Le poids des anciens combattants

6Première caractéristique, peu surprenante, ce sont des hommes… à une exception près toutefois, celle d’Élisabeth Cassous, présidente de l’Union des veuves de guerre de la région parisienne et secrétaire générale de l’Union fédérale des associations françaises d’anciens combattants (UF), l’une des deux fédérations, avec l’Union nationale des combattants (UNC), représentées collectivement au conseil d’administration. Sauf quelques membres du comité d’honneur plus âgés comme le marquis de Chambrun (1865) ou Louis Bertrand (1866), ou quelques membres du comité directeur un peu plus jeunes, comme Jacques Benoist-Méchin (1901) ou Bertrand de Jouvenel (1903), la plupart appartiennent à la « génération du feu » née dans les années 1870-1890. Ils sont nombreux à pouvoir se réclamer de titres militaires. Le premier président Lhopital, capitaine d’artillerie, a été promu chevalier de la Légion d’honneur en 1919 avec une blessure et cinq citations de l’armée. Son successeur Georges Scapini a été mobilisé à 20 ans comme soldat dans un régiment d’infanterie ; il a obtenu la médaille militaire pour une troisième blessure contractée en octobre 1915 en défendant une barricade contre une violente attaque ennemie, qui le laisse définitivement aveugle13. Il reçoit ensuite la Croix de guerre avec palme et est fait, comme mutilé de guerre, chevalier de la Légion d’honneur en 1922. Le vice-président Bonvoisin, promu officier d’artillerie pendant le conflit, blessé à deux reprises, fait l’objet de quatre citations, qui saluent sa « bravoure, [son] sang-froid et [son] dévouement dignes d’éloges14 ». Il reçoit la Croix de guerre avec trois étoiles et la Légion d’honneur en 1921. Du côté des secrétaires généraux présidents de fédérations d’anciens combattants, Henri Pichot a connu une guerre particulièrement courte. Promu sergent à l’issue de son service militaire dans l’infanterie, il avait été rétrogradé soldat de 2^e classe en 1910 pour avoir protesté de manière insolente contre les notes données à l’issue d’une phase d’instruction15. Envoyé au front le 9 août 1914, il est blessé et fait prisonnier dès le 30 août. Il est ensuite rapatrié d’Allemagne pour raisons sanitaires en juillet 1915. Après plusieurs séjours à l’hôpital, il est réformé en décembre 1916 pour boiterie consécutive à fractures de la jambe. Il reçoit la médaille militaire et la Croix de guerre avec palme. De son côté, Jean Goy, sous-lieutenant dans les zouaves, a reçu deux citations : « officier d’une haute valeur morale, a montré, en toutes circonstances, un dévouement absolu16 ». En revanche, le vice-président Fernand de Brinon s’est moins exposé. Réformé pour bronchite après six mois de service militaire en 190817, il ne se porte pas volontaire à la mobilisation. Classé service armé par le conseil de révision en novembre 1914, il n’est rappelé dans son régiment de dragons qu’en février suivant. Il se fait muter rapidement dans un escadron du train, moins soumis au feu18. Dès le printemps 1916, il est affecté, grâce à ses relations dans la presse, au service d’information du Grand Quartier général à Chantilly, où il est chargé de faire des reportages. Quand il reçoit la Légion d’honneur à titre civil en 1929, ses services militaires sont rappelés sans mention d’un quelconque éclat.

Formations et professions supérieures

7De nombreux administrateurs du Comité France-Allemagne ont fait des études supérieures, souvent de droit, parfois de lettres. Plusieurs ont fréquenté l’École libre des sciences politiques. On compte aussi des ingénieurs, polytechniciens notamment (Raoul Dautry, Paul Weiss), deux docteurs en médecine (Georges Brouardel, Robert Pierret), un pharmacien (Ernest Fourneau), et un ancien élève de l’École militaire de Saint-Cyr. Ce dernier, Régis Hurault de Vibraye (entrée major en 1900), a rapidement quitté l’armée d’active, comme lieutenant de hussards à 27 ans. C’est le cas d’autres militaires de carrière, comme l’autre lieutenant de hussards Jean de Castellane (monté par le rang) à 29 ans, le capitaine d’aviation Étienne André Langeron à 40 ans ou le chef d’escadron d’artillerie René Lhopital (ingénieur civil des mines), aide-de-camp du maréchal Foch jusqu’au décès de celui-ci en 1929. Les grands corps de l’État sont présents avec les Mines (Weiss), l’Inspection des finances (François Piétri, Éric Haguenin) et le Conseil d’État (Joseph Noulens, Léon Noël, Charles Pomaret). La profession la mieux implantée est celle des avocats, avant pour beaucoup d’entre eux d’entrer en politique. On trouve aussi de nombreux journalistes ou écrivains, moins souvent des universitaires établis, comme les professeurs de germanistique Henri Lichtenberger, de droit Henri Donnedieu de Vabres. Ernest Fourneau, directeur du laboratoire de chimie thérapeutique de l’Institut Pasteur, et Maurice de Broglie, à la tête de son laboratoire privé des rayons X, sont des scientifiques réputés. Le comité d’honneur s’appuie beaucoup sur le prestige de l’Institut de France, avec des membres de l’Académie française (les écrivains Louis Bertrand et Pierre Benoit) et de l’Académie de médecine (Georges Brouardel, Ernest Fourneau) – Maurice de Broglie siégeant dans les deux – et de l’Académie des beaux-arts (le compositeur Florent Schmitt).

8Les nombreux hommes d’affaires, parfois venus de la haute fonction publique, dans les instances ne sont guère de premier plan. Les seuls dirigeants de grandes firmes sont Raoul Dautry, directeur général des Chemins de fer de l’État avant de rejoindre en 1938 brièvement l’industrie privée19, et Éric Haguenin, président de la Banque nationale du commerce et de l’industrie (BNCI) puis des assurances L’Urbaine. Une figure importante du monde patronal au conseil d’administration est le fabricant de soieries lyonnais Étienne Fougère, président de nombreuses organisations comme l’Association nationale d’expansion économique, composante de la Confédération générale de la production française. Les autres administrateurs sont plutôt des dirigeants d’entreprises de second rang, comme la banque de l’Union des mines (Weiss) ou la Compagnie des wagonslits (René Margot-Noblemaire), ou des héritiers d’affaires moyennes comme la chocolaterie Menier ou les champagnes Pommery & Greno (marquis de Polignac). Si les trois dernières entreprises en particulier peuvent avoir des liens commerciaux avec l’Allemagne, cela ne semble pas leur motivation principale, d’autant plus qu’ils ne rencontrent guère d’hommes d’affaires à la DFG. Quelques-uns ont des affaires commerciales plus vagues, à l’image de Jean Weiland, présenté en 1936 dans une note des renseignements généraux comme « un brasseur d’affaires ayant dilapidé une fortune dans plusieurs affaires commerciales notamment dans l’exportation de vins de champagne en Amérique20 ». Le trésorier Roland de Chappedelaine, fils d’un ancien ambassadeur en Allemagne, longtemps employé de banques, n’a plus d’emploi connu depuis son départ de la BNCI en 1934, bien que sa situation soit jugée aisée d’après une enquête de police21. D’autres administrateurs, comme Pierre Lerot ou Léon Garreau, n’ont même pas pu être identifiés professionnellement.

9Les situations les plus modestes sont celles des administrateurs représentant les fédérations d’anciens combattants, surtout à l’UF marquée à gauche avec des fonctionnaires de rang moyen comme le président Henri Pichot22 et son prédécesseur Maurice Randoux, tous deux anciens instituteurs devenus professeurs d’école supérieure, ou le secrétaire général Paul Brousmiche, receveur percepteur. À l’UNC plus conservatrice, on trouve plutôt des hommes d’affaires un peu incertaines, comme celles du président Jean Goy, dont l’activité d’industriel avant son entrée en politique ne semble guère consistante23, ou du vice-président Alfred Charron, représentant à Paris de fabricants de pâtes alimentaires. De manière générale, ces organisations apportent une forte dimension provinciale, leurs administrateurs étant souvent des responsables de fédérations départementales.

10Par ailleurs, le recrutement des instances du Comité, et en particulier de son bureau, reste socialement très fermé, au sein d’élites très parisiennes. Les noblesses réelles ou d’apparence sont bien représentées, avec plusieurs marquis, ducs ou vicomtes. Un autre caractère marquant est l’exclusion des juifs. Si tant est qu’il s’en serait trouvé pour vouloir adhérer au Comité, ils étaient probablement indésirables dans des instances qui se devaient d’afficher une conformité aux attentes des partenaires nazis. Au sein de l’UF, le juriste René Cassin était l’un des dirigeants influents qui aurait eu vocation à faire partie des représentants au Comité. Mais il passait justement son temps en interne, sans grand succès, à s’opposer à cette politique de rapprochement avec l’Allemagne nazie24. On peut simplement relever dans les Cahiers franco-allemands la cosignature en octobre 1936 par une personnalité d’origine juive, André Weil-Curiel, d’un article sur l’œuvre sociale du Front populaire.

Un relatif pluralisme politique

11Les instances du comité France-Allemagne comptent une quinzaine de parlementaires actuels ou passés, quelques autres élus locaux aux engagements plus ou moins affichés, et de nombreuses personnalités intellectuelles nettement marquées politiquement. Globalement, sans surprise, tous se situent plutôt dans les milieux conservateurs, mais, d’une part, ils sont quelques-uns à déborder jusqu’aux marges du Front populaire, d’autre part, toutes les nombreuses mouvances de la droite de l’époque ne sont pas représentées. À gauche, les communistes bien sûr, mais aussi les socialistes sont absents. Les seconds ne le sont toutefois pas totalement des Cahiers franco-allemands, avec le même Weil-Curiel, conseiller municipal de Paris, ainsi avec le ministre des Pensions du Front populaire, Albert Rivière, auteur d’un article sur les combattants de Verdun. Dans les deux cas, il s’agit, dans les premiers temps du Comité, de donner l’illusion d’un certain équilibre, en donnant la parole au gouvernement français de la même manière qu’au régime nazi.

12Parmi les neuf députés administrateurs du Comité en 1936, ils sont trois à avoir voté la confiance à Léon Blum. Un, Jean-Michel Tournaire dit Renaitour, est membre du petit groupe parlementaire de la Gauche indépendante. Deux autres, Charles Pomaret et Eugène Frot, appartiennent au groupe de l’Union socialiste républicaine, qui rassemble des dissidents de la SFIO autour de Félix Ramadier. Le parti radical-socialiste est également représenté par le journaliste marseillais Vincent Delpuech, qui devient sénateur des Bouches-du-Rhône en 1939.

13La majorité des parlementaires du Comité s’inscrivent dans l’opposition au Front populaire. Tous les groupes de la droite et du centre n’apparaissent toutefois pas. La Fédération républicaine de Louis Marin, qui glisse de plus en plus vers la droite extrême avec le député Xavier Vallat qui attaqué Léon Blum sur ses origines, ne l’est pas, tout comme le groupe libéral des Républicains indépendants. Le petit groupe centriste du parti démocrate populaire de Robert Schuman ne l’est pas non plus, du moins à l’Assemblée, le sénateur Pierre de Chambrun, membre du comité d’honneur s’inscrivant dans cette mouvance. Les groupes les mieux implantés dans les instances viennent de la droite modérée, avec trois députés aussi bien pour l’Alliance démocratique de Paul Reynaud et de Pierre-Étienne Flandin que pour la Gauche démocratique et radicale indépendante. Enfin, le président Scapini appartient, lui, au petit groupe hétérogène des Indépendants républicains, qui compte aussi dans ses rangs un opposant acharné du Comité, Henri de Kerillis. Le nouveau groupe du Parti social français du colonel de la Rocque constitué en 1938 n’est pas représenté au Comité France-Allemagne. L’Action française, comme la droite nationaliste plutôt hostile au pacifisme, ne l’est pas non plus. Le parti populaire français de Jacques Doriot, qui n’a pas de groupe parlementaire – Doriot lui-même siégeant chez les non-inscrits avant de quitter la Chambre en 1937 –, compte, en revanche, des adhérents parmi les administrateurs du Comité, avec l’écrivain Pierre Drieu la Rochelle et le publiciste Bertrand de Jouvenel, qui le quitte toutefois en 1939, tout comme il se serait éloigné du Comité après les accords de Munich25. Mais le Front de la liberté créée par Doriot en 1937, en intégrant notamment la Fédération républicaine et le parti républicain national et social de Pierre Taittinger, héritier de la ligue dissoute des Jeunesses patriotes, ne renforce pas la représentation de cette mouvance. Le Comité France-Allemagne a donc globalement une image plutôt modérée ; il rassemble des personnalités qui croient dans l’entente possible avec l’Allemagne nazie sans s’inscrire elles-mêmes dans l’extrême droite fascisante.

L’engagement massif des membres du comité dans la collaboration

14La décision de cesser l’activité du Comité France-Allemagne, à la suite de la violation des accords de Munich et de l’occupation de la Tchécoslovaquie par le Reich, est prise, selon les communiqués repris dans la presse le 22 mars 1939 à l’unanimité du comité directeur26. Les journaux des deux fédérations d’anciens combattants précisent que la proposition a été présentée par leurs présidents, secrétaires généraux du comité27. La décision est notifiée à l’organisation allemande… qui se garde bien d’en informer les lecteurs des Cahiers franco-allemands. Ceux-ci se contentent d’indiquer les résultats de l’assemblée générale convoquée statutairement le 24 mai pour prononcer la dissolution, en indiquant qu’elle s’est déclarée en faveur de la poursuite du Comité28. La presse française n’en fait pratiquement pas état. Seul le journal L’Époque de Henri de Kerillis évoque « la tumultueuse agonie du l’association France-Allemagne29. La réunion au siège du Comité aurait suscité, pendant trois heures, un « vacarme indescriptible » qui aurait fini par attirer la police. La décision des secrétaires généraux Pichot et Goy de retirer leurs associations aurait suscité, sans citer de noms, « les protestations les plus violentes des hitlériens ». La dissolution, avec 132 voix pour et 125 contre n’aurait pas atteint la majorité requise de deux tiers des suffrages exprimés. Le bulletin de l’Union fédérale raconte que le président Scapini a été « violemment interrompu et apostrophé » : « une minorité de membres du Comité entendent y utiliser sans vergogne leur présence au bénéfice de leurs passions politiques dans un esprit unilatéral […] On entendit des hommes politiques s’égarer sur le terrain de la politique intérieure et l’un d’eux, vertement remis en place par le président Scapini, attaquer sans ménagement l’Angleterre30… » Selon l’historien Roland Ray qui s’appuie sur des archives allemandes, les sénateurs Henry-Haye, le député Pierre Béranger et le chercheur Ernest Fourneau auraient défendu la continuation du Comité31. De fait, celui-ci reste ensuite en sommeil.

15Cette défiance tardive de la majorité des dirigeants du Comité face à l’Allemagne nazie ne veut pas dire qu’ils aient rompu tout lien avec elle. Selon un rapport de police de janvier 1940, le président Scapini aurait ainsi lors d’un déjeuner au Crillon « scandalisé son auditoire en approuvant la politique antisémite du chancelier Hitler. Il aurait ajouté même que le Führer n’aurait jamais voulu la guerre contre la France et que celle-ci provoquée par l’Angleterre n’avait pu être acceptée chez nous que grâce à l’action de prétendus “grands politiques” français du genre de M. Daladier32 ». Cette prise de distance n’a pas non plus empêché beaucoup d’administrateurs du Comité de se rallier ensuite à la collaboration. Parmi les parlementaires, la quasitotalité a d’abord sans surprise voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, y compris ceux qui avaient soutenu le Front populaire, à l’exception du député Renaitour (Gauche indépendante) qui n’a pas pris part au vote pour des raisons inconnues. Seul le sénateur de Chambrun (parti démocrate populaire), membre du comité d’honneur, a voté contre.

16L’âge moyen des administrateurs du Comité France-Allemagne fait qu’ils sont peu nombreux à avoir été mobilisés, au moins dans des unités combattantes, en 1939-1940. Parmi ceux-ci, les rares faits prisonniers de guerre ont été libérés rapidement, sans qu’un lien soit établi avec leur engagement antérieur au Comité. C’est le cas du vice-président Bonvoisin, ou du représentant de l’UNC au comité directeur Alfred Charron, « rapatrié un an après en qualité d’ancien combattant et de père de famille nombreuse33 ».

17Plusieurs dirigeants du Comité ont pris des responsabilités importantes sous Vichy. Les liens étroits tissés avec Abetz nommé ambassadeur du Reich à Paris deviennent précieux pour le régime. Deux sont promus au gouvernement. Le journaliste Benoist-Méchin, membre du comité directeur, est nommé en juin 1941 secrétaire d’État à la vice-présidence du Conseil en charge des rapports franco-allemands. Laval supprime son poste en septembre 1942 par crainte qu’il se serve de la nouvelle Légion tricolore dont il a la charge pour asseoir son pouvoir personnel34. Le vice-président de Brinon, nommé en novembre 1940 délégué dans les territoires occupés avec rang d’ambassadeur, prend, en avril 1942, rang de secrétaire d’État. De manière plus éphémère, les anciens ministres sous la III^e République membres du comité directeur Charles Pomaret, député de la Lozère, et François Piétri, député de Corse, occupent encore respectivement le porte-feuille du Travail du 27 juin au 12 juillet 1940 et des Communications de juillet à septembre 1940. D’autres accèdent, comme de Brinon, au rang d’ambassadeurs. C’est le cas du président Scapini, chargé dès le mois d’août 1940 de « traiter avec le gouvernement allemand les questions relatives aux prisonniers de guerre ». Les membres du comité directeur Gaston Henry-Haye, sénateur-maire de Versailles, et François Piétri, après son départ du gouvernement, sont nommés ambassadeurs en 1940, respectivement à Washington en août et à Madrid en octobre, et restent fidèles au régime jusqu’à la fin. Dans le pseudo-parlement de Vichy constitué en janvier 1941, le Conseil national, on ne trouve que quatre administrateurs du Comité France-Allemagne, trois députés – dont Eugène Frot qui avait soutenu le Front populaire mais se retire en novembre 1941 – et le vice-président Bonvoisin en tant que représentant des caisses d’allocations familiales. Dans la presse, Jean de Pierrefeu dirige la revue Les Cahiers de la Jeune France, qui se veut un « organe de la Révolution nationale » ; Robert Vallery-Radot, déjà cofondateur de la Ligue antimaçonnique de France en 1935, assure la rédaction d’un journal dans la même veine. Outre ceux déjà membres du PPF, ils sont deux au moins à adhérer à un autre parti collaborationniste, le Rassemblement national populaire de Marcel Déat : le trésorier de Chappedelaine, venu des Camarades du feu, un groupe dissident des Croix de feu, et l’ancien commandant d’aviation membre du comité directeur André Langeron. Le premier a fait valoir ses réseaux accumulés au Comité pour être réembauché en septembre 1940 par la BNCI à un rang plus élevé de fondé de pouvoirs chargé, de son propre aveu, de défendre les intérêts de la banque auprès des autorités allemandes35. Langeron est, lui, appelé en mars 1944 aux fonctions de commissaire général à l’entraide sociale dans le nouveau cabinet du ministre du Travail Marcel Déat36, avec lequel l’intéressé prétend avoir rompu dès le mois suivant avant d’avoir été effectivement nommé37. Encore plus compromettant, ils sont au moins six administrateurs du Comité connus pour s’être engagés dans ce qui apparaît largement comme son prolongement, le Groupe Collaboration fondé en 1941 et présidé par un nouveau venu, l’écrivain Alphonse de Chateaubriant38. Jean Weiland, très lié à Abetz, en est le vice-président directeur général et le principal animateur. Le viceprésident Ernest Fourneau est responsable de la section scientifique et le compositeur Florent Schmitt co-président d’honneur de la section musicale. Les écrivains Pierre Benoit et Drieu la Rochelle, ainsi que le marquis de Polignac, sont membres du comité d’honneur.

18En sens inverse, ils ne sont que quelques-uns en mesure de faire valoir des titres de résistance. L’éphémère premier président Lhopital, qui aurait, selon les versions, en mars 1936 été débarqué par les Allemands pour s’être livré lors de la première sortie du Comité en Allemagne dans un cinéma à des attouchements sur un jeune soldat allemand39 ou démissionné à la suite de la remilitarisation de la Rhénanie, a été le plus engagé : « chef d’un réseau de résistance », il a été arrêté et déporté par les Allemands à Paris dès – janvier ou août selon les sources – 1942 ; il est libéré en avril 1945 au camp de Buchenwald40. Après la guerre, bien qu’il soit connu de la police judiciaire pour des « mœurs dissolues » qui lui ont valu une arrestation par la brigade mondaine en mai 1946 aux bains de Penthièvre à Paris41, ses titres de résistance lui valent d’accéder en 1957 au sommet de la hiérarchie de la Légion d’honneur en 1957 comme Grand’Croix. Le responsable alsacien de l’UNC Albert Geis, réfugié en Dordogne, y devient le chef du réseau Mithridate ; il obtient la médaille de la Résistance dès avril 1944. Léon Noël, éphémère prédécesseur de Brinon comme délégué général en zone occupée, a démissionné dès le 19-20 juillet 1940 par refus de suivre Laval dans la collaboration, mais il reste partisan de la Révolution nationale42. Assurant son indépendance financière comme administrateur de sociétés, il bascule dans la Résistance vers 1941-1942, tout en gardant la confiance de Pétain qui l’envisage comme successeur43. Le trésorier Yvon Gouet, alors chef de section au service de l’artisanat du ministère de la Production industrielle, est arrêté en juin 1943 à son bureau par des policiers allemands pour avoir défendu ses subordonnés eux-mêmes arrêtés pour confection de fausses cartes d’identité et détention de tracts gaullistes, sans qu’il soit apparemment au courant44. Il est détenu un temps à la prison de Fresnes, mais pas déporté.

Un engagement qui se paie plus ou moins cher à la Libération

19À la Libération, nombreux sont les membres du Comité France-Allemagne à avoir de gros ennuis pour leur engagement sous l’Occupation. Tous ceux ayant exercé des responsabilités ministérielles ou équivalentes sont envoyés devant la Haute Cour. Dans le cas de Pomaret, où elles ont été éphémères, avant le vote des pleins pouvoirs, les poursuites sont rapidement abandonnées. En revanche, François Piétri, en fuite, est condamné par contumace à cinq ans de dégradation nationale également comme ambassadeur en Espagne. La sanction est levée est en 1950, mais il ne retrouve pas de mandats politiques, même locaux, jusqu’à sa mort en 1956. Benoist-Méchin et de Brinon sont tous deux condamnés à mort. Le premier est gracié par le président Vincent Auriol et, par le jeu de remise de peines successives, libéré en 1954. Le second est fusillé en avril 1947, un mois après sa condamnation. Scapini, réfugié en Suisse, est condamné en 1949 par contumace à cinq ans de travaux forcés par la cour de justice de la Seine. De retour en 1952 pour se constituer prisonnier, il est acquitté par le tribunal militaire de Paris.

20L’ancien sénateur-maire de Versailles et ambassadeur à Washington Henry-Haye échappe, lui, à des poursuites après plusieurs années d’exil, mais il ne joue plus aucun rôle politique ensuite. C’est le cas de manière générale de tous les parlementaires du Comité qui avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain. Aucun n’a de titre de résistance à faire valoir susceptible de faire lever leur inéligibilité par le jury d’honneur présidé par René Cassin. Celui-ci relève ainsi pour Jean Montigny qu’« il est de notoriété publique qu [’il] a prêté, de façon constante, son concours le plus actif à la politique antinationale et pro-allemande du pseudo-gouvernement de Vichy ; qu’il a pris la fuite pour échapper aux poursuites judiciaires intentées contre lui45 ». Jean Desbons se voit, lui, reprocher d’avoir prêté son concours à la mission Scapini sur les prisonniers de guerre, Pierre Béranger d’avoir « publié dans le journal Les Nouveaux Temps des articles dans lesquels il se montrait un partisan résolu de la politique de collaboration46 ». Léon Baréty obtient néanmoins, après un recours devant le Conseil d’État, un réexamen en octobre 1947. Le jury, présidé par René Cassin, prend, cette fois-ci, en considération « les faits et documents produits par M. Baréty sur l’attitude qu’il a prise dès 1941 à l’égard du gouvernement de fait et sur l’aide continue qu’il a apportée, à ses risques, tant aux persécutés qu’aux résistants organisés » pour lever l’inéligibilité47. Président ensuite de l’Union des intellectuels indépendants, il milite en faveur de l’amnistie des épurés. À nouveau candidat aux législatives en 1956, il est battu par le poujadiste Jean-Marie Le Pen. De son côté, Renaitour, non sanctionné pour ne pas avoir pris part au vote, doit se contenter d’un mandat de conseiller général de l’Yonne retrouvé en 1955. Il faut dire que, compromis sous l’Occupation pour ses publications dans des journaux collaborationnistes comme L’Œuvre de Marcel Déat ou Les Nouveaux Temps de Jean Luchaire, il est arrêté début 1945 et renvoyé devant la cour de justice de la Seine, qui l’acquitte pour sa participation aux combats de la Libération dans les Forces françaises de l’Intérieur. En revanche, de Chambrun bénéficie d’avoir fait partie des quatre-vingts, il est nommé à la Libération membre de l’Assemblée consultative provisoire, qui siège au Palais du Luxembourg pour préparer les nouvelles institutions françaises. Mais, âgé de 80 ans, il ne se représente plus ensuite à des élections.

21D’autres administrateurs du Comité France-Allemagne sont poursuivis à la Libération. Le conseiller municipal de Paris membre du comité directeur Jean de Castellane, accusé d’avoir reçu chez lui sous l’Occupation de Brinon et Abetz, est arrêté en septembre 1944, transféré à l’hôpital, assigné à résidence à son domicile en janvier 1945 en raison de son « grand âge » (76 ans) avant que les poursuites ne soient abandonnées en novembre suivant. Alors que l’intéressé prétend que ses relations incriminées n’avaient aucun caractère politique, le directeur du cabinet du général de Gaulle, Gaston Palewski, était intervenu en faveur de son transfert à l’infirmerie de manière très paradoxale : « quelque mépris que j’ai pour Jean de Castellane, qui n’avait fait aucune intervention pour son frère au moment où ce dernier était emprisonné par les Allemands, je crois que ce geste de bonne administration pénitentiaire s’impose » dans la mesure où il serait « condamné à mort s’il reste au dépôt48 ». Langeron, inquiété par le comité de Libération du 6^e arrondissement, échappe à des poursuites, après s’être défendu d’avoir « collaboré avec l’ennemi » : il aurait « simplement considéré avec bien d’autres Français qu’il fallait tout de même administrer la France dans l’attente de la décision de la guerre49 ». Son camarade du RNP de Chappedelaine s’en sort moins bien : arrêté et détenu à deux reprises à la Libération, il est condamné en juin 1946 à la chambre civique de la Seine à la dégradation nationale à vie pour son appartenance au MSR. Il est cependant relaxé du chef d’inculpation d’intelligence avec l’ennemi : les nombreux témoignages qui font état de ses relations étroites avec Abetz notamment et de son admiration fanatique pour le régime nazi sont contre-balancés par d’autres qui font état des démarches qu’il a effectuées avec succès auprès des autorités allemandes en faveur de personnes poursuivies, l’un n’empêchant pas l’autre, au contraire … Amnistié, il retrouve une situation comme directeur de la Banque libanaise pour le commerce.

22Les membres du groupe Collaboration sont particulièrement visés par l’épuration. Pierre Drieu la Rochelle se suicide en mars 1945 alors qu’il était sur le point d’être arrêté. Pierre Benoit, arrêté en septembre 1944, est condamné à deux ans d’interdiction de publication par la cour de justice de la Seine50. Le directeur général Jean Weiland, qui « a quitté Paris avec sa femme dans une voiture de l’ambassade d’Allemagne quelques jours avant la Libération51 », est condamné en 1951 à cinq ans de réclusion par le tribunal militaire de Paris. Le professeur de pharmacie Ernest Fourneau est arrêté et détenu trois mois avant de bénéficier d’un non-lieu. Les poursuites contre le compositeur Florent Schmitt sont également abandonnées, mais il est sanctionné d’une année d’interdiction d’exercer son activité dans le cadre de l’épuration professionnelle. L’infamie de la collaboration le poursuit bien après sa mort en 1958. En 2004, le lycée qui portait son nom dans sa ville de Saint-Cloud est débaptisé par le conseil régional d’Île-de-France après la révélation de son passé52.

23Rares sont les administrateurs du Comité France-Allemagne à sortir indemnes de la période Vichy et à continuer sans encombre leur carrière dans l’après-guerre. Le vice-président Gustave Bonvoisin, qui a échappé à des poursuites malgré un rapport de police qui souligne en mars 1945 ses sentiments pro-allemands53, voit sa caisse privée d’allocations familiales disparaître avec leur nationalisation. Il se recase à la fédération mutualiste du clergé et dans la presse catholique54. L’administrateur Raoul Dautry, qui avait quitté à temps le ministère de l’Armement le 16 juin 1940 et s’est retiré de la vie politique sous l’Occupation, est nommé ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme à la Libération. Léon Noël, rallié au général de Gaulle, échoue à obtenir la vice-présidence du Conseil d’État ou le secrétariat général du quai d’Orsay qu’il convoitait, parce qu’il serait trop marqué comme signataire de l’armistice55. Élu député RPF en 1951, il doit attendre le retour du général de Gaulle au pouvoir pour obtenir un poste prestigieux, celui de premier président du nouveau Conseil constitutionnel. Parmi les représentants des fédérations d’anciens combattants, les deux présidents Goy et Pichot sont décédés respectivement en 1944 et 1945 ; les autres retombent, avec la perte d’influence de ces associations, dans l’anonymat.

24On ne relève aucun membre du réseau France-Allemagne à continuer à jouer un rôle dans les relations franco-allemandes, notamment commerciales, de l’après-guerre. Leurs ressources centrées sur le réseau von Ribbentrop-Abetz, fort efficaces sous l’Occupation surtout pour obtenir des faveurs politiques, sont démonétisées ensuite… Ils avaient fréquenté des élites nazies souvent éphémères, pas les celles plus pérennes de l’administration ou des affaires…

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25Le Comité France-Allemagne a clairement été une entreprise de collaboration avec l’Allemagne nazie. Il a favorisé l’accueil et l’expression en France de nombreux dignitaires du régime. Par l’organisation de voyages et d’échanges, il a contribué à renforcer les liens entre les élites des deux pays. Sous couvert de rapprochement franco-allemand, il n’a cautionné qu’une Allemagne, ignorant totalement les mouvements d’opposition et les persécutions dont ils pouvaient faire l’objet. Les exilés allemands, nombreux en France, n’ont jamais trouvé de cadre pour s’y exprimer. Au contraire, le comité visait clairement à contrebalancer l’image négative qu’ils pouvaient donner de l’Allemagne. Pourtant, si le comité allemand ne rassemblait que des militants et organisations nazis, son homologue français reflétait une certaine pluralité politique. Si tous ne sont pas devenus, comme Scapini ou de Brinon, de grandes figures de la collaboration d’État sous Vichy, ils ont en commun d’avoir trouvé, en ignorant leurs crimes, les nazis fréquentables, pour sauver une paix qui s’est avérée une paix allemande. Au passage, ils se sont constitués autour d’Otto Abetz un réseau de relations souvent très profitable sous l’Occupation, même s’il s’est avéré encombrant ensuite. On n’est pas obligé de partager l’indulgence ironique dont fait preuve L’Action française de Charles Maurras à leur égard en 1937 : « Nous ne disons pas que les personnages du comité France-Allemagne sont des traîtres. Le désintéressement de la plupart d’entre eux est certain. Nous serons donc indulgents et les qualifierons seulement de crétins56. »

26Dans l’alternative historiographique évoquée au début entre Philippe Burrin et Annie Lacroix-Riz, on pourrait dire, sans faire preuve d’œcuménisme excessif, que les deux ont raison de manière complémentaire. Si, comme le dit le premier, les dirigeants du Comité sont des notables plutôt modérés, dans un spectre politique qui va de la droite au centre-gauche, tous ont en commun, sans être nécessairement des admirateurs de Hitler comme le suggère la seconde, une complaisance voire un aveuglement à son égard qui les amène souvent dans la collaboration active sous Vichy. Le pluralisme apparent du Comité ne s’explique que par le caractère secondaire de la politique allemande dans la définition des clivages partisans à l’époque. En phase avec les mouvements d’anciens combattants, il rassemble l’essentiel des tenants de la paix à tout prix dans les différents partis.