Introduction de la deuxième partie
p. 71-72
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Index géographique : France
Texte intégral
1Comme j′ai pu déjà l′évoquer, une cour de récréation apparaît d′abord comme un désordre dont on imagine mal pouvoir tirer une logique. Des enfants y courent en tous sens, crient sans modération, si bien que l′espace ressemble avant tout à un lieu de défoulement entre deux périodes d′immobilisme forcé. En ce sens, l′observation est en adéquation avec la volonté de l′institution scolaire qui a conçu la récréation comme un moment de détente visant à permettre une nouvelle période de mobilisation intellectuelle et physique autour d′un travail scolaire. Une observation plus minutieuse ne va pas à l′encontre de cette première impression. Mais à celle-ci vient s′ajouter l′identification de groupes de joueurs. Quelques paroles saisies au vol dévoilent des conflits entre enfants à propos de l′organisation du jeu ou des règles qui devraient le caractériser. On devine déjà qu′on aura à mieux comprendre comment ces groupes se forment et comment ils fonctionnent, et qu′on devra analyser dans quelle mesure ils sont liés à la situation de jeu.
2Quand des enfants jouent pendant quelques jours de suite ensemble, une solidarité prend forme grâce au jeu et se manifeste dans la pratique ludique. Le jeu crée un lien de dépendance entre les participants qui doivent s′allier pour jouer ensemble à chat, au football, à la corde à sauter. Simultanément, le jeu est ce qui « fait prendre » la relation entre plusieurs enfants, de manière comparable à la maïzena d′une sauce culinaire. Il leur offre l′opportunité de se découvrir des affinités et peut être à l′origine d′une amitié durable, d′une histoire amoureuse. Le plan du chapitre iv suivra cette logique en deux temps souvent plus proches de deux aspects opérant simultanément.
3Les groupes apparaissent à l′observateur comme un élément central et leur analyse devrait être un accès privilégié pour déboucher sur une vision plus complète de la vie récréative. Plus encore, du point de vue des enfants eux-mêmes, l′appartenance à un groupe est un enjeu de première importance - spécialement chez les plus jeunes - qui transparaît dans leur vocabulaire dans lequel les termes de bande et de chef occupent une place centrale. L′idée de groupe est bien une « catégorie indigène » qui émerge du terrain, et non une catégorie créée par l′ethnologue pour faciliter sa démonstration. Si l′on veut décrire le quotidien des récréations en s′efforçant d′en donner une représentation proche de celle des enfants, on se doit par conséquent d′expliquer dans un chapitre v de quelle manière il s′organise autour de la question des groupes de pairs. Cette question apportera des éléments descriptifs permettant d′analyser comment les enfants d′une cour de récréation structurent leurs relations. Elle amènera à soutenir l′hypothèse d′une micro-société enfantine qui se construit par l′interaction des groupes de pairs.
4Enfin, la dépendance engendrée par le jeu partagé vient aussi des habitudes que cette pratique commune implique. En jouant régulièrement ensemble, des enfants se mettent d′accord sur des règles qu′ils conservent d′une récréation à l′autre. Plus ils grandissent, plus leurs règles sont stables. Il est par conséquent très agréable de se retrouver à jouer ensemble assidûment sur une période parce que le jeu se met en place en quelques instants sans qu′on ait à perdre du temps pour s′accorder sur son fonctionnement. Le moment de la récréation, généreux à l′école maternelle puis réduit dans les classes supérieures est ainsi utilisé au mieux. Mais les habitudes culturelles ne s′instaurent pas en un jour. Elles se construisent au fil des années et se donnent à voir à l′ethnologue par des manières de faire et de dire. À la maternelle ou au primaire, la façon de construire un jeu n′est pas identique, en dépit d′éléments communs dans la transmission et l′appropriation du jeu. Le plaisir trouvé dans la pratique ludique s′obtient par des chemins distincts. Le chapitre vi sera consacré à ces questions. Il développera l′idée que par des pratiques ludiques instituées en habitudes, réglées et partagées, une cour d′école est un espace de création culturelle spécifique par son contenu aux enfants qui investissent la cour. Ces derniers se reconnaissent comme les « propriétaires » des éléments culturels dont ils sont à l′origine ou qu′ils héritent de leurs aînés. Ils les investissent et en alimentent leur identité enfantine.
5Cette deuxième partie apportera au lecteur tous les éléments de terrain qui m′ont amenée à soutenir l′idée d′une culture enfantine que le contexte scolaire permet de développer. En conclusion de ce travail, je reviendrai sur l′intérêt d′un tel concept en tant qu′il modifie notre regard sur l′enfance.
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