Conclusion
p. 205-206
Texte intégral
1En suivant l’itinéraire des Payan, l’enquête donne à voir comment une famille de notables, intégrés dans les dynamiques politiques locales et régionales, s’adapte au tournant révolutionnaire qui, en régénérant l’ancien monde, redistribue les cartes et change les règles des jeux politiques.
2La force des Payan est d’avoir su rapidement encaisser le choc révolutionnaire, puis trouver en eux la résilience leur permettant d’accompagner, en famille, le mouvement. En s’appropriant la Révolution, les Payan renégocient leurs stratégies sociales, dont la manifestation la plus probante est l’abandon ostensible d’une noblesse qu’ils ont eu tant de mal à usurper. A contrario, la Révolution française ouvre de nouveaux horizons que les Payan parviennent à investir, et partant, à se réinventer en s’appropriant rapidement la nouvelle culture politique. En mobilisant avec beaucoup d’habileté les individus qui gravitent autour d’eux, les Payan s’affirment et gravissent toutes les échelles du politique, du local au national, au gré d’une fulgurante ascension que seules les révolutions autorisent. Pour Claude-François Payan, la Révolution est un véritable exutoire. L’intensité de son engagement politique se comprend d’ailleurs au regard de l’opportunité inespérée qui s’offre à lui de pouvoir s’extirper d’un état qui le mine et le destine à une existence terne et médiocre qu’il ne peut concevoir. Reste qu’en épousant complètement le processus révolutionnaire, les Payan redéfinissent totalement leur identité sociale, familiale et politique. Parangons d’un patriotisme irréprochable, les Payan incarnent désormais la Révolution aux yeux de nombreux contemporains.
3Par ailleurs, l’enquête dévoile précisément combien la Révolution française éprouve les schémas relationnels élaborés par les individus avant 1789. Les structures relationnelles dans lesquelles s’insèrent les Payan sont continuellement remises en question par la radicalisation des options politiques : les amitiés nobiliaires s’effacent, la parentèle est lourdement fracturée par la crise politico-religieuse de 1791 tandis que les compagnonnages politiques, forgés par les luttes et les affrontements partisans, se brisent sur le « fédéralisme ». Loin d’isoler les Payan, la reconfiguration des alliances partisanes se traduit par une perpétuelle renégociation des liens politiques et sociaux entre 1790 et 1794. En parfaits équilibristes, les Payan s’appuient sur différents acteurs, réactivant tantôt des liens de voisinages, sublimés par les affrontements politiques, ou, au contraire, mobilisant des individus très éloignés, puisés dans les intenses réseaux de sociétés politiques qu’ils savent parfaitement utiliser. Si le délitement des rapports avec les parentèles alliées provoque une crise d’identité majeure, les Payan parviennent à la surmonter en se recroquevillant sur leur noyau familial. Ce repli soude ses différents membres qui déploient une stratégie collaborative et fraternelle particulièrement diversifiée, reposant sur la complémentarité des compétences et une stricte répartition des tâches, leur permettant, in fine, de conduire une politique bien rodée. En outre, les luttes politiques favorisent, peu à peu, l’agrégation des Payan à une nouvelle famille, composée d’individus partageant les mêmes idées et une expérience combattante commune, qui offre une alternative à la famille traditionnelle et leur permet de surmonter la crise d’identité qu’ils traversent.
4Enfin, le « cas » Payan rappelle combien les itinéraires politiques des individus pendant la décennie révolutionnaire sont loin d’être linéaires et combien la politisation « montagnarde », en particulier, échappe à toute lecture téléologique. Les nombreuses et brusques accélérations du temps vécu, les circulations, sans précédents, d’idées ou de projets politiques, parfois concurrentiels, ainsi que les intenses mobilités humaines, rapprochant le local et le national, remodèlent constamment la pensée politique des frères Payan entre 1789 et 1794. Il en résulte un positionnement politique d’une très grande plasticité, façonné par les luttes partisanes, les reniements et les volte-face, au gré d’un républicanisme flottant, tâtonnant, évolutif, conjuguant engagements personnels, rencontres décisives, telles que celle avec Robespierre, et influences intellectuelles. Au terme d’une longue mue idéologique, les frères Payan sont devenus d’importants agents « robespierristes ». Claude-François le paie de sa vie tandis que Joseph-François connaît une importante disgrâce poussant, une nouvelle fois, la famille Payan à se réinventer pour survivre et se reconstruire après le coup de théâtre du 9 thermidor an II.

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