Conclusion
p. 267-274
Texte intégral
1Pour répondre à Frédéric Chauvaud qui invitait à redécouvrir cet « archipel à explorer1 », cet ouvrage n’avait pas la prétention d’épuiser l’analyse des procès politiques mais d’étudier comment les oppositions parvenaient à investir le prétoire et, au-delà, l’espace public pour gagner la bataille de l’opinion ou bien transformer ces procès en lieux de mémoire. Il s’inscrit dans le prolongement d’Yves-Marie Bercé qui a distingué les « procès politisés », orchestrés par le pouvoir au nom de la raison d’État, des « procès politiques » où s’affrontent des enjeux de pouvoir lors de la construction de l’État royal2, en participant à la réflexion sur la politisation, en l’occurrence informelle, aux xixe et xxe siècles3.
2En premier lieu, l’ouvrage souligne les opportunités dont s’emparent les opposants et les procédés qu’ils mettent en œuvre en les adaptant à la conjoncture pour faire de la politique autrement, souvent avec succès, parfois en vain. Ensuite, il montre le rôle décisif de la publicité et brosse le portrait d’hommes de lettres, intellectuels et avocats que leur plume ou éloquence propulsent au-devant de la scène politique et tente de cerner leurs motivations. Il montre, enfin, que la plupart de ces procès, qu’ils se soldent par un acquittement ou une condamnation, ont vocation à devenir des lieux de mémoire, à quelques exceptions près qu’il convient d’interroger.
Faire de la politique autrement
3Tant que les manifestations de rue sont interdites et que la censure prévaut, le tribunal, à l’instar du cortège funéraire, constitue un espace alternatif pour faire de la politique en dehors du cadre de la politique institutionnelle4. Comme l’a montré Vanessa Codaccioni, les procès politiques sont donc le produit d’une double stratégie de politisation du pouvoir et de l’opposition5. Le premier mobilise des incriminations particulières, héritées du crime de lèse-majesté, et ce choix, opéré par le Parquet ou directement par le garde des Sceaux, distingue le motif d’inculpation du droit commun. Cette spécialisation a souvent pour corollaire le recours à des juridictions d’exception mobilisées contre les « ennemis de l’intérieur », souvent en temps d’exception (comme la Cour de sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie), ouvrant la possibilité à l’accusation de disposer d’outils extraordinaires tels les gardes à vue prolongées (dans la lutte antiterroriste) et de procédures militaires. Mais si le procès politique appartient à l’arsenal répressif d’un régime, qu’il soit autoritaire ou démocratique, l’opposition peut retourner à son profit la procédure, si ce n’est au tribunal, du moins dans l’opinion. C’est pourquoi, fruit d’une coproduction, ces procès politiques apparaissent d’abord comme les observatoires privilégiés de cette politisation informelle : en révélant les failles d’un régime où tentent de s’engouffrer ses opposants, ils permettent d’évaluer leur plus ou moins grande capacité à se faire entendre, à convaincre et à rassembler pour proposer une alternative crédible.
4Sous les règnes de Louis XVIII et Charles X, les procès de feuilles ou revues jugées subversives, en démocratisant une parole de contestation cantonnée jusqu’alors au Palais-Bourbon ou à celui du Luxembourg, permettent aux différentes oppositions, en particulier de gauche, de contester le pouvoir de concert. Loin d’avoir étouffé les voix discordantes, ils perpétuent un pluralisme partisan rétabli en 1814 et aident l’opposition libérale à renforcer sa légitimité et à crédibiliser l’hypothèse d’une véritable alternance en sa faveur. À terme, ils favorisent la révolution de Juillet (Olivier Tort6).
5De même, le procès des Treize (1864-1865) constitue une tribune inespérée pour l’opposition au Second Empire en un moment de transition où le régime, sans être encore tout à fait libéral, n’est plus autoritaire. Ce procès échoue à faire éclater l’opposition en étalant ses divisions, et la ressoude au contraire. Il redonne ainsi une certaine vigueur à l’Union libérale qui semblait en perte de vitesse et fait taire provisoirement les tensions au sein du camp républicain (Éric Anceau7).
6En 1894, le procès des Trente anarchistes devient celui des trois « lois scélérates » de 1893 et 1894, et celui de l’arbitraire. L’association de malfaiteurs, définie par la loi du 18 décembre 1893, ne peut y être démontrée et, surtout, la loi elle-même est attaquée non seulement par les anarchistes mais également par tous ceux qui craignent d’en être un jour les victimes. (Walter Badier et Sara Trovalusci8).
7Avec le procès de Jean Zay en octobre 1940, sorte de « péché originel » après l’acte manqué de la condamnation du général de Gaulle, le régime de Vichy affiche d’emblée sa nature autoritaire, réactionnaire et antisémite et, au-delà, celle de ses thuriféraires. Contre toute attente, le procès prépare le terrain à une défense politique assumée, stratégie de combat qui va se révéler payante lors du procès de Riom en 1942, avec une participation souterraine de Jean Zay auprès de l’entourage de Léon Blum (Pierre Allorant9). Si l’on ajoute à ces « grands procès » qu’il a volontairement médiatisés la condamnation à mort de militants communistes moins connus prononcée par ses juridictions d’exception, l’État français ne fait que conforter la légitimité de la Résistance (Jacques Duret10).
8Quant aux procès des instigateurs des barricades d’Alger en 1961 (Victor Delaporte11) ou de Salan en 1962 (Olivier Dard12), s’ils n’ébranlent pas la République gaullienne, ils remettent en cause le pouvoir gaulliste en nourrissant le ressentiment de l’extrême droite et « la nostalgérie ». Aucun instigateur des barricades d’Alger n’est condamné et aucune des peines prononcées n’est exécutée ; Raoul Salan bénéficie de circonstances atténuantes et n’est pas condamné à mort : ces procès sont de véritables camouflets pour l’exécutif.
9Toutefois, tous les procès politiques ne tournent pas à l’avantage complet des oppositions. Si certains font quelque peu bouger les lignes, d’autres sont des échecs.
10Les procès de type stalinien aux premiers temps de la guerre froide ont ainsi des effets mitigés. Ils confortent, certes, les anticommunistes de toujours dans leurs convictions, tant à droite (Jérémy Guedj13) qu’à gauche (Noëlline Castagnez14), et sont même une véritable aubaine pour leur propagande. Mais ces familles, à la culture politique peu homogène en dehors de leur rejet du communisme, peinent à rassembler au-delà d’un public acquis d’avance à droite et à se recomposer en un seul parti non-communiste à gauche. Tribunes, donc, ces procès ne sont pas de réels tremplins.
11Les procès des anarchistes en 1882 et 1883 permettent certes à leurs avocats de défendre les libertés démocratiques (à Lyon), de dénoncer l’injustice sociale (à Montceau-Les-Mines), ou de ranimer un passé révolutionnaire (Louise Michel), mais la cause anarchiste demeure, pour sa part, condamnée à la marginalisation et à la violence (Julien Rycx15).
12En 1921, leur acquittement est sans doute un succès pour les dix militants d’extrême gauche inculpés mais l’espoir de la SFIC de rallier les libertaires aux thèses de l’Internationale communiste à l’occasion de ce procès commun est déçu (Frédéric Monier16). La répression pénale n’a pas créé de consensus politique, d’autant que rapidement, ces animateurs du premier communisme français (Loriot, Monatte et Souvarine), de même que la plupart de leurs avocats, soit refusent de quitter « la vieille maison », soit quittent la SFIC.
13À la Libération, les collaboratrices et leurs soutiens se livrent à une première lecture critique de l’épuration en détaillant les pratiques d’une justice politique assumée comme telle (Fabien Lostec17). Dans l’immédiat, cette contestation ne fait pas émerger d’alternative au pouvoir républicain et permet surtout aux autorités de corriger certains dysfonctionnements ou injustices en accordant des remises gracieuses. Les procès de ces femmes ne sont en aucune façon un tremplin, pas même une tribune pour les tenants de la Collaboration. Le biais du genre joue dans ce cas précis car les femmes, écartées de la sphère politique, à l’exception de Louise Michel, font rarement l’objet de procès politiques.
L’enjeu principal : mobiliser l’opinion publique
14Que l’opinion publique reconnaisse qu’un procès est « politique » est déjà une victoire pour l’opposition. Ainsi, dans cet ouvrage, seules les collaboratrices condamnées à la Libération ne réussissent pas à retourner le stigmate dans une France qui a d’autres préoccupations immédiates et face à une République restaurée qui assume sa justice politique. En dehors de cette épuration légale, paradoxalement, plus le pouvoir mobilise une juridiction exceptionnelle pour condamner sans faillir ses opposants, plus il assure la promotion de leur cause et favorise leur victimisation.
15C’est ce que montrent à la fois Matthieu Bureau et Éric Anceau : c’est la Cour des pairs qui transforme un simple délit de presse en « affaire Laity » en 183818 ; et c’est le Second Empire qui fait d’un banal contentieux électoral une affaire politique au retentissement national avec le procès des Treize en 1864-1865. D’ailleurs, dès la Restauration, Olivier Tort observe que le pouvoir royal, en s’en prenant à des journalistes ou hommes de plume qui se soutiennent entre eux, un procès en appelant un autre, provoque un effet « démultiplicateur » et, à terme, « un écho médiatique infini ».
16Dans ce nouvel espace politique que constitue dès lors le tribunal, se déploie la liberté d’expression malgré les lois qui la répriment ou la réduisent, comme la loi dite « scélérate » du 9 septembre 1835. En 1816, le procès du Nain tricolore fait l’objet d’une publicité assez nouvelle, aussi bien en France qu’en Europe, encourageant les cercles libéraux dans leur combat contre Louis XVIII. Cette publicité se mue progressivement en médiatisation, grâce à l’évolution des moyens de communication, en passant du compte rendu dans la presse autorisée, telle que Le Courrier français ou Le Journal des débats sous la Restauration, à l’enregistrement sur un disque vinyle de la plaidoirie de Tixier-Vignancour en faveur de Salan sous de Gaulle.
17Dans ce contexte, échapper au huis-clos est toujours un enjeu, mais qui peut être contourné et, le cas échéant, la fuite des informations renforce d’autant l’opposition dont le pouvoir a cherché en vain à étouffer la voix. Comme le procès des Treize qui s’ouvre le 5 août 1864 n’est pas à huis clos, la totalité du conseil de l’ordre, ainsi que de jeunes avocats, décident d’y assister pour manifester leur soutien à leurs collègues qui sont sur le banc des accusés et pour venir écouter la plaidoirie de leurs prestigieux confrères. Le tribunal devenant en quelque sorte un lieu de réunion, le prétoire devient au sens propre une tribune. Et si les défenseurs des 35 parlementaires communistes au printemps 1940 ne peuvent éviter le huis clos, Me Willard a beau jeu de pratiquer une défense de rupture qui nie toute légitimité au troisième tribunal militaire de Paris (Florent Gouven)19.
18Si ces procès ne servent pas nécessairement de tribune ou de tremplin aux inculpés et aux milieux dont ils sont issus pour contester avec succès le pouvoir, ils permettent à ceux qui les défendent par leurs écrits ou leurs plaidoiries d’exprimer leurs idées et leurs critiques et, au-delà, d’asseoir leur réputation. Benjamin Constant, Louis de Bonald et François-René Chateaubriand l’ont bien compris, eux qui veulent transformer « la publicité », au sens premier du terme, de ces procès en une arme politique (Flavien Bertran de Balanda20). Avec le tribunal, où se joue le procès, et la presse ou les pamphlets qui s’en font l’écho, émergent ainsi de nouveaux acteurs politiques qui se distinguent par leur maîtrise de la plume ou du verbe.
19Ces procès politiques impulsent ou confortent l’engagement d’hommes de lettres. Benjamin Constant vole au secours de La Bibliothèque historique dans La Minerve en 1818, alors qu’Augustin Thierry et Paul-Louis Courier collaborent au Censeur européen, toujours sous la première Restauration. Selon Walter Badier et Sara Trovalusci, le procès des Trente qui, en 1894, mobilise des écrivains tels Octave Mirbeau, Bernard Lazare ou Stéphane Mallarmé pour la défense des penseurs anarchistes et la condamnation des lois scélérates, constitue ainsi une étape décisive dans « la naissance des intellectuels ». Tout du long de la période, on retrouve ces intellectuels qui prennent fait et cause pour les inculpés et qui le font savoir avec brio. Selon Zoé Grumberg, un procès se politise lorsqu’il devient une affaire et que ladite affaire devient une cause21. La frontière est alors ténue entre une forme de dreyfusisme qui vise à défendre l’innocent, des valeurs et la probité de la Justice, et un engagement purement politique. En 1920-1921, le PCF joue de cette porosité en faisant explicitement référence à l’affaire Dreyfus pour rallier la Ligue des droits de l’homme et la franc-maçonnerie à la défense de Loriot, Souvarine et Monatte et de leurs coïnculpés. Il fait de même dans les années 1950 afin de rassembler tous les partis, syndicats et associations qui luttent contre le racisme et l’antisémitisme pour défendre les immigrés « patriotes » menacés de perdre leur nationalité. Face aux procès de type stalinien sous la guerre froide, les deux conceptions, dreyfusiste et idéologique, s’affrontent encore avec un Emmanuel Mounier qui doute de la culpabilité de ceux qui avouent leur crime dans les démocraties populaires et un anticommuniste comme Claude Mauriac ou un compagnon de route comme Jean-Paul Sartre. Quoi qu’il en soit, quelle que soit la conjoncture aux xixe et xxe siècles, un procès est d’autant plus politique que des intellectuels s’engagent à son sujet.
20Parallèlement, dès la Restauration, Estelle Berthereau montre comment l’éloquence politique évolue, n’hésitant pas à user de l’improvisation dans une adaptation constante du ton et du geste aux circonstances et ce, sur le modèle de la plaidoirie22. Aussi voit-on s’illustrer une série d’avocats qui utilisent leur réputation acquise au tribunal pour lancer ou renforcer leur propre carrière politique : le libéral François Mauguin et le membre de la Charbonnerie Joseph Mérilhou sous la Restauration, les ultraroyalistes Berryer fils et Pierre-Sébastien Laurentie sous la monarchie de Juillet, Georges Laguerre et Alexandre Millerand sous la IIIe République, ou encore Jacques Isorni et Jean-Louis Tixier-Vignancour sous la Ve République. À nouveau, leurs motivations réelles interrogent : bien que pratiquant une défense de rupture, Laguerre et Millerand, nouvelle génération « d’avocats de la plèbe », adhèrent-ils aux arguments de leurs clients anarchistes ou bien profitent-ils simplement d’une opportunité en 1882-1883 ? À chaque fois, la question mérite d’être posée et la réponse n’est pas toujours tranchée. Si l’on ne peut douter des sympathies de Tixier-Vignancour pour l’Algérie française, Olivier Dard montre que le procès Salan est également pour lui un tremplin politique, même si son élan se brise sur les présidentielles de 1965. À l’inverse, des hommes politiques aguerris reprennent leur robe pour défendre leurs convictions les plus profondes à l’occasion d’un procès, tels Me Georges Izard et Me André Blumel, tous deux anciens socialistes, qui s’affrontent au procès Kravchenko en 1949.
Des effets mémoire plus ou moins rapides
21En fonction de la résilience du régime et du degré de médiatisation – et donc de victimisation des inculpés, ces procès politiques induisent des effets mémoires à plus ou moins court terme.
22Le procès des Treize conduit les républicains, le 27 décembre 1869, à déposer une proposition de loi à article unique abrogeant l’article 291 du Code pénal qui prohibe toute association non autorisée de plus de vingt personnes. Comme elle est repoussée par la majorité bonapartiste, une fois au pouvoir, ils n’ont de cesse d’établir la liberté de réunion par les lois de 1881 et de 1907, et celle d’association par les lois de 1884 et de 1901, deux libertés au cœur du procès des Treize. Dans le roman national républicain et lavissien, ce procès devient l’archétype du procès politique qui se retourne contre son instigateur.
23Après 1883, la mémoire du procès des Trente reste confinée au milieu anarchiste, mais le procès de Palerme se transforme d’emblée en un puissant vecteur de propagande. Accusés à la barre et journalistes dans leurs comptes-rendus mettent en cause le fonctionnement de la Justice et, au-delà, la déclaration de Barbato, publiée à plusieurs reprises par le journal socialiste Lotta di Classe, demeure dans la mémoire des paysans siciliens pour des décennies.
24Le procès de 1921 contre l’extrême gauche ne peut avoir d’effet mémoire chez les communistes dans la mesure où ses victimes, soit étaient libertaires, soit ont quitté le parti. Mais, dès la fin du pacte germano-soviétique en juin 1941, le PCF peut utiliser « le procès des 44 » du printemps 1940 pour contribuer au mythe résistancialiste de ce qui devient à la Libération « le parti des 75 000 fusillés ». Sous la plume de Florimond Bonte, puis des historiens communistes, ce procès de 1940 constitue la première grande étape de l’engagement patriotique et résistant des communistes et ce, jusqu’à l’aggiornamento mémoriel du début des années 1990. De même, les militants condamnés à mort et exécutés par le régime de Vichy, tels qu’André Bréchet, Émile Bastard et Abraham Trzebrucki, ou encore Adolphe Guyot, sont immédiatement érigés en martyrs et servent la propagande du parti sous l’Occupation puis après la Libération et font encore aujourd’hui l’objet d’une mémoire toponymique.
25Ainsi, ces procès ne deviennent des lieux de mémoire que parce que leur souvenir est porté par des acteurs collectifs qui en assurent la pérennité dans une communauté, à défaut de la nation tout entière, afin de servir leurs intérêts présents.
26Chez les vaincus de la Libération, les collaboratrices inculpées, parce qu’elles sont des épouses ou des mères, contribuent certes, en sourdine, à alimenter la légende noire de l’épuration entretenue par les nostalgiques de Vichy et l’extrême droite. Mais aucune d’entre elles n’émerge de cette toile de fond devant laquelle dominent les procès de Pétain, Laval, voire Brasillach.
27Du côté de la Résistance, la condamnation du sous-lieutenant-député Jean Zay contribue à édifier le lieu de mémoire du grand républicain antifasciste, immédiatement reconnu comme tel internationalement, des États-Unis au gouvernement en exil de l’Espagne républicaine. Toutefois en France, si la vérité judiciaire sur ce crime est rapidement établie après la Libération, la mémoire de « l’affaire Jean Zay » demeure longtemps circonscrite aux militants de l’école laïque. Pour qu’elle investisse l’espace public, il faut attendre que le président Hollande décide de sa panthéonisation en 2015 et érige Jean Zay en lieu de mémoire républicain.
28De même, les procès de type stalinien sombrent dans l’oubli lorsque l’union de la gauche impose de ménager le PCF et ne demeurent des lieux de mémoire que chez ceux qui revendiquent haut et fort leur culture antitotalitaire et sociale-démocrate. Il faut, là encore, attendre la chute du mur de Berlin et la démythification de l’histoire de l’URSS pour que leur mémoire ne soit plus l’apanage de la gauche anticommuniste, et ressurgisse, notamment de nos jours, lorsque le régime autoritaire de Poutine réprime ses opposants par des procès.
⁂
29Les procès politiques sont donc bel et bien le produit d’une double politisation. Alors qu’ils sont voulus par le pouvoir en place, les inculpés y jouent de leur victimisation et médiatisation pour retourner la situation à leur profit dans une sorte de « syndrome de Riom » archétypal. Et ce jusque dans leur construction mémorielle où leurs héritiers oblitèrent ou convoquent ces procès en fonction des nécessités politiques du moment.
Notes de bas de page
1Chauvaud Frédéric, « La magistrature du parquet et la diabolisation du politique 1830-1870 », Droit et Société, no 34, 1996, p. 542.
2Bercé Yves-Marie (dir.), Les procès politiques (xive-xviie siècle), Rome, École française de Rome, 2005, p. 1-9.
3Le Gall Laurent, Offerlé Michel et Ploux François, La politique sans en avoir l’air. Aspects de la politique informelle, xixe-xxie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
4Fureix Emmanuel, La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Paris, Champ Vallon, 2009. Sur cette volonté d’élargir les frontières du politique, voir Arnaud Lionel et Guionnet Christine (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
5Codaccioni Vanessa, « Définir les procès politiques : enjeux théoriques et méthodologiques », p. 7-16.
6Tort Olivier, « L’Homme de plume en procès sous la Restauration. La scénarisation du prétoire comme Golgotha des temps modernes », p. 25-40.
7Anceau Éric, « Le procès des Treize, tribune inespérée pour l’opposition à l’empire (1864-1865) », p. 79-92.
8Badier Walter et Trovalusci Sara, « Les procès des Trente et de Palerme (1894), une école d’anarchie ? », p. 105-116.
9Allorant Pierre, « Le procès de Massilia. Tribune pour Vichy ou tremplin pour Jean Zay ? », p. 149-160.
10Duret Jacques, « Les condamnés à mort des juridictions d’exception parisiennes de l’État français. Entre objets de propagande et lieux de mémoire », p. 161-172.
11Delaporte Victor, « Des barricades au tribunal. L’impossible procès politique de l’insurrection d’Alger de janvier 1960 », p. 187-198.
12Dard Olivier, « Jean-Louis Tixier-Vignancour ou l’Algérie française en robe noire », p. 199-216.
13Guedj Jérémy, « Les droites françaises et les procès de “guerre froide”. La légitimité par l’international ? (fin des années 1940-années 1950) », p. 235-250.
14Castagnez Noëlline, « “Victoire d’une défaite”. Les procès de type stalinien et leurs rejeux mémoriels dans la gauche anticommuniste au temps de la guerre froide », p. 251-266.
15Rycx Julien, « Plaider la cause anarchiste : médiatisation d’une défense politique. Du procès de la “Bande noire” à celui des boulangeries de Paris (1882-1883) », p. 93-104.
16Monier Frédéric, « Emprisonnés pour raison d’État. Le premier procès de militants communistes en France (1921) », p. 119-132.
17Lostec Fabien, « De la collaboration politique à la contestation d’une justice politique : le cas des femmes condamnées à mort en France à la Libération pour faits de collaboration », p. 173-184.
18Bureau Matthieu, « La Cour des pairs de la monarchie de Juillet et les procès du bonapartisme politique », p. 69-78.
19Gouven Florent, « Le procès des députés communistes (mars-avril 1940). Des accusés privés de tribune politique pendant “la drôle de guerre” ? », p. 133-146.
20Bertran de Balanda Flavien, « Penser le procès politique sous la monarchie censitaire. Constant, Bonald, Chateaubriand. 1817-1825-1833 », p. 41-54.
21Grumberg Zoé, « Défendre la cause des immigrés “patriotes” face à l’administration anticommuniste de la guerre froide », p. 219-234.
22Berthereau Estelle, « L’usage des procès politiques par Berryer-fils et Pierre-Sébastien Laurentie. Influencer le mouvement royaliste », p. 55-66.
Auteurs
Université d’Orléans, CRJ Pothier.
Allorant Pierre est professeur des universités en histoire du droit et des institutions.
Université d’Orléans, ERCAE.
Badier Walter est maître de conférences en histoire contemporaine.
Université d’Orléans, POLEN (CEPOC).
Castagnez Noëlline est professeure des universités en histoire contemporaine.

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