Orbe dans la querelle religieuse : négocier et investir un espace pour défendre sa foi
Cadre juridique, geste pastorale et écrit de mémoire
p. 109-121
Texte intégral
1Cette contribution se place dans le contexte du premier xvie siècle et de l’Ancienne Confédération helvétique aux prises avec la déchirure religieuse. Elle comprend le religieux et sa visibilité dans le processus dynamique qui mène à la prise en compte et à la reconnaissance d’une foi différente de la foi communautaire. Cette acceptation suppose la viabilité d’une appartenance, qui s’étend de l’espace de la conscience, par la possibilité d’exprimer l’altérité de sa foi à l’intérieur d’une collectivité sociale déterminée par une identité religieuse précise, au domaine propre de la construction d’une communauté à valeur d’Église institutionnelle garantie par des leviers juridiques, politiques ou encore mémoriels. Ces modalités corrélatives accompagnent l’implantation de la Réforme et interrogent dans ses enjeux et ses formes sa quête négociée et progressive de visibilité dans l’espace urbain. L’Ancienne Confédération helvétique est ici un terrain propice d’enquête. Par sa configuration même, elle illustre les défis que soulève la déchirure religieuse au niveau de la régie politique. Dès lors, est fragilisée l’association de la paix et de l’unité en deux concepts indissociables pour former un tout politique bien gouverné. C’est sa lecture qui en est ébranlée. L’Ancienne Confédération est marquée au début des années 1530 par deux guerres de religions. Ces dernières mettent en évidence un impératif présent également à l’échelle du corps confédéral, désormais composé de cantons réformés et de cantons restés attachés à la foi romaine. S’agissant avant tout de préserver le lien social, l’amitié, ferment de l’unité, est mise à l’épreuve de cette cohabitation autant qu’elle est élevée au rang de principe directeur, tandis que l’affaire de religion ne doit pas devenir un facteur de division, et encore moins à ce niveau, de rupture du pacte confédéral.
2Cette contribution se construit autour de trois parties et Orbe, chef-lieu depuis 1476 du bailliage commun gagné conjointement lors des guerres de Bourgogne par les villes de Berne et de Fribourg et gouverné depuis lors en alternance, devient toile de fond, car cet espace urbain vit sous le régime de la coexistence religieuse, consentie d’abord pour être réglementée ensuite, entre 1530 et 1554 ; mais pas uniquement. La ville devient un acteur du conflit, puisqu’elle devient, à travers un geste d’écriture et une fiction littéraire, le corps mystique d’une cité qui se fige derrière son porte-drapeau : la statue du banneret, auteur prétendu du récit. À travers une succession de notices, année après année, cette cité se transcrit dans sa lutte contre la désunion et dans ses tentatives d’échapper, malgré sa fatalité, à la déchirure confessionnelle. Le temps du discours, le chroniqueur modèle le passé pour un usage mémoriel et social. Avec son récit dédié à la jeunesse, il vient édifier ou réédifier une communauté battue en brèche par l’arrivée de la Réforme et conquiert une visibilité qui s’émiette pour disparaître totalement de l’espace urbain après 1554. Le caractère militaire autant qu’identitaire du texte esquisse un acte de défense bien réelle, inscrite néanmoins dans le silence désarmant de la pierre et la transmission souterraine des mots. La chronique est publiée pour la première fois à la fin du xixe siècle. Anonyme, elle est attribuée à Guillaume de Pierrefleur, notable et bourgeois d’Orbe1.
3À ce lieu d’écriture, dernière scansion de cette contribution, se joignent précédemment deux autres temps. En premier lieu, il s’agit de s’arrêter au terrain, Orbe, d’examiner dans cette architecture juridictionnelle complexe les formes que prend la tentative de réglementation de la querelle religieuse. Dès lors, cela exige de se déplacer au cœur politique de cet espace et d’examiner les Ordonnances que les deux villes gouvernantes édictent en 1532 pour apaiser les conflits dans leur bailliage d’Orbe. Ces Ordonnances appartiennent aux instruments légaux émanant du souverain-gouvernant et sont une réponse circonstancielle et juridique qui encadrera néanmoins le lent renversement religieux dans le bailliage et la cité. Orbe passe à la Réforme dans le courant de l’année 1554. C’est par une pratique engageant la communauté civique, la votation à la majorité, que la question religieuse est réglementée. Le cadre et les modalités de cette procédure – prolongement des deux piliers conceptuels sous-jacents aux Ordonnances : la liberté de choix et de conscience – appartiennent aux clauses de 1532 et se voient précisés en 1538 par le traité de la Singine2. Avec la clause du plus, est posé à l’échelle de la communauté le droit de décider de son destin spirituel3. Toutefois, cette vision théorique d’une horizontalité décisionnelle se heurte aux conditions et à l’encadrement de l’exercice : le récit de l’évènement présent dans la chronique de Pierrefleur, sur lequel cette contribution s’arrêtera, documente d’ailleurs, malgré le ton polémique, les difficultés de sa mise en application.
4Plus largement et c’est la problématique qui structure la deuxième partie du propos, les Ordonnances par leur caractère composite obligent à repenser la pratique du prédicant autant que la finalité de sa geste pastorale, sans oublier qu'à la seule dimension religieuse de l’exercice de son office et de ses compétences s’enchevêtrent des loyautés politiques pouvant fragiliser sa position. Levier et lieu de la visibilité du religieux, le prédicant, agissant dans le cadre des Ordonnances, doit se construire un périmètre d’action et proposer un encadrement communautaire, gestuel et rhétorique, qui conjugue l’impératif de conquérir le nombre avec le respect des frontières religieuses, du for interne à l’espace urbain et sacré, reconnues et délimitées juridiquement. Orbe est le centre urbain d’un bailliage : Orbe-Échallens, possédé en commun par Berne et Fribourg et dirigé en alternative. À ce lieu, s’ajoute pour le profit de l’analyse, un autre terrain aux caractéristiques similaires, Grandson. Ce sont dans ces deux aires, que la geste pastorale sera appréciée dans ses possibilités de conversion et ses conflits au quotidien face au cadre réglementaire des Ordonnances et à la complexe structure juridictionnelle des bailliages communs.
Cadre juridique. Spatialisation – règles d’occupation de l’espace
5Aboutissement d’une négociation entre deux souverains à la confession opposée, les Ordonnances de 1532 tentent de neutraliser l’espace public au double nom de la liberté religieuse et du maintien de l’entente politique, de la cité aux échelons de l’alliance confédérale. Acte officiel réglementant les querelles religieuses, il établit un mode de vie et vient définir les limites du religieux, dessinant, en d’autres termes, des normes, plus ou moins contraignantes et explicites, à sa visibilité dans un espace urbain et son territoire attenant. Réponse à un contexte de conflits, il se propose de les apaiser et de régler la déchirure au sein du corps social suscitée par l’existence d’un attachement parallèle et inconciliable des uns à la messe et des autres au sermon.
6Les Ordonnances de 1532 ont assuré l’entrée de la prédication dans le bâtiment ecclésial, puisqu’elles instituent d’emblée un simultaneum (partage de l’édifice cultuel selon un horaire précis). Dès lors, l’espace du sacré s’ouvre et ce lieu, consacré à une manipulation autorisée par une hiérarchie établie et pluriséculaire des biens du sacré, accueille les fidèles d’une foi concurrente. C’est littéralement dans l’église de la communauté, l’église paroissiale Saint-Michel d’Orbe, que prend place le simultaneum. Dans cette aire signifiante et close, protégée mais comprise dans l’espace public, dans ce bâtiment vivant pour ainsi dire à la frontière, avec son parvis qui fait transition, son portail qui marque la césure, ses cloches qui rallient, est autorisée l’existence momentanée, le temps du rituel, d’une communauté de foi. En effet, les Ordonnances relèguent la présence des réformés dans leurs signes de foi et de pratiques au sein du bâtiment ecclésial. Limitée à un lieu de pratique, cette communauté agira en deçà dans cette simple dimension d’assemblée réunie autour d’un prêche. Dispensatrice de la Parole, elle accueille des nouveaux membres, les marie, les enterre, les corrige si nécessaire par l’exercice de corrections fraternelles portant sur l’interprétation de l’Écriture par ses membres. L’ensemble de ces prérogatives est l’objet de négociations serrées tout au long de l’état de coexistence entre les deux villes. Sous l’œil attentif des confédérés, les bailliages communs se gouvernent plus particulièrement grâce à l’édiction d’ordonnances, résultat d’accords décidés par les deux villes. Plus concrètement, ils s’administrent conjointement lors, entre autres, de réunions plus ou moins fréquentes mais, en tous les cas, annuelles, de journée, où sont traitées plaintes et doléances par les ambassadeurs des deux villes et les représentants des bailliages communs.
7Malgré des ajustements, les Ordonnances de 1532 restent le cadre fondateur, pêchant sans doute par son obsolescence, dans lequel se pense la réglementation de la question religieuse et où se négocie la visibilité religieuse. La rédaction à la fin janvier 1532 de ces Ordonnances et leur promulgation en mars se placent dans le contexte plus large des premiers conflits religieux en Suisse – les guerres de Kappel – et de leur règlement, soit les deux Landfrieden, la paix de Steinhausen en 1529 et de Bremgarten en 15314. Ces actes ajustent l’équilibre des religions en Suisse au xvie siècle. Ils témoignent de la politique suisse défendue en matière de coexistence religieuse et offrent un cadre juridique aux Ordonnances de 1532, concernant le bailliage d’Orbe-Échallens. Cet « appointement » entre les deux villes souveraines se fonde plus essentiellement sur une des clauses de la paix conclue en 1529, après la première guerre de Kappel, stipulant que, tant dans les bailliages communs que dans le territoire de leurs alliés, l’abolition de la messe, au même titre que la destruction des autels et des images, ne sont autorisées et instaurées qu’à la suite d’une décision prise dans chaque localité à la pluralité des voix. Cette mise aux voix de la religion a pris le nom de plus et se fait événement déterminant pour un espace urbain, dont la portée signifiante, lorsqu’il est en faveur de l’Évangile, signe la fin d’une coexistence négociée des appartenances religieuses. Dès l’aboutissement de la votation, la part majoritaire favorable à l’Évangile vient dans un même souffle, déterminer la religion de l’ensemble de la communauté, instaurer une Église réformée, mais surtout mettre fin à la libre circulation confessionnelle régie depuis le début 1530 par le droit des consciences. Aux partisans catholiques, est ainsi interdit d’aller suivre la messe dans les paroisses voisines restées attachées à la foi traditionnelle, sous peine d’amendes sévères. Cette peine vient ainsi qualifier une infraction qui porte atteinte à l’union communautaire et stigmatiser un geste et son acteur. Les frontières religieuses se cristallisent et les confessions se territorialisent.
8Jusque-là, sous le régime de la coexistence, la latitude laissée à chaque appartenance est contenue et garantie par l’instauration d’un cadre pénal : entraver l’autre dans la pratique de sa foi ou barrer son accès aux célébrations sont des gestes passibles de peine. Cette transgression trouve réparation dans une peine pécuniaire et carcérale. Pour celui qui ne peut pas payer, l’amende est commuée en trois jours de prison. Se calquant sur les clauses du Landfrieden de 1531, les Ordonnances de 1532 entendent dès lors s’assurer qu’« une chescune parthie » laisse « l’aultre en paix et en tranquillité », d’autant que, et suivant ici l’accord de 1529 conclu entre les cantons catholiques et les cantons évangéliques, le fidèle peut, selon son « libere arbitre », suivre la messe ou se rendre à une prédication réformée. « Concorde » et « fraternité » sont les principes et la fin envisagés de cette licence, auxquels doivent également se soumettre prêtres et prédicants en réfrénant plus particulièrement leur propos. La réglementation de la geste pastorale passe par une interdiction des injures et l’usage abusif de qualificatifs exacerbant la lecture de l’autre en porteur d’une lecture fautive voire hérétique. Mais, la pratique de l’insulte est défendue à l’ensemble de la communauté. Passible d’amende et de peine de prison, sa prohibition entend pacifier les rapports sociaux et cultiver dans l’idéal un lien social fort indépendamment du différend confessionnel. Il s’agit d’édifier et non de détruire, de « conférir et parler » « ensemble de la foy » de façon aimable et fraternelle. Les Ordonnances de 1532 instituent juridiquement une cohabitation confessionnelle. Par leur rhétorique inscrite dans une pratique finalement assez neuve de la réglementation du religieux au niveau politique, elles défendent tout à la fois un encadrement spirituel de la communauté dans son ensemble et une diffusion dans la modération des idées nouvelles.
9Plus concrètement, les Ordonnances de 1532 ont été une réponse contextuelle à une grammaire d’actions de déstabilisation axées sur le bâtiment ecclésial, lu comme abritant un prêtre sacrificateur et des idoles : les images. Les Ordonnances d’Orbe sont ainsi orientées vers l’iconoclasme et tentent d’y remédier par une formulation plus fine d’un encadrement juridique5. En revanche, celles contemporaines de Grandson documentent avec précision les modalités et les conditions d’application de la votation, le plus, simplement évoquées dans celles d’Orbe, comme unique dispositif autorisé d’institution de la Réforme6. De caractère similaire dans leur rhétorique et le cadre légal défendu, ces Ordonnances provoquent des changements de paradigme dans la pratique pastorale. Jusque-là, l’emploi d’insultes et d’actes iconoclastes avait servi de levier dans l’acquisition de visibilité. Leurs interdictions et la levée des clames criminelles, directives et clauses présentes dans les Ordonnances, viennent saper un pilier dans la dynamique de renversement, qui devait actionner la justice et concourir, dans l’idéal, à une prise en main de la question religieuse par l’autorité souveraine. D’autre part, la frontière religieuse que défendent les Ordonnances, si elle est fixée, est néanmoins loin d’être définitive et inamovible. Mouvante, elle interroge la geste pastorale dans sa finalité. La mise aux voix du religieux renverse, quant à elle, sur un plan rhétorique tout au moins, les modalités d’action de la Réforme. L’argument du nombre, largement présent dans la polémique de ces années 1530, appartient à la définition même de l’Église vraie et juste du Christ. Dans cette perspective comptable et quantifiable, c’est la petitesse qui témoigne de l’élection autant que de la justesse de la voie et soutient la formulation d’un discours de résistance, où l’erreur versant dans l’aveuglement se reconnaît car elle est partagée par le plus grand nombre. Pour devenir une Église instituée, visible et rattachée à un territoire, il s’agira de conquérir le nombre, c’est désormais à la majorité qu’appartient la reconnaissance de cette Vérité. Dès lors, comment s’organise et s’élabore un plaidoyer en faveur de l’Évangile et de sa victoire ? Comment venir justifier des actes ouvertement en rupture, et clairement empreints d’une intention de rallier, de convertir en dévoilant et dénonçant l’erreur de la foi concurrente ?
Conquérir le nombre. Un changement de paradigme dans la geste pastorale
10Avec les Ordonnances de 1532, une certaine visibilité de l’office de la Parole est assurée et le prédicant est pleinement reconnu dans sa fonction de guide d’une communauté à édifier et de laquelle est attendue, comme de l’ensemble du corps social, une haute moralité. Le signe réussi de cet encadrement spirituel et de son enseignement se lit dans l’absence de délits, des infractions simples à la grande criminalité. L’entrée de la prédication dans le bâtiment ecclésial est venue pacifier la quête centrale des premiers prédicateurs, celle de la chaire de prédication, qui les avait menés à prêcher progressivement dans le jardin d’un partisan de la foi, dans des tavernes, sur des places publiques ou dans le cimetière et à investir régulièrement les églises7. Désormais, ces dernières sont un lieu de culte partagé et les Ordonnances de préciser les horaires de la présence autorisée de ces confessions concurrentes. Toutefois, cet accès à l’église ne libère pas l’église de sa dimension de lieu où se concentrent les conflits. De son parvis à son chœur, l’église est le théâtre de luttes, pour les cloches, la disposition du mobilier et notamment la chaire de prédication, la durée de l’office et du prêche, la vaisselle liturgique8. Dans l’agenda des actions entreprises, la transition d’un service à l’autre, par le croisement de tenants – simples fidèles ou membres institués – d’appartenances opposées qu’il suppose, mène à une confrontation. Elle devient un instant de négociation forcée et contrainte d’une visibilité du religieux, instrumentalisé souvent comme instant de soumission de l’autre à son rite et ses usages. Ainsi, par exemple, la table de la consécration est débarrassée en toute hâte par les fidèles réformés au mépris des espèces consacrées contenues dans le calice9. En 1542, à Orbe, le prédicant du lieu, André Zébédée, intervient lors du prêche de Pâques du vicaire, une action qui s’inscrit dans un calendrier réfléchi, précis et déjà pratiqué. Il est impossible en effet de ne pas y voir l’intention d’aboutir à une confrontation autour du dernier repas du Christ, de sa crucifixion et de la portée de son acte, bien qu’« il [Zébédée] prétend se trouver là à la fortune », par hasard10.
11La volonté d’apaiser la communauté locale et de canaliser les énergies réformatrices des Ordonnances de 1532 interroge le prédicant dans ses aspirations – nœud de son identité – et dans la finalité même de sa présence au sein d’un espace urbain. Au quotidien, le cadre d’actions, du calendrier aux objets attaqués, mis en place plus tôt par les premiers réformés à des fins de renversement et qui visait à se défaire, à travers une gestuelle codifiée et raisonnée, d’une herméneutique estimée fautive de la médiation au sacré héritée de la chrétienté médiévale, semble pleinement présent et encore actif. Il ne disparaît pas avec les Ordonnances, loin de là. Réinvesti par les prédicants et les fidèles, il s’enchevêtre aux loyautés politiques et oblige à négocier une action pastorale sans déroger à l’exigence de fraternité, d’amitié, de modération et de sauvegarde de la paix et de la concorde. Bien plus, pour dire et défendre sa foi, il s’agit de consentir aux limites de la réalité juridictionnelle, qui se voit d’ailleurs instrumentalisée pour ébranler directement ou indirectement l’assise du prédicant. Zébédée et Jean Le Comte, respectivement prédicant d’Orbe et de Grandson, doivent du reste répondre aux attaques lancées sur la voie publique par des prêtres et des moines les accusant, de concert avec leurs fidèles ou de leur propre chef, d’alliance d’ordre politique et de négation de l’autorité fribourgeoise. Au cœur de ces resserrements politico-religieux, comment faire brèche et défendre un renversement pour une acquisition de visibilité étendue et exclusive de la Réforme ?
12En 1542, lors de sa comparution devant les autorités fribourgeoises à la suite de son intervention à Pâques, Zébédée inscrit son action dans le cadre des Ordonnances. Il s’est appuyé sur la liberté faite à chacun, et présente dans les Ordonnances, de visiter le rite de l’autre. Sa volonté a été de défendre l’Église catholique, autrement dit universelle. Il légitime son geste dans une visée religieuse « comme filz de la vraye Eglise catholique » mais aussi politique : « comme subjet11 ». Le vicaire a appelé les fidèles à se confesser, au paiement de la dîme et ainsi esquivé l’explication de l’Évangile. Zébédée a voulu, quant à lui, préserver l’Église sainte, face à « ung [le vicaire], qui a imposé ce que elle n’a jamais pensé ». Il se dessine comme « cognoyssant la vraye intelligence de l’Escripture alléguée » ; soucieux du temps liturgique et de sa portée signifiante pour le destin spirituel de tous : « la semaine saincte, soit le jeudy, la commemoration de la saincte cene », « le dimanche, la résurrection de nostre Seigneur ». Il fait figure de pasteur, s’identifiant dans une charge de contrôle, « celle de publier et enseigner les ordinances qui sont pour entretenir, avancer et mener à quelque perfection le peuple christien », délaissée selon lui par le vicaire, qui « ne fait rien ou bien peu de cela ». Après avoir tissé sa défense en dessinant les prérogatives d’un serviteur de la communauté consciencieux et conforme à la volonté divine, il réveille plus encore les aspirations de souverain chrétien, que partagent conjointement, malgré leur différend confessionnel, Fribourg et Berne. Dans un argumentaire inscrit dans une visée de défense de la foi et de son acte, qui ne devrait choquer ni les « vrays subjects » ni les « loyaulx enfans de la saincte Eglise », il opère une translation entre lois humaines et divines. À l’image d’un prince, dont les lois seraient ouvertement enfreintes, celles du souverain unique et suprême, Dieu, sont transgressées, un délit qui se doit d’être reconnu, corrigé et puni. Zébédée renvoie les deux villes à leur pouvoir et droit, ceux d’exercer la justice avec pleine puissance et raison.
13Le prédicant de Grandson, Jean Le Comte, use de mécaniques rhétoriques similaires dans ses plaidoyers – restés à l’état de manuscrits – adressés entre 1549 et 1551 à Berne et à Fribourg, pour soutenir l’avancée de la Réforme12. Mais, il s’est donné une tâche plus ardue, celle de mettre en question la modalité de la votation, le plus. Conscient que la faiblesse du nombre est signe de vérité, il pose cette pratique en regard du récit biblique et finit plus largement par questionner les intentions de prince chrétien des deux souverains Berne et Fribourg. En effet, quelle est la force du suffrage face à la Vérité : l’accession à la victoire aurait été plus longue, si Michée ou encore Élie avaient dû agir ainsi. Son propos oscille entre deux domaines, le champ politique du fidèle sujet et le domaine spirituel de l’obéissant serviteur de la Parole. Jean Le Comte s’attache dès lors à la thématique de la justice, vertu dont chacun des deux gouvernements est doté, et qui se décline ici comme l’équilibre juste et nécessaire à la conciliation, une conciliation qui se fait dans l’écoute des parties et la célérité du règlement des affaires. Il réunit ensuite Berne et Fribourg dans leur biblicisme, qu’il estime commun, et rappelle son activité de correcteur au sein du groupe de Meaux et sous la direction de Lefèvre d’Étaples. C’est ce terrain et ce réseau qu’il exploite, celui de l’humanisme et d’une lecture de la Bible rénovée grâce à l’appui de traductions et du texte hébreu. Sous la protection de cette pratique, il investit un genre et un lectorat-cible : les péricopes et les sermonnaires destinés principalement au curé et prêtre comme soutien dans leur pratique des homélies. Il soumet ses actes et ses écrits, qu’il a d’ailleurs rédigés intentionnellement en latin, à l’examen, et les expose plus précisément encore, à l’attention des prêtres de la ville de Fribourg. Finalement, par l’appel sous-jacent aux pratiques propres au règlement de la question religieuse – la dispute – il cherche à inscrire sa démarche dans la vocation et l’orientation pacificatrice des Ordonnances de 1532, dont il intègre les cadres. Il se montre, dans les limites de la fonction qu’il incarne et des aspirations qu’il porte, prêt à « conférir », à « parler amyablement et fraternellement ensemble de la foy ».
14Dans ces argumentaires, des thèmes sont repris, réinvestis pour venir se fondre dans le cadre juridique des Ordonnances. L’appel à la justice y est ; l’exposition de soi pour venir garantir et sauver l’honneur de Dieu en se montrant en homme de parole, appartient encore à la geste pastorale. Toutefois, cette parole pastorale souffre dans sa prise d’envergure, et semble empêchée dans sa prise d’espace et de visibilité. Les écrits de Jean Le Comte sont restés à l’état de manuscrits, incomplets et perdus même, puisqu’il ne reste que ses épîtres dédicatoires, transcrites dans la mémoire familiale des Le Comte et ainsi préservées. Zébédée comparaît, quant à lui, à Fribourg, cour de justice arbitre, lors de la présence à Orbe, d’un bailli bernois. Il mène son plaidoyer dans une salle close et son action se résout à l’échelle des gouvernants par des échanges de lettres. Reléguée vers le politique et la gestion des alliances, la négociation d’une visibilité pour la Réforme nécessiterait une prise de distance : s’extraire du territoire pour venir y défendre la foi. Ainsi s’éliminerait un impératif, celui d’être sujet, conciliant face au choix religieux des souverains mais aussi, face à l’exigence de cultiver tranquillité et concorde dans l’espace urbain. En 1551, la proposition du pasteur de Lausanne, Pierre Viret, originaire d’Orbe, aux bourgeois du lieu est plus franche13. Elle place la question religieuse au seul niveau des points de rupture confessionnels et de l’ecclésiologie, prenant à dessein la thématique du concile, pour en discuter la justesse et la portée de ses décisions, mais aussi le devoir chrétien de les attendre et de les respecter. Ainsi, Viret, enfant du pays mais engagé au service de Berne dans le Pays de Vaud réformé, pose tout à la fois les bourgeois face à leur responsabilité, car ce sont eux qui participent au plus et déterminent le choix religieux communautaire, et défend sans ambiguïté le ministère de la Parole dans sa vérité et son rôle central.
Investir le corps mystique de la cité. Écrire la mémoire de la rupture
15Le récit-chronique anonyme attribué par l’historiographie au notable d’Orbe, Guillaume de Pierrefleur, relate les affrontements que génère le processus d’acquisition et de défense d’une visibilité religieuse14. Il documente la cassure religieuse à Orbe, centre urbain du bailliage, mais couvre les territoires partagés francophones berno-fribourgeois. Lieu d’écriture, la chronique témoigne d’une écriture orientée vers la pratique mémorielle, familiale peut-être mais davantage communautaire. Il s’agit, à lire les premiers mots de la chronique, de faire acte de mémoire et d’éviter les blâmes des générations à venir, qui accuseraient l’élite du lieu d’avoir fait tomber Orbe dans le camp réformé. La perspective de garder sauf, face à l’avenir et donc à la jeunesse future, un récit devant excuser l’élite gouvernante locale d’Orbe donne du sens au banneret, personnage réel mais littéralement statufié, choisi par Pierrefleur comme rédacteur et rapporteur de son écrit15. En effet, Pierrefleur choisit d’employer une fiction littéraire. Il donne la parole à une statue, celle du banneret, autrement dit du soldat porte-drapeau et lieutenant de la jeunesse élu par le conseil du lieu, sculptée en 1543 par Antoine Lagniaz, érigée sur la fontaine au centre d’Orbe16. De cette perspective dominante, du haut de la fontaine, lieu de sociabilité urbaine par excellence, le récit s’élabore, se construit ou se reconstruit année après année de 1530 à 1561.
16L’inaction de la statue met une tension supplémentaire à cette chronique, réduisant le banneret à son état de témoin oculaire de la transition, gardien de la mémoire impuissant, pétrifié et donc désarmé face à la progression de ce qui reçoit le nom d’« hérésie luthérienne ». L’immobilité de la statue contraste avec les agitations qui mènent à une spatialisation discutée, négociée et finalement nouvelle du religieux. Dans sa rhétorique, la chronique exploite et participe à une sémantisation courante de la Réforme, envisagée sous le jour de la destruction et du chaos : la déchirure et la désunion sont la manifestation du Malin. Sur ce théâtre, à Orbe et dans l’ensemble des territoires partagés, se confrontent des identités adverses ; la victoire de la Réforme sonnant la fin d’un règne de prospérité et d’accointance avec les largesses et la félicité divines. Par ce biais et à travers l’acte mémoriel, il y a recharge de sens et est proposée une lecture de la Réforme comme métaphore d’un théâtre du renversement, où la discontinuité face à la coutume des pères, dégradée et piétinée par la nouveauté, dérobe à un espace et à une ville son identité propre. À travers l’œil de la statue du banneret, représentant d’une charge entrant dans le parcours honorifique de l’administration, la chronique qu’écrit Pierrefleur offre du sens au renversement, exploitant un univers de références connotées et usitées. Elle permet également d’envisager les conditions, et par conséquent, les pratiques sociales et symboliques exploitées, liées à la fabrique d’une décision d’ordre religieux.
17Le 19 juillet 1554, jour de la Saint-Germain et fête patronale de la ville d’Orbe, la Réforme gagne la partie. À cette date, choisie sans doute à dessein, de réunion communautaire civile et religieuse sous les vertus protectrices et bienfaisantes de saint Germain, le récit décrit la pratique, celle de la mise aux voix de la religion. Il dépeint une assemblée électorale, composée d’hommes bourgeois, qui intervient dans le domaine de la foi communautaire et décide, sur le principe majoritaire et collégial régissant ailleurs dans l’Ancienne Confédération helvétique le processus décisionnel politique, de son orientation religieuse par le cumul de voix particulières. À suivre le récit, le vote est précédé le matin des deux offices autorisés17. Une messe, consacrée et dédiée au Saint-Esprit, garant et siège de l’inspiration divine, est d’abord prononcée, avant que ne se déroule, dans le même édifice, la prédication. Placé, non sans raison, sous l’auspice de la Parole pour les Réformés et de la messe du Saint-Esprit pour les catholiques, le déroulement du vote est inscrit dans un encadrement religieux devant maintenir, révéler et guider les consciences. C’est dans l’église, que se déroule, par la suite, le vote. Le vote prend place au cœur même de l’espace consacré, espace voué aux choses divines devenu lieu politique. La votation se place après les allocutions respectives des ambassadeurs des deux villes, Berne et Fribourg. Elle ne s’effectue pas par bulletin secret mais implique un dévoilement, puisqu’elle se transcrit visiblement dans l’espace : chacun se déplaçant soit du côté assigné aux protecteurs et défenseurs de la messe soit du côté des adhérents au prêche. Par ce déplacement des membres de l’assemblée et sous le regard des autorités souveraines et arbitres, il y a donc formation in situ et in vivo d’une majorité.
18Dans cette décision, qui touche au vrai, la part due à un tissu de loyautés familiales, d’alliances économiques et politiques, que la chronique passe sous silence, ne doit donc pas être négligée18. Le vote découlerait de liens bien plus complexes que la seule conviction religieuse et le plein exercice des consciences. Il est en effet le résultat d’une gestuelle d’exposition de soi devant son semblable, ses pères, autres bourgeois et propriétaires de biens meubles ou fonciers, porteurs de soutien au sein de la communauté locale et le représentant politique attitré et légitime de ses souverains. C’est sur ces plans-là, de la communauté sujette aux villes souveraines de Berne et de Fribourg, investies depuis 1528 et le passage à la Réforme de Berne par des appartenances religieuses différentes et opposées agissant, elles-mêmes, au sein d’une entité politique plus large, la Confédération, que le religieux et sa visibilité se négocient. Bourgeois d’Orbe, sujet de fait et à part égale de Berne et de Fribourg, Guillaume de Pierrefleur témoigne par ses statuts politiques complémentaires et indissociables, de l’imbrication complexe de ces juridictions. Il fréquente les conseils de Berne et de Fribourg à qui il porte requêtes et plaintes de sa municipalité. Il occupe des charges administratives d’importance à Orbe, participe à la vie publique et est au courant des affaires, qui semblent, dans la succession des notices de sa chronique, se dérouler de 1531 à 1554 dans une tension – accentuée sans doute par la possibilité de réitérer le vote –, celle qui verra ou non l’organisation du plus. Enfin, la famille Pierrefleur a également cinq de ses familiers au couvent des clarisses d’Orbe19. Dès lors, l’alter ego littéraire de Pierrefleur, le banneret, et la construction d’un récit où se chevauchent recharge de sens ouvertement polémique et évènements historiques, seraient pour son auteur une modalité de négocier le religieux.
19L’acte de négociation est constant et se conjugue avec une recherche tendant à conserver en équilibre, et ce autant que possible, une loyauté politique aux souverains – les deux villes de Berne et de Fribourg –, une identité de magistrat-bourgeois et des préférences religieuses. L’inventaire et le partage des biens du clergé entre Berne et Fribourg, qui suivent la votation de 1554, se font sous le signe de l’équité et dans la pratique de la juste mesure. Les biens sont pesés. Les « calices, ciboires, et autres choses qui estoient d’argent », sont partagés « à belle balance par lesdicts ambassadeurs20 ». Toutefois, ce partage se fait dans une grande rigueur et un sens du détail, où « par le menu », « tout le revenu du Clergé, des chapelles, et generallement » est estimé et calculé par les ambassadeurs des deux villes21. Rien, à suivre la chronique, n’est laissé, tout est dépouillé jusqu’à la moindre serviette, décrivant les ambassadeurs quittant les lieux, s’en retournant « en leur pays, emmenant les biens meubles de nos Eglises. Et voilà le bien et le profit dont nos Lutheriens sont cause22 ! » Pierrefleur documente en somme le « vol » organisé et règlementé des biens de l’Église : le chroniqueur accuse finalement les « luthériens » du lieu de la disparition des biens du clergé. Le jour du vote reçoit la terminologie de « jour de désolation », qui a amené les uns à fêter et les autres à pleurer et à se lamenter23. Emplies de lamentations, les rues d’Orbe, sont celles d’une ville désolée, défaite, pire encore « prise d’assaut en guerre et pillée24 ». Filant cette même image, elles se peuplent dans les jours suivants, à suivre la chronique, de luthériens mettant en application les ordonnances sur la Réformation, qui autorisent le nettoyage des édifices religieux et les signes du sacré, portant dès lors pioche pour dérocher les autels et ce « d’un cœur qui eussiez pensé qu’ilz alloyent à la guerre25 ». La chronique décrit les ambassadeurs de Berne comme gens « colère et chauds, tendans à avoir le meilleur » et ceux de Fribourg, « gens doux, non contredisant à tout ce que veulent les seigneurs de Berne », « ce qui bien fut cause de notre ruine », ajoute le récit26. La douceur attribuée plus tôt et à plusieurs reprises aux autorités fribourgeoises s’oppose à la détermination des Bernois et met en évidence l’essai, en suggérant la force des uns et la soumission de l’autre, de lire, de dire et même de résoudre la défaite du camp catholique en la replaçant sur le terrain du jeu politique des alliances, d’une part, et d’autre part sur le plan de la justice divine et de sa droiture. Les accords régissant le plus sont « un point au grand désavantage des seigneurs de Fribourg et quasi à diminution de leur seigneurie27 ».
20Récit inscrit dans des visées mémorielles, la chronique témoigne d’un réinvestissement du sens face à une ville défaite dans l’essence fondatrice de son corps et serait une modalité de venir négocier la visibilité du religieux. Pierrefleur institue le banneret, porte-enseigne et lieutenant de la jeunesse, en gardien d’une identité urbaine qu’il estime fragilisée, dans sa continuité et ses fondements, par l’avancée puis la victoire de la Réforme. L’écriture et son geste autorisent un représentant de l’élite d’Orbe, actif sur la scène politique, à faire de la victoire de la Réforme, pourtant pratiquée dans un cadre légal, approuvée et édictée par les autorités souveraines, une rupture ; à la transcrire dans sa dimension d’acte douloureux. Le montage fictionnel de la chronique permettrait au notable Pierrefleur, lié par serment à la ville et à ses souverains, engagé par son réseau et ses charges dans la vie religieuse et politique d’une municipalité, d’exprimer, de dire et de redessiner les frontières du religieux.
Négocier et investir un espace pour défendre sa foi
21La querelle religieuse que génèrent, au sein d’espaces urbains de taille plus ou moins conséquente, l’infiltration des idées nouvelles et les mécanismes d’implantation de la Réforme, interroge la fabrique communautaire : le faire communauté semble dès lors échapper à une continuité quasi quotidienne ou générationnelle construite sur des réseaux familiaux, économiques et politiques28. Remettant en cause la validité d’une instance, médiatrice du sacré en tant que garante des sacrements et de l’économie de l’au-delà, elle vient interroger l’inscription d’individus dans un réseau et un ensemble interagissant de familiers et d’acteurs. Elle ébranle du même coup leur identification ou leur affiliation, les poussant, si ce n’est à se dire du moins à se vivre en tant que groupe aux aspirations identifiables. Face aux difficultés d’un quotidien où se brouillent les frontières religieuses sans se résoudre dans la Vérité, l’écrit à visée mémorielle, mise en mots par les acteurs politiques et religieux d’une appartenance, deviendrait un espace privilégié de cette fabrique communautaire, où se dépasse la querelle religieuse par une réappropriation de l’espace urbain et la négociation d’une visibilité pleine et sans concession de leur foi et aspirations. Jean Le Comte, prédicant puis pasteur à Grandson de 1532 à sa mort, se serait, lui aussi, réfugié dans le récit mémoriel et le genre de la chronique, puisqu’il compose, ce que l’historiographie a appelé, son journal29. Il s’agit d’une chronique restée jusqu’au xixe siècle à l’état de manuscrit et appartenant jusque-là à la mémoire familiale, où elle sert à rattacher la lignée de pasteurs de la famille Le Comte à leur père et son exemplarité30. La chronique fixe, sans détour, année après année, les actes et les acteurs d’une assemblée, affirmant, à travers conflits et succès, son existence par sa prise d’espace progressive la menant vers la victoire de la Vérité et à l’endossement de son statut de seule Église instituée de la communauté. Elle documente, autrement dit, une geste pastorale à la parole efficiente et efficace, qui donne existence et corps à une communauté. À l’image de la chronique de Pierrefleur, ce journal pourrait être le produit d’une négociation, celle d’un prédicant aux prises avec ses idéaux et devant faire face aux formes de reconnaissance, aux modalités de visibilité et aux resserrements politico-religieux fragilisant son statut, que suppose un exercice pastoral dans le cadre des Ordonnances de 1532. Bravant le défi du nombre, il reconstruit, pour l’affirmer par une mise en mots, une visibilité fragilisée et contestée dans l’espace urbain, quantifiant, année après année et à travers les gestes fondateurs d’une nouvelle communauté de foi, l’étendue du troupeau en présence.
Notes de bas de page
1Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe où sont contenus les commencements de la Réforme dans la ville d’Orbe et au pays de Vaud (1530-1561), éd. Auguste Verdeil, Lausanne, D. Martignier, 1856 ; [Pierrefleur Guillaume de], Mémoires de Pierrefleur, éd. Louis Junod, Lausanne, Impr. La Concorde, 1933, plus particulièrement, p. xv-lxiv, pour l’identification de l’auteur ; à ce propos, se référer également à Reymond Maxime, « L’auteur des Mémoires de Pierrefleur », Revue historique vaudoise, t. 37 (1929), 7, p. 193-209.
2Amtliche Sammlung der Ältern Eidgenössischen Abschiede, éd. Karl Deschwanden, s. l., 1878, vol. IV, 1c, no 588.
3Pour une étude sur la longue durée pour le bailliage d’Orbe-Échallens, les conséquences d’un régime et d’une politique de coexistence : Grosse Christian, « Coexister après la Réforme : simultaneum et négociation des frontières confessionnelles dans le bailliage d’Orbe-Échallens (xvie-xviiie siècle) », in Simon Butticaz et Christian Grosse (dir.), Unité et diversité des Réformes. Du xvie siècle à nos jours, Genève, Labor et Fides, 2018, p. 107-149. Plus particulièrement sur le plus : Dupraz Emmanuel, Introduction de la Réforme par le « Plus » dans le bailliage d’Orbe-Échallens, Fribourg, Imprimerie Saint-Paul, 1916 ; Christin Olivier, « La question du vote majoritaire à l’époque de l’édit de Nantes », in Lucienne Hubler et Jean-Daniel Candaux (dir.), L’édit de Nantes revisité, Genève, Droz, 2000, p. 41-54.
4Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, éd. Aimé-Louis Herminjard, Genève/Bâle, H. Georg ; Paris, M. Levy, G. Fischbacher, 1868, t. II (1527-1532), lettre 371, p. 401-404, dont toutes les citations dans le texte procèdent. Il existe plusieurs versions de cet accord : Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe, op. cit., p. 81-85 ; Amtliche Sammlung der Ältern Eidgenoessischen Abschiede, Zurich, Schaebliz, 1876, vol. IV, 1b, p. 1278-1280.
5Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe, op. cit.
6Correspondance des Réformateurs, op. cit.
7Christian Grosse documente la progressive prise de contrôle d’un lieu public de prédication, ses formes et modalités, dans son tableau des différentes interventions visant au renversement de l’autel à Genève : Grosse Christian, Les rituels de la cène : le culte eucharistique réformé à Genève (xvie-xviie siècles), Genève, Droz, 2008, p. 43-114.
8À titre d’exemples parmi d’autres, le sonneur de cloche est assommé à Grandson en 1543 : Correspondance des Réformateurs, op. cit., 1870, t. III, lettre 467, p. 178 ; en 1542, le bailli, représentant de l’autorité souveraine, déplace volontairement la chaire de la prédication de son lieu. Le prédicant de Grandson s’en plaint en août 1542 : Amtliche Sammlung der Ältern Eidgenoessischen Abschiede, Lucern, Meyersche Buchdruckerei, 1882, t. 4, 1 d, pièce 96 (21 août 1542), p. 177. Pour une vue d’ensemble de ces actions : Blakeley James, Popular Responses to the “Reformation from Without” in the Pays de Vaud, Ann Arbor, Proquest/UMI, 2006.
9Correspondance des Réformateurs, op. cit., 1868, t. II, lettre 400, p. 475.
10Correspondance des Réformateurs, op. cit., 1893, t. VIII, lettre 1127, p. 42-48.
11Ibid., p. 42-48.
12Jean Le Comte fait parvenir à Berne et à Fribourg, deux épîtres latines qui accompagnent ses travaux, homélies dominicales, sermons, étude sur le quatrième chapitre de l’épitre aux Thessaloniciens : Vuilleumier Henri, « Quelques pages inédites d’un réformateur trop peu connu », Revue de théologie et de philosophie, t. XIX, 1886, p. 313-339. Sur Jean Le Comte : Gross Geneviève, Pratique du ministère et terrains d’activité de deux acteurs de la Réforme : Jean Reymond Merlin (1510-1578) et Jean Le Comte de la Croix (1500-1572), thèse d’histoire, dir. Irena Backus, université de Genève, 2012 ; Bodenmann Reinhard, « Le Réformateur Jean Le Comte (1500-1572) de l’oubli à une mémoire modelée », Zwingliana, 2015/42, p. 177-193 ; Engammare Max, Prêcher au xvie siècle : la forme du sermon réformé en Suisse (1520-1550), Genève, Labor et Fides, 2018.
13Viret Pierre, Du devoir et du besoing qu’ont les hommes à s’enquerir de la volonté de Dieu par sa parolle, et de l’attente et finale resolution de vray concile, Genève, Jean Girard, 1551 ; pour une analyse des thèmes et du contexte de la publication, se référer à Crousaz Karine, « Pourquoi attendre un concile ? Le Réformateur Pierre Viret contre le concile de Trente », Revue suisse d’histoire religieuse et culturelle, no 209, 2015, p. 137-157.
14Pour une lecture complémentaire de ce document, voir la contribution de Fabrice Flückiger dans le présent volume.
15Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe, op. cit., p. 1.
16Crousaz Karine, « Un témoignage sur la régulation politique de la division confessionnelle : la chronique de Guillaume de Pierrefleur », in Bertrand Forclaz (dir.), L’expérience de la différence religieuse dans l’Europe moderne (xvie-xviiie siècles), Neuchâtel, Alphil, 2015, p. 47-65, voir notamment p. 49 ; Reymond Maxime, « L’auteur des Mémoires de Pierrefleur », Revue historique vaudoise, t. 37, 1929/7, p. 186.
17Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe, op. cit., p. 297-300, voir aussi les pages précédentes qui relatent la délégation organisée auprès des autorités souveraines à Fribourg comme à Berne pour tâcher de différer et suspendre la mise en place d’une votation : p. 294-297.
18Toute mise en place d’une votation doit être motivée auprès des instances souveraines et nécessite au sein des communautés, si ce n’est un comptage préalable, du moins de bonnes raisons d’espérer un suffrage positif : Gehrig Emmanuel, La mise aux voix de la religion : une approche sociale et juridique du « plus » aux xvie et xviie siècles, mémoire de licence, dir. Olivier Christin et Béatrice Nicollier, université de Genève, 2004.
19Guillaume de Pierrefleur est membre du Conseil de 12 de la ville d’Orbe et nommé gouverneur à cinq reprises, charge confiée pour un an simultanément à deux personnes du Petit Conseil.
20Mémoires de Pierrefleur : grand banderet d’Orbe, op. cit., p. 334.
21Ibid., p. 305.
22Ibid., p. 335.
23Ibid., p. 299.
24Ibid., p. 299.
25Ibid., p. 301.
26Ibid., p. 298.
27Ibid., p. 6.
28Sur cette question, se reporter à la réflexion autour des identités concurrentes en présence à Genève et des bouleversements que provoque l’arrivée de la Réforme dans la ville : Szczech Nathalie, « “Fottus français”. Tensions et xénophobies dans la Genève de Calvin (1546-1555) », in Antoine Roullet, Olivier Spina et Nathalie Szczech (dir.), Trouver sa place : Individus et communautés dans l’Europe moderne, Madrid, Casa de Velázquez, 2011, p. 117-134, ainsi qu’aux propos d’introduction.
29Le journal, aussi nommé Remarques mémorables, a été en partie édité par Bähler Eduard, Jean Le Comte : ein Beitrag zur Reformationsgeschichte der Westschweiz, Biel, Kuhn, 1895, traduit en français par Émile Butticaz : Jean Le Comte de La Croix, réformateur à Grandson : contribution à l’histoire de la Réformation dans la Suisse romande, Lausanne, Imprimeries Réunies, 1912.
30Pour une analyse du journal dans les enjeux mémoriaux de la famille Le Comte : Gross Geneviève, Pratique du ministère et terrains d’activité de deux acteurs de la Réforme, op. cit., p. 255-297.
Auteur
Université de Genève-Institut d’Histoire de la Réformation

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