Conclusion
p. 281-282
Texte intégral
1Cinquante-huit ans s’écoulent entre le 9 thermidor an II et le décès de Joseph-François Payan en 1852. Cette traversée de plus d’un demi-siècle est marquée par de violentes secousses qui, en brouillant et en redistribuant les cartes, obligent les acteurs à repenser constamment leurs stratégies. Le « cas » Payan livre d’importantes clefs de compréhension des mécanismes de l’adaptation des individus, et plus largement, de leur résilience. Cette dernière repose, en premier lieu, sur l’aptitude des acteurs à mobiliser des ressources variées : personnelles (ici, talents et savoirs administratifs recherchés), matérielles (un patrimoine peu entamé par la Révolution) et, surtout, humaines. En effet, la grande force de Joseph-François réside dans sa capacité à nouer, puis à conserver, des liens avec des individus provenant d’horizons extrêmement variés (royalistes, républicains, bonapartistes, etc.). En lui offrant la possibilité de mobiliser tour à tour différentes facettes de son identité sociale, les appartenances multiples permettent à Payan de pouvoir traverser les nombreuses crises qui jalonnent sa longue vie en évitant toujours le pire.
2La survivance des formes de solidarité et de fidélité est le deuxième enseignement de cette étude. Malgré l’indéniable radicalisation des options politiques, rejetant amis, parents et alliés dans des camps opposés, la Révolution ne crée pas, finalement, de ruptures irrémédiables dans le schéma relationnel des Payan. En dépit des tensions, des crises et des reniements, l’intérêt de la famille, la profondeur et la vigueur d’anciennes amitiés, la force de compagnonnages politiques, nés dans les moments les plus difficiles de l’existence des Payan, transcendent les clivages partisans. Les liens, tout au moins avec les plus proches parents, amis ou alliés de la famille, se distendent, parfois à l’extrême, sans jamais céder.
3Enfin, malgré leur propension à rebondir et à se reconstruire, les Payan essuient tout de même un double échec. Ils ne parviennent jamais, finalement, à s’affranchir pleinement d’une légende noire, tenace, qui souille leur nom et entache leur réputation. En troquant l’activisme politique pour des postes de seconde ligne, puis une belle carrière dans la haute fonction publique territoriale, Joseph-François Payan n’est parvenu à restaurer son honneur qu’en dehors de la Drôme. En effet, le directeur des contributions directes, pleinement réintégré dans les cercles notabiliaires provinciaux, reste un paria dans le département qui l’a vu naître. Si le temps émousse son républicanisme et tempère son caractère volcanique, rendant, dès lors, le personnage plus « fréquentable », il n’en demeure pas moins vrai que la mémoire douloureuse de la « Terreur » – au demeurant plus durement ressentie que réellement vécue – interdit toute réhabilitation des Payan dans la Drôme. Dès lors, l’absolution du fils ne peut-elle s’obtenir que par l’expiation du « péché » paternel, de l’héritage républicain familial et, partant, par le reniement même de la Révolution française ? Le sang des républicains versé en 1851 peut-il laver l’infamie des 9 et 10 thermidor et conjurer la légende noire ? Il s’agit, en somme, d’écraser une révolution pour se défaire d’un passé révolutionnaire « qui ne passe pas ». Si la relecture bonapartiste de l’itinéraire familial trompe les thuriféraires du régime impérial et favorise temporairement la promotion professionnelle d’Ernest, elle amplifie surtout la légende noire des Payan et élargit la base d’une opinion hostile qui exècre cette famille qui, par le parjure de ses convictions républicaines, se rend doublement « infâme ».

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008