Chapitre X. Les déchirures de la présidentielle de 1974
p. 299-316
Texte intégral
1Alors que le pays est marqué par la disparition soudaine de Georges Pompidou, les CDR craignent le pire. Le Programme commun d’union de gouvernement de la gauche a connu un succès certain lors des élections législatives de 1973, faisant presque oublier la « victoire à la Pyrrhus » (Gilles Richard) des partis de la majorité1. Yves Lancien ne peut ainsi cacher ses inquiétudes auprès des délégués du mouvement : « Puisse Dieu épargner à la France l’aventure2 ! » Dans un communiqué rendu public le 4 avril 1974, le comité national des CDR évoque la nécessité d’écarter « le danger d’une entrée en force des communistes au gouvernement [qui] n’est que trop réel3 ». Il exprime aussi l’espoir que les divisions frappant la majorité cessent rapidement avec l’adoption d’une candidature d’union qui fasse honneur aux présidents de Gaulle et Pompidou.
Le choix de la fidélité gaulliste
2Effectivement, les différentes organisations gaullistes entrent rapidement en désaccord devant les candidatures qui se multiplient. Le 4 avril, soit seulement deux jours après la mort de Georges Pompidou, Jacques Chaban-Delmas trouble une partie de l’opinion publique en se déclarant candidat à l’élection présidentielle4. Sa décision choque également au sein de la famille gaulliste. Ainsi, Marie-France Garaud (qui ne l’appréciait guère) y voit une ignominie à l’endroit du défunt président : « Ce fut comme s’il avait sauté à pieds joints sur le cercueil de Pompidou5. » L’ancien Premier ministre est soutenu par les barons du gaullisme qui l’ont « adoubé » la veille de sa déclaration lors d’un déjeuner6. Toutefois, il n’est pas le seul élu gaulliste à se présenter. Christian Fouchet se lance dans la campagne présidentielle dès le 3 avril7, Edgar Faure lui emboitant le pas le 58. Isolés et en difficultés, les deux hommes finissent par se rallier à Pierre Messmer pour le premier, et à Jacques Chaban-Delmas pour le second. Christian Fouchet indique lors de sa conférence de presse qu’il se rallie finalement au député-maire de Bordeaux par opposition au conservatisme de Pierre Messmer et aux trahisons des gaullistes rebelles ayant rejoint la candidature du libéral Valéry Giscard d’Estaing9. Champion de cette « société conservatrice et technocratique » qu’il qualifie pour sa part de « Société libérale avancée » (en opposition à la « Nouvelle société » chabaniste), il a obtenu le ralliement de 43 ministres et députés gaullistes. À leur tête se trouve Jacques Chirac, alors ministre de l’Intérieur. Il mène à l’intérieur de l’UDR une action visant à éliminer Jacques Chaban-Delmas, non sans être épaulé par les éminences grises de Georges Pompidou, Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Ensemble, ils cherchent à rassembler gaullistes et libéraux autour d’un candidat unique connu pour son conservatisme, Pierre Messmer. Hostile à ce projet, le dernier Premier ministre de Georges Pompidou fini par accepter de se présenter le 9 avril, à condition toutefois que les quatre candidats de la majorité (Chaban-Delmas, Giscard d’Estaing, Faure, Fouchet) cessent de se présenter10. Le refus d’obtempérer des deux principaux candidats de la majorité pousse Pierre Messmer à se raviser. Il se rallie alors au candidat officiel de l’UDR11. Face à ce retrait, le trio Chirac-Garaud-Juillet décide de multiplier les actions de division. Il finit par publier dans le Journal du dimanche du 14 avril 1974 « l’appel des 43 », un texte hostile à la candidature du député-maire de Bordeaux. Dans un article de 2007, Jérôme Pozzi étudie longuement les motivations qui animent le trio et leurs partisans12. Jacques Chirac, Marie-France Garaud et Pierre Juillet éprouvent de l’aversion et de la rancune à l’égard du candidat chabaniste. Ils lui portent trois griefs fondamentaux : il est jugé trop à gauche, irrespectueux des institutions de la Ve République – en tant que Premier ministre, il contestait trop fréquemment l’autorité de l’Élysée au nom de la démocratie parlementaire –, et il incarne le pouvoir des barons du gaullisme – qu’ils désirent abattre afin de renouveler le personnel du parti. Comme si cela ne suffisait pas, les sondages réalisés par les Renseignements généraux (qui seraient truqués selon Jean Garrigues13) donnent Jacques Chaban-Delmas perdant dès le 1er tour. Enfin, les ambitions frustrées de députés suppléants (potentiellement éliminables en cas d’opposition à Chirac) et de députés titulaires ministrables, ainsi que l’espoir quelque peu naïf de frondeurs désireux de démocratiser le fonctionnement interne du parti expliquent ces dissidences.
3Face cette situation désastreuse, les responsables nationaux CDR s’efforcent de rassembler leurs troupes. Ils réunissent les délégués CDR-Jeunes le 6 avril qui se rallient unanimement au député-maire de Bordeaux14. Le surlendemain, les 75 responsables CDR de la région parisienne approuvent le soutien plein et entier à Jacques Chaban-Delmas. Aussi, les responsables nationaux décident le 10 avril, à 20 voix sur 21, de soutenir Jacques Chaban-Delmas « afin de faire barrage à la menace d’instauration en France d’un système bureaucratique et collectiviste15 ». Si les responsables nationaux sont unis derrière le candidat chabaniste, ils ont conscience des divergences qui animent le mouvement et plus largement la famille gaulliste. Le soir de leur ralliement quasi unanime derrière le champion de l’UDR, les responsables nationaux, accompagnés de quelques cadres départementaux, retrouvent l’ensemble des cadres du SAC au Don Camillo, un restaurant-cabaret parisien très fréquenté par les anciens résistants et militants RPF16. À en croire le journal Libération, une partie des cadres départementaux CDR et des responsables du SAC était très divisée sur le candidat qu’il fallait soutenir. Une position soutenue par Jacques Foccart dans ses mémoires17. La tension monte durant toute la soirée avant de dégénérer en bagarre générale. Résultat : 3 militants vont aux urgences, et les responsables se divisent entre trois candidats, le député-maire de Bordeaux ayant toutefois rassemblé la majorité des voix. Ne voulant pas réitérer cette expérience désastreuse, les responsables nationaux CDR décident de réaliser de vastes sondages ciblant leurs adhérents dans les jours qui suivent leur soutien officiel au candidat gaulliste. Les résultats sont sans appel : 20 % des sondés manifestent le souhait de soutenir Valéry Giscard d’Estaing dès le 1er tour18. Afin d’éviter de subir les déchirements qui frappent l’UDR, Yves Lancien s’adresse aux adhérents CDR le 19 avril pour les remercier de leur discrétion – aucun journal n’évoque leurs divisions entre pro-Chaban-Delmas et pro-Giscard d’Estaing – et leur demander de militer (sans forcément voter) pour le compte du député-maire de Bordeaux. Quatre raisons sont invoquées pour motiver cette requête :
la discipline de groupe ;
la certitude que, en dépit des orientations indiquées par les sondages, Jacques Chaban-Delmas reste le meilleur candidat de la majorité ;
la capacité du candidat UDR à « désamorcer [la] bombe » contestataire « socialo-communiste » qui risque d’exploser en cas de défaite de l’union de la gauche ;
la garantie d’une meilleure défense des institutions de la Ve République que les CDR se sont engagés à protéger par l’ancien Premier ministre de Pompidou.
4Afin d’accroître l’adhésion de leurs militants autour de la figure du député-maire de Bordeaux, certains délégués CDR apportent des arguments complémentaires à ceux fournis par la direction nationale. Le projet d’une politique plus sociale semble l’emporter dans ces approches. Par exemple, le délégué CDR de Seine-Saint-Denis Jean-Jacques Damiguet s’adresse à ses adhérents en leur assurant qu’une victoire chabaniste serait synonyme d’une politique économique et sociale humaine19. De son côté, Jean-Pierre Antoni garantit aux militants tarnais que les conditions ouvrières ne pourraient que « s’améliorer avec un gaulliste social pour président20 ». Cette mobilisation des cadres paraît avoir fonctionné, les documents internes au mouvement et la presse n’évoquant aucune contestation interne. Toutefois, celle-ci ne semble pas totalement étouffée puisqu’une liste argumentaire, éditée par le siège national, cible clairement en partie la minorité de militants giscardiens en cherchant à discréditer leur champion ; la direction souhaite les convaincre de s’investir en faveur du député-maire de Bordeaux21. Néanmoins, cette opposition – si elle pouvait se ressentir en interne – ne gêne nullement le bon déroulement de la campagne présidentielle. Aussi, lorsque le comité national appelle le 19 avril les électeurs à soutenir la candidature chabaniste au 1er tour, il s’appuie avant tout sur les émotions. Le message est clair : soutenir Jacques Chaban-Delmas dès le premier tour, c’est s’opposer aux supposées mesures liberticides « socialo-communistes », mais aussi s’assurer du soutien des électeurs giscardiens au second tour autour du candidat gaulliste. L’inverse serait beaucoup plus difficile à obtenir car « l’électorat gaulliste est d’abord un électorat de sentiment et de conviction22 ».
Une campagne difficile à mener pour les CDR
5Aux paroles suivent les actes. Une note directive du 19 avril détaille l’ensemble des dispositions prises par le comité national pour soutenir le candidat chabaniste23. Les CDR s’engagent à médiatiser et encadrer les réunions publiques du candidat gaulliste, en collaboration avec les autres organisations gaullistes. Une liste de ces réunions accompagne la note directive afin que les militants puissent agir rapidement. Sur le plan financier, les comités de soutien à la candidature de Jacques Chaban-Delmas financent une partie des frais engendrés par les activités des CDR. Cette aide est plus que bienvenue, le siège rencontrant des difficultés à rassembler les moyens suffisants pour battre campagne. Grâce à l’apport pécunier des comités de soutien chabanistes, le mouvement parvient à fournir du matériel de propagande varié aux délégués départementaux et d’arrondissements CDR. Des autocollants hostiles à François Mitterrand « J’ai pas confiance » et « Le candidat des communistes » accompagnent des bandeaux présentant Jacques Chaban-Delmas comme un homme fiable, sensible aux questions sociales. Des affiches alimentant la peur du communisme, avec la promesse d’une dictature soviétique en cas de succès de l’union de la gauche, sont produites24. Elles sont accompagnées d’un jeu de cartes à jouer original représentant les candidats à la présidentielle (le joker CDR, l’as Chaban-Delmas, le valais Mitterrand et le roi Marchais). Des tracts humoristiques, réalisés par Jean-Marie Vissouze, assurent que Georges Marchais et François Mitterrand manipulent la population par des promesses irréalisables et lui réserve une descente aux enfers. Dans « Vacances 74 », « le Club Mitterrandamné » (l’union de la gauche) promettrait une utopie qui se solderait rapidement par un pays ruiné. À l’inverse, le tract « Votre Assurance Tous Risques » garantit que le soutien à Jacques Chaban-Delmas est le seul moyen « d’empêcher les communistes d’entrer en force au gouvernement25 ». Ces attaques répétées à l’égard de François Mitterrand et ses alliés s’expliquent par le risque, de plus en plus grand, d’une victoire « socialo-communiste » dès le premier tour si l’on en croit des sondages publiés dans la presse, couplés à une défaite grandissante du candidat gaulliste26. Pour Yves Lancien, il est crucial que le mouvement évite ce scénario. François Mitterrand élu avec l’aide du PCF serait tributaire de celui-ci, un parti autoritaire, politiquement intolérant et liberticide. Il obtiendrait probablement une majorité parlementaire en cas de dissolution de l’Assemblée nationale, offrant le pouvoir au « parti de Moscou » qui n’aurait plus qu’à s’emparer (de gré ou de force) du pouvoir en place, comme ce fut le cas dans tous les pays où une coalition entre socialistes et communistes l’avaient emporté par les urnes27. Les chances que les communistes et leurs alliés objectifs supposés (les gauchistes) ne s’emparent pas du pouvoir sont très minces, voire inexistantes. Mais comme pour pallier ce scénario, Jean-Marie Vissouze (responsable de la propagande des CDR) explique longuement qu’un gouvernement majoritairement socialiste ne peut qu’être voué à l’échec, comme ce serait le cas depuis longtemps en Suède, en Norvège, au Danemark et en Angleterre28. Par conséquent, la coalition « socialo-communiste » serait vouée à l’échec par son essence même, celle du marxisme.
6Ces arguments n’ont rien d’innovant, ils sont déjà utilisés par les gaullistes d’opposition sous la IVe République29. L’UDR porte un discours similaire depuis la signature du Programme commun de la gauche en 1972, tout comme les organisations du gaullisme d’ordre telles que le SAC et l’UNI. Ce qui est inédit, c’est le style graphique développé en juin 1968 par les CDR. Cette refonte iconographique d’un discours désormais trentenaire s’avère toutefois moins efficace qu’attendu par l’organisation. Il faut dire que l’opinion publique est moins effrayée par la présumée « subversion marxiste » à l’œuvre, la crise économique étant d’actualité. En effet, la France est touchée de plein fouet par le premier choc pétrolier : le taux de chômage augmente subitement – et est ressenti encore plus fortement par la population –, les prix du pétrole augmentent, affectant grandement les automobilistes30, le PIB de l’économie française chute soudainement de 3 %31. Or, la propagande gaulliste – et plus encore des CDR – se focalise avant tout sur la peur du « rouge ». Les questions socioéconomiques ne sont soulevées qu’occasionnellement, surtout dans le but d’offrir un visage plus chaleureux au député-maire de Bordeaux qui a souffert d’une série de scandales financiers et immobiliers lorsqu’il était à Matignon32. L’obsession de la « subversion marxiste » se nourrit des évolutions de l’actualité internationale. En janvier 1974, la Yougoslavie est l’objet d’une enquête du journal Le Monde sur les épurations massives dans les milieux journalistiques et universitaires de la fédération communiste au nom d’un retour « à la pureté marxiste33 ». La « Révolution des œillets », qui survient au Portugal le 25 avril 1974, est également un facteur de déstabilisation en Afrique. Les anciennes colonies (Angola, Guinée-Bissau, Mozambique) sont marquées par de violents tumultes politiques – les « révolutionnaires » (indépendantistes) locaux sont soutenus par l’URSS34. Les CDR sont très discrets lors de l’élection à ce sujet, ce qui ne les empêche pas d’en discuter entre eux35. Le message se veut simple et frappant, capable de marquer les esprits. Par exemple, le mot d’ordre « LE MARXISME NE PASSERA PAS [sic] » est accompagné d’une liste du présumé futur gouvernement « socialo-communiste » en cas de succès de François Mitterrand36. On y voit les communistes tenir des ministères essentiels : le Travail (où la CGT et la CFDT dominent), l’Éducation nationale (idéal pour « endoctriner la jeunesse »), les PTT (pour contrôler les communications), les relations avec le Parlement (pour neutraliser les oppositions), les Affaires culturelles (autre lieu idéal pour « endoctriner » l’ensemble de la population), l’Équipement-Logement (symbole avec les usines de l’application du collectivisme dans le quotidien des Français) et la Réadaptation (tout serait dans le nom). Le PSU, allié « gauchisant » du PS et du PCF, disposerait quant à lui des Affaires économiques (avec la capacité de frapper directement dans le portefeuille des entreprises et des citoyens) et la Coopération/aide au Tiers-monde (lieu de tant de « révolutions » à l’œuvre). Cet exemple illustre l’esprit de la direction. Elle se veut avant tout offensive, privilégiant l’attaque des adversaires du candidat chabaniste au détriment de la promotion d’un programme politique.
7Ainsi, les CDR s’en prennent occasionnellement au principal rival de Jacques Chaban-Delmas. Yves Lancien ressort d’anciens « dossiers » sur Valéry Giscard d’Estaing pour les publier dans une lettre ouverte adressée aux journaux. À l’instar d’une partie de l’UDR et des « gaullistes orthodoxes », il y développe l’idée que le candidat libéral est illégitime dans sa candidature à l’élection présidentielle car il a condamné le gouvernement Pompidou le matin même de la manifestation du 30 mai 1968 (Le Monde, 31 mai 1968), puis il a trahi le général de Gaulle en avril 196937. Citoyen se montre plus ambigu, tantôt en tournant en dérision Giscard d’Estaing (qui aurait préféré prier pour le salut de la France le 30 mai au lieu de se battre pour la « sauver »), tantôt en appelant les militants à voter pour lui au second tour en cas de défaite chabaniste avant même que les résultats du premier tour ne soient connus38. Cette position équivoque se comprend aisément par la situation dans laquelle se retrouvent les CDR. Théoriquement, le mouvement est transpartisan et, par conséquent, ne doit pas s’aligner sur un seul parti politique. C’est pourquoi il doit tenir compte de sa minorité giscardienne, malgré la surreprésentation gaulliste dans ses rangs (et son exclusivité dans la direction nationale depuis mars-avril 1973). De plus, l’influence indéniable de l’UDR sur l’organisation de Pierre Lefranc (qui est un « gaulliste orthodoxe ») et Yves Lancien a sûrement contribué au discours un tant soit peu ambigüe à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing, une minorité (avant tout opportuniste) des cadres et militants UDR s’étant officiellement ralliée au ministre de l’Économie. La direction ne prend véritablement au sérieux les problèmes socioéconomiques que dans les derniers jours du premier tour électoral. Le 25 puis le 29 avril, le comité national s’adresse aux trois principaux candidats, à savoir Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, pour connaître les solutions qu’ils envisagent face à la crise pétrolière, à la montée de l’inflation, à « l’agitation sociale inéluctable » promise par Edmond Maire (responsable de la CFDT), mais aussi leurs politiques étrangères et institutionnelles39. Sans réelle surprise, la direction est convaincue par les réponses apportées par Jacques Chaban-Delmas. Un candidat qui fait des émules au sein du mouvement (en omettant la minorité giscardienne). Yves Lancien s’émeut de voir les gaullistes conservateurs (Debré, Malraux, Fouchet, Jobert, Couve de Murville) et progressistes (Duhamel, Fontanet, Grandval, Billotte, Boutbien) à ses côtés. Il y « retrouve la présence et l’action du gaullisme » et la réforme sociale « qui fut entreprise en 1940 et reprise en 195840 ». Le comité national n’a jamais caché sa sympathie pour l’ancien Premier ministre de Georges Pompidou, le défendant face aux scandales et saluant sa politique sociale41. À l’instar des jeunes de l’UJP42, les cadets CDR adulent le député-maire de Bordeaux, véritable champion du gaullisme et des aspirations de la jeunesse. Patrick Wattrin, qui succède en 1974 à Jean-Pierre Grand pour la direction des CDR-Jeunes, reconnaît l’admiration que portaient les jeunes militants au candidat UDR43. Didier Bierjon se souvient que les cadets « avai[en]t un lien affectif avec Chaban », lien qui serait en partie dû au « soutien fervent de Jean-Pierre Grand » pour le candidat gaulliste44. Un activisme chabaniste qu’assume l’intéressé, fier d’avoir pu former une alliance avec l’UJP et les cadets du SAC lors de l’élection présidentielle pour améliorer l’efficacité des militants des deux organisations sur le terrain45.
8L’approche des résultats du premier tour semble provoquer une perte de confiance dans le succès de Jacques Chaban-Delmas. Yves Lancien s’adresse aux délégués CDR le 29 avril pour leur assurer qu’il ne fallait pas se fier aux sondages, ceux-ci s’étant souvent trompés par le passé lors d’élections majeures : de Gaulle était donné vainqueur dès le premier tour en 1965, le référendum d’avril 1969 aurait dû voir le « oui » l’emporter au départ, Alain Poher aurait pu vaincre Pompidou selon les premiers pronostics, l’union de la gauche devenir majoritaire à l’Assemblée nationale en 197346. Il appelle donc les militants à se « battre jusqu’à l’ultime minute pour placer Jacques Chaban-Delmas le 5 mai en position d’affronter et de vaincre François Mitterrand au deuxième tour. » Le secrétaire général du mouvement paraît davantage ici dans le déni que la conviction. Il se montre anxieux tout au long de la campagne présidentielle47, et réalise un revirement le 30 avril avec la rédaction d’une circulaire ordonnant le ralliement à Valéry Giscard d’Estaing au second tour afin de « faire barrage au collectivisme48 ». Ce choix est d’autant plus important que son auteur reconnaît que la défaite chabaniste (qui n’a pas encore eu lieu) tournerait une page de l’histoire du mouvement. Il admet également que certaines craintes peuvent être éprouvées à l’égard des libéraux, ceux-ci manifestant la volonté de modifier les institutions de la Ve République. Ses appréhensions s’appuient sur les déclarations de Jean Lecanuet, responsable du Centre démocrate, qui prévoit la restauration de la proportionnelle, l’abandon de la Participation et le changement de la politique extérieure française49. Néanmoins, l’opposition à la menace « socialo-communiste » prime, les institutions étant pour l’heure secondaires face au danger marxiste. Aussi, la défaite retentissante de Jacques Chaban-Delmas et l’excellent score de François Mitterrand entraînent déception et alarmisme dans les rangs du mouvement50.
Tableau 8. – Résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 1974 (L’Express, 7 mai 1974).
Principaux candidats | François Mitterrand | Valéry Giscard d’Estaing | Jacques Chaban-Delmas |
Résultats du 5 mai 1974 | 43,25 % | 32,60 % | 15,11 % |
Tableau Bryan Muller.
9Rassemblé le 6 mai, le comité national rend un bref hommage au candidat gaulliste, avant de lancer un appel d’union nationale pour défendre la Ve République « afin de préparer les voies à un véritable recours démocratique si le pays venait à connaître de graves difficultés51 ». La tâche semble compliquée. Les responsables nationaux ont conscience que nombre de militants reprochent à Valéry Giscard d’Estaing ses « trahisons » passées et certaines de ses idées politiques52. Ils savent également que des difficultés similaires apparaissent dans la majorité des organisations gaullistes pour les mêmes raisons. Ils recommandent par conséquent d’axer le discours adressé aux adhérents sur la garantie de préservation des libertés en cas de succès giscardien (en plus de l’antimarxisme), et de ne pas évoquer les rancunes qui animent les gaullistes et les libéraux53. Le comité national estime d’ailleurs que ce sont les divisions au sein de la famille gaulliste et entre partis politiques de la majorité gouvernementale qui ont causé la perte du député-maire de Bordeaux. Les raisons de la défaite chabaniste sont « les dissensions publiquement étalées, les insuffisances de la campagne en face de deux adversaires extrêmement brillants, l’effet d’entraînement des sondages et la portée du slogan “État-UDR”54 ».
10Sous l’impulsion de Pierre Messmer et Jacques Chirac, l’UDR entame le second tour aux côtés de Valéry Giscard d’Estaing. Le ministre de l’Intérieur et père de l’« appel des 43 » profite de sa position pour mobiliser l’ensemble des préfets en faveur du candidat libéral55. Le SAC décide, non sans difficulté, de soutenir le ministre de l’Économie en encourageant les militants à « faire campagne contre Mitterrand56 ». À l’instar de l’UDR et du SAC, la campagne électorale des CDR invite les électeurs et les adhérents à soutenir Valéry Giscard d’Estaing au second tour pour éviter au pays l’expérience de « l’aventure collectiviste ». Un article, intitulé « d’abord la liberté », est diffusé dans plusieurs journaux locaux et régionaux. Il y dénonce la tentative des communistes de séduire les électeurs chabanistes déçus et encourage au contraire ces mêmes électeurs à s’opposer à François Mitterrand57. Les enjeux sont tels que des tensions sont palpables chez les militants, ce qui incite la direction à insister dans sa directive du 8 mai 1974 à « éviter tout incident » pour ne pas donner d’arguments supplémentaires aux « socialo-communistes » contre les partis de la majorité. Cependant, les divisions au sein du mouvement ne sont pas aussi élevées que dans le SAC et l’UDR, probablement parce que la principale préoccupation des CDR n’est pas de faire élire un gaulliste, mais de veiller autant que possible à la préservation des institutions de la Ve République et d’empêcher les « subversifs » de s’emparer du pouvoir. En ce sens, le mouvement est plus proche du pragmatisme électoral de la CFT et de l’UNI. La première avait soutenu le député-maire de Bordeaux et se regroupe désormais derrière Valéry Giscard d’Estaing sans le moindre scrupule58, la seconde l’avait rejoint dès le premier tour au nom du pragmatisme électoral (et d’un rejet du chabanisme) malgré son rattachement officieux au gaullisme59. Les responsables CDR adoptent donc une posture proche de celle du syndicat indépendant, tout en prenant en considération l’émoi qu’a suscité la défaite chabaniste dans ses rangs.
11Lors du second tour, les CDR mobilisent toujours l’image de l’inéluctabilité d’une dictature communiste en cas de succès de François Mitterrand. L’idée développée par l’organisation est simple : le 19 mai, les électeurs devront trancher entre deux modèles de société antinomiques (collectiviste ou libérale60). Les « socialo-communistes » imposeraient un régime fondé sur le modèle soviétique et donc, par nature, oppressif et liberticide. Ils seraient soutenus par des spéculateurs voulant « jouer avec le franc » et les « syndicats les plus politisés », les premiers désirant s’enrichir au détriment de la population, les seconds veillant à ce qu’une victoire giscardienne puisse être contestée (voire « annulée ») par la rue61. Encore une fois, l’essentiel des arguments mobilisés n’a rien d’original avec le discours développé depuis la naissance du mouvement. Les « spéculateurs » continueraient de conspirer en faveur des « subversifs » pour leurs intérêts, les syndicats resteraient des agents fidèles du parti communiste et des organisations gauchistes. Un air de conspiration anti-Ve République plane toujours dans les accusations CDR. L’évocation de cette menace constante que représenteraient ces agents subversifs aux origines diverses permet également au comité national de justifier son ralliement spontané à Valéry Giscard d’Estaing, qui incarne désormais l’unique rempart (électoral) entre le régime en place et « l’aventure » marxiste. Ce soutien permet aussi aux CDR de préparer le terrain pour leur avenir, conscients que la défaite chabaniste va tout chambouler : « Ils [les CDR] le feront sans rien renier, puisqu’ils sont résolus dès le 20 mai en tant que partenaires loyaux au sein de la nouvelle majorité présidentielle, à affirmer leur personnalité et à défendre leurs idéaux62. » Toutefois, les questions sociales ne sont pas oubliées et vont même être davantage mises en avant qu’en avril63. Des affiches tournées vers les questions de la politique internationale, monétaire, énergétique et sociale du futur président de la République sont produites et distribuées prioritairement aux délégués CDR qui souffriraient d’un manque de matériel de propagande64. Les sondages annonçant une victoire serrée de l’un ou l’autre candidat accroissent les tensions internes au mouvement. Les hommes craignent à tout moment une victoire du programme de gouvernement d’union de la gauche. Le bulletin interne Citoyen ne cache pas ces craintes ; au contraire, il affiche des préoccupations sérieuses à ce sujet – l’éditorial d’Yves Lancien en première page y est édifiant65. S’il s’agit en partie d’une posture cherchant à inciter les militants à se battre désormais tous ensemble derrière le candidat libéral, il ne faut pas minimiser pour autant la peur ressentie par la direction du mouvement. Jacques Foccart évoque dans ses mémoires la venue du secrétaire général des CDR dans son bureau pour y manifester ses préoccupations le 13 mai : « Guéna vient me faire part de son inquiétude de voir passer Mitterrand ; avec Lancien, c’est la même chose66. » Des militants amers refusent de soutenir celui qui a abandonné plus d’une fois par le passé le général de Gaulle, à l’instar de Jean-Pierre Grand qui préfère s’abstenir au second tour que de donner sa voix à un « traître67 ». Cette opinion semble partagée par une minorité non négligeable de l’électorat chabaniste (environ 20 %), sensible aux questions sociales et aux appels du pied lancés par les socialistes et les communistes68. Elle l’est également par des gaullistes hostiles à Valéry Giscard d’Estaing, qui vont parfois privilégier le vote Mitterrand plutôt que l’abstention pour manifester leur opposition au ministre de l’Économie69.
12La campagne de séduction menée par les socialistes et les communistes ainsi que les défections de militants et électeurs gaullistes permettent à François Mitterrand de menacer sérieusement la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. Néanmoins, ce dernier finit par l’emporter le soir du 19 mai 1974, devenant ainsi le troisième président de la Ve République. La campagne électorale s’est avérée assez intense pour les militants de tous bords, à l’exception de certaines organisations comme les CDR.
Une violence militante d’assez basse intensité pour une présidentielle désunie
13Élection aux enjeux cruciaux, la présidentielle de 1974 a suscité d’énormes attentes parmi les électeurs et militants socialistes et communistes. De leur côté, les gaullistes et les libéraux ont éprouvé des difficultés. Leurs divisions les ont grandement desservis, tandis que les chances d’une victoire « socialo-communiste » ont augmenté au fil des semaines. Aussi, les militants gaullistes ont été parfois plus prompts à faire preuve de violence. Pour autant, il ne faut pas amalgamer les différentes organisations qui composent la famille gaulliste. Le SAC et la CFT paraissent plus violents que l’UNI et les CDR. Du moins, après de longues recherches, il n’a été possible de relever que 24 incidents impliquant des gaullistes. Aucun n’évoque l’UNI, et seuls quatre attestent une implication des CDR. Pour le reste, il s’agit soit d’organisations alliées (principalement le SAC et la CFT donc), soit de militants gaullistes dont l’appartenance à un groupe ou un autre est difficile à établir. À partir de l’ensemble de ces données, il est possible de constater que les gaullistes sont les agresseurs dans un peu plus de la moitié des affaires : ils sont responsables de 13 incidents contre 7 qu’ils subissent, les quatre derniers sont insuffisamment renseignés pour pouvoir établir les responsabilités de chacun. Les incidents se concentrent majoritairement autour de deux périodes, du 24 au 30 avril puis du 14 au 18 mai. Cela correspond au recul progressif de Jacques Chaban-Delmas dans les sondages (période 1) puis des jours précédant le vote du second tour (période 2), les violences étant toujours plus importantes en fin de campagne (fig. 16).
Figure 16. – Évolution des incidents impliquant des gaullistes lors de la campagne présidentielle de 1974.

Graphique Bryan Muller.
14Il y aurait donc ici un effet de panique perceptible chez les gaullistes, même s’il ne faut pas surinterpréter les données. Bien qu’il soit possible d’expliquer la faiblesse de ces chiffres par le poids immense que prennent les débats télévisés lors de la campagne70, ils n’en demeurent pas moins trop limités pour pouvoir apporter un éclairage suffisamment pertinent. Dans cet ensemble, les CDR jouent un rôle mineur. Le 5 puis le 9 avril, ils sont accusés par la CFDT et soupçonnés par les forces de l’ordre d’avoir fait exploser la librairie d’extrême gauche « Soleil Noir » à Lyon et l’Union interprofessionnelle de base (UIB, toujours à Lyon) aux côtés du SAC71. Le 25 avril, des militants CDR et JCR s’affrontent dans les rues de la capitale. Alain Krivine accuse les CDR d’avoir attaqué ses militants alors qu’ils collaient des affiches72. Le comité national dément formellement ces accusations. Il précise que ses hommes ne faisaient que coller des affiches mettant en garde « les électeurs contre les périls de la société collectiviste et l’entreprise du parti communiste » lorsqu’ils auraient été agressés73. Enfin, le 30 avril à 6 heures, des CDR-Jeunes sont passés à tabac par des colleurs d’affiches de François Mitterrand dans le 9e arrondissement de Paris. Trois cadets sont blessés, ce qui contraint le comité national à porter plainte74. Ces quatre incidents démontrent une implication accrue des CDR lors du premier tour de l’élection présidentielle, aucun autre ne pouvant leur être imputé durant le second tour. Il est possible d’en déduire que le mot d’ordre du 8 mai « éviter tout incident75 » a bien été respecté par les militants. La mésentente qui pouvait régner entre certaines antennes départementales CDR et UDR a pu entraîner la démobilisation d’une partie des militants, comme c’est le cas en Côte-d’Or76. La faible mobilisation réduirait alors les risques d’un affrontement entre militants issus de groupes adverses. La perte de motivation pour faire campagne en faveur de Valéry Giscard d’Estaing peut aussi expliquer la moindre implication des CDR dans les affrontements militants et ce, malgré une propagande anxiogène. Le SAC et la CFT sont impliqués dans la plupart des incidents, de façon plus ou moins certaine. Les appellations de « service d’ordre » et de « colleurs d’affiches de Jacques Chaban-Delmas » peuvent prêter à confusion, les CDR pouvant tout à fait répondre à ces qualificatifs. Néanmoins, la primauté du SAC dans le domaine de la protection des meetings organisés par l’UDR tend à attribuer les faits liés au SO du candidat chabaniste à l’organisation de Pierre Debizet et Jacques Foccart.
Tableau 9. – Incidents impliquant le SAC et la CFT lors de la campagne présidentielle de 1974.
Organisations | Date | Lieu | Type de violence | Conséquences |
SAC contre LCR | 24 avril (soir) | Beauchamps | Agression avec arme à feu | Serge Marjolet condamné à 2 mois de prison ferme et 1 900 F de dommages et intérêts |
SO (SAC ?) contre « Action jeunesse » | 29 avril | Villeneuve-sur-Lot | Tentative d’obstruction et agression | Aucune plainte. Presse locale évoque les faits |
SAC contre Gabriel Machu (civil) | 30 avril (0 h 40) | Lille | Agression | Machu blessé. Plainte déposée |
CFT contre CGT | 30 avril (15 h 40) | Poissy | Agression et vol | Plainte déposée |
CFT et CGT | 3 mai | Chanteloup | Affrontement | - |
CFT contre CGT | 3 mai | Poissy | Agression | 2 cégétistes blessés |
PS ou PCF contre SAC | 15 mai (env. 1 h 30) | Lille | Agression | - |
Colleurs d’affiches pour Giscard d’Estaing (SAC ?) et colleurs d’affiches de Mitterrand | 17 mai | Villeneuve-sur-Lot | Affrontement et coups de feu factices (pistolet d’alarme) | 3 blessés. 1 pistolet d’alarme saisi. Plaintes réciproques posées pour violences légères. |
SAC et colleurs d’affiches pour Giscard d’Estaing | 17 mai | Nancy | Affrontement | - |
Colleurs d’affiches (SAC ?) contre PS | 18 mai (nuit) | Valenciennes | Agression et dégradation | 1 PS gravement blessé (1 mois d’ITT) et voiture dégradée |
Tableau Bryan Muller.
15Un autre élément permettant d’expliquer la maîtrise des militants CDR durant la campagne présidentielle pourrait être l’encadrement plus strict de la base militante par la direction, doublé d’une volonté d’éviter tout scandale – le souvenir de « l’affaire de la fusillade de Toulouse » survenue en mars 1973 n’est pas loin, les militants du SAC et des CDR sont condamnés sous le joug de la « loi anticasseurs » le 15 janvier 197477. Le 17 avril, le comité national exige de ses délégués départementaux (et d’arrondissements parisiens) de dresser un compte-rendu d’opération. Il est demandé explicitement aux cadres locaux de décrire l’ensemble des actions de propagande menées sur le terrain et leur déroulement78. Le 25 avril, une note de service est dressée par le secrétaire général du mouvement pour rappeler aux militants qu’aucun incident ne serait toléré, le mouvement condamnant toute action violente. Il indique toutefois qu’en cas d’agression subie, les militants pourraient bénéficier d’une assurance spécialisée prise par le comité national pour l’ensemble de la période électorale79. Le contrôle du comité national sur les militants et cadres locaux s’en voit accru car, pour pouvoir bénéficier de cette assurance, les délégués CDR doivent tenir un cahier (avec mention nominative des adhérents et sympathisants de leur antenne) où serait recensé « tout incident avec témoignage à l’appui » suivi d’un « premier compte rendu d’une estimation chiffrée des dommages » et blessures. La consigne est donc très claire : pour être protégés par la direction, les militants doivent se plier à des règles strictes – déjà amorcées lors des élections législatives de 1973, elles sont davantage poussées ici. L’ordre et la transparence à l’égard des cadres nationaux doivent primer, alors qu’une grande liberté d’action était privilégiée lors des campagnes électorales précédentes. La peur d’un scandale est également présente, ce qui explique ces rappels plus fréquents à la prudence et au respect des lois. Pourtant, la direction se montre parfois contradictoire dans ses instructions. Trois jours avant cette note de service, le responsable parisien Henri Josseran, chargé des opérations de propagande pour l’élection présidentielle, publie une circulaire paradoxale. Il met les délégués CDR sous pression en insistant sur la nécessité « de faire un effort maximum jusqu’au 5 mai » pour barrer la voie aux marxistes80. Pour assurer la victoire chabaniste, Josseran précise qu’il met en place une équipe spéciale de colleurs d’affiches pour soutenir les équipes départementales et d’arrondissements de la région parisienne. Cette équipe serait sous le contrôle d’Henri Josseran, de Didier Bierjon (alors responsable des CDR-Jeunes d’Île-de-France) et de Yann Catchou, chargé de mission CDR-Jeunes pour la propagande. La circulaire indique que la priorité de cette équipe spéciale est de soutenir l’action de propagande dans « les grandes artères et les points les plus difficiles ». Les membres de cette équipe semblent être avant tout des cadets parisiens et/ou franciliens, ce qui expliquerait les deux incidents survenus en avril dans la capitale. D’autres ont très certainement dû avoir lieu, mais ils n’ont laissé aucune trace archivistique.
⁂
16Relativement peu divisés durant la campagne présidentielle, les CDR ne souffrent guère des divisions qui marquent la plupart des organisations gaullistes. Engagés activement derrière la candidature de Jacques Chaban-Delmas, ils parviennent à faire taire la minorité giscardienne qui se trouve dans ses rangs afin de soutenir avec énergie le favori des responsables nationaux. La défaite chabaniste dès le premier tour provoque un changement dans l’engagement militant. Déjà peu violents durant le premier tour, les CDR vont perdre en efficacité et ne plus se faire remarquer par les médias. Le ralliement immédiat à Valéry Giscard d’Estaing au nom de la lutte contre la « subversion marxiste » ne séduit pas une base militante majoritairement hostile au ministre de l’Économie. De fait, l’investissement de l’organisation n’est pas à la hauteur de ses capacités. Bien qu’officiellement, les CDR soient attachés à la majorité et aux institutions de la Ve République, la perte de l’Élysée par les gaullistes va provoquer la décrépitude d’un mouvement bien plus gaulliste qu’il ne veut le faire croire.
Notes de bas de page
1Richard Gilles, « Les élections législatives de mars 1973 : victoire à la Pyrrhus des gaullistes et renforcement de la bipolarisation politique », art. cité, p. 185-193.
2ANF, 569AP/159, lettre d’Yves Lancien aux délégués CDR, le 3 avril 1974.
3ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 8, le 4 avril 1974.
4Jaffré Jean, « L’échec de Jacques Chaban-Delmas à l’élection présidentielle de 1974 », in Bernard Lachaise, Gilles Le Béguec et Jean-François Sirinelli (dir.), Jacques Chaban-Delmas en politique, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 318.
5Garaud Marie-France, La fête des fous. Qui a tué la Ve République ?, Paris, Plon, 2006, p. 103.
6Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. V, op. cit., p. 588-589.
7Le Monde, 16 avril 1974.
8L’Est Républicain, 6 avril 1974.
9Conférence de presse de Christian Fouchet tenue le 15 avril 1974. Journal télévisé de 20 h diffusé sur l’ORTF le 15 avril 1974, [https://www.ina.fr/video/CAF94073967].
10Messmer Pierre, Après tant de batailles. Mémoires, Paris, Alban Michel, 1992, p. 419.
11L’Express, 6 mai 1974.
12Pozzi Jérôme, « L’appel des 43 et le mouvement gaulliste : manœuvre politique, relève générationnelle et fronde des “godillots” », Parlement[s], no 7, 2007/1, p. 109-120.
13Jacques Chirac n’hésite pas à orchestrer une « fuite » en faisant publier les sondages des RG dans le JDD du 21 avril 1974. Garrigues Jean, « La détérioration de l’image de Jacques Chaban-Delmas (1971-1974) », in Bernard Lachaise, Gilles Le Béguec et Jean-François Sirinelli (dir.), Jacques Chaban-Delmas en politique, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 310.
14ANF, 569AP/159, lettre d’Yves Lancien aux délégués CDR, le 11 avril 1974.
15ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 9, le 11 avril 1974.
16Libération, 12 avril 1974.
17Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. V, op. cit., p. 597-612.
18ANF, 569AP/159, lettre d’Yves Lancien aux délégués CDR, le 19 avril 1974.
19ANF, 569AP/159, lettre de Jean-Jacques Damiguet aux adhérentes et adhérents de Seine-Saint-Denis, le 16 avril 1974.
20Témoignage de Jean-Pierre Antoni, le 12 février 2020.
21ANF, 569AP/159, argumentaire, le 23 avril 1974.
22ANF, 569AP/159, circulaire no 14, le 19 avril 1974.
23ANF, 569AP/159, note de service « directives pratiques pour la campagne », le 19 avril 1974.
24Il s’agit des affiches suivantes : « La rose et le poing », « Demain, il sera trop tard », « L’otage du PC » et « En avant… marx ! ».
25Tract distribué les 29 et 30 avril 1974 dans les boîtes aux lettres des électeurs, par exemple dans l’agglomération grenobloise. AD38, 7825W10, rapport des Renseignements généraux au préfet de l’Isère no 557/MD, le 30 avril 1974.
26Le Monde, 24 avril 1974 ; Libération, 26 avril 1974 ; Le Figaro, 26 avril 1974.
27ANF, 569AP/159, argumentaire le 23 avril 1974.
28Citoyen, no 54, avril 1974, p. 2-3.
29Girard Pascal, « Le gaullisme d’opposition au miroir de la haine politique, 1947-1954 », in Marc Deleplace (dir.), Les Discours de la haine. Récits et figures de la passion dans la Cité, Lille, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2009, p. 287-305.
30Extrait du journal télévisé de 13 h le 11 janvier 1974. Reportage diffusé sur l’ORTF le 11 janvier 1974, [https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000423/les-consequences-du-premier-choc-petrolier-pour-les-automobilistes.html].
31Berstein Serge et Milza Pierre, Histoire de la France au xxe siècle, t. III : 1958 à nos jours, Paris, Perrin, édition augmentée, coll. « Tempus », 2009, p. 343.
32Garrigues Jean, « La détérioration de l’image de Jacques Chaban-Delmas (1971-1974) », art. cité, p. 301-311.
33Le Monde, 19 janvier 1974.
34Arkhangelskaya Alexandra, « Le retour de Moscou en Afrique subsaharienne ? Entre héritage soviétique, multilatéralisme et activisme politique », Afrique contemporaine, no 248, 2013/4, p. 61-74.
35Témoignages de Jean-Pierre Antoni le 31 janvier 2020, et de René Marbot le 12 février 2020.
36Citoyen, no 54, avril 1974, p. 4-5.
37ANF, 569AP/159, lettre ouverte d’Yves Lancien « Un point d’histoire » à Valéry Giscard d’Estaing, le 23 avril 1974.
38Citoyen, no 54, avril 1974, p. 2 et 6.
39ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 10, le 25 avril 1974, et lettre d’Yves Lancien aux délégués CDR, le 29 avril 1974.
40ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 26 avril 1974.
41Citoyen, no 37, août-septembre 1972.
42Audigier François, Génération gaulliste. L’Union des Jeunes pour le Progrès, une école de formation politique (1965-1975), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2005, p. 171-176.
43Témoignage de Patrick Wattrin, le 7 avril 2020.
44Témoignage de Didier Bierjon, le 10 avril 2020.
45Témoignage de Jean-Pierre Grand, le 2 avril 2020.
46ANF, 569AP/159, lettre d’Yves Lancien aux délégués CDR, le 29 avril 1974.
47Témoignage de Jean-Pierre Antoni le 31 janvier 2020. Dans une directive adressée aux délégués CDR le 8 mai 1974, Yves Lancien reconnaît d’ailleurs sa déception face à une défaite « prévisible depuis quelques jours ».
48ANF, 569AP/159, circulaire no 15, le 30 avril 1974.
49Yves Lancien semble s’appuyer sur l’organe interne du parti, Démocratie moderne, où Jean Lecanuet déclare le 18 avril 1974 à ses adhérents vouloir réaliser ces changements.
50ANF, 569AP/159, directive pour le second tour de l’élection présidentielle, le 8 mai 1974.
51ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 13, le 7 mai 1974.
52ANF, 569AP/159, directive pour le second tour de l’élection présidentielle, le 8 mai 1974.
53ANF, 569AP/159, ibid., et circulaire no 15, le 9 mai 1974.
54ANF, 569AP/159, directive pour le second tour de l’élection présidentielle, le 8 mai 1974.
55Berstein Serge, Histoire du gaullisme, Paris, Perrin, 2001, p. 402.
56Audigier François, Histoire du SAC, op. cit., p. 296.
57ANF, 569AP/159, circulaire no 15, le 9 mai 1974.
58Favre Didier, Ni rouges ni jaunes. De la CGSI à la CSL l’expérience du syndicalisme indépendant, op. cit., p. 191.
59Mohraz Nassera, « L’UNI et les gaullistes (1968-1976) », in François Audigier, Bernard Lachaise et Sébastien Laurent (dir.), Les Gaullistes. Hommes et réseaux, op. cit., p. 67.
60ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 17 mai 1974.
61ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 14 mai 1974.
62ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 17 mai 1974.
63Citoyen, no 55, mai 1974 ; ANF, 569AP/159, déclaration d’Yves Lancien, secrétaire général des CDR, le 14 mai 1974.
64Un « questionnaire sur la campagne » doit être rempli par chaque délégué pour déterminer l’état du matériel de propagande. ANF569AP/159, circulaire no 16, le 17 mai 1974.
65Citoyen, no 55, mai 1974.
66Foccart Jacques, Journal de l’Élysée, t. V, op. cit., p. 619.
67Témoignage de Jean-Pierre Grand, le 4 avril 2020.
68L’Union, 10 mai 1974 ; L’Humanité, 15 mai 1974 ; Boucharenc Lucien et Charlot Jean, « Présidentielles 74 : l’étude des transferts électoraux », Revue française de science politique, no 24/6, décembre 1974, p. 1205-1217.
69Le Monde, 7 mai 1974 ; Audigier François, « La présidentielle de 1974. Les jeunes gaullistes de l’UJP victimes de la realpolitik ? », Parlement[s], no 8, 2007/2, p. 73 ; Charbonnel Jean, À la gauche du Général, Paris, Plon, 1996, p. 265.
70Delporte Christian, « De la propagande à la communication politique. Le cas français », Le Débat, no 138, 2006/1, p. 30-45 ; Jeanneney Jean-Noël, Une histoire des médias des origines à nos jours, Paris, Seuil, 5e édition revue et augmentée, coll. « Points Histoire », 2015, p. 333.
71AD38, 6270W3, procès-verbal du Groupe de liaison et d’information de la région Rhône-Alpes du SRRG pour la région Rhône-Alpes no 2025, non daté.
72Le Monde, 27 avril 1974.
73ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 11, le 26 avril 1974.
74ANF, 569AP/159, communiqué des CDR no 12, le 30 avril 1974.
75ANF, 569AP/159, directive pour le second tour de l’élection présidentielle, le 8 mai 1974.
76AD21, 35J9, note manuscrite « Ai rencontré M. Theisseau » (non datée, probablement en janvier 1974, Mairry parle d’une rencontre le 3 janvier 1974 à La Perur). N’oublions pas non plus les propos hostiles tenus par des membres du CDR dijonnais à l’endroit de l’UDR.
77AD31, 6212W27, bordereau d’envoi du rapport sur « le “Service d’Action Civique” » du commissaire divisionnaire J.-J. Renucci au directeur central des Renseignements généraux INF/I/1 no 8613, le 17 septembre 1981, et rapport de la SRRG de Toulouse au préfet de Haute-Garonne no 24, le 16 janvier 1974.
78ANF, 569AP/159, compte rendu d’opération vierge, le 17 avril 1974.
79ANF, 569AP/159, note de service « Incidents pendant la campagne électorale », le 25 avril 1974.
80ANF, 569AP/159, circulaire no 5, le 22 avril 1974.
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