’agit de sacraliser les deux nouvelles centralités qui sont les points d’aboutissement du cortège, à savoir : la cathédrale Saint-Louis qui change de fonction et le palais épiscopal.
10Les différents témoins qui relatent l’événement ne s’attardent pas de la même manière et avec la même précision sur les indications topographiques. Dans « le livre des choses mémorables » des bénédictins de Saint-Laumer, ou même dans le procès-verbal dressé à la demande de l’évêque, le rapport à l’espace reste très religieux et imprécis en ce qui concerne les axes de circulation. Ces écrits insistent sur l’église de Saint-Laumer, la porte du Foix avec le trône de l’évêque, l’église Saint-Nicolas, où sont rassemblés les religieux de la ville et des alentours, alors que l’évêque arrive à sa cathédrale et son palais épiscopal en passant dans les rues sans plus de précision. La précision revient une fois dans la cathédrale et surtout dans le chœur, espace le plus sacré. Il s’agit avant tout de marqueurs topographiques religieux. L’espace profane est peu évoqué ou alors de manière peu précise.
11Le corps de ville attache une grande importance au détail et à la précision dans sa description du trajet. En plus des éléments précédents, les actes de la municipalité précisent le nom des rues et des carrefours, l’Hôpital, le nom de l’église paroissiale Saint-Martin. En plus de la porte du Foix, la ville mentionne la porte Chartraine, et surtout elle précise des lieux du pouvoir civil, comme le palais de justice et la prison. La vision de l’espace par le maire et les échevins met en avant les lieux comme les portes et donc l’enceinte fortifiée, ou encore les rues. Ils insistent ainsi sur les lieux-marqueurs de l’identité urbaine. Les mesures de police urbaine s’appliquent dans les rues ou sur les places.
12Si une partie de l’espace urbain est au cœur de la cérémonie, d’autres zones au contraire en sont écartées. Ceci amène à voir que des lieux hautement symboliques du pouvoir urbain ne sont pas mentionnés. Par exemple, la maison commune ne se trouve pas sur le parcours de la procession. Il s’agit avant tout d’une procession ecclésiastique. Le château royal n’est mentionné que très rarement et à chaque fois pour servir de repère pour localiser une porte ou les lieux de tir d’artillerie. De même, le fleuve, le pont, et les quais, territoire vivant et actif pour l’économie locale, sont passés sous silence. Les nouvelles maisons religieuses sont elles aussi en dehors de l’itinéraire, car situées hors les murs, faute de place dans la ville. Pourtant, dès le milieu du xviie siècle, c’est une véritable « ceinture conventuelle19 » qui s’érige au Nord et à l’Ouest de la cité.
13Les différents témoignages livrent donc une vision partielle de l’espace urbain. Le recoupement des sources permet de livrer une vision plus complète de la cérémonie. D’abord fortement marqué par un espace ecclésiastique et ancien, l’itinéraire emprunte l’axe principal de la ville avec la Grande rue pour ensuite passer devant les lieux symbolisant le pouvoir civil avant d’arriver à la cathédrale. Les enjeux autour de cette entrée pour les différents acteurs qui la relatent induisent une spatialisation différente de leurs récits. Chaque acteur accorde une importance particulière aux lieux qui représentent ses prérogatives dans la ville. Les discours de l’entrée apparaissent comme la « photographie » d’un moment dont il convient de se souvenir en raison de son exceptionnalité. Une « photographie » cependant sélective et surtout qui livre une image temporaire d’une ville métamorphosée pour l’événement, sacralisée par l’évènement.
Un espace sacralisé pour livrer une image idéale de la cité articulée autour de la figure épiscopale, parfait modèle de l’évêque post-tridentin
14La ville est métamorphosée pour célébrer un événement extraordinaire. Différents marqueurs visibles ou invisibles du sacré sont mis en scène pour livrer une image idéale de l’espace urbain entièrement articulé autour de la figure de l’évêque. La journée se vit avant tout comme une « expérience sensible ». Tous les sens sont sollicités pour décrire l’entrée de l’évêque dans une ville exceptionnellement transformée pour l’accueillir. Ces « marqueurs sensibles » du sacré magnifient l’espace urbain le temps de la cérémonie. En premier lieu, c’est l’univers sonore et les décors qui sollicitent l’ouïe et la vue des différents auteurs.
15Un lieu devient central pour l’occasion : la porte du Foix avec un objet, le trône de l’évêque. Le trône de l’évêque est un des points d’orgue de la journée pour l’ensemble des descriptions, puisque c’est là qu’il reçoit ses habits pontificaux. Le trône est longuement décrit par le conseil de ville : il est « surélevé de 7 à 8 marches », « couvert et entouré de tapisseries », et les armes de l’évêque sont placées au-dessus. Il est l’objet exceptionnel par excellence qui marque un temps fort de la cérémonie. La prise de possession de l’évêque se fait avec un des attributs de la royauté, insérant l’évêque comme premier personnage de la ville et du diocèse. Ce trône est placé hors la ville sur la place au pied de la porte du Foix.
16La porte et la place sont aussi mises en valeur par un programme de décoration. Les moines de Saint-Laumer expliquent que la place est tapissée par des grandes voiles de bateaux. Encore une fois, les sources municipales livrent une description plus minutieuse du lieu : un cercle garni de laurier a été placé au-dessus de la porte sur lequel on posa les armes du roi, puis à droite celles de l’évêque et à gauche celles de la ville.
17Au moment où l’évêque entre, les cloches et les canons retentissent et ainsi solennisent davantage le moment. Ce sont les deux éléments du paysage sonore de la journée qui frappent le plus les contemporains et qui contribuent à renforcer l’aspect festif. Dès la veille de l’entrée, les cloches ont accompagné l’évêque jusqu’au monastère de Saint-Laumer où il se retire pour la nuit. L’ensemble des cloches des paroisses entre Champigny20 et Blois retentissent. Dès que l’évêque est en vue ce sont les canons des tours de la porte du Foix et de la porte Chartraine qui, à leur tour, se font entendre. Le jour même de l’entrée, lorsque David Nicolas de Bertier passe la porte du Foix, c’est le même cérémonial qui se manifeste.
18Plus que les murailles, qui ne sont pas évoquées dans les discours, les portes cristallisent l’attention des observateurs. Les fortifications commencent petit à petit à s’effacer en cette fin de xviie siècle dans le paysage blésois. Les portes sont primordiales à un double titre. Elles marquent l’entrée physique de l’évêque dans sa cité et donc justifient en elles-mêmes la journée d’entrée. Mais, c’est aussi pour le conseil de ville un haut lieu de l’urbanité au sens juridique. C’est lui qui accorde le plus d’attention à la description de cet espace. Tout comme le trône, le programme de décoration de la porte vient renforcer un message politique clair et visible par tous : l’évêque est dorénavant le premier personnage de Blois derrière le roi et devant le corps de ville.
19Les rues constituent aussi des lieux importants aux yeux du pouvoir municipal. Elles sont, elles aussi, entièrement tapissées et décorées pour l’occasion. Mais surtout le corps de ville attache une attention particulière à ce qu’elles soient pavées et il prend des mesures de police urbaine en ce sens quelques jours avant l’entrée. Le pavement embellit l’espace et renforce l’image idéale de la cité, mais surtout le pavé est un signe d’urbanité. La rue est aussi le lieu de la foule venue nombreuse pour l’occasion. Ce peuple se manifeste avec de nombreuses acclamations. Il est venu nombreux et ralentit la progression de l’évêque sur son parcours. Les sources expliquent bien que le public souhaite voir de ses propres yeux le nouveau prélat en habits pontificaux. Parmi les mesures prises, on a aussi le nettoiement des rues de toutes leurs immondices. Derrière cela, il y a un double objectif : à la fois rendre l’espace urbain propre pour accueillir un prélat de haut rang mais aussi le rendre olfactivement meilleur qu’il ne l’était.
20L’odorat et l’ouïe se rejoignent dans les descriptions pour mettre en valeur, par opposition au reste, l’espace sacré des églises. Plus que la vue, ce sont bien les deux autres sens, surtout l’ouïe et dans une moindre mesure l’odorat, qui sont fortement présents dans les sources. À l’espace sonore confus et bruyant de la multitude des laïcs, s’oppose le monde sonore des lieux sacrés alternant silence et chants. Tout d’abord à Saint-Laumer, l’évêque sort de l’église au son de l’hymne Veni Creator, chant qui l’accompagne jusqu’à la porte de l’église. Une fois l’évêque arrivé dans sa cathédrale, les chants et la musique reprennent avec le Te Deum et l’Exaudiat. L’encens accompagne aussi le prélat jusqu’au chœur21.
21Les observateurs accordent une large place dans leurs descriptions aux différents sens : la vue, l’odorat ou encore l’ouïe. À la différence des descriptions statiques des villes qu’on trouve dans la littérature, notamment de voyage, et qui se limitent au sens de l’observation22 ; les discours sur l’entrée de l’évêque donnent une autre dimension à l’espace urbain. Le sacré n’est pas seulement visible dans la ville, mais il se vit comme une expérience unique et extraordinaire. La visibilité et la présence du sacré sont aussi renforcées par le bon ordre qui règne lors du défilé des différents acteurs devant le prélat. Les sources insistent sur la simultanéité, la synchronisation telle une « mécanique parfaite » quasi divine. Les bénédictins évoquent le « signal donné » qui marque le départ de la procession. D’autres sources insistent sur les cloches et les canons qui retentissent en même temps que le prélat passe sous la porte du Foix.
22Le parfait déroulement de la cérémonie se vit comme une expérience unique et rare pour les contemporains qui, d’après les sources, viennent en foule de tout le diocèse pour voir les marqueurs du sacré qui entourent le prélat mais aussi pour recevoir sa bénédiction. L’espace diocésain est peu évoqué dans les relations, en raison des sources exclusivement produites par des auteurs blésois. Ponctuellement, on signale la présence d’acteurs non blésois, plus en raison du caractère exceptionnel de leur présence que par volonté de les mettre en avant. C’est Vendôme qui est parfois évoquée. C’est la deuxième cité du diocèse derrière Blois. On apprend dans le procès-verbal de l’évêque qu’une députation du corps de ville vendômois ainsi que de l’Élection, des chanoines de la collégiale Saint-Georges et des chefs des communautés religieuses, vient saluer et féliciter l’évêque dès son arrivée à Champigny le vendredi 20 juin. Le chroniqueur du journal anonyme précise que c’est avec l’escorte de la maréchaussée de Blois et de Vendôme que l’évêque arrive à Blois la veille de l’entrée, le mercredi 25 juin. Les autres participants non blésois sont vaguement évoqués sous les termes : « d’étrangers ». Pour le public, on précise juste qu’il vient de la campagne alentour parfois éloignée, en très grand nombre : « peuple venu en foule ». Le conseil de ville précise que ce sont des « curés de la campagne » qui portent le dais sous lequel l’évêque traverse la ville. Le chroniqueur du Mercure Galant précise que la foule vient de 20 lieues à la ronde. Enfin, le journal anonyme évoque la présence de chanoines de Paris, Chartres ou encore Bourges. L’évocation des fidèles du diocèse venus en masse voir le nouvel évêque contribue à forger une image idéale du prélat qui guide son troupeau.
23C’est bien la figure d’un évêque dans la continuité de la réforme catholique qui domine. L’ensemble des harangues qui sont arrivées jusqu’à nous sont unanimes pour forger l’image d’un prélat dans la droite lignée du grand modèle du xvie siècle, saint Charles Borromée, ou du xviie siècle avec saint François de Sales. La harangue du représentant des médecins est très significative sur ce point. La comparaison est sous-entendue mais c’est bien l’évêque de Milan canonisé en 1610 qui est pris en référence. Il rappelle le rôle essentiel de David Nicolas de Bertier lors d’une disette à Blois. Le corps de ville est dépassé par les événements et le maire craint pour sa sécurité. L’évêque vient au secours de son peuple, en ordonnant que les bateaux chargés de blé sur la Loire soient arrêtés pour nourrir les habitants. C’est aussi le représentant des médecins qui dresse une liste des attentes des fidèles envers l’évêque. Il s’agit en réalité des attentes d’un lettré faisant partie des notables de la ville mais cela montre bien que le modèle de l’évêque de la réforme catholique se diffuse. Il aborde la nécessité de créer un séminaire pour mieux former le clergé et de lutter contre le protestantisme pour « ramener les brebis égarées ». Il insiste aussi sur les nécessaires visites pastorales. L’évêque apparaît bien ici comme le « roi glorieux de son Eglise, les prêtres et les autres clercs étant ses ministres23 ». La place de l’évêque dans l’ordre de la procession est centrale. Il est l’astre autour duquel tout gravite. La harangue du gardien des capucins de Blois reprend cette image du soleil et de la lumière tout au long de son discours. On ne possède pas de réponse de l’évêque aux différents éloges, mais à chaque fois les observateurs mettent en avant : « l’humilité », la « bonté », la « tendresse » et la « justesse des réponses » de l’évêque.
24L’image idéale d’un évêque dans sa cité est mise en scène par l’intermédiaire de quelques marqueurs visibles pour tous. Le programme de décoration magnifie la ville. La comparaison royale avec le trône, mais aussi la mitre, la crosse ou encore les habits pontificaux de l’évêque, marquent visiblement l’arrivée du prélat et son passage du statut de simple ecclésiastique à celui d’évêque. Cependant, c’est une visibilité nouvelle pour la ville de Blois. Le rapport de l’évêque à l’espace est nouveau et surtout il vient s’insérer dans des logiques processionnelles qui, elles, sont héritées d’un passé multiséculaire. Le déploiement des différents marqueurs du sacré, qu’ils soient matériels ou immatériels, contribue à dresser une image idéale de l’évêque en sa cité, mais cette image est éphémère et elle ne doit pas faire oublier que cette entrée est au centre de nombreux enjeux.
Un ordre en pleine recomposition
25La cérémonie de l’entrée se caractérise par un ordre exceptionnel et éphémère. Elle a un double objectif. Marquer le basculement entre l’ordre ancien hérité des siècles passés et le nouvel ordre dominé par la figure de l’évêque ; mais aussi permettre l’acceptation et donc la normalisation des innovations dans la visibilité du religieux. L’entrée de l’évêque dans sa cathédrale est le point d’orgue qui doit marquer cette transition entre les ordres et la rendre visible aux yeux de tous, de la plus belle des manières par la procession. L’ordre ancien qui préside aux manifestations religieuses est avant tout marqué par l’absence de l’évêque. Le corps de ville occupe alors une place prépondérante. Plusieurs affaires, tout au long du xviie siècle, illustrent les rapports de force à l’œuvre entre le clergé blésois et les échevins. Les trois corps ecclésiastiques principaux sont : l’abbaye de Saint-Laumer, celle de Bourgmoyen et le chapitre de Saint-Sauveur. À chaque fois, c’est la maîtrise du temps et de l’espace religieux de la procession ainsi que l’ordonnancement des acteurs qui est en jeu. Par exemple, en juin 1627, à l’occasion du décès de Marie de Bourbon Montpensier, première épouse de Gaston d’Orléans, la ville de Blois préside à l’organisation des cérémonies pour témoigner du deuil de la ville. Le corps de ville décide, dans une séance datée du 9 juin, que l’ensemble des corps, y compris le clergé, se rassembleront le dimanche 13 juin à la maison commune pour se rendre à l’église Saint-Sauveur. À la suite de cette séance, les membres du clergé ont envoyé un religieux à Orléans, ville du même duché et ville épiscopale, dans laquelle la cérémonie venait d’avoir lieu. Le corps de ville orléanais n’a pas bénéficié d’escorte des religieux. Le 12 juin, dans une séance extraordinaire, les membres du clergé refusent d’escorter le maire et les échevins en tenue ecclésiastique. Le corps de ville cède devant les religieux mais tout en précisant que cette décision ne doit pas servir de précédent pour l’avenir. Ce conflit montre que l’escorte du pouvoir municipal par le clergé blésois n’était pas exceptionnelle ; mais les religieux contestent cet état de fait et semblent vouloir remettre en cause la visibilité traditionnelle du religieux dans l’espace urbain. On voit dans cette affaire la place importante jouée par le corps de ville dans le règlement de l’ordre des cérémonies à Blois avant la création de l’évêché. C’est donc un ordre fragile qui préside aux manifestations du sacré. Il est de plus en plus souvent contesté. Les conflits de préséance sont courants entre ecclésiastiques mais aussi avec le conseil de ville. Les lieux de départ ou d’arrivée des processions changent à tour de rôle entre Saint-Laumer, Bourgmoyen ou encore Saint-Sauveur. L’évêque de Chartres éloigné doit rappeler son autorité. La maison commune apparaît comme un lieu important pour les cérémonies religieuses extraordinaires. Cet ordre ancien instable se transforme en raison de la création de l’évêché.
26La visibilité du religieux joue un rôle primordial pour montrer à tous les innovations religieuses que connaît Blois. L’ordre du cérémonial est en pleine recomposition pour plusieurs raisons. Premièrement, Davis Nicolas de Bertier devient évêque et prend possession de son église cathédrale. Deuxièmement, le chapitre de Saint-Sauveur devient chapitre cathédral. Et troisièmement, l’église paroissiale de Sainte-Solenne devient la cathédrale Saint-Louis. Le cérémonial insiste sur ces transformations. Il rentre dans une stratégie d’information24. Les objets symbolisant le pouvoir épiscopal, mais aussi les gestes, les paroles ou encore l’orchestration des différents corps dans le cortège, ont pour but de rendre présentes et concrètes les innovations religieuses à tous les participants. Il apparaît donc nécessaire de poser les bases d’une nouvelle visibilité du religieux centrée sur l’évêque.
27Les sources précisent bien que certains éléments du cérémonial sont uniques et exceptionnels en raison de la situation particulière qu’est la création de l’évêché. Par exemple, au terme du parcours, une fois arrivé à sa future cathédrale, c’est très exceptionnellement le prieur-curé de Sainte-Solenne nommé Louis Frotté qui accueille l’évêque à la tête de son clergé et de ses paroissiens. Étant le seul titulaire et possesseur de cette église, pas encore cathédrale, c’est à lui qu’incombe la tâche de recevoir le nouveau prélat et de l’installer dans sa chaire épiscopale. Le procès-verbal de l’évêque précise bien que ceci n’est valable que « pour cette fois seulement » et qu’à l’avenir l’honneur reviendra au doyen du chapitre cathédral. Les objets et leur mise en scène jouent donc un rôle important dans la concrétisation de la prise de possession du diocèse par l’évêque. Les textes insistent sur les marqueurs visibles de la fonction épiscopale, à savoir la crosse, la mitre mais aussi la chaire épiscopale. Ce sont ces attributs qui vont véritablement le rendre pleinement évêque aux yeux du peuple. Ce n’est qu’une fois installé sur sa chaire, que David Nicolas de Bertier est mis en possession « réelle, corporelle et actuelle de son évêché ». En même temps que l’évêque, le chapitre de Saint-Sauveur se transforme en chapitre cathédral, obtenant ainsi la préséance sur l’ensemble des autres corps ecclésiastiques. La justification de ce nouvel ordre est mise en scène par la lecture des documents officiels, comme les bulles du pape, dont celle d’érection du nouvel évêché, ainsi que les lettres patentes de Louis XIV. Ces textes de droit sont utilisés comme des autorités qui servent à légitimer le nouveau pouvoir.
28Une autre forme de justification peut être visible à travers les harangues des différents acteurs participant à la cérémonie. Pour le délégué des médecins, c’est une justification par la nécessité de mieux encadrer les fidèles ; la création de l’évêché répondant à une demande et un besoin social. Le prieur des Jacobins emprunte lui un précédent tiré de la Bible pour justifier le partage du diocèse. Il évoque Basile de Césarée qui partage son diocèse en faveur de Grégoire de Nazianze. Il s’agit là d’une justification par un exemple extrait du canon des Écritures.
29C’est donc bien une visibilité particulière du religieux qui se met en place, puisqu’elle doit prendre en compte l’innovation fondamentale qu’est la création du diocèse, mais il faut aussi mettre en scène les recompositions du clergé local qui en sont la conséquence. Le rituel reprend ce qui se fait dans les autres cités épiscopales, comme la retraite la veille dans un monastère mais il s’en détache aussi. En tant que création nouvelle, l’entrée de David Nicolas de Bertier ne bénéficie pas de la légitimité de l’ancienneté. Le prélat ne jouit pas non plus de privilèges hérités du Moyen Âge comme le pouvoir de gracier les prisonniers qu’on trouve à Orléans. Le parcours à travers la ville ne fait pas l’objet de stations particulières ou de gestes particuliers. C’est une visibilité assez sobre, centrée sur la mise en valeur de l’évêque dans une fonction uniquement religieuse. Le rapport de l’évêque à l’espace urbain est neuf. Il ne bénéficie pas de la mémoire des lieux ou d’une mythologie urbaine héritée des siècles précédents. D’ailleurs les sources sont toutes claires sur un point : une fois passées les portes, l’évêque se rend directement à sa cathédrale sans stations ou étapes particulières. La création de l’évêché apparaît avant tout comme une décision royale et pontificale, comme le montrent le décor urbain et la mise en scène de la lecture de la bulle d’érection et des lettres patentes. Face à ces recompositions profondes de l’ordre établi, les acteurs locaux défendent leur place. La visibilité apparaît au cœur de nombreux enjeux de pouvoir et de représentation.
30Cette concurrence et ces rivalités sont visibles pendant la journée de l’entrée. La défense du nouvel ordre autour de l’évêque est un enjeu. Tout d’abord, il faut défendre l’ordre pendant le parcours entre les participants dans le cortège et le public à l’extérieur. A posteriori, une affaire montre que des violences ont eu lieu. Face à la forte affluence, la décision est prise de fermer les portes de la ville, occasionnant la colère de certains habitants ne pouvant plus entrer dans la cité.
31Mais il faut aussi défendre l’ordre entre les participants à l’intérieur du cortège. Les négociations ont été extrêmement difficiles surtout entre ecclésiastiques. Saint-Laumer et Bourgmoyen s’opposent régulièrement sur des questions de préséance. Mais la journée d’entrée amplifie les tensions. Il s’agit avant tout pour eux de se placer conformément à leur rang. Pour le cortège, il est statué que Saint-Laumer et Bourgmoyen défileront côte à côte sur la même ligne à gauche de l’évêque. Le parcours semble se dérouler sans entorse ni scandale. C’est une fois dans le chœur de la cathédrale, espace le plus sacré mais aussi le plus sélectif, que le scandale éclate au sujet des six chaires les plus proches du trône à gauche de l’évêque. C’est le point de vue des bénédictins que nous possédons sur cette affaire. Bourgmoyen et Saint-Laumer se disputent le premier rang. Le prieur de Bourgmoyen cède mais proteste devant notaire. Il n’y a donc pas de coup d’éclat entre religieux qui viendrait perturber le déroulement de la cérémonie mais une suite sera donnée en justice.
32Du côté des laïcs aussi des perturbations éclatent pour des questions de préséance. Mais la stratégie de contestation est différente. La chambre des comptes préfère ne pas participer car son rang n’est pas respecté par rapport aux autres corps laïcs, à savoir : le présidial, le corps de ville, la maréchaussée et l’Élection25. L’objectif ici est d’être absent pour ne pas entériner un précédent mais c’est aussi manifester son désaccord avec l’ordre établi par son absence.
33Une autre particularité est à signaler dans le déroulement de la cérémonie. Elle n’est peut-être pas sans lien avec les concurrences et les rivalités autour de la définition de l’ordre. Contrairement à ce qui est préconisé par Rome dans le cérémonial des évêques, l’ensemble du clergé ne part pas de la cathédrale pour rejoindre l’évêque à la porte de la ville. Le clergé se rassemble dans l’église Saint-Nicolas située hors les murs, sauf pour les trois corps ecclésiastiques les plus élevés en dignité : Saint-Laumer, Bourgmoyen et Saint-Sauveur qui partent eux de leurs maisons respectives. C’est une façon de mettre en avant ces trois corps qui tiennent à défendre une place de premier plan. Il est vrai aussi que le chapitre cathédral n’étant pas encore réellement et pleinement installé, il paraît difficile de rassembler l’ensemble du clergé en ce lieu. Là encore c’est bien une transition entre deux ordres qui se donne à voir.
34Pour finir, la visibilité du religieux peut aussi être instrumentalisée. Le prieur de Saint-Laumer profite de sa harangue pour clairement apaiser la situation avec l’évêque. Cette volonté de se soumettre à la nouvelle autorité épiscopale en faisant amende honorable est volontairement mise en scène. Le prieur répète plus de 13 fois le mot paix. Il évoque clairement les dissensions parfois fortes lors de la création de l’évêché. En effet, au départ l’église cathédrale retenue par le roi et le nouvel évêque est celle des bénédictins. Il était question de déplacer les moines à Saint-Victor de Marseille. C’est l’auteur du discours lui-même qui a mené les négociations pour orienter le choix royal sur l’église Sainte-Solenne.
*
35En définitive, l’entrée de l’évêque de Blois est bien un événement fondateur et au cœur de nombreux enjeux entre les acteurs locaux. La visibilité du religieux joue un rôle central dans les stratégies de légitimation d’une création totalement nouvelle et à l’initiative du pouvoir royal, à savoir un évêque pour Blois. La journée est avant tout pleinement vécue comme un moment fort par les contemporains venus de tout le diocèse. Le sacré est mis en scène autour du prélat, il se donne à voir mais pas seulement. C’est une véritable expérience qui sollicite tous les sens. Un des objectifs, comme dans les autres entrées épiscopales, est de livrer une représentation idéale à la fois de la cité épiscopale mais aussi de l’évêque placé au centre du cérémonial. Ce tableau vivant et savamment construit marque un basculement dans l’ordre local. En effet, l’arrivée solennelle du prélat ne doit pas faire oublier qu’elle perturbe le rapport à l’espace sacré mais aussi la hiérarchie sociale qui préside habituellement lorsque la communauté urbaine se donne à voir en procession. Cette journée spectacle où l’unanimité semble régner autour de l’évêque n’est pas épargnée par des perturbations à l’intérieur même de la procession. Cependant, la participation à ce moment fort de la vie locale reste un marqueur identitaire essentiel. Processionner marque l’identité confessionnelle du groupe, où tout le monde se retrouve autour de signes et de pratiques typiquement catholiques. C’est cette identité qui se manifeste par un envahissement de l’espace blésois. Mais c’est aussi une identité qui se construit contre la présence protestante dans le diocèse, à la fois à Blois et surtout à Mer. Ce sont les différentes prises de parole qui insistent sur ce point. Ce qui montre que la lutte contre le protestantisme n’est pas seulement un but royal et pontifical mais qu’il est bien partagé par l’ensemble de la société.
36Une fois la journée passée, d’autres discours tentent d’enraciner l’évêque dans l’histoire d’un lieu, à savoir la cathédrale Saint-Louis, anciennement église Sainte-Solenne. Les miracles du saint, ainsi que la dévastation de l’église par les « hérétiques calvinistes », sont mis en avant. Cette nouvelle stratégie discursive tente de légitimer et d’enraciner le prélat dans un passé multiséculaire reconstruit autour d’une identité catholique et d’un lieu : la cathédrale. Une nouvelle visibilité du religieux fortement marquée par la réforme catholique et donc par la fonction épiscopale est en pleine construction à Blois.
Notes de bas de page
1Archives diocésaines de Blois, 1F1B.
2Boutier Jean, Dewerpe Alain et Nordman Daniel, Un Tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Paris, Aubier, 1984, p. 293.
3Mc Allister-Johnson William, « Essai de critique des livres d’entrée français au xvie siècle », in Fêtes de la Renaissance, Paris, CNRS, 1975, t. III, p. 187-200.
4Bercé Yves-Marie, Fête et révolte : des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1976.
5Guenée Bernard et Lehoux Françoise (dir.), Les Entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, CNRS, 1968 et Boutier Jean, Dewerpe Alain et Nordman Daniel, Un tour de France royal, op. cit.
6Gomis Stéphane, « Les entrées solennelles des évêques dans la France des xviie et xviiie siècles », in Bernard Dompnier (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2009, p. 509-523.
7Rideau Gaël, « Ville et clergé dans la traditionnelle entrée des évêques d’Orléans (xviie-xviiie siècles) », in Jean-Pierre Guilhembet, Françoise Michaud-Fréjaville et Noëlle Dauphin (dir.), Entrer en ville, Rennes, PUR, 2006, p. 245-266.
8Gallerand Jules, « L’érection de l’évêché de Blois (1697) », Revue d’histoire de l’Église de France, vol. 42, no 139, 1956, p. 175-228.
9Poncet Olivier, « La cour de Rome et les créations de diocèses au xviie siècle : l’exemple du diocèse de Blois 1693-1697 », in Gérald Chaix (dir.), Le Diocèse : espaces, représentations, pouvoirs (France xve-xxe siècle), Paris, Cerf, 2002, p. 47-66.
10Les trois grands corps ecclésiastiques, à savoir les bénédictins de Saint-Laumer, les chanoines réguliers de Bourgmoyen et ceux de Saint-Sauveur, protestent vivement contre le premier projet royal.
11Neveu de l’évêque de Montauban connu pour être un grand convertisseur de protestants, le nouveau prélat est aussi un ancien missionnaire en Poitou et en Saintonge au côté de Fénelon.
12Archives municipales de Blois, BB25, séance du mardi 24 juin 1698, fo 56 vo.
13Archives diocésaines de Blois, 1F1B.
14Archives départementales du Loir-et-Cher, 11H3. Il s’agit du « Livre des choses mémorables qui se sont passées dans le monastère de Saint-Lomer » rédigé pour ce passage par Dom Rostaing.
15Archives municipales de Blois, BB25, récit descriptif inséré entre deux actes, p. 58.
16Mercure Galant, juillet 1698. On peut renvoyer ici à la communication d’Anne Piéjus dans le présent volume.
17Ce journal a été publié dans plusieurs numéros de La Revue du Loir-et-Cher en 1901, 1902 et 1904. Ce périodique est consultable au fonds patrimonial de la bibliothèque municipale Abbé Grégoire à Blois.
18Cospérec Annie, Blois : la forme d’une ville, Paris, Imprimerie nationale Éditions, coll. « Cahiers du patrimoine », 1994, p. 244-246. Lesueur Frédéric, « L’église et l’abbaye bénédictine de Saint-Lomer de Blois », in Mémoires de la société des Sciences et Lettres du Loir-et-Cher, t. XXV, 1924, p. 75.
19Cospérec Annie, Blois : la forme d’une ville, op. cit., p. 233-234. En quarante ans, sous l’influence de la Contre-Réforme, huit nouveaux couvents s’ajoutent aux six fondations médiévales. Comme pour la plupart des villes en France, l’activité des chantiers religieux à Blois est particulièrement intense en cette première moitié du xviie siècle. On observe des stratégies d’implantation similaires dans la ville voisine d’Orléans.
20Champigny se situe à 3 lieues et demi au Nord de Blois. C’est ici que l’évêque réalise une retraite avant d’entrer dans sa cité.
21Archives départementales du Loir-et-Cher, 11H3.
22Chantôme Jean-Baptiste, Orléans vu par les voyageurs : les représentations littéraires de la cité médiévale à la ville des Lumières, mémoire d’histoire moderne, dir. Jean-Pierre Vittu, université d’Orléans, 2008, p. 124.
23Cette citation reprend les mots de Jean-Jacques Olier (1617-1657), fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. On peut aussi consulter Darricau Raymond, « L’évêque chez les spirituels français », in L’évêque dans l’histoire de l’Église, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1984, p. 119.
24Fogel Michèle, Les cérémonies de l’information : dans la France du xvie au milieu du xviiie siècle, Paris, Fayard, 1989.
25Archives diocésaines de Blois, 1F1B.
Auteur
Université d’Orléans (POLEN)

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