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Chapitre VII. Établir sa résidence
p. 169-192
Texte intégral
1Travailler sur l’organisation des foyers n’est pas une mince affaire car les recensements nominatifs de population antérieurs à la Révolution française sont extrêmement rares1. De plus, les quelques listes produites dans le royaume concernent des villages, rendant les conclusions présentées peu adéquates pour analyser d’autres environnements socioculturels. Seules six villes, au xviiie siècle, ont laissé la trace d’un tel recensement. Parmi elles, Charleville-Mézières a déjà occasionné un certain nombre de publications2. Toutefois, l’analyse des ménages de Charleville dévoile un autre problème : dans la population étudiée, majoritairement roturière, la solitude est « synonyme de déclassement social » et les solitaires sont souvent des domestiques. De plus, les listes de recensement demeurent très imprécises quant au type de solitude, faute d’une mention de l’âge des individus ou d’informations claires sur leur statut matrimonial.
2Aussi, pour retracer les lieux de domicile des individus de notre corpus, nous ne pouvons compter que sur les actes notariés. L’adresse des personnes en présence y est toujours renseignée, bien qu’elle ne soit pas toujours inscrite avec précision. Tandis que certains individus fréquentent assidûment (et sur la durée) les offices de notaires, nous permettant de constater un ancrage territorial ou, au contraire, une certaine volatilité, d’autres ne peuvent être suivis. Le hasard des sources nous force donc à la prudence. En effet, l’un des enseignements principaux qui découlent des études consacrées à l’organisation des foyers est bien le caractère mouvant de ces derniers3. Le regroupement résidentiel de plusieurs germains à une date donnée ne présuppose pas forcément une vie collective de toute éternité. De même, une résidence solitaire mentionnée dans un acte ne préjuge pas de l’isolement ou de la marginalité de l’individu concerné. Ce thème de la vulnérabilité, qui revient sans cesse dans les études consacrées aux « foyers solitaires », ou celui de la nécessité économique lorsqu’il s’agit de stratégies de cohabitation4, semblent peu opérants pour la noblesse. Les nobles adoptent massivement des logiques de corésidence qui offrent, certes, des attraits économiques, mais participent également à la construction de la maison dans son aspect concret : « une maisonnée de parents, alliés et domestiques placés sous l’autorité d’un chef et regroupés sous un toit commun5 ». Les domiciles mentionnés par les célibataires de notre corpus doivent permettre d’étudier les logiques de parenté, de temporalité ou les considérations matérielles qui se font jour dans leur choix de résidence.
Résider dans sa famille
Des ménages complexes au sein de l’hôtel familial
3En juillet 1713, alors qu’ils règlent la succession de leur mère Judith Le Lièvre, les frères et sœurs de Bretagne d’Avaugour indiquent la même résidence : « tous demeurant en l’hôtel de Vertus, rue Saint-Dominique, paroisse Saint-Sulpice6 ». La corésidence concerne également Marie-Claire et son époux Charles-Roger de Courtenay. En 1719, plusieurs constitutions de rentes montrent que les germains habitent encore ensemble, au sein de l’hôtel familial. L’année suivante, l’inventaire après décès de Catherine-Barthélémie indique qu’elle est morte « dans la chambre au second étage dudit hôtel7 ». Toutefois, il est précisé que ses biens se trouvent « dans les lieux qu’elle occupait, dépendant de l’hôtel de Vertus ». Catherine-Barthélémie est venue mourir en l’hôtel familial, mais elle n’y faisait pas sa résidence quotidienne même si la proximité était immédiate. De même, le frère cadet présent à l’inventaire (Henri-François) habite « susdite rue et paroisse », sans mention explicite de l’hôtel de Vertus. S’agit-il d’un raccourci pris par le notaire ou bien le frère aîné occupe-t-il seul l’hôtel aristocratique ? Quoi qu’il en soit, il est évident que les germains de Bretagne résidaient tous rue Saint-Dominique et très probablement dans un voisinage resserré. En effet, Catherine-Barthélémie, Anne-Agathe et Angélique succombent à la variole entre décembre et 1719 et janvier 1720. Cette maladie contagieuse appuie l’idée d’une proximité quotidienne, si ce n’est d’un foyer commun. Les frères et la sœur survivants poursuivent leur cohabitation durant la décennie 1720, puis un changement s’opère. Dans son codicille de 1734, Armand-François (l’aîné) inscrit comme résidence un hôtel rue de la Chaise. De même, le testament de Marie-Claire, rédigé en 1740, la situe rue du Cherche-Midi. S’ils ne cohabitent plus, le frère et la sœur ne s’éloignent guère car leurs nouveaux domiciles se situent toujours paroisse Saint-Sulpice et se rejoignent d’une courte promenade. La disparition successive des trois sœurs filles majeures, puis du prince de Courtenay (époux de Marie-Claire) a rendu moins nécessaire l’entretien d’une résidence aristocratique. Les germains survivants se sont donc dispersés dans des logements plus petits et moins onéreux.
4Le fait que cette dernière fratrie de Bretagne d’Avaugour soit composée de célibataires et d’un couple stérile n’est pas étranger à l’existence collective que frères et sœurs ont menée dans l’hôtel de la rue Saint-Dominique. Hormis Marie-Claire qui a vécu un temps au Portugal lors de son premier mariage, puis au couvent de Malnouë pendant son premier veuvage8, les autres germains n’ont pas été soumis au type de rupture qu’engendre un nouveau « cycle de vie ». À la mort de leur mère, en 1690, ils sont mineurs ; l’aînée de la fratrie n’a que 15 ans et la benjamine 3 ans. Quelque temps plus tard, Claude II de Bretagne installe sa famille rue Saint-Dominique. C’est bien cette adresse que l’on retrouve dans les actes signés au moment du mariage de Marie-Claire (1694). À la mort de leur père, en 1699, les germains de Bretagne sont encore mineurs et la plus jeune n’a que 12 ans. Toutefois, les quatre premiers-nés ont été émancipés dès l’année 16839. De plus, Anne-Agathe est presque majeure (24 ans) et Armand-François a 20 ans. Ils sont donc capables de gérer une maisonnée et de prendre soin des cadets et cadettes. Ces deuils successifs, expérimentés à des âges précoces, ont probablement resserré les lieux filiaux et créé des logiques de dépendance/redevance entre les enfants plus âgés et les plus jeunes. La discipline familiale se renforce ainsi par la vie commune10. L’ascendant pris par les aînés, s’il est parfois synonyme de contrôle et de surveillance, peut aussi avoir une expression plus douce, telle que la confiance, l’amour et le respect11.
5Les Bretagne d’Avaugour n’ont pas laissé de Mémoires ou de correspondances, mais les actes notariés, une fois examinés en série, dessinent un récit intéressant. Marguerite-Angélique de Bretagne, sœur célibataire de Claude II que nous avons vue très assidue à la sauvegarde du patrimoine familial, a partagé le domicile de son frère pendant une très longue période. En 1657, dans un acte concernant la succession d’une sœur défunte, Marguerite-Angélique et Claude indiquent résider ensemble, quai de la Tournelle12. Ils sont âgés respectivement de 35 et 28 ans et sont tous deux célibataires. Ils ne vivent avec aucun autre parent puisque leur père est mort, leur mère s’est installée à Angers et, parmi les germains dont nous situons le lieu de résidence, une sœur est abbesse en Bretagne, une autre, fille majeure, a élu domicile paroisse Saint-Eustache, et une dernière, également célibataire, vit chez la duchesse de Longueville. Cette configuration, un frère et une sœur célibataires partageant le même toit, rappelle l’un des types de « foyers sans structure conjugale » étudiés par Stéphane Minvielle13. Ici, il est tentant de donner comme explication l’attente d’un établissement matrimonial (et donc une situation provisoire) mais c’est aussi risquer le raisonnement téléologique. En effet, le mariage de Claude et Judith Le Lièvre en 1673 est surtout le résultat d’accidents démographiques que nous avons déjà détaillés. De plus, Marguerite-Angélique poursuit la cohabitation avec son frère et s’installe auprès du nouveau ménage. En 1683, alors qu’elle organise la fameuse donation avec substitution, elle indique comme résidence un hôtel rue Cour-au-Villain (actuelle rue de Montmorency) qui est le même que celui renseigné par Judith Le Lièvre dans son testament de 1690. Enfin, dans son propre codicille de 1694, le notaire précise que la demoiselle demeure « en l’hôtel de son frère le comte d’Avaugour, rue Saint-Dominique14 ». La prière que Judith Le Lièvre adresse à Marguerite-Angélique, de bien vouloir tenir lieu de mère à ses neveux et nièces, prend donc une nouvelle signification. S’il n’est pas exceptionnel de lire ce type de formule dans les testaments, le mot de « mère » fait ici référence à une situation bien précise. Marguerite-Angélique tient déjà lieu de seconde mère aux enfants de son frère puisqu’elle partage leur domicile. Une grande amitié unissait vraisemblablement le frère et la sœur et, lorsque ce dernier s’est installé en ménage conjugal, Marguerite-Angélique l’a suivi. Elle a pu apporter son aide quotidienne dans l’éducation et l’entretien des enfants15.
6Les différentes opérations financières qui unissent les germains de la dernière génération de Bretagne d’Avaugour (détaillées au chapitre précédent) doivent donc être réévaluées à l’aune de ces résidences collectives. La vie au sein de l’hôtel des Vertus, l’éducation apportée par une tante dévouée à « l’éclat » de la maison de Bretagne, tout cela explique en partie les efforts consentis pour sauvegarder les terres familiales. De plus, l’habitat collectif présente un intérêt certain pour les enfants légitimaires. En transportant leurs parts d’héritage dans les mains d’Armand-François, ils ont obtenu une rente d’environ 1 000 livres tournois. Or, au xviiie siècle, aucun hôtel ne se loue moins de 1 500 livres tournois16. Les cadets·et cadettes de Bretagne, pour assurer leur indépendance, auraient pu élire résidence dans un appartement ou une petite maison, mais c’est sans compter « la protection d’un symbole essentiel, à savoir la porte cochère17 ». Le bénéfice représenté par l’hôtel particulier, en matière de représentation, n’est pas négligeable. Et ce bénéfice est également matériel car vivre à l’hôtel des Vertus évite les dépenses d’une résidence propre qui représentent souvent un gouffre financier pour la noblesse18. Si on considère la résidence comme un acquis du partage de 1713, ce dernier devient encore plus équitable et acceptable pour les puînés.
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7L’hôtel de Sully témoigne d’une même logique de résidence collective et transgénérationnelle. À partir de son achat en 1634, cet hôtel de la rue Saint-Antoine (paroisse Saint-Paul) devient le foyer principal de plusieurs membres de la parentèle Béthune19. Charlotte Séguier, en épousant Maximilien-François de Béthune en 1639, en fait son unique résidence et la conserve jusqu’à sa mort. Son second mariage avec le duc de Verneuil ne modifie pas son mode de vie puisque l’inventaire après décès de ce dernier, en 1682, mentionne « l’hôtel de Sully où les seigneur et dame faisaient leur demeure20 ». Alors que Charlotte Séguier y vit avec ses époux successifs, ses enfants choisissent d’autres résidences (fig. 3).
Fig. 3. – Le quartier Saint-Paul, détail du Plan de la ville et des faubourgs de Paris, divisé en ses vingt quartiers, par Didier Robert de Vaugondy, 1760.

Bibliothèque nationale de France, département des Cartes et Plans, GE DD-2987 (814 B).
© Bibliothèque nationale de France.
8Maximilien-Pierre-François, troisième duc de Sully, habite tantôt rue Neuve-Saint-Louis au croisement avec la rue Saint-Antoine (1675), tantôt en l’hôtel de Sully (1679), tantôt place Royale (1689). Parmi les deux sœurs de ce dernier, l’une entre au carmel de Pontoise à 17 ans et l’autre se marie à deux reprises. Marguerite-Louise de Béthune ne revient plus vivre en l’hôtel familial après son premier mariage : sa résidence évolue entre l’hôtel Séguier, rue de Grenelle (1661-1681), et l’hôtel du Lude, d’abord situé rue Payenne (1694-1706) puis rue Saint-Dominique (1713-1726). Si tous et toutes ne demeurent pas au sein de l’hôtel familial, il est intéressant de noter la proximité des différentes habitations. La rue Neuve-Saint-Louis, la place Royale, la rue Payenne sont toutes situées à proximité immédiate de la rue Saint-Antoine21. Le point de convergence de la branche de Béthune-Sully est bien l’hôtel de Sully.
9Si Charlotte Séguier n’a pas partagé sa résidence avec ses enfants mariés, elle accueille pourtant l’aîné de ses petits-neveux en l’hôtel de Sully. C’est d’ailleurs en accédant au statut d’époux que Maximilien-Pierre-François-Nicolas de Béthune déménage rue Saint-Antoine22. Il réalise alors une alliance des plus prestigieuses, sous l’égide de la famille royale et qui réunit les deux branches issues du chancelier Séguier en un parfait bouclage consanguin. Le jeune couple doit être installé dans une résidence tout aussi illustre. En choisissant l’hôtel de Sully, les époux bénéficient à la fois de la renommée du lieu et du cercle aristocratique de Charlotte Séguier, duchesse de Verneuil. Cette dernière est omniprésente dans le contrat de mariage, notamment à travers son don de la terre de Verneuil. Si elle s’en réserve l’usufruit jusqu’à son décès, elle promet en échange de fournir au couple 12 000 livres tournois par an. Charlotte Séguier est donc la figure tutélaire de cette alliance. Vivre auprès d’elle est peut-être la conséquence logique, même si aucune clause de ce type n’est spécifiquement indiquée au contrat de mariage23. En 1689, Charlotte Séguier approche les 70 ans. En encadrant ce mariage, elle s’est assuré la présence quotidienne d’un jeune couple qui lui est redevable et qui pourra prendre soin d’elle dans sa grande vieillesse. Son décès, en 1704, clôt cette cohabitation qui aura duré plus de quinze ans. La duchesse de Verneuil offre le visage assez exceptionnel d’une grand-mère paternelle octogénaire24 et montre que les foyers aristocratiques mettent souvent en place des ménages complexes (non nucléaires).
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10Ces résidences collectives, dans lesquelles s’illustrent des figures d’autorité et des liens filiaux structurellement déséquilibrés, posent forcément la question de la dépendance économique et de la subordination. Dans ces cohabitations, la soumission à l’aîné est souvent forte25. Le statut de maître des lieux et héritier légitime de l’hôtel ou du château familial renforce ce dernier dans son rôle de continuateur de la maison. Le cas de Maximilien-Henri de Béthune, petit-fils cadet de Charlotte Séguier, en est un exemple. Il ne rejoint l’hôtel de Sully qu’en 1702, après la mort de sa mère. Il partage donc les lieux avec son aîné, l’épouse de ce dernier, et la duchesse de Verneuil. Il est alors placé sous la double autorité légitime d’une ascendante et du chef du lignage. Malgré sa réception à l’ordre de Malte (âgé de 4 ans), il reste chevalier non-profès et ne fait pas vraiment carrière au service du roi. En 1702, il accède seulement au rang intermédiaire de brigadier26, illustrant bien l’avancement plus lent et moins spectaculaire des fils cadets27. Dans le cas de ces enfants puînés, la vie au sein de l’hôtel familial pose donc la question de la possibilité ou non de vivre ailleurs. Les avantages de la porte cochère et la vie auprès des siens compensaient-ils les désagréments de la soumission à l’ordre patrilinéaire ?
11Toutefois, vivre en famille ne signifie pas toujours cohabiter dans la résidence principale. À côté des hôtels et châteaux familiaux, liés au patrilignage, d’autres foyers s’offrent aux célibataires. De plus petite envergure, ces foyers mettent en lumière d’autres logiques de parenté, mais aussi des conjonctures temporaires et évolutives propres aux célibataires.
Composer un ménage restreint avec un ou une parente choisis
Vivre auprès de sa mère
12Entre 1645 et 1679, Louise de Béthune, demoiselle de Montmort, choisit plusieurs résidences qui ont toutes la particularité d’être liées à sa parenté maternelle. Alors qu’elle règle sa légitime dans la succession du ministre Sully, Louise demeure avec Françoise de Créquy, sa mère. Au début des années 1670, elle réside régulièrement à l’hôtel de Lesdiguières, et à sa mort, l’acte des scellés de ses biens indique deux résidences principales, l’une à Paris, l’autre au château de Montmort28. L’hôtel a été acheté par son grand-père maternel, rue de la Cerisaie, et le château lui provient de sa mère. La demoiselle de Montmort ne demeure donc jamais à l’hôtel de Sully. Ce rapprochement matrilocal trouve une explication dans l’histoire du couple formé par Françoise de Créquy et Maximilien de Béthune-Rosny. Dans une lettre 1620, le ministre Sully se plaint de « l’abandon aux voluptés, la rejection de sa propre femme » dont son fils s’est rendu coupable29. En effet, le marquis de Rosny a rapidement délaissé sa femme pour vivre avec sa maîtresse, Marie d’Estourmel, et leurs enfants. Françoise de Créquy a d’ailleurs obtenu une séparation de biens et de corps, en 1621, alors que Louise n’a que 4 ans. Tout semble indiquer que cette dernière n’a jamais vécu avec son père, ni même dans sa famille paternelle. Le testament du marquis de Rosny, rédigé en 1633, en offre quelques indications. Alors qu’il mentionne longuement sa fille illégitime et ses fils (dont l’aîné est né de son mariage), aucune ligne n’est dédiée à Louise de Béthune. Un premier legs concerne ainsi « Anne de Béthune, ma fille naturelle » : il s’agit d’une pension annuelle de 10 000 livres tournois30. Cette somme est léguée à charge de faire dire des messes pour le repos de son frère, autre enfant bâtard, mort nourrisson. Ces clauses testamentaires sont bien représentatives des devoirs qui incombent au père d’enfants illégitimes et que la justice d’Ancien Régime s’assure de faire respecter31. De plus, le legs fait à Anne de Béthune ne signifie pas que Maximilien de Béthune délaisse sa fille légitime. Cette dernière est héritière de pleins droits. En revanche, les enfants bâtards ne pouvant hériter, ils dépendent des legs particuliers et des pensions que leur géniteur acceptera de créer en leur faveur. Le testament de Maximilien de Béthune est donc représentatif des comportements adoptés face aux enfants illégitimes. Toutefois, il apparaît bien que Louise de Béthune n’a pas grandi auprès de son père, contrairement à son frère aîné. Un legs est ainsi réalisé au profit d’un certain sieur Groust, « précepteur de mon fils aîné et de feu mon fils le chevalier ». Le fils que Maximilien de Béthune a eu de Françoise de Créquy, le futur deuxième duc de Sully, a donc été éduqué au sein du foyer adultérin. La grande absente du testament est bien Louise de Béthune. Elle n’a bénéficié d’aucune des attentions du marquis de Rosny, ni du vivant de celui-ci ni après sa mort et a été laissée aux bons soins de sa mère.
13Les résidences successives de Louise de Béthune, liées à sa parenté maternelle ou dans la compagnie immédiate de sa mère, s’expliquent par cette histoire particulière et conflictuelle. Toutefois, il est assez commun pour un enfant célibataire de vivre auprès de sa mère, surtout lorsque cette dernière devient veuve. L’historiographie insiste d’ailleurs sur ces figures de femmes célibataires dévouées à leurs parents âgés et sur les foyers entièrement féminins que créent ces regroupements (puisque le veuvage concerne majoritairement les femmes)32. Néanmoins, des hommes célibataires peuvent également résider auprès de leur mère. Ainsi de Maximilien-Henri de Béthune qui renseigne pour domicile, en 1701, un hôtel Cul-de-Sac Guéménée. L’année suivante, Antoinette Servien (mère de ce dernier), rédige son testament et meurt à cette adresse33. Dans l’acte d’inventaire de ses biens, Maximilien-Henri a déjà regagné l’hôtel de Sully, ce qui montre que seule la présence de sa mère le retenait Cul-de-Sac Guéménée. Dans les foyers modestes, il n’est pas rare qu’une veuve garde près d’elle un fils célibataire car sa force de travail lui assure un revenu et la présence d’un homme offre une certaine protection. Ici, des telles explications ne peuvent être avancées. En réalité, Antoinette Servien ne peut plus disposer que d’un fils : son aîné est marié et installé dans l’hôtel de Sully et ses deux filles ont pris le voile depuis des années. Cette corésidence d’une mère et de son fils permet donc de réunir deux solitudes, ce qui n’exclut pas de vrais rapports affectueux.
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14La solidarité fonctionne dans les deux sens. Si les parents se chargent de prendre soin de leurs enfants célibataires, de les loger quand cela est nécessaire, il n’est pas rare de voir une fille majeure ou un garçon rejoindre le foyer de sa mère devenue veuve pour l’aider au quotidien et partager les tracas d’un ménage. Ces foyers de petite taille unissent donc souvent une mère et l’un de ses enfants adultes, non marié. Si nous parlons de foyers de petite taille, il convient bien sûr de préciser que la noblesse dispose toujours d’une domesticité : dans tous les cas, la solitude est donc à relativiser.
15Aux résidences mère/enfant s’ajoute un autre type de ménages restreints, ceux qui se forment autour d’un ecclésiastique et qui allient religieux et laïques au sein du « logement de fonction34 » que constitue l’abbaye ou l’hôtel épiscopal.
Des foyers mêlant religieux et parents laïques
16De l’année de son veuvage (1677) à l’année de sa mort (1682), François-Bonaventure de Harlay déclare comme résidence « le petit archevêché du cloître Notre-Dame ». À cette période, son frère François est archevêque de Paris. Les deux germains ont donc vécu dans un voisinage immédiat, et cela grâce aux fonctions archiépiscopales du cadet. Pourtant, au mois d’août 1677, François-Bonaventure avait reçu par donation une grande maison située rue du Temple. Et en 1680, il a hérité de tous les biens de sa cousine Louise de La Rivière, comtesse de Lussan35. La corésidence avec son frère archevêque relève donc d’un véritable choix, qu’il soit motivé par la piété ou par l’affection. Elle s’explique aussi par le fait que François-Bonaventure est veuf et que ses seuls enfants survivants sont deux filles qui vivent au couvent de Port-Royal. Se rapprocher de son frère est un moyen de ne pas vivre seul.
17Les cohabitations entre laïcs et religieux peuvent également réunir un frère et une sœur. L’inventaire après décès de Maximilien-Pierre-François de Béthune, époux d’Antoinette Servien, fait état des biens trouvés « dans la chambre de M. l’abbé Servien36 ». L’abbé partage donc le domicile de sa sœur, de l’époux de cette dernière, et de son petit-neveu cadet, Maximilien-Henri de Béthune. Il s’agit d’Augustin Servien dont la vie de débauche, bien connue de ses contemporains, lui aurait valu un court séjour à la prison de Vincennes37. La chambre n’est inventoriée que pour deux items (une tapisserie des Gobelins et un paravent rouge), ce qui signifie soit que l’abbé n’y demeure pas souvent, soit, au contraire, que la majorité des biens meublant la pièce lui appartiennent. Dans ce dernier cas, le notaire n’aurait inventorié que les objets tombés sous le coup de la succession du duc de Sully et soumis à estimation. Nous penchons pour la deuxième option car la dénomination « chambre de M. l’abbé » semble indiquer une résidence habituelle. Augustin Servien est abbé commendataire de deux abbayes provinciales et a obtenu un petit prieuré parisien : il n’est visiblement pas un grand prélat, ni dans la carrière ni dans la dévotion. L’existence auprès de sa sœur, dans un hôtel place Royale, a dû bien mieux lui convenir. Cette dernière le nomme d’ailleurs exécuteur testamentaire, preuve de la confiance et de l’amitié qui unissaient les deux germains38. Un autre exemple de cohabitation mixte dresse un tableau bien différent. En 1703, Armand de Béthune, évêque du Puy, rédige son testament39. Il nomme comme exécutrice sa sœur Marie de Béthune, veuve du comte de Rouville, en précisant de « lui donner avis chez Monsieur l’évêque de Verdun mon frère où elle demeure ». Hippolyte de Béthune est à la tête de ce prestigieux évêché depuis 1680. Veuve depuis 1677, sans enfants, Marie de Béthune a suivi son frère pour l’aider dans ses nouvelles responsabilités, à l’image de certaines sœurs ou nièces de curés40. En 1687, alors que le roi séjourne à Verdun, le Mercure galant relate que l’évêque « avait avec lui Madame de Rouville sa sœur ». En septembre 1703, le frère et la sœur font donation d’une maison aux marguilliers et curé de Saint-Hermeland de Bagneux, pour servir de refuge aux pauvres. Contrairement à l’abbé Servien, Hippolyte de Béthune a investi sa fonction sacerdotale et a été épaulé par sa sœur Marie. L’inventaire des meubles de l’évêque livre un dernier indice de leur cohabitation : on y trouve « une épinette appartenant à Mme de Rouville ». Cet instrument, cousin du clavecin, dessine les soirées musicales qui devaient agrémenter le quotidien de Marie et Hippolyte. Par son testament, Hippolyte de Béthune lègue la majorité de ses biens aux hôpitaux de Verdun. Hormis quelques dons d’objets (faits à deux frères et à une cousine) et une pension créée à son écuyer, le seul autre legs important est réalisé au profit de la comtesse de Rouville. Hippolyte crée une pension viagère de 1 000 livres tournois pour sa sœur et lui donne tous les meubles de ses maisons de Bagneux et de Paris41. En 1733, seule cette fois et de retour à Paris, Marie de Béthune fonde une messe perpétuelle pour le repos de l’âme de son frère (mort depuis 1720) et pour elle-même42. Ces différentes attentions témoignent bien de l’entente qui régnait entre frère et sœur et de l’amour entretenu durant leurs quarante ans de vie commune.
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18Le choix de vivre avec ses parents peut avoir des causes variées. S’il protège des aléas de la vie solitaire, notamment les dépenses (quotidiennes ou fastueuses) d’une habitation individuelle, il engendre une forme de soumission. Lorsque le foyer est de plus petite envergure, ne réunissant parfois que deux parents, les logiques sont quelque peu différentes. On voit alors cohabiter une mère, veuve, et l’un de ses enfants, adulte et célibataire. Ou bien des germains, réunis par amitié, par sens du devoir ou par nécessité ; l’une des explications n’annulant pas forcément l’autre. Des fragilités peuvent ainsi s’effacer en se combinant, selon un lien de réciprocité.
19Les différentes résidences étudiées témoignent des possibilités offertes aux célibataires en dehors du foyer nucléaire. Davantage que les individus mariés, les célibataires semblent plus libres de choisir entre différents types de ménage. Ils peuvent exprimer des préférences pour une sœur ou un frère, créant ainsi un ménage non conjugal restreint, ou bien choisir le quotidien plus fastueux d’un hôtel à porte cochère et s’inscrire dans des ménages complexes transgénérationnels, qui les lient à leurs neveux et nièces.
20Le point commun de ces résidences est bien la présence d’au moins un parent proche. Mais qu’en est-il des foyers solitaires ? Certains célibataires hommes et femmes de notre corpus vivent seuls. Peut-on alors parler d’un choix motivé par une volonté d’indépendance ou bien ces résidences individuelles sont-elles le signe d’une forme d’isolement ?
Vivre seul
Le luxe de l’indépendance
21Les testaments, scellés ou inventaires après décès sont de bons indicateurs du niveau de fortune d’un individu43. Rassemblés, ils donnent une bonne idée de l’étendue de la domesticité et retranscrivent le nombre de pièces composant l’appartement ou l’hôtel des défunts, ainsi que le raffinement de leur mobilier et de leurs toilettes. Parmi les célibataires étudiés, un homme (religieux) et une femme (fille majeure) se distinguent par le nombre de domestiques qu’ils récompensent, par les sommes léguées et par les effets inventoriés à leur mort. Ce niveau de fortune doit être confronté à leur choix d’une résidence solitaire.
Louise de Béthune, demoiselle de Montmort (1617-1679)
22Au début de l’année 1679, Louise de Béthune décède rue de Tournelles, paroisse Saint-Paul, dans un hôtel qu’elle louait 1 000 livres tournois par an à la duchesse de Ventadour44. Un autre bailleur, propriétaire d’une maison rue des Vieilles Tuileries, réclame à la succession de Louise 3 500 livres tournois pour trois ans et six mois de loyers impayés. Conformément aux habitudes de la noblesse, la demoiselle de Montmort a donc régulièrement changé de résidence parisienne45. Cela ne l’empêche pas de garnir ses hôtels successifs d’un mobilier coûteux et raffiné. Alors qu’elle réside la majeure partie de l’année dans son château champenois et que ses « principaux meubles et effets » s’y trouvent, Louise de Béthune ne lésine pas sur les dépenses parisiennes. L’hôtel de la rue des Tournelles se compose d’un grand appartement, de six chambres dont quatre sont utilisées par les domestiques, d’un cabinet, d’un garde-meuble, d’un prie-Dieu, d’une écurie et d’une remise pour les carrosses, ainsi que d’un office et d’une cuisine. L’inventaire de la vaisselle nous indique que le matériau privilégié est l’argent ; cette vaisselle est estimée plus de 8 000 livres tournois46. L’appartement de la demoiselle de Montmort est orné d’une tapisserie de Bruxelles, qui fait le tour de la chambre, et de très nombreuses porcelaines. Un grand miroir vient compléter le faste de ce décor : « à glace de Venise […] garni d’argent, moitié vermeil et moitié blanc, aux armes de ladite damoiselle, moyennant 3 162 livres tournois ». Pour ses déplacements parisiens, la demoiselle de Montmort utilisait un carrosse « façon d’ébène garni de velours cramoisi […] et de six glaces fixes ». Et lorsqu’elle se rendait dans ses terres provinciales, un « carrosse de campagne garni de brocatelle rayée » lui servait de voiture. Enfin, le détail du petit mobilier décoratif ou fonctionnel nous renseigne sur les goûts de Louise de Béthune, mais aussi sur ses capacités financières. Nombre d’objets sont décrits comme étant « de la Chine » ou « peints en la Chine ». Mazarin, puis Louis XIV, ont introduit en France cette mode asiatique, qui se diffuse peu à peu dans les hautes strates de la société47. Louise de Béthune représente cette élite fortunée qui peut se permettre de suivre les injonctions décoratives de son roi. Son goût pour l’exotisme est également manifesté par trois tapis de Turquie ou encore six pièces de tapisserie dites d’Amérique (un produit rare au xviie siècle)48.
23Louise de Béthune n’a pas de charge à la cour, elle n’a pas été pensionnée par le roi ni par la régente. Elle fréquente toutefois le milieu courtisan et adopte ses mœurs. L’acte des scellés mentionne ainsi un mémoire présenté par le sieur de La Mondière, médecin ordinaire du roi49. En 1679, ce dernier indique qu’il a rendu à Louise de Béthune « deux visites par jour pendant cinq mois que la maladie dont elle est décédée a duré ». Il a par ailleurs effectué dix consultations durant la même période, ainsi que trois nuits de veillée. Au total, pour cinq mois de soins, le sieur de La Mondière réclame 993 livres tournois. Ce tarif est bien supérieur à ce que pouvaient prétendre de simples médecins, dont le salaire annuel se situe aux alentours de 500-1 000 livres tournois (et encore s’agit-il de médecins parisiens50). Louise de Béthune, en s’assurant les soins d’un médecin du roi et ce pendant dix ans (comme le précise La Mondière), a manifesté son appartenance à l’aristocratie. Un dernier indice permet de dire qu’elle fréquentait une sociabilité courtisane. Le 24 avril 1679, Mme la princesse de Soubise rend aux héritiers de Louise des bijoux que celle-ci lui avait prêtés. La princesse précise qu’il s’agit d’une parure de prestige composée de nombreux diamants et qu’elle l’a portée lors d’une cérémonie à la cour. Cet emprunt est le signe d’une amitié ou du moins de la confiance de Mme de Soubise envers Louise de Béthune, confiance pour ses goûts et pour la haute qualité de ses bijoux.
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24Ce train de vie aristocratique a nécessité l’emploi d’une large domesticité. Dans son codicille du 26 janvier 1679, la demoiselle de Montmort dispose de 20 000 livres tournois pour frais d’enterrement, legs pieux et récompenses de domestiques51. La somme est en réalité majoritairement utilisée pour ces dernières : 14 000 livres tournois sont destinés aux gens de sa maison.
25L’interprétation des legs et récompenses accordés à ces derniers n’est pas aisée. Il s’agit souvent du paiement des gages dus depuis plusieurs années car, avant la moitié du xviiie siècle, il est très rare de payer régulièrement ses serviteurs52. Ainsi, Suzanne de L’Hospital réclame à la succession de sa défunte maîtresse le paiement de ses gages (200 livres tournois par an). De même, le laquais Nicolas Douin précise que les 250 livres tournois qui doivent lui revenir représentent ses gages « pour tout le temps qu’il a été à son service ». Les récompenses aux domestiques peuvent également avoir une valeur démonstrative : la hauteur des appointements qualifie la grandeur du maître (ou de la maîtresse en l’occurrence) et les legs testamentaires permettent de tenir son rang dans la mort53. Enfin, de telles récompenses font partie intégrante du contrat social qui lie les maîtres à leurs serviteurs. Les précisions concernant la vieille servante Catherine et Mlle de La Ratte en sont une preuve : la nourriture, le logement et l’entretien incombent au maître, y compris lorsque la vieillesse ou la maladie empêche le serviteur de travailler. Il est de la responsabilité des maîtres de procurer des soins à leurs domestiques. Louise de Béthune a, là encore, rempli ses devoirs. Le mémoire présenté par le sieur de La Mondière précise bien que durant ses dix années de service, il a soigné « les autres précédentes maladies […] de tous ses domestiques ». Le don des vêtements et des objets de toilette est également un attendu. Dans l’acte des scellés, les demoiselles de L’Hospital et Troussevale réclament quatre flambeaux, le pot de chambre, la boîte noire, le bénitier et les petites boîtes qui servaient à la chambre de la défunte ; autant d’articles qui leur ont été légués par Louise de Béthune et qui leur appartiennent « ainsi qu’il est de l’usage aux maisons de grands seigneurs54 ».
26La demoiselle de Montmort s’est donc comportée comme l’exigeait son rang. Toutefois, la profusion des serviteurs mentionnés et les montants en jeu sont surprenants pour une femme vivant seule. En effet, les grandes domesticités s’expliquent souvent par les nécessités d’un couple pourvu d’enfants ou par les ménages complexes réunissant plusieurs générations. Ainsi dans les années 1650-1675, les duc et duchesse de Gramont emploient 106 serviteurs, et l’hôtel des Grignan est riche de 80 domestiques. Mais la moyenne chez les élites françaises se situe davantage autour de 8-10 gens de maison55. Louise de Béthune, au moment de son décès, est entourée d’au moins 15 domestiques. Dans l’acte des scellés, plusieurs chambres sont clairement identifiées comme logeant des serviteurs : « dans la chambre de ladite demoiselle Marie Troussevale », « dans la chambre des filles » (qui accueille ses demoiselles de compagnie), « dans le garde-meuble, attendu que la dame de Miremont, concierge, y couche », « dans la chambre du laquais ». Le xviie siècle voit, en effet, maîtres et domestiques s’unir en un même foyer. Cette large domesticité comprend aussi des « spécialistes », tels que le sommelier ou le cuisinier. Et les figures féminines, demoiselles de compagnie et femmes de chambre, sont des domestiques de haut rang (qui se distinguent des simples servantes des foyers modestes)56. Enfin, le montant de certains legs place Louise de Béthune parmi les prodigues de son temps. Mlle de L’Hospital reçoit, entre autres dons, une somme de 5 300 livres tournois, qui n’a rien à envier au legs fait par le maréchal de Gramont, à la même époque, en faveur de son premier valet de chambre (5 000 livres tournois)57.
27Le testament et l’inventaire des biens de Louise de Béthune témoignent donc d’une puissance économique et d’un train de vie aristocratique. Alors qu’elle vit seule pendant plus de vingt ans (de 1657 à 1679), la demoiselle de Montmort a employé à son service une domesticité nombreuse et sûrement plus importante que notre étude ne le montre. En effet, le château de Montmort devait posséder ses propres serviteurs, d’autant que les soins d’une telle demeure appellent des fonctions spécifiques comme celle de jardinier ou de garde-chasse58. Loin d’être isolée et délaissée, cette fille majeure offre plutôt le portrait d’une esthète, bien au fait des modes de son temps, prompte aux dépenses somptuaires et intégrée dans une sociabilité courtisane. Le célibat et la vie solitaire n’ont pas empêché Louise de Béthune de revendiquer son rang, celui de petite-fille de ministre et de sœur de duc ; un rang qu’elle a pu tenir seule grâce au soin qu’elle a pris à composer sa fortune.
Roger de Courtenay, abbé des Eschallis (1647-1733)
28Autre solitaire de notre corpus, Roger de Courtenay témoigne également de l’indépendance que peut offrir la fortune. Dans tous les actes le concernant, passés entre 1682 et 1733, il indique une résidence solitaire. Nous lui connaissons trois hôtels au cours de sa vie : le premier est situé rue Neuve-des-Petits-Champs, le deuxième rue de Bourbon et le dernier rue du Vieux-Colombier. Toutefois, en 1725, il passe un bail à vie avec l’hôpital des Petites Maisons59. Roger est alors âgé de 78 ans, il a enterré son frère aîné deux ans auparavant et, à en croire Saint-Simon, son neveu n’est pas très sain d’esprit. De plus, sa nièce est déjà mère de quatre enfants et réside dans l’hôtel de son époux rue du Cherche-Midi. Ce bail à vie est donc une façon pour Roger de Courtenay d’assurer ses vieux jours sans s’imposer à sa parentèle. Cela lui permet aussi de conserver son indépendance et un train de vie que sa fortune rend possible. Pour rappel, à la fin de sa vie, Roger de Courtenay bénéfice de 11 200 livres tournois de pension annuelle. L’inventaire de ses deniers montre d’ailleurs qu’il dispose d’une belle quantité de numéraire : environ 10 544 livres tournois comptant sont retrouvées dans son cabinet. Par contraste, le corps de logis qu’il loue à partir de 1725 et dans lequel il meurt en 1733 ne lui coûte que 500 livres tournois par an. Ce logement est composé de trois chambres, d’une cuisine, d’un office, de deux remises à carrosses, d’une écurie et de trois caves.
29Cette modestie n’empêche pas Roger de Courtenay de terminer sa vie noblement, entouré d’une domesticité qu’il s’applique à récompenser dans son testament60. Il répartit les legs entre ses domestiques parisiens et ceux du château de Césy (dont il est usufruitier depuis 1713, comme nous l’avons vu). Preuve de ce double attachement, les domestiques Garnier (Césy) et Villefranche (Paris) reçoivent un legs particulier : après avoir acquitté les dettes et obligations de Roger de Courtenay, tout ce qui restera sera réparti en trois lots, le troisième desquels devra être partagé entre les deux hommes. L’abbé s’assure aussi de la prise en charge de ses vieux domestiques : 2 000 livres tournois sont alloués à l’hôpital des Petites Maisons pour recevoir le cocher Paul et la cuisinière « au nombre des pauvres ». Certains legs apparaissent plus personnels et créent une forme d’intimité. Tel est le cas des ustensiles armoriés légués à Jean Garnier, ou encore des litres de vin dont est gratifié Villefranche. Quand on sait que Roger de Courtenay a pris grand soin des vignes de Césy, le don n’est pas sans signification. Ces legs préférentiels témoignent sûrement du rapport de confiance issu de leur longue cohabitation.
30La domesticité de Roger de Courtenay est numériquement plus faible que celle de Louise de Béthune, ce qui reflète à la fois une différence d’âge et de fonction. Roger meurt à 86 ans, dans un logis dépendant d’une institution de charité ; il a peu à peu limité son train et ses dépenses. De plus, sa qualité religieuse et son attachement à l’Église l’incitent peut-être davantage à la modestie. C’est du moins ce qu’on peut lire dans son testament : « comme une partie de mes effets provient du revenu de mes bénéfices, il est juste qu’elle retourne à sa source qui est l’Église et les pauvres ». Toutefois, la vie solitaire qu’il a adoptée n’est pas dénuée de confort et le logis des Petites Maisons relève d’un véritable choix et non d’une nécessité d’infortune. Dans son testament, Roger de Courtenay précise d’ailleurs qu’il souhaite y faire sa sépulture.
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31Aux côtés de ces brillants exemples, certains célibataires apparaissent moins fortunés. Tandis que les familles de notre corpus appartiennent à la haute noblesse, comment expliquer que des individus se retrouvent isolés de leur parentèle ou désargentés ?
Une solitude désargentée
32Il n’est pas rare que des filles majeures résident dans un couvent familial, se rapprochant ainsi d’une sœur ou d’une tante. Cela illustre parfaitement les activités hôtelières dispensées par certains couvents, et en immense majorité des couvents de femmes61. De manière tout aussi commune, certaines locatrices des hôtelleries vivent seules, loin d’une quelconque parentèle, sans avoir prononcé de vœux. Est-ce alors le reflet d’une nécessité financière ou d’un isolement ?
Marie-Paule de Béthune, ancienne demoiselle de Saint-Cyr (1677-1739)
33En juin 1739, le Mercure de France annonce le décès de Marie-Paule de Béthune. Âgée de 62 ans, la demoiselle célibataire a péri « dans un incendie qui consuma sa chambre à l’abbaye Notre-Dame-des-Prés ». Marie-Paule est née le 24 mai 1677 et ses preuves (de noblesse et de pauvreté) ont été reçues à Saint-Cyr le 26 février 169162. Elle est la petite-fille d’Hippolyte de Béthune et Marie-Anne de Beauvilliers, et la fille d’Henri de Béthune et d’Anne-Marie Dauvet (elle-même fille de Nicolas Dauvet Desmarets). Elle appartient à la branche cadette de Selles et compte parmi ses oncles les évêques Armand (nommé au Puy en 1665) et Hippolyte de Béthune (nommé à Verdun en 1680). Marie-Paule de Béthune ne fait donc pas partie, au premier abord, de la noblesse appauvrie ciblée par le projet initial de Saint-Cyr. Dominique Picco a d’ailleurs montré que certaines familles obtenaient de leur évêque de fausses preuves pour pouvoir placer une fille dans le prestigieux établissement63. Toutefois, l’enfance de Marie-Paule se trouve bouleversée par un scandale : en mars 1689, son père s’est rendu coupable d’un rapt de séduction et a été envoyé en exil. L’affaire fait grand bruit à la cour et à Paris puisqu’Henri de Béthune a enlevé Mlle de Vaubrun, sœur de la nouvelle duchesse d’Estrées (Madeleine-Diane de Vaubrun, seconde épouse de François-Annibal II d’Estrées depuis 1688)64. Plusieurs actes émanant de la Maison du roi nous renseignent sur le déroulement de l’affaire et sur l’indignation qui règne à Versailles65. Au sein de la maison de Béthune, la fratrie de Marie-Paule fait pâle figure. Un seul de ses trois frères s’est marié, ce qui en soit n’est pas étrange, mais l’alliance est contractée alors qu’il est âgé de 45 ans (1708). Sa femme appartient à la noblesse de Québec, elle a déjà été mariée (en Nouvelle-France) et est mère de plusieurs enfants66. Cet unique mariage n’est donc pas très brillant67. Les deux autres frères ont fait carrière, pour l’un dans la Marine, pour l’autre dans l’Église. Ce dernier finit ses jours à la tête d’une petite abbaye bretonne, dans le diocèse de Saint-Brieuc. Les enfants d’Henri de Béthune et Anne-Marie Dauvet n’ont visiblement pas bénéficié des mêmes ressources que leurs cousins. L’écart est impressionnant si on les compare aux germains nés de François de Béthune (frère puîné d’Henri) et Marie-Louise de La Grange d’Arquien. Ceux-ci ont pu compter sur la carrière de leur père, ambassadeur de France, et sur la clientèle de leur mère, sœur de la reine de Pologne. Les trois enfants ont ainsi contracté de belles alliances : le fils unique épouse une fille de maréchal de France, et ses deux sœurs épousent de grands aristocrates polonais68. Le mariage d’Henri de Béthune et Anne-Marie Dauvet présentait déjà quelques caractéristiques étonnantes. Le contrat qui les unit en janvier 1666 précise que les parties sont mariées depuis 1658 sans qu’aucune convention matrimoniale n’ait été établie69. Or, en septembre 1665, le père d’Henri, Hippolyte de Béthune, est mort. La coïncidence des dates semble indiquer que le mariage d’Henri a été « régularisé » suite au décès de son père. L’idée d’un conflit entre les deux hommes émerge lorsque l’on songe qu’Hippolyte avait voué son fils à l’ordre de Malte dès l’âge de 4 ans. Le choix de quitter l’Église pour embrasser la vie maritale a pu être perçu comme une offense à l’autorité paternelle. L’hypothèse d’un conflit est d’ailleurs affermie par l’étude de l’accord passé, en septembre 1667, entre les héritiers d’Hippolyte de Béthune et les créanciers de ce dernier70. Tous les enfants d’Hippolyte y sont mentionnés, à l’exception d’Henri. Deux explications sont alors possibles : Henri a pu renoncer à l’héritage ou bien il en a été exclu par son père. L’édit royal de 1556 rend en effet possible l’exhérédation d’un enfant en cas de « mariage clandestin », qualificatif donné à toute alliance réalisée sans le consentement des parents pour peu que l’époux n’ait pas atteint 30 ans (ou 25 ans pour l’épouse). En 1658, Henri de Béthune est âgé de 26 ans. Son père aurait donc pu le déshériter pour cause de désobéissance. Un dernier élément tend à prouver que le mariage d’Henri et Anne-Marie Dauvet n’a pas reçu les suffrages de leurs parentèles. Lorsqu’ils règlent leurs conventions matrimoniales en 1666, les seuls témoins sont le père et la mère de l’épouse. Ces derniers accordent une dot relativement médiocre de 60 000 livres tournois. En 1670, les époux n’en ont d’ailleurs touché qu’un sixième.
34De nombreux éléments contribuent à faire d’Henri de Béthune et Anne-Marie Dauvet un couple isolé et relativement désargenté. L’isolement est également géographique car, comme l’indique l’acte de baptême de Marie-Paule, la famille fait sa résidence à Fontainebleau71. Marie-Paule de Béthune est donc finalement une excellente candidate pour Saint-Cyr. De plus, à partir de 1690 elle est orpheline de père ; Henri de Béthune meurt en exil cette même année. Âgée de 14 ans, Marie-Paule devient élève de l’établissement royal et y fait ses classes de 1691 à 169772. L’année de ses 20 ans, elle peut quitter les lieux avec les 3 000 livres tournois assurées à chaque pensionnaire ayant achevé son cursus. Nous savons qu’elle n’a pas pris le voile car nous la retrouvons « fille majeure » dans un acte de 1726. Elle se présente alors à la succession de Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, et inscrit comme résidence « la communauté des Filles de la Croix, rue de Charonne, faubourg Saint-Antoine73 ». La duchesse du Lude la mentionne en effet dans son testament de mai 1725, en tant que « Mlle de Béthune, qui a été élevée à Saint-Cyr, et qui est à présent aux Filles de la Croix ». Elle lui lègue 1 000 livres tournois de pension viagère74. Selon Dominique Picco, peu de demoiselles de Saint-Cyr sont demeurées célibataires laïques. Parmi les élèves nées avant 1700 et qui ne sont pas mortes durant leur scolarité, 70 % des destins connus se partagent entre la vie conjugale (21 %) et la vie conventuelle (49 %). Dans les 30 % restants, aux côtés des chanoinesses et des célibataires, se trouvent également les filles qui ont été retirées de Saint-Cyr avant la fin de leur scolarité. Marie-Paule représente donc une portion minoritaire des saint-cyriennes. De plus, les abbayes qu’elle choisit pour résidence ne font partie ni des couvents familiaux observés chez les Béthune, ni des congrégations favorisées par les autres saint-cyriennes (communautés enseignantes, bénédictines, ou bien Saint-Cyr75). Faute de sources, près de trente années de son existence nous sont inconnues. Il est peu probable qu’elle ait vécu avec ses frères puisque deux d’entre eux ont mené une carrière active dans la Marine76. Le fait que Marie-Paule soit mentionnée au testament de la duchesse du Lude témoigne tout de même d’un lien entre les deux femmes. Cela dit, la duchesse réalise un très grand nombre de legs et ceux destinés à sa parentèle concernent plusieurs membres de la branche de Selles – pour des sommes environ équivalentes à la rente créée pour Marie-Paule. En revanche, cette rente est inférieure aux pensions créées pour certains domestiques (l’intendant et l’écuyer reçoivent chacun 2 000 livres tournois de rente). La prodigalité testamentaire de la duchesse du Lude témoigne, en réalité, des soins pris par une grande aristocrate : l’importance des legs pieux et des récompenses de domestiques s’accompagne d’une aide à sa parentèle moins bien pourvue77.
35Au sein de cette famille de haute noblesse, le cas de Marie-Paule est surprenant. Seule fille de sa fratrie et ayant reçu la bonne éducation de Saint-Cyr, elle ne contracte pourtant pas d’alliance. Dotée d’une parentèle nombreuse et fortunée, elle mène une vie solitaire dans des couvents sans prestige ni vocation enseignante, et sans prendre le voile. Mathieu Marraud dessine un lien évident entre l’habitat conventuel et les revenus modestes, associant ces deux caractéristiques aux femmes seules, y compris dans la noblesse78. La question est donc soulevée du choix ou de la nécessité. Henri de Béthune, en s’isolant de sa famille et en agissant contre les lois du royaume, n’a pas pu assurer à ses enfants de revenus dignes de leur rang ; Marie-Paule de Béthune a fait les frais de cette existence tumultueuse. Alors que ses cousines, toutes branches confondues, se marient dans de grandes familles ou prennent la tête de couvents prestigieux, elle mène une vie bien plus modeste. Toutefois, l’éducation reçue à Saint-Cyr n’est peut-être pas étrangère à cette situation. Marie-Paule y fait ses classes dans la dernière décennie du xviie siècle, période où l’école se renferme sur elle-même et où Mme de Maintenon forge et déploie sa pédagogie. Parmi les enseignements de cette dernière figure en bonne place la méfiance vis-à-vis de la vanité et de la corruption du monde, et vis-à-vis des hommes79. Le célibat laïque adopté par Marie-Paule de Béthune est peut-être le résultat combiné d’une fortune médiocre, d’un idéal de vertu et de modestie inculqué par Saint-Cyr, et d’un isolement au sein de son lignage.
36La solitude désargentée n’est d’ailleurs pas l’apanage des femmes célibataires. Certains hommes n’y échappent pas, surtout lorsqu’il s’agit de cadets et de militaires. C’est bien ce qui apparaît en étudiant les dernières années de Marie-Henri de Béthune, deuxième fils d’Henri et frère de Marie-Paule.
Marie-Henri de Béthune, capitaine de vaisseau (1666-1744)
37Marie-Henri débute sa carrière en tant que garde-marine à Brest. Il prend ensuite la mer et est promu consécutivement aux grades de lieutenant de vaisseau (1695), capitaine de frégate (1705) et, enfin, capitaine de vaisseau (1707)80. À cette période, la Marine royale est encore jeune ; elle est passée sous le contrôle de l’État depuis 1669 seulement81. Elle ne représente pas un corps militaire prestigieux et attire essentiellement des hommes de noblesse récente. Les charges d’officiers de Marine attirent également la noblesse désargentée car elles ne sont pas vénales, elles n’ont pas à être achetées. De plus, les officiers sont entretenus par le roi tant en mer que sur terre. Faire carrière dans la Marine est donc une solution profitable pour Marie-Henri de Béthune. Ce dernier s’illustre également dans les colonies, en tant que gouverneur de Cayenne (septembre 1713 à mai 1715) puis de Martinique (1716-1719)82. Mais il semble y briller par son absentéisme83. Marie-Henri de Béthune a préféré partager sa vie entre la haute mer et Paris. En 1724, il s’attache au service du fils du Régent et obtient le titre de gentilhomme de la Chambre de Louis d’Orléans. Puis, en 1731, il demande au roi la permission de se retirer « du service que ses infirmités ne lui permettent pas de continuer84 ». Il obtient alors une retraite de 2 400 livres tournois par an. À l’image des officiers de l’infanterie ou de la cavalerie, Marie-Henri de Béthune s’est assuré un revenu convenable pour finir ses jours, sans pour autant avoir fait fortune malgré ses presque 50 ans de carrière85.
38En avril 1744, âgé de 78 ans, il rédige ses dernières volontés. Il demeure alors « à Paris dans la conduite de l’Orme, enclos de l’Arsenal » et se présente comme ancien capitaine de vaisseau86. Il gît au lit malade et meurt quelques jours plus tard, le 3 mai 1744. Ce testament très succinct nous informe qu’il vit entouré de deux valets de chambre et d’un laquais. En dehors de quatre tableaux qu’il lègue à son frère l’abbé, tous ses biens doivent revenir aux trois domestiques, « savoir moitié pour ledit Thesser, un quart pour ledit Duquesne et l’autre quart pour ledit Henry ». Duquesne, le second valet de chambre, est gratifié d’un autre legs bien spécifique puisqu’il doit recueillir « tous les instruments, vaisselle, fourneaux et généralement tout ce qui dépend [du] laboratoire de chimie » de son maître. Cette disposition originale rappelle l’engouement qui saisit le xviiie siècle pour le progrès scientifique, les collections de toutes sortes et les cabinets d’histoire naturelle. Le Régent, dans la cour duquel a gravité Marie-Henri de Béthune, a lui-même fait installer un laboratoire de chimie au Palais-Royal. De plus, la Marine devient « une armée savante » dont les missions touchent désormais l’astronomie, l’hydrographie et les mathématiques87. La carrière et l’entourage du chevalier de Béthune l’ont donc mis au contact des recherches scientifiques de son temps. Mais l’entretien d’un laboratoire personnel demande un investissement financier qui semble avoir réduit à peau de chagrin les autres dépenses de Marie-Henri88. En effet, l’acte des scellés apposés sur ses biens dessine un intérieur plutôt chiche89. Le document en lui-même est révélateur : l’acte ne se compose que de cinq feuillets. La description de l’appartement du chevalier n’en mérite pas davantage puisqu’il comporte une chambre à coucher, trois salles, une antichambre, ainsi qu’une pièce « servant de laboratoire ». Les meubles sont de facture modeste, le plus souvent en bois de sapin ou de chêne, les chaises en paille. Certaines informations apportées par les trois domestiques accentuent cette idée de frugalité : le défunt « ne faisait point de cuisine et n’avait actuellement aucune provision d’eau », ce qui indique qu’il devait manger dehors ; les meubles garnissant les chambres des serviteurs appartiennent aux serviteurs eux-mêmes. Le train de vie modeste du chevalier de Béthune est encore visible dans le petit nombre d’oppositions formulées à la suite des scellés. Seules huit personnes viennent réclamer le remboursement d’une dette et il s’agit à chaque fois de sommes modiques (une blanchisseuse demande 48 livres tournois, un prêtre de Saint-Paul 98 livres tournois pour les frais d’inhumation du défunt, etc.). Toutefois, ce quotidien modeste n’est pas sans porter les marques de la haute naissance de Marie-Henri : plus de trente tableaux, dans leurs cadres de bois dorés, sont inventoriés – une quantité qui contraste avec la simplicité de son intérieur. De plus, le défunt n’a pas manqué d’investir dans des objets scientifiques et modernes : dans son laboratoire, on trouve un thermomètre, un baromètre, une pendule à secondes et « un poêle en fonte garni de ses tuyaux de tôle de fer ». Concernant ce dernier, Marie-Henri de Béthune fait figure de précurseur : le poêle sera introduit dans les intérieurs parisiens après 175090. Les trois autres instruments mentionnés témoignent d’un intérêt pour les innovations techniques du temps91. Le reste du laboratoire est décrit succinctement mais le commissaire fait tout de même état de « quelques fourneaux et vaisseaux servant à la chimie ». Marie-Henri de Béthune s’est donc doté de tout l’équipement nécessaire pour réaliser ses expériences92.
39Le testament et l’inventaire des biens du chevalier de Béthune dessinent le portrait d’un vieux scientifique, vivant en bonne intelligence avec ses serviteurs dont l’un l’accompagne visiblement dans ses travaux. Cet original s’est isolé de sa parentèle puisqu’il ne nomme comme légataire que l’abbé de Béthune, tandis que le mariage de son frère aîné a agrandi la famille d’une nièce et d’un neveu, âgés respectivement de 35 et 33 ans et célibataires eux aussi. Les legs en faveur de ses domestiques montrent un lien d’amitié ou de fidélité et une volonté de les mettre à l’abri du besoin après sa mort. En effet, les biens qu’il lègue consistent en meubles, deniers comptants, mais aussi « tout ce qui se trouvera lui être dû de ses pensions, appointements et gratifications » ; il s’agit probablement des 2 400 livres tournois de retraite. Marie-Henri de Béthune a donc fini sa vie de manière très parcimonieuse. Faut-il y voir les conséquences d’une vie militaire et mobile, l’habitude de faire avec peu, ou bien le résultat d’un isolement et d’une fragilité économique ? Un portrait se dresse alors : celui d’un homme affairé dans son laboratoire, plus attentif aux résultats de ses expériences qu’aux salons parisiens et vivant dans une réclusion choisie. Toutefois, son grand âge (il meurt à 78 ans) et le recours aux médecines (un apothicaire figure parmi ses créanciers) doivent aussi appeler à une lecture pragmatique : sa santé déclinante, en le forçant peu à peu à l’isolement dans son appartement, a dû considérablement limiter le cercle de ses connaissances. L’absence de ses neveu et nièce au moment des scellés, l’absence même d’une quelconque mention de leur existence (dans le testament ou dans l’acte judiciaire) témoignent en tout cas d’une rupture avec sa parentèle.
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40Le lieu de résidence peut fournir les indices d’un isolement et d’une modestie de moyens. Toutefois, le pouvoir économique ne dépend pas uniquement des revenus propres, mais aussi (et peut-être avant tout) de l’entourage. Les exemples précédents montrent que la solitude désargentée est le fait d’un isolement, d’une rupture avec sa famille.
41Mais entourage ne signifie pas uniquement parentèle. Deux demoiselles majeures de notre corpus ont fait leur résidence chez une dame de meilleure noblesse ou de meilleure fortune, sans pour autant être locataires. Il s’agit de Catherine-Françoise de Bretagne (1617-1692) qui s’attache à la duchesse de Longueville, et d’Henriette de Conflans (1632-1712) devenue compagne à demeure de la duchesse d’Orval. Ces deux femmes ne sont jamais mentionnées en tant que dames de compagnie ; ce titre renvoyant à une fonction officielle et pensionnée au sein de la suite aristocratique des princesses et des reines93. En étudiant les liens unissant ces duos, par le biais de leurs correspondances ou par les commentaires des contemporains, on voit se dessiner un entre-deux difficile à qualifier. Logées à titre gratuit, les demoiselles trouvent un foyer et un statut mais semblent garder une conscience claire de leur position subordonnée.
Entre amitié et dépendance : devenir la compagne d’une aristocrate
Catherine-Françoise de Bretagne, demoiselle de Vertus (1617-1692)
42En 1670, Catherine-Françoise de Bretagne fait don à son frère survivant de ses parts dans les successions de leur père, de leur mère et de leur frère aîné. Elle indique alors comme résidence « l’hôtel de Longueville94 ». Cet hôtel est la résidence d’Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville par son mariage. Les deux femmes se sont liées d’amitié au début des années 1650 et résident le plus souvent ensemble jusqu’à ce que Mlle de Vertus entre définitivement à Port-Royal en 167195. Elles partagent une lutte commune, la protection du jansénisme, ce qui leur vaut la foudre ou le mépris de certains contemporains96. Entre 1661 et 1669, leurs correspondances témoignent de l’intérêt qu’elles portent au courant dissident. Elles choisissent les mêmes directeurs de conscience (M. Singlin puis M. de Sacy, jansénistes notoires) et se lient avec d’autres figures du mouvement, telles que Marguerite Périer, Jacqueline Pascal ou encore Pascal lui-même. L’historiographie a bien montré que ce courant religieux avait reçu la protection d’un grand nombre de femmes97. Le lien qui unit Catherine-Françoise de Bretagne et Anne-Geneviève de Bourbon est à étudier au regard de cet engagement car l’amitié est, pour la noblesse d’Ancien Régime, un sentiment éminemment politique98. Le cercle de la duchesse profite alors à Mlle de Vertus qui se lie intiment à la marquise de Sablé, grande salonnière et autre « belle amie de Port-Royal ». Les deux femmes entretiennent une correspondance fournie où elles discutent autant du jansénisme que de leurs problèmes de santé, à l’image de cette recette partagée par Catherine-Françoise : « Quand mon estomac est entièrement vide, je bois du sirop de gomme battu dans de l’eau99. »
43Mlle de Vertus côtoie donc la meilleure société parisienne et est connue de tous comme l’amie intime de la duchesse de Longueville. Toutefois, quelques indications d’une lettre à l’autre montrent qu’un écart de fortune sépare les deux femmes. D’ailleurs la demoiselle a eu d’autres protectrices (la comtesse de Soissons, puis de Mme de Rohan), avant de s’attacher à la duchesse de Longueville100. L’amitié entre les deux femmes est à considérer selon un rapport de force inégal. Ainsi, Catherine-Françoise de Bretagne est amenée à suivre les pérégrinations de la duchesse, tantôt à Paris, tantôt dans sa terre de Trie. Elle se permet d’ailleurs une exclamation désespérée dans une lettre adressée à la marquise de Sablé : « Serai-je toute ma vie vagabonde ? » La demoiselle mène alors des tractations pour être admise à Port-Royal-des-Champs. Elle espère bénéficier de l’aide de la marquise, qui est établie au faubourg Saint-Jacques, près de Port-Royal de Paris, et a des accointances avec la mère supérieure. Là encore, on perçoit les difficultés économiques qui font barrage aux volontés de Mlle de Vertus, notamment lorsqu’elle déplore : « que n’ai-je de quoi faire bâtir une petite cellule auprès de vous101 ! » Elle parvient toutefois à intégrer définitivement le couvent, sans prononcer de vœux, en 1671. La mort de ses parents et la rente de 4 000 livres tournois qu’elle obtient de son frère en échange de ses parts d’héritage ne sont sûrement pas étrangères à cette nouvelle situation.
44Depuis 1669, la demoiselle fait des séjours de plus en plus prolongés à Port-Royal. La lenteur du processus d’intégration s’explique en partie, selon nous, par la mauvaise volonté de la duchesse de Longueville face à une séparation qu’elle redoute. Le 1er novembre 1669, cette dernière écrit à mère Agnès Arnauld, supérieure de Port-Royal-des-Champs. Alors qu’elle quitte Paris pour rejoindre ses terres normandes, elle déplore de ne pouvoir y amener Catherine-Françoise qui « étant [sa] seule consolation en [sa] vie, [lui] paraissait assez nécessaire présentement ». Anne de Bourbon précise que par amour pour Mlle de Vertus elle ne l’a pas forcée à rentrer avec elle, lui permettant de demeurer dans le recueillement. Toutefois, elle n’entend pas voir cette retraite se prolonger trop avant. La lettre s’achève sur ces mots : « Je veux espérer que vous l’y porterez vous-même, si elle avait besoin d’y être excitée par quelque autre chose que par son affection pour moi, et par la connaissance qu’elle a du besoin que j’aurai de son assistance […] avec mes enfants102. » Catherine-Françoise de Bretagne a donc partagé la vie d’Anne de Bourbon pendant près de 20 ans, elle a partagé ses combats et ses idées, et une vraie amitié s’est tissée entre les deux femmes. La demoiselle de Vertus a pu mener un train de vie que l’état des finances de sa famille ne lui aurait pas permis et a fréquenté, grâce à cette amitié, la société lettrée de Paris. Toutefois, en tant que subordonnée de naissance et de fortune, elle a également joué un rôle de gestionnaire et d’aide quotidienne, notamment dans l’éducation et l’entretien des deux fils d’Anne de Bourbon (orphelins de père à partir de 1663). Son départ montre l’ambiguïté d’une telle relation alors que la duchesse exprime à la fois la tristesse de voir s’éloigner une amie, et le dépit face à une indépendance prise à ses dépens. C’est pourtant avec chaleur que Mme de Longueville se souvient de son ancienne compagne lorsqu’elle rédige son testament en août 1678 : « Comme j’ai toujours eu une amitié fort tendre pour Mademoiselle de Vertus, je la prie d’en vouloir bien recevoir une petite marque en agréant le présent que je luis fais de la somme de 2 000 écus103. » Catherine-Françoise de Bretagne réside alors depuis sept ans à Port-Royal-des-Champs.
45Cette amitié inégale n’est pas un cas unique. L’intimité et la confiance que nous avons pu observer entre Marguerite-Louise de Béthune et Henriette de Conflans trouvent leurs racines dans une autre relation de cette dernière.
Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières (1632-1712)
46C’est une troisième femme, Anne de Harville, qui a permis la rencontre entre la demoiselle d’Armentières et la duchesse du Lude. En 1654, Anne épouse François de Béthune, fils du ministre Sully et grand-oncle de Marguerite-Louise. Lors du contrat de mariage, Henriette de Conflans figure dans la liste des témoins de l’épouse en qualité d’amie104. Les deux femmes sont exactement contemporaines pour être nées entre 1630 et 1632. Elles partagent également une lointaine parenté car leurs grands-mères paternelles appartiennent toutes deux à la maison de Jouvenel des Ursins. En accédant au rang de duchesse, Anne de Harville semble avoir transformé cette amitié en protection. En effet, alors que les finances de la maison de Conflans sont au plus mal, Henriette fait partie du meilleur cercle parisien. Entre 1667 et 1674, elle est entourée des plus beaux noms de la cour et pleinement intégrée à une sociabilité précieuse, comme en témoigne sa correspondance régulière avec Bussy-Rabutin105. Ces lettres attestent de l’ampleur de son cercle mondain. Elle informe Bussy-Rabutin, en exil, des grossesses de la marquise de Villeroy (qu’il surnomme « mon Cœur ») ou de la santé de la comtesse de Guiche (Marguerite-Louise de Béthune). Elle tente de calmer son courroux contre la marquise de Monglat (Cécile-Élisabeth Hurault, son ancienne maîtresse). Une telle intimité est le résultat de la vie qu’elle mène auprès de la duchesse d’Orval. Le revers de cette cohabitation se lit également dans les lettres envoyées à Bussy-Rabutin. La demoiselle d’Armentières se charge du soin de Mme d’Orval : « Je passe mes jours avec la duchesse cousine, qui est toujours malade. » Les déplacements d’Henriette s’accordent avec ceux de Mme d’Orval : « Les comtesses ne bougent de la cour et nous de la ville » ; ou encore, « ne faisant que d’arriver d’un voyage que nous avons fait en Picardie106 ». Ces différentes informations montrent que la demoiselle est attachée à la duchesse selon une certaine logique hiérarchique. À plusieurs reprises, elle mentionne les fêtes de Versailles… pour préciser à chaque fois qu’elle ne s’y est pas rendue. Se posent alors deux questions : Henriette de Conflans a-t-elle été privée de se présenter à la cour à cause de son rang et de la déchéance de sa famille ? Ou bien en a-t-elle été empêchée par les obligations qui la retenaient auprès de la duchesse d’Orval ? Dans les deux cas, une infériorité se dessine qui fait de l’amitié entre les deux femmes un rapport inégal.
47Si la correspondance entre Bussy et Henriette de Conflans ne se poursuit pas après 1674 (du moins ce qu’on en a conservé), la demoiselle d’Armentières et la duchesse d’Orval continuent leur cohabitation jusqu’au début du xviiie siècle. Dans tous les actes concernant Henriette de Conflans, échelonnés entre 1690 et 1712, celle-ci indique comme résidence la rue Saint-Dominique, paroisse Saint-Sulpice. Dans quatre des dix actes en question, entre 1699 et 1707, elle précise demeurer « en l’hôtel d’Orval ». Toutefois, entre 1710 (au dépôt de son testament) et 1712 (inventaire de ses biens), la mention de résidence est la suivante : « en la maison où elle demeure / où elle est décédée, sise rue Saint-Dominique107 ». Henriette de Conflans vit désormais seule, bien que dans la proximité immédiate de son amie. Après avoir assaini les finances de sa maison, et âgée de 80 ans, elle semble avoir fait le choix d’une résidence solitaire, preuve de son indépendance économique recouvrée. L’inventaire et la prisée de ses meubles dévoilent alors un intérieur cossu puisque la maison compte cinq chambres, une antichambre, un garde-meuble et une écurie. Elle dispose de plusieurs domestiques dont une femme de chambre, des laquais et un cocher. Saint-Simon va même jusqu’à dire qu’étant « devenue riche […] elle assista à son tour son amie108 ». En effet, en 1699, Mlle d’Armentières crée une pension viagère de 4 000 livres tournois en faveur de la duchesse d’Orval, ainsi qu’une pension de 1 000 livres tournois pour son fils abbé109. Sans voir dans ces pensions la preuve d’un retournement complet de situation, il convient de dire qu’Henriette de Conflans exprime du même coup son aisance financière et sa reconnaissance. Il est évident que sans la vie qu’elle a menée auprès de la duchesse, la demoiselle d’Armentières aurait eu plus de difficulté à redorer le blason de sa famille. En effet, c’est bien grâce à la duchesse d’Orval qu’elle a pu se lier à Marguerite-Louise de Béthune, pièce maîtresse du long recouvrement des créances de la maison d’Henriette. La parenté qui unit la duchesse d’Orval et la duchesse du Lude, leur rang et leur voisinage parisien (rue Saint-Dominique) expliquent l’intégration d’Henriette de Conflans à un réseau aristocratique auquel elle n’aurait pas pu prétendre.
48Un lien complexe se tisse ainsi entre les aristocrates et leurs compagnes désargentées. Souvent orphelines et filles majeures, ces dernières sont sans attaches et se vouent aux soins de leur bienfaitrice. Elles bénéficient, en retour, de cette proximité avec les lieux du pouvoir (les fameux bienfaits de la porte cochère). Le faible niveau de leurs ressources, qui aurait dû les priver d’une brillante société et d’un statut dans le monde, fait de ces femmes célibataires les compagnes idéales. Dépendantes économiquement, elles sont volontiers soumises aux désirs des duchesses et d’autres femmes de cour. Elles savent se montrer polyvalentes et jouent tour à tour les rôles de compagnes, garde-malades, gestionnaires… au point de se rendre indispensables. Un rapport de don/contre-don s’installe, auquel s’ajoute très probablement une considération sincère. Dans l’intimité de ces corésidences se noue un rapport trouble fait de reconnaissance, de soumission et d’amitié.
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49S’intéresser à la résidence des célibataires nobles, c’est s’éloigner de l’idée de foyer nucléaire pour se rapprocher de ménages complexes et transgénérationnels. Ces différents foyers, unissant individus mariés et célibataires, religieux et laïques, témoignent d’une tendance au vivre ensemble. Et les logiques de genre ne sautent pas aux yeux : il arrive qu’un fils non marié réside avec sa mère devenue veuve, tout comme une femme peut demeurer auprès de son frère évêque. Dans cette société lignagère qui accorde tant d’importance à la maison et où les familles se distinguent par le nombre de leurs représentants et par la force de leurs réseaux, il est relativement rare de s’isoler complètement de sa parentèle.
50La résidence solitaire peut alors revêtir plusieurs explications. Un choix réel de vivre seul peut se manifester, pour peu qu’on en ait les moyens. Louise de Béthune, fille majeure, et Roger de Courtenay, abbé, possèdent de belles fortunes et font le choix de partager librement leur vie entre Paris et la campagne, sans s’astreindre à une existence collective. Leur solitude n’est pourtant pas synonyme d’isolement car ils sont prompts à disposer de leurs biens au bénéfice de leur parentèle, qu’il s’agisse de régler des dettes ou de doter des filles. De plus, cette solitude doit être nuancée par la présence de domestiques qui deviennent parfois, au fil d’une longue cohabitation, des gens de confiance. En revanche, la résidence solitaire peut s’accompagner d’une forme de marginalité. Les germains Marie-Paule et Henri-Marie de Béthune ont mené des existences hétéroclites et modestes, résultats de la mauvaise conduite de leur père. Henriette de Conflans et Catherine-Françoise de Bretagne ont accepté une condition de quasi-domestique car des contingences familiales ne leur offraient pas la possibilité d’accéder autrement au milieu curial et aristocratique. Pourtant, dans ces deux derniers cas, l’isolement familial a eu l’effet d’une élévation sociale. Preuve en est, les demoiselles d’Armentières et de Vertus ont laissé des sources littéraires, qu’il s’agisse de mentions éparses dans les écrits du temps ou de lettres de leur main. Leurs correspondances ont été conservées, signe qu’elles appartenaient à des cercles dont il a semblé bon de garder la mémoire.
51La vie solitaire de certains célibataires peut d’ailleurs fausser les analyses car vivre seul nécessite de régir sa maisonnée (payer un loyer, gérer la domesticité, assurer sa subsistance quotidienne ou son train fastueux), ce qui laisse des traces. Or, pour une majorité de célibataires hommes et femmes présents·dans les généalogies, nous ne savons que très peu de choses. Ces lacunes peuvent avoir des explications contingentes (hasards de la conservation, défaillances de nos recherches) mais offrent aussi une hypothèse systémique : la vie collective, au sein de l’hôtel ou du château familial, et sous la tutelle d’un chef, a rendu invisibles ces existences célibataires. De plus, il est globalement plus difficile de situer les hommes célibataires, du moins ceux qui n’appartiennent pas à l’Église. Cela peut être dû aux carrières militaires qu’ils sont nombreux à mener. Si ces hommes ne sont pas toujours en campagne, il est probable qu’entre deux missions ils rejoignent une résidence familiale (choix moins coûteux). La vie collective et les ménages complexes sont bien, selon nous, les organisations les plus représentatives de la noblesse. Cela explique l’importance des accords au moment des successions et le respect des logiques patrilinéaires car le poids du devoir et des sentiments est bien plus difficile à évacuer quand on partage le même toit.
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52La question de la résidence a esquissé les notions de choix, d’élection, voire d’amitié. Toutefois, nous avons jusqu’ici éludé la question des sentiments amoureux et de la sexualité des célibataires. Si les sources sont rares pour traiter ces sujets, surtout quand on regarde du côté des femmes, quelques trajectoires méritent qu’on s’y arrête.
Notes de bas de page
1Biraben, 1963.
2Grimmer et Montat, 2017.
3Minvielle, 2013. L’auteur insiste sur la « grande plasticité des ménages » (§ 27).
4Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2006.
5Marraud, 2000, p. 168.
6AN, MC/ET/I/252, Liquidation des légitimes entre Monsieur le comte de Vertus, mesdemoiselles ses sœurs, Monsieur le prince de Courtenay, et Monsieur le comte de Goëllo, le 14 juillet 1713.
7AN, MC/ET/I/293, Inventaire après décès de Catherine-Barthélémie-Simone de Bretagne, demoiselle de Chateaulain, le 14 mai 1720.
8C’est la résidence qu’elle indique dans son contrat de mariage avec Charles-Roger de Courtenay, le 15 novembre 1704. Sa tante (et probablement marraine), Marie-Claire de Bretagne, y est abbesse.
9La sentence d’émancipation, en date du 29 juillet 1683, concerne les quatre enfants déjà nés de Judith Le Lièvre et Claude II de Bretagne : Anne-Agathe, Marie-Claire, Angélique et Armand-François (AN, Y/28, fo 23).
10Marraud, 2000.
11Lett, 2011 ; Adams, 1996.
12AN, Y/194, fo 115 vo, Donation mutuelle entre Claude de Bretagne, comte de Goëllo, et Marguerite-Angélique de Bretagne de Champtocé, sa sœur, demeurant tous deux sur le quai de la Tournelle, le 29 avril 1657.
13Minvielle, 2013, § 9. Ces foyers sont rares, ils représentent moins de 2 % des ménages.
14AN, MC/ET/I/200, Codicille de Marguerite-Angélique de Bretagne, fille majeure, le 16 août 1694.
15Trévisi, 2008.
16Aubry, Charneau et Pardailhé-Galabru, 1987.
17Marraud, 2000, p. 62.
18Coquery, 1998.
19Aristide, 1990, p. 126-127.
20AN, MC/ET/CV/899, Inventaire après décès d’Henri de Bourbon, duc de Verneuil, le 3 août 1682.
21BNF, Plan de la ville et des faubourgs de Paris divisé en ses vingt quartiers, 1760. Dans l’image no 3 : 1 : Place Royale ; 2 : croisement entre la rue Neuve-Saint-Louis (actuelle rue de Turenne) et la rue Saint-Antoine ; 3 : cul-de-sac de Guéménée (actuelle impasse de Guéménée). La rue Payenne ne figure pas sur ce plan, mais elle se situe dans le prolongement de la rue Pavée (qui rejoint la rue Saint-Antoine, au niveau de la rue Percée).
22AN, MC/ET/CXV/265, Contrat de mariage de Maximilien-Pierre-François-Nicolas de Béthune et Madeleine-Armande du Cambout de Coislin, le 17 avril 1689. Dans ce contrat il habite encore chez son père.
23Nous avons pourtant rencontré ce genre de clause dans quelques contrats de mariage de notre corpus, à l’image de celui de Louis-Armand de Béthune-Charost et Marie Fouquet, en 1657 (AN, MC/ET/LI/542, « les époux et leur train seront logés et nourris durant deux ans ») ou celui de Nicolas-Auguste de Harlay et Françoise Boucherat, en 1670 (AN, MC/ET/LI/387, logement des futurs époux pendant cinq ans).
24Gourdon, 1999.
25Lefauconnier-Ripoll, 2015 ; Kchaou, 2012.
26Drévillon, 2005a. Le grade de brigadier des armées du roi est créé au début du règne de Louis XIV et pérennisé durant la guerre de Dévolution (1667-1668), mais demeure un grade intermédiaire au sein de l’armée.
27Bourquin, 2010.
28AN, Y/12278, Scellés des biens de Louis de Béthune, demoiselle de Montmort, le 11 février 1679. Ces différentes résidences sont mentionnées dans l’acte d’apposition des scellés.
29Aristide, 1990, « Lettre de Monsieur le duc de Sully, à Monsieur le marquis de Rosny son fils, sur sa révolte », Montrond, le 23 août 1620.
30AN, MC/ET/CVII/143, Dépôt du testament olographe de Maximilien de Béthune, marquis de Rosny ; testament en date du 4 décembre 1633.
31Steinberg, 2016.
32Ryczkowska et Perroux, 2006 ; Hufton, 1984.
33AN, MC/ET/LXXXVII/327, Testament de Marie-Antoinette Servien, duchesse douairière de Sully, le 2 janvier 1702 ; AN, MC/ET/CVII/284, Inventaire après décès de Marie-Antoinette Servien, duchesse douairière de Sully, le 23 janvier 1702.
34Marraud, 2000, p. 121 : « La vie professionnelle influe sur le lieu de résidence. Ce qu’on pourrait nommer le “logement de fonction” est couramment usité chez la noblesse parisienne. »
35AN, MC/ET/CXIII/84B, Testament et codicille de Louise de La Rivière, comtesse de Lussan, les 14 août 1677 et 16 mai 1680.
36AN, MC/ET/LXXXVII/96, Inventaire après décès de Maximilien-Pierre-François de Béthune, duc de Sully, le 28 juin 1694.
37Pomeau, 1991, p. 12 : « l’abbé Servien, avait été emprisonné par lettre de cachet au château de Vincennes (janvier 1714). Servien était un sodomite notoire ».
38AN, MC/ET/LXXXVII/327, Testament de Marie-Antoinette Servien, le 2 janvier 1702.
39BNF, NAF 25242, fo 165-168, Testament d’Armand de Béthune, évêque du Puy, le 25 mai 1703.
40Brunet et Bideau, 2004.
41Labande, 1894 : « Testament d’Hippolyte de Béthune, évêque de Verdun, le 27 juillet 1717 ».
42AN, MC/ET/LXXXII/200, Fondation de messe perpétuelle par Marie de Béthune, veuve de François comte de Rouville, le 18 décembre 1733.
43Cornette, 1989 ; Garden, 2008.
44AN, Y/12278, Scellés des biens de Louise de Béthune, demoiselle de Montmort, le 11 février 1679.
45Lyon-Caen, 2015 ; Barbot, 2013.
46La vaisselle d’argent est estimée à 6 826 livres tournois 17 sols 20 deniers. La vaisselle de vermeil doré est estimée 1 382 livres tournois 17 sols 6 deniers.
47Marx, 2007.
48On peut penser aux tapisseries du Flamand Louis van Schoor (1666-1702), dont l’une est exposée au musée du Nouveau Monde de La Rochelle et l’autre à la National Gallery de Washington.
49Perez, 2007.
50Coquillard, 2013 ; Chaussinand-Nogaret, 1977.
51AN, MC/ET/LXXXIX/35, Codicille de Louise de Béthune, demoiselle de Montmort, le 26 janvier 1679.
52Gutton, 1981.
53Chatenet-Calyste, 2013 ; Chollet, 2016.
54AN, Y/12278, Scellés des biens de Louise de Béthune, demoiselle de Montmort, le 11 février 1679.
55Gutton, 1981, p. 43. Les exemples concernent des populations du xviiie siècle, ce qui peut pousser à augmenter légèrement la moyenne pour le siècle précédent ; une diminution du nombre de domestiques s’opère en effet jusqu’à la Révolution.
56Chatenet-Calyste, 2013.
57Gutton, 1981, p. 57.
58Chollet, 2016.
59AN, MC/ET/I/322, Bail à vie d’un corps de logis, entre Roger de Courtenay, abbé des Eschallis, et les administrateurs de l’hôpital des Petites Maisons, le 14 juin 1725.
60AN, MC/ET/I/363, Dépôt du testament olographe de Roger de Courtenay, abbé des Eschallis, le 5 mai 1733 ; testament en date du 14 août 1731.
61Beauvalet-Boutouyrie, 2008, p. 128-129 : à Paris, 36 des 40 couvents hôteliers sont des couvents féminins.
62Vindry, 1908. Selon Dominique Picco, l’ouvrage de F. Vindry est une source fiable pour retracer les biographies des élèves de Saint-Cyr.
63Picco, 2011.
64Nollez, 2012. Dangeau, le marquis de Sourches, Saint-Simon et Mme de Sévigné se régalent de cette affaire.
65AN, O/1/33, fo 83-85 et fo 88, les 25 et 26 mars 1689.
66Malchelosse, 2003.
67Ruggiu, 2008.
68Kraszewski, 2006.
69BNF, NAF 25242, fo 75-80, Contrat de mariage entre Henri de Béthune, comte de Béthune et de Selles, et Anne-Marie Dauvet Desmarets, son épouse de lui autorisée, le 28 janvier 1666.
70BNF, NAF 25242, fo 87, Accords entre les héritiers d’Hippolyte de Béthune et ses créanciers, le 4 septembre 1667.
71Vindry, 1908.
72Picco, 2004.
73AN, MC/ET/VIII/975, Règlement de la succession de feue Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, août 1726.
74AN, Y/50, fo 54, Dépôt du testament de Marguerite-Louise de Béthune, duchesse du Lude, le 14 janvier 1727 ; testament en date du 12 mai 1725.
75Picco, 2010.
76Ronsseray, 2017.
77Leroux, 2018 ; Chatenet-Calyste, 2013.
78Marraud, 2000, p. 126-127.
79Picco, 2004, p. 196.
80Ronsseray, 2017.
81Varachaud, Vergé-Franceschi et Zysberg, 1992.
82AN, MAR/C/7/28, dossier 50, fo 3 et 5, « Dossier personnel du chevalier de Béthune, capitaine de vaisseau, gouverneur de la Martinique ».
83BNF, NAF 2571-2572, Jacques-François Artur, Histoire des colonies françaises de la Guyane, livre 5, fo 384-388.
84AN, MAR/C/7/28, dossier 50, fo 7 et 8.
85Bois, 1985 ; Drévillon, 2005a.
86AN, MC/ET/CV/1218, Testament de Marie-Henri de Béthune, ancien capitaine de vaisseaux, le 14 avril 1744.
87Huard et Wong, 1964.
88Viel, 2002.
89AN, Y/14389, « Acte d’apposition des scellés sur les biens de Marie-Henri de Béthune, décédé le 3 mai 1744, dans l’enclos de l’Arsenal à Paris ».
90Pardailhé-Galabrun, 1988.
91Parrochia, 2001.
92Viel, 2002. Un fourneau est, en général, composé d’un foyer, d’un cendrier et d’un logement pour insérer les vaisseaux. Ces derniers sont les récipients, de différentes tailles et formes, qui doivent accueillir les mélanges.
93Becquet, 2012 ; Chatenet-Calyste, 2013.
94AN, Y/219, fo 366, Donation de Catherine-Françoise de Bretagne, fille majeure, à son frère Claude de Bretagne, le 24 juillet 1670.
95Cousin, 1843 ; Cousin, 1852.
96Dufour-Maître, 2008 ; voir « La nébuleuse des Précieuses », notice de la duchesse de Longueville.
97Lyon-Caen, 2009.
98Constant, 2004.
99Barthélemy, 1865, p. 333. Le chapitre xxxviii est consacré à Mlle de Vertus.
100Cousin, 1852, p. 300.
101Ibid., p. 318, 311 et 307.
102Cousin, 1843, p. 432.
103AN, K/542, fo 33, Testament d’Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, le 30 août 1678.
104BNF, NAF 25242, fo 3-11, Contrat de mariage de François de Béthune, duc d’Orval, et de damoiselle Anne de Harville, le 5 octobre 1654.
105Bussy-Rabutin, 1858-1859, Lettres 17, 18, 19, 75, 83, 88, 89, 91, 95, 98, 101, 103, 112, 116, 134, 136, 137, 161, 162, 179, 180, 298, 724, 731, 747, 750.
106Ibid., Lettre 98, Mlle d’Armentières à Bussy, le 7 avril 1668 ; Lettre 112, Mlle d’Armentières à Bussy, le 24 juillet 1668 ; Lettre 724, Mlle d’Armentières à Bussy, le 30 mai 1674.
107AN, MC/ET/CXIII/229, Dépôt des testament et codicille olographes d’Henriette de Conflans, demoiselle d’Armentières, le 9 janvier 1710 ; testament en date du 9 novembre 1707 et codicille du 6 décembre 1707.
108Saint-Simon, 1983-1988, t. III (1984).
109AN, Y/39, Donation d’Henriette de Conflans, fille majeure, à Marguerite-Louise de Béthune, le 19 mars 1699.

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Le siècle du célibat
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