Chapitre IX. Les célibataires face à la mort

p. 215-234


Texte intégral

1Dans les ouvrages des généalogistes des xviie et xviiie siècles, les lignes consacrées aux célibataires sont bien courtes et s’achèvent sur les expressions « mort sans alliance » ou « mort sans postérité ». Les hommes mariés sont, eux, gratifiés d’une première description succincte qui se termine par « qui suit » ou « voir postérité p. x », puis d’un véritable paragraphe qui précède la liste de leur descendance. Un inégal traitement est donc visible sur le papier : la formulation lapidaire adjointe aux célibataires donne l’impression d’un défaut de mémoire, d’un effacement de ces vies dont nous savons pourtant qu’elles ne sont ni solitaires, ni silencieuses. La mort des « sans alliance » interroge donc la transmission, pas seulement du patrimoine, mais aussi du souvenir. Les devoirs rendus aux défuntes et aux défunts sont traditionnellement le fait des enfants et petits-enfants, qu’il s’agisse de la participation au convoi funéraire ou du port du deuil1. Les célibataires, privés de ce lien, ne sont pas pour autant privés de parentèle ; des neveux et nièces, des frères et sœurs, parfois des ascendantes et ascendants, qui ont ou vont bénéficier de leurs biens et qui sont priés de ne pas les oublier. De plus, ils ne sont pas seuls à être dépourvus de descendance puisque certains couples restent inféconds ou bien survivent à leur progéniture. Ainsi, il convient d’analyser le rapport des célibataires à leur propre disparition : une angoisse est-elle davantage perceptible dans leurs volontés testamentaires ? Le thème classique du souvenir (« pour qu’ils se souviennent de moi en leurs prières », « pour qu’ils n’oublient de prier pour le repos de mon âme », etc.) revient-il plus souvent sous leurs plumes ?

2Testaments et codicilles serviront de supports à ces questions. En suivant leur organisation classique, nous observerons d’abord le choix du lieu de sépulture2. Ce dernier apparaît traditionnellement en deuxième position, après la formule consacrée de demande d’intercession et de réception au paradis. Viendront ensuite les commandes de messes et, enfin, les legs particuliers. Dans ce dernier cas, nous porterons une attention particulière aux objets et à la signification plurielle que peuvent revêtir de tels dons.

Choisir sa sépulture

3Pour étudier cette question de la sépulture, nous nous sommes appuyée sur 52 testaments, rédigés entre 1571 et 1755. Il sera donc nécessaire de prendre en considération les évolutions qui ont touché l’écriture testamentaire au cours de l’Ancien Régime. Parmi ces 52 actes, 16 sont le fait de célibataires (5 filles majeures, 1 abbesse, 5 prélats et 5 hommes laïques) et 36 proviennent d’individus mariés (18 femmes dont 7 ne laissent pas de postérité, 18 hommes dont 4 meurent sans descendance). Ce à quoi nous pouvons ajouter 4 actes d’inhumation (deux pères, un homme célibataire et une veuve sans enfants), ainsi que des informations glanées dans ces mêmes testaments (mention d’un tombeau familial ou de la sépulture d’un autre membre de la famille). Cinq hommes et une femme seulement n’ont pas précisé de lieu d’inhumation. Ce chiffre faible (11,5 % de nos testaments) rejoint les travaux de Pierre Chaunu (82,3 % des 199 testaments de son étude indiquent une sépulture)3. Sauf preuve contraire, nous partons du principe que les volontés d’inhumation ont été respectées comme c’est très majoritairement le cas et surtout dans la noblesse4.

4La comparaison des testaments, selon qu’ils sont produits par des hommes ou des femmes, des célibataires ou des individus mariés, permet de constater des tendances. Il convient alors de se demander quelle est la part de conformisme ou de décision individuelle qui préside aux dernières volontés en matière d’inhumation.

La sépulture des individus mariés : question de genre, question de postérité

5Parmi les 18 épouses ayant rédigé un testament, 9 font la demande expresse d’être enterrée auprès de leur mari (quand celui-ci est déjà décédé) ou dans la terre qui accueillera son corps. La clause testamentaire la plus lyrique revient à Louise-Marie de La Grange d’Arquien qui demande le transport du corps de son époux, depuis Selles jusqu’au couvent des Capucines, pour que « leurs cendres soient unies comme leurs corps l’ont été de leur vivant ». Cette dernière semble avoir particulièrement aimé son mari, au point de faire l’objet des railleries de Mme de Sévigné5. Toutefois, cette apparente soumission à l’amour conjugal est aussi une façon de soustraire le corps de son mari à la terre de Selles, possession des Béthune. Certaines veuves intègrent même au tombeau familial de leur propre maison la dépouille de leur époux défunt. C’est le cas de Louise-Madeleine de Harlay qui précise qu’elle veut être inhumée « dans la chapelle de [ses] pères », ou encore de Charlotte Séguier. Cette dernière indique, plus loin dans son testament, que le carmel de Pontoise a accueilli les corps de son père et de sa mère, chancelier et chancelière Séguier. Le couvent est également le lieu d’inhumation de sa tante Jeanne Séguier, et de sa fille aînée, Madeleine de Béthune. Il est tout à fait significatif que Charlotte Séguier ait choisi cet endroit : le carmel de Pontoise représente à la fois l’engagement tridentin des Séguier et l’ascension sociale de cette famille de la robe. Les femmes rejoignent donc, en général, leur mari au sépulcre6. Il est certain qu’une réalité démographique s’exprime car les époux décèdent souvent avant leur épouse. Certaines femmes demandent même à être inhumées avec leur mari alors que ce dernier s’apprête à leur survivre. De telles formulations sont plus rares sous la plume d’un homme. Sur les 18 testaments de maris, deux hommes s’en remettent à leur épouse pour le choix de leur dernière demeure (sans préciser toutefois que celle-ci devra leur être commune) et deux autres précisent qu’ils veulent être enterrés auprès d’elle.

6De manière bien plus majoritaire, les hommes mariés réclament d’être inhumés auprès de leurs ancêtres, selon une logique patrilinéaire. Ils sont parfois eux-mêmes créateurs d’une chapelle familiale et se posent ainsi en ancêtre référent. Les 10 testaments ou actes d’inhumation qui témoignent de cet attrait pour la terre du patrilignage émanent d’homme pourvu d’une descendance. Avant d’être des époux, ces hommes sont donc principalement des créateurs ou des continuateurs de lignée. Ainsi de Philippe de Béthune, seigneur de la terre de Selles (qui baptise sa lignée), qui fait l’acquisition d’une portion de jardin dans l’abbaye de Selles7. Ce jardin accueille la chapelle familiale de sa branche, notamment parce que son fils aîné Hippolyte l’y rejoint8. Toutefois, il convient de se demander qui peut prétendre à ce type d’enterrement collectif. Prenons l’exemple de la chapelle érigée par la branche aînée des Harlay à Beaumont-en-Gâtinais. Ce tombeau accueille la dépouille de Christophe de Harlay (mort en 1573), ainsi que celle de son aîné Achille Ier (mort en 1616)9. Nous n’avons pas retrouvé le testament d’Achille II, fils aîné du précédent, mais Achille III demande à être inhumé à Beaumont « avec ses pères10 ». Selon toute vraisemblance, la chapelle de Beaumont a donc accueilli les corps des fils aînés de la ligne, de génération en génération. Seule exception à la règle, Achille IV a explicitement demandé comme sépulture l’église de sa paroisse. Mais sa fille, dernière survivante du nom et unique enfant de sa génération, a revendiqué sa place dans la chapelle de Beaumont. À côté de ces aînés et de leur épouse ou époux, les autres enfants Harlay de Beaumont n’ont pas bénéficié de la prestigieuse sépulture. Les très nombreuses filles entrées en religion ont été enterrées au sein de leurs couvents respectifs, comme le veulent les règles canoniques. De manière plus étonnante, Charles de Harlay, seigneur de Dollot et frère célibataire d’Achille Ier, ne rejoint pas la chapelle de Beaumont. Lors de la rédaction de son testament, en 1627, ladite chapelle accueille déjà les corps de trois aînés successifs, Christophe, Achille Ier et Christophe II (mort en 1616 comme son père)11. Elle est donc reconnue comme tombeau familial. Charles de Harlay demande quant à lui à être enterré « à Beaumont, au lieu que j’ai montré au sieur Jean Garis12 ». Il est certain qu’il ne fait pas référence à la chapelle des Harlay, connue de tous, comme c’est le cas des tombeaux des lignées nobles au sein des villages13. Charles de Harlay souhaite toutefois inscrire son corps dans la terre qui baptise son lignage et qui a accueilli ses pères, au détriment de la terre qui le baptise lui-même (Dollot).

7Les veuves sans enfants sont également nombreuses à inscrire leur dépouille dans une terre familiale : elles représentent la moitié de notre échantillon. Ainsi de Louise-Françoise de Harlay qui exige, en 1735, que son corps « soit porté dans l’église de Saint Gervais et mis dans la sépulture de [sa] famille14 ». Louise-Françoise a été mariée à 13 ans, veuve à 15, et elle n’a pas eu d’enfants. En regard de ces deux années de vie conjugale, ses 40 ans de veuvage pèsent de manière décisive dans son choix de sépulture. Elle rejoint ses ascendantes et ascendants et, probablement, ses frères et sœurs. L’autre moitié des veuves sans postérité réalise des choix plus disparates : à côté des demandes classiques au profit de l’église paroissiale (2), une femme demande à être enterrée au sein du couvent qu’elle a fondé et une dernière veut être inhumée au cimetière « comme les pauvres ». Ce dernier vœu est extrêmement rare dans la noblesse et reflète l’engagement dévot de la testatrice, Marie-Claude de Harlay15.

8Chez les époux sans enfants (trois testaments), il est frappant de constater la modestie des demandes funéraires. François Le Bouteiller de Senlis, mort sur le champ de bataille, n’a eu le temps que de rédiger un testament militaire. Il n’a pas précisé de lieu d’inhumation mais sa veuve, Marie-Claude de Harlay, s’est chargée de l’enterrer dans une institution liée à la Réforme catholique16. Les deux autres testateurs demandent à être enterrés dans leur paroisse. Eustache de Conflans (frère de la demoiselle d’Armentières) est le dernier mâle de sa ligne, il meurt sans fortune, sans enfants, et doté d’une mauvaise réputation. Un enterrement modeste peut être une preuve de repentir17 ou simplement le fruit d’un pragmatisme pécuniaire. L’exemple d’Hippolyte de Béthune-Chabris, quant à lui, est représentatif des pratiques funéraires de la seconde moitié du xviiie siècle18. En 1751, il élit sépulture dans sa paroisse, ce qui témoigne d’une plus grande simplicité des enterrements et d’un ancrage parisien fort. De plus, le reste de son testament montre un détachement vis-à-vis des établissements religieux. Il ne commande aucune messe et des legs conséquents doivent permettre la fondation de lits dans plusieurs hôpitaux, ainsi que l’emploi d’un maître d’école19. L’objectif est bien d’apporter instruction et soins sur ses terres de Selles et de Chabris, de même qu’aux pauvres de sa paroisse parisienne. Hippolyte de Béthune-Chabris se comporte alors comme nombre de ses semblables : la noblesse éclairée se soucie des affaires provinciales et souhaite apporter de Paris le progrès physiocratique, pédagogique et médical20.

9Nos exemples disparates et peu nombreux ont tout de même un point commun : les hommes mariés sans enfants ne regagnent pas la chapelle de leurs ancêtres. Ils se distinguent des pères de famille, voire du reste de la noblesse qui continue, jusqu’à la fin de l’époque moderne, à faire sa sépulture dans des espaces lignagers21. Il y a donc inversion entre les demandes d’inhumation des épouses sans enfants et celles des époux sans postérité : les premières se rapprochent de leur lignage d’origine ou de leur époux, tandis que les seconds choisissent des tombes solitaires. L’attitude de ces derniers reflète peut-être un aveu d’échec. Un mari sans enfants porte peu d’attention à sa sépulture puisqu’il n’y sera pas rejoint, ayant failli à son rôle reproductif. Les épouses quant à elles, surtout non-mères, sont davantage attachées à leur famille de naissance par le fait même des lois. Elles peuvent rapporter leur dot au moment des successions parentales et cette dernière revient aux père et mère (ou au survivant des deux) en cas de décès sans descendance. La sépulture familiale est donc potentiellement un choix plus aisé à exprimer par une veuve sans enfants que par son homologue masculin.

10Cette étude s’est d’abord intéressée aux individus mariés car leurs comportements apparaissent bien plus normés et régis par des attendus sociaux (liés au genre, à la conjugalité et à la parentalité).

11De manière générale, les testaments de célibataires sont silencieux quant au traitement de la dépouille. Nous n’y avons trouvé aucune indication concernant la veille du corps (tandis que 5 femmes mariées en font la demande), le matériau choisi pour le cercueil (3 cercueils de plomb et 1 de bois pour des individus mariés) ou encore la pratique des tombeaux de cœur22 (4 époux et 6 épouses). Il convient pourtant d’observer les quelques testaments plus prolixes et de voir si d’autres normes sont à l’œuvre dans le choix de sépulture des célibataires.

La sépulture des célibataires : s’ancrer dans le lignage ou revendiquer son autonomie ?

12À l’image de Charles de Harlay Dollot, les hommes célibataires laïques revendiquent majoritairement (4/6) un rapprochement lignager dans la tombe, s’inscrivant dans leur maison pour l’éternité (tableau 23).

Tableau 23. – Des hommes célibataires fidèles à leur maison.

Nom

Lieu d’inhumation

Date

Charles de Harlay

« Je veux être enterré à Beaumont. »

1627

Jacques-François de Lameth

« Son corps a été posé dans la cave au côté droit du grand autel de ladite église de Saint-Maclou, Amiens. »

1691

Armand-François de Bretagne

« Je veux que mon corps soit porté en dépôt à Saint Sulpice où est celui de feu Monsieur d’Avaugour mon père, et que Monsieur le comte de Goello mon frère y fasse aussi porter en dépôt celui de feue Madame d’Avaugour ma mère […] jusqu’à ce qu’ils soient tous trois portés à Clisson, lieu de notre sépulture. »

1728

Maximilien-Henri de La Baume Le Blanc

« Quant au lieu et aux cérémonies de son convoi et enterrement, s’en remet à Monsieur son exécuteur testamentaire [son frère aîné]. »

« Je désire être inhumé dans le tombeau de mes ancêtres, qui est aux Capucines de la place de Vendôme. »

1713

1733

13Jacques-François de Lameth présente en plus la spécificité d’être l’aîné de sa fratrie et donc l’un des substitués à la substitution d’Hénencourt. Il est logique que son corps repose dans la chapelle de ses pères. Armand-François de Bretagne est également un fils aîné. Il choisit de recréer un lien fort avec la terre familiale de Clisson en exigeant de partager sa sépulture avec ses père et mère. Cette terre n’est pourtant pas la plus prestigieuse de la maison de Bretagne, mais le comté de Vertus et la baronnie d’Avaugour ont été écornées par des adjudications judiciaires. Le choix de Clisson n’est pas anodin puisqu’il permet de s’attacher à une seigneurie exempte de dettes et qui appartient également au lignage de longue date. François-Armand de Bretagne s’est occupé toute sa vie des finances de sa maison, il ne s’est pas marié et n’a pas eu d’enfants. Il est donc significatif qu’il réclame de reposer en paix avec ses père et mère. Le choix de Maximilien-Henri de La Baume Le Blanc est également intéressant, d’autant plus qu’il diffère entre son testament (rédigé en 1713) et son codicille (1733)23. En l’espace de vingt ans, sa situation a évolué sur deux points principaux : le roi l’a nommé lieutenant des ville et château d’Amboise (alors qu’il n’avait pas de charge en 1713) et son fils illégitime a survécu aux dangers sanitaires de la petite enfance (il est presque majeur). Lui-même a atteint l’âge avancé de 66 ans. Tous ces éléments rassemblés l’ont sûrement fait reconsidérer son droit à intégrer le prestigieux tombeau de ses ancêtres.

14Parmi les cinq testaments de filles majeures à notre connaissance, celui de Madeleine-Élisabeth de Lameth (1687) ne donne aucune indication concernant l’enterrement de son corps. L’acte est d’ailleurs extrêmement court (à peine un feuillet) et n’offre guère de précision quant au reste des pompes funéraires (convoi, prières, etc.)24. De l’autre côté du spectre, Henriette de Conflans présente un testament extrêmement détaillé, notamment en ce qui concerne ses obsèques25. À ces cinq testaments, on peut ajouter les informations glanées dans les ouvrages généalogiques ou les histoires dédiées à des couvents : neuf sépultures de femmes célibataires peuvent donc être analysées (tableau 24).

Tableau 24. – Les sépultures de filles majeures.

Fille majeure

Volonté concernant l’inhumation

Date

Louise de Béthune, demoiselle de Montmort

« Si elle décède à Paris, en l’église des RP Récollets, au même lieu où est enterrée Mme sa mère, et si elle décède à la campagne, en l’église de la paroisse du lieu où elle décédera. »

1678

Marguerite-Angélique de Bretagne, demoiselle de Champtocé

« Je laisse le soin de ma sépulture, des prières et des frais funéraires à la discrétion de M. d’Avaugour mon frère. »

1683

Madeleine-Élisabeth de Lameth, demoiselle de Baule

Pas de précision

1687

Catherine-Françoise de Bretagne, demoiselle de Vertus

« Son humilité lui a fait choisir sa sépulture dans le cimetière des religieuses [de Port-Royal]. »

1692

Constance de Bretagne, demoiselle de Clisson

« Au couvent des Filles de la Croix du faubourg Saint-Antoine. »

1695

Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières

« En l’église des Jacobins de la rue Saint-Dominique dans le sanctuaire du maître autel du côté de l’évangile. Sur mon corps je veux qu’il soit mis une tombe de marbre blanc, mon nom et mes armes dessus. »

1710

Anne-Agathe de Bretagne, demoiselle d’Avaugour Angélique de Bretagne, demoiselle de Goëllo Catherine-Barthélémie, demoiselle de Châteaulin

« Enterrées toutes trois à Saint-Sulpice. »

1720

15Henriette de Conflans demande à être inhumée dans l’église des Jacobins de la rue Saint-Dominique. S’il s’agit de son église paroissiale, c’est également un lieu situé dans la rue qu’elle habite de longue date et qui l’a vue gagner son indépendance économique et résidentielle. Cette rue est liée au cercle mondain auquel elle a appartenu : Anne de Harville, duchesse d’Orval, et Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, y résident encore au moment du décès d’Henriette. De plus, la rue Saint-Dominique est prisée par la haute noblesse et source d’orgueil pour le curé de Saint-Sulpice26. Henriette de Conflans inscrit donc sa sépulture dans l’un des meilleurs endroits de Paris et y crée un véritable tombeau. Son testament précise que son corps doit être placé dans « une tombe de marbre blanc, [son] nom et [ses] armes dessus ». Une convention passée en août 1713 entre la duchesse du Lude et Michel de Conflans (futur substitué au patrimoine) indique que les volontés de la testatrice ont été respectées27. La plaque de marbre blanc a été commandée au sieur Le Prince pour 450 livres tournois. Ce matériau se rencontre peu dans les testaments de notre corpus. Il est même explicitement refusé, en signe d’humilité, par Achille de Harlay, évêque de Saint-Malo (1646)28. Un tombeau de ce genre est donc révélateur d’une haute estime de la testatrice quant à son passage sur terre. Le choix du marbre, matériau très résistant au passage du temps, témoigne également d’une volonté d’ancrer son souvenir dans les mémoires des vivants ; d’autant qu’elle y fait inscrire son nom et les armes d’une maison qu’elle s’est appliquée à redresser. La sépulture et son emplacement signalent donc la réussite sociale de la demoiselle d’Armentières. Sans compter les autres frais d’inhumation (luminaire, convoi, habits de deuil…), cette sépulture aura coûté à elle seule plus de 1 000 livres tournois.

16De manière moins fastueuse, les trois autres testaments réalisés par des filles majeures témoignent de leur vie célibataire. Ils montrent alors la diversité de ces trajectoires, telle qu’elle se rencontrait déjà à travers la question de la résidence ; la confiance placée en un frère chéri qui a été un véritable compagnon de vie (pour Marguerite-Angélique de Bretagne), la volonté de rejoindre sa mère et de recomposer le foyer de l’enfance (pour Louise de Béthune) ou encore le choix d’un couvent (Constance de Bretagne). Ce dernier choix est assez courant, sans être non plus majoritaire. Il s’explique par le milieu social de ces femmes – la noblesse est prompte à élire des sépultures conventuelles – ainsi que par la pratique du logement locatif dans ces mêmes abbayes. Catherine-Françoise de Bretagne a quitté la duchesse de Longueville pour se retirer à Port-Royal où elle décède presque vingt ans plus tard29. Elle retrouve d’ailleurs dans la tombe Anne-Geneviève de Bourbon car cette dernière, morte en 1679, a partagé son corps et son cœur entre le Carmel du faubourg Saint-Jacques et l’abbaye janséniste30. Enfin, certaines filles majeures sont enterrées dans leur église paroissiale. En cela, elles ne se distinguent guère des pratiques de leur temps, mais adoptent une plus grande sobriété que le reste de la noblesse.

17Le choix de sépulture reflète donc des attendus sociaux. Certains individus ont des tombes toutes trouvées, ou plutôt acquises par leur statut d’aîné ou bien d’époux ou d’épouse. Les chapelles familiales font la renommée des couvents parisiens ou sont construites et perfectionnées à l’intérieur des châteaux provinciaux. Autant de privilèges qui sont l’apanage de la noblesse. Néanmoins ces tombeaux collectifs n’accueillent pas tous les membres du lignage. Qu’ils s’en extraient d’eux-mêmes ou qu’ils ne soient pas bienvenus, certains individus élisent des sépultures solitaires ou rejoignent un parent ou une parente privilégiés dans des tombes plus modestes. Face à ce choix funéraire, célibat ou défaut de postérité ne touche pas les hommes et les femmes de la même façon. Les hommes célibataires laïques adoptent souvent des comportements similaires à leurs confrères mariés, ce qui rejoint nos observations quant à leur sexualité ; un mimétisme s’est établi entre époux et célibataires. À l’inverse, les filles majeures expriment des souhaits plus variés. Il est difficile de lire une logique commune entre leurs testaments. Sans voie toute tracée, les femmes célibataires expriment des souhaits funéraires allant du faste à la plus grande modestie. De manière étonnante, elles adoptent un comportement proche de celui des époux sans enfants. Cette ressemblance témoigne peut-être de l’autonomie juridique, économique et parfois géographique acquise par les filles majeures.

18Après s’être chargé de l’emplacement de sa dépouille, le testateur ou la testatrice organise les messes qui devront commémorer sa vie et aider son âme dans la mort. Observons si de nouvelles distinctions s’expriment selon le statut et le genre des individus.

Organiser l’au-delà : « Priez pour le repos de mon âme et la mémoire de moi »

19Dans les testaments, il est très fréquent de rencontrer des formules du type « pour qu’ils se souviennent de prier pour le repos de mon âme » ou bien « afin qu’ils aient mémoire de moi en leurs prières ». Il s’agit alors de la création de legs qui appellent naturellement une condition, une réciprocité. Ces donations s’adressent parfois à des individus et, le plus souvent, à des couvents ou des églises (paroissiales ou hospitalières) : les fondations de messes et les legs pieux représentent un passage quasi obligé de l’architecture testamentaire31. Nous choisissons de nous arrêter sur le temps du testament pour délivrer un instantané des considérations pieuses et salvifiques de celui ou celle qui prépare son trépas. Tout en ayant en tête les débats qui entourent ce type de source et poussent à la prudence interprétative32, nous souhaitons suivre la conception de Pierre Chaunu : le testament peut être étudié en tant que « pensée sur la mort ».

20Les demandes de messes permettent également d’étudier l’écriture testamentaire comme « pesée de la mort » ou « comptabilité de l’Au-Delà33 ». Perpétuelles, annuelles ou à célébrer « le plus tôt que faire ce pourra », les différentes messes n’ont pas le même objectif. Il semble se dessiner une hiérarchie du souvenir et une pragmatique des prières qu’il convient d’analyser.

Une pragmatique des prières

21Toutes catégories confondues, rares sont les testateurs et testatrices qui omettent le passage obligé que représentent les commandes de messes. Cinq individus n’en font pas même mention, dont seulement 1 femme (mariée et mère). Trois autres s’en remettent à leur exécuteur testamentaire : 2 hommes font appel à leur épouse, 1 fille majeure place sa confiance en son frère (il s’agit, là encore, de Marguerite-Angélique de Bretagne). Néanmoins, 39 testaments accordent une importance au nombre de messes, à la qualité de ces dernières et à leur répartition dans différents lieux saints. Parmi ceux-ci, 8 sont le fait de célibataires laïques (4 hommes et 4 femmes), 17 proviennent d’individus mariés et parents (9 femmes et 8 hommes), 9 d’individus mariés sans postérité (2 hommes et 7 femmes) et les 5 grands prélats sont tous fidèles à cette pratique testamentaire.

22Le tableau 25 expose les demandes de messes formulées par chaque catégorie. Précisons qu’un annuel représente les messes journalières célébrées tout au long de l’année de décès ; il s’achève théoriquement au jour anniversaire de la mort du défunt ou de la défunte. Le tableau donne également à voir les « combinaisons » créées par certains testaments, c’est-à-dire le souhait d’un individu de cumuler différents types de messes. Plusieurs éléments se dégagent de ce tableau. Le premier est l’intérêt médiocre porté par les individus mariés et parents aux messes perpétuelles, tandis que ces dernières sont réclamées par un tiers voire la moitié des autres testaments.

Tableau 25. – Les demandes explicites de messes selon les catégories.

Nombre de testaments/catégorie

Messes perpétuelles

Annuels

« Le plus tôt que faire ce pourra »

Combinaisons

17 époux/épouses

4/17

8/17

12/17

Combinaison des 3 : 0

Perpétuelle et annuel : 1

Perpétuelle et immédiat : 2

Annuel et immédiat : 4

9 époux/épouses sans postérité

3/9

4/9

7/9

Combinaison des 3 : 0

Perpétuelle et annuel : 1

Perpétuelle et immédiat : 2

Annuel et immédiat : 2

8 célibataires laïques

3/8

3/8

7/8

Combinaison des 3 : 1

Perpétuelle et annuel : 0

Perpétuelle et immédiat : 1

Annuel et immédiat : 2

5 ecclésiastiques

3/5

1/5

2/5

Combinaison des 3 : 0

Perpétuelle et annuel : 0

Perpétuelle et immédiat : 0

Annuel et immédiat : 1

Les messes perpétuelles

23Treize testaments formulent une demande de messe perpétuelle, dont 5 réalisés par des femmes et 8 par des hommes. En proportion, les ecclésiastiques sont les plus nombreux à faire ce genre de fondation et les sommes qu’ils y allouent sont également bien plus importantes. Ainsi d’Armand de Béthune, évêque du Puy, qui souhaite que soient célébrées en son nom quatre messes basses respectivement le lendemain des quatre grandes fêtes chrétiennes, et ce à perpétuité. Elles devront être dites au couvent du Refuge du Puy dont il est le fondateur. Le couvent reçoit alors 20 000 livres tournois et tous les bâtiments qui le composent, acquis des deniers de l’évêque34. Les messes perpétuelles commandées par les grands prélats ont un double objectif : elles témoignent du sérieux de leur engagement tridentin et ancrent leur mémoire dans les lieux de leur sacerdoce. En cela, le testament d’Armand de Béthune présente un évêque appliqué à suivre les préceptes de la Réforme catholique, en premier lieu desquels la résidence au sein du diocèse. Armand de Béthune demande notamment à être enterré « dans l’église des religieuses du Refuge du Puy, sous le second reliquaire à gauche35 », preuve qu’il connaît l’organisation spatiale de cette église. Les sources se rejoignent pour faire de cet évêque un prélat zélé. Ses épistoliers reconnaissent qu’il veille « si fort au bien de son diocèse36 ». Cela passe notamment par l’entretien et l’ornement des bâtiments religieux, à l’image d’une commande de huit bas-reliefs pour l’autel de l’église du Puy (pour la somme de 18 311 livres tournois) ou de l’acquisition de huit corps de logis pour le couvent du Refuge37. Le testament d’Armand de Béthune témoigne à nouveau de son implication locale : 1 000 livres tournois doivent revenir aux deux hôpitaux de la ville du Puy, 2 000 au chapitre de l’église cathédrale, des pensions sont créées pour la supérieure du Refuge ainsi que pour l’abbesse des Ursulines. Après avoir passé quarante ans de sa vie au Puy, où il s’est montré assidu à son épiscopat, Armand de Béthune crée des services perpétuels qui ponctueront l’année liturgique du diocèse. Sa mémoire doit s’enraciner et être célébrée par le clergé et les membres de la paroisse du lieu qu’il a chéri et gouverné avec soin.

24De manière intéressante, les messes perpétuelles sont également commandées par près de la moitié des individus laïques n’ayant pas laissé de postérité, qu’ils soient mariés ou célibataires, hommes ou femmes. La somme la plus importante est déboursée par Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, qui fait don d’une rente au principal de 15 674 livres tournois pour créer une messe quotidienne à perpétuité au carmel de Pontoise (couvent qui doit accueillir son corps). Les messes perpétuelles coûtent plus volontiers 3 000 livres tournois (si elles sont hebdomadaires) et peuvent revenir à 100-150 livres tournois quand elles sont annuelles et qu’elles se tiennent dans des églises de campagne38. Cette somme se retrouve dans le testament d’Henriette de Conflans qui donne 100 livres tournois à « chacune des paroisses dont [elle est] dame » pour célébrer une messe anniversaire de son décès39. Elle se rencontre également dans un codicille de Pierre de Villepaux qui demande à six paroisses près de Calais de célébrer une messe annuelle en son honneur, en l’échange de 150 livres tournois40. Ces fondations perpétuelles ne représentent donc pas un gouffre financier. Testatrices et testateurs commandent de telles messes pour leur lieu de sépulture ou pour les terres qui symbolisent le pouvoir qu’ils ont détenu de leur vivant. Ces deux cas de figure n’ont pas la même fonction. Assurer des prières perpétuelles au lieu d’inhumation est une façon d’accompagner l’âme au purgatoire, puis de là au paradis : « celles [les prières] dites en présence du “corps mort” sont conçues comme plus efficaces41 ». Les religieuses remplacent donc, à perpétuité, une descendance inexistante et assurent la protection du corps et de l’âme des défuntes et défunts jusqu’au jugement dernier. Dans le cas de Marguerite-Louise de Béthune (qui n’est pas isolé), le couvent est également lié à une histoire familiale et accueille d’autres sépultures du lignage. Commander des prières en un tel lieu permet donc de réactiver le souvenir des autres morts de la famille. Quant aux messes à célébrer dans une pluralité de lieux, comme c’est le cas d’Henriette de Conflans et Pierre de Villepaux, elles permettent de démultiplier les intercesseurs tout en forgeant un souvenir de noblesse et de pouvoir. Ces lieux rappellent qu’Henriette fut la « dame » de plusieurs paroisses et qu’elle a sauvé ce patrimoine, et que Pierre a mené une belle carrière militaire dans le nord du royaume (à Hesdin) où il a été nommé lieutenant du roi.

25Toutefois, si les messes perpétuelles représentent une part non négligeable des commandes testamentaires, les services les plus demandés sont ceux à réaliser « incontinent après le décès ». Avec les annuels, ces messes immédiates font partie de ce que Michel Vovelle appelle les « messes de détail42 », autrement dit toutes celles qui ne sont pas commandées à titre perpétuel. Cette immédiateté témoigne des inclinations du temps : les fondations dans la durée sont de moins en moins nombreuses au fil de l’Ancien Régime43. Elle est peut-être aussi le fruit d’une réflexion pragmatique sur la difficile faisabilité des créations perpétuelles. Mieux vaut commander un certain nombre de messes le jour de sa mort ou dans l’année de son décès, pour s’assurer de leur bonne tenue et des prières de ses proches.

Messes de détail et multiplication des lieux de prières

26Sur 39 testaments, 28 réclament des messes de détail. La proportion est impressionnante si l’on regarde les actes des célibataires laïques (7/8 soit 87,5 %) et ceux des individus mariés sans postérité (7/9 soit 78 %). En revanche, une distinction se fait entre ces deux catégories : tandis que les célibataires commandent en moyenne 1 000 messes immédiates, se rapprochant du comportement des épouses et époux pères et mères, les individus mariés sans descendance en commandent deux fois moins. Toutefois, il est possible que ces chiffres aient une valeur proprement symbolique44, surtout quand aucune somme ne leur est associée comme c’est souvent le cas.

27Il est certain que les testateurs et testatrices tentent, à travers une quantité démesurée de messes, de s’adjoindre des intercesseurs nombreux et divers. En cela, nous n’observons pas vraiment de différence entre les catégories. Célibataires ou individus mariés adoptent ce comportement, ancré dans une éducation chrétienne partagée par tous et toutes. En immense majorité, les messes de détail sont commandées à des couvents, la plupart parisiens mais certains situés dans les terres seigneuriales ou d’autres villes du royaume. Sans surprise, les plus sollicités sont ceux des ordres mendiants avec une préférence marquée pour les Capucins (10 testaments les mentionnent) et les Minimes de la place Royale45. Le couvent de l’Ave Maria a la faveur des femmes (5 d’entre elles y font appel, dont 2 filles majeures, contre un seul homme), de même que différents carmels (ceux du faubourg Saint-Jacques, de Pontoise et de Chartres). Chaque testament témoignant de spécificités, la plupart des établissements ne reviennent pas d’un acte à l’autre. En cela, conformisme et individualité coexistent. Les couvents sollicités sont liés à l’histoire familiale ou personnelle, au choix du lieu d’inhumation ou au lien entretenu avec une paroisse durant sa vie. Parmi celles et ceux qui commandent des messes de détail, rares sont les individus à ne pas préciser les lieux de célébration (5/28 indiquent uniquement le nombre de messes souhaitées). Les trois testaments les plus prolixes à ce sujet ont été réalisés par Claude de Lameth-Bouchavannes (veuve sans enfants morte en 1671), Louise de Béthune (fille majeure décédée en 1679) et Pierre de Villepaux (mort célibataire en 1751). La première détaille onze établissements avec une précision d’apothicaire : 500 messes basses de requiem seront célébrées, le plus tôt possible, dont 50 dans chacun des quatre couvents mendiants de Paris, 50 aux capucins de la rue Saint-Honoré, 100 aux religieux de Picpus, 50 aux religieux du Petit Saint-Antoine, 25 à l’église Saint Gervais (sa paroisse), 25 à l’église Notre-Dame, 25 au couvent du Saint-Esprit et 25 aux religieux de Belleville. Claude de Lameth, fondatrice du couvent du Bon Secours, démontre ainsi son ancrage parisien et son engagement tridentin46. Aucune des terres picardes dont elle est devenue dame par les morts successives de ses frères n’est mentionnée dans son testament. Elle s’est entièrement vouée à l’Église. À l’inverse, Louise de Béthune et Pierre de Villepaux répartissent leurs prières entre Paris et les provinces. La demoiselle de Montmort commande 500 messes dans cinq couvents parisiens (Minimes de la place Royale, Ave Maria, Capucins du Marais, prêtres de Nazareth et Capucins de la rue Saint-Honoré) et 500 autres « à la campagne » (entre Sézanne, Condé et Épernay)47. À ces messes, Louise de Béthune ajoute également un annuel qui devra être célébré à Montmort. Le lieutenant d’Hesdin sollicite exclusivement des établissements parisiens mendiants (Capucins, Récollets, Minimes, Merci et Blancs Manteaux) et commande un service dans six paroisses près de Calais, témoignant à nouveau de son ancrage dans le nord du royaume48.

28Ces trois individus, en plus d’être les plus prolixes en messes immédiates, montrent également une tendance partagée, celle de multiplier les temporalités des célébrations. Nombreux sont les testateurs et testatrices à réaliser des combinaisons entre services le jour du décès, annuels de messes et fondations perpétuelles. Pierre de Villepaux est le seul à faire cette triple requête. À l’autre bout du spectre, un homme célibataire ne demande qu’une seule messe : il s’agit de Marie-Henri de Béthune, le fameux scientifique, ancien capitaine de vaisseau, qui décède presque octogénaire en 1744.

29Notre échantillon, relativement mince mais étiré dans le temps, permet de voir la multiplicité des comportements nobiliaires quant à la commande de messes. Il est difficile de distinguer des attitudes spécifiques à un sexe ou à une catégorie sociale. L’opulence et la variété des clauses de piété se retrouvent aussi bien chez une fille majeure que chez un homme marié et père de famille. De même, la plus grande sobriété peut se lire dans le testament de l’une ou de l’autre. Les évolutions chronologiques constatées par l’historiographie ne s’appliquent pas à notre corpus. On ne peut pas dire que les demandes de messes décroissent à partir des années 1720-1730 ou que les mentions de piété et de charité s’effacent au milieu du xviiie siècle. Les variations sont trop importantes d’un testament à l’autre. En cela, nous rejoignons Mathieu Marraud et Laurence Croq : la noblesse mène sa propre histoire, il est plus difficile d’y repérer le conformisme que les choix individuels49. Les célibataires ne présentent pas un comportement différent du reste de la population nobiliaire. Ou plutôt, chacun et chacune développe une vision individuelle de l’obtention de son salut.

30Les messes ont pour objectif de faire prier les vivants qui doivent aider les âmes à rejoindre le paradis, tout en maintenant le lien avec les disparus. Topos de la littérature chrétienne, la communauté des vivants et des morts est aussi un élément fondamental de la culture lignagère50.

31De manière plus prosaïque, le souvenir des morts peut se transmettre par des objets soigneusement confiés à des individus choisis. Les legs d’objets ne sont pas un passage obligé de l’écriture testamentaire, ils se font parfois sans l’entremise d’un notaire, de manière informelle, de la main à la main. Nous nous intéresserons ici aux objets individualisés, c’est-à-dire décrits dans le testament et destinés nommément à un légataire. Les lots (qu’il s’agisse de livres, de vaisselle ou de pierreries) ne seront donc pas pris en considération. Les objets légués à des domestiques ne le seront pas davantage car leur valeur est essentiellement pécuniaire ; ce sont des gages en nature. Néanmoins, lorsque les objets sont inscrits dans un système d’échanges, l’acte du don les dote d’une signification plus forte : ils peuvent être des « restes de vie51 » et véhiculer le souvenir des défunts.

Transmettre des objets, perpétuer son souvenir

32Moins du tiers des testaments étudiés créent de telles donations (16/52). L’échantillon des célibataires s’inscrit exactement dans ces proportions puisque 5 testaments sur 15 transmettent des objets (2 filles majeures, 2 célibataires laïques et 1 prélat).

33En mai 1695, Constance de Bretagne, fille majeure de 78 ans, rédige ses dernières volontés. Par testament elle règle les menus détails de ses funérailles, quelques legs pieux, l’avenir de ses domestiques et le gros de sa succession (partagée entre sa sœur Anne et son frère Claude52). Une semaine plus tard, elle joint un codicille succinct qui a pour principal objet de léguer des tableaux. Parmi ces derniers se trouvent quatre portraits de la demoiselle (dont l’un la représente en Madeleine). Depuis son origine, le portrait a trait aux memoria : « La question de la mort se surimpose nécessairement à celle du portrait. La mort est l’absence par excellence, celle qui bouleverse l’existence des survivants et réclame […] d’être comblée53. » Il est significatif que Constance de Bretagne fasse don de ces tableaux et offre le souvenir de son visage ; d’autant plus que ces portraits ne semblent pas avoir, en eux-mêmes, une valeur matérielle considérable. En tout cas ce n’est pas ce que la testatrice choisit de mettre en avant puisqu’elle n’en donne aucune estimation et n’indique pas, comme c’est souvent le cas, la qualité du cadre (les « bordures dorées » ou vermeil mentionnées par les inventaires) ou le nom du peintre. Selon nous, les legs réalisés par la demoiselle de Clisson répondent au type de l’« objet animiste » décrit par la sociologue Anne Muxel54. Incarnations de l’être aimé, porteurs de l’émotion du souvenir associé au disparu, les objets animistes ont pour seule fonction de rappeler la présence ; ils sont « pure mémoire ». Un seul autre testament de notre corpus mentionne le legs d’un portrait du testateur. Il s’agit d’Hippolyte de Béthune, évêque de Verdun, qui s’assure ainsi que son visage ornera les murs de l’hôpital qu’il a fondé et qui porte déjà son nom (Saint-Hippolyte)55. Les portraits créent donc une « relation de métonymie avec le disparu56 », ils sont un support privilégié du souvenir. Toutefois, dans le cas de l’évêque de Verdun, la valeur pécuniaire du portrait est également indiquée à travers le nom du peintre : il s’agit de François de Troy, l’un des grands portraitistes du règne de Louis XIV57. Il convient de préciser que ce tableau de de Troy n’est pas, et de loin, la pièce la plus grandiose de la collection de l’évêque. Aux côtés de deux portraits du roi, l’un par Mignard, l’autre par Rigaud, on trouve notamment une Vierge à l’enfant peinte par Léonard de Vinci. La valeur du portrait de l’évêque, légué à l’hôpital Saint-Hippolyte, réside bien davantage dans sa force « animiste » que dans son estimation.

34Henriette de Conflans organise d’une façon différente la perpétuation de son souvenir, qu’elle intègre plus largement à la mémoire des siens. Le legs universel fait à la duchesse du Lude et chargé de substitution au profit du marquis d’Armentières comprend « tous [ses] tableaux de famille ». L’inventaire réalisé au décès de la demoiselle permet de préciser le legs. Aux côtés des scènes religieuses ou pittoresques, on trouve les descriptions suivantes :

« Quatre tableaux peints sur toile, représentant des portraits, prisés 12 lt. […]
Quatre tableaux aussi peints sur toile, l’un représentant M. le vicomte d’Auchy, l’autre ladite défunte damoiselle d’Armentières, un autre M. le maréchal du Plessis, et l’autre une religieuse, avec leurs bordures, prisés ensemble 40 lt. […]
Trois grands tableaux peints sur toile, représentant des dames de la cour, prisés 60 lt.
Cinq autres moyens tableaux peints sur toile, représentant des portraits de dames et d’un enfant couché, avec un autre tableau représentant un portrait de M. le vicomte d’Auchy, prisés 120 lt58. »

35Selon ces descriptions, le vicomte d’Auchy pourrait être le père d’Henriette de Conflans (Henri de Conflans, mort en 1639), son frère aîné (François, mort à une date inconnue, sans alliance) ou son frère consanguin (Eustache, mort en 1690, sans postérité et ruiné). Quoi qu’il en soit, ces différents portraits sont autant de traces matérielles d’une grandeur familiale passée. « Dames de la cour », religieuse et maréchal participent de l’expression nobiliaire des Conflans d’Armentières. Si les portraits ne sont pas individualisés au sein de l’inventaire, il est toutefois possible que ces visages appartiennent à des ancêtres ou à des familiers. C’est en tout cas ce qu’implique la dénomination de « portrait59 ». Ces tableaux jouent également le rôle d’archives généalogiques et font partie du patrimoine symbolique de la maison ; patrimoine qui ne doit pas disparaître avec l’extinction d’une des branches mais être réuni à la branche cadette. Il est intéressant de constater que ces items n’ont pas de valeur matérielle : les vingt et une pièces détaillées sont prisées ensemble 272 livres tournois, ce qui représente environ 13 livres tournois par portrait. Considérés à l’unité, ces objets appartiendraient à la catégorie « animiste ». Toutefois, pris comme un tout à transmettre indivis, ils répondent davantage à un autre type formalisé par Anne Muxel, celui des « objets emblématiques ou historiques » qui créent « la mémoire d’un « nous » auquel chacun peut se rattacher60 ». Henriette de Conflans, dernière de sa branche, transmet la mémoire familiale, le « patrimoine collectif ». Contrairement à Constance de Bretagne, son visage ne sera pas individualisé mais intégré à une galerie d’ancêtres.

36Deux autres testaments de notre corpus résonnent avec celui d’Henriette de Conflans car ils témoignent d’une même attention aux preuves généalogiques. L’un est le fait de Louise de La Rivière, comtesse de Lussan, qui rédige ses dernières volontés entre 1677 et 1680. Son époux est toujours vivant, mais elle en est séparée, et le couple n’a pas d’enfants. Le gros de son patrimoine doit revenir aux Harlay. En revanche, elle transmet à un cousin portant « même nom et mêmes armes, tant du côté paternel que maternel, tous les tableaux généalogiques de la maison des Spifame61 ». La mère de Louise de La Rivière, Marguerite Spifame, était la dernière représentante du nom62. Sans enfants, la comtesse de Lussan crée malgré tout une forme de perpétuation pour la maison de sa mère. Le défaut de postérité de Louise de La Rivière explique ce legs, tout comme il motivait celui d’Henriette de Conflans. De la même façon, Hippolyte de Béthune-Chabris fait don, en 1751, de tous les papiers généalogiques et portraits de famille qu’il a en sa possession au duc de Sully63 (Louis-Pierre-Maximilien de Béthune à cette date). Hippolyte de Béthune n’a pas eu d’enfant malgré une vie conjugale de vingt ans. En 1751, la branche de Selles à laquelle il appartient est réduite à quatre têtes dont deux hommes mariés mais qui n’ont pas de descendance. En toute logique, Hippolyte de Béthune fait don des preuves généalogiques à l’aîné de sa maison, faute de placer sa confiance dans sa propre branche. Il lègue également au duc de Sully le « crucifix d’or et de cristal de roche, présent d’Urbain VIII à Philippe de Béthune en quittant l’ambassade de Rome », parfaite illustration des « objets emblématiques » étudiés par Anne Muxel.

37Il y a donc une différence de statut et de fonction entre les portraits de soi et les tableaux de famille. Dans le second cas, la conscience lignagère se substitue à une préoccupation individuelle : on passe d’un objet animiste à un objet emblématique.

38Entre ces deux types d’objet mémoriel se situe un type intermédiaire, celui des « objets attribués ». Ces derniers n’ont pas pour fonction de transmettre un patrimoine collectif ou de perpétuer une mémoire familiale. Ils n’incarnent pas aussi explicitement l’âme du donateur qu’un portrait ou un bijou longuement porté. Les « objets attribués » ont une fonction à l’aune de laquelle est choisi leur destinataire. Ils reposent sur une présomption d’affinités entre donataire et légataire64. Les premiers exemples qui viennent à l’esprit sont ceux des objets légués aux filles entrées en religion. L’événement est en soi assez rare (du moins dans notre corpus), mais quand une religieuse est destinataire d’un objet, il s’agit immanquablement d’items pieux. La distinction est encore plus nette quand ces religieuses font partie d’une fratrie dans laquelle les autres enfants reçoivent d’autres types de biens. Anne-Marie de Beauvilliers fait ainsi don d’un chapelet à sa fille Anne-Berthe, abbesse de Beaumont. Ses autres enfants, y compris son fils évêque, reçoivent un bijou ou du petit mobilier garni de diamants65. Même différence entre les enfants de Paul-François de Béthune. Sa fille religieuse reçoit un « reliquaire de la Vraie Croix » et « tous les volumes des livres de dévotion, à prendre et choisir dans [sa] bibliothèque66 ». Les autres legs à ses enfants concernent des tableaux, certes religieux, mais réalisés par des maîtres (Le Guide, Noël Hallé) et associés à des bijoux précieux. Cette distinction renvoie au rôle sacré qui incombe aux religieuses, tout autant qu’à la modestie imposée par leurs vœux. Une même logique d’attribution se lit dans le testament de Marguerite-Louise de Béthune alors qu’elle lègue à son neveu, évêque, la Vierge à l’Enfant de Léonard de Vinci (qu’elle-même a reçu d’Hippolyte de Béthune, évêque de Verdun)67. La duchesse du Lude s’est faite véhicule d’un patrimoine entre les deux prélats, patrimoine que l’on pourrait qualifier d’épiscopal car il est à la fois religieux et éminemment prestigieux. Une même sacralité émane d’un second legs réalisé au profit d’un autre évêque : Marguerite-Louise de Béthune donne une Vierge à l’Enfant qui lui vient cette fois de Mme la Dauphine. Les biens légués par la duchesse témoignent tous du climat d’excellence et de richesse dans lequel elle s’éteint. Mais à côté des bijoux et du petit mobilier précieux (en or et en cristal, garnis de lapis, de rubis ou de diamants) destinés à des légataires laïques, les deux tableaux religieux doivent revenir à deux ecclésiastiques.

39La valeur identitaire de tels objets comporte parfois un pendant mémoriel lorsque le légataire désigne un individu dans lequel il s’est reconnu. Ainsi de Pierre de Villepaux qui, en mars 1746, rédige un codicille pour partager tous ses meubles avec minutie68. Marie-Louis de Lameth, son neveu cadet, est alors gratifié d’un grand nombre de biens :

« Une tabatière d’or à ressort, battue à froid en Angleterre […] on peut prendre du tabac à cheval sans la sortir de sa poche ;
[…] Ce que j’ai de chevaux, les équipages et harnachements de sept mulets, les balles, ferrailles, plumes et plumets, les harnais des chevaux de charrettes, les couvertures des livrées des mulets ;
[…] Mon lit de camp de damas cramoisi et quatre colonnes et la hérisse de toile peinte et toutes les garnitures ;
[…] Tout ce qui constitue mon équipage d’armée […] la marmite qui bout en chemin derrière ma chaise de poste ;
[…] La marmite de nouvelle invention que j’ai à Paris et qui m’a coûté 450 lt. »

40En conclusion d’une énumération plus longue, Pierre de Villepaux écrit « j’ai considéré qu’ils sont convenables à son métier où il sert le Roi de tout son mieux ». En effet, à cette date, Marie-Louis de Lameth est brigadier des armées du roi. Il s’inscrit donc dans la même ligne militaire que son oncle lieutenant, ancien capitaine aux gardes françaises et chevalier de Saint-Louis. Les objets ci-dessus sont donc « attribués » selon cette logique identitaire professionnelle. De même, alors qu’il fait don à l’aîné de ses neveux de toutes ses médailles, pierres et monnaies, il en excepte « la chaîne d’or très fine et faite à Malte qui est pour M. son frère avec mes croix de Saint-Louis ». De tels legs préférentiels dessinent bien une identité militaire partagée par les deux hommes. La description détaillée de la tabatière et des marmites montre l’usage fait par Pierre de Villepaux de ces objets et la volonté de les transmettre à un semblable. À travers ces biens, Pierre de Villepaux trouve également le moyen de se perpétuer : doté d’objets lui ayant appartenu, pratiquant le même métier des armes, et célibataire comme lui, Marie-Louis de Lameth est chargé de recréer son ancêtre. Ces différents legs sont une belle illustration de ce que Robert Descimon qualifie de « donnant gardant », soit un ensemble de procédés dont l’objectif est de « créer des continuités fictives » pour « ne pas mourir tout à fait69 ». Qualifiés de biens symboliques ou d’objets attribués, les legs réalisés par Pierre de Villepaux en faveur du cadet de ses neveux, ont bien une valeur mémorielle qui dépasse le simple intérêt matériel.

41Le testament de Pierre de Villepaux fait figure d’exception au sein de notre corpus, et ce à plusieurs égards. L’ancien capitaine est le seul à combiner les trois types de messes (perpétuelles, annuelle et immédiates), il demande des prières pour son âme dans près de vingt églises différentes (un record) et met un soin méticuleux à disposer de ses objets personnels. Au sein de notre échantillon de célibataires mais également à l’échelle du corpus entier, il n’a pas son pareil.

42Les dons d’objets ont, selon nous, deux fonctions principales : témoigner de la grandeur du ou de la défunte (à travers l’excellence desdits objets) et transmettre son souvenir. Les deux fonctions se retrouvent parfois liées mais, lorsque des considérations économiques entrent en jeu, il est plus difficile de déceler la part « animiste » du legs. À l’inverse, toutes les mentions qui indiquent que les objets sont sans valeur renforcent l’impression d’intimité et de volonté spécifique des donateurs. Roger de Courtenay, abbé des Eschallis, lègue ainsi à sa nièce « un petit ornement de chapelle imparfait70 ». Le fait qu’il individualise cet objet est porteur de sens, d’autant plus que tous les objets qu’il donne à sa nièce sont substitués au fils benjamin de cette dernière. Ces biens qui ne valent rien sont inestimables aux yeux des défuntes et des défunts car ils n’ont d’autres fonctions que de véhiculer leur souvenir. Ils seront conservés et chéris par celles et ceux qu’ils ont aimés dans la vie et sur qui ils veilleront depuis l’au-delà, et réciproquement.

43Il existe diverses façons de ne pas mourir tout à fait, même quand la perpétuation ne passe pas par le sang. La question de la mémoire interroge celle du salut et de la miséricorde divine (quand elle passe par les prières), autant qu’elle questionne le souvenir et la transmission d’une histoire individuelle. La problématique du conformisme social est au cœur des pratiques funéraires car il s’agit de ne pas commettre d’impairs dans la dernière impression que l’on laissera de soi. Il faut tenir son rang et sa juste place, au risque d’être qualifié d’extravagant ou d’hypocrite (quand les obsèques font preuve d’un zèle dévot hors norme). Il faut également assurer son salut, réparer ses fautes, ordonner des prières pour son âme, tout cela dans l’espoir qu’on ne sera pas oublié des vivants qui doivent se charger de ces dispositions.

44Toutefois, ce qui se dégage de notre étude est la difficulté à lire des attitudes spécifiques à un sexe ou à un statut. Seul le lieu de sépulture a pu dévoiler quelques pistes de réflexion, celles d’une fidélité des épouses jusque dans la mort ou d’une volonté des hommes célibataires à s’inscrire dans leur tombeau familial. Mais ce qui frappe, c’est aussi le changement qui peut s’opérer d’une clause testamentaire à l’autre. Il convient de relier les politiques de transmission, que nous avons étudiées aux chapitres précédents, avec les considérations funéraires présentées ci-dessus. La demoiselle d’Armentières, par exemple, se crée une tombe magnifique et solitaire mais fait don d’objets emblématiques qui l’inscrivent dans la maison de Conflans. Les tableaux de famille rappellent bien l’engagement qui fut le sien, tout au long de sa vie, et qui trouve son aboutissement dans le fidéicommis créé en faveur de ses cousins. La demande de services perpétuels peut également être lue au regard de cette politique de transmission : Henriette de Conflans est devenue une figure tutélaire de sa maison et espère que ses volontés seront respectées ; en l’occurrence que son souvenir se transmettra à perpétuité. Autre exemple, Louise de Béthune met en place une substitution complexe entre ses petites-nièces et ses petits-neveux de Sully, mais demande à être inhumée auprès de sa mère en toute modestie et n’associe pas son souvenir à des objets spécifiques. Néanmoins, elle commande deux annuels dont l’un sera célébré sur la terre Montmort, qui a baptisé sa vie de demoiselle majeure.

45Armand-François de Bretagne, quant à lui, parvient à ménager les créanciers de sa famille, tout en revendiquant son appartenance aux terres qu’il a sauvées. Il veut être enterré à Clisson et commande des messes immédiates dans trois seigneuries hautement significatives, Avaugour, Clisson et Vertus. Le fait qu’il ne s’agisse pas de services perpétuels est intéressant. Ces services de détail apparaissent comme un choix de raison, à la fois financier et lié à la conjoncture démographique de sa famille. Les Bretagne se trouvent alors réduits à leur portion congrue ; une veuve et deux frères célibataires (dont le testateur) qui n’ont pas créé de nouvelle génération. Armand-François de Bretagne accepte, d’une certaine façon, que son souvenir disparaisse avec ses germains. Au sein du tableau 26, un cas particulier se distingue. Alors que les six autres célibataires ménagent une identité multiple (en s’inscrivant dans leur lignage par des donations, dans leurs seigneuries par des messes, dans leur vie solitaire par quelques détails), Marie-Henri de Béthune offre l’image d’un scientifique uniquement intéressé par son laboratoire et par la postérité de ses expériences. L’ancien capitaine de vaisseau, reconverti dans la chimie, ne commande qu’une seule messe. Le salut de son âme l’intéresse visiblement moins que les lumières de la science et de la raison.

Tableau 26. – Récapitulatif : les clauses testamentaires des célibataires.

Individu (date du décès)

Politique de transmission

Lieu de sépulture

Messes demandées

Objets légués

Charles de Harlay Dollot (1627)

Legs universel à son petit-neveu et filleul + legs particuliers aux enfants de ses nièces

Beaumont

Aucune

Aucun

Louise de Béthune (1679)

À ses petites-nièces, avec substitution à son petit-neveu cadet + usufruit pour son neveu et sa nièce

Avec sa mère ou dans la paroisse où elle mourra

Deux annuels, l’un à Paris, l’autre à Montmort

1 000 messes immédiates, tant à Paris (500) qu’à la campagne (500)

Aucun

Henriette de Conflans (1710)

Usufruit viager à la duchesse du Lude +

Subst. fidéicommissaire à la branche cadette des Conflans

Tombeau magnifique rue Saint-Dominique

Des services perpétuels sur ses terres

1 500 messes immédiates

Tableaux de famille

Roger de Courtenay (1733)

Legs universel à sa nièce

Où il mourra et il espère que ce sera aux Petites Maisons

Un annuel

200 messes immédiates

Nombreux objets à valeur sentimentale

Armand-François de Bretagne (1734)

Legs aux créanciers de sa famille et le reste à ses héritiers

À Clisson, avec ses père et mère

1 000 messes immédiates (dont 300 à Avaugour, 300 à Clisson et 300 à Vertus)

Aucun

Marie-Henri de Béthune (1744)

À ses domestiques

Non précisé

1 messe le jour de son décès

Laboratoire de chimie à son valet

Pierre de Villepaux (1751)

L’aîné de ses neveux avec substitution à son fils aîné.

Legs particulier au cadet (mais avec restrictions successives)

Dans sa paroisse

5 messes perpétuelles dans des paroisses du Nord

3 annuelles (dont Hesdin, Mareuil et Paris)

1 000 messes immédiates (Paris et paroisses du Nord dont Hesdin)

Objets attribués à son neveu cadet

46La lecture des testaments et codicilles nous a donc permis d’observer la diversité des identités qui cohabitent au sein de chaque célibataire. L’appartenance à un lignage et une vie solitaire, le statut de seigneur ou dame obtenu par héritage et/ou par acquisition personnelle, la proximité avec certains parents et/ou la force de liens d’amitié, autant d’éléments couchés sur le papier pour bien se préparer à mourir et organiser son souvenir.

Notes de bas de page

1Roche, 1990 ; Dousset, 2012. Enfants et petits-enfants prenaient le deuil pour six mois.

2Chaunu, 1978.

3Ibid., p. 320.

4Croq, 2012.

5Sévigné, 1985, Lettre à la comtesse de Guitaut, le 29 octobre 1692 : « Cette pauvre créature a toujours été livrée aux plus vives passions. Elle adorait son mari ; elle en était jalouse. Les Furies l’avaient suivie jusqu’en Pologne. »

6Chatelain, 2008, p. 326.

7BNF, NAF 25241, fo 256-257, Extrait des actes capitulaires des Feuillants de Notre-Dame de Selles, le 26 avril 1649.

8Pierre, 2006, p. 486.

9BNF, Carrés de d’Hozier 331, fo 164, Testament d’Achille Ier de Harlay, le 9 octobre 1616.

10AN, MC/ET/XIV/233, Dépôt du testament d’Achille III de Harlay, le 29 janvier 1718 ; testament en date du 5 octobre 1709.

11Kchaou, 2012, p. 403.

12AN, MC/ET/LXXVIII/226, Testament de Charles de Harlay, seigneur de Dollot, le 2 août 1627.

13Solignat, 2012.

14AN, MC/ET/CXV/492, Dépôt du testament de Louise-Françoise de Harlay, le 20 février 1735 ; testament en date du 13 février 1735.

15Croq, 2012 ; Hours, 2007.

16AN, MC/ET/LXXIII/502, Dépôt du testament militaire de François Le Bouteiller de Senlis, le 6 février 1675.

17Anne-Valérie Solignat (2012, p. 114-115) donne l’exemple, certes bien plus grave, d’un noble (Jean de Chabannes-Curton) qui s’est rendu coupable de viol et qui refuse de « polluer » le tombeau de ces ancêtres.

18Delumeau, 1975 ; Julia, 1988.

19AN, MC/ET/LVII/397, Testament d’Hippolyte de Béthune, seigneur de Chabris, le 15 janvier 1751.

20Baury et Legay, 2009.

21Bertrand, 2006.

22Nagle, 1998 ; Mazel, 2009.

23AN, MC/ET/CXVII/252, Testament de Maximilien-Henri de La Baume Le Blanc, chevalier de La Vallière, le 10 septembre 1713 ; AN, MC/ET/CXI/174, Codicille de Maximilien-Henri de La Baume Le Blanc, chevalier de La Vallière, le 9 juillet 1733.

24AN, MC/ET/CV/917, Testament de Madeleine-Élisabeth de Lameth, le 3 juillet 1687.

25AN, MC/ET/CXIII/229, Dépôt des testament et codicilles d’Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières, le 9 janvier 1710 ; testament olographe en date du 9 novembre 1707.

26Coquery, 1998, p. 200.

27AN, MC/ET/CXIII/254, Convention entre Mme la duchesse du Lude et M. et Mme d’Armentières, le 1er août 1713.

28AN, MC/ET/CXXI/8, Testament d’Achille de Harlay, évêque et seigneur de Saint-Malo, le 21 août 1646 : « être inhumé et enterré en l’église épiscopale dudit Saint Malo, proche la porte du côté gauche où l’on a coutume de laver les pieds des pauvres, sans mettre ni pierre ni marbre élevé sur le tombeau ».

29Rivet de La Grange, 1723, p. 438.

30AN, K/542, fo 33, Testament d’Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, le 30 août 1678.

31Chaunu, 1978, p. 297.

32Poisson, 1985, p. 197 ; Vovelle, 1975 ; Ariès, 1977.

33Chiffoleau, 1980.

34BNF, NAF 25242, fo 165-168, Testament d’Armand de Béthune, évêque du Puy, le 25 mai 1703.

35Ibid.

36AD Haute-Loire, 1C432, « Correspondance, Armand de Béthune, évêque du Puy ».

37Lascombe, 1881.

38Marle, 1997. Le prix maximum constaté est celui de 200 livres tournois (une fois payé). En général, les testaments y affectent une rente qui ne dépasse jamais 50 livres tournois, et se situe davantage autour de 20 livres tournois.

39AN, MC/ET/CXIII/229, Dépôt des testament et codicilles d’Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières, le 9 janvier 1710.

40AN, MC/ET/LXXIII/765, Dépôt des testament et codicilles de Pierre de Villepaux, le 29 avril 1751.

41Bourgeon, 1983, p. 143.

42Vovelle, 1975.

43Hours, 2007.

44Marle, 1997. L’autrice retrouve cette même propension à commander 1 000 messes.

45Solignat, 2012, § 25 : « L’inhumation auprès d’un ordre mendiants était aussi très recherchée par les grandes familles provinciales » ; Marle, 1997, p. 49 : « Les couvents des ordres mendiants étaient très sollicités ».

46Papiers privés, CCH, Testament de Claude de Lameth, dame de Bouchavannes, le 31 janvier 1671.

47AN, MC/ET/LXXXIX/35, Testament de Louise de Béthune, demoiselle de Montmort, le 29 novembre 1678.

48AN, MC/ET/LXXIII/765, Dépôt des testament et codicilles de Pierre de Villepaux, le 29 avril 1751.

49Marraud, 2009 ; Croq, 2012.

50Bertrand, 2006.

51Ménard, 2015.

52AN, Y/37, fo 124, Testament et codicille de Constance de Bretagne, demoiselle de Clisson, les 20 et 27 mai 1695.

53Schmitt, 2009, p. 26.

54Muxel, 1996.

55Inventaire des Archives de l’hospice Sainte-Catherine, LB92, 1717-1721, « Testament d’Hippolyte de Béthune, évêque et comte de Verdun, le 27 juillet 1717 ».

56Caradec, 2001, § 32.

57Leribault, 2001. François de Troy (1645-1730) est le père de Jean-François de Troy (1679-1752) ; ce dernier est davantage connu pour ses paysages et ses grandes scènes d’histoire.

58AN, MC/ET/CXIII/242, Inventaire après décès d’Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières, le 21 avril 1712. Nous soulignons.

59Cohn, 2009.

60Muxel, 1996, p. 158.

61AN, MC/ET/CXIII/84/B, Testament de Louise de La Rivière, comtesse de Lussan, le 14 août 1677.

62Descimon, Milles et Ouvarov, 2010.

63AN, MC/ET/LVII/397, Testament d’Hippolyte de Béthune-Chabris, le 15 janvier 1751.

64Muxel, 1996, p. 160 : « selon que l’on est plutôt rêveur ou studieux, sage ou bagarreur, attiré par la nature ou par la ville, selon ses jeux et ses pôles d’intérêts, des objets vous seront attribués comme d’évidence ».

65BNF, NAF 25242, fol. 126-130, Testament d’Anne-Marie de Beauvilliers, le 9 novembre 1688.

66AN, MC/ET/VIII/1115, Testament de Paul-François de Béthune, duc de Béthune-Charost, le 20 octobre 1755.

67AN, Y/51, fo 151, Dépôt du testament de Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, le 17 janvier 1731.

68AN, MC/ET/LXXIII/765, Dépôt des testament et codicilles de Pierre de Villepaux, le 29 avril 1751 ; codicille en date du 23 mars 1746.

69Descimon, 2012, § 1.

70AN, MC/ET/I/363, Dépôt du testament olographe de Roger de Courtenay, abbé des Eschallis, le 5 mai 1733.


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