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La révolution du travail

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Rolande Pinard

Deuxième partie. La révolution industrielle : le mouvement ouvrier contre le travail

Chapitre 2. Le mode de production capitaliste comme principe d’organisation

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Géographique :

France

Texte intégral

1Le mode de production capitaliste a donc pu s’imposer dans la société grâce à des institutions qui donnaient toute latitude aux propriétaires et favorisaient le développement de cette nouvelle forme de propriété. La révolution industrielle est la résultante de ces pratiques institutionnelles, des luttes sociales et juridiques auxquelles elles ont donné lieu, bien plus que de cet hypothétique esprit d’entreprise qui caractériserait le capitaliste comme nouvelle espèce d’individu : pour que l’esprit d’entreprise vienne au capitaliste, il fallait d’abord que l’entreprise existe, i.e. que soit reconnue et protégée la propriété privée des moyens de production et l’appropriation privée des fruits du travail. L’industrialisation de la production est une conséquence de l’exercice du droit de propriété et elle va contribuer à la transformer de manière décisive.

  • 1 Comme celles de Mantoux (1906), de Pinchbeck (1930) et de Landes (1969) ; l’ouvrage de P. Mantoux (...)

2Le véritable départ de la révolution industrielle a eu lieu alors que la Grande-Bretagne était en guerre : d’abord contre les États-Unis rebelles (1776-1783), puis contre la France de Napoléon (1793-1815). Pendant que les soldats mouraient sur les champs de bataille, l’Angleterre devenait l’« atelier du monde » grâce à la machine à vapeur, à l’organisation industrielle qu’elle permettait et grâce à la force de travail constituée en bonne partie de femmes et d’enfants. Je ne reprendrai pas dans ce chapitre la description des transformations intervenues dans le travail et dans les technologies de production au cours de la révolution industrielle, déjà amplement documentées par d’excellentes analyses1. Je m’intéresse à comprendre ici les principes de base qui ont présidé à ces transformations et qui ont imprimé un nouveau caractère à la société en en faisant une société de travail, c’est-à-dire fondée sur le mode capitaliste de production (les rapports capital/travail). Le capitalisme industriel a donné un caractère social à la société, entendu comme privé élargi, c’est-à-dire comme une forme de socialisation engendrée par la sphère privée du capitaliste. Ce social comme privé élargi, le mouvement ouvrier le transposera dans la sphère publique.

3La révolution industrielle entendue comme avènement du capitalisme industriel est liée à l’organisation de la production en fonction de la logique marchande : la production est organisée selon des critères économiques et non plus professionnels, ce qui signifie qu’elle vise à utiliser le plus rationnellement possible le facteur travail en vue de réduire ses coûts et de favoriser l’accumulation de capital. La division technique du travail est son mode d’organisation privilégié. Le capitalisme industriel est orienté vers la production plutôt que vers la consommation ; mais son but est la circulation, l’échange, comme moment nécessaire à l’accumulation du capital et à sa reproduction. La réalisation de la valeur par l’échange demeure incertaine et variable : le marché, nécessaire au développement du capitalisme industriel, est aussi son talon d’Achille, surtout quand la production exige d’importantes mises de fonds en capital fixe. La capacité d’organisation capitaliste destinée à surmonter cette incertitude du marché s’est manifestée dès les débuts de la production capitaliste ; quoiqu’encore rudimentaire, on peut déjà y déceler ses principales caractéristiques en examinant séparément le secteur des biens de production et celui des biens de consommation : si la fabrique de textiles représente le cas-type de l’organisation capitaliste du travail dans l’atelier et son corollaire, l’organisation de la société, l’organisation de la production « massive » de machines à vapeur pour l’industrie préfigure l’organisation intracapitaliste nécessaire pour brider le marché.

L’organisation intracapitaliste

  • 2 Wilkinson était une sorte de monarque dans sa branche : « L’ensemble formait un véritable royaume, (...)
  • 3 T. S. Ashton, Iron and Steel in the Industrial Revolution, p. 64, cité par Mantoux (1906) : 344-34 (...)

4L’organisation nécessaire préalablement à la production capitaliste de la machine à vapeur a probablement été plus décisive pour la suite des événements que l’engin à vapeur comme tel. Ce type de construction mécanique impliquait une collaboration intracapitaliste étroite vu l’interdépendance des stades de la production et la nécessité de les développer au même rythme (les déséquilibres qui ont marqué le XVIIIe siècle sont ici hors de question). Pour développer l’application industrielle de son invention, James Watt s’associera d’abord aux forges écossaises Carron, puis au manufacturier Matthew Boulton des toy trades de Birmingham, après que le premier associé eût fait banqueroute. On est en 1773. La production de machines exige d’importants capitaux et l’existence préalable de machines qui puissent fabriquer des pièces dont la précision soit suffisante pour le bon fonctionnement des mécanismes. Boulton et Watt collaboreront avec le métallurgiste John Wilkinson2 qui commandera la première machine à vapeur en 1775 ; les cylindres d’une précision suffisante pour monter la machine à vapeur étaient fabriqués dans l’un de ses établissements. La production de ces machines impliquait donc qu’on ait déjà atteint un certain niveau technologique dans la métallurgie, ainsi qu’une étroite collaboration entre entreprises. Cette coordination intra-capitaliste était fondée sur le principe de la sous-traitance externe, Boulton et Watt se présentant comme les concepteurs-installateurs de la machine et comme des conseillers auprès des entreprises. « Le plus souvent, l’entreprise qui avait besoin d’une machine commandait elle-même ses matériaux aux fonderies et aux forges de son choix, et la maison de Soho fournissait les ouvriers spécialisés ainsi que les parties du mécanisme dont la fabrication exigeait un soin particulier3. » L’entreprise de Soho à Birmingham (celle de M. Boulton) recommandait l’entreprise de J. Wilkinson pour la fabrication des cylindres, sans égal pour la précision. Une certaine organisation interentreprises (toute rudimentaire qu’elle ait été) a donc été nécessaire afin de coordonner les différentes étapes de la production des machines. Celle-ci étant elle-même fondée sur l’organisation capitaliste, la machine à vapeur contribuera par la suite à unifier le système industriel, à faire du capitalisme industriel un système dont les parties sont interdépendantes.

« La vapeur n’a pas créé la grande industrie. Mais elle lui a prêté sa puissance, elle a rendu son essor irrésistible comme les forces dont elle dispose. Surtout elle lui a donné son unité. L’interdépendance des différentes industries était, jusqu’alors, beaucoup moins étroite que de nos jours. Entre leurs techniques respectives, il n’y avait que de rares points de contact. Leurs progrès se faisaient séparément, et par des voies toutes spécifiques. L’emploi d’une force motrice commune, et, qui plus est, d’une force artificielle, impose désormais des lois générales aux progrès de toutes les industries. Les perfectionnements successifs de la machine à vapeur ont réagi également sur l’exploitation des mines et sur le travail des métaux, sur le tissage et sur les transports. Le monde industriel est devenu comme une immense fabrique, où l’accélération du moteur, son ralentissement, ses arrêts, modifient l’activité des ouvriers et règlent le taux de la production. » (Mantoux 1906 : 352.)

5Pour réduire le plus possible les déséquilibres entre les secteurs et entre les stades de la production, le capitalisme industriel devra perfectionner toujours davantage cette capacité d’organisation intracapitaliste. Ajoutons tout de suite que l’interdépendance capitaliste n’est pas imputable qu’à la machine à vapeur mais aussi à la dimension systémique du capitalisme fondé sur le profit ; celui-ci est dépendant du coût du travail (et donc du prix des biens de subsistance de l’ouvrier, du prix des compétences ouvrières,…), des matières premières, des moyens de production, des possibilités d’échange, etc. L’entreprise capitaliste est par définition partie d’un système qui conditionne son développement et sa capacité d’expansion ; elle est donc aussi une organisation qui tente de tirer son épingle du jeu en jouant à la fois de la fermeture sur elle-même et de son ouverture sur l’environnement. Le capitalisme industriel est dès le départ organisation du capital, c’est-à-dire création de liens entre les entreprises pour déjouer les forces incertaines et déstabilisantes du marché.

6Dans la branche de la métallurgie chargée de la fabrication des machines à vapeur, l’organisation de la production (du capital) entraînera également une forme d’organisation du travail par la création d’un nouveau métier – celui de mécanicien industriel ou machiniste – entouré de l’aura de la science, et la disparition des métiers empiriques. Dans une lettre à James Watt, M. Boulton suggérait :

  • 4 Watt était alors associé à J. Roebuck des forges écossaises Carron ; Boulton ne l’avait pas encore (...)

« Je pense que pour tirer de votre invention le meilleur parti possible, il faut de l’argent, une exécution très soignée, et des relations commerciales étendues. Le seul moyen de lui assurer le succès qu’elle mérite est de ne pas en laisser l’exécution à la tourbe des mécaniciens empiriques, qui, par ignorance, par manque d’expérience, et faute d’un outillage approprié, ne feraient probablement que de mauvaise besogne… Nous pourrions embaucher et instruire un certain nombre d’ouvriers d’élite ; nous leur mettrions entre les mains des outils beaucoup meilleurs qu’on ne se donne la peine d’en trouver lorsqu’il s’agit de construire une seule machine ; nous obtiendrons 20 % d’économie dans l’exécution, et autant de différence dans la qualité du travail qu’il peut y en avoir entre un forgeron et un fabricant d’instruments scientifiques4. » (février 1769, citée par Mantoux 1906 : 337.)

7Pour fabriquer des machines servant à la production capitaliste, il faut des ouvriers d’élite, affirme Boulton qui, lui-même, a recours à la main-d’œuvre la moins qualifiée dans ses ateliers des toy trades. Les ateliers de la construction mécanique vont rester dominés par la dépendance de ce nouveau travail qualifié créé par le développement capitaliste des forces productives. Le métier de machiniste (ou mécanicien industriel) est celui qui créera le plus de problèmes aux capita- listes de la métallurgie de la fin du XIXe siècle, quand la production de masse exigera une rationalisation de la production des machines et des pièces servant à les fabriquer. La création de nouveaux métiers dans la métallurgie fait tout autant partie de la révolution industrielle que la destruction des anciens métiers du textile. Mais à ce moment-ci, la capacité d’organisation capitaliste dans l’atelier, identifiée à la discipline des fabriques, est associée à l’industrie des textiles, la première à recourir massivement à la machine à vapeur de Boulton et Watt.

L’organisation de la fabrique : une question de temps

8La fabrique apparaît d’abord, pour tous ceux et celles qui sont soumis au système des machines et à l’horaire du capitaliste, comme la dernière possibilité préférable à la workhouse. Les deux facteurs d’organisation sont ici la technologie et le temps. Les seuls qui échapperont à cette dictature sont les opérateurs des nouvelles machines, payés à la tâche, qui conserveront une capacité d’auto-organisation dans l’atelier. Le discours de légitimation du capitalisme industriel – le discours libéral – restera étrangement muet sur le rôle de l’organisation du travail dans l’atelier et s’attachera à expliquer son fonctionnement à partir du marché et de l’échange presque uniquement ; ce discours restera marqué par le capitalisme marchand et ne considérera que l’application abstraite de ses principes au travail et à la production : dans ce discours, le travail est une marchandise qui s’échange sur un marché et dont la valeur est tout aussi relative que toutes les autres marchandises. Lorsqu’il entre dans le secret de l’atelier pour être mis en usage dans la production, ce n’est plus l’affaire de l’économie politique. Dans sa critique de l’économie politique, Marx (1867) a montré que l’économie ne peut plus se réduire à des transactions marchandes depuis que celles-ci sont subordonnées à l’accumulation du capital : l’économie est transformée par la centralité du capital productif et par son organisation. Ce que je veux montrer ici, c’est que cette capacité d’organisation capitaliste n’engendre pas seulement l’exploitation économique des ouvriers, mais contient en germe une nouvelle servitude autrement plus menaçante pour l’être humain que l’extorsion de plus-value.

  • 5 Souvent, les ouvriers responsables d’une machine embauchaient leurs enfants comme assistants afin (...)

9La capacité d’organisation capitaliste dans l’atelier ne se réalisera que partiellement sous le capitalisme industriel (concurrentiel). Dans un premier temps, celui-ci ne détruira pas tous les anciens modes de production : il les utilisera en les subordonnant au sien ; il prolongera le système familial jusque dans la fabrique sous la forme de la sous-traitance interne5. L’évolution du mode de production ne suivra pas un cadre linéaire artisanat-putting out system-manufacture-fabrique. Au départ, tout est entremêlé, entre autres parce que les fabriques ont besoin de la production domestique pour produire ce que les nouvelles machines ne peuvent réaliser. Ainsi, les tissus fins n’ont pu être tissés par des métiers mécaniques jusque fort avant dans le XIXe siècle ; les capitalistes ont donc dû en confier la tâche à des tisserands à la main. La mécanisation dans un département ou un secteur impliquait souvent le sweating system dans d’autres ; la croissance des grandes unités industrielles reposait sur la prolifération des petites unités de production ; la concentration de la production dans les fabriques était souvent conditionnelle à une intensification du putting out system (cf. Samuel 1977 et Berg 1985). Comme le souligne Hobsbawm (1964), les couturières à domicile et les esclaves noirs d’Amérique dont le nombre a été multiplié avec la révolution industrielle dans les textiles font tout autant partie de cette révolution que les ouvriers et les ouvrières du coton. Mais toutes ces formes de production, qu’elles soient créées par l’industrialisation ou simplement en sursis, ont en commun de dépendre de ce nouveau mode de production qu’est le capitalisme industriel. La production hors fabrique est affectée, à des degrés divers, par la capacité d’organisation capitaliste. La réciproque est aussi vraie puisque la résistance à la discipline de la fabrique se nourrira d’abord de la persistance des anciennes formes de production.

  • 6 La définition officielle de la fabrique était fondée sur la technologie et ne s’appliquait qu’aux (...)
  • 7 Marx (1867), ch. XIV ; il s’inspire ici de Babbage (1832).

10La fabrique est en soi une organisation par la machine6 qui représente l’aboutissement de l’organisation manufacturière du travail ; celle-ci, ayant au préalable simplifié, perfectionné et multiplié les instruments de travail en les adaptant aux fonctions séparées des ouvriers parcellaires, constituait une condition organisationnelle préalable au machinisme comme combinaison d’instruments simples mus par une force centrale7. Marx (1867) distingue la manufacture hétérogène – caractérisée par la dispersion dans l’espace et la succession des opérations dans le temps – de la manufacture sérielle : seule celle-ci, en tant que création d’un espace-temps homogène, était susceptible de mener à la grande industrie. Dans la manufacture sérielle, le produit passe de mains en mains, subissant une opération à chaque stade, comme dans la fabrication d’épingles où le fil de laiton peut passer par les mains de quatre-vingt-douze ouvriers (p. 255). Ces diverses opérations « successives dans le temps, deviennent simultanées dans l’espace » (p. 256) ce qui permet d’augmenter grandement la masse produite dans un temps donné. Dans la manufacture sérielle, chaque travailleur est le client et le fournisseur d’un autre : « Comme le produit partiel de chaque travailleur parcellaire n’est en même temps qu’un degré particulier de développement de l’ouvrage achevé, chaque ouvrier ou chaque groupe d’ouvriers fournit à l’autre sa matière première. Le résultat du travail de l’un forme le point de départ du travail de l’autre. » (Ibidem.) Cette interdépendance des travaux et des travailleurs force ceux-ci à n’utiliser que le temps nécessaire à leur fonction : ils doivent livrer en un temps donné telle quantité de production à leur « client » : la loi du marché qui accorde une valeur à un bien selon le temps de travail socialement nécessaire pour le produire devient ici une loi technique. « Dans la manufacture […] la livraison d’un quantum de produit donné dans un temps de travail donné devient une loi technique du procès de production lui-même. » (Ibidem.) Il faut donc que la proportion mathématique entre les groupes d’ouvriers soit respectée lorsqu’il y a augmentation ou diminution du nombre de travailleurs : chaque groupe forme un organisme qui arrête de fonctionner dès qu’il lui manque un membre, ce qui force les travailleurs à suivre le rythme.

11Cette analyse de Marx, inspirée par celle de Babbage (1832), rend compte du caractère organisationnel de la production dans les manufactures, avant les fabriques ; elle montre comment l’organisation du travail naît et est dérivée des lois du marché telles qu’appliquées à la production, mais les y transforme en principes rigides qui engendrent une contradiction entre la production et l’échange. Marx nous fait voir comment la division manufacturière du travail est en fait un réaménagement de l’espace-temps de la production qui copie les lois du marché (par les rapports du type fournisseur-client). La division du travail permet d’appliquer à chaque type d’opération la quantité précise de compétence et de savoir nécessaire, ni plus ni moins ; il y a division entre la compétence et la force physique, le manufacturier pouvant acheter exactement la quantité dont il a besoin et de l’une et de l’autre. La division du travail offre des avantages qui, pour la plupart, résultent en économie de temps : réduction du temps d’apprentissage, réduction du gaspillage de matière première inhérent à l’apprentissage, économie de temps reliée au fait qu’on n’a plus à changer de tâche ni d’outil, acquisition de compétence par la répétition du même processus. L’organisation de la production dans la manufacture sérielle est une affaire essentiellement technique, rigide, qui dépend de rapports arithmétiques ; elle impose un rythme et des cadences de production avant que n’intervienne la machine.

  • 8 Weber (1923) refuse de faire cette distinction entre manufacture et fabrique ; c’est qu’il examine (...)

12Le machinisme qui organise les forces subjectives de la production (le travail vivant) est donc lui-même le résultat de l’organisation manufacturière du travail. Quand Marx faisait la distinction entre la manufacture et la grande industrie, il se plaçait du point de vue subjectif du producteur, du procès de travail concret ; il examinait le sort fait à l’ouvrier dans l’une et l’autre : dans la manufacture, écrivait-il, la division du travail obéit encore à un principe subjectif (l’opération est adaptée à l’ouvrier), alors que dans la grande industrie, « le procès total est considéré en lui-même, analysé dans ses principes constituants et ses différentes phases, et le problème qui consiste à exécuter chaque procès partiel et à relier les divers procès partiels entre eux, est résolu au moyen de la mécanique, de la chimie, etc.8 » (Marx 1867 : 276). La science et la technologie objectivent la division du travail : désormais, c’est l’ouvrier qui doit s’adapter au système des machines. La technologie comme science appliquée joue le rôle d’intermédiaire entre le travail et le capital et constitue un instrument de contrôle et d’organisation. La mécanisation n’est pas une simple condition matérielle de la production ; elle s’est développée dans le cadre de la transformation des rapports sociaux qui a suivi la séparation du capital et du travail et en fut profondément marquée. La technologie n’aurait pu se développer sans la séparation du travail et du capital car elle implique le travail instrumental. Le machinisme a donné les moyens au capitaliste industriel de s’imposer et de dominer les anciens modes de produire, puis de les détruire. Les inventions pour le traitement des textiles préalables à la machine à vapeur sont assimilables à des outils, des techniques, pas à des technologies ; elles ne remettaient pas en cause la place de l’ouvrier dans l’organisation de la production. Même le water frame volé par Arkwright à son inventeur conservait le statut d’outil, de technique, et il lui faudra le soutien institutionnel du brevet d’invention (i. e. le droit de propriété) pour en faire un instrument d’organisation industrielle de la production et du travail. Dans les textiles et la production de biens de consommation, le principe organisationnel a précédé le principe technologique mais tous deux manifestent la transformation des rapports sociaux imputable à la séparation du travail et du capital provoquée par l’institution de la propriété moderne.

13La division sérielle du travail impose une spatio-temporalité aux salariés dont ils ne peuvent s’évader sans perturber toute la chaîne des opérations. L’introduction de la machine dans la fabrique va à la fois renforcer cette dictature organisationnelle pour les sans-métier (surtout des femmes et des enfants) et conférer une certaine indépendance aux ouvriers qualifiés. L’objectif du capitaliste sera dès lors d’enfermer tous les salariés dans ce nouvel espace-temps et de le contrôler sans partage. L’une des principales difficultés des capitalistes industriels qui recrutaient des ouvriers pour les fabriques consistait à inculquer la discipline nécessaire pour s’astreindre à un travail régulier. Ure (1835), le chantre du nouveau système, affirmait que la principale difficulté des fabriques anglaises résidait dans :

  • 9 « … la distribution des différents membres de ce dispositif en un seul corps coopératif, dans l’ét (...)

« … the distribution of the different members of the apparatus into one co-operative body, in impelling each organ with its appropriate delicacy and speed, and above all, in training human beings to renounce their desultory habits of work, and to identify themselves with the unvarying regularity of the complex automaton. To devise and administer a successful code of factory discipline, suited to the necessities of factory diligence, was the Herculean enterprise, the noble achievement of Arkwright. Even at the present day, when the system is perfectly organized, and its labour lightened to the utmost, it is found nearly impossible to convert persons past the age of puberty, whether drawn from rural or from handicraft occupations, into useful factory hands. After struggling for a while to conquer their listless or restive habits, they either renounce the employment spontaneously, or are dismissed by the overlookers on account of inattention9. » (Ure 1835 : 15-16.)

  • 10 Règlements d’une usine de Saint-Quentin, cité par Desroys du Roure, Les règlements d’atelier et le (...)

14La fabrique est une organisation qui exige de nouvelles qualités de la part des ouvriers et des ouvrières afin qu’ils deviennent des « membres » de ce « corps » fonctionnant à l’unisson. Nous avons vu que, au début du XVIIIe siècle, des patrons avaient commencé à calculer le temps non travaillé (visites au café, bavardages, pauses pour fumer, etc.) pour le soustraire des gages des ouvriers. Avec la fabrique, cette liberté de mouvement et de temps n’est plus tolérable. Le Goff (1985), qui fait l’analyse pour la France, remarque qu’un nouvel espace-temps s’impose avec la grande industrie ; l’entreprise industrielle s’institue comme un lieu distinct, espace privé coupé de l’extérieur : n’y entre et n’en sort pas qui veut et les règles qui la régissent doivent être exclusives de tout ce qui se fait dans l’espace public. Ce nouvel espace institue un temps nouveau, marqué par la régularité et la stabilité, qui vise à annihiler l’indépendance et l’instabilité propres aux activités paysannes et artisanales. La discipline d’atelier, stricte, tatillonne, est nécessaire pour imposer cette nouvelle temporalité. Il faut imposer une nouvelle culture, une nouvelle manière d’être, propres à l’usine (qui n’est ni le foyer ni l’espace public), « dépossession symbolique de soi » (Le Goff 1985 : 31) : défense de « causer, de lire, de s’asseoir, de boire ou de manger en travaillant, de se servir des déchets, de se laver les mains dans le tissage, de se peigner, de cirer ses chaussures, de fumer, de chanter, de siffler10 ». L’organisation propre à la fabrique vise à modeler un nouvel être humain, à lui imposer une culture qui le rende apte non seulement à fonctionner adéquatement dans ce type d’organisation mais dans la société capitaliste en formation. La machine, en plus d’être un instrument servant à soumettre les ouvriers récalcitrants, est aussi un auxiliaire précieux pour inculquer des habitudes de calcul et une discipline temporelle qui impose un changement de signification du temps et donc du mode de vie. Le témoignage qui suit compare les habitudes de vie des ouvriers des poteries anglaises, non encore touchées par la mécanisation, avec celles des ouvriers des fabriques formées par la machine.

  • 11 « An Old Potter », When I was a Child, London, 1903, cité par Thompson 1967 : 75. « Si une machine (...)

« If a steam-engine had started every Monday morning at six o’clock, the workers would have been disciplined to the habit of regular and continuous industry […] I have noticed, too, that machinery seems to lead to habits of calculation. The Pottery workers were woefully deficient in this matter ; they lived like children, without any calculating forecast of their work or its result. In some of the more northern counties this habit of calculation has made them keenly shrewd in many conspicuous ways. Their great co-operative societies would never have arisen to such immense and fruitful development but for the calculating induced by the use of machinery. A machine worked so many hours in the week would produce so much length of yarn or cloth. Minutes were felt to be factors in these results, whereas in the Potteries hours, or even days at times, were hardly felt to be such factors. There were always the mornings and nights of the last days of the week, and these were always trusted to make up the loss of the week’s early neglect11. »

15La machine enseigne le calcul du temps, une minute pouvant être mesurée en termes de mètres de fil ou de tissu produits, alors que pour le potier traditionnel, ni l’heure ni même la journée ne sont considérées comme des référents importants pour mesurer la production. C’est que les potiers, qui « vivent comme des enfants qui ne savent pas compter », sont encore entièrement absorbés par leur tâche, par la manière de l’accomplir et par la qualité du travail : le temps ne s’y est pas encore substitué à la tâche comme fondement de la définition du travail, comme c’est le cas dans la fabrique pour ceux et celles qui ne font que servir la machine (sans l’opérer). La fabrique introduit ainsi une discipline spatio-temporelle insupportable pour les hommes, les femmes et les enfants habitués à jouir d’une certaine indépendance et d’une certaine liberté de mouvement, à doser les efforts à fournir en fonction de leurs besoins (et non en fonction de l’accumulation sans fin de richesses). Les notions de temps et d’espace, de données subjectives, deviennent des conditions objectives imposées et calculables. Le temps pendant lequel les ouvriers travaillent devient un élément crucial, tant pour les capitalistes que pour les ouvriers. Sa mesure donne lieu à des rapports de pouvoir qui font de la montre un objet séditieux dans la fabrique :

  • 12 Alfred, The Factory Movement, I, 283 (histoire portant de 1802 à 1847), cité par Mantoux (1906), n (...)

« J’étais alors à la fabrique de Mr. Braid… On y travaillait, en été, tant que durait la clarté du jour, et je ne pourrais dire à quelle heure on s’arrêtait. Personne excepté le patron et son fils, n’avait de montre, et nous ne savions pas l’heure. Il y avait un ouvrier qui possédait une montre : c’était un ami, je crois, qui la lui avait donnée. Elle fut confisquée et gardée par le patron, parce qu’il avait dit aux camarades l’heure qu’il était12. »

  • 13 A. Ure souligne que les gains des tisserands à domicile pour une quantité donnée de travail avaien (...)
  • 14 « Les ouvriers [à domicile] sont physiquement détériorés, mentalement déprimés et, trop souvent, m (...)
  • 15 Factory Commission, Nottingham, p. 20, cité par Ure (1835) : 336. « Une jeune fille déclare lors d (...)

16Le temps est à la fois un instrument de mesure des coûts du travail (salaire au temps) et l’instrument de son contrôle (en devenant « espace clos » contrôlé par le patron). Mais l’imposition de cette acception du temps instrumentalisé et objectivé, détaché de l’expérience humaine, ne va pas de soi. Les ouvriers et les ouvrières résistent au système des fabriques ; ils n’y entrent, comme dans les workhouses, qu’en dernier recours. L’un des meilleurs témoignages de ce refus global nous est offert par Andrew Ure, qui ne peut être accusé d’avoir voulu noircir la situation des fabriques car son objectif était explicitement de redorer l’image de ce système dans l’opinion publique. Or il affirmait que malgré des conditions de vie et de travail déplorables, les artisans à domicile s’entêtaient à y rester plutôt que d’aller travailler dans les fabriques où salaires et conditions de travail étaient supérieurs13 : « The workmen are physically deteriorated, mentally depressed, and too often morally debased. Ill-fed, ill-lodged, and ill-clothed, with care-worn and anxious countenances, they constitute a peculiar class of misery14. » (Ure 1835 : 335.) Les dentellières qui perdent la vue et déforment leurs membres sur les anciens métiers refusent le « contrôle et la continuité du travail de fabrique » (p. 336). « One girl in her examination states, “I like it better than the factory, though we can’t get so much. We have our liberty, at home, and get our meals comfortable, such as they are15.” » Pour ces ouvrières et ouvriers, tout semble donc préférable à cet enfermement dans un espace-temps contrôlé par le patron propriétaire. L’abrutissement et le temps assujetti au fabricant, propres au régime des fabriques, qui annihilent la dignité de l’ouvrier, seront parmi les principaux griefs exprimés par le mouvement ouvrier naissant.

  • 16 Jean-Pierre Drevet, serrurier mécanicien, « Le socialisme pratique » (Association pacifique et vol (...)

« Voulez-vous savoir ce qui éloigne les ouvriers du travail ? ce n’est pas l’ouvrage en lui-même, c’est la longueur du temps auquel ils sont condamnés à rester captifs chaque jour. Tous aiment le travail ; mais toutes les fois que l’on condamnera l’homme et la femme à être prisonniers du travail, ils se révolteront même contre le travail qu’ils aiment ; car l’homme ne veut pas perdre une de ses plus belles propriétés, qui est son indépendance, sans laquelle il n’est qu’une machine. En effet, les travailleurs qui sont enfermés depuis le moment où ils se lèvent jusqu’au moment où ils se couchent ne sont pas des hommes ou des femmes libres, mais de vrais esclaves, des machines qui ne peuvent exécuter d’autre mouvement que ceux nécessaires pour faire l’ouvrage du maître. Il ne leur restera rien pour la culture de leur esprit16. »

  • 17 A. Ure décrivait comme suit le système de sous-traitance en vigueur dans les filatures : « The spi (...)

17Les ouvriers qui le pouvaient, qui avaient conservé une capacité d’auto-organisation, utilisaient le pouvoir conféré par la maîtrise d’un métier ou d’une machine pour contrer cette dictature du temps exercée par la fabrique. Dans les filatures industrielles, l’organisation et la discipline du travail ont d’abord été laissées à des ouvriers chargés de la conduite d’une machine. Ainsi, les opérateurs de mule automatique, qui étaient des hommes adultes, embauchaient eux-mêmes leurs assistants (piecers) – leurs propres enfants et ceux de leurs voisins – qu’ils payaient à partir de leur salaire aux pièces (au poids ou à la longueur du fil)17.

  • 18 « plus l’ouvrier est qualifié, plus il risque d’être entêté et intraitable et, bien sûr, moins il (...)

18Ces ouvriers conservent une indépendance que A. Ure compare à celle des ouvriers à domicile, libres de leur temps et de leurs mouvements ; cela empêche de créer dans la fabrique un travail collectif où chacun prend sa place et y reste pendant tout le temps imposé par le patron. Les opérateurs de machines ont en effet tendance à travailler à leur propre rythme (périodes intensives de travail suivies de périodes d’inactivité) afin de se ménager des répits et sortir de la fabrique une fois qu’ils ont gagné assez pour satisfaire leurs besoins. A. Ure compte sur la technologie pour briser ce monopole ouvrier car, « the more skillful the workman, the more self-willed and intractable he is apt to become, and, of course, the less fit a component of a mechanical system, in which, by occasional irregularities, he may do great damage to the whole18 » (Ure 1835 : 20).

19Mais, contrairement à ce qu’espère Ure, la technologie n’arrive pas à réaliser la soumission réelle du travail au capital, comme il le constate lui-même avec les opérateurs de mule automatique. La technologie engendre une nouvelle dépendance réciproque capital-travail que l’ouvrier peut exploiter à son avantage tant qu’il conserve une maîtrise de l’organisation de son travail ou encore le monopole d’un savoir productif. À ce stade-ci, le patron capitaliste préfère s’en remettre à l’ouvrier opérateur pour l’organisation du travail (ce qui veut dire : recruter la main-d’œuvre nécessaire, la payer, maintenir la discipline, faire respecter les quotas de production,…) : l’auto-organisation ne signifie pas seulement que l’ouvrier est maître de la manière d’accomplir son travail et de son rythme, mais aussi qu’il a charge de tâches que nous qualifions aujourd’hui d’administratives et managériales, voire patronales (embaucher et payer les travailleurs). Ce sont des ouvriers qui vendent leur force de travail au capitaliste mais ils apparaissent comme des petits maîtres dont le produit est « vendu » au capitaliste plutôt que sur le marché : l’auto-organisation ouvrière du travail dans le cadre de la production capitaliste est une forme d’organisation capitaliste du travail. Le tâcheronat est différent de cette sous-traitance interne : le tâcheron se rapproche davantage du petit maître et ses gains se rapprochent davantage du bénéfice que du salaire. Il procédera donc à la rationalisation du travail pour l’intensifier et faire des économies : spécialisation de la main-d’œuvre, stimulants financiers pour hâter le travail, trucs pour sauver de la matière première, etc. Cela était considéré comme du sabotage de travail par les ouvriers car on faisait ainsi intervenir des critères économiques dans l’organisation et l’exécution du travail, qui ne devaient selon eux être guidées que par des critères professionnels (cf. Mottez 1966). Le tâcheron est guidé par l’appât du gain et non par ses besoins. En ce sens, le tâcheronat doit être assimilé à une forme de sous-traitance externe, qui fait appel à un autre patron, plutôt qu’à une auto-organisation : il s’agit d’organisation intra-capitaliste et non d’organisation du travail. L’auto-organisation se fait par contre au sein du travail collectif, qui est composé d’une main-d’œuvre hiérarchisée où les niveaux sont liés à la capacité à organiser et à s’organiser. Les diverses formes de salaire selon le résultat (à la tâche plutôt qu’au temps) et ce, jusqu’à nos jours, reflètent la dépendance du capital de l’autonomie ouvrière dans l’accomplissement de la tâche. Le salaire à la tâche prolonge la dimension du travail-marchandise jusque dans la production, conférant aux ouvriers une forme de liberté ; le salaire au temps, par contre, est une manifestation de la capacité d’organisation capitaliste dans l’atelier comme loi du marché transformée en loi technique de la sphère privée capitaliste. La dialectique qui caractérise les rapports marché-production donne lieu à des phénomènes sociaux contradictoires.

  • 19 D’après le manuscrit de J. E. Bédé (1820), tous les ouvriers tourneurs de chaises sont passés aux (...)

20Les ouvriers de métier, lorsqu’ils ont perdu leur indépendance et la propriété de leur produit, se sont tournés vers le salaire aux pièces comme une façon de garder un lien avec le produit et de retrouver un peu d’indépendance sous le régime de la liberté du travail19. Quand l’ouvrier marchande le prix de son travail, il met en œuvre son sens économique de marchandise dont les institutions de la propriété et du contrat sont l’expression ; ces institutions permettent à l’ouvrier de manifester sa subjectivité, d’agir comme sujet dans la société : l’ouvrier « propriétaire » d’un métier peut effectivement profiter de la liberté bourgeoise liée au marché. Plus il a de pouvoir de marchandage, plus il conserve d’indépendance dans l’atelier, car cela signifie qu’il y conserve la maîtrise de sa force de travail, et plus il peut jouer de sa mobilité sur le marché. Comme il ne vend plus son produit (comme faisait l’artisan) mais sa force de travail, il ne peut éviter de contribuer ainsi à faire entrer la logique marchande dans la production, dans l’accomplissement de sa tâche. Quand le travail à la tâche est marchandé individuellement par l’ouvrier de métier, l’opposition entre critères économiques objectifs et critères professionnels subjectifs est alors intériorisée par l’individu. Cette forme de rémunération a d’ailleurs été célébrée par le discours libéral parce qu’elle inculquait chez l’ouvrier le sens de sa responsabilité économique, l’incitait au calcul, à la mesure, au contrôle de son travail, à l’innovation, l’éduquait donc dans les valeurs de concurrence et d’individualisme (cf. Mottez 1966). Par ailleurs, le travail à la tâche confère une indépendance et une liberté dont ne jouissent pas les ouvriers payés au temps (à la journée) et cela était décrié par les gardiens de la moralité ouvrière.

  • 20 Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de soie, (...)

« La règle des ateliers ne permet pas aux ouvriers à la journée de diminuer ou d’augmenter le nombre de leurs heures de travail, elle les oblige tous à la commencer et à la finir ensemble. Mais les ouvriers à la tâche ou aux pièces peuvent ordinairement se reposer quand il leur plaît, et, s’ils le veulent, s’épuiser de fatigue pendant trois ou quatre jours, pour se livrer à d’autres excès le reste de la semaine. Cette liberté, accordée presque partout à des degrés divers cependant, aux ouvriers payés à la pièce ou à la tâche, tend à les démoraliser. Cette liberté excessive doit certainement compter pour beaucoup parmi les causes de mauvaises mœurs que l’on a observées si fréquemment chez les ouvriers des ateliers dits de construction20. »

  • 21 Thompson (1967) cite encore : «… several hours in the day to be spent nearly as they please. And i (...)

21Comme Ure, Villermé note donc cette propension ouvrière à se réapproprier le temps dès que l’organisation du travail le permet. Travail et temps sont devenus des synonymes : l’ouvrier qui vend sa force de travail vend son temps… à moins qu’il ne détienne le monopole d’un savoir productif (métier). C’est pourquoi la maîtrise du temps représente l’enjeu central pour l’ouvrier marchand de son travail car le temps sauvé de la production capitaliste redonne à l’ouvrier un espace-temps subjectif où il reprend possession de lui-même. C’est ainsi que le temps deviendra un thème central du discours libéral marqué par l’utilitarisme. Penser et agir subjectivement le temps sera assimilé à une forme d’imprévoyance et de négligence ; le temps des ouvriers et des ouvrières – y compris le temps hors travail qui n’appartient pas au capitaliste – qu’ils passent à leur manière, représente une perte irréparable et quelque chose d’obscurément inquiétant21. Le temps hors travail devrait être consacré à des activités utiles et formatrices, i.e. qui renforcent l’acception capitaliste du temps. Ces considérations utilitaristes sur le temps révèlent la dimension centrale, décisive du principe de liberté en opposition au travail. Ce n’est pas l’utilité sociale qui fait le citoyen (comme l’affirme Castel 1995), mais la réappropriation ouvrière du temps pour agir collectivement et inter-subjectivement, en vue de questionner et de critiquer sa dimension utilitariste imposée : être utile à quoi ? pourquoi ? pour qui ? Cette préoccupation des moralistes de la culture, des mœurs et des habitudes ouvrières reflète la dépendance du mode de production capitaliste de la société qui l’entoure. Si le capitalisme industriel est né grâce à la société, aux institutions qu’elle a engendrées, il ne pourra se maintenir et se développer qu’en la remodelant à son image. L’organisation embryonnaire des fabriques va inspirer des praticiens et des penseurs de cette époque qui prôneront son extension à toute la société. Un entrepreneur des textiles (Robert Owen) nous a laissé des écrits témoignant de la nécessité pour le capitaliste de modeler la communauté à l’image de la fabrique pour modeler un être humain qui lui soit conforme.

  • 22 Owen s’intronisera leader ouvrier à son retour en Grande-Bretagne après l’échec de son projet de v (...)

22R. Owen était convaincu que l’on pouvait modeler l’être humain moyennant l’établissement d’un environnement propice au type souhaité. Et il considérait que le système des fabriques, s’il était minimalement réglementé par des législations sociales, serait éminemment formateur : l’intégration de sa discipline, l’apprentissage du calcul, associés à une éducation tôt dispensée, inculquent de saines et honnêtes habitudes de vie. L’organisation de la société nouvelle est, comme l’organisation de la fabrique, comparable à l’agencement des pièces d’une machine : cette vision mécanique représente le plus sûr moyen pour que chacun y prenne sa place, y compris les classes laborieuses, qui verront ainsi leur sort amélioré. Le fait que R. Owen soit passé à l’histoire comme l’un des fondateurs, sinon le fondateur, du mouvement ouvrier britannique22 relève de l’une de ces réécritures de l’histoire portées sur la création de personnages qui masquent l’action collective à la source des transformations dans la société. Le fait que tous les plans d’Owen comme manufacturier-organisateur de la communauté aient échoué démontre que le capitalisme organisateur devait compter avec l’obstination et la résistance des ouvriers, qui expriment une intersubjectivité propre à la classe ouvrière naissante qui refuse de se laisser organiser. Nous verrons que le mouvement ouvrier britannique ne s’est pas laissé modeler à l’image des mécanismes d’une machine sociale, si bien huilée soit-elle ; il s’est plutôt construit à partir de luttes collectives contre l’organisation des fabriques et en faveur de la construction de nouvelles institutions qui permettent aux ouvriers d’agir à titre de citoyens dans la société.

23La capacité d’organisation du capitaliste, qui fait abstraction des droits d’autrui, est dès le départ diffuse ; elle se manifeste dans l’atelier par la division du travail et par le recours à la technologie (destruction des métiers), dans les rapports entre entreprises pour favoriser de nouveaux développements technologiques et organisationnels (p. ex. monopole des brevets), dans la communauté pour modeler un nouvel être humain. Capitalisme industriel et organisation sont donc inséparables et ils ont bénéficié du support des institutions pour se développer dans l’atelier, dans le secteur d’activité et dans la société. Si capital et travail, séparés sur le marché, sont deux choses libres d’être échangés par leur possesseur, ils sont refondus dans l’atelier pour la production. Le travail-marchandise est régi par des institutions propres à la sphère économique (propriété, contrat) où il n’a qu’une valeur d’échange ; dans la sphère privée de la production, il est régi par l’organisation capitaliste où il n’a qu’une valeur d’usage. C’est ici que la distinction entre institution et organisation prend son origine : les institutions économiques ont favorisé l’organisation de la production capitaliste, mais les deux obéissent à des principes contradictoires. C’est ainsi que le travail se voit conféré par l’économie politique classique le sens économique et abstrait de travail-marchandise, en même temps que la production capitaliste industrielle lui confère le sens organisationnel d’activité productive disciplinée et réglée par le capitaliste. Ces deux sens du travail sont à la fois opposés et complémentaires : sur le marché, ouvrier et capitaliste sont mis en présence comme deux propriétaires, libres et égaux (formellement); cet échange amène l’ouvrier dans l’atelier, où il est subordonné et soumis à la capacité d’organisation du capitaliste, capacité qui lui est conférée par le droit de propriété (le capitaliste a le droit d’user à sa guise de la force de travail dont il dispose, de l’organiser de la façon la plus productive possible). D’un point de vue institutionnel, le travail est libre ; d’un point de vue organisationnel, il est serf. Le travail-marchandise s’échange sur la place publique (sur le marché); comme activité organisée, le travail tire du droit de propriété son caractère privatif et exclusif. L’avantage du métier, dans le mode de production capitaliste, n’est pas lié à la maîtrise du procès de travail, à la réalisation de soi de l’ouvrier à l’intérieur de la sphère privée capitaliste ; le métier signifie la maîtrise du temps qui permet à l’ouvrier d’échapper à l’enfermement dans la fabrique, au travail comme activité organisée par le capitaliste. C’est par son caractère marchand (mobilité sur le marché) que le métier libère, pas par son caractère professionnel (exercé dans la sphère privée du capitaliste).

24L’institution renvoie à la société comme totalité ; elle est le résultat des pratiques sociales et conditionne leur reproduction. Étant issues des rapports de domination et marqués par eux, les institutions de la société favorisent le développement de contradictions qui provoquent des luttes sociales orientées vers la transformation de la société. Les institutions sont du domaine de la dialectique, i.e. qui favorisent l’expression de finalités contradictoires. L’organisation, par contre, est du domaine de la logique systémique, fermée sur elle-même, orientée vers des objectifs réduits, limités, particuliers, et qui n’admet que ce qui est fonctionnel, que ce qui permet de les atteindre le plus efficacement possible. Chacune des organisations capitalistes est penchée sur ses propres intérêts particuliers, i. e. agrandir son capital et augmenter ses profits. C’est là aussi l’intérêt général de la classe capitaliste, qui le promeut en absorbant des parties de son environnement (de la société) pour les intégrer à sa logique, pour étendre la sphère privative et exclusive de l’organisation capitaliste.

  • 23 La perte de la souveraineté de l’individu et des communautés déplorée par Donzelot (1984) n’a pas (...)

25Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, le rapport dialectique entre la dimension marchande-institutionnelle du travail, la liberté formelle qui y est associée et sa dimension productive-organisationnelle, qui suppose la soumission de l’ouvrier à l’autorité du capitaliste, a permis aux ouvriers possédant encore un métier d’échapper partiellement à la logique organisationnelle capitaliste (grâce à leur pouvoir de marchandage et à la mobilité sur le marché du travail qu’il permettait). La capacité d’organisation du capitaliste, quoique détectable dès les débuts du capitalisme industriel, ne se réalisera que très imparfaitement sous le règne de ce type de capitalisme. Tout au long du XIXe siècle, la capacité d’organisation qui découle du droit de propriété s’applique aussi à l’ouvrier, au moins formellement, mais aussi substantivement tant que ce dernier conserve une capacité d’auto- organisation fondée sur l’exclusivité du savoir productif. La capacité d’organisation capitaliste est incompatible avec la souveraineté de l’individu liée à l’exercice du droit de propriété23. Tant que l’ouvrier demeure libre de sa personne, tant qu’il peut marchander le prix de son travail et choisir (jusqu’à un certain point) son temps de travail, l’organisation capitaliste va rester une « utopie ». C’est en tant qu’utopie que la capacité d’organisation sera brandie par ceux qu’on a appelé les premiers socialistes (Owen, Saint-Simon) comme alternative aux modalités politiques de cohésion de la société. Compte tenu de l’explosion productive engendrée par la révolution industrielle, la capacité d’organisation manifestée par les premiers industriels apparaîtra à plusieurs comme le meilleur garant de la réconciliation des classes sociales créées par la séparation du travail et du capital, sur la base de la production et d’une meilleure répartition de la richesse. Ce sont là les bases de l’« utilitarisme social » qui, on le voit, sont établies à partir de l’organisation capitaliste.

26Le concept d’organisation n’a pas, chez les premiers socialistes (à l’exception de Saint-Simon), le sens qu’il acquerra au siècle suivant, lorsqu’il désignera une forme globale de régulation, autonomisée par rapport à la maîtrise ouvrière du métier et à l’autorité patronale résultant du droit de propriété. La rupture qui s’opérera alors par la « main visible » du management prend cependant son origine dans cette contradiction qui naît avec le capitalisme industriel, entre l’exercice du droit de propriété universellement reconnu et la capacité d’organisation privative et exclusive du capitaliste à travers laquelle la richesse matérielle est créée (et appropriée). Pendant tout le XIXe siècle, l’organisation reste au « stade patronal » qui met en présence des individus plus ou moins en possession de leurs moyens et qui se partagent la capacité d’organisation inhérente au nouveau mode de production. Du point de vue du capitaliste, la maîtrise ouvrière du travail représente une propriété (étrangère) à l’intérieur de sa propriété et cela est intolérable pour lui. Pour résoudre cette contradiction selon laquelle le droit de propriété capitaliste s’exerce en opposition au reste de la société, il faudra que ce système de production se mesure à l’ensemble de la société pour y imposer son acception du concept de propriété. Mais, en attendant, les ouvriers, qui vivent de façon immédiate les conséquences de cette capacité d’organisation naissante, continueront à se prévaloir des institutions du marché, de la propriété, du métier pour contrer cette menace : s’appuyant sur l’institution bourgeoise du travail (comme fondement de la propriété, comme manifestation de la liberté de l’individu, comme marchandise sur le marché), le mouvement ouvrier va donner un nouveau sens au travail en s’imposant comme force sociale-politique de transformation de la société, en forçant la sphère politique à reconnaître l’universalité des droits des classes laborieuses (sous la forme éventuelle du droit social).

Notes

1 Comme celles de Mantoux (1906), de Pinchbeck (1930) et de Landes (1969) ; l’ouvrage de P. Mantoux a été, de loin, le plus inspirant pour ce chapitre.

2 Wilkinson était une sorte de monarque dans sa branche : « L’ensemble formait un véritable royaume, un État industriel que Wilkinson gouvernait d’une main énergique et autoritaire. Cet État, plus important et plus riche que beaucoup de principautés italiennes ou allemandes, jouissait d’un crédit qu’elles pouvaient envier, et, comme elles, frappait monnaie ; des jetons de cuivre et d’argent, à l’effigie de John Wilkinson, circulèrent, de 1787 à 1808, dans plusieurs des comtés du Centre et de l’Ouest. » (Mantoux 1906 : 310.)

3 T. S. Ashton, Iron and Steel in the Industrial Revolution, p. 64, cité par Mantoux (1906) : 344-345.

4 Watt était alors associé à J. Roebuck des forges écossaises Carron ; Boulton ne l’avait pas encore remplacé.

5 Souvent, les ouvriers responsables d’une machine embauchaient leurs enfants comme assistants afin que leur salaire complet demeure dans la famille.

6 La définition officielle de la fabrique était fondée sur la technologie et ne s’appliquait qu’aux textiles : «Une fabrique (factory) est un local où l’on travaille au moyen de machines mues par la force de l’eau, de la vapeur ou de tout autre agent mécanique, à préparer, manufacturer, finir ou transformer en quelque façon le coton, la laine, le crin, la soie, le lin, le chanvre, le jute ou l’étoupe. » (8 Victoria, c. 15, An Act to amend the laws relating to labour in factories, June 6th 1844, cité par Mantoux 1906 : 17.)

7 Marx (1867), ch. XIV ; il s’inspire ici de Babbage (1832).

8 Weber (1923) refuse de faire cette distinction entre manufacture et fabrique ; c’est qu’il examine le capitalisme moderne surtout du point de vue du capital et de sa rationalité, et non du point de vue de l’ouvrier producteur et des changements qualitatifs que cette rationalité, opposée à la sienne, engendre. Il qualifie d’ailleurs la rationalité ouvrière de traditionnelle, appelée à être remplacée par la rationalité capitaliste.

9 « … la distribution des différents membres de ce dispositif en un seul corps coopératif, dans l’établissement forcé de la finesse et de la vitesse appropriées pour chacun de ses organes, et surtout dans l’entraînement des êtres humains à renoncer à leurs habitudes de travail inconséquentes et à s’identifier à la régularité invariable de cet automate complexe. Réussir à concevoir et à administrer un code de discipline, adapté aux exigences d’assiduité de la fabrique, fut l’entreprise herculéenne, la noble réalisation d’Arkwright. Même aujourd’hui, alors que le système est parfaitement organisé et que le travail a été allégé à l’extrême, il est presque impossible de transformer en ouvriers de fabrique efficaces des personnes qui ont passé l’âge de la puberté, qu’elles proviennent d’occupations paysannes ou artisanales. Après avoir lutté pendant quelque temps pour combattre leurs habitudes nonchalantes ou indociles, soit elles renoncent d’elles-mêmes à cet emploi, soit elles sont congédiées pour cause de manque d’attention par les superviseurs. »

10 Règlements d’une usine de Saint-Quentin, cité par Desroys du Roure, Les règlements d’atelier et le contrat de travail, 1920, p. 23, cité par Le Goff 1985 : 31.

11 « An Old Potter », When I was a Child, London, 1903, cité par Thompson 1967 : 75. « Si une machine à vapeur avait été actionnée chaque lundi matin à six heures, les ouvriers auraient acquis la discipline d’habitudes de travail régulières et continues. […] J’ai aussi remarqué que la machinerie semble inculquer des habitudes de calcul. Les ouvriers des poteries étaient tristement déficients en cette matière ; ils vivaient comme des enfants, sans aucune prévision calculée de leur travail ou de ses résultats. Dans quelques comtés du nord, cette habitude du calcul les a rendus vivement perspicaces de plusieurs manières évidentes. Leurs grandes sociétés coopératives n’auraient jamais atteint un développement aussi important et fructueux n’eut été du calcul inculqué par l’usage de la machinerie. Une machine qui fonctionne tant d’heures par semaine va produire telle longueur de fil ou de tissu. Les minutes étaient considérées comme un facteur de ce résultat, alors que dans les poteries, c’était à peine le cas des heures, voire des journées. Il restait toujours les matinées et les soirées des dernières journées de la semaine dont on comptait qu’elles allaient compenser pour la négligence du début de la semaine. »

12 Alfred, The Factory Movement, I, 283 (histoire portant de 1802 à 1847), cité par Mantoux (1906), note 2, p. 439. Et encore : «… in reality there were no regular hours : masters and managers did with us as they liked. The clocks at the factories were often put forward in the morning and back at night, and instead of being instruments of the measurement of time, they were used as cloaks for cheatery and oppression. Though this was known amongst the hands, all were afraid to speak, and a workman then was afraid to carry a watch, as it was no uncommon event to dismiss any one who presumed to know too much about the science of horology. » (Anon, Chapters in the Life of a Dundee Factory Boy (Dundee, 1887), p. 10, cité par Thompson 1967 : 86.)

13 A. Ure souligne que les gains des tisserands à domicile pour une quantité donnée de travail avaient diminué constamment depuis 1795, passant de 39 shillings 9 pence à 5 shillings en 1830.

14 « Les ouvriers [à domicile] sont physiquement détériorés, mentalement déprimés et, trop souvent, moralement dégradés. Mal nourris, mal logés, mal vêtus, affichant des allures négligées et anxieuses, ils constituent un type particulier de misère. »

15 Factory Commission, Nottingham, p. 20, cité par Ure (1835) : 336. « Une jeune fille déclare lors de son témoignage : “Je le préfère à la fabrique, même si on ne gagne pas autant. À la maison, nous avons notre liberté et prenons confortablement nos repas, quels qu’ils soient.” » Pinchbeck (1930) offre également une description des conditions de vie et de travail propres à la production domestique qui altère grandement la vision idyllique qu’on a été porté à en avoir après sa disparition.

16 Jean-Pierre Drevet, serrurier mécanicien, « Le socialisme pratique » (Association pacifique et volontaire des Travailleurs), 1850, dans La Parole ouvrière, 1830-1851, pp. 413-414.

17 A. Ure décrivait comme suit le système de sous-traitance en vigueur dans les filatures : « The spinner is the leading and most important operative in cotton-working. He is the one for whom every preliminary process (called “the preparation”, consisting of batting, carding, roving, etc.) is performed. So much weight of prepared cotton is delivered to him, and he has to return by a certain time in lieu of it a given weight of twist or yarn of a certain degree of fineness, and he is paid so much per pound for all that he so returns. If his work is defective in quality, the penalty falls on him ; if less in quantity than the minimum fixed for a given time, he is dismissed and an abler operative procured. The productive power of his spinning-machine is accurately measured, and the rate of pay for work done with it decreases with (though not as) the increase of its productive power. » (Ure 1835 : 316-317.)

18 « plus l’ouvrier est qualifié, plus il risque d’être entêté et intraitable et, bien sûr, moins il constitue une composante adaptée à un système mécanique auquel il peut quelquefois, par ses irrégularités faire grand tort au tout. »

19 D’après le manuscrit de J. E. Bédé (1820), tous les ouvriers tourneurs de chaises sont passés aux pièces, les journaliers, comme cette appellation l’indique, étant payés au temps. Être journalier, être payé au temps, signifie qu’on n’a pas de compétences à marchander.

20 Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de soie, coton et laine. T. II, Paris, J. Renouard, 1840, p. 66, cité par Mottez (1966) : 55.

21 Thompson (1967) cite encore : «… several hours in the day to be spent nearly as they please. And in what manner […] is this precious time expended by those of no mental cultivation ? […] We shall often see them just simply annihilating those portions of time. They will for an hour, of for hours together […] sit on a bench, or lie down on a bank or hillock […] yielded up to utter vacancy and torpor […] or collected in groups by the road side, in readiness to find in whatever passes there occasions for gross jocularity ; practising some impertinence, or uttering some jeering scurrility, at the expense of persons going by… » (John Foster, An Essay on the Evils of Popular Ignorance, London, 1821, pp. 180-185, cité p. 90.)

22 Owen s’intronisera leader ouvrier à son retour en Grande-Bretagne après l’échec de son projet de village coopératif de New Harmony aux États-Unis et après qu’il eût abandonné son état d’entrepreneur. Il inspirera un mouvement coopératif qui, comme le souligne un vieux potier dans son témoignage cité ci-dessus, est inspiré et impulsé par le modèle de la fabrique.

23 La perte de la souveraineté de l’individu et des communautés déplorée par Donzelot (1984) n’a pas sa source dans l’État comme institution suprême, mais dans le mode de production capitaliste comme organisation. J’y reviendrai.

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