Présentation des textes
p. 41-43
Texte intégral
1Les textes rassemblés ici ont été choisis du point de vue de leur complémentarité et de la vue d’ensemble qu’ils permettent de donner sur l’« application » de la typologie structurelle et historique dont j’ai présenté les bases épistémologiques et sociologiques dans les deux premiers volumes de Dialectique et société, parus en 1986. Le projet général de Dialectique et société comportait quatre volets, qui s’articulaient si l’on peut dire en allant de la base au sommet, comme dans la construction d’un édifice qu’on voudrait faire tenir solidement sur ses pieds. C’est une théorie de l’action significative qui en représentait la base, et je l’ai présentée dans le volume I, qui a pour titre Introduction à une théorie générale du symbolique. Le deuxième volet, formant le premier étage de la construction, traitait du mode de constitution de la société comme une réalité sui generis qui non seulement englobe les pratiques sociales particulières, mais leur assigne une signification collective, commune ou « catégorique » qui est déjà déterminée dans et par sa structure, et surtout par ses conditions formelles globales de reproduction. Le sous-titre du second volume s’énonçait ainsi : Culture, pouvoir, contrôle. Les modes de reproduction formels de la société. Ces modes de reproduction avaient déjà un caractère historique dans le sens où leur élaboration collective avait bien suivi un cheminement temporel de nature déjà réflexive et cumulative, mais ils n’étaient présentés ici que du point de vue de la spécificité formelle des logiques praxiques qui s’y trouvaient mises en œuvre de manière systématique. Leur description conservait donc elle aussi un caractère logique et statique. C’est seulement dans le troisième volet du projet, formant le deuxième étage de l’édifice théorique, que la dynamique concrète de cette construction devait être analysée, dans l’étude des dialectiques historiques contingentes à travers lesquelles certaines sociétés se sont effectivement engagées, de manière apparemment irréversible (quoiqu’on ne pourra jamais en juger définitivement, contrairement à la croyance de l’historicisme), dans la production des mutations structurelles qui sont constitutives de l’historicité radicale des sociétés humaines. Enfin le dernier volet devait être consacré à une réflexion critique sur les méthodes de l’analyse sociologique, dans laquelle les méthodes auraient été épistémologiquement accordées à la nature ontologique de leur objet, plutôt que l’inverse. Cette partie aurait été animée par un plaidoyer raisonné en faveur des méthodes ressortissant d’une approche phénoménologique, compréhensive, interprétative, herméneutique, les autres méthodes de description se voyant plutôt reconnaître un caractère auxiliaire (comme la datation au carbone 14 pour l’archéologie et la géologie, ou encore l’étude des œuvres aux rayons x pour l’histoire de l’art). Il n’avait pas été décidé si cette réflexion sur les méthodes devait couronner l’édifice sous la forme d’un toit qui le protège avec les combles et les greniers qu’il abrite, ou au contraire comme une vaste terrasse où il s’ouvre tout entier sur le monde extérieur.
2J’ai rappelé cette structure d’ensemble pour dire que tous les textes présentés ici appartiennent à ce que j’ai désigné comme le troisième volet du projet ou le deuxième étage du bâtiment, celui qui est consacré à l’analyse de la dialectique historique concrète des sociétés, à caractère contingent mais néanmoins largement irréversible. Cette dialectique, à travers les conflits qui la travaillent, postule l’existence d’un principe ou d’une exigence immanente de cohérence ou de cohésion dans le changement lui-même, et cela confère globalement à ce changement, tout contingent et fractionné qu’il soit par ailleurs, une orientation significative globale, et donc aussi ce que nous appelons un « sens » reconstituable. Or c’est seulement dans le « sens » qu’il possède que le développement des sociétés peut être jugé, et pas seulement constaté après coup ou au fil du temps et des événements.
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3Un premier texte à caractère général vise à présenter une vue d’ensemble systématique des principales caractéristiques formelles et structurelles de la modernité et de la postmodernité, à travers l’examen de la dynamique globalement intelligible qui anime le passage contemporain de l’une à l’autre. C’est aussi le plus récent des textes présentés ici, et celui qui a été le moins retravaillé pour la présente publication.
4Les textes suivants permettent de donner un contenu plus concret à l’opposition formelle établie dans le premier texte. Ils portent sur des dimensions centrales de la socialité et de la société : la culture, l’identité et le politique, l’économie, la technique. À partir de ces points d’entrée différents, on y suit une démarche analytique qui vise chaque fois à articuler une réflexion ontologique et anthropologique relative à la portée et à la signification de chacune de ces dimensions et une interprétation socio-historique de longue durée où est mis en œuvre le modèle interprétatif d’ensemble relatif à la succession dans le développement historique de trois modes formels de régulation des rapports sociaux et de reproduction de leurs rapports structurels globaux.
5Ainsi, par-delà la distance temporelle et les contingences liées aux circonstances de leur rédaction, les textes rassemblés ici présentent une grande unité tant dans le questionnement qu’au niveau de la démarche. Si ces textes ont été écrits à des moments très différents et s’étalent en pratique sur une vingtaine d’années, ils ont systématiquement été revus par l’auteur avec l’aide d’Yves Bonny. Dans plusieurs cas, des modifications et ajouts très substantiels y ont été apportés, afin de les rendre plus actuels. Ils n’en restent pas moins marqués dans une certaine mesure par les circonstances et l’époque de leur rédaction initiale, notamment en ce qui concerne les références, et ce quand bien même un certain effort a été fait pour les actualiser.
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6Voici les références des publications où sont parus pour la première fois les textes qui ont servi de base à la confection du présent livre :
7« Pour une approche théorique de la postmodernité comprise comme une mutation de la société », Société, Montréal, n° 18-19, été 1998, p. 1-62.
8« La métamorphose. Genèse et développement d’une société postmoderne en Amérique », Société, Montréal, n° 12-13, hiver 1994, p. 1-137 (seules les pages 37-82 ont été mobilisées ici).
9« Transformations de la société et mutation de la culture », 1re partie, Conjoncture, n° 2, 1982, p. 61-84 ; repris dans le Bulletin du MAUSS, n° 11, 1984, p. 75-98.
10« Transformations de la société et mutation de la culture », 2e partie, Conjoncture, n° 3, 1983, p. 139-172 ; repris dans le Bulletin du MAUSS, n° 12, 1984, p. 103-136.
11« L’identité, l’altérité et le politique », Société, Montréal, n° 9, hiver 1992, p. 1-56.
12« Joseph Schumpeter, l’économique et le développement de la société », Société, Montréal, n° 8, 1991, p. 19-74.
13« Le statut ontologique de la technique », Société, Montréal, n° 4, hiver 1989, p. 7-94.
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14Un mot pour terminer concernant le grand nombre de notes que l’on trouve dans les textes qui suivent et que certains lecteurs pourraient juger négativement. Habituellement, les éditeurs n’aiment pas les notes, j’imagine qu’ils trouvent que ça fait pédant et poussiéreux. Mais pour moi, les notes sont plutôt des fenêtres par lesquelles le texte s’ouvre sur le monde extérieur et communique avec lui. Et il n’est pas nécessaire de regarder par toutes les fenêtres en même temps, il suffit de clins d’œil.
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