Conclusion de la deuxième partie
p. 165-166
Texte intégral
1Les familles nobles du xviie siècle ont fait un usage conséquent du célibat. En mariant un ou deux enfant(s) par fratrie, en orientant un quart des individus dans la carrière ecclésiastique, et en maintenant une dernière portion dans le célibat laïque, elles ont empêché la création de nouvelles branches cadettes. Ce comportement qui peut sembler suicidaire trouve plusieurs explications. La première est de l’ordre de la nécessité, ou du moins d’une nécessité ressentie, d’augmenter le prestige de la maison face à la concurrence toujours plus rude des nouveaux anoblis et des nouvelles fortunes. Si le célibat de la moitié de la population noble s’explique par l’adoption collective d’une mentalité patrilinéaire qui favorise l’aînesse masculine, il ne peut se limiter à une définition en négatif.
2En effet, la noblesse a voué une partie de son contingent au célibat parce que ce dernier présente un certain nombre d’avantages. Religieux et religieuses, à tous les niveaux de la hiérarchie ecclésiale, augmentent le prestige des familles en prouvant l’insertion de ces dernières dans les réseaux de pouvoir, ainsi que leur élection divine. L’obtention d’un bénéfice ecclésiastique assure des retombées positives sur au moins deux générations. Celui-ci est souvent transmis à un neveu (ou une nièce dans le cas des abbesses) et les revenus qui en découlent peuvent être mis au service de l’économie familiale pour doter les filles ou encore épurer des dettes. Les célibataires laïques sont plus difficiles à saisir, mais leur utilité apparaît si l’on prend le temps d’observer l’itinéraire des biens. D’acte en acte, des figures familiales se dégagent. Des hommes et des femmes semblent s’être donné pour mission de préserver, augmenter ou assainir un patrimoine qu’ils ne pourront transmettre qu’à des neveux et nièces. Derrière ce constat angélique se cachent bien sûr des arrangements particuliers et des bénéfices en retour pour ces filles majeures et ces garçons célibataires. Des rentes et pensions forment leurs assurances économiques, tandis que les récits de leur rôle salvateur par les contemporains et la reconnaissance de leurs parents offrent un bénéfice moins comptable mais certainement considérable.
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3La mise en regard de ces différents célibats, le tableau collectif qu’ils forment avec les individus mariés, tendent à dessiner une société noble dont l’idéal de perpétuation requiert la solidarité et la discipline de tous ses membres. Dans ce schéma, le célibat, tout comme les mariages, a son utilité et se montre même nécessaire. Néanmoins, toute recherche en histoire prend le risque de lire une rationalité derrière des comportements parfois inconscients et des événements dus au hasard. Pour affermir nos hypothèses, il convient de se rapprocher des individus et de chercher de nouvelles preuves d’ententes ou de conflits. Le lieu de résidence d’un ou d’une célibataire pourra nous informer sur ses revenus et son entourage quotidien. Ses activités, ses fréquentations nous donneront à voir des amitiés, des liens préférentiels ou, au contraire, la solitude et l’isolement. Les volontés testamentaires seront également interrogées dans une considération cette fois non économique, mais pour ce qu’elles dévoilent d’intime (objets donnés, choix du lieu de sépulture).
4Dans ce changement d’échelle se trouve un autre piège, celui du manque de représentativité. C’est toute la question des études de cas et de la notion de « bonne focale » développée par Howard Becker. Mais pour reprendre les mots de ce dernier, nous ne cherchons pas à accumuler des conclusions, plutôt à créer « un flux toujours renouvelé de problèmes à résoudre1 ». Les quelques individus observés au cours des pages suivantes serviront cette étude du célibat en ce qu’ils dévoilent chacun à leur façon un problème, une question, liés à la vie célibataire. Il est évident que certains individus demeurent inaccessibles, c’est notamment le cas des moniales que la clôture et la mort civile éloignent des écrits qui composent nos sources. C’est également le cas des militaires de carrière qui passent une partie de l’année en mer ou en campagne loin de Paris. Pour des raisons moins évidentes, certains célibataires nous sont également restés inconnus car ils n’ont pas fait l’objet des chroniques de leurs contemporains et se sont tenus éloignés des offices de notaire. Les personnages qui vont être étudiés sont donc ceux qui ont participé à l’économie familiale, se sont montrés prompts à écrire et à s’insérer dans diverses sociabilités. Nous sommes évidemment tributaires des sources et de la mémoire transmise.
Notes de bas de page
1Becker, 2016, p. 13.

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