Chapitre VI. Acteur ou victime de la violence militante ?
p. 195-236
Texte intégral
1Profondément marqués par les événements de mai-juin 1968 et hostiles aux mouvements se réclamant du marxisme, les CDR orientent leurs efforts dans la lutte contre la « subversion » qui serait à l’œuvre dans le pays. Pour éviter tout renversement de la République et l’instauration d’une dictature, le développement d’une idéologie proposant un modèle de société plus juste ne suffit pas ; il est essentiel pour l’organisation d’agir dans l’espace public. Ainsi, à l’antisubversion visant à dénoncer les activités des « révolutionnaires » (dont les infiltrations permettant le noyautage des institutions et leur « pourrissement » de l’intérieur) se mêle une contre-subversion efficace. Le répertoire d’actions employées est large : distribution de tracts, collage d’affiches et de papillons, organisation et surveillance de meetings, préparation et protection de manifestations (tels les 30 mai 1968 et 26 novembre 1969), attaque de piquets de grève1, etc. Les CDR se voient comme des défenseurs du gaullisme et les supplétifs des forces de l’ordre. Pour reprendre les mots prononcés par Yves Lancien en 1972, « l’UDR est le corps de bataille, les CDR […] l’armée des partisans2 ». Autrement dit, les résistants prêts à se battre pour le gaullisme et les libertés. En tant que tels, ils se retrouvent confrontés à leurs ennemis politiques. L’usage de la force n’est alors jamais bien loin, qu’il s’agisse d’y recourir pour attaquer ou se défendre. Ces relations conflictuelles sont inévitables car elles participent à la construction idéologique et émotionnelle du mouvement. Elles font partie intégrante de la raison d’être des CDR : faire bloc contre une grande menace qui se dissimulerait derrière des activités spectaculaires et illégales. En un sens, il s’agit de l’héritage gaulliste de la IVe République et des débuts de la Ve République, lorsque les différentes organisations gaullistes s’opposaient frontalement au PCF. Dans le tome 2 de ses Lieux de mémoire, Pierre Nora présentait ces rapports violents comme la preuve d’une association conflictuelle, les gaullistes et les communistes étant des « partenaires-adversaires » – des tendances politiques exploitant (et ayant besoin de) l’existence de l’autre afin de légitimer la lutte entreprise3. Les années 1968 font des « marxistes », entendus au sens le plus large, et des gaullistes d’ordre de nouveaux partenaire-adversaires4. C’est dans ce contexte de renouveau de la violence militante5 que les CDR naissent, développant des rapports particuliers avec celle-ci.
Des agresseurs en période électorale ?
2Certains scrutins sont à l’origine de fortes tensions entre les groupes militants du fait des changements politiques importants qu’elles pourraient entraîner. Les élections présidentielles permettent d’élire le chef de l’État au suffrage universel depuis 1962, les élections législatives peuvent provoquer un changement de la majorité gouvernementale, et les élections municipales permettent de s’emparer des communes (qui disposent de pouvoirs non négligeables ainsi que d’une grande proximité avec les électeurs). À l’inverse, les élections cantonales et sénatoriales n’intéressent ni les militants ni les électeurs, les premières pour leur complexité, les secondes parce qu’elles sont soumises au suffrage universel indirect6. Aussi, les trois premières élections peuvent être considérées comme des scrutins à forts enjeux nationaux, les référendums représentants également des suffrages à hauts risques. Les CDR s’intéressent beaucoup à ces différentes consultations, mobilisant leurs troupes pour soutenir les partis politiques de la majorité présidentielle. Cela n’a rien d’étonnant : l’organisation naît quelques semaines avant les élections législatives de juin 1968 où elle s’engage pleinement aux côtés de l’UDR et des RI. Les périodes électorales sont particulièrement accidentogènes : en incitant les militants à aller au contact direct de l’adversaire et en lui permettant de s’installer chez celui-ci pour le provoquer (dans les meetings, les manifestations ou encore ses bastions), les responsables ne font qu’accroître les tensions. Les lacérations d’affiches, surcollage (coller par-dessus d’autres affiches) et injures sont fréquentes, elles alimentent les griefs entre militants opposés (fig. 8).
3Ainsi, en accompagnant et en soutenant les gaullistes et leurs alliés durant les périodes électorales, les CDR s’exposent davantage au risque de provoquer des incidents avec les mouvements politiques adverses. Cela est d’autant plus problématique que les militants sont appelés à la plus grande prudence car le mouvement n’a pas les moyens de les couvrir en cas de blessures ou de dégradation de matériel7. Les élections législatives de 1973 sont exceptionnelles à cet égard, puisque l’organisation dispose de suffisamment de moyens – et craint tellement un succès du Programme commun des gauches – pour prendre une assurance collective afin de couvrir les militants durant la période électorale officielle8. Il en est de même pour l’élection présidentielle qui se tient l’année suivante, les responsables nationaux redoutant une victoire de François Mitterrand9. Cette appréhension est motivée par la peur de voir les adhérents être agressés par la gauche et l’extrême gauche. Les responsables nationaux insistent sur la nécessité de se montrer pacifique et vigilant, et rappellent que l’organisation est hostile à toute action violente10.
4Selon le discours du mouvement, la violence provient toujours de ses adversaires. Les CDR ne seraient que d’innocentes victimes subissant la violence sans jamais l’avoir recherchée11. Qu’en est-il dans les faits ? Lors des six scrutins nationaux qui marquent la période 1969-1974, les différentes organisations gaullistes sont impliquées dans au moins 183 incidents, allant du vol de matériel de propagande (ou de sa destruction) à l’agression, voire l’homicide, en passant par les dégradations de biens et les « batailles rangées ». Sur ces 183 différends, seuls 31 impliquent de façon certaine les CDR : 7 lors de la campagne référendaire de 1969, 5 pour la présidentielle de 1969, 1 durant les municipales de 1971, 5 lors de la campagne référendaire de 1972, 8 pour les législatives de 1973 et 5 durant la présidentielle de 197412 (fig 9).
5Comme en juin 1968, la principale difficulté réside dans le fait que les sources (presse, documents militants, forces de l’ordre, rapports administratifs des préfets et sous-préfets) ne distinguent que rarement les CDR des autres organisations gaullistes. Les qualificatifs les plus fréquents sont « gaullistes » et « UDR », ce qui pose problème. La majorité des adhérents UDR qui s’occupent des actions militantes sont souvent encartés dans une autre organisation (généralement le SAC, l’Association nationale ou les Comités) et agissent dans le cadre de cette dernière. De plus, s’il arrive que des militants ayant uniquement adhéré à l’UDR puissent occasionnellement coller des affiches ou distribuer des tracts, le parti préfère recourir aux services du SAC et des CDR pour s’occuper du collage d’affiches, du service d’ordre et de la distribution « d’arguments frappants13 ». Le chercheur se retrouve ainsi gêné par les termes employés par les sources, rendant la distinction entre le SAC et les CDR bien souvent impossible. Une autre difficulté réside dans l’absence de dénonciation des incidents. Si les militants ont tendance à porter plainte lorsqu’ils sont victimes de blessures sérieuses (impliquant une hospitalisation) ou de dégradations/destructions matérielles (pour les assurances), ils se montrent beaucoup moins loquaces lorsqu’il s’agit de simples affrontements14. Les combats nocturnes sont courants et difficilement quantifiables. Comme l’expliquent certains témoins, les militants avaient plutôt intérêt à taire ces incidents : admettre son implication dans une échauffourée pouvait nuire à l’image de l’organisation – surtout lorsqu’on en est à l’origine –, il y a la possibilité d’être poursuivi en justice, et en cas de défaite, la honte d’avoir perdu peut être mal vécue (et par conséquent peu assumée)15. Aussi, par leur exposition aux risques, il est certain que les Comités furent davantage impliqués dans des incidents que ce que les données laissent transparaître.
6Concernant la part de responsabilité dans le déclenchement des incidents, la tendance semble être celle d’une organisation plus susceptible de recourir à la force que de la subir. Certes, les CDR seraient davantage la cible d’agressions en 1973 que les responsables, ce qui démontrerait que les organisations se réclamant du marxisme seraient plus violentes. Toutefois, il s’agirait d’une exception comparée aux autres scrutins, où la violence viendrait avant tout des CDR ou serait équilibrée. Les chiffres sont toutefois trop faibles (31 !) pour être significatifs.
Tableau 6. – Répartition des responsabilités dans les incidents électoraux impliquant les CDR (1969-1974).
Responsabilité | Réf. 1969 | Prés. 1969 | Mun. 1971 | Réf. 1972 | Lég. 1973 | Prés. 1974 |
CDR | 5 | 1 | 1 | 2 | 3 | 2 |
Adversaires | 1 | 1 | – | – | 4 | 1 |
Inconnue | 1 | 3 | – | 3 | 1 | 2 |
Tableau Bryan Muller.
7Il serait plus pertinent d’observer l’ensemble des incidents impliquant les différentes organisations gaullistes pour avoir une idée plus sûre des parts de responsabilité partisane dans l’utilisation de la violence. Sur les 183 conflits relevés, les gaullistes seraient les agresseurs dans 77 cas. Ils auraient subi 75 échauffourées ou dégradation de biens, le reste (31) étant impossible à établir. Au premier abord, les responsabilités sont partagées. Toutefois, il est possible de remarquer qu’en dehors du référendum de 1972, les campagnes électorales nationales voient tantôt les gaullistes attaquer plus souvent leurs adversaires, tantôt se retrouver davantage sur la défensive. Ainsi, le référendum de 1969 et les élections législatives de 1973 voient les gaullistes subir davantage d’attaques qu’ils n’en produisent. Cela peut s’expliquer par l’allégresse de l’opposition de gauche et d’extrême gauche (principal agresseur) face à un scrutin annoncé par les sondages comme perdu pour le pouvoir (le référendum) et la montée en puissance du Programme commun de la gauche. À l’inverse, les élections présidentielle de 1969 et municipales de 1971 voient plus souvent les gaullistes en position d’agresseur, ce qui peut s’expliquer par l’ivresse de succès annoncés ainsi que l’enjeu de la campagne présidentielle (avec la possibilité d’un changement de régime en cas de victoire communiste ou centriste). De son côté, le référendum de 1972 voit les gaullistes autant subir que prodiguer de la violence, reflétant visiblement le désintérêt que porte la population sur la question européenne16. L’élection présidentielle de 1974 présente quant à elle un cas particulier. Les sondages estiment rapidement que les gaullistes vont perdre : les gauches unies menées par François Mitterrand semblent promises à une victoire (serrée) et la candidature de Jacques Chaban-Delmas – qui ne fait pas l’unanimité dans la famille gaulliste – semble vouée à l’échec. La perspective d’une défaite de la majorité gouvernementale pourrait causer une crainte suffisamment élevée de voir la coalition de gauche remporter les élections pour pousser les militants à agir plus facilement avec violence.
Tableau 7. – Répartition des responsabilités dans les incidents électoraux impliquant les gaullistes (1969-1974).
Responsabilité | Réf. 1969 | Prés. 1969 | Mun. 1971 | Réf. 1972 | Lég. 1973 | Prés. 1974 |
Gaullistes | 10 | 24 | 7 | 6 | 17 | 13 |
Adversaires | 15 | 18 | 3 | 7 | 26 | 6 |
Inconnue | 7 | 10 | 3 | 3 | 3 | 5 |
Tableau Bryan Muller.
8Les formations de gauche et d’extrême gauche sont les adversaires privilégiés des gaullistes, y compris des CDR. Cela n’a rien de surprenant, ces derniers concentrent leur propagande dans la lutte contre les mouvements « marxistes ». Les résultats laissent transparaître une prédominance pour la lutte contre le PCF, la CGT ainsi que l’extrême gauche. Le PS ne représente à côté que 21 incidents. Toutefois, s’il est le plus souvent la victime, il lui arrive d’être à l’origine de certains incidents. Par exemple, une dizaine de militants, dirigée par le député-maire PS de Lomme (Nord) Arthur Notebart, attaquent quatre colleurs d’affiches gaullistes le 31 mai 1969 à Armentières17 ; un « assaut » est mené par des militants socialistes contre des colleurs d’affiches CDR à Belfort le soir du 9 mars 197318. Les centristes et l’extrême droite provoquent respectivement 23 et 5 affrontements, ce qui montre la menace qu’ils peuvent représenter aux yeux des militants gaullistes. Les premiers sont généralement victimes des gaullistes (dans 80 % des cas), alors que les seconds sont toujours à l’origine de l’agression. Leurs affrontements ont lieu en 1969 puis en 1974, ce qui est cohérent : certains centristes s’opposent au référendum puis soutiennent Alain Poher en 1969, avant de se rallier à Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Ils ne sont plus les alliés des gaullistes durant ces intermèdes. Les attaques menées par l’extrême droite peuvent quant à elles se comprendre par son ralliement aux candidats centristes, que ce soit par choix (en rejetant les autres candidats) ou par nécessité (en vendant leurs services pour assurer la protection des manifestations et meetings contre de l’argent19).
9Ces résultats permettent de mieux comprendre le rapport à la violence des organisations gaullistes, notamment des CDR. Les événements de 1968, couplés au contexte international de guerre froide, sont cruciaux pour saisir les motivations des militants. En mai-juin 1968, nombre d’adhérents et sympathisants sont convaincus que les « révolutionnaires » cherchent à renverser le régime par l’instauration d’un climat d’anarchie. Les principaux bénéficiaires auraient pu alors être l’URSS, la Chine et/ou Cuba20. L’actualité internationale nourrit la crainte de voir un coup d’État se préparer dans l’ombre. Lorsque la Tchécoslovaquie est envahie par l’armée du Pacte de Varsovie en août 1968, le mouvement dénonce publiquement ce qu’il prend pour le signe d’une action internationale plus globale21. Il en est de même avec les « événements » de Pologne (des émeutes au nord du pays violemment réprimées par les Soviétiques) qui surviennent deux années plus tard. Les CDR dénoncent régulièrement ces atteintes aux libertés, que ce soit par des inscriptions insultantes sur la chaussée à l’égard du PCF (comme à Verdun en 196822), la distribution de tracts antimarxistes (comme à Bouligny en février 197123), le collage d’affiches (telles « Il fait bon vivre en France », « À propos, dites-nous aussi M. Marchais » et « Budapest, Prague, Gdansk, Léningrad… le voilà donc ce fameux paradis communiste24 ! »), ou encore la dénonciation dans la presse25. Influencés par leur idéologie et les événements (inter)nationaux, il n’est pas surprenant que les militants soient plus prompts à faire preuve de violence – comme de la subir. Durant les campagnes électorales, les CDR ne manquent pas d’attaquer régulièrement les formations d’extrême gauche, communistes et socialistes. Alain Poher est également moqué lors de la présidentielle de 1969 – à l’inverse de Valéry Giscard d’Estaing qui est ménagé en 1974, probablement parce qu’un cinquième des adhérents soutiennent sa candidature dès le premier tour. Candidat falot, le président du Sénat serait le paravent rassurant des communistes et gauchistes : il ne pourrait l’emporter sans leurs voix, devenant ainsi leur obligé. Son désir présumé de restaurer la IVe République serait alors mis en échec et entraînerait une guerre civile pour le destin de la France. Une guerre que remporteraient bien évidemment les gaullistes car ils seraient les seuls légitimes à défendre le pays, mais qui coûterait du temps, des vies et de l’argent, si l’on en croit la « Poher fiction » réalisée par Pierre Lefranc en juin 196926. Tous les militants n’adoptent pas forcément la même position concernant la candidature centriste à ces élections (les comités du Calvados et de Côte-d’Or refusent de prendre position au nom de l’apolitisme du mouvement), certains préfèrent désigner Alain Poher comme un dangereux traître au général de Gaulle et un homme malhonnête plutôt qu’un benêt impuissant27.
10Ce rôle d’intermédiaire est alloué aux socialistes et à François Mitterrand après la signature du Programme commun de gouvernement de la gauche en 1972. Tantôt humiliés, tantôt diabolisés, les « socialo-communistes » sont régulièrement attaqués par la propagande CDR. En 1973, les Comités se mobilisent contre « le régime collectiviste » qui s’annonce en cas de succès communiste28. La dangerosité du Programme commun est longuement décriée par les responsables nationaux, qui y voient de graves atteintes aux libertés et une crise économique majeure à venir29. De plus, pour nombre de militants, l’union des principaux partis de gauche viserait à terme à transformer la France en satellite de l’URSS et de ses alliés supposés30. C’est pourquoi cette mobilisation antimarxiste n’a rien de surprenant en soi, les autres organisations gaullistes tenant des positions similaires. Il arrive même que le SAC et les CDR agissent de concert, comme dans le Vaucluse où ils apposent des affiches communes en décembre 197231. Or, par la diabolisation constante de leurs adversaires et les tensions accrues en période électorale, il arrive que les militants atteignent certaines extrémités. C’est le cas le 2 février 1969, lorsque des membres du SAC, de l’UJP et des CDR arrêtent arbitrairement des gauchistes et les passent à tabac durant l’allocution du général de Gaulle (qui annonce officiellement la tenue prochaine d’un référendum32). Il en est de même lorsque des militants du SAC et des CDR attaquent à la matraque et à l’arme à feu des militants socialistes à Toulouse le soir du 9 mars 197333. À trois reprises, des CDR commettent l’irréparable en provoquant la mort de militants adverses. Ces homicides se déroulent systématiquement en période électorale et ne concernent que des militants PCF et PS. Outre le meurtre de Marc Lanvin en juin 1968, des membres du mouvement menés par Guy David manquent de tuer Daniel Fribourg dans la nuit du 14 au 15 avril 1969 à Drancy (Seine-Saint-Denis34). Vient alors le meurtre du socialiste Kafed Sala par des CDR venus aider le maire sortant de Puteaux le 27 février 197135. S’en suit enfin l’assassinat de Michel Labroche par Jean Walmé le 23 avril 1972 à Hirson36. À chaque fois, il est difficile d’établir l’origine militante des responsables. L’organisation nie toute implication dans ces affaires. Pourtant, les sources tendent à prouver leur culpabilité. Dans le cas de Drancy, l’enquête de L’Humanité permet de souligner l’appartenance du chef d’équipe Guy David (qui s’était déjà fait remarquer en 1968 par son militantisme violent) au mouvement de Pierre Lefranc et Yves Lancien37. Un rapport de l’UDR envoyé juste après l’incident demande d’ailleurs aux CDR de cesser toute action de collage d’affiches pendant au moins trois jours, dans l’espoir que les esprits se calment38. Deux ans plus tard, une quarantaine ou une cinquantaine de militants gaullistes sont envoyés en renfort pour soutenir la campagne du maire sortant de Puteaux, Charles Ceccaldi-Raynaud. François Audigier estime que le commando gaulliste était composé de militants du SAC39. Toutefois, le PCF, L’Humanité et Le Monde ont disculpé le SAC et dénoncé les CDR d’être derrière cet assassinat40. Le député UDR Alain Peiretti déplore la malhonnêteté du tueur (qu’il reconnaît être encarté à l’UDR) sans préciser pour quelle organisation il avait agi41. Faute de preuves, le responsable trotskiste du Secours rouge a fini par être condamné pour diffamation à l’endroit des CDR en 197342. Malgré ce jugement, la culpabilité des CDR dans cette affaire est presque certaine, René Marbot se souvenant qu’au sein du mouvement, il était question « de se dédouaner au plus vite et à tout prix » de cet homicide involontaire43. Didier Bierjon se souvient quant à lui que les CDR-Jeunes parisiens étaient mobilisés de temps à autre lorsqu’ils étaient appelés en renfort44. Il ne peut assurer qu’il s’agisse de militants CDR à Puteaux, mais il confirme qu’en 1971, les cadets parisiens étaient envoyés dans plusieurs communes d’Île-de-France (Aubervilliers, Romainville, Levallois-Peret). Par conséquent, l’implication du mouvement dans l’affaire de Puteaux lui paraît tout à fait plausible. Concernant l’affaire d’Hirson, l’affiliation de Walmé aux CDR repose avant tout sur les accusations portées par le PCF. Le député-maire UDR de Laon, Guy Sabatier, reconnaît que le légionnaire Jean Walmé et son père sont adhérents à l’UDR, sans préciser là encore s’il agissait pour le compte des CDR45. La ville a toutefois été témoin d’affrontements entre membres avérés du PCF et des CDR la veille de l’assassinat, ce qui semble corroborer les soupçons communistes. Le mouvement proclame ouvertement son innocence sans parvenir à convaincre – la répétition sur trois années le prouve46. C’est pourquoi, en s’appuyant sur ce faisceau de preuve, il est possible de privilégier la thèse d’un homicide commis par un militant CDR.
11Qu’il s’agisse des agressions ou des homicides, il existe plusieurs raisons à ces passages à l’acte violent. Tout d’abord, certains répondent au processus d’emballement développé par Philippe Braud47. Le politologue explique que la naissance ou l’aggravation d’un conflit trouve son origine dans un événement déclencheur révélant des tensions antérieures. Le désir de revanche et de domination de l’adversaire n’en est qu’un élément parmi d’autres, au même titre que l’antimarxisme des CDR et l’antifascisme de leurs adversaires (les gaullistes d’ordre étant souvent assimilés au fascisme par une partie de la gauche et l’extrême gauche48). Aux yeux de Philippe Braud, il est inconcevable qu’une situation dégénère sans raisons profondes inscrites dans la durée. Or, l’opposition entre gaullistes et communistes est ancienne (depuis au moins 1946/1947), et bien qu’elle ait connu des périodes d’apaisement relatif, elle n’a jamais disparu (notamment dans la banlieue rouge, fief du PCF). L’assimilation des différentes organisations se réclamant du marxisme permet de supposer que les militants pouvaient voir dans les trotskistes et les maoïstes, parfois même dans les socialistes, des communistes dissidents. Après tout, les CDR ne considèrent-ils pas le PSU, la CFDT et le PS comme des relais, voire des agents, de la CGT et du PCF49 ? Le PSU n’est-il pas considéré comme une organisation trotskiste/autonomiste50 ? Par ailleurs, le politologue constate que des circonstances favorisant de grandes tensions et une propension des acteurs à la violence – comme c’est le cas chez certains adhérents CDR – facilitent le passage à l’acte51. Or, les événements de 1968 ont vu l’apparition d’une peur réelle d’un complot (inter)national marxiste chez les gaullistes d’ordre. Les élections législatives, présidentielles et municipales ainsi que les référendums exacerbent les velléités de militants CDR influencés par une propagande vilipendant la gauche et l’extrême gauche. Une attitude qui ne peut, là aussi, que contribuer à attiser les tensions. Effectivement, en écho au constat de Philippe Braud évoqué plus haut, le sociologue Paschalis Ntagteverenis souligne qu’en diabolisant sa cible, un groupe peut justifier plus facilement une attaque : l’image qui en est donnée devient si inquiétante ou révoltante qu’il est plus aisé d’accepter l’idée de s’opposer frontalement à elle52. C’est pourquoi des affrontements nocturnes réguliers – parfois quasi quotidiens dans certaines villes en période électorale53 – peuvent expliquer la raison pour laquelle des hommes en viennent à agresser leurs adversaires politiques. Lorsque des militants CDR attaquent des colleurs d’affiches communistes à Châtenay-Malabry le 21 mai vers 23 h 30, ils agissent sous l’effet de la crainte de voir leur champion l’emporter (Jacques Duclos est un candidat sérieux du premier tour de l’élection présidentielle54). De plus, les Hauts-de-Seine sont marqués par de fréquents affrontements entre gaullistes et communistes de mars à juin 1969, ce qui correspond aux hypothèses braudiennes. Les remerciements du général de Gaulle aux CDR pour leur dévouement lors du référendum de 1969 puis du soutien apporté à Pompidou durant la présidentielle suivante ne peuvent qu’inciter les militants à continuer sur leur lancée55. Autre exemple, l’assassinat de Michel Labroche par Jean Walmé est sûrement l’un des cas les plus emblématiques de cette double théorie du processus d’emballement alimenté par la diabolisation des organisations « marxistes ». Michel Labroche, un militaire de carrière formé (et accoutumé ?) au combat, est marqué par la propagande que son milieu familial (avec son père) et militant (l’UDR et vraisemblablement les CDR) véhicule. Lorsqu’il écrase intentionnellement le PCF Labroche, il réagit à une série de combats survenus les jours précédents à Hirson et Aubenton entre CDR et PCF56. Cela démontre que des tensions existaient sur place – ces deux communes de l’Aisne se trouvent dans un rayon de 15 km.
12D’autres théories viennent nourrir les analyses précédentes. Ainsi, les études du sociologue Michel Maffesoli complètent les hypothèses braudiennes. Selon lui, « rien n’échappe à l’ambiance d’une époque, pas même ce ou ceux qui croient en être totalement indépendants57 ». Le contexte particulièrement pesant des élections post-68 concourt au passage à l’acte. Et à en croire Michel Maffesoli, le ressentiment et la haine poussent peut-être davantage les militants à s’affronter que la situation à un moment précis58. L’effet de groupe est également important et ne doit pas être sous-estimé. Les sociologues sont nombreux à le souligner : Michel Maffesoli, Jan Philipp Reemstma, Georg Simmel, Wolfgang Sofsky, Michel Wieviorka, etc. Pour ces chercheurs, le « désir du collectif » des militants les pousse à « éprouver avec d’autres des émotions fortes59 ». Les militants s’exposant toujours à un risque en allant distribuer des tracts ou en collant des affiches – sans parler de l’organisation et la sécurisation de manifestations et meetings, qui nécessitent la mobilisation de plusieurs éléments –, il est logique que ceux-ci agissent en groupe. Or, le groupe incarne plusieurs valeurs : sécuritaire – il est plus rassurant d’agir à plusieurs que de s’exposer seul à une menace potentielle –, mais aussi celles de l’organisation, où il est essentiel de « défendre l’honneur des CDR60 ». Pétris de virilisme, certains militants peuvent être galvanisés par des actions communes, ce qui est susceptible de les inciter à commettre plus facilement des actes illicites. C’est ce que démontre Wolfgang Sofsky dans son Traité de la violence. L’effet de groupe permet de déculpabiliser les militants, qui peuvent se convaincre que les agressions et dégradations éventuellement commises sont moins répréhensibles parce qu’ils ont conscience de ne pas être les seuls à agir61. Georg Simmel résume cet « effet de groupe » en 1912 :
« L’individu se sent entraîné par “l’ambiance” frémissante de la masse comme par une force qui lui est extérieure, indifférente à son être et à sa volonté individuelle. Alors que pourtant cette masse est constituée exclusivement de tels individus62. »
13Cette déculpabilisation se retrouve dans la grande majorité des affrontements impliquant les CDR. Qu’ils en soient les instigateurs ou les victimes, ils sont rarement seuls à se battre – tout comme leurs agresseurs lorsqu’ils deviennent les cibles des attaques. L’élection législative partielle d’octobre 1969 dans la 4e circonscription des Yvelines permet d’illustrer l’impact réel de l’effet de groupe. À la suite de l’échec du référendum d’avril 1969 et la formation d’un nouveau gouvernement sous la houlette de Jacques Chaban-Delmas, l’ancien Premier ministre Maurice Couve de Murville se présente dans son ancienne circonscription. Officiellement, les CDR se contentent de moquer la candidature du secrétaire général du PSU, laissant l’UDR s’occuper de sa campagne électorale63. Dans les faits, René Marbot mobilise « discrètement » le comité départemental afin de soutenir activement le candidat gaulliste qui manque d’éléments pour mener sa campagne à bien64. Par mesure de sécurité, il interdit formellement aux militants de provoquer le moindre incident ni d’utiliser des armes65. Pourtant, ceux-ci se font remarquer par la presse pour leurs débordements. Le 11 octobre, une cinquantaine de CDR attaquent des colleurs d’affiches CDS de Pierre Sonneville à Marly-le-Roi66. Onze jours plus tard, des colleurs d’affiches CDR et PSU se livrent une « bataille rangée » dans la même commune – ce que dénoncent les responsables CDR comme la manifestation d’un « “travail souterrain” de ceux qui préparent “l’alternative démocratique” » alors même qu’il est impossible de déterminer qui a déclenché les hostilités67. Dans ces deux exemples, il est possible d’envisager que la mobilisation de plusieurs dizaines de militants pour accomplir une tâche commune a pu influencer le passage à l’acte. La crainte de voir le responsable charismatique du PSU, Michel Rocard, s’emparer d’un bastion gaulliste, couplée à la sensation de pouvoir dominer l’adversaire par un effet de masse (parfois une cinquantaine voire une centaine de personnes !), est indéniable.
14La question de l’armement des militants en période électorale doit être posée. Bien qu’il faille en souligner le caractère limité, la présence d’armes de corps à corps (en particulier des matraques) et d’armes à feu (plus rares) dans les rangs des CDR est indéniable68. Hélène Frappat estime que les armes permettent de
« multiplier [leur] puissance. Ces armes ne sont pas seulement des objets matériels : leur diversité révèle plutôt l’amplitude de l’exercice de la violence, et sa complexité. L’arme est d’abord [un] moyen pour une fin : agresser, se défendre, menacer, tenir en respect. Qu’elle soit offensive ou défensive, elle nécessite un savoir-faire, mais aussi une intelligence tactique, de la ruse69 ».
15De ce fait, l’arme est multifonctionnelle. Bien qu’elle puisse servir à cela, elle ne représente pas qu’un moyen de blesser. En effet, le militant n’en porte pas obligatoirement pour s’en servir (attaque ou défense). Il peut chercher à étaler sa force et dissuader son adversaire de l’affronter – l’idée est la même lorsqu’il s’agit de militer à plusieurs. Un argument qu’utilisent par ailleurs des militants CDR : Jean-Claude Wallein ne parvient pas à expliquer son geste (le meurtre de Marc Lanvin) mais justifie la présence d’armes à feu au sein de l’organisation par leur force de dissuasion70. L’analyse d’Hélène Frappat est partagée par Wolfgang Sofsky, qui considère que l’arme « est tout à la fois violence matérialisée et violence symbolique. Elle est démonstration de puissance et de force. Elle encourage son possesseur et intimide l’adversaire71 ». Utiliser des armes peut donc rendre les militants plus agressifs. Mais comme le souligne Sofsky, ce qui compte avant tout pour eux, c’est qu’elles puissent les rendre plus menaçants face à leurs adversaires. Toutefois, la stratégie de l’intimidation ne fonctionne pas toujours. En effet, les CDR ne sont pas les seuls à user de ces artifices, les communistes et les gauchistes (bien plus rarement les socialistes) sont également armés72. Ce qui explique l’apparition dans les sources de ces scènes de combats opposant des militants armés. Cela s’observe tout au long des années 1968, comme à Saint-Martin-d’Hères (Isère) où le soir du 17 au 18 mars 1972, trois militants PSU sont attaqués par trois CDR dont une femme – fait suffisamment rare pour le souligner – qui sont munis de bâtons et d’un pistolet d’alarme73. L’armement des militants CDR reste toutefois un sujet difficile à exploiter. Les sources manquent, le chercheur peine à observer la circulation des armes et leur présence (ou non) au sein du mouvement. Les procès, les témoignages et les plaintes représentent les principales sources d’information sur la question. Or, elles ont tendance à apporter un effet grossissant puisque par nature, ce n’est généralement qu’en cas de problème qu’elles mentionnent les armes. Dans les faits, les responsables nationaux sont farouchement opposés à l’utilisation d’armes par leurs militants. L’interdiction ne leur est rappelée qu’occasionnellement, ce qui laisse penser que les cadres estiment que la majorité des adhérents respectent cette décision. De plus, dans l’intérêt de leur propagande qui vise à présenter les organisations communistes et d’extrême gauche comme dangereuses et armées, les CDR imposent à leurs militants de ne pas utiliser d’armes afin de ne pas être discrédités74. L’interdiction de posséder, et plus encore d’utiliser, des armes remonte aux débuts de l’organisation. S’il défend une certaine idée virile du militantisme, Pierre Lefranc tient à ce que les CDR soient désarmés. Lorsqu’un mystérieux Monsieur Dupont tente de fournir le SAC en armes, Jacques Foccart puis Pierre Krieg en avertissent le délégué national provisoire75. Or, Pierre Lefranc paraît vexé que le secrétaire général élyséen et le député parisien aient cru bon de le prévenir, leur assurant que l’achat d’armes n’était pas envisageable pour les CDR76. C’est pourquoi le mouvement, qui proscrit aussi bien les armes que la recherche de l’affrontement physique, nie toute culpabilité et ne dénonce publiquement que les agressions et les dégradations (avérées ou non) dont furent victimes ses membres77.
16Pour les responsables nationaux, il est essentiel de préserver l’image de l’organisation78. Aussi, Yves Lancien fait tout son possible pour atteindre cet objectif, allant jusqu’à s’en prendre au commissaire principal de Bordeaux Roger Cobot parce qu’il avait permis au Canard enchaîné de publier un article incriminant le comité girondin le 31 mai 197279. Les responsables nationaux – Lancien en tête – n’hésitent pas non plus à démentir les accusations contre les faits de violence réalisés par certains membres et comités. L’affaire de la fusillade de Toulouse survenue le soir du 9 au 10 mars 1973 est de loin la mieux (presque la seule) documentée à ce sujet. À l’instar du Sud-Ouest, la Haute-Garonne est un fief socialiste plutôt réfractaire au gaullisme. Les élections d’Alexandre Sanguinetti et du Dr Moron dans les 1re et 3e circonscriptions de Toulouse en 1968 ont été de véritables surprises pour l’UDR80. Or en 1973, le Programme commun de la gauche semble promis à de beaux résultats si l’on en croit les sondages81. Pour éviter une déconvenue annoncée dans la « ville rose », les CDR de Haute-Garonne décident le 19 janvier de se mobiliser pour soutenir les députés UDR sortants Sanguinetti, Moron et Dours (1re circonscription du Gers)82. Conscients de démêlés passés dans le secteur, les responsables nationaux leur demandent de « garder le calme durant toute la campagne et de ne pas avoir recours à des querelles de personnes ». Cet appel au calme n’est pas respecté. Les rapports de police et de gendarmerie ainsi que la presse régionale constatent – sans toujours les dater ni les circonstancier – une montée de la violence militante dans le département. Ainsi, le sous-brigadier de police Edmond Quesada, responsable local de l’UDR qui milite dans le comité départemental, menace à deux reprises avec son arme de fonction des militants socialistes qu’il soupçonnait d’avoir lacéré des affiches UDR le 18 février à Ramonville-Saint-Agne (à 11 km de Toulouse)83. L’atmosphère est donc tendue dans le secteur. C’est alors qu’éclate l’affaire de la fusillade de Toulouse où neuf militants du SAC et des CDR ont attaqué à la carabine des militants socialistes. Condamnés le 15 janvier 1974 à diverses peines de prison et amendes avant d’être amnistiés en octobre84, ces militants ont particulièrement gêné les responsables nationaux en tombant sous le joug de la « loi anticasseurs » que les CDR avaient pourtant promu contre les militants « révolutionnaires85 ». Afin de comprendre l’implication de son mouvement, Yves Lancien envoie le général Chérasse à Toulouse86. Sa mission consiste à déterminer le rôle joué par les trois CDR. Il demande également au préfet de la région Midi-Pyrénées de se renseigner sur André Pastor et Paul-Maurice Sourou – qui semblent plus susceptibles d’avoir joué un rôle actif dans la fusillade que Willy Chassin (professeur technique) –, ce qu’il fait puisque des fiches de renseignements sont dressées sur ces deux militants peu après87. Le comité national communique sur l’affaire avant même d’obtenir des résultats. L’enjeu est crucial, la presse commençant à amalgamer le SAC et les CDR en défaveur du second88. Les responsables nationaux tentent immédiatement de minimiser les faits. Seuls deux CDR seraient impliqués, le tireur et la camionnette transportant les armes viendraient du SAC, et la transparence est de règle dans le mouvement (« les CDR n’entendent rien cacher89 »). Il est également rappelé qu’aucun adhérent (reconnu par l’organisation comme tel) n’a jamais été condamné au tribunal en cinq ans d’existence et que cette affaire ne doit pas occulter les neuf agressions subies durant la campagne par les militants.
17Cette communication est des plus intéressantes. Elle dévoile toute la stratégie mise en œuvre par l’organisation pour se disculper : la violence n’est pas tolérée et sera punie si elle est avérée, le mouvement se veut honnête et transparent, les victimes ne sont pas les socialistes mais bien les CDR (qui subissent plusieurs attaques), et la culpabilité revient aux autres (ici le SAC). Or, s’il est vrai que les CDR sont le plus souvent sur la défensive durant la campagne législative de 1973, il est possible d’établir la malhonnêteté du communiqué sur cette affaire. Effectivement, sur les neuf agresseurs, trois sont issus des CDR ; Willy Chassin est le propriétaire et conducteur du véhicule contenant les armes, Paul Sourou détient deux carabines qui ont servi, et André Pastor était sans arme mais dirigeait officiellement le groupe de colleurs d’affiches CDR de Toulouse90. Les CDR ont donc joué un rôle clef dans la fusillade, devenant en partie responsables de l’échec de l’UDR à Toulouse91. Yves Lancien a bien conscience des enjeux. Il écrit le 25 avril à Alexandre Sanguinetti pour lui manifester ses craintes et ses appréhensions : craignant « que les CDR ne soient, pour la première fois depuis 1968, directement responsables de l’emploi d’armes à feu », il annonce l’ouverture d’une enquête interne sur le CDR de Haute-Garonne92. Il tente là encore de minimiser les faits : le propriétaire de la camionnette serait un militant du SAC, tout comme les hommes armés. Il explique à l’ancien député que 34 voitures du comité départemental collaient des affiches en zone rurale ce soir-là (en Haute-Garonne) lorsque le SAC aurait demandé une escorte. Yves Lancien laisse entendre ainsi à Alexandre Sanguinetti que le SAC aurait impliqué des militants innocents du CDR dans leurs travers, ce qui semble intriguer son interlocuteur qui désire en discuter de vives voix93. Un an plus tard, alors que la culpabilité de militants CDR a été reconnue par la justice et que les gaullistes sont en proie à des déchirements idéologiques, Yves Lancien produit un dossier de douze pages niant toute implication sérieuse du comité départemental de Haute-Garonne dans la fusillade. Il y condamne au contraire le SAC et plus encore Alexandre Sanguinetti, dont « les mauvais procédés à l’égard des CDR » auraient corrompu le SO gaulliste et le mouvement civique.
18À travers cet exemple, il est possible de souligner la relation ambigüe des CDR avec la violence militante. Publiquement, les responsables sont particulièrement hostiles à son usage et refusent de voir leurs militants être impliqués dans un quelconque incident. En interne, ce discours est maintenu mais se retrouve mêlé à une rhétorique paradoxale. Rejetant la violence, les sous-entendus quant à la nécessité d’en faire usage dans certaines circonstances peuvent prêter à confusion les militants, comme lorsque le comité national déclare le 4 mars 1970 que les CDR « regretteraient d’avoir à intervenir » si les violences sur les campus persistaient94. Concrètement, les CDR se conçoivent aussi comme une sorte de « police pacificatrice » qui aurait le droit d’intervenir pour restaurer l’ordre au sein des universités ou des usines en cas de désordre prolongé. De plus, qu’ils soient recherchés ou subis, les militants sont régulièrement mêlés à des affrontements. Aussi, loin de se limiter aux périodes électorales, l’exposition des CDR à la violence est réelle et mérite d’être interrogée.
Militer au quotidien, une épreuve du feu ?
19Les CDR ne se contentent pas de soutenir des candidats qui souhaitent détenir ou conserver des mandats électoraux, loin de là. Leurs principales activités se déroulent en dehors des élections. Convaincu d’être le défenseur de la Ve République, le mouvement se mobilise au quotidien dans les actions anti et contre-subversives. À en croire le sociologue Mathieu Rigouste, les CDR sont une organisation de « groupes de civils autorisés à “accompagner” et “soutenir” à leur niveau le retour à l’ordre, [qui] a souvent été comparé aux “groupes d’autodéfense” mis en place pendant la guerre d’Algérie. [Ils] repose[nt] effectivement sur le même type de dispositif95 ». Or, dans « la machine infernale », texte brouillon de Pierre Poilblan recensant tous les acteurs potentiels de la subversion à l’œuvre dans le pays, Pierre Chaunu apporte des annotations allant dans ce sens. Pour le moderniste, les CDR défendent les « valeurs » de la France et incarnent l’État parce qu’ils seraient les représentants de la « majorité silencieuse » (« L’État… c’est nous96 ! »). En plus de se voir comme des supplétifs des forces de l’ordre – des « réservistes mobilisables » comme ils le déclarent lors du congrès national de Marseille97 –, certains militants auraient une vision légaliste et étatiste de leurs actions, ne serait-ce qu’aux premières années de leur existence. Lorsque la campagne référendaire de 1969 bat son plein et que les sondages annoncent une défaite du général de Gaulle, Yves Lancien et Pierre Lefranc craignent une possible tentative de coup d’État à compter du 28 avril. Ils décident alors de remettre une circulaire confidentielle aux délégués CDR pour leur rappeler qu’en fonction de la situation, ils doivent « se considérer comme “mobilisé” en attente des instructions qui pourraient être données par le siège national98 ». Des moyens d’action sont également envisagés avec l’utilisation de matériel paramilitaire (talkie-walkie, haut-parleurs portatifs, voitures et camionnettes, émetteurs radios99). Cette conception reflète également l’attente – et la crainte – d’un nouveau Mai 68, qui nourrit la certitude des CDR de devoir rester vigilants afin de pouvoir intervenir à tout moment100. La volonté des responsables nationaux et de l’Élysée de maintenir les militants en alerte vise aussi à éviter autant que possible la démobilisation de leur base101. Craignant qu’une accalmie puisse « nous laisser gagner par un sentiment de fausse sécurité, amollissant les résolutions, démobilisant les énergies102 », les cadres nationaux n’hésitent pas à garder un discours alarmiste et anxiogène. Plusieurs cadres départementaux et d’arrondissements en font de même, faisant parfois office de caisse de résonnance des préoccupations de la direction103. Par conséquent, ils maintiennent leurs adhérents sous pression, leur demandant de se tenir prêts à réagir si les circonstances venaient à l’exiger104. Le meeting que donne le colonel honoraire André Bruge (chargé de mission CDR) le 3 avril 1970 à Mulhouse en est un parfait exemple. Ce soir-là, le conférencier traite de « la France face à la subversion et la liberté en danger » devant 70 militants105. Il y explique que le marxisme se réactualise en se réappropriant des études philosophiques et sociologiques, allant des thèses hégéliennes aux théories maoïstes, dans le but d’« instaurer la guerre permanente, universelle et totale ». Une nouvelle méthode serait employée par les marxistes pour parvenir à leur but : la guerre psychologique. Celle-ci jouerait sur la peur et/ou l’incompréhension d’une société en mouvement constant, appelle à des « sentiments grégaires » et « agressifs » propres à l’Homme, des « réflexes conditionnés et en utilisant les stimuli de la mentalité sacrificielle ». Tout cela viserait à instaurer « l’univers concentrationnaire du communisme » où l’ensemble des libertés seraient détruites, y compris la liberté de pensée puisque les individus seraient endoctrinés. Sachant que les jeunes (à comprendre les lycéens et étudiants) sont les premiers visés – nombre d’adhérents ont des enfants, des frères et sœurs cadets, ou sont de jeunes militants –, il n’est pas surprenant de voir émerger parmi les militants un sentiment de peur et d’insécurité. Un sentiment qui explique que les responsables nationaux en viennent à estimer qu’il serait préférable de laisser les mouvements extrémistes « s’entretuer » pour appliquer plus sévèrement la « loi anticasseurs » sur les survivants, tant leurs exactions seraient violentes106. La propagande du mouvement aurait donc pour première cible les militants CDR. David Colon, Étienne Augé et Jacques Ellul expliquent effectivement que la propagande a pour principal objectif d’influencer l’opinion et l’action des individus en orientant et renforçant des stéréotypes existants déjà en leur sein107. En dénonçant fréquemment les exactions commises par des militants communistes et d’extrême gauche, et en manifestant une peur feinte ou sincère de nouveaux événements similaires à mai-juin 1968 (comme ce fut le cas en novembre 1969), les cadres parviennent à maintenir les militants aux aguets.
20Le discours anxiogène des CDR crée un climat de suspicion qui incite certains éléments à espionner leurs adversaires, et à en informer éventuellement les autorités. Ainsi, les formations anti et contre-subversives que reçoivent des militants de la part de militaires, doivent leur permettre de s’infiltrer dans des organisations marxistes dans le but de se renseigner sur leurs agissements108. Les sources sur la question sont peu nombreuses mais semblent en démontrer la pratique. François Audigier constate que plusieurs militants CDR, comme le cadet Alain Guggenheim, avaient infiltré des organisations gauchistes pour remettre ensuite des rapports d’information aux pouvoirs publics109. L’envoi de militants issus du SAC et des CDR pour servir d’appariteurs dans les universités dès l’automne 1968 permettrait aussi bien de combattre l’influence des étudiants « anarchistes » et « marxistes » et à glaner des informations à leur sujet (type fichage), qu’à imposer l’application de la loi Faure110. Une circulaire d’information appelle également les cadets à lutter contre la présence des gauchistes infiltrés dans de multiples associations et syndicats en réalisant des « contre-infiltrations », dans le but de réduire l’influence de l’extrême gauche111. Cette circulaire est l’unique source interne à notre disposition, mais ce caractère exceptionnel se comprend par la nature hautement sensible de ces opérations où l’oralité est privilégiée pour ne pas laisser de trace. De plus, des témoins interrogés confirment l’existence de tentatives d’infiltrations (bien souvent des échecs) dans des organisations d’extrême gauche112. Cette pratique n’est pas propre aux CDR, le SAC réalisant de son côté des infiltrations et des missions de renseignements113. Il est possible de voir dans cette pratique de renseignement politique un héritage de l’espionnite du Rassemblement du peuple français (RPF) des débuts de la guerre froide114, dont le SAC est le descendant direct du service d’ordre et de renseignement. Or, les CDR comptent une part importante d’anciens militants RPF115 et les liens originels avec le SAC sont importants116. Il est donc probable que la volonté de repérer et ficher les « révolutionnaires » dans les années 1968 soit une pratique empruntée à celle du RPF et du SAC. De même, la montée croissante de l’anticommunisme dans les rangs explicite cette préoccupation de cerner les « révolutionnaires » afin « de savoir qui frapper en cas de casse117 ». Cependant, si ces activités de renseignement ont bien eu lieu, il ne faut pas en exagérer l’importance ; leur impact est si faible qu’elles semblent avoir été l’apanage d’une minorité de militants CDR, et non le fruit d’une action d’envergure.
21Ces éléments permettent de mieux comprendre l’importance du nombre d’incidents en dehors des périodes électorales relevés entre l’été 1968 et le début du mois d’avril 1974 (mort de Georges Pompidou), à savoir 67 confrontations physiques et atteintes aux biens. L’implication des CDR est difficile à établir, allant de 9 altercations avérées, à 16 si l’on y ajoute les participations plausibles mais non certifiées118 (fig. 10).
22La difficulté première pour l’historien reste la même dans l’étude de la violence militante : les sources ne distinguent pas forcément la famille politique de rattachement (le gaullisme) des organisations spécifiques auxquelles les personnes impliquées ont adhéré (UDR, CDR, SAC, etc.), de la même manière qu’elles souffrent du silence fréquent des militants compromis dans des actes de violence (réalisés comme subis). De plus, l’implication des militants gaullistes n’est pas toujours certaine et mérite de prendre par conséquent des précautions dans leur analyse, tout comme il est certain que nombre d’incidents ayant logiquement pu avoir lieu (notamment les combats nocturnes et les affrontements sur les campus et dans les usines) n’y figurent pas faute de sources. Cela explique grandement l’absence des CDR dans les statistiques en 1971, 1972 et 1974, ainsi que leur faible engagement apparent en 1969 et 1973. Dans leurs activités quotidiennes, les sources indiquent que les CDR semblent plus souvent porteurs de violence que victimes (8 agressions, 5 altercations). Ils ne seraient la cible d’attaques qu’à trois reprises : leur local bordelais (rue Wustemberg) est endommagé dans la nuit du 13 au 14 juillet 1968 à coup de cocktail Molotov par des militants de la CNT-MARO119 ; la séquestration de Pierre Chaunu par une cinquantaine d’étudiants gauchistes (principalement issus du département de sociologie) le 19 décembre 1968120 ; l’agression d’André Jusom, fondateur du comité du 9e arrondissement de Paris, maire adjoint dudit arrondissement et entrepreneur de bâtiment, par « trois gangsters armés et masqués » qui lui ont tiré dessus alors qu’il se défendait, atteignant le cuir chevelu, en décembre 1973121. S’il est probable que la presse et les forces de l’ordre mentionnent des attaques de permanences – celles-ci laissant généralement des traces physiques de l’acte violent –, il paraît invraisemblable que l’ensemble des atteintes aux militants ait été évoquées par les sources. Ainsi, la séquestration de Pierre Chaunu est loin d’être un acte isolé si l’on en croit Pierre Poilblan. En effet, le fondateur du CDR du Calvados déplore que les enseignants connus pour leur appartenance aux CDR souffrent de tapages nocturnes, de séquestrations par des élèves ou étudiants, de multiples vexations, menaces et injures122. Des pratiques corroborées par le doyen de Caen (du moins, en ce qui concerne l’université de Caen) et Pierre Chaunu en décembre 1970123.
23Les périodes électorales sont une grande source de tensions qui ne doivent pas occulter les autres éléments de discorde pouvant accroitre la détermination des militants. Nombre de campus et lycées sont régulièrement occupés ou secoués par les « agitations gauchistes » et les violences communistes124, des entreprises sont parfois bloquées par des piquets de grève, et des campagnes d’affichage CDR ont lieu régulièrement, ce qui ne peut qu’augmenter les risques d’affrontements nocturnes125. Outre les analyses présentées dans la sous-partie précédente, il existe de nombreux autres facteurs pouvant motiver un passage à l’acte violent de la part des militants. Il y a tout d’abord la notion de virilité qui, bien que déclinante durant la seconde moitié du xxe siècle, persiste au sein de nombreuses organisations politiques dans les années 1968. Héritiers du RPF et de la mémoire de la Résistance et de la France Libre – lorsqu’ils n’en ont pas été des acteurs directs, tels René Marbot (FFL), Yves Lancien (FFL) et Pierre Lefranc (résistant puis FFL) –, les CDR s’ancrent pleinement dans cet idéal de masculinité rugueuse issu en grande partie du xixe siècle, de la culture de guerre et des expériences combattantes126. Bien que l’effet d’admiration des jeunes militants sur leurs aînés ait grandement diminué du fait du renouvellement progressif des cadres gaullistes durant les années 1970, il arrive encore que les cadets recherchent de l’action et la reconnaissance des adhérents plus âgés. Par exemple, Jean-Pierre Grand se souvient de l’adoration qu’il éprouvait avec nombre de ses acolytes pour les héros de la France Libre et les idées du général de Gaulle et de Jacques Chaban-Delmas127. Cet émerveillement donnait envie d’être reconnu par ces derniers, quitte à participer à des actions coups de poing officiellement interdites par le mouvement, comme le fit R. C. :
« La violence était nécessaire en ces temps ! Comment militer tranquillement quand tous ces hypocrites de rouges venaient cracher leurs mensonges sous votre nez et n’hésitez pas à vous tabasser quand vous osiez les contredire ? […] De Gaulle, je m’en foutais pas mal. Du moins, en tant que politicien. Parce que l’appel du 18 juin, c’était pas n’importe quoi, tout comme mettre une branlée à Hitler ! Il avait des couilles et il était pas le seul à en avoir. Alors oui, c’est vrai, j’avais parfois envie que ces géants me remarquent pour mes efforts, qu’ils voient qu’ils pouvaient compter sur moi à Nice pour taper du coco128. »
24La tentation de l’action violente est d’autant plus grande que la plupart des cadets se désintéressaient profondément des questions idéologiques. Les débats théoriques ne faisaient guère d’émules parmi les jeunes éléments. Il en est de même pour la charte des devoirs de l’homme et du citoyen de 1971, comme le rapporte Didier Bierjon : « En tant que jeune militant, j’avais genre 20 ans. C’était pas ma tasse de thé. Je ne m’y intéressais pas129. » Alors que la virilité, entendue comme une démonstration de force physique devant ses adversaires, connaissait davantage de succès en leur sein. Cela passe par « la défense de l’honneur et les démonstrations de courage […] où la capacité de se battre et le “droit à la violence” restent encore des attributs “associés à l’homme et au masculin”. […] C’est par la plaisanterie, le défi, l’agression même130 » que l’on montre sa force. Or, François Guillet a démontré que les jeunes étaient les plus susceptibles d’user de la « violence virile131 ». La guerre froide apporte ainsi son lot de « résistants » à la « menace rouge132 ».
25Un autre élément de discorde réside dans l’appropriation ou la protection de l’espace convoité par les militants. Les CDR sont désireux de se faire entendre partout où la « subversion » sévit133. Campus et lycées agités, entreprises menacées ou bloquées, quartiers dominés par le PCF et l’extrême gauche deviennent leurs cibles privilégiées. Ils en viennent à contester la présence, voire la domination, de leurs adversaires dans des territoires qu’ils contrôlent. Ces fiefs (entendus comme des espaces dominés par l’existence de « réseaux affinitaires locaux et d’échanges politiques territoriaux ») et bastions politiques (territoires restreints « mobilisant des ressources partisanes idéologiques et supra-locales » autonomes « engagées dans des rapports de forces ») deviennent des sources de tension importantes qui accroissent le risque d’affrontements musclés134. C’est le cas lorsque les CDR s’associent au SISC (CFT) à Rennes pour attaquer le SO de la Ligue communiste le 29 janvier 1970 : la ville est âprement disputée entre les gaullistes et l’extrême gauche pour le contrôle symbolique de l’usine Citroën135. Le meeting que tiennent Michel Rocard et Alain Krivine dans la ville est perçu comme une atteinte à la domination de la CFT, tandis que les trotskistes y voient une occasion de s’exprimer et de prouver à la population locale leur capacité de se défendre contre les « nervis » du régime et du patronat. Les motivations sont semblables lorsque les CDR chassent les maoïstes qui avaient investi une salle de l’université Grenoble II le 8 juin, les premiers estimant la présence de l’extrême gauche comme illégitime et illégale (la Gauche prolétarienne n’avait pas obtenu d’autorisation du recteur pour s’exprimer sur le campus) tandis que les seconds se considèrent comme les représentants légitimes de la communauté estudiantine136. Le cas rennais peut cependant apporter une nuance : les extrêmes gauches y sont très actives, ce qui facilite les affrontements. Militant à la LC, Christian Le Moënne peut en témoigner : les affrontements politiques à Rennes sont hebdomadaires et souvent alimentés par l’alcool.
« Lorsque nous distribuions des tracts à destination des ouvriers de l’usine Citroën de Rennes, nous étions parfois confrontés aux gros bras du syndicat maison, la CFT dont bon nombre étaient par ailleurs membres du SAC, à moins que ce ne soit vos CDR. […] Je suis originaire du Finistère sud et, à l’époque, la bagarre du samedi soir y était un sport régional. Aujourd’hui, ça ferait les premières pages des journaux. […] L’alcool était certainement la cause plutôt que les divergences politiques137. »
26Finalement, l’objectif de ces affrontements est double : se faire entendre là où l’adversaire s’est retranché, et « purifier » par une violence considérée comme légitime l’espace souillé par la présence de l’autre et permettre ainsi le retour à une géographie politique « normalisée138 ». Pour parvenir à cette fin, les belligérants usent de deux types de violence : la violence (dé)localisante et la violence autotélique. Selon l’essayiste allemand Jan Philipp Reemstma, « la violence autotélique vise la destruction de l’intégrité du corps139 ». Les attentats et homicides correspondent le mieux à cette description, puisqu’ils cherchent à détruire des bâtiments et à éliminer des individus. Cependant, l’objectif des attentats entre gaullistes et « marxistes » n’est pas de « tuer pour détruire ». En réalité, le but de ces actes est de chasser un « indésirable » de « son territoire ». C’est pourquoi les agressions, blessures, tentatives de meurtre et assassinats entrent dans la première catégorie : la violence (dé)localisante. Celle-ci
« se situe donc nécessairement dans des contextes d’action qui visent autre chose que le corps auquel il est fait violence. […] Dans la violence délocalisante, le corps est un obstacle qui doit disparaître. Comment, cela importe peu pour cette attaque contre le corps : il peut être poussé à l’écart ou tué […]. La violence délocalisante vise à ce qu’un corps ne soit pas (plus) à un certain endroit […]. La violence localisante est le genre de violence que nous identifions à la violence qu’on rencontre dans l’espace politique et (majoritairement) dans le domaine de la criminalité et de la lutte contre celle-ci140 ».
27En reprenant cette définition, nous pouvons déterminer que la violence est clairement (dé)localisante. L’objectif des adversaires est de repousser l’autre de son bastion, et les moyens employés dépendent du contexte, des (re)sentiments et des moyens à leur disposition au moment de la confrontation. Lorsque des militants (soupçonnés d’être CDR) font exploser la librairie UNEF à Dijon, il ne s’agit pas de tuer des militants adverses – la bombe a explosé dans la nuit du 5 au 6 octobre 1968 – mais bien de détruire le matériel de propagande trotskiste (l’UNEF d’alors est dominée par l’Alliance des jeunes pour le socialisme) et le chasser ainsi symboliquement du campus141. La méthode employée répond à la définition de la violence délocalisante, puisque le but recherché est de chasser par tous les moyens les « révolutionnaires » d’un site en pleine phase de réappropriation par le pouvoir (la loi Faure s’apprête à être votée et appliquée).
28Cette approche entre en adéquation avec Pierre Bourdieu, qui considère que la violence (principalement symbolique, mais aussi physique) permettrait à un groupe de se souder en combattant et en rabaissant un autre groupe d’individus142. Toutefois, cette grille d’analyse réalisée par Jan Philipp Reemstma ne fait pas l’unanimité et d’autres chercheurs ont tenté de concevoir la violence différemment. C’est le cas de Xavier Crettiez143, qui distingue trois formes de violence :
contingente (dite aussi pulsionnelle) : il s’agit de la violence gratuite et injustifiée qui part d’un élan d’émotion ;
inhérente (dite aussi instrumentale) : c’est la violence d’État répressive et policière ainsi que de certains mouvements politiques et syndicaux. Elle est calculée, réfléchie et ciblée ;
identitaire : il s’agit de la violence de groupes de tout type (politique, syndical, criminel, policier, etc.) qui cherchent à forger leur identité ou à renier celle de leur adversaire par l’usage de la violence. Elle cherche à forger « une identité virile et combattante destinée à souder le groupe, à renforcer son homogénéité, à faire advenir ce qu’elle met en scène : une bande, un peuple, un État ».
29En s’appuyant sur la catégorisation établie par Xavier Crettiez, il serait possible de qualifier les actions violentes menées par les CDR de violence identitaire. Effectivement, les militants n’attaquent pas aveuglément leurs adversaires politiques en n’écoutant que leurs émotions, tout comme il semble peu probable que la violence instrumentale puisse qualifier la majorité des incidents étudiés – si le mouvement tient un discours anxiogène et paradoxal, il condamne publiquement comme en interne le passage à l’acte violent. En revanche, il est possible de considérer la plupart des altercations entre CDR et « révolutionnaires » d’identitaires parce qu’elles visent avant tout à ce que les militants fassent corps devant une menace commune. Cette homogénéisation est jugée cruciale par certains militants, à l’instar du vétéran A. Zolla qui estime que les militants doivent être unis dans un groupe solide – tout comme la population doit l’être par le biais du service militaire144. L’union des militants ne signifie pas un rejet des autres organisations (ne rester qu’entre CDR) mais plutôt par la capacité à s’entre-aider avec d’autres organisations aux objectifs communs. La part non négligeable des incidents impliquant à la fois des CDR avec d’autres groupes issus du gaullisme d’ordre le prouve145. L’approche braudienne est tout aussi pertinente quoique simpliste. Selon le politologue, il existerait trois formes de violence politique, à savoir la violence étatique (type guerre asymétrique et violences policières), la violence protestataire (dirigée contre l’État) et la violence intersociale (entre différents groupes sociaux146). Bien que se voulant le bras armé du régime, les CDR répondent avant tout à la troisième forme, à ceci près qu’il serait plus pertinent de la qualifier de violence interpolitique qu’intersociale.
30Une autre approche spatiale pourrait être celle théorisée par Michel Dobry en 1986147. Le sociologue estime que les périodes de crises favorisent les désectorisations politiques, c’est-à-dire le fait qu’un acteur politique quitte son espace traditionnel et identitaire (son fief ou son bastion) pour essayer d’investir de nouveaux périmètres. Cette désectorisation engendre alors de nouvelles formes de tensions qui provoquent ou entretiennent à leur tour la crise politique (à l’échelle locale ou régionale). Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce phénomène dans le cadre des oppositions entre gaullistes et centristes dans le Nord-Est durant les années 1968148. Cette période est marquée par la volonté des CDR d’être vus et entendus dans des espaces dominés par la gauche et l’extrême gauche. C’est pourquoi le mouvement tente de s’implanter durablement en Seine-Saint-Denis, « département “le plus rouge de France”149 ». Il en est de même des universités et des lycées perturbés par les « rouges », ainsi que des entreprises dominées par la CGT, avec la création prioritaire de sections socioprofessionnelles dans ces secteurs150. En cas de nouvelle crise, le comité national provisoire des CDR prévoit le 14 octobre 1968 de mobiliser la « majorité silencieuse » par le biais de ses antennes sans pour autant « sortir du rôle qui est le leur et verser dans une sorte d’activisme provocateur ». La consultation des archives Lefranc montre qu’officiellement, il n’est pas envisageable que les militants agissent avec violence. Pourtant, la direction maintient sciemment un discours anxiogène et incite les adhérents à se rendre sur des territoires pourtant connus pour leur hostilité au mouvement. Cette contradiction permet de mieux comprendre la présence de militants CDR dans des fiefs et bastions traditionnellement à gauche, notamment en période électorale où ils ont tout intérêt à promouvoir le(s) candidat(s) gaulliste(s). Par exemple, des militants CDR attaquent des colleurs d’affiches communistes le soir du 21 mai 1969 à Châtenay-Malabry, un bastion socialiste dans les Hauts-de-Seine151 ; de même, des militants PS sont attaqués par des colleurs d’affiches CDR dans la nuit du 9 au 10 mars 1973 à Souffelweyersheim (Bas-Rhin152) – considérée comme un bastion gaulliste dans un fief centriste –, alors même qu’à Saint-Dizier (Haute-Marne), des militants CDR subissent une attaque de militants PCF armés de matraques et de barres de fer pour avoir eu l’audace de coller des affiches dans une commune acquise depuis peu par les communistes (jusqu’en 1971, Saint-Dizier était socialiste153). Cette volonté se manifeste également dans les activités courantes de l’organisation. Les campus et les entreprises jugées sensibles pour leur propension à faire grève sont particulièrement ciblés. Rappelons les affrontements opposants CDR et maoïstes à Albert (Somme) puis aux trotskistes à Rennes en janvier 1970. Même en dehors des périodes électorales, porter la « bonne parole » dans des fiefs et bastions de gauche, ces « terres de mission » à « évangéliser » (Éric Kocher-Marboeuf), est source de discorde. Le cas d’Avignon en 1970 est particulièrement parlant154. Le soir du 11 au 12 avril, une dizaine de militants du SAC et des CDR collent des affiches pour dénoncer le « péril rouge » qui sévirait librement en ville (celle-ci étant tenue depuis plusieurs années par le PCF). L’équipe tombe alors sur quatre colleurs d’affiches communistes. La rencontre entraîne un affrontement qui se solde par la victoire des militants gaullistes, accusés alors par les communistes de provoquer des incidents préélectoraux – les prochaines élections municipales étant prévues pour mars 1971… Ces quelques exemples illustrent les risques inhérents au militantisme sectoriel : la projection d’une force politique sur un lieu ou un milieu socioprofessionnel dominé par une tendance politique rivale provoque irrémédiablement des tensions qui peuvent amener des militants à s’affronter physiquement. L’ensemble des études réalisées depuis le début de ce chapitre démontrent la prépondérance d’un élément intrinsèquement lié au rapport à la violence : les émotions.
Ressentir la violence. Quand les émotions influencent les actions militantes
31Encore rarement interrogées dans le cadre des études sur la violence militante, les émotions jouent un rôle non négligeable dans le rapport qu’entretiennent les militants avec la violence155. Les événements de mai-juin 1968 ont été un traumatisme pour les gaullistes et leurs alliés, d’autant que le pouvoir parut un temps incapable de réagir pour permettre un retour à la normale face à une « entreprise caractérisée de subversion156 ». Jacques Godfrain, alors « secrétaire général provisoire [des CDR], qui […] n’en avait que le titre », a manifesté dans son discours du 26 mai 1968 la peur qu’il éprouve devant cette situation :
« La violation de la légalité républicaine ne peut qu’accumuler les ruines et la misère sans profit pour personne. C’est pourquoi nous alertons le pays sur les conséquences d’un mouvement qui, paralysant l’économie, frappe avant tout les travailleurs eux-mêmes, et particulièrement les plus dépourvus. Alors que la reprise économique était sérieusement engagée, […] l’impatience dévastatrice que dénotent les derniers événements risque de tout compromettre et correspond peut-être, chez ceux qui ne craignent pas d’assurer leur pouvoir sur des ruines, à une volonté délibérée de sabotage157. »
32Présentes tout au long des années 1968, la peur et la haine du communisme, et par conséquent l’ensemble des mouvements politiques que ce dernier regroupe pour les gaullistes d’ordre, dominent dans le discours des CDR. Philippe Braud décrit la peur comme un sentiment de crainte souvent instrumentalisé en politique, dans le but de provoquer une réaction auprès d’un public parfois déjà affecté (d’où son efficacité158). De son côté, la haine est la manifestation d’un ressenti envers une idéologie et/ou une figure politique ; elle est à l’origine même de la diabolisation de l’adversaire159. C’est la raison pour laquelle la rhétorique adoptée par les CDR est volontairement anxiogène. Elle manifeste aussi bien un désir d’unir les militants contre un ennemi commun que de mobiliser la « majorité silencieuse » à ses côtés. Il s’agit d’un recours calculé que les contemporains ont bien remarqué. Michèle Cotta reproche grandement aux gaullistes de répandre la peur et la haine à l’encontre des membres de l’opposition et des « révolutionnaires160 » durant les élections législatives de 1968. Élections qui sont rapidement surnommées les « élections de la peur » par la gauche et l’extrême gauche161. À l’instar des autres organisations gaullistes, les CDR maintiennent ce discours fondé sur la peur du désordre, de l’anarchie et de la dictature communiste, au point de provoquer en partie la perte du général de Gaulle en avril 1969 – ce discours ne reflétant plus la réalité des faits d’alors162. Les gaullistes d’ordre ne modifient pas ce discours, poursuivant durant l’élection présidentielle de 1969 puis tout au long du mandat pompidolien leurs exhortations à se méfier de tout ce qui s’approche du marxisme. Les bulletins internes de chaque organisation (Citoyen pour les CDR, Action civique pour le SAC, Action universitaire pour l’UNI, L’indépendance syndicale et son supplément Informations pour la CFT) le montrent parfaitement. Cette propagande volontairement angoissante touche au caractère sensible de chaque individu163, ce qui peut à terme contribuer au caractère accidentogène du militantisme gaulliste. Elle façonne également la construction d’une identité commune, particulièrement pour une organisation se voulant transpartisane comme les CDR. Jacques Semelin estime que cette double fonction fait partie intégrante de la rhétorique violente :
« Le discours intellectuel, de nature à engendrer la violence, joue à la fois sur les cordes de l’imaginaire et du réel. Ce discours ne procède pas d’abord de la désignation première d’un bouc émissaire comme on le pense trop souvent. Il procède d’un refaçonnage de ce “Nous” en souffrance, ce “Nous” qui vise à affirmer notre force, notre identité, notre pureté […] Pour donner plus de puissance à la formation de ce “Nous”, ce discours se construit parallèlement contre un autre, ce “Eux” qui incarne la ou les figures de l’ennemi. Se constitue alors une polarisation fondamentale entre un “Eux” et un “Nous”, dont Carl Schmitt affirme qu’elle est au fondement du politique164. »
33L’usage de la peur en politique est répandu, les gouvernants ayant compris depuis longtemps qu’il était plus aisé de contrôler les masses en installant le doute et la suspicion en eux165. Les gaullistes en reprennent la pratique durant les années 1968, depuis le sommet de l’État – avec le discours fondateur du 30 mai 1968 – jusqu’aux bases militantes. Il n’est pas possible de comprendre autrement les mots qu’aurait prononcés le militant Paul Albertini le 28 décembre 1970 : « dans le combat que nous avons engagé contre le communisme, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. Quant à nous, la mort au combat est préférable à la soumission au bolchevisme166… » Le politologue Corey Robin constate que l’exercice de la peur en politique implique la construction d’un discours dual, à savoir une peur horizontale (l’ennemi extérieur au pays) et une peur verticale (« l’ennemi intérieur167 »). Il explique que l’existence d’un ennemi extérieur permet de rendre plus convaincante (et inquiétante) la figure de « l’ennemi intérieur », le premier soutenant dans l’ombre le second. Tout l’argumentaire des CDR rejoint ce postulat : il existe un « ennemi intérieur » aux multiples facettes (le PCF et les gauchistes dans un premier temps, les « socialo-communistes » et les derniers « révolutionnaires » à partir de 1972-1973), soutenu par des puissances étrangères hostiles à la Ve République (l’URSS et ses satellites, la Chine communiste, Cuba). Les tracts et affiches réalisés par l’organisation appuient leur message, dressant des images tantôt humoristiques (pour humilier), tantôt anxiogènes (avec le rouge, symbole du communisme, comme couleur dominante), et des textes appelant au rejet de la « subversion » à l’œuvre (fig. 11).
34En se targuant d’être les défenseurs de la Ve République et les représentants légitimes de la « majorité silencieuse », les CDR se mettent à « jouer un rôle », celui de « l’acteur violent168 ». Ce que Xavier Crettiez appelle la dimension « escapiste » et Erving Goffman « l’attachement au rôle ». Le passage à l’acte violent offre à certains militants la possibilité de sortir de leur quotidien. Il leur permet également d’être reconnus par leurs pairs en incarnant le personnage qu’ils attendent. Les relais émotionnels (propagande écrite et parlée) alimentent aussi un état d’esprit suscitant le passage à l’acte parmi les militants qui sont abreuvés de peur, de haine et d’indignation. Les rumeurs, ces « on-dit » qui intriguaient Heidegger, ne font rien pour arranger la situation169. Bien souvent angoissantes, elles rapportent des faits aussi irréalistes que plausibles aux yeux d’une partie de l’opinion. Le philosophe allemand estime qu’elles se propagent par la crédulité des individus, surtout lorsqu’elles sont surprenantes ou leur paraissent crédibles. Une opinion que partage le sociologue Philippe Aldrin, qui développe même l’idée de « contre-rumeurs » visant à insérer la rumeur dans un récit crédible (et complotiste) pour l’opinion publique170. Cela se constate parmi les CDR, où des « bruits » leur parviennent régulièrement et sont parfois évoqués dans leur documentation interne. Par exemple, Jacques Foccart entend en mai 1968 des rumeurs assurant que des bombes seraient entreposées à la Sorbonne et qu’une attaque se préparerait contre l’Élysée, le poussant à apprêter un hélicoptère pour permettre au général de Gaulle de s’enfuir en cas de danger171. De son côté, le responsable du comité du 16e arrondissement met ses hommes en garde contre les rumeurs qui circulent sur une future dissolution des CDR le mois suivant, tout en soutenant celles qui voudraient que les « révolutionnaires » prépareraient le « Grand Soir » durant les vacances d’été pour frapper à l’automne 1968172. Par la suite, les bruits concernant des actions possibles de l’extrême gauche ne sont pas mentionnées dans les documents internes des CDR, mais plusieurs témoins appartenant à la famille gaulliste attestent de la propagation de rumeurs « farfelues173 » pour le moins inquiétantes : intervention de la CIA en faveur des « révolutionnaires » pour saboter les accords de Paris174, projets d’enlèvements et d’éliminations de cadres d’entreprises pour préparer la révolution175, tentatives de renversement de la société sur le temps long par la perversion de la jeunesse176, formation d’étudiants gauchistes comme agents subversifs par des espions soviétiques et est-allemands177, etc.
35Les rumeurs en politique s’avèrent être ainsi un vecteur d’anxiété dans une société en crise identitaire178. Toutefois, les chercheurs ne sont pas tous d’accord sur les raisons qui permettent aux rumeurs d’apparaître et de se propager. Alors qu’Aldrin et Barus-Michel y voient un élément spontané caractéristique de la curiosité humaine et de la manifestation d’une crise de conscience, David Colon estime pour sa part que les rumeurs (entendues comme le bruit qui court) sont généralement produites par les individus les plus instruits de la société, et les répandent par le biais des médias à des fins subversives (notamment en temps de guerre) ou pour s’en servir comme « arme politique179 ». Pour illustrer sa théorie, il rappelle l’affaire de la « rumeur d’Orléans » de 1969 – des rumeurs accusant un magasin de lingerie féminine tenu par des juifs de servir de lieu de rapt de la clientèle féminine dans les cabines d’essayages pour les prostituer180 – qui n’aurait jamais pu connaître le succès qui fut le sien sans l’appui de la presse, puis les élections législatives de 1967 où le Centre démocrate (CD) de Jean Lecanuet « recommandait aux candidats aux élections législatives de recourir à la rumeur à des fins politiques » (discréditer l’adversaire, semer le doute parmi les électeurs)181. Utilisée à cette fin, la rumeur devient une arme politique182.
36L’ensemble de ces relais émotionnels met les militants sous tension, l’ambiguïté du discours officiel du mouvement (refus de tout usage de la violence, mais incitation au rejet de la gauche et l’extrême gauche par la peur et la haine) n’aidant pas. C’est pourquoi la philosophe Hélène Frappat estime que « la sphère des sentiments » joue un rôle crucial dans le passage à l’acte183, et dépasse l’idée longtemps répandue (et quelque peu déculpabilisante) de « spontanéité » de l’acte184. Les gaullistes d’ordre se renferment dans une attitude virile et agissent plus facilement avec violence s’ils se sentent menacés, particulièrement durant les événements de mai-juin 1968 puis lors des périodes électorales. Leur présence sur des sites « sensibles » peut également les radicaliser dans leur posture vis-à-vis de leurs adversaires. Une brutalisation des mœurs circonstanciée que résume Brigitte Gaïti :
« Sur le terrain, les organisations gaullistes voient leurs franges les plus activistes et les plus droitières grossir et prendre un rôle sans commune mesure avec leur importance et leur poids ordinaire. Des structures comme le SAC, des groupements comme les Comités de défense de la République sont au premier rang et deviennent les lieux d’initiatives centraux : certains de leurs militants ont acquis ces compétences “de rue” devenues rares chez les gaullistes de gouvernement et qui semblent pertinentes dans la désorganisation ambiante. La violence de certains gaullistes, colleurs d’affiche, manifestants ou organisateurs de meetings, est signalée et dénoncée dans la presse à plusieurs reprises. Cette brutalisation des comportements devient plus générale durant le mois de juin [1968] : ainsi, la répression policière se fait plus virulente durant cette phase et on commence à compter de nombreux blessés et quelques morts185. »
37Ces comportements violents entrent en écho avec la notion d’honneur, essentielle pour les militants gaullistes. Progressivement remis en cause durant le xxe siècle186, le concept d’honneur reste important au sein de la culture militante gaulliste. Dans son article sur le pouvoir symbolique, Pierre Bourdieu le place comme un élément fort de celui-ci – un capital social majeur. Il explique en effet qu’un homme qui serait incapable de défendre son honneur – et par conséquent de prouver sa virilité – prendrait le risque d’être discrédité parmi les siens187. Il passerait alors pour un individu faible inapte à la défense de son groupe. Or, soumis à de fortes tensions et exposés régulièrement au danger et à la peur, les militants CDR devaient compter sur leurs « compagnons » pour accomplir leur mission sur le terrain en toute sécurité. Didier Bierjon en donne un exemple frappant :
« Je me rappelle qu’un chauffeur de taxi s’était arrêté puis nous avait tiré dessus. On a eu peur. Je ne sais pas s’il a fait exprès de nous rater, mais il n’a pas tiré en l’air ! Je me souviens qu’[…] une ambulance nous avait tiré dessus quand on collait des affiches. À l’époque, les campagnes électorales, ça rigolait pas. C’était olé olé. Les périodes électorales, c’était les périodes les plus violentes. C’était redoutable. Du coup, il fallait faire attention à ne pas prendre des gens qui n’étaient pas prêts à partir en courant en cas de pépin. Parce que sinon, c’est ceux qui restent qui en prennent plein la gueule ! Je me souviens une fois, j’étais au bout de la rue de Dunkerque, il y avait une antenne de la CGT en amont. On est tombé sur une colonne de cégétistes alors qu’on était que quatre et cinq. Ce jour-là, j’en ai pris plein la gueule188… »
38De même, Philippe Braud estime que l’honneur est une valeur cruciale en politique : à la fois individuelle et collective, cette notion clef est des plus paradoxales puisqu’elle fait appel aux émotions (qui toucheraient à l’irrationnel)189. Étroitement lié à ce concept, le courage doit être manifesté par les hommes sur le terrain. Il suscite respect et fascination, et offre l’occasion au militant de prouver à ses pairs qu’il est prêt à se battre pour les valeurs du groupe190. La bravoure fait partie des valeurs des CDR. Pierre Lefranc qualifie ses hommes de « chers et courageux compagnons191 », le courage du général de Gaulle est érigé en modèle pour exalter les militants192, l’opposition ouverte des adhérents contre le Programme commun de gouvernement de la gauche est présentée comme un acte de bravoure193, etc. Dans le militantisme, l’honneur apparaît primordial car il touche aux rapports psychosociologiques des individus appartenant à une organisation commune. C’est pourquoi la défense du groupe est essentielle à la fois pour sa propre survie – comment se faire connaître et défendre ses idées si l’on ne peut agir en toute quiétude ? – et celle de l’esprit de groupe. Ce dernier est crucial pour la poursuite des activités militantes. Or, l’honneur est souvent à l’origine des affrontements, pour prouver que l’on ne craint pas l’adversaire et « le climat de violence, voire de terreur » qu’il instaure194. Certes, les hommes ne sont pas atteints par la terreur ou l’effroi tel que Martin Heidegger l’entend195. Toutefois, leur exposition au marxisme provoque une franche hostilité des CDR qui, devant une menace perçue comme sérieuse qui ébranle leurs « repères symboliques », devient à son tour l’un « des mécanismes qui rattachent la montée des violences196 ». Il ne faut pas oublier que les CDR croient plus facilement à l’existence d’un « ennemi intérieur » que cette conviction répond à leur imaginaire, ce que Philippe Braud nomme « les mythes » propres à chaque groupe sociopolitique.
39Interroger la place des émotions dans le militantisme politique implique d’intégrer les apports innovants de William Reddy. L’historien étasunien a développé de nombreux concepts en s’appuyant sur les dernières études psychologiques, sociologiques, anthropologiques et historiques. Il a constaté que les sociétés sont régies par des « régimes émotionnels », c’est-à-dire par l’« ensemble des émotions normatives et des rituels, pratiques et émotifs officiels qui les exprime et les inculque : condition essentielle à tout régime politique stable197 ». Les individus refusant de répondre aux normes établies par la société se retrouvent dans des « refuges émotionnels », où ils peuvent s’exprimer librement et établir leurs propres codes sociaux – parfois dans l’espoir de contester formellement le « régime émotionnel » en vigueur. La France des années 1968 se retrouve dans ces définitions. Il s’agit d’une société conservatrice sur le plan socioculturel qui connaît de rapides et profonds bouleversements après les événements de mai-juin 1968198. Alain Blondy souligne l’importance des mutations de la société française sous les mandats de Georges Pompidou et plus encore de Valéry Giscard d’Estaing199. Progressivement, les CDR ne répondent plus complètement aux normes de la société et forment une sorte de « refuge émotionnel ». En effet, en prônant à la fois le progrès social et la préservation de l’ordre et des traditions, le mouvement s’enferme dans un conservatisme accru qui démontre la difficulté de ses militants à pouvoir s’adapter aux nombreux changements auxquels ils sont confrontés. Les revendications féministes deviennent ainsi pour eux des exigences gauchistes200, la question du droit à l’avortement divise les militants201, l’éducation sexuelle et l’érotisme sont des perversions202, etc. Les CDR manifestent alors leur opinion – souvent hostile à ces changements – en mobilisant des « émotifs » (des expressions de leurs émotions) par la « gestion émotionnelle » – l’instrumentalisation des émotions pour atteindre un objectif. Le plus souvent, il s’agit de montrer sa répréhension ou son dénuement par un discours réprobateur et moralisateur. Par exemple, Pierre Chaunu dénonce les tortures morales infligées aux jeunes enseignants par les « révolutionnaires » sur les campus203 ; les CDR-Éducation nationale déclarent à la presse qu’il est nécessaire de « renforcer les bases morales de notre société » face aux revendications « scandaleuses » des lycéens et étudiants gauchistes, véritable « viol délibéré des consciences204 », obtenant le soutien des adhérents conservateurs ; Yves Lancien considère que l’autorité de l’État doit être restaurée pour retrouver la discipline et la moralité dans la société205. À chaque fois, ces prises de position visent autant les adhérents de l’organisation que la population dans son ensemble. En développant une farouche opposition aux organisations se réclamant du marxisme, les CDR parviennent à créer un sentiment d’unité parmi ses adhérents. Une forme de « refuge émotionnel » se voulant la préservation de la norme sociale naît alors de son refus aux nouveautés socioculturelles qui touchent la société française de l’époque. Par ce biais, elle nourrit elle aussi les velléités de certains militants qui peuvent basculer plus facilement dans la violence militante, celle-ci leur apparaissant alors comme légitime.
40Le poids émotionnel de l’idéologie conservatrice et fondamentalement antimarxiste, et du discours anxiogène tenu par le mouvement entraîne une radicalisation des militants. C’est-à-dire une évolution vers l’intensification proclamée ou constatée de la conviction politique, susceptible de provoquer un basculement dans l’usage de la violence extrême206. Or, les militants gaullistes – plus particulièrement ceux issus du gaullisme d’ordre – sont frappés d’un profond traumatisme politique207 après mai-juin 1968. Ils en viennent à ressentir la nécessité d’employer la violence militante comme une « ressource politique mobilisant la menace ou le recours effectif à la contrainte physique ». Ce recours paraît d’autant plus crédible que le contexte de l’époque l’y prête. Les excès de violence militante touchant la société à tous les niveaux (campus, lycée, entreprises, rues, etc.), le pouvoir en place ne manque pas de les dénoncer tout en soutenant un retour à l’ordre. Ainsi, lors de son entretien télévisé avec Jean Ferniot le 24 juin 1971, Georges Pompidou dénonce la « violence généralisée, éparse, soudaine… ». Une violence que seul le retour à l’ordre par « le respect de la loi » pourrait faire disparaître208. Le pouvoir alimente par ailleurs la radicalisation des militants d’extrême gauche en permettant une répression accrue209, ce qui, par un effet d’emballement, provoque également le durcissement des actions gaullistes. C’est pourquoi les années 1960-1970 entraînent un renouveau de la radicalité militante qui trouve sa justification dans la nécessité d’agir sur le terrain avec vigueur210 ; « la force des mécanismes émotionnels » concoure de la radicalisation211. Ce phénomène se retrouve aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, qui est influencée par la « mondialisation de la violence » médiatique provoquée par la guerre du Vietnam212. L’esprit de 1968 symbolise à la fois la continuité et la réappropriation des revendications d’extrême gauche des années 1960 par les militants ainsi que de son extension à la droite modérée, libérale et gaulliste. Engagés dans une lutte anti et contre-subversive visant à empêcher une prise de pouvoir du « communisme totalitaire » qui menace les libertés, les CDR doivent en un sens s’adapter à la violence de leurs adversaires en radicalisant leurs propres méthodes. Ce durcissement est justifié par les intellectuels du gaullisme d’ordre. Roger Mucchielli écrit par exemple que les « révolutionnaires » ont modernisé leurs tactiques – la guerre psychologique et la guérilla prennent le pas –, ce qui contraint les « républicains » à imiter leurs adversaires pour rester efficaces.
« Le but de la guerre reste le même : expansion territoriale et occupation d’un autre pays ou installation, dans ce pays, d’un gouvernement allié ou soumis… mais les moyens ont changé. […] La guerre moderne est psychologique d’abord, et le rapport avec les armes classiques est inversé. Aujourd’hui, c’est le combat sur le terrain (la guérilla) qui est devenu l’auxiliaire de la subversion213. »
41Les CDR doivent par conséquent se réapproprier les stratégies déployées par l’extrême gauche. Leur naissance durant les événements de mai-juin 1968 – moment de hautes tensions où la violence militante connaît un pic très important – ne peut qu’influencer leurs pratiques et convaincre certains hommes que la sauvegarde de la République et des libertés ne peut se faire sans radicalité.
42Les CDR entretiennent un rapport ambigu avec la violence militante. La condamnant fermement dans les discours et déclarations officiels, les responsables de l’organisation développent une rhétorique ambivalente où s’entremêlent une hostilité à l’usage de la violence à une haine profonde des communismes. L’attachement à des valeurs guerrières comme l’honneur, la virilité et le courage, combiné à une propagande anxiogène, augmentent dans les faits les risques d’incidents. Les affrontements, agressions et dégradations de biens sont courants en période électorale, où les enjeux politiques sont forts. Ils paraissent à première vue plus rares en temps normal, bien qu’en réalité, il soit plus probable que les lieux où les adhérents militent (couplés à une propagande anxiogène) influencent les possibles passages à l’acte violent. Les émotions qui en découlent – peur, haine, suspicion – amplifient les risques en exacerbant les tensions.
⁂
43Profondément antimarxistes, les CDR vont développer tout au long de leur existence un discours virulent à l’encontre des organisations de gauche et d’extrême gauche. Tantôt perçu comme un pantin du PCF, tantôt comme un opportuniste naïf, le PS est progressivement intégré à ce discours. Leur idéologie se développe autour de plusieurs axes venant alimenter la thèse d’une « subversion marxiste ». C’est ainsi que se forge l’idée d’un complot (inter)national où des acteurs extérieurs (URSS et ses satellites, Chine, Cuba) soutiendraient, voire sous-traiteraient, les activités d’organisations « révolutionnaires » et totalitaristes ; que la « majorité silencieuse » représenterait l’ultime recours en cas de nouveau soulèvement ; la nécessité de défendre politiquement et moralement des jeunes exposés à la « subversion » ; enfin la menace qui pèserait sur les entreprises publiques et privées, clefs de voûtes de l’économie nationale. Un désir de progrès socioéconomique et politique anime les CDR. Majoritairement gaullistes, ils sont attirés par les promesses sociales du chabanisme. La Participation sous tous ses angles (politiques, économiques, décisionnels) devient l’une des mesures les plus défendues par le mouvement. Cette proximité émotionnelle avec le courant majoritaire du gaullisme social d’alors (la figure de Jacques Chaban-Delmas étant très populaire au sein du mouvement) n’est pas sans ambiguïté. En effet, des dissensions internes se font jour à l’occasion de grandes réformes ou de questions sociopolitiques sensibles. C’est ainsi que les CDR oscillent entre intégration et rejet des travailleurs immigrés là où les chabanistes prônent l’intégration et refusent toute idée d’expulsion214, tout comme ils s’entredéchirent entre partisans et opposants à la réforme Edgar Faure, véritable ouverture à la Participation pour les premiers et concessions scandaleuses aux gauchistes pour les seconds. Les émotions prennent ainsi une place importante dans le militantisme CDR, y compris lorsqu’il s’agit de la question de la violence militante. Officiellement interdite, cette dernière est fréquente en période électorale et peut s’avérer non négligeable dans le quotidien des militants. Aussi, les relations qu’entretiennent les CDR avec les autres organisations gaullistes et leurs réseaux influencent grandement leur image, alors même que le mouvement joue un rôle crucial dans la modernisation de la communication de la famille gaulliste.
Notes de bas de page
1Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. II, op. cit., p. 157.
2AD21, 35J9, exposé de Monsieur Yves Lancien, secrétaire général des CDR devant les secrétaires fédéraux de l’UDR le samedi 12 février 1972 à l’hôtel Lutetia.
3Nora Pierre, « Gaullistes et communistes », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. III : Les France ; vol. I : Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 347-393.
4L’adversité entre la famille gaulliste et le PCF (et ses satellites) perdure durant toute la période. Elle n’empêche nullement une redéfinition des oppositions entre une minorité (pro-)gaulliste et plusieurs organisations de gauche (SFIO/PS, PCF) et d’extrême gauche.
5Audigier François, « Quand des militants utilisent des armes à feu contre leurs adversaires : le service d’ordre gaulliste et les armes de 1947 à 1968 », in Julie d’Andurain, François Audigier et Jean-Noël Grandhomme (dir.), Les Français et les armes à feu, Paris, Hémisphères Éditions/Maisonneuve & Larose nouvelles éditions, 2018, p. 248.
6Les militants gaullistes ne se sont jamais intéressés aux élections « secondaires » que sont les cantonales, les sénatoriales et les futures régionales. Les CDR ne dérogent pas à la règle.
7ANF, 569AP/158, procès-verbal de la 2e réunion des délégués départementaux de la périphérie de Paris le 16 décembre 1968 ; procès-verbal de la réunion du comité national provisoire le 16 décembre 1968, p. 4.
8ANF, 569AP/159, circulaire no 8, le 23 février 1973.
9ANF, 569AP/159, note de service « Incidents pendant la campagne électorale », le 25 avril 1974.
10Citoyen, no 15, avril 1970, p. 6.
11Citoyen, no 44, avril 1973, p. 4.
12Il y a exactement 32 incidents impliquant des gaullistes lors du référendum de 1969, 52 pour la présidentielle suivante, 13 lors des municipales de 1971, 16 durant le référendum de 1972, 46 pendant les législatives de 1973 et 24 lors de la présidentielle de 1974.
13Expression employée par le journal Le Télégramme le 12 juin 1969 pour commenter une bagarre survenue devant un café entre des militants de Pompidou et des opposants politiques à Guingamp le 11 juin 1969.
14Muller Bryan, « Les gaullistes et la violence militante en période électorale (1968-1981). Le cas de “l’anticentrisme” dans le Nord-Est », in Jérôme Pozzi et Jean El Gammal (dir.), Le Grand Est, 1870-2019. Forces et cultures politiques, op. cit., p. 260.
15Témoignages d’André Fanton le 6 novembre 2018, Jean-Luc André le 19 novembre 2018, Michel Anfrol le 21 septembre 2018, Daniel Eymann le 27 septembre 2018, Michel Delignat le 1er octobre 2018, Jean-Pierre Antoni le 31 janvier 2020, R. C. le 14 mars 2020, et Didier Bierjon le 10 avril 2020.
16Selon les médias, les électeurs se désintéressent du scrutin parce que les enjeux seraient inintéressants pour eux. Aux yeux des gaullistes, c’est parce qu’il serait trop politisé (à cause de l’opposition) qu’il en aurait lassé les électeurs. Enfin, selon Françoise Subileau et Marie-France Toinet, ce sont les choix politiques proposés qui n’intéresseraient pas les électeurs, les incitant alors à s’abstenir ou voter nul ou blanc. Subileau Françoise et Toinet Marie-France, Les Chemins de l’abstention. Une comparaison franco-américaine, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 1993, p. 180 et 184.
17AD59, 1287W67/1, procès-verbal d’enquête préliminaire rédigé par les gendarmes René Guilluy et André Morieux et par le MDL chef André Deleforge, de la brigade-mixte d’Armentières, no III2, le 31 mai 1969, et message du groupement de gendarmerie de Lille au préfet du Nord no 621/2, le 2 juin à 8 h 30 ; Nord Éclair, 15 juin 1969.
18ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 11, le 12 mars 1973.
19Montero Muriel, « Le centre démocrate de 1962 à 1974 : l’impossible défi de la conquête du pouvoir ? », in Sylvie Guillaume (dir.), Le Centrisme en France aux xixe et xxe siècles : un échec ?, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, coll. « Politiques et élites », 2005, p. 137 ; Pico Pauline, Liaisons dangereuses. Les extrêmes droites en France et en Italie (1960-1984), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2016, p. 237-255. De plus, il est possible de consulter les enquêtes journalistiques menées par Le Figaro en 2008 qui prouvent que le GUD et Ordre nouveau (ainsi qu’Occident auparavant) ont bénéficié de fonds secrets pour payer les collages d’affiches du candidat Valéry Giscard d’Estaing (Le Figaro, 3 mars 2008 ; L’Obs, 4 mars 2008).
20AD14, 68J492, fascicule « Le vrai visage du “mouvement” étudiant : les affaires de Nanterre », 8 juin 1968, p. 3.
21AD14, 68J514, communiqué du CDR de Caen, non daté (visiblement fin août 1968) ; ANF, 569AP/158, communiqué du comité national des CDR, le 21 août 1968.
22AD55, 691W31, rapport des RG de Verdun au sous-préfet de Verdun no 291, le 6 décembre 1968.
23AD55, 1251W3206, lettre du préfet André Collot à Yves Lancien, le 3 avril 1973.
24ANF, 569AP159, note d’information no 1, le 28 janvier 1971.
25Citoyen, no 23, mars 1971, p. 1.
26Citoyen, no 7, juin 1969, p. 1 et 3.
27AD44, 1944W10, rapport des Renseignements généraux de Loire-Atlantique au préfet de Loire-Atlantique no 522/6586, le 19 mai 1969, et rapport des Renseignements généraux de Vendée au SRRG de Nantes no 346, le 29 mai 1969 ; AD59 1287W67/2, rapport des Renseignements généraux au sous-préfet de Valenciennes no 826, le 9 juin 1969.
28Le Progrès, 7 mars 1973.
29ANF, 569AP/157, livret Le Programme commun socialo-communiste. Est-il sérieux ? Est-il dangereux ? Les CDR répondent, 1973, 66 p.
30ANF, 569AP/159, lettre de Jean Taxil aux adhérents et adhérents CDR du 1er arrondissement de Paris, le 30 décembre 1972.
31AD84, 1396W35, télégramme du préfet du Vaucluse au service régional des Renseignements généraux à Marseille no 407, le 21 décembre 1972 à 17 h 15.
32Action civique, no 1, février 1969 ; AD 29, 1347W11, rapport des Renseignements généraux au préfet du Finistère no 303/277, le 22 mars 1969 ; Le Monde, 4 février 1969.
33AD31, 6212W27, bordereau d’envoi du rapport sur « le “Service d’Action Civique” » du commissaire divisionnaire J.-J. Renucci au directeur central des Renseignements généraux INF/I/1 no 8613, le 17 septembre 1981, et plusieurs docs de la 5769W43.
34Le Monde, 16 à 19 avril 1969 ; La voix de l’Est, 16 et 23 avril 1969.
35Le Monde, 28 février-1er mars 1971.
36Le Monde, 23 avril 1972.
37L’Humanité, 16 avril 1969.
38ANF, 81AS/92, rapport de la réunion du 17 avril 1969 de la fédération nationale de l’UDR, annotée d’une inscription manuscrite « lecture à Mme Eloy ».
39Audigier François, Histoire du SAC. La part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003, p. 411.
40Le Monde, 2-4 avril 1971 ; L’Humanité, 3 avril 1971.
41Le Monde, 5 avril 1971.
42ANF, 569AP/160, communiqué des CDR no 6, le 9 février 1973.
43Témoignage de René Marbot, le 12 février 2020.
44Témoignage de Didier Bierjon, le 10 avril 2020.
45Le Monde, 25 avril 1972.
46AD68, 1452W6, rapport des Renseignements généraux de Mulhouse au préfet du Haut-Rhin no 563/72, le 10 mai 1972 ; ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 6, le 9 février 1973, et communiqué des CDR no 21, le 11 octobre 1974.
47À l’origine, cette analyse vise à expliquer l’entrée en guerre de deux États ou l’éclatement d’une guerre civile. Il s’agit d’une réadaptation au contexte des violences militantes. Braud Philippe, Violences politiques, Paris, Seuil, 2004, p. 82.
48Ibid., p. 161 et 169. Pour la question de la « fascisation » du régime et du gaullisme, se référer au chapitre ix.
49AD38, 7825W35, tract CDR « DEPUIS MAI 68, ÇA N’A PAS VRAIMENT CHANGÉ » de 1972.
50ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 30, le 8 octobre 1973.
51Braud Philippe, Violences politiques, op. cit., p. 131 et 149.
52Ntagteverenis Paschalis, « L’ennemi comme monstre. Une réflexion sur la séparation entre le bien et le mal, à partir d’une analyse des conditions d’émergence et de l’usage symbolique de l’image monstrueuse d’Hitler », Sociétés, no 80, 2003/2, p. 41.
53Témoignages de Jean-Pierre Antoni le 31 janvier 2020, de R. C. le 14 mars 2020, de Jean-Pierre Grand le 4 avril 2020, et de Didier Bierjon le 10 avril 2020.
54Le Monde, 24 mai 1969.
55« Cher ami, En m’assurant, au nom des Comités pour la Défense de la République, de votre volonté de contribuer au maintien de nos institutions et de poursuivre l’œuvre de rénovation nationale menée depuis onze ans, vous-mêmes et Yves Lancien m’avez adressé un témoignage qui m’est particulièrement précieux. Je vous le dis pour que vous en fassiez part non seulement aux membres du comité national des CDR, dont tous deux êtes les interprètes, mais aussi aux très nombreux Comités départementaux qui m’ont, au cours des semaines passées, manifesté directement leur fidélité. Veuillez être auprès de tous l’interprète de mes remerciements et croyez, mon cher ami, à mes sentiments bien cordiaux. » ANF, 569AP/158, lettre du général de Gaulle à Pierre Lefranc, délégué général du Comité pour la défense de la République, le 21 juin 1969.
56Le Monde, 25 avril 1972.
57Maffesoli Michel, La Transfiguration du politique, Paris, La Table Ronde, 3e éd., 2002, p. 139.
58Ibid., p. 31-32.
59Ibid., p. 156 ; Maffesoli Michel, Essais sur la violence. Banale et fondatrice, Paris, CNRS Éditions, 2009, p. 110.
60ANF, 569AP/159, lettre personnelle et confidentielle d’Yves Lancien à Alexandre Sanguinetti, le 25 avril 1973.
61Sofsky Wolfgang, Traité de la violence, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1998, 227 p.
62Simmel Georg, Sociologie et épistémologie, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 116.
63Citoyen, no 10, novembre 1969, p. 6.
64Archives privées, René Marbot, lettre de René Marbot à Maurice Couve de Murville, septembre 1969, lettre de René Marbot à Pierre Clostermann, le 3 octobre 1969, et lettre de Maurice Couve de Murville à René Marbot, le 4 octobre 1969.
65Témoignage de René Marbot, le 12 février 2020.
66Le Monde, 14 octobre 1969.
67Le Monde, 23 et 24 octobre 1969.
68Par exemple, Amaury Lubeck – qui ne manque pas par moments d’exagérer ses propos – assure que la présence d’armes à feu et de gaz lacrymogène parmi les CDR et SAC parisiens est réelle mais peu répandue. Rapport de la commission d’enquête sur les activités du Service d’Action Civique, t. II, Paris, Alain Moreau, 1982, p. 853.
69La violence, textes choisis et présentés par Hélène Frappat, Paris, Flammarion, coll. « Corpus », 2000, p. 218.
70Le Monde, 29 mars 1969.
71Sofsky Wolfgang, Traité de la violence, op. cit., p. 29.
72AD33, 5324W132, note d’information des Renseignements généraux no 583, le 24 juin 1968 ; ANF, 569AP/159, texte du débat sur les événements de Nanterre entre Yves Lancien et Pascal Dorival sur Europe no 1, le 4 mars 1970, p. 2 (Dorival avoue que les militants de l’UNEF ne se sentant pas en sécurité sur certains campus, ils se munissaient d’armes de corps à corps pour se défendre).
73AD38, 6270W27, télégramme du commissaire divisionnaire, commissaire central à Grenoble, à la DGPN, DCSP, DCRG et SRPJ de Lyon, le 18 mars 1972, et télégramme du commissaire divisionnaire du SDRG de l’Isère à la DCRG, en communication au préfet de l’Isère et au SRRG à Lyon no 1288/SG, le 18 mars 1972 ; 7825W35, rapport des Renseignements généraux au préfet de l’Isère no 398/SG, le 18 mars 1972.
74ANF, 569AP/159, directive d’orientation 1973/1974 confidentielle, le 8 octobre 1973.
75ANF, 569AP/158, lettre de Jacques Foccart à Pierre Lefranc, le 27 décembre 1968.
76ANF, 569AP/158, lettre de Pierre Lefranc à Pierre Krieg, le 6 février 1969.
77Par exemple, le responsable CDR Régis Martin échappe à une tentative de meurtre par arme à feu le 2 février 1973 alors qu’il était à son domicile nîmois, l’organisation le médiatise fortement. Citoyen, no 44, avril 1973, p. 4 ; ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 4, le 7 février 1973 ; Le Monde, 4-5 mars 1973.
78Témoignages de Jean-Pierre Antoni, le 31 janvier 2020, de René Marbot, le 12 février 2020 et de Jean-Pierre Grand, le 4 avril 2020.
79Lettre d’Yves Lancien au commissaire principal de Bordeaux, Roger Cobot, le 1er juin 1972, citée dans le deuxième tome du rapport de la commission d’enquête sur le SAC en page 567.
80Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. II, op. cit., p. 243.
81L’Aurore, 13 février 1973.
82AD31, 5769W43, rapport de la SRRG de Toulouse au préfet no 96, le 24 janvier 1973.
83AD31, 5769W43, procès-verbal d’enquête préliminaire de l’adjudant Louis Clos et des gendarmes Jackie Lecubin et Roland Bonnacie de la brigade de Ramonville no 368 le 18 février 1973, procès-verbal d’enquête préliminaire de l’adjudant Louis Clos et des gendarmes Jackie Lecubin et Firmin Coupet de la brigade de Ramonville no 370, le 19 février 1973, lettre du procureur de la République au commissaire central de Toulouse le 26 février 1973, rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 272, le 19 février 1973 ; Sud-Ouest, 20 février 1973 ; La Dépêche du Midi, 29 janvier 1974.
84AD31, 5769W43, rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 24, le 16 janvier 1974, télégramme « extrême urgent » du contrôleur général commissaire central J. Tourne à la DGPN et la DCSP de Paris ainsi qu’à la PFTR de Haute-Garonne no 11010/A/74, le 3 octobre 1974, et rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 1077, le 7 octobre 1974.
85AD31, 5769W43, rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 1298, le 28 novembre 1973.
86AD31, 5769W43, lettre d’Yves Lancien au préfet de la région Midi-Pyrénées et de Haute-Garonne André Chadeau, le 5 avril 1973.
87AD31, 5769W43, notice de renseignements des RG sur André Pastor, le 6 avril 1973, et notice de renseignements des RG sur Paul Maurice Sourou, le 6 avril 1973.
88La Dépêche du Midi, 24 mars 1973 ; Midi Libre, 27 mars 1973.
89ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 14, le 26 mars 1973.
90AD31, 5769W43, rapport « confidentiel » du préfet de la région Midi-Pyrénées et de la Haute-Garonne André Chadeau au ministre de l’Intérieur no 178/CAB-ADM, le 24 mars 1973.
91AD31, 5769W43, rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 341, le 12 mars 1973.
92ANF, 569AP/159, lettre personnelle et confidentielle d’Yves Lancien à Alexandre Sanguinetti, le 25 avril 1973.
93ANF, 569AP/159, lettre d’Alexandre Sanguinetti à Yves Lancien, le 8 mai 1973.
94Voici un échantillon de ces discours ambivalents tirés de plusieurs archives : ANF, 569AP/158, communiqué des CDR, le 6 mai 1969 ; ANF, 569AP/159, communiqué, le 4 mars 1970, et communiqué des CDR-Jeunes no 23, le 22 juin 1973 ; AD69, 4434W247, rapport des Renseignements généraux au préfet du Rhône no 1887, le 5 juillet 1968 ; AD93, 1801W161, tract « De quel côté est donc la violence ? » édité par le Comité d’action civique [CDR] ; Citoyen, no 10, novembre 1969, p. 5.
95Rigouste Mathieu, L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2011, p. 130.
96AD14, 68J514, brouillon « La machine infernale » daté du 12 août 1968, annotations de Pierre Chaunu en page 5 et 6.
97Expression recensée dans le journal Sud-Ouest le 17 mai 1971. Le journaliste Pierre Sainderichin les qualifie quant à lui de « disponibles d’une République musclée ».
98ANF, 569AP/158, circulaire importante et confidentielle no 44, le 14 avril 1969.
99ANF, 569AP/158, « Moyens d’action à envisager », annexe à la circulaire no 43 du 14 avril 1969.
100« Vous pensez certainement comme moi que l’avenir n’est pas dégagé de toutes menaces et les Comités constituent un cadre qui pourrait se révéler d’une grande utilité. » ANF, 569AP/263, lettre de Pierre Lefranc au secrétaire d’État Pierre Dumas, le 7 mars 1969.
101Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. II, op. cit., p. 217 ; Lefranc Pierre, Avec qui vous savez. Vingt-cinq ans aux côtés de de Gaulle, Paris, Plon, 1979, p. 279 ; AD14, 68J514, lettre de Paul Colonge à Pierre Chaunu le 21 juin 1971 ; ANF, 569AP/158, note de Pierre Lefranc à l’attention du général de Gaulle, le 30 septembre 1968, p. 1 ; Citoyen, no 12, janvier 1970, p. 1.
102ANF, 569AP/159, circulaire no 105, le 28 septembre 1970.
103ANF, 569AP/158, rapport du CDR du 6e arrondissement de Paris, le 29 juin 1968, par Michel Pichard, p. 5-6.
104Citoyen, no 19, août-septembre 1970.
105AD68, 2119W2, rapport des Renseignements généraux de Mulhouse au préfet du Haut-Rhin no 509/70, le 4 avril 1970.
106ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 24, le 22 juin 1973.
107Colon David, Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain, Paris, Belin, coll. « Histoire », 2019, p. 13, 15-16 ; Augé Étienne, Petit Traité de propagande à l’usage de ceux qui la subissent, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 12 ; Ellul Jacques, Propagandes, Paris, Economica, coll. « Classiques des sciences sociales », 1990, p. 75.
108Rigouste Mathieu, L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, op. cit. p. 130.
109Audigier François, « Les comités de défense de la République (CDR) et l’Éducation en 1968-1969. Entre combat contre la subversion marxiste et volonté réformiste », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 37, janvier-avril 2019, [https://www.histoire-politique.fr/documents/37/dossier/pdf/HP37_Dossier_FrancoisAudigier_def.pdf] (erreur en 2024)..
110Le Monde, 12 septembre 1968.
111Archives privées, René Marbot, circulaire d’information CDR, été ou automne 1969.
112Témoignages de Jean-Pierre Antoni le 31 janvier 2020, de Jean-Pierre Grand le 4 avril 2020 et de Didier Bierjon le 10 avril 2020.
113Témoignage d’André Fanton le 6 novembre 2018 ; Audigier François, « Le SAC de 1968 à 1974 : une officine de renseignement politique ? », in Sébastien Laurent (dir.), Politiques du renseignement, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Histoire », 2009, p. 109-136.
114Lachaise Bernard, « L’information politique d’un parti : le Rassemblement du peuple français sous la IVe République », in Sébastien Laurent (dir.), Politiques du renseignement, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Histoire », 2009, p. 95-108 ; Muller Bryan, La Fabrique du gaullisme. Militantisme en Midi toulousain sous la IVe République, Toulouse, Presses universitaires du Midi, coll. « Tempus », 2022.
115Témoignages de Michel Anfrol le 21 septembre 2018, d’André Fanton le 29 janvier 2020, et de Jacques Belle le 12 février 2020.
116Belle Jacques, Le 30 mai 1968. La guerre civile n’aura pas lieu, Paris, Economica, 2012, p. 49-53 et 108.
117Expression de Pierre Debizet en décembre 1979 (Rapport de la commission d’enquête sur les activités du Service d’Action Civique, t. II, Alain Moreau, Paris, 1982, p. 431) ; AD06, 177W501, rapport des Renseignements généraux au préfet des Alpes-Maritimes no 902/228, le 13 juin 1969.
118Il y a exactement 9 conflits impliquant des gaullistes en 1968, 11 en 1969, 33 en 1970, 12 en 1971, 4 en 1972, 8 en 1973 et 2 en 1974.
119AD33, 1979/022 20, rapport « confidentiel » du commissaire divisionnaire J. Lagugne-Labarthet, chef du service régional de police judiciaire, au procureur général près la Cour de sûreté de l’État, no 2020, le 17 juillet 1968 ; 5324W132, note d’information des Renseignements généraux no 583, le 24 juin 1968, note d’information des Renseignements généraux no 648, le 18 juillet 1968, note d’information des Renseignements généraux no 656, le 22 juillet 1968, et note d’information « Projet d’étude sur l’action des non-étudiants », le 5 août 1968.
120Le Monde, 22-23 décembre 1968 et 1er janvier 1969 ; Dernières Nouvelles d’Alsace, 21 décembre 1968 ; AD14, 68J514, lettres de Pierre Chaunu au recteur Yves Martin, le 19 décembre 1968 et le 1er janvier 1969 ; ANF, 569AP/158, note circulaire confidentielle no 31, le 30 décembre 1968.
121Citoyen, no 51, janvier 1974, p. 4.
122Poilblan Pierre, Le Cas du CDR du Calvados, Caen, ANA, coll. « Les chemins de la vérité », 1970, p. 90.
123AD14, 68J514, lettre du doyen de Caen à Pierre Chaunu le 9 décembre 1970, et lettre de Pierre Chaunu à Olivier Guichard le 9 décembre 1970.
124Citoyen, no 10, novembre 1969, p. 5 ; AD14, 68J514, deux tracts CDR distribués en janvier 1970 emploient cette expression.
125L’ensemble des témoins reconnaissent l’importance de ces combats nocturnes – particulièrement en période électorale.
126Sohn Anne-Marie, « Sois un homme ». La construction de la masculinité au xixe siècle, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2009, 461 p.
127Témoignage de Jean-Pierre Grand, le 4 avril 2020.
128Témoignage de R. C., le 14 mars 2020.
129Témoignage de Didier Bierjon, le 10 avril 2020.
130Sohn Anne-Marie, « Sois un homme », op. cit., p. 83.
131Guillet François, « Le duel et la défense de l’honneur viril », in Alain Corbin (dir.), Histoire de la virilité, t. II : Le triomphe de la virilité (xixe siècle), Paris, Seuil, coll. « Histoire », 2011, p. 102.
132AD14, 68J514, lettre de Pierre Chaunu à Raymond Aron, le 14 juin 1968 ; Citoyen, no 9, octobre 1969 ; ANF, 569AP/159, lettre d’Yves Lancien aux adhérents, le 15 novembre 1972.
133AD21, 35J9, exposé de Monsieur Yves Lancien, secrétaire général des CDR devant les secrétaires fédéraux de l’UDR le samedi 12 février 1972 à l’hôtel Lutetia.
134Dubasque François et Kocher-Marbœuf Éric, « Introduction », dans l’ouvrage qu’ils codirigent Terres d’élections. Les dynamiques de l’ancrage politique 1750-2009, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2014, p. 17.
135Melchior Hugo, « La Ligue communiste et la question de la violence dans les années 68 : l’exemple de Rennes », in Fanny Bugnon et Isabelle Lacroix (dir.), Territoires de la violence politique en France de la fin de la guerre d’Algérie à nos jours, Paris, Riveneuve, coll. « Violences et radicalités militantes », 2017, p. 80-81.
136Le Monde, 10 et 13 juin 1970.
137Témoignage de Christian Le Moënne, le 16 avril 2018.
138Audigier François, Histoire du SAC. Les gaullistes de choc, 1958-1969, Paris, Perrin, 2021, p. 203.
139Reemstma Jan Philipp, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 2011, p. 105.
140Ibid., p. 97.
141Le Monde, 6-7 octobre 1968.
142Bourdieu Pierre, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, coll. « Libre examen. Politique », 1992.
143Crettiez Xavier, Les Formes de la violence, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2008, p. 7-10.
144ANF, 569AP/159, « Simples remarques sur les manifestations organisées à l’occasion de la loi sur les sursis » par A. Zolla le 20 juin 1973, p. 2-3.
145Près du cinquième des incidents relevés voient les CDR engagés aux côtés du SAC, de la CFT/CSL et de l’UNI. L’AN semble très peu présente.
146Braud Philippe, « La violence politique : repères et problèmes », in Philippe Braud (dir.), La Violence politique dans les démocraties européennes occidentales, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 18-20.
147Dobry Michel, Sociologie des crises politiques : la dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de Sciences Po, 3e éd. revue et augmentée d’une préface inédite, coll. « Références », 2009, p. 126-138.
148Muller Bryan, « Les gaullistes et la violence militante en période électorale (1968-1981). Le cas de “l’anticentrisme” dans le Nord-Est », art. cité, p. 268-270.
149AD93, 1801W165, note « Le Comité de Défense de la République de la Seine-Saint-Denis », le 28 mars 1969.
150ANF, 81AS91, procès-verbal de la réunion du 14 novembre 1968 du comité national provisoire, p. 5-7.
151Le Monde, 24 mai 1969 ; L’Humanité, 23 mai 1969.
152AD67, 1602W37, procès-verbal no RC 2016/73 J 525/73 de Jean Jaquinod à l’inspecteur de police Robert Schwinte le 10 mars 1973 ; déclaration no RC 2016/73 J525/73-1 de Jean-Claude Sobrero à l’inspecteur de police Robert Schwinte, le 10 mars 1973 ; déclaration no RC 2016/73 J525/73-2 d’Emmanuel Bornhauser à l’inspecteur de police Robert Schwinte, le 13 mars 1973 ; déclaration no RC 2016/73 J525/73-3 de Jean-Paul Hickel à l’inspecteur de police Robert Schwinte, le 13 mars 1973 ; audition no RC 2016/73 J525/73-4 de Bernard Geoffroy à l’inspecteur de police Robert Schwinte, le 16 mars 1973 ; rapport du sous-brigadier Raymond Ozanne de la 2e section au commissaire principal, chargé du 5e arrondissement de police, le 10 mars 1973.
153ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 11, le 12 mars 1973.
154La Marseillaise, 14 avril 1970 ; AD84, 1396W34, rapport des Renseignements généraux au préfet du Vaucluse no 366, le 14 avril 1970, et rapport des Renseignements généraux au préfet du Vaucluse no 373, le 15 avril 1970.
155Bantigny Ludivine, « S’engager : politique, événement et générations », in Jean-Jacques Courtine (dir.), Histoire des émotions, t. III : De la fin du xixe siècle à nos jours, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2017, p. 161-162.
156Gascon Roger, La Nuit du pouvoir ou le 24 mai manqué, Paris, Nouvelles Éditions Debresse, coll. « Révolte », octobre 1968, p. 39.
157Ibid., p. 40.
158Braud Philippe, Petit Traité des émotions, sentiments et passions politiques, Paris, Armand Colin, coll. « Les classiques du fonds », 2007, p. 265.
159Ibid., p. 167-168.
160Cotta Michèle, Cahiers secrets de la Ve République, t. III, op. cit., p. 134-135.
161Duclos Jacques, Mémoires, t. VI, op. cit., p. 393-394.
162Sirinelli Jean-François, Les Vingt Décisives. Le passé proche de notre avenir, 1965-1985, p. 137.
163Robert Anne-Cécile, La Stratégie de l’émotion, Montréal, Lux Éditeur, coll. « Lettres libres », 2018, p. 16.
164Sémelin Jacques, « Préface », in Vincent Azoulay et Patrick Boucheron (dir.), Le Mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’antiquité à nos jours, Paris, Champs Vallon, coll. « Époques, collection d’histoire », 2009, p. 15.
165Boucheron Patrick et Robin Corey, L’Exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, débat présenté par Renaud Payre, Presses universitaires de Lyon, coll. « Grands débats : mode d’emploi », Lyon, 2015, p. 58-60.
166Propos rapportés par Dominique Calzi. Chairoff Patrice (alias Dominique Calzi), Dossier B… comme barbouzes, op. cit., p. 119.
167Boucheron Patrick et Robin Corey, L’Exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, op. cit., p. 39.
168Ainine Bilel, Crettiez Xavier, Gros Frédéric et Lindemann Thomas, Radicalisation. Processus ou basculement ?, Paris, Fondation Jean-Jaurès, coll. « Radicalités », 2016, p. 13.
169Heidegger Martin, Être et temps, Paris, Gallimard, 1986, p. 214-217.
170Aldrin Philippe, Sociologie des rumeurs, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 2005, p. 35.
171Foccart Jacques, Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, t. II, op. cit., p. 134-135.
172ANF, 569AP/158, bilan des activités au 25 juin 1968 du CDR du 16e arrondissement de Paris, p. 3.
173Expression employée par Jacques Godfrain lors de son interview le 10 avril 2018. Il estime que « toutes ces rumeurs étaient aussi farfelues les unes que les autres, sans grand intérêt en réalité. Seuls les naïfs y croyaient ».
174Témoignage de Michel Anfrol, le 21 septembre 2018.
175Témoignage de Michel Delignat, le 1er octobre 2018.
176Témoignages de Pascal L’Huillier le 26 octobre 2018, et de Louis-Armand Rongier le 30 octobre 2018.
177Témoignage de Bernard de Gaulle, le 23 novembre 2018.
178Barus-Michel Jacqueline, « Psychologie des crises politiques », in Alexandre Dorna et José Manuel Sabucedo (dir.), Crises et violences politiques, Paris, In Press, série « Petit Traité de psychologie politique », 2006, p. 38-39.
179Colon David, Propagande, op. cit., p. 305-310.
180Morin Edgar, La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, coll. « L’histoire immédiate », 1969.
181Dans son livre, David Colon fait référence aux 1001 conseils pour une élection réalisés par le Centre démocrate en 1967.
182Pozzi Jérôme, « Les rumeurs d’un retour en politique à travers l’itinéraire de quelques leaders de la droite parlementaire (années 1970 à nos jours) », Annales de l’Est, numéro spécial, 2015, p. 291-294.
183La Violence, Textes choisis et présentés par Hélène Frappat, Flammarion, coll. « Corpus », Paris, 2000, p. 20.
184Bantigny Ludivine, Cohen Déborah et Gobille Boris, « Expériences sensibles du politique », Sensibilités, no 7, 2020/1, p. 15.
185Nous avons surligné en gras. Gaïti Brigitte, « Le charisme en partage : mai-juin 68 chez les gaullistes », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008, p. 269.
186Corbin Alain, « Introduction », in Alain Corbin (dir.), Histoire de la virilité, t. II, op. cit., p. 11.
187Bourdieu Pierre, « Sur le pouvoir symbolique », Annales, no 3, 1977/3, p. 405-411.
188Nous avons surligné en gras. Témoignage de Didier Bierjon, le 10 avril 2020.
189Braud Philippe, L’Émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références inédites », 1996, p. 34-35.
190Braud Philippe, Petit Traité des émotions, op. cit., p. 62-65.
191AD14, 68J514, lettre de Pierre Lefranc aux « chers et courageux compagnons », le 30 avril 1969.
192AD54, 2076W3, tract « Au diable la Nouvelle MAJORITÉ avec ou sans LECANUET », 1973.
193ANF, 569AP/159, lettre de Jean Taxil aux adhérents et adhérents CDR du 1er arrondissement de Paris, le 30 décembre 1972.
194AD14, 68J514, communiqué du Syndicat autonome des facultés des lettres le 16 décembre 1970, et lettre de Pierre Chaunu à Olivier Guichard le 9 décembre 1970.
195Heidegger Martin, Être et temps, op. cit., p. 187.
196Braud Philippe, L’Émotion en politique, op. cit., p. 114-115.
197Reddy William, La Traversée des sentiments. Un cadre pour l’histoire des émotions (1700-1850), Dijon, Les Presses du réel, coll. « Œuvres en sociétés », 2019, p. 171-172. L’ensemble des concepts développés par William Reddy sont définis dans ces mêmes pages.
198Chassaigne Philippe, Les Années 1970. Une décennie révolutionnaire, Paris, Armand Colin, coll. « U », 3e éd., 2018, 416 p.
199Blondy Alain, Nouvelle Histoire des idées, Paris, Perrin, rééd., coll. « Tempus », 2018, p. 507-509.
200Citoyen, no 30, décembre 1971, p. 6.
201Des comités tels celui du Calvados y voient « la forme la plus lâche et la plus abjecte de l’assassinat » (AD14, 68J514, brouillon d’un communiqué du CDR du Calvaos, non daté) tandis que certains se montrent favorables à son application de façon limitée (« ultime recours »), à l’instar d’Yves Lancien qui appelle à la dépénalisation de l’avortement et la généralisation de la contraception pour réduire les risques d’avortement (ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 12 décembre 1973). D’autres enfin se montrent très favorables à sa légalisation (ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 19 le 28 juin 1974).
202Citoyen, no 18, août-septembre 1970, p. 8.
203Le Monde, 21 juillet 1968 ; AD14, 68J514, lettre de Pierre Chaunu à Raymond Aron, le 14 juin 1968.
204AD14, 68J514, texte remis aux journalistes lors de la présentation à la presse du bureau de la section Éducation nationale du CDR du Calvados le 19 septembre 1968, et communiqué de création d’un Comité de défense de la République – section Éducation nationale le 25 juillet 1968.
205AD68, 1452W6, rapport des Renseignements généraux de Mulhouse au préfet du Haut-Rhin no 563/72, le 10 mai 1972.
206Bacot Paul, Guide de sociologie politique, Paris, Ellipses, coll. « Optimum », 2016, p. 292.
207Philippe Braud définit le traumatisme politique en ces termes : « Stress durable lié à la mémoire d’un événement émotionnellement douloureux et producteur d’effets politiques ». Braud Philippe, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 6e éd., coll. « Manuels », 2002, p. 657.
208Pompidou Georges, Entretiens et discours, 1968-1974, Paris, Flammarion, 1992, p. 151.
209Bourseiller Christophe, Les Maoïstes. La folle histoire des gardes rouges français, Paris, Plon, 1996, p. 122.
210Cette justification est de plus en plus décrédibilisée entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980. Crettiez Xavier, Les formes de la violence, op. cit., p. 105-106.
211Ainine Bilel, Crettiez Xavier, Gros Frédéric et Lindemann Thomas, op. cit., p. 22.
212Robert Frank, « Imaginaire politique et figures symboliques internationales : Castro, Hô, Mao et le “Che” », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68. Le temps de la contestation, Paris, Éditions Complexe, nouv. éd., coll. « Histoire du temps présent », 2008, p. 35-36.
213Mucchielli Roger, La Subversion, Paris, Bordas, nouv. éd., coll. « Bordas Connaissance », série « Information », 1972, p. 26-27.
214Le Monde, 13 février 1970 et 30 juin 1971 ; L’Humanité, 13 février 1970 ; Gastaut Yvan, « Les bidonvilles, lieux d’exclusion et de marginalité en France durant les trente glorieuses », Cahiers de la Méditerranée, no 69, 2004, p. 236-237.
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