Revisiter la sortie de guerre du premier conflit mondial

4C’est à raison que le livre insiste sur l’importance des deux guerres mondiales qui sont aussi, ce que notre époque a parfois tendance à oublier, des conflits franco-allemands. Loin de s’engager dans des chantiers rebattus, l’ouvrage ouvre sur ce point des pistes instructives en n’hésitant pas à cultiver le paradoxe et à dépasser les fausses évidences. En examinant le « processus concret des réparations », Anna Karla invite ainsi à réfléchir aux interactions nées d’une telle pratique et à la considérer, à une autre échelle qu’à celle de la grande diplomatie et des marchés financiers : au-delà des marks or, une partie des réparations repose sur des prestations en nature, allant des matériaux de reconstruction à des machines pour le cas du BTP étudié ici par l’historienne. Partant des entreprises allemandes de cette branche, elle montre ainsi que ces dernières aspirent, en reconstruisant les régions françaises dévastées, à « décrocher des marchés quasi publics en se faisant payer par le Reich qui, lui, décomptera les dépenses sur le compte des réparations. » Ou pour le dire autrement, poursuivre en temps de paix le mode de faire des commandes de guerre là où les dirigeants politiques (Loucheur et Rathenau) voient dans les accords de Wiesbaden d’octobre 1921 une mise en œuvre de la reconstruction par réparations. Une reconstruction qui n’est pas sans arrière-pensées ni perspectives si on songe au vocabulaire employé dans les sources allemandes où il est question de « prise de contact » ou de « nouveau lien tissé ». Il y a bien là matière à création « d’espaces de débats et d’interaction concrets » qui se poursuivent et se développent après le plan Dawes et qui posent des jalons réactivés durant les années 1940.

5Les réparations ne sont pas seulement un élément essentiel de la relation franco-allemande de l’après 1918-1919. Elles traduisent une volonté plus large d’inscrire l’économie au cœur de la relation bilatérale à plus long terme, ce dont témoigne le choix du chargé d’affaires missionné au début de 1920 pour rouvrir l’ambassade à Berlin, Charles Laurent. L’homme n’est pas issu du corps diplomatique, mais est un haut fonctionnaire frotté aux questions financières et dont le choix, pour sa compétence, traduit les priorités des autorités françaises d’alors. Elles débouchent donc sur la mise en place de services économiques à l’ambassade dont les responsables sont aussi des fonctionnaires spécialisés dans ces matières : on compte au milieu des années 1930 une vingtaine de personnes employées, soit autant que le reste du personnel de l’ensemble de l’ambassade. Pour qualifier ces hommes, Marion Aballéa parle d’« entremetteurs », un mot qui sonne bien avec celui d’interactions. Il s’agit de fluidifier les relations économiques franco-allemandes en facilitant aux entrepreneurs allemands la possibilité d’articuler leurs investissements aux réparations et d’apporter un soutien logistique aux Français désireux de venir faire des affaires chez le voisin allemand. Ainsi, entre 1925 et 1933, ce « travail de terrain », aurait permis la formation de 150 à 300 « couples » franco-allemands, lesquels mettent en présence principalement des maisons de commerce et des PME. Ces chiffres doivent être remis en perspective et ne sauraient conduire à surestimer le rôle d’une structure qui pèse en réalité peu dans la « grande politique », y compris lors de la signature de l’accord commercial franco-allemand de 1927. Des ambitions aux réalisations, le contraste est donc net : la « cible » touchée est « restreinte ». On ne négligera cependant pas l’intérêt qu’ont pu en retirer certaines branches, à l’instar du secteur vinicole analysé par Sébastien Durand : ses représentants ont directement recours en 1934 à Jean Lefeuvre à Berlin pour obtenir la reconnaissance de différentes appellations (cognacs, armagnacs, champagne, sauternes). Ajoutons aussi le rôle joué par les consulats ou vice-consulats (de Cologne à Brême) en matière de diplomatie économique à l’occasion de voyages ou de foires. Il n’en demeure pas moins que les grands groupes industriels et financiers français, autant dire les élites économiques majeures, ne recourent pas aux services de l’ambassade. Elles utilisent leurs propres réseaux, comme le comité Mayrisch, du nom du patron luxembourgeois de l’Arbed, promoteur du Comité franco-allemand d’information et de documentation et maître d’œuvre de l’Entente internationale de l’Acier ; celui que Gérald Arboit nomme « l’entremetteur de l’Europe sidérurgiste ». Avec Émile Mayrisch (1862-1928) et ses réseaux, nous sommes au cœur des élites économiques les plus puissantes et de la relation franco-allemande des années 1920, une relation qui, via les liens de sa femme Aline avec André Gide, la Nouvelle Revue française ou Ernst Robert Curtius est aussi culturelle, si on songe au rôle du cercle de Colpach mis en place en 1920.

6Si le volume donne à voir, tout en la renouvelant, le rôle d’acteurs déjà connus, il insiste aussi sur des éléments moins visibles mais importants à prendre en compte pour saisir les évolutions à l’œuvre dans des sphères économiques en pleine évolution. Un des espaces d’interaction les plus significatifs ressort ainsi de la mise sur orbite, après le traité de Versailles, des experts en droit privé international qu’illustre le cas du juge berlinois, Robert Marx, en poste à Paris près d’un des tribunaux arbitraux mixtes né de Versailles. Deux décennies après la convention de La Haye, l’arbitrage international n’a rien de neuf. Ce qui l’est bien davantage, c’est la place que revêt dorénavant l’économie dans le droit international, qui n’est plus seulement une affaire d’États ou de personnes privées mais aussi d’entreprises. Comme ses collègues, Marx est amené à coopérer avec des représentants des élites économiques et œuvre à l’autonomisation de la sphère économique et marchande pour la « protéger » de « l’emprise des gouvernements nationaux » (Jakob Zollmann). L’itinéraire de Marx est aussi emblématique à cause de son rôle à la Chambre de commerce internationale (CCI) créée en juin 1920. Ce « forum de coordination économique » (Philipp Müller) a accueilli les entreprises comme les associations allemandes cinq ans plus tard et au tournant des années 1930 ; Marx en est un des piliers, assumant depuis 1929 la charge de vice-président du comité exécutif. À ce moment, les autorités allemandes voient dans cet habitué de l’ambassade, qui est aussi un conseiller juridique pour les affaires économiques et commerciales, un atout pour leurs intérêts nationaux, avant que les choses ne basculent en 1933 du fait des origines juives de l’intéressé. Ce sont bien celles-ci qui sont en cause, car les autorités nazies entendent utiliser la CCI à l’heure où le Reich a quitté la SDN et le BIT : le nombre des entreprises allemandes membres de la CCI double entre 1933 et 1937. Les dirigeants industriels s’en satisfont et tout au long des années 1930 s’accordent avec leurs homologues français pour voir dans la CCI l’« organisme de médiation principal dans le processus des relations économiques internationales » (Philipp Müller) et escompter que le renforcement des cartels puisse leur donner des marges de manœuvre face aux États. L’Allemagne hitlérienne n’est pas sur cette ligne. Accueillant à Berlin le congrès de la CCI en juin 1937, les nazis en suivent de près les échanges et reçoivent les congressistes en grande pompe. En cette même année, ils négocient un nouveau traité commercial (10 juillet 1937) avec des autorités françaises qui espèrent, Quai d’Orsay en tête, qu’il pourrait détourner l’Allemagne de son projet de réarmement. Ainsi, les attentes vis-à-vis de la CCI ne sont pas de même nature des deux côtés du Rhin que celles formulées durant les années 1920 et au début des années 1930 où d’aucuns escomptaient bâtir par ce biais les fondements d’une « communauté européenne plus soudée », pour reprendre une formule d’Eduard Hamm, secrétaire général de la délégation allemande en 1928.

Élites segmentées et chronologie dilatée

7On sait l’ampleur des travaux consacrés à l’économie durant le second conflit mondial, qui pour avoir été centrés, côté français, sur la période 1940-1944, y compris à travers un groupement de recherche sur l’histoire des entreprises sous l’Occupation, n’ont jamais négligé tout l’intérêt de dilater la chronologie 1940-1944 pour réfléchir à une périodisation plus large. Ce volume nous y invite à plusieurs égards. Il pose d’abord frontalement une question essentielle, celles des « convergences d’intérêt » entre élites économiques françaises et allemandes autour de deux temps forts qui sont 1939 et 1949. La prose de Sylvain Schirmann est nette pour analyser « les bases d’une coopération entre industriels français et allemands […] dans un contexte européen » : « Elles s’inscrivent dans des voies amorcées bien avant la Seconde Guerre mondiale. Élites patronales et élites politico-administratives sont marquées par l’expérience des cartels. » Ce qui nous ramène aux années 1920, à Mayrisch, à l’Entente internationale de l’Acier et aux débuts de la CCI. Une décennie plus tard, après Munich et à l’heure où d’aucuns veulent croire à un « apaisement économique », la paix est réputée pouvoir emprunter les chemins de l’économie ; ce qui motive la création le 1^er mars 1939 de l’Association française des intérêts permanents en Allemagne (AFIPA) qui voit œuvrer côte à côte grands industriels français, Quai d’Orsay, ministères de l’Économie et du Commerce. Il s’agit non seulement de défendre la paix par l’économie mais aussi de préserver également intérêts bancaires, financiers et industriels et d’espérer encore dans les cartels pour continuer une coopération économique qui a duré jusqu’à l’automne 1939. En 1946, l’AFIPA, qui n’a pas été dissoute, cherche à se relancer dans la zone française d’occupation (ZFO), sans succès immédiat. En 1949, deux organisations voient le jour comme dans un jeu de miroirs : l’Association française pour les relations économiques avec l’Allemagne (AFREA) et son alter ego allemand, la Deutsche Vereinigung zur Förderung der Wirtschaftsbeziehungen mit Frankreich (DEFRA). On retrouve ici, dans un autre contexte bien entendu, une architecture comparable à celle de 1939, marquée par le poids des organisations patronales faîtières et des grands industriels. L’autre élément majeur et marqueur de continuité tient à l’importance de la question du charbon-acier et de la cartellisation, dont on attend qu’elle structure un certain nombre de branches. Enfin, les autorités gouvernementales, au plus haut niveau, ont suivi le dossier. Avec, pour certaines personnalités, des hommes engagés depuis plusieurs décennies dans la relation franco-allemande et autant informés qu’impliqués dans les questions économiques, comme André François-Poncet, ancien permanent patronal et ancien ambassadeur qui conseille Georges Villiers, le patron du Conseil national du patronat français, en 1948 avant de redevenir l’année suivante ambassadeur de France en RFA. Au même moment, Villiers devient le premier président d’un Conseil des industriels européens dont éclot en 1951 un comité économique franco-allemand qui est, à l’heure où naît la CECA et où s’institutionnalise la construction européenne, un espace d’interaction supplémentaire entre élites françaises et allemandes.

8On mesure, pour les élites économiques de haut rang, l’importance de l’imbrication des liens entre puissances publiques et intérêts privés, liens qui n’excluent pas des relations parfois étroites entre grands groupes et grands dirigeants. Cela étant, les élites économiques ne se résument pas à leurs strates les plus élevées ni à l’industrie lourde. Plus généralement, les élites économiques, comme d’autres, peuvent être lues et analysées sous l’angle de la segmentation. L’exemple du secteur vinicole déjà évoqué illustre, exemples à l’appui, « la profondeur du lien entre les exportateurs français et les importateurs allemands » et la solidité de « réseaux commerciaux, familiaux, amicaux » qui traduisent une « interaction forte » (Sébastien Durand), sujette à l’évidence cependant aux recompositions politiques et commerciales à l’œuvre des années 1920 aux années 1950. La Seconde Guerre mondiale n’a d’ailleurs nullement brisé ce lien et l’Occupation fut même « la période d’interactions la plus intense » et ce d’autant que les représentants et acheteurs allemands sont généralement « loin d’être des novices » (Sébastien Durand). Qu’en est-il cependant de la sortie de guerre sur fond d’épurations et de ZFO ? Le choc est bien réel et les relations sont au presque au point mort dans l’immédiat après-guerre et ce n’est que dans les années 1950 que s’opère un « relatif retour à la normale » (Sébastien Durand) où se retrouvent des protagonistes partageant un long passé en commun, mais tournés dorénavant vers un avenir qui n’est plus seulement bilatéral puisque l’ordre du jour est à « l’Europe des vins » : le secteur vinicole en rejoint d’autres.

9Segmentées en leur sein, les élites économiques s’hybrident-elles avec d’autres, en particulier dans la sphère franco-allemande ? Deux espaces d’interaction, essentiels pour la relation bilatérale fournissent sur ce point des éclairages très significatifs. Le premier est le comité France-Allemagne fondé en 1935, une « entreprise de collaboration » ayant « contribué à renforcer les liens entre les élites des deux pays », selon Hervé Joly qui en propose une sociologie précise. Elle permet de faire ressortir, outre les personnalités politiques et associatives, intellectuelles et médiatiques mieux connues jusque-là, la place et la part des élites économiques dans une telle structure. Force est de constater que si l’inspection des Finances y compte deux représentants, les dirigeants des grandes firmes sont peu présents, à quelques exceptions près comme Raoul Dautry, et que les représentants des milieux économiques identifiés ne sont pas des administrateurs de société de premier plan. Comment expliquer cette situation ? La première tient sans doute au fait que les élites économiques peuvent, comme le montrent nombre de contributions, user d’autres canaux et d’espaces d’interaction. La seconde tient à l’intérêt que pourrait leur apporter une telle adhésion. Il est sans doute réduit à ce moment-là. Il en va différemment du Cercle européen, un autre club « sélectif » fondé le 15 juillet 1941 et installé aux Champs-Élysées (Gilles Morin). D’inspiration collaborationniste, il est dominé par le RNP de Déat. Mais si le Cercle est politique, il a aussi un soubassement économique. Il est né côté français d’une initiative patronale (Émile Servan, propriétaire de Dubonnet) tandis que, côté allemand, on trouve le chef de la section économique des services de l’ambassade, Hans Kuntze. Sa raison d’être officielle comporte deux volets : la « collaboration économique et culturelle européenne ». Comptant près de deux mille membres, dont deux tiers de Français, le Cercle ne réunit pas seulement le gratin de la collaboration. Il compte aussi, parmi les 1 034 adhérents français dont la profession est connue, des industriels et des chefs d’entreprise qui représentent 35 % de l’ensemble quand les journalistes et les écrivains comptent pour 9 % (ils sont cependant très présents dans la vitrine qu’est le « comité d’honneur »). Au sein de ces 35 %, les branches sont inégalement représentées puisque les industries essentielles à l’économie de guerre (métallurgie, construction mécanique, etc.) sont en première ligne devant le ravitaillement et les matières premières. Qu’on ne s’y trompe pas, là encore : les figures patronales emblématiques de l’économie française, industriels comme banquiers, sont absentes, tandis qu’un patronat moyen implanté dans la région parisienne domine. Qu’en est-il des motivations des adhérents issus de ces élites économiques de second rang ? On ne peut négliger l’idéologie, qui irrigue un cercle dont la « race juive » est explicitement exclue, qui est omniprésente à ne consulter que les intitulés des thèmes des conférences. Pour autant, là n’est pas l’essentiel qui relève davantage de motivations liées à l’obtention de commandes ou de moyens pour faire tourner les entreprises. En résumé : faire des affaires.

« Modèle allemand » et jeux d’échelles

10On sait le destin très différent qu’ont connu les corporations des deux côtés du Rhin : interdites sous la Révolution française et au contraire revigorées dans le Reich par la création en 1897 des chambres des métiers, une « réaction corporative » (Cédric Perrin) à tonalité conservatrice et anti-libérale. Ce statut a été étendu à l’Alsace-Moselle avant le premier conflit mondial. Le retour de ces territoires à la France met face à face deux conceptions de l’artisanat qui peinent à se comprendre, même si la loi de 1925 créant en France des chambres des métiers s’inspire de l’exemple alsacien et donc du modèle allemand. Une inspiration trop mesurée pour les Alsaciens, qui n’obtiennent que le maintien de leur particularisme mais nullement la généralisation de leur statut. La guerre marque un tournant. Si l’Alsace retourne au Reich, le modèle allemand compte à Vichy un partisan affiché en la personne de Pierre Loyer, patron du service de l’Artisanat au sein de l’État français et défenseur affiché du modèle allemand dont les revues Métiers de France et La Terre française chantent les louanges : « l’Allemagne est clairement donnée en modèle à imiter », souligne Cédric Perrin. Les artisans français, confrontés à la Relève puis au STO, ne soutiennent guère les vues de Loyer et l’effondrement de Vichy met durablement à mal un « modèle allemand » à l’heure où les regards sont largement tournés vers les États-Unis, et où l’artisanat entre en crise et est délaissé par l’État planificateur. La référence ne disparaît pas complètement. Au tournant des années 1960 et après la flambée poujadiste de 1956, l’État se préoccupe de l’artisanat qui est intégré au Plan par le biais d’une commission de l’artisanat qui reprend à son compte nombre de références au « modèle allemand » très présent dans les rapports alors rédigés et qui inspire encore aujourd’hui des rencontres des chambres de métiers franco-allemandes.

11En réalité, ce que l’on présente depuis les années 1960 comme le « modèle allemand » doit plutôt être entendu comme le modèle alsacien. Cette région peut ainsi être considérée comme un acteur majeur des interactions franco-allemandes, mais on ne saurait l’y réduire. En effet, une approche plus fine à partir de jeux d’échelles montre l’importance des interactions repérables entre chambres de commerce frontalières françaises et allemandes dans un espace transfrontalier. On sait le regain d’intérêt manifesté à raison par l’historiographie sur ces corps économiques intermédiaires qui, dans le champ des relations franco-allemandes, paraissait « très subalternes » pour reprendre une formule de Martial Libera. Les choses sont infiniment moins simples et ces chambres, qui comptent dans leurs rangs nombre de figures des élites économiques locales et régionales, ont pu tisser des relations elles-mêmes à l’origine « d’espaces d’interaction aussi bien sur le plan spatial qu’institutionnel », comme l’illustre l’examen du contexte précis de l’après 1945 qui voit les chambres de commerce d’Alsace et de Moselle se soucier de disposer de structures ad hoc (Commission consulaire de la Sarre etc.) ayant comme objectif de coopérer avec l’Allemagne. On ne négligera pas l’héritage de l’avant-guerre et l’importance de la chambre de commerce franco-sarroise qui, au tournant des années 1920-1930, a joué un rôle de « relais informationnel en faveur des maisons françaises » (Sébastien Durand) voulant vendre du vin en Sarre. Un socle existe donc qui se réactive autour de différentes initiatives des années 1950, qui voient les élites consulaires opposer à leurs gouvernements respectifs une « sorte de solidarité transnationale des intérêts locaux face aux intérêts nationaux. » Plus encore, avec le développement de la construction européenne et sur fond de jumelages, des structures de coopération mettant en jeu les élites économiques locales voient le jour et se développent avec une double conséquence. D’abord, une volonté des acteurs de renforcer et d’approfondir leur coopération. Ensuite, une influence marquée du système consulaire allemand qui « fait même office de modèle » (Martial Libera).

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12Des années 1920 aux années 1950, le volume retrace donc trois décennies d’une histoire franco-allemande en mettant l’accent sur des espaces d’interaction connus pour certains ou exhumés des archives pour d’autres. Il s’agit donc pleinement d’un livre d’histoire qui enrichit nos connaissances et renouvelle les perspectives sur un objet jusque-là négligé, dont l’examen gagnerait à être poursuivi en aval de la chronologie retenue. L’historiographie n’est pourtant pas la seule bénéficiaire de cette entreprise collective conduite par Hervé Joly et Philipp Müller. En effet, à y lire nombre des contributions, le lecteur se retrouve immergé dans des débats actuels en constatant à quel point des controverses sur les élites économiques françaises et allemandes, leurs sphères d’autonomie ou leur rapport à la construction européenne ou encore sur le « modèle allemand » et son influence sur les élites économiques et politiques françaises, ont des racines historiques que nombre d’acteurs et de commentateurs contemporains sont bien loin de soupçonner et donc de prendre en compte.