Chapitre I. Généalogies, sources notariales, littérature : retrouver les célibataires
p. 23-42
Texte intégral
1Les trois premiers dictionnaires français1, à savoir celui de Pierre Richelet (1680), celui d’Antoine Furetière (1690) et celui de l’Académie française (1694) offrent chacun une entrée au mot célibat. Tandis que Furetière disserte sur l’étymologie2, la définition des deux autres ouvrages est très succincte : « État opposé à celui du mariage3 », « L’état d’une personne qui n’est point mariée4 ». Le mot célibataire n’est pas utilisé. En effet, ce dernier n’apparaît dans les dictionnaires que dans la seconde moitié du xviiie siècle. On passe alors d’un état, mal dessiné, à un individu, clairement identifié au masculin et représentatif d’un comportement inhabituel, voire indigne. En 1762, l’Académie en donne une première définition, déjà teintée d’un jugement dépréciatif : « célibataire. Celui qui vit dans le célibat, quoiqu’il soit d’âge et d’état à pouvoir se marier ». Dans son Dictionnaire critique de 1787, Jean-François Féraud exprime clairement sa désapprobation par l’exemple qu’il accole à sa définition : « Que de Célibataires voluptueux, qui sont les premiers à crier contre le célibat des Prêtres et des Religieux5 ! » En plus d’être hypocrites, les célibataires font preuve d’un intérêt trop prononcé pour les plaisirs charnels.
2Hormis la dégradation qu’un siècle a apportée à la définition du célibat, il est intéressant de noter que le mot célibataire est un néologisme du xviiie siècle. L’entrée d’un mot dans un dictionnaire signe la légitimité de son existence dans une langue6. Mais elle témoigne surtout d’un temps plus long, celui de l’usage. Les dictionnaires viennent sanctionner la viabilité des mots au vu de leur parcours, de leur longévité au sein d’un lexique toujours enrichi par les événements et les inventions. Nous avons donc là un premier indice, dans les sources d’Ancien Régime, de l’existence des célibataires au xviiie siècle, mais aussi très probablement au xviie siècle. De plus, si le mot n’existe pas chez Richelet, Furetière ou les premiers académiciens, le phénomène du célibat est lui légitimement enregistré par leurs dictionnaires. Il est donc nécessaire d’observer d’autres sources du xviie siècle avec un œil attentif. Puisque le célibat existe, quels mots revêtent les tenants de cette existence ? Et puisqu’ils ne sont pas visibles dans le genre normatif représenté par les dictionnaires, d’autres sources doivent être sollicitées pour découvrir ces individus. En suivant la chronologie de nos découvertes, commençons par les ouvrages généalogiques.
Les travaux généalogiques : intérêts et biais d’une pratique nobiliaire
Généalogies et invisibilisation des célibataires : des arbres sans fruits ?
3Faire sa généalogie à l’époque moderne, c’est prouver la qualité des alliances matrimoniales réalisées au sein d’une famille noble, de génération en génération, en remontant le plus loin possible dans le temps (quitte à s’inventer un ancêtre mythique, convention d’écriture dont personne, semble-t-il, n’était vraiment dupe7). Or, par définition, le célibat s’oppose à l’alliance. Il serait donc logique de ne le voir apparaître qu’à de rares occasions, de façon marginale. Pourtant, force est de constater que les enfants non mariés ne sont jamais complètement omis des écrits généalogiques.
4L’historiographie ne cesse de rappeler que les généalogies d’Ancien Régime sont des sources à utiliser avec prudence ou du moins à étudier pour ce qu’elles sont, des mises en récit orientées. C’est d’autant plus vrai lorsque le généalogiste ou l’historiographe travaille pour le compte de familles en quête de publicité. Si la qualité scientifique de ces travaux est de moins en moins mise en doute par les historiennes et historiens, ils n’en demeurent pas moins des outils de démonstration et de propagande. C’est aussi pour cette raison qu’ils nous intéressent. Louis Henry et Claude Levy, notamment, mettent en garde contre l’absence des enfants « morts au bout de quelques jours ou de quelques mois8 ». La mortalité infantile n’est pas la seule omission des généalogistes. Et surtout, pour notre étude, elle n’est pas la moindre. Les religieuses sont traitées avec une grande négligence : quand on prend la peine de mentionner leur existence, leurs dates de naissance, de mort, d’entrée en religion, sont presque toujours omises. Quand les généalogies mentionnent plusieurs sœurs cadettes religieuses, il arrive fréquemment que les prénoms soient faux, écorchés, voire que deux existences soient réunies en une seule sous un même prénom composé. Tout cela, bien sûr, ne peut être affirmé qu’après un long travail de documentation et de compilation d’archives ; travail qui finit par mettre au jour l’existence de ces religieuses. Les manquements des généalogistes sont parfois décriés par les commanditaires eux-mêmes. En 1739, le sixième duc de Sully (Louis-Pierre-Maximilien de Béthune) adresse une lettre au sieur Du Buisson, auteur d’un Mémoire historique et généalogique sur la maison de Béthune. Concernant la descendance du duc d’Orval, il écrit :
« Il eut trois filles du même lit, savoir Marguerite-Angélique de Béthune, qui a été abbesse de Saint-Pierre de Reims […], Françoise de Béthune morte la première, et Anne-Éléonore de Béthune, morte en 1706, toutes deux religieuses à Port-Royal. […] Anne-Éléonore-Marie de Béthune, que vous mettez du premier lit, et vous omettez qu’elle était abbesse de Gif, près de Versailles, où elle a vécu dans une grande estime et considération de tous ceux qui la connaissaient9. »
5Certains hommes font également les frais de la sélection du généalogiste :
« Vous avez fait une faute considérable à l’article de Louis-Georges de Béthune, mon oncle qui, à la vérité, n’a jamais été connu que sous le nom de chevalier de Béthune, l’ayant mis chevalier de Malte quoiqu’il n’ait jamais été dans cet ordre10. »
6Dans les cas recensés, à l’exemple de Louis-Georges de Béthune, il s’agit d’hommes célibataires. Imprécisions, erreurs ou oublis, tel est souvent le sort des individus présentés sous le vocable de « sans alliance » ou « mort sans postérité ».
7Il existe aussi une déformation moins visible et plus systématique : au détriment de l’ordre véritable des naissances, les filles sont toujours mentionnées après leurs frères. Dans l’Histoire généalogique de la maison de Béthune, André Duchesne rend bien visible ce phénomène en écrivant : « Catherine de Béthune, aînée de tous les enfants de Mme de Sully11 ». Une aînée qu’il ne mentionne pourtant qu’après Alpin, Guy, César, François, Henri et un autre fils mort au bout de quelques mois. Il omet aussi de préciser que la deuxième fille, Marguerite (future duchesse de Rohan) précède en âge César et François. Ces paradoxes apparents reflètent bien l’objectif des généalogies qui est de rendre visible l’ordre de succession aux terres et aux titres. C’est pourquoi, même les travaux les mieux renseignés, qui font apparaître les dates de naissance, n’hésitent pas à faire figurer les femmes en dernière position. De très nombreux exemples se trouvent dans les nobiliaires universels compilés par La Chesnaye Desbois et ses continuateurs. Pour n’en citer qu’un : Christine-Marie-Julie de Béthune apparaît en quatrième position dans la présentation des enfants de Paul-François de Béthune et Julie Gorges d’Antraigues. Sa notice succincte mentionne pourtant qu’elle est née le 18 août 1710, alors que les trois fils présentés avant elle sont respectivement nés le 15 août 1711, le 2 décembre 1714 et le 6 janvier 171712. Sans ces informations éparses, ce n’est qu’en croisant les sources que l’on peut rétablir le véritable ordre des naissances. Par exemple, la Gazette de France du mois de février 1735 nous apprend la mort de Françoise-Catherine de Béthune, fille de Maximilien-Alpin marquis de Béthune d’Orval, à l’âge de 81 ans. Elle est donc née en 1654 soit trois ans avant l’arrivée du premier mâle. Autre exemple, avec une source autrement plus fiable : l’extrait du registre paroissial de Selles qui indique qu’Anne-Berthe de Béthune, seconde fille d’Hippolyte de Béthune-Selles, a été baptisée le 29 mars 163713. Elle est plus âgée que deux de ses frères, Hippolyte et Louis. Les généalogies sont donc des travaux imparfaits, lacunaires et orientés. Ou plutôt orientés donc lacunaires. À en croire les ouvrages consultés, seul l’aîné est gratifié d’informations nombreuses et variées, vérifiées par des preuves fournies au lectorat en annexe. C’est également le cas lorsqu’un cadet a été à l’origine d’une branche florissante de la maison. En revanche, lorsqu’un fils aîné demeure célibataire, il est privé d’une telle reconnaissance. Tel est le cas de Jacques-François de Lameth. Erronément nommé François dans les généalogies, il figure en deuxième position, après son frère cadet Henri-Louis14. Pourtant, différents papiers du chartrier d’Hénencourt prouvent que Jacques-François était bien le fils aîné, mort sans alliance à l’âge de 37 ans. De la même façon, Louis-Gaston de Courtenay est mentionné après son frère Charles-Roger15. Or, l’inventaire après décès de leur mère indique l’âge de ses deux orphelins : Louis-Gaston a 6 ans et demi, tandis que Charles-Roger n’a pas encore 4 ans16. Là encore l’ordre de nomination choisi par le généalogiste vient du fait que l’aînesse est revenue à Charles-Roger à la mort de son frère, sans alliance, à l’âge de 23 ans.
8Les généalogies sont donc en quelque sorte des arbres sans fruits en ce qu’elles apportent une nourriture bien maigre à l’historien et à l’historienne et qui doit être sans cesse vérifiée. Toutefois, entre les lignes, se manifeste bien une réalité démographique. Il convient d’utiliser les généalogies pour ce qu’elles sont, des témoins un peu malgré elles du célibat. Un relevé lexicologique de certaines occurrences laisse entrevoir d’autres existences que celles des hommes mariés et pères de famille.
Des mentions laconiques mais bien là
9Les généalogies et les nobiliaires regorgent d’expressions qui, dans leur diversité, désignent toutes le même phénomène, le défaut d’alliance : mort(e) sans alliance, mort(e) sans avoir été marié(e), mort garçon, morte fille, mort(e) sans postérité/sans enfants/sans hoirs. Ces trois dernières expressions peuvent accompagner la notice d’un homme marié ou d’une femme mariée, mais lorsqu’elles suivent de manière laconique le nom d’une personne, cela revient à dire qu’elle ne s’est pas mariée. Le choix entre ces différentes expressions semble relever davantage du goût littéraire du généalogiste que d’une véritable typologie différenciée ; elles sont superposables dans leur signification. Donnons-en un petit florilège :
« Louis, marquis de Béthune […] fut tué à la bataille d’Hochtet, le 13 août 1704, sans avoir été marié17. »
« Henri de Lameth, mort sans hoirs.
Renée de Lameth, morte sans hoirs.
Roger, vicomte de Lameth, […] tué à la bataille de Rethel, sans alliance18. »
10Il est à noter également que le terme « chevalier », quand il figure seul dans une notice ou qu’il est utilisé comme surnom, désigne un homme célibataire. Ainsi de « Louis Henri de Lameth, dit de Neufville, chevalier » ou de son neveu « Marie-Louis de Lameth, chevalier, mort en 1760, brigadier des armées du roi19 ». Et c’est encore plus vrai quand « chevalier » est l’abréviation de chevalier de Malte, même si ce n’est pas toujours le cas. Ainsi de Maximilien-Henri de Béthune qui, selon La Chesnaye Desbois, « fut connu sous le nom de Chevalier de Sully pendant la vie de son frère20 » (donc de 1669 à 1712), surnom qu’il quitta en devenant le cinquième duc de Sully et en se mariant. Il est bien clair que cette épithète simple est une preuve de célibat. Cela s’explique peut-être par l’association qui s’est faite, au fil du temps, entre cadets, profession des armes et célibat21. À l’instar des « chevaliers », les « demoiselle » et « Mademoiselle » des généalogies désignent toujours des femmes célibataires ou des jeunes filles dans l’attente d’un mariage. Lorsque Duchesne rédige l’Histoire des Béthune, en 1639, il précise que « Louise de Béthune, damoiselle de Rosny, n’est pas encore mariée22 ». Elle a alors 22 ans. De même La Chesnaye Desbois mentionne une « Mademoiselle de Béthune, née en 1761 » qui n’a alors que 10 ans23. Hors ces cas particuliers, une généalogie a pour objet de faire état des générations passées et le choix des titres « Damoiselle » ou « Mademoiselle » prend alors le sens d’une mort sans alliance car ils sont octroyés de manière posthume. On peut lire dans La Chesnaye Desbois : « Catherine, dite Mademoiselle de Béthune, morte le 16 février 1735, âgée de 81 ans24 », et dans une généalogie de la maison de Lameth : « Marie-Françoise-Hyacinthe-Élisabeth de Lameth, demoiselle d’Hénencourt25 ».
11Toutes ces expressions sont autant de mentions laconiques qu’il faut savoir lire et interpréter. De plus, nous pouvons estimer qu’une notice presque vierge où ne figure qu’un prénom, est soit la preuve d’une mort précoce, soit la preuve d’un célibat. Tout cela donne une première idée de l’ampleur démographique des célibataires. Le tableau 1 permettra de rendre visible la récurrence des expressions susmentionnées. Il n’a pas pour ambition l’exhaustivité, mais un plus grand nombre de sources n’apporterait pas forcément des résultats différents puisque les généalogistes travaillent en s’appuyant sur leurs prédécesseurs. Les copies, citations explicites et reprises successives montrent bien que le continuateur se fait rarement correcteur. L’étude de cinq généalogies, concernant trois familles différentes, suffit à donner un aperçu du vocabulaire employé pour désigner le célibat. Les notices utilisées sont celles des individus nés dans notre période d’étude, soit du milieu du xvie siècle au milieu du xviiie siècle (ou parfois un peu avant selon la date de parution de la généalogie). Les généalogies consultées ne sont pas postérieures à 1771. Dans le manuscrit Carrés de d’Hozier 90, concernant la famille de Béthune, 16 notices sur 36 font usage du champ lexical du célibat. Le ratio est de 27/87 pour la généalogie des Lameth retrouvée dans Picardie 209. Pour les Harlay, dont une généalogie figure dans les Dossiers bleus 349, le ratio est de 49/133. Dès lors que 30 à 45 % des notices indiquent une situation de célibat, le lectorat d’une généalogie ne peut pas négliger ce phénomène démographique. Aux côtés des religieux et religieuses figurent aussi des célibataires laïques : ils et elles illustrent à leur façon le défaut d’alliance.
Tableau 1. – Champ lexical du célibat dans cinq généalogies.

12Malgré des notices très laconiques ou lacunaires, les généalogies françaises demeurent une originalité en Europe26. Au fil du xviie siècle, elles deviennent des ouvrages sérieux et référencés, dans lesquels il est nécessaire d’être exhaustif. Toutefois, si les recherches et les preuves sont réelles, si les généalogistes sont devenus des experts, les généalogies n’en demeurent pas moins des ouvrages à vocation publique et donc politique. Le cas de la production généalogique commandée par les Courtenay présente alors une exception intéressante. La mention explicite des parents célibataires constitue une véritable stratégie dans la course à la reconnaissance princière.
L’exemple des Courtenay : célibat et propagande généalogique
13Au xviie siècle, les Courtenay font appel au roi pour être reconnus « princes du sang royal de France ». Après avoir dû prouver leur noblesse face à la Cour des aides en 160227, la peur d’être considérés comme dérogeant les pousse vers une logique compensatoire. La première requête adressée au roi date, en effet, du 15 janvier 1603. Au fil des requêtes et remontrances, la stratégie des Courtenay s’affine : l’histoire, la réputation cèdent bientôt le pas à un travail généalogique rigoureux, imprimé avec la permission du roi en 1661, et régulièrement repris et perfectionné au cours des décennies suivantes. Dans l’épître au roi qui introduit l’ouvrage, Jean du Bouchet écrit :
« La principale difficulté qu’ils trouvaient sous les règnes précédents est levée maintenant : leur trop grand nombre qu’on alléguait pour un si grand obstacle, est tellement diminué, qu’il ne reste plus qu’un chef de cette illustre tige et trois enfants mâles. Et si Votre Majesté l’agrée, l’aîné seul en pourrait continuer la postérité puisque des deux cadets qui restent, l’un s’est consacré à l’Église, l’autre s’est donné à l’ordre de Malte28. »
14L’aîné désigné est alors Louis-Charles de Courtenay (1640-1723), le fils consacré à l’Église son frère Roger (1647-1733), et le chevalier de Malte leur frère cadet Jean-Armand (1652-1677). Les deux enfants voués au célibat ont respectivement 14 et 9 ans à l’époque de la rédaction. Au sein de l’Histoire, il est dit que Roger « a été destiné pour être comte de Saint-Jean-de-Lyon, et est déjà pourvu des abbayes des Eschallis et de Saint-Pierre d’Auxerre et du prieuré de Choisy-en-Brie29 ». Quant à Jean-Armand, Du Bouchet indique qu’il a été reçu chevalier de Malte avec dispense du pape en 1656. L’ancrage ecclésiastique des deux frères est donc mis en valeur. Ils ont été très tôt « destinés » à leur état comme en atteste la dispense d’âge reçue par Jean-Armand : il n’a, en effet, que 4 ans en 1656. Du Bouchet recopie d’ailleurs une lettre adressée au prince de Courtenay, père du très jeune chevalier, par le grand maître qui a reçu son fils : « [Je] me sens très fort obligé au dessein qu’elle [Son Excellence] a formé de donner un de ses enfants à mon ordre, qui ne se tiendra pas moins honoré d’avoir un religieux immédiatement né de vous, que pour la part qu’il a dans le Sang des anciens rois. » Cette lettre condense l’objectif politique des Courtenay et la stratégie mise en place par Du Bouchet : elle présente un garçon inoffensif puisque voué au célibat (il a été donné à l’ordre de Malte), tout en précisant qu’il est du sang royal.
15En effet, la baisse du nombre des mariages est un atout majeur pour la revendication des Courtenay. Le raisonnement est le suivant : moins de couples signifie moins de potentiels enfants légitimes à la succession du fief. En effet, si les princes du sang participent au faste de la royauté et permettent la construction du mythe de la supériorité de la tige royale, le roi a aussi des obligations envers eux30. La première de ces obligations est de subvenir à leurs besoins en leur versant une pension très avantageuse. Doter les princes du sang signifie également fractionner le royaume pour leur céder des terres en apanage. Et cette règle pose réellement problème si on l’applique aux Courtenay du début du xviie siècle. Le « trop grand nombre » mentionné par Du Bouchet renvoie à une requête présentée en 1626, signée par huit Courtenay. Bien sûr, l’apanage ne concerne que l’aîné de la maison, mais avec autant de prétendants à sa succession, le roi aurait pris le risque de ne jamais récupérer ses terres. Les reconnaître princes du sang à l’époque n’était donc pas envisageable. En revanche, avec un seul chef capable de « continuer la postérité », le danger est éloigné. C’est du moins ce que sous-entend Du Bouchet. Chez les Courtenay, le célibat est donc à considérer sous un angle particulier. L’imposition du célibat à un nombre grandissant d’enfants semble servir les ambitions familiales, et l’inscription des célibataires au sein même de la généalogie peut s’apparenter à un acte de bonne foi politique. Une famille délestée de potentiels successeurs offre ainsi une configuration plus acceptable au souverain. Le nombre de notices consacrées à des individus célibataires est, selon nous, partie prenante de cette lutte pour la reconnaissance du titre de prince du sang.
16Les hommes célibataires ne sont pas négligés par Du Bouchet puisqu’ils représentent 32 notices sur 147. Contrairement aux autres généalogies étudiées, l’emploi de certaines expressions valorise ces hommes et donne l’idée d’un engagement réfléchi : « s’étant dévoué à l’Église », « a renoncé aux dignités du monde pour embrasser celle de père de l’Oratoire », « ayant quitté le monde pour suivre l’état ecclésiastique ». Revenons également sur une belle exception, celle de Madeleine de Courtenay, qui « par une généreuse résolution, [a] préféré le Célibat au Mariage ». Lors de l’impression en 1661, Madeleine de Courtenay-Chevillon est âgée de 60 ans. L’adjectif « généreux » renvoie sûrement à la contradiction entre son statut d’aînesse et le célibat auquel elle se serait résolue – tandis que sa sœur cadette s’est mariée et a eu deux enfants. L’insistance de Du Bouchet sur le célibat volontaire de certains membres de la maison de Courtenay, régulièrement réaffirmé au fil des décennies, semble assurer au public et au roi la bonne foi des derniers héritiers du nom. La démonstration entamée dans l’épître au roi est donc réaffirmée tout au long de l’Histoire généalogique : en faisant la part belle aux célibataires du lignage Courtenay, Du Bouchet montre que le « trop grand nombre qu’on alléguait pour un si grand obstacle, est tellement diminué, qu’il ne reste plus qu’un chef de cette illustre tige ».
Tableau 2. – Champ lexical du célibat dans l’Histoire généalogique des Courtenay.
Mort sans avoir été marié | A préféré le célibat | Mort sans enfants (ou sans postérité) | Religieux | Religieuses |
10 (hommes) | 1 (femme) | 5 (hommes) | 17 abbé : 6 archevêque : 4 Malte : 3 ecclésiastique : 4 | 18 religieuse : 14 abbesse : 4 |
17Le début de nos recherches a été marqué par un double constat : les généalogies sont à la fois le lieu d’absence et de mise en présence du célibat. Les notices concernant des célibataires sont souvent très brèves et ne donnent rien à voir d’eux et d’elles, à peine une date de naissance ou de mort quand nous sommes chanceux. Et pourtant, ce style laconique permet de concentrer la lecture sur une terminologie spécifique qui, en se répétant, montre bien l’ampleur du phénomène à l’échelle de la noblesse. Les généalogies témoignent, à leur façon, de l’existence d’individus non mariés, hommes comme femmes, laïques et religieux.
18Toutefois, ce manque d’informations qui pourrait laisser croire à un vide de sources concernant ces mêmes individus, doit vite être nuancé. Les actes notariés mettent au jour l’activité économique et la présence indéniable des célibataires dans cette société noble du xviie siècle.
Dans les sources notariales : un célibat visible et actif
Présence en actes dans la vie familiale : l’exemple des inventaires après décès
19Parmi les sources notariales, les inventaires après décès, et surtout l’inventaire des papiers, constituent une mine d’informations. Réalisés à la requête d’un ou plusieurs individus, membres de la famille ou légataires sans lien de parenté, ils s’inscrivent dans une logique successorale et font l’objet d’un travail minutieux qui met en œuvre plusieurs expertises31. Dans ce processus, des individus non mariés apparaissent soit parmi les requérants, soit parmi les exécuteurs testamentaires, soit parce que l’inventaire présente leur propre succession. La description des papiers offre alors des pistes de recherche innombrables car les papiers d’un défunt témoignent de son activité économique, d’une gestion patrimoniale plus ou moins réussie, d’une implication plus ou moins grande envers sa parentèle. À force de décrire les donations entre vifs, les quittances, les legs, les créations de pensions, etc., l’inventaire nous dévoile la parentèle du défunt. Tous ces actes viennent corriger ou confirmer les notices généalogiques mais surtout, ils donnent de la consistance à certaines notices de célibataires. Les plus arides étant celles des religieuses, il est intéressant de voir surgir ces dernières de manière assez systématique dans l’inventaire des papiers.
20Ainsi, l’inventaire après décès de Christophe-Auguste de Harlay, dressé à partir du 8 mars 1669, nous a permis de lui reconnaître trois filles – pas même mentionnées dans les généalogies – grâce à trois contrats d’entrée en religion. Marie-Anne de Harlay intègre le couvent de la Visitation de Melun le 1er juin 1643, tandis que ses sœurs Claire-Henriette et Élisabeth de Harlay entrent au carmel de Chartres, respectivement le 7 mars 1661 et le 7 septembre 166432. L’inventaire nous a également donné les informations nécessaires pour retrouver et consulter le contrat d’Élisabeth. Il y est dit qu’elle souhaite entrer en religion depuis l’âge de 16 ans et que son père, deux ans plus tard, a finalement accédé à sa requête33. Élisabeth de Harlay a donc 18 ans en 1664, ce qui nous permet de déduire son année de naissance (1646). L’inventaire réalisé au décès de Nicolas-Auguste de Harlay, unique fils de Christophe-Auguste et frère desdites religieuses, apporte de nouvelles informations sur la fratrie. Il n’est plus fait mention que d’une de ses sœurs, Claire-Henriette. Le défunt a conservé, dans ses papiers, le contrat d’entrée en religion de cette dernière, ainsi qu’une quittance de 3 000 livres tournois donnée par le couvent de Chartres34. Cette quittance, datée de 1698, nous informe que les religieuses se rappellent à la mémoire de leurs parents de temps à autre pour le paiement d’une pension ou d’une dot. Ici, deux générations ont été mobilisées, le père et le frère. Le défaut des généalogies est donc en partie comblé par les actes notariés qui témoignent de l’existence des filles entrées en religion, et de l’impact économique que peuvent représenter ces entrées.
21Au moment de leur rédaction, les inventaires après décès font également la part belle aux célibataires. Chaque inventaire commence par la formule « À la requête de », suivie des noms et titres des héritiers et héritières. Les filles entrées en religion sont absentes de ces listes puisqu’elles sont mortes civilement et sont censées avoir reçu leur part d’héritage par le biais des dots. De même, certaines femmes mariées choisissent de ne pas se présenter aux inventaires car elles ne souhaitent pas rapporter leur part (réglée par leur contrat de mariage). En revanche, parmi les requérantes et requérants, on voit apparaître un certain nombre d’individus célibataires, religieux (hommes) ou laïques (hommes et femmes).
Tableau 3. – Les requérant(e)s aux inventaires après décès (1640-1760).

22Si une diminution est visible entre le xviie et le xviiie siècle, il n’empêche que cette compilation d’actes, réalisés au sein de quatre familles, donne une matérialité au célibat noble. D’autant que certains requérants sont également parés du titre d’exécuteur testamentaire, à l’exemple de l’abbé Jacques-Auguste de Thou qui assume cette responsabilité à deux reprises (pour sa cousine Marie-Claude de Harlay en 1709, puis pour sa nièce Anne-Françoise Boucherat en 173035). Cela nous renseigne sur la confiance placée en lui et sur son niveau de fortune. En effet, l’exécuteur testamentaire est chargé de l’intégralité des biens du défunt ou de la défunte, pour une période maximum d’un an ; période durant laquelle il doit utiliser ces biens pour réaliser les legs inscrits au testament, mais aussi rembourser les dettes éventuelles. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaître à cette charge des ecclésiastiques. Ces hommes de foi sont aussi, bien souvent, des hommes de biens, auxquels les revenus donnent un certain crédit pour s’occuper du règlement des successions. Bien loin des quelques mots des généalogies, les actes notariés permettent de saisir cette réalité sociologique, perceptible également à travers une titulature propre aux grands prélats, celle de « sérénissime et révérendissime ».
23Les actes notariés constituent donc une mine d’informations pour le célibat religieux. Ils nous ont également permis de nommer une catégorie du célibat laïque. Les femmes célibataires du tableau précédent apparaissent dans les inventaires sous le titre de « fille majeure ». Tandis que les travaux des généalogistes n’offrent que des définitions posthumes qui désignent ces femmes selon la référence du mariage (« morte sans alliance »), les minutes de notaire donnent de la substance au célibat féminin.
Un autre vocabulaire du célibat : l’apparition des filles majeures
24En effet, le temps de la généalogie n’est pas celui de l’acte. Ils n’ont pas la même vocation et ne mobilisent pas le même vocabulaire. L’attribution posthume du titre de « sans alliance » par les généalogistes ne nous dit pas ce qu’est un ou une célibataire à l’époque moderne, elle est un simple constat. De plus, comme nous l’avons vu, les reprises successives des textes anciens ont figé le vocabulaire des généalogies, laissant peu de place (ou alors bien tardivement) aux innovations du xviie siècle. Car en effet, la mention « fille majeure » est une création de ce siècle. Nicole Dufournaud constate que l’idée de majorité féminine infuse déjà les conceptions patrimoniales du xvie siècle, mais que le titre « fille majeure » n’est jamais utilisé explicitement avant le xviie siècle36. Autre indice, le Thrésor de la langue françoise de Jean Nicot, imprimé en 1606, ne donne à la définition de « majeur » qu’une acception masculine37. À l’aune de nos recherches, les années 1640 se distinguent comme moment de diffusion de l’énoncé « fille majeure » ou d’expressions affiliées du type « fille », « fille âgée » ou simplement « majeure ».
25Le 20 mars 1645, Maximilien-François de Béthune, duc de Sully, transige avec sa sœur Louise pour régler le différend qui les oppose concernant la succession des biens de leur mère. Louise de Béthune se présente comme suit : « damoiselle de Sully, majeure de vingt-huit ans38 ». Le 5 mai 1648, Louis de Lameth seigneur d’Hénencourt partage les biens paternels avec ses trois sœurs « Demoiselles Marie-Hyacinthe, Marguerite et Geneviève de Lameth, toutes majeures, usant et jouissant de leurs droits39 ». L’usage du titre n’est cependant pas systématique, puisque Louise de Béthune rédige son testament en 1678 sans faire mention de sa majorité40. De plus, la formule reste quelque temps flottante et sujette à des variations stylistiques. Ainsi, le 23 octobre 1656, Marguerite de Lameth est qualifiée de « fille âgée et jouissante de ses droits41 ». Toutefois, on constate une généralisation et une régularisation de la titulature à partir des années 1680 environ. Les femmes célibataires de 25 ans et plus se désignent alors « fille majeure » ou bien dans l’extension maximale du titre « fille majeure, usante et jouissante de ses biens et droits ». Les dictionnaires ne tardent pas à entériner cette transformation lexicale, à l’exemple d’Antoine Furetière en 1690 :
« Majeur […] signifie aussi, Celuy qui est en âge de gouverner son bien. Par le Droit Civil on n’est majeur qu’à 25 ans. […] On appelle fille majeure, usante et jouissante de ses droits, celle qui peut agir en justice, et disposer de son bien42. »
26Le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 propose même d’inscrire le mot en incluant d’emblée sa désinence féminine, « Majeure, eure » – ce qui n’était pas le cas dans la première édition de 1694. Pourtant, tandis que les dictionnaires présentent les filles majeures en exemple secondaire de leurs définitions, les actes notariés du xviie siècle ne nous ont donné à voir aucun garçon majeur. La majorité, visible et revendiquée par une telle titulature dans les actes est très majoritairement, si ce n’est exclusivement, féminine. L’existence du statut de « fille majeure » nuance les données généalogiques, ou plutôt l’absence d’informations, concernant les femmes célibataires. La majorité permet de gouverner son bien sans tutelle et accorde des droits comme celui de rédiger son testament ou de mener un procès. Lorsqu’une fille majeure se présente héritière à l’ouverture d’un inventaire après décès, elle n’a besoin d’aucune autorisation, tandis qu’une femme mariée est inscrite en tant que « femme autorisée ». Selon les familles, ces femmes célibataires peuvent être amenées à gérer de véritables fortunes, et les minutes notariales sont riches en donations ou testaments de filles majeures.
27Le silence des généalogies ne peut donc s’expliquer par un manque de sources ; celles-ci sont nombreuses et témoignent de l’existence de femmes puissantes et impliquées dans la vie familiale. Ce silence, qui touche les célibataires dans leur ensemble, fait également une autre « victime ». En effet, les écrits généalogiques créent une linéarité artificielle et gomment les réalités plus sombres. Les accidents, les aléas démographiques peuvent alors être repérés au fil des dépouillements d’actes notariés. Penchons-nous sur le cas des aînés oubliés ou relégués au second plan par une mort précoce.
Des aînés « morts jeunes » : les autres oubliés de l’écriture généalogique
28Lorsque les généalogies indiquent qu’un premier enfant mâle est « mort jeune », avant de passer sans cérémonie à l’aîné de la fratrie, elles ne rendent pas compte des déceptions causées par cette mort. Plus qu’une histoire des sentiments, nous voulons montrer ici que le temps de la généalogie est trompeur et qu’il faut tenter de nuancer la vision essentialiste qu’il propose. Il en va de même pour les mentions « sans alliance » ou « sans postérité » qui ne rendent pas compte des différentes trajectoires de vie et imposent un même constat sans équivoque. Le cas des premiers fils morts jeunes est assez éclairant car il condense sur un temps court de grands espoirs, un grand désarroi, et une translation du statut d’aînesse au fils suivant. Cette mortalité précoce ôte, en quelque sorte, le statut d’aîné puisque le mort ne pourra apporter de postérité au lignage. La Chesnaye Desbois présente Maximilien-Léonor de Béthune-Orval comme le « marquis de Béthune, tué à la prise de Piombino, 1646 ». Or, la lecture de certains actes notariés nous offre une autre impression sur la vie de ce dernier. Maximilien-Léonor a été légataire universel de sa tante Louise de Béthune, morte sans enfants en 163943. En 1641, il a partagé cette succession avec son cousin, Maximilien-François de Béthune, prince d’Henrichemont, lors d’un accord orchestré par Sully entre les deux branches issues de ses mariages44. Tout concourait à faire de Maximilien-Léonor un héritier, il ne manquait plus qu’un mariage fécond. Cette mort brutale et précoce (à moins de 25 ans) a seule interrompu le destin tracé pour lui. Cinq ans après sa mort, lors du contrat de mariage de Philippe de Béthune d’Orval, c’est Maximilien-Alpin, le second fils, qui est présenté comme « aîné45 ». La fratrie s’est donc recomposée pour assurer une descendance au lignage, mais au prix de chagrins et d’ajustements que les généalogies n’ont pas vocation à retranscrire.
29Chez les Harlay, la mort a également surpris la branche de Champvallon en 1693. Seul enfant d’un bref mariage, François de Harlay, marquis de Champvallon, est « tué à la bataille de Nerwinde, âgé de 21 ans46 ». Les répercussions sont considérables pour la branche cadette des Harlay qui s’éteint avec cette mort. Pourtant, des donations et des successions faisaient déjà de François un marquis de Champvallon digne de tenir son rang. Le 4 novembre 1676, alors qu’il n’a que 4 ans, son oncle François de Harlay, archevêque de Paris, lui fait don de 60 000 livres tournois. En 1682, il représente son père en tant qu’héritier à la succession de son aïeul, François-Bonaventure de Harlay47. Il était donc destiné à perpétuer la lignée des Harlay Champvallon et à se marier, sans aucun doute.
30Ces exemples témoignent d’un biais certain des généalogies : elles ne laissent pas de place aux aléas et écrivent l’histoire des familles dans une linéarité qui fausse l’appréciation des événements. À l’inverse, les actes notariés nous permettent d’interroger les notions de choix et de destin, alors que les programmes familiaux peuvent être modifiés par un événement funeste ou heureux. Cette réflexion sur les enfants premiers-nés « morts jeunes » doit servir à relativiser l’expression « sans alliance ». Il est évident que seul le croisement des sources assure la rigueur d’une recherche et permet de voir au-delà de la fixité des généalogies. « Sans alliance » cache parfois des demandes en mariage (refusées ou n’ayant pas abouti) ou une vie sexuelle féconde (descendance illégitime). De plus, certaines alliances se contractent à l’automne d’une existence tandis que des décennies ont été passées dans le célibat. Et parfois, une vie de célibataire, combinée à l’entretien d’une maîtresse, aboutit à un mariage salvateur. Ces différents cas de figure seront étudiés au fil des chapitres. Ils servent ici à nuancer, encore et toujours, l’écriture généalogique. Si elles présentent un intérêt et un matériau nécessaire, dans un premier temps, les généalogies sont insuffisantes pour mener une histoire du célibat qui se veut à la fois économique, sociale et culturelle.
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31Cette présentation des sources a jusqu’ici laissé une question en suspens : pourquoi avoir choisi les mots célibat et célibataire alors qu’ils ne sont employés ni dans les généalogies (à l’exception notable de Madeleine de Courtenay), ni dans les actes notariés ? Ces mots offrent un premier intérêt : ils ont le mérite d’avoir subsisté dans notre vocabulaire contemporain et d’être compris de tous. De plus, ils ne sont pas tout à fait anachroniques puisqu’ils ont de plus en plus cours au xviiie siècle. C’est alors d’autres sources qui les mobilisent : littérature, philosophie, écrits politiques, traités médicaux, œuvres satiriques. Mais l’entrée du célibat dans ces productions normatives et populaires s’accompagne de jugements moraux qui jouent en défaveur des célibataires.
L’invention des célibataires au xviiie siècle : mots nouveaux, regards accusateurs
32Lorsque le mot célibataire fait son apparition dans les dictionnaires, en 1762, il est clairement l’objet d’un jugement dépréciatif. La passivité du célibat pouvait s’appliquer aussi bien à un homme qu’à une femme au xviie siècle, mais le célibataire, volontaire et volontairement débauché, ne peut être qu’un homme. L’évolution de cette définition s’inscrit dans un mouvement plus large, celui de la formation d’un topos littéraire et politique. Au xviiie siècle, les célibataires apparaissent dans une grande diversité d’écrits où ils n’ont jamais le beau rôle. Ils symbolisent la dénatalité, l’antipatriotisme, l’égoïsme. Le problème n’est donc pas ici de débusquer le célibat dans les sources – puisqu’il apparaît partout –, mais bien d’interroger la notion d’imaginaire telle qu’elle a été conceptualisée par Dominique Kalifa48.
33La culture populaire du xviiie siècle doit être consultée à travers des pièces de théâtre, des gravures imprimées ou encore des proverbes. La culture des élites ne sera pas en reste car les penseurs, qu’ils soient républicains ou monarchistes, anticléricaux ou hommes d’Église, n’hésitent pas à condamner le célibat pour servir leur cause. L’apparente unanimité de cette vindicte dresse pourtant des portraits différents des individus accusés. Célibat laïque ou religieux, hommes et femmes, comment ces différentes catégories d’un même groupe honni sont-elles traitées par le xviiie siècle ? Comment les sources, qui se reprennent et se répondent, témoignent-elles de la vitalité d’un imaginaire collectif en construction ?
Le célibataire, nouveau personnage au service du théâtre moral
34En 1773, l’Académie française organise un tournoi poétique sur le thème du célibat49. Cela prouve que le sujet a acquis ses lettres de noblesse et qu’il est susceptible d’intéresser un vaste public ; les concours académiques, surtout parisiens, étaient rarement circonscrits au royaume et pouvaient concerner des auteurs étrangers50. En effet, depuis les premières années du xviiie siècle, le théâtre a banalisé la figure du célibataire. Grimod de La Reynière, dans la critique qu’il rédige du Vieux Célibataire de Collin d’Harleville (1792), rappelle la genèse de ce personnage. Le précurseur en serait Jean-François Regnard, avec son Légataire universel de 1708. Il faut pourtant attendre la fin du siècle pour que Claude-Joseph Dorat (Le Célibataire, 1775), Pierre-Ulric Dubuisson (Le Vieux Garçon, 1782) et « plusieurs autres que nous pourrions citer encore51 » fassent de ce thème une mode.
35La comédie de Dorat est cependant celle qui a le plus marqué les esprits. Écrite pour la Comédie-Française et jouée pour la première fois le 20 septembre 1775, cette pièce nous intéresse à plus d’un titre52. Création du premier théâtre de Paris, elle connaît une grande publicité et une postérité. Grimod de La Reynière, en préface des Réflexions philosophiques sur le plaisir, par un célibataire (1783) précise que « le Célibataire, Auteur de cet Ouvrage » n’est pas aussi « inconséquent dans ses actions que le Héros de M. Dorat53 ». De même, dans l’Avertissement de son Vieux Célibataire (pièce de 1792), Collin d’Harleville affirme qu’il ne parlera pas « du Célibataire de Dorat, où cependant il y a un vieux Saint-Géran très bien prononcé54 ». Et lorsque le journal Le Censeur dramatique publie la critique du Vieux Célibataire de d’Harleville, la filiation est encore remarquée. Cette filiation est redoublée par le fait que le célèbre comédien Molé tient le rôle principal, comme il l’avait fait chez Dorat55. Le Célibataire de 1775 est donc devenu une référence du genre, reprise et commentée par de nombreux auteurs, bien connue du public et des lettrés parisiens. Cette pièce fait le lien entre la « comédie sérieuse » à la Molière et la comédie morale du premier xviiie siècle qui avait pour objectif « l’étude d’un défaut affectant un personnage heureusement corrigé au dénouement56 ». Alors que Dorat revendique l’héritage moliéresque, il fait du célibataire la nouvelle figure à corriger des comédies morales. L’intrigue de sa pièce est entièrement tournée vers la question du célibat : dès la liste des personnages, Terville est décrit comme Célibataire. On apprend par la suite qu’il est le neveu d’un riche châtelain (M. de Montbrisson), qu’il est lui-même doté d’une vraie fortune, et qu’il est l’ami proche du comte de Verseuil. Nous sommes en noble compagnie. Pourtant, Terville n’est jamais qualifié par un titre ou par une charge. Son rôle est d’être le Célibataire, théoricien du célibat, tenant de « ses lois » ou de son « système ». Ce mot de « système » revient de manière récurrente pour dénoncer les fausses idées et le raisonnement contre-nature de Terville, un système de pensées absurde et aliénant. Un autre célibataire apparaît dans la pièce, de manière plus tardive et moins centrale : c’est le vieux M. de Saingérans. L’étude onomastique n’est pas tendre envers ce dernier, véritable « singe errant », vieux garçon oisif et désœuvré qui, comble du ridicule, cherche une épouse pour agrémenter ses vieux jours. Les expressions colorées ne manquent pas pour décrire le « garçon sexagénaire », « dameret sémillant dans un corps tout débile », « fou suranné » et asthmatique dont les colères subites redoublent parfois la toux. À côté de ce personnage grotesque, Terville offre une figure plus ambiguë. Ses travers ne sont pas de l’ordre du ridicule, ils sont plutôt dus à un mauvais usage de la raison que l’auteur semble imputer à l’époque : c’est « le ton de mon siècle » fait-il dire à Lafleur, le valet de Terville (fin de l’acte I), voué au célibat par son maître. Sorte de combinaison du misanthrope et du séducteur, auquel s’ajoute la nouveauté du (mauvais) philosophe, Terville incarne parfaitement ce personnage du célibataire, si présent dans le théâtre des dernières décennies du xviiie siècle.
36Les comédies morales doivent être étudiées au regard d’autres productions contemporaines. Elles font écho aux débats qui agitent les penseurs du xviiie siècle : le combat contre le célibat est, en fait, une chasse aux comportements antinatalistes. Laïcs et ecclésiastiques se renvoient ainsi la responsabilité du déclin démographique du royaume ; un déclin fantasmé mais qui ne cesse de nourrir les écrits du temps57.
Le célibat politique : fléau dépopulationniste
37Dans la préface de sa pièce Le Célibataire détrompé (1770), Mouslier de Moissy s’indigne : « Le Célibataire […] ne peut être regardé que comme le triste partisan de la dépopulation, ou le séduisant fauteur du libertinage ; ainsi, à double titre, il n’est que le cruel artisan du néant même58. » Dans la même veine, chez Dorat, l’oncle de Terville tente de le raisonner : le célibataire « glace ses amis, révolte ses parents / Sa vie est un scandale, et sa mort salutaire / N’enlève, en le frappant, qu’une charge à la terre59 ». L’existence des célibataires est scandaleuse puisque ces derniers refusent de se comporter en citoyens, c’est-à-dire d’offrir des enfants à la France. Dans un climat d’inquiétude nataliste, les célibataires prêtent le flanc aux critiques les plus dures. Le crime social du célibat se double d’un crime commis contre la nature : les expressions se multiplient pour désigner ses « fraudes », ses « combats », ses « tromperies ». L’homme offense la nature en refusant d’entendre les appels à la paternité et à l’amour filial.
38En 1765, l’abbé Pichon rédige un Mémoire sur les abus du célibat. Il dresse alors une ligne claire et imperméable entre le célibat religieux, « vertu héroïque », et le célibat coupable des « Célibataires politiques » ou « Célibataires à la mode60 ». Contrairement aux religieux qui font vœu de célibat pour des « raisons supérieures », le célibataire laïque a contracté une dette envers la société. Puisqu’il a reçu la vie en son sein, l’homme a le devoir de la donner en retour. L’abbé Pichon imagine alors ce qu’il nomme un « tribut de tolérance » pour imposer les célibataires proportionnellement à leurs revenus annuels. Religieuses et religieux sont exempts de cet impôt car ils remplissent déjà des devoirs « sublimes ». En revanche, les veufs et veuves qui n’ont pas eu d’enfants sont imposables. Leur utilité sociale est en question, de la même façon que celle des célibataires, hommes et femmes. Sont donc soumis au tribut de tolérance les hommes de 30 à 60 ans et les femmes de 26 à 50 ans, du moins ceux et celles qui vivent dans le célibat ou n’ont pas rempli leur devoir de paternité/maternité. L’abbé Pichon distingue six classes imposables, il indique le nombre des individus composant chacune d’elles et les recettes que cela représenterait pour l’État. En tout, le royaume, qui compte un million de « têtes inutiles », peut espérer récupérer chaque année près de cinq millions de livres. Cette somme devra alors être redistribuée entre les familles nombreuses ; en commençant par une pension annuelle de 75 livres tournois accordée au père de six enfants, et en montant jusqu’à 175 livres tournois pour les « pères bienheureux qui en auraient douze ». Sans expliciter ses calculs, ni citer de sources, l’abbé Pichon propose une analyse démographique du royaume de France et évalue l’ampleur du célibat. Il se place en quelque sorte dans la continuité d’un Vauban ou d’un Boisguilbert61. Contrairement aux « démographes » des années 1770-1780 (Louis Messance, Jean-Baptiste Moheau), qui démontreront l’augmentation de la population, l’abbé Pichon reste tributaire du fantasme de la dénatalité qui effraie l’Europe. De plus, ce Mémoire est tout à fait représentatif de la fiscalité du xviiie siècle dont le double objectif est de remplir les caisses de l’État et de moraliser les comportements62. L’abbé Pichon espère bien dissuader par l’impôt car ce qui compte c’est que les Français et les Françaises retrouvent le chemin des autels. En cela, il fait d’ailleurs une distinction entre les hommes et les femmes célibataires. Ces dernières, les « filles », sont bien moins nombreuses à rechigner au mariage et à la maternité ; même si certaines « s’opiniâtrent à ne voir dans la personne d’un mari qu’un tyran63 ». Ce sont les hommes qui, en conservant le célibat par idéologie (par « système »), condamnent une partie des femmes au même statut. Il est difficile de juger du retentissement de ce Mémoire qui a d’abord pour destinataire la cellule mansoise de la Société d’agriculture royale (l’abbé Pichon est chanoine de la Sainte-Chapelle du Mans). La Bibliothèque nationale conserve pourtant une quinzaine d’ouvrages écrits par cet abbé dans les années 1750-1770 ; il fut donc un littérateur prolixe et publié. De plus, cette idée d’un impôt sur le célibat n’est pas isolée : elle a été mise en application dans certaines colonies britanniques d’Amérique du Nord dès les premières années du xviiie siècle64. Il n’est guère étonnant que Français et Britanniques développent les mêmes idées et les mêmes inquiétudes. L’émergence de velléités patriotiques fortement liées à la natalité est à considérer dans un siècle qui voit les deux puissances européennes s’affronter, et l’équilibre pencher davantage du côté anglais.
39Le célibat laïque est synonyme d’inutilité sociale, dans une période où la concurrence internationale et la prégnance des idées mercantilistes65 demandent à chaque individu de prouver sa valeur. Plus encore, on s’interroge sur la dangerosité des célibataires. Rapprochés explicitement des libertins chez Mouslier de Moissy (« trop souvent frère du libertinage66 »), ils sont identifiés aux philosophes chez Dorat : « Moi ; toujours moi ! Quel mot ! Quelle philosophie ! / Quels hommes as-tu vus ? Telle est donc la manie / De ces sophistes vains, ces adroits imposteurs67. » Ce genre d’accusations rappelle les pamphlets antiphilosophiques qui fleurissent dans la seconde moitié du xviiie siècle68. Si une partie des détracteurs montre les dangers de la philosophie dans l’ordre de la religion (impiété voire hérésie de ses représentants), l’autre insiste sur l’hypocrisie et la fausseté de cette attitude intellectuelle. Les philosophes sont alors tournés en ridicule comme tenants d’une mode élitiste et de systèmes réduits au rang de manies. Ce second argument tend à discréditer ce qui est pourtant une des missions portées haut par les philosophes des Lumières, sortir des petits cercles de libres penseurs pour diffuser les savoirs et atteindre le peuple69.
40Si certains philosophes revendiquent leur « célibat politique », à l’image du marquis de Sade (dans une version provocatrice) ou de Grimod de La Reynière (défenseur de l’exceptionnalité des hommes de lettres), les années 1770-1780 témoignent d’un recul de ces idées (ou du moins de leur expression). Le scandale qui entoure Rousseau, suite à la découverte par le public de l’abandon de ses enfants70, éclabousse la communauté philosophique. Cette dernière réaffirme alors son soutien aux valeurs familialistes : l’idée de l’homme de lettres exempt des devoirs conjugaux ne tient plus. Pour se détacher des accusations faites au célibat, certains philosophes en deviennent même de fervents détracteurs71. C’est le cas de Louis-Sébastien Mercier avec la publication notable de L’an 2440 (1771), ouvrage dans lequel il fait du célibat une faute aussi grave que le suicide. C’est également le cas de Diderot qui affirme ses idées dans différents articles de l’Encyclopédie, comme « Famille », « Mariage », « Population » ou encore « Célibat ». Le populationnisme de Diderot fait alors le pont entre les deux camps : il condamne le célibat laïque autant qu’il dénonce le célibat ecclésiastique72.
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41Le célibat met en effet dos à dos l’Église et la Philosophie. Les critiques opposées au célibat laïque se retournent contre les hommes d’Église. Selon Carol Blum, « Attribuer le prétendu déclin de la population française au célibat religieux devint l’un des thèmes favoris des libres penseurs », à l’exemple des Lettres persanes (1721) ou de la Dissertation historique et politique sur la population de Robert Wallace (publiée en 1753 en Angleterre, traduite en français en 1769)73. Qu’il s’agisse de Montesquieu ou de Wallace (qui était pasteur protestant), l’ambition est bien de jeter le discrédit sur l’Église, nous y reviendrons.
42Le célibataire change de visage selon les camps : tantôt laïque, tantôt religieux, il cristallise à chaque fois le mépris et la violence de ses contemporains. Mais si les membres du clergé sont identifiables, le célibataire laïque porte une identité volatile. Celle-ci ne semble pas inclure les femmes, sauf quand elles sont clairement nommées comme chez l’abbé Pichon. Sans surprise, on ne consacre pas de pièces au célibat féminin, la célibataire ne marche pas fièrement sur les planches pour démontrer ses « systèmes ». Les « filles » sont davantage présentées comme victimes de penchants masculins : elles ne font pas partie des « Célibataires politiques », pas plus qu’elles ne fournissent les rangs des libertins. Toutefois, le célibat féminin est rendu visible au xviiie siècle à travers l’apparition d’un autre topos, celui de la « vieille fille ».
Vieilles filles et vieux garçons face aux préoccupations hygiénistes du siècle
43La vieille fille a son pendant dans la figure du « vieux garçon », sorte de version pantouflarde du personnage public que représente le Célibataire. Les corps de ces deux êtres sont observés à la loupe et les inquiétudes natalistes se doublent de considérations hygiénistes et médicales. Les comportements déréglés des célibataires, hommes et femmes, se répercutent sur leur physionomie et leur santé, comme en témoignent les estampes satiriques de Louis-Philippe Boitard, Assemblée de vieilles filles et Assemblée de vieux garçons (1761) [fig. 1 et 2].
Fig. 1. – Louis-Philippe Boitard, Assemblée de vieilles filles, 1761.

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, collection Hennin, no 8981.
© Bibliothèque nationale de France.
Fig. 2. – Louis-Philippe Boitard, Assemblée de vieux garçons, 1761.

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, collection Hennin, no 8982.
© Bibliothèque nationale de France.
44Dans ces caricatures, où corps et visages sont marqués par différentes tares, on trouve l’écho des discours savants, véhiculés par les traités médicaux de la seconde moitié du xviiie siècle. Arlette Farge s’est appliquée à présenter les funestes effets que les médecins prêtent au célibat féminin et qui peuvent se résumer en une phrase : « Toujours le trop ou le trop peu et cette voie si peu large pour se frayer le chemin de la santé en cas d’isolement par rapport à l’homme74. » Amy Froide atteste également de la propagation de ce savoir médical en Angleterre : le flux excessif du sang menstruel entraîne chez les vierges une maladie appelée greensickness75. Les hommes célibataires, eux aussi, font l’objet des prescriptions des médecins : on s’inquiète du mauvais usage qu’ils pourraient faire de leur semence. La rétention de semence tout comme une trop grande libéralité dans son évacuation sont également à craindre. Derrière ces considérations se dévoile un idéal de modération et d’utilité que seul le mariage peut faire advenir.
45Les médecins viennent donc rejoindre le large camp des dramaturges, philosophes et pamphlétaires qui expriment avec force les fantasmes de dénatalité et de dégénérescence du xviiie siècle. Les corps des hommes et des femmes célibataires font alors l’objet d’un contrôle médical et social parce qu’ils dérangent dans leur inutilité voire dans leur malignité. En provoquant la nature, ils créent le désordre dans la société.
46Retrouver les célibataires, c’est d’abord prendre conscience de leur présence, en filigrane, dans les histoires généalogiques commandées par les familles nobles ou dans les nobiliaires des xviie et xviiie siècles. La lecture de ces productions nous donne en effet une première idée de la proportion démographique du célibat. Surtout quand, armés contre les biais de ces sources, on imagine les parents oubliés, négligés justement pour cause de célibat.
47Retrouver les célibataires, c’est encore découvrir que les mots que nous employons aujourd’hui – y compris celui de célibat – ne sont pas vraiment en usage sous l’Ancien Régime. Une des explications réside dans la connotation religieuse et masculine du célibat, héritée du concile de Latran de 1139 et ravivée par le concile de Trente et les guerres de Religion76. Or, il est certain que notre étude ne souhaite pas se limiter aux conceptions théologiques, ni aux seuls ecclésiastiques. Il faut donc être attentif aux sources et aux mots employés. Les généalogies n’ont d’ailleurs pas vraiment de mots pour décrire le célibat : elles n’en parlent qu’en négatif du mariage (« sans alliance ») ou de la paternité (« sans postérité »), ou empruntent des mots aux multiples acceptions (chevalier, demoiselle). Là encore, les célibataires sont des entités négligeables et figées dans des expressions qui ne disent rien de leur existence sociale. À l’inverse, les sources notariales usent de mots bien précis pour distinguer certaines formes de célibat. C’est le cas des titulatures de prélats (« sérénissime et révérendissime ») ou du titre de « fille majeure » qui dévoile un célibat féminin laïque, responsable juridiquement et détenteur d’un patrimoine. Dans les actes notariés, il est donc impossible de négliger les célibataires… à moins qu’il s’agisse d’hommes laïques. Ces derniers sont finalement plus difficiles à retrouver dans les sources. Tout comme les veufs ne mentionnent pas leur viduité (contrairement aux veuves)77, les célibataires laïques ne font pas état de leur condition lorsqu’ils se présentent chez le notaire. Il faut alors compter sur les généalogies, sur l’absence d’un contrat de mariage les concernant, sur l’existence d’un testament volubile, ou encore sur les commentaires des contemporains, pour soutenir l’hypothèse d’un célibat.
48Ces derniers se font particulièrement véhéments dans la seconde moitié du xviiie siècle. On voit alors se répondre traités médicaux, pamphlets philosophiques et représentations populaires qui développent tous le même thème : les célibataires des deux sexes font courir des risques à la société et n’offrent qu’un visage négatif. Un imaginaire collectif s’est créé qui, tout en rendant visible le célibat, impose une lecture biaisée. Nous souhaitons nous détacher de ces représentations pour étudier au mieux le célibat du xviie siècle, sans imposer une lecture anachronique ou rétrospective.
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49Ainsi, les apports des généalogies et des sources notariales sont tantôt contradictoires, tantôt complémentaires. Leur combinaison a été nécessaire pour reconstituer les familles de notre corpus et dresser un premier bilan. Le célibat noble existe, il compte même un certain nombre de disciples et prend des formes variées selon le sexe et la condition. Il convient d’observer en détail ces différentes formes. Après avoir retrouvé les célibataires dans les sources, il est temps de dresser une typologie du célibat d’Ancien Régime.
Notes de bas de page
1Pruvost, 2012.
2Furetière, 1690, vol. 1, p. 410 : « Célibat. Koiti en Grec signifie lit, et leipo signifie linquo, Celuy qui abandonne le lit nuptial, ou qui n’en a jamais voulu. »
3Richelet, 1680, p. 117.
4Le Dictionnaire de l’Académie française, 1694, t. I, p. 154. Définition inchangée entre la première édition de 1694 et la quatrième édition de 1762.
5Féraud, 1787-1788, t. I, p. 385.
6Pruvost et Sablayrolles, 2019.
7Butaud et Piétri, 2006.
8Henry et Lévy, 1960, p. 810.
9BNF, Carrés de d’Hozier 90, « Réponse de M. le duc de Sully à une lettre et à un mémoire historique et généalogique qui lui ont été écrits et envoyés par le sieur Dubuisson, le 9 mars 1739 ». L’orthographe des citations extraites de sources manuscrites ou imprimées a été modernisée, et ce pour l’ensemble du livre.
10Ibid.
11Duchesne, 1639, p. 480.
12La Chesnaye Desbois, 1771.
13BNF, NAF 25241, fo 50, Extrait du livre des baptêmes de la ville et paroisse de Selles en Brie.
14BNF, Picardie 209, fo 14-28, « Généalogie de la noble et ancienne maison de Lameth ».
15BNF, Picardie 101, « Extrait des archives de M. le marquis de Lameth, au château d’Hénencourt ».
16Archives nationales (désormais AN), MC/ET/VIII/751, Inventaire après décès de Marie de Lameth, à la requête de Louis-Charles de Courtenay de sang royal de France, le 11 août 1676.
17La Chesnaye Desbois, 1771, p. 446. Nous soulignons.
18BNF, Dossiers bleus 378, « Généalogie de la noble, illustre et ancienne maison de Lameth, remise par Madame de Broglie, veuve de M. le comte de Lamet, au département des titres et des généalogies de la Bibliothèque du Roi, le 21 octobre 1768 ».
19Ibid.
20La Chesnaye Desbois, 1771, p. 437.
21Bourquin, 2010.
22Duchesne, 1639, p. 485.
23La Chesnaye Desbois, 1771, p. 440.
24Ibid.
25BNF, Dossiers bleus 378, « Généalogie de la noble, illustre et ancienne maison de Lameth… ». Nous soulignons.
26Poncet, 2014.
27Le Roy, 1974.
28Du Bouchet, 1661.
29Ibid., p. 308. Nous soulignons.
30Cosandey, 2008.
31Bourquin, 1989 ; Cornette, 1989.
32AN, MC/ET/LXIX/405, Inventaire après décès de Christophe-Auguste de Harlay, le 8 mars 1669.
33AN, MC/ET/LXIX/392, Contrat d’entrée en religion d’Élisabeth de Harlay, le 7 septembre 1664.
34AN, MC/ET/LI/738, Inventaire après décès de Messire Nicolas-Auguste de Harlay, le 7 avril 1704.
35AN, MC/ET/LI/764, Inventaire réalisé au décès de dame Claude-Marie de Harlay, veuve de Messire François Le Bouteiller de Senlis, le 7 septembre 1709 ; AN, MC/ET/LI/873, Dépôt du testament d’Anne-Françoise-Louise-Marie Boucherat, veuve de Nicolas-Auguste de Harlay, le 23 novembre 1730.
36Dufournaud, 2007, p. 199-200.
37Nicot, 1606, p. 385 : « Majeur, Maior. Un majeur et usant de ses droicts, Homo sui iuris. »
38AN, MC/ET/LXXVIII/261, Transaction entre Maximilien-François de Béthune et Louise de Béthune, sa sœur, le 20 mars 1645.
39Papiers privés, chartrier du château d’Hénencourt (désormais CCH), Partage entre Louis de Lameth seigneur d’Hénencourt et les demoiselles ses sœurs, le 5 mai 1648.
40AN, MC/ET/LXXXIX/35, Testament de Mlle Louise de Béthune Sully, le 11 novembre 1678.
41Papiers privés, CCH, Extrait des registres de Me Alexandre de Vaulx, notaire en la prévôté de Fouloy – Contrat de mariage du 23 octobre 1656.
42Furetière, 1690, vol. 2, p. 513.
43AN, MC/ET/XXIV/415, Accord concernant la succession de Louise de Béthune-Mirepoix, le 6 juillet 1639.
44BNF, NAF 25241, fol. 228-231, Original des indemnités passées entre Monseigneur et Madame le duc et la duchesse de Sully, et Messieurs les prince d’Henrichemont et comte d’Orval, le 13 décembre 1641.
45Ibid., fo 261-272, Contrat de mariage de Philippe de Béthune, vicomte de Meaux, et damoiselle Geneviève de Miée, le 18 septembre 1651.
46BNF, Dossiers bleus 349, « Généalogie de la maison de Harlay ». Le mariage des parents de François n’a duré que trois ans : son père Louis-François de Harlay meurt au combat en 1674, à la bataille de Seneffe.
47AN, MC/ET/LIV/379, Inventaire réalisé après le décès de Messire François-Bonaventure de Harlay, marquis de Bréval, le 3 avril 1682.
48Kalifa, 2013.
49Walter, 1980.
50Caradonna, 2009.
51Grimod de La Reynière, 1797, p. 449-477.
52Dorat, 1775.
53Grimod de La Reynière, 1784, p. 61.
54Collin d’Harleville, 1792, p. xi.
55Grimod de La Reynière, 1797.
56Plagnol-Diéval, 2014, p. 110.
57Perrot, 1992.
58Mouslier de Moissy, 1773, p. vi.
59Dorat, 1775, acte V, scène 7.
60Pichon, 1765, p. 10, 18 et 22.
61Blum, 2013.
62Delalande, 2016.
63Pichon, 1765, p. 21.
64McCurdy, 2008.
65Caselli, Vallin et Wunsch, 2006.
66Mouslier de Moissy, 1773, acte II, scène 6.
67Dorat, 1775, acte V, scène 7. Nous soulignons.
68Masseau, 2000.
69Lilti, 2019.
70En 1764, un pamphlet anonyme intitulé Le sentiment des citoyens dénonce l’abandon successif des cinq enfants que Rousseau a eus de sa maîtresse, Thérèse Levasseur.
71Roberts, 2016.
72Walter, 1980.
73Blum, 2013, p. 35.
74Farge et Klapisch-Zuber, 1984, p. 251.
75Froide, 2005, p. 158.
76Dumortier, 2016.
77L’historiographie sur les veufs est extrêmement mince. L’ouvrage collectif de Pellegrin et Winn, 2003, n’aborde le cas des veufs que dans un article (p. 259-273).

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