Des premiers défis aux compétitions réglementées
La course à pied au xixe siècle
p. 135-146
Texte intégral
1Lorsqu’au milieu du xixe siècle Eugène Chapus publie le premier ouvrage français consacré au sport1 il n’évoque les courses pédestres dans aucun de ses 43 chapitres. Celles-ci semblent ne pas avoir d’existence en France, ou, si elles existent, semblent être considérées comme étrangères à l’espace des sports. Le journaliste utilise pourtant le terme sport dans une acceptation très large qui englobe plus d’une vingtaine de pratiques physiques parmi lesquelles la boxe, la lutte, le billard, la paume, la chasse et surtout le turf.
2Trente ans plus tard, tout est différent. Au début des années 1880, le public parisien se presse pour voir des coureurs professionnels réaliser des performances étonnantes comme celle de faire le tour de Paris en moins de trois heures. En mars 1882, c’est « une foule considérable2 » qui assiste à la lutte qui oppose, sur 20 kilomètres, le Français Calvayrac à Stéphano, le champion de Madrid. La presse relate, autant qu’elle s’en étonne, ce phénomène : « Décidément, le public finit par se passionner tout autant pour les “courses à pied” que pour les courses de chevaux3. » En moins de trois décennies, les courses pédestres ont fait leur apparition dans l’espace des spectacles et des divertissements. Incontestablement, « ce nouveau sport devient à la mode4 » et pas seulement dans les milieux populaires. Les réunions mondaines qui, le dimanche matin, réunissent, au bois de Boulogne, les jeunes coureurs du Racing Club, rassemblent jusqu’à deux mille spectateurs. Porté par l’essor des sports athlétiques5 au sein même des milieux aisés de la capitale, le pédestrianisme, qui englobe « la marche, la course, et par extension le saut6 », s’impose progressivement dans l’espace des sports naissants. Mouvement concrétisé en 1887 lorsque quelques précurseurs, dont le but est d’encourager la pratique des sports pédestres selon un modèle importé d’outre-Manche et dans le respect des principes de l’amateurisme le plus strict, fondent une Union de sociétés françaises de course à pied (USFCP). Bientôt renommée Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), la nouvelle fédération, en regroupant clubs civils et scolaires, donne au mouvement sportif français la base sur laquelle il va continuer à se développer au xxe siècle.
3Cette histoire, associant l’émergence des pratiques athlétiques importées d’Angleterre aux débuts de l’institutionnalisation du sport français, est connue. Mais cette histoire, relatée dès 1895 par les acteurs du temps7, en consacrant une définition moderne du mot sport, c’est-à-dire en le présentant comme une activité réglementée, placée sous l’égide de fédérations et soumise à une éthique et à une temporalité propres, néglige et dévalorise les formes antérieures de pratiques physiques, moins organisées et mal balisées tant dans leur fréquence que dans leur règlement. Dans ce mouvement, les modes professionnels, ludiques ou traditionnels de courses à pied s’éteignent peu à peu alors même que progressent l’influence et les effectifs de l’USFSA.
Les premiers défis
4En France, les exhibitions de coureurs à pied sont rares avant les années 1860. Certes, localement, des courses pédestres, toujours associées à des festivités, peuvent être organisées avant même le mitan du siècle. C’est le cas dans les Pyrénées mais également en Provence où « il n’est pas de fêtes […] qui n’aient les jeux de courses comme complément indispensable8 ». La course demeure cependant un divertissement populaire et traditionnel cantonné à des aires géographiques restreintes. Hors de ce cadre, elle ne suscite aucun intérêt. Amoros9, qui, dans son grand gymnase parisien, la fait pratiquer à ses élèves civils ou militaires, regrette que ses coureurs s’exercent parfois « sans un seul témoin pour applaudir à leurs efforts courageux10 » alors qu’à deux pas de là, sur le Champ-de-Mars, la foule se presse pour suivre les courses de chevaux. Le constat que fait le gymnasiarque autour des années 1830 est sans appel : « Personne ne [s’intéresse ni ne] pense aux courses d’hommes11 ! »
5Dans ce contexte, c’est un événement tout à fait exceptionnel qui se déroule le 4 septembre 1826 lorsque le coureur Rummel, âgé de 17 ans, réalise la performance consistant à parcourir six fois l’enceinte du Champ-de-Mars en moins de 48 minutes. Rummel est un professionnel qui s’est déjà produit dans de nombreuses villes, principalement en Allemagne. Le spectacle qu’il donne n’a d’autre but que de générer des bénéfices qui, ce jour-là, atteignent les 2 000 francs12. Dans l’assistance, le colonel Amoros chronomètre chaque tour de piste et envisage les retombées positives de l’expérience : « Les courses de cet étranger ont un grand avantage, c’est qu’elles ont excité l’émulation de la jeunesse, et qu’elles produiront un grand nombre d’essais et de coureurs13. » Toutefois, peu relayée par la presse, la tentative, quoique réussie, reste sans lendemain.
6Il faut attendre près de trente ans pour que Génaro, un coureur espagnol d’environ 35 ans, propose à son tour un défi similaire pour un enjeu de 5 000 francs : il prétend pouvoir battre, en endurance, tous les chevaux du steeple-chase parisien14. Le pari n’est pas insensé. Pratiquées en Espagne15, les courses longues opposant des hommes à des chevaux tournent le plus souvent à l’avantage des premiers. Toutefois, épuisé par l’effort jusqu’à perdre connaissance, Génaro échoue lors de deux tentatives successives. Il s’exile alors à Londres pour y défier les coureurs britanniques. Mais il échoue encore et abandonne la carrière de coureur professionnel pour devenir messager « au service de l’Empereur [en faisant] la navette entre Paris et Saint-Cloud pour porter des plis urgents16 ». Pas plus que Rummel, le coureur espagnol ne fait alors d’émules en France.
7Dans l’espace des loisirs bourgeois, c’est le turf qui occupe la plus grande place. Il est le sport par excellence. Déjà présentes sous le règne de Louis XIV17 les courses de chevaux montés ou attelés deviennent, sous la Monarchie de Juillet, un divertissement très à la mode dans la haute société. La création du très élitiste Jockey Club, en 1834, comme celle, un an plus tôt, de la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux, concrétisent ce mouvement empreint d’anglomanie18 qui se traduit par l’augmentation significative du nombre de courses19.
8Hors de l’espace des loisirs de l’élite sociale parisienne, les classes plus modestes, des ouvriers jusqu’à la petite-bourgeoisie, préfèrent à la course pédestre des activités plus viriles comme la lutte. À partir de 1848, le public parisien se presse aux représentations données aux arènes de la rue Montesquieu. À Marseille, c’est à l’hippodrome que se déroulent des spectacles qui attirent, dans les années 1850, jusqu’à trois mille spectateurs20. Encore associée aux tours de force présentés dans les fêtes foraines, la lutte occupe une place privilégiée dans l’espace des divertissements populaires du xixe siècle.
9Bien moins répandue que le turf et la lutte, la course à pied peine à s’imposer tant comme spectacle que comme pratique. Il est vrai que les qualités physiques déployées par les coureurs, si extraordinaires soient-elles, entrent peu en résonance avec les valorisations traditionnelles du corps. L’énergie que déploient ces derniers, associée à la « force d’haleine21 », reste sans commune mesure avec la force musculaire qui demeure la qualité physique première dans les représentations populaires de la virilité. Contrairement aux lutteurs et autres hercules, les coureurs n’impressionnent pas par leur physique. Ils n’ont ni la stature ni les volumes musculaires qui caractérisent l’homme fort. Rummel était « petit, maigre, sec22 ». On décrit Génaro comme « un petit homme maigre, jaune, laid, grêle23 ». Au début des années 1860, le corps du coureur, à l’instar de ses performances, reste peu valorisé dans les représentations les plus communes de la force physique et de l’efficacité corporelle.
Les premiers affrontements
10Malgré l’indifférence relative des Parisiens pour ces premières tentatives, quelques rares courses d’hommes vont être proposées au public des hippodromes avant la fin du Second Empire. À Paris, dès 1864, ce sont des coureurs anglais et indiens qui font le spectacle. Ces derniers apportent une « couleur pittoresque24 » qui plaît au public. À Londres, où ces confrontations sont courantes, la plupart des Iroquois qui y ont pris part n’ont toutefois pas dépassé les performances des « coureurs ordinaires d’Angleterre25 » ; à l’exception de Louis Bennet dit « Derfoot ». Le célèbre coureur indien établit, dès 1863, le premier record de l’heure en parcourant une distance de 18,539 km. Il faudra attendre 34 ans pour que l’Anglais Bacon l’en dépossède26. Évidemment, au-delà du cadre sportif, l’intérêt de ces confrontations ethnologiques réside dans une opposition entre les hommes de la nature, présentés comme une « étrange troupe des forêts d’Amérique27 » et les purs produits de l’entraînement rationnel auquel s’astreignent les Anglais28. En France, l’entraînement physique est d’ailleurs, à partir de 185929, l’objet de plusieurs thèses de médecine qui valorisent ses effets sur le corps des sportifs d’outre-Manche. Peu à peu, l’excellence de leur état de santé, comme leur incroyable « résistance à la fatigue30 », mises en lumière dans les discours scientifiques, vont modifier le regard porté sur les coureurs mais aussi sur les courses pédestres. Dans ce mouvement, l’image du coureur laissée par Génaro, titubant comme « un homme ivre », le visage « violacé », les « yeux injectés » et « les veines de ses tempes gonflées comme des cordes31 », avant de s’évanouir d’épuisement, s’efface au profit de celle d’un véritable athlète à la constitution qui, « bien que d’apparence frêle et délicate, est très puissante32 ».
11Toutefois, ces nouvelles représentations médicales du corps athlétique n’expliquent pas, à elles seules, l’intérêt frémissant pour les courses d’hommes qui marque la fin du Second Empire. L’anglomanie ambiante, l’arrivée d’un public plus populaire dans les hippodromes, ou encore parfois la découverte de courses traditionnelles jusque-là ignorées hors de leur aire d’origine, constituent les autres ressorts de ce phénomène. À Barbezieux, c’est le sous-préfet qui, en septembre 1867, organise une première course d’hommes sur l’hippodrome de la ville après qu’il eut découvert ce spectacle lors d’un séjour dans les Pyrénées. Contre toute attente, cette épreuve originale, qui rassemble vingt coureurs « uniformément vêtus d’un pantalon blanc et d’une ceinture de couleur33 », s’avère être un véritable succès. D’un « intérêt plus palpitant que le plus brillant des steeple-chase34 » elle n’a, sur le plan émotionnel, rien à envier aux habituelles courses équestres.
12Tout aussi sûrement que l’apparition de ces spectacles nouveaux, d’autres indices, plus diffus, plus épars, révèlent encore un changement d’attitude vis-à-vis de la course. Comme en ce jour de février 1864 lorsque deux jeunes gens transforment la rue des Orties-Saint-Honoré en terrain de jeu pour s’y affronter dans une course de vitesse. Point de public ici ; point d’annonce ni de spectacle pour ce défi amical signalé dans la presse uniquement parce que l’un des coureurs, emporté par son élan, « est allé se heurter la mâchoire inférieure contre [… un] haquet35 ». Progressivement, la course, comme pratique, s’immisce dans la vie des jeunes gens. Elle se répand comme divertissement auprès d’une jeunesse qui l’exporte hors des seuls hippodromes pour goûter à une liberté que rend légitime une mode en faveur du plein air. En 1872, lors du passage du président de la République Louis-Adolphe Thiers, la plage de Trouville devient le théâtre de courses qui ont été organisées par quelques élèves du lycée Condorcet. Ceux-ci ont aménagé, sur le sable, une piste sommairement balisée à l’aide de poteaux et de ficelles. Comme à l’hippodrome, des obstacles de tout genre la jalonnent : « Rivières, banquettes irlandaises, et l’on peut d’autant mieux appeler ce genre de courses steeple-chase que les haies sont représentées par des barricades de chaises36. » Inspirée du turf, l’ambiance de ces festivités n’a toutefois rien de véritablement compétitif. Le divertissement prime sur la performance : les courses amusent surtout les promeneurs quand les concurrents « se laissent choir dans des fosses pleines d’eau37 ».
13Même lorsque les affrontements entre coureurs se déroulent dans le cadre plus habituel de l’hippodrome, les incidents de parcours et autres péripéties restent un élément essentiel du spectacle. Ainsi, en mars 1873, ce que les observateurs retiennent d’une épreuve pédestre programmée sur le champ de courses de La Marche se résume à la chute de deux des trois concurrents dans la rivière. Ce qui compte, lorsqu’au cours des premières années de la IIIe République apparaît le sentiment « qu’un jour ou l’autre on donnera des prix de pédestrianisme réguliers [… et que] ce sport obtiendra un grand succès de spectacle38 », c’est de divertir le public. Dans ce dessein, dès le début des années 1880, des « courses facétieuses39 », au rang desquelles Guyau-Daubès range les courses en sac, à reculons, à cloche-pied ou à trois jambes, sont intégrées au programme des réunions. En 1884, une course de porteuses d’eau, inspirée par la tradition pyrénéenne, amuse le public de l’hippodrome. Le plus souvent, toutefois, ces joutes, auxquelles prennent parfois part des athlètes féminines40, se déroulent sous une forme rappelant les courses équestres. Rapidement, afin d’éviter les victoires prévisibles et systématiques de quelques cracs, un système de handicap, semblable à celui utilisé dans le turf, devient la règle. Le mimétisme est tel que les coureurs vont jusqu’à s’engager sous le nom des chevaux les plus cotés de l’époque. Comme en ce dimanche de juin 1876 quand, sur l’hippodrome de Longchamp, se tient un pari entre deux coureurs parisiens : « Pousse-Cailloux et Gladiateur ; l’enjeu est de 200 francs. Le parcours d’environ 24 Km41. » Les bénéfices sont évidents pour les coureurs, d’autant qu’il est fréquent que ceux-ci « s’entendent pour gagner chacun leur tour et pour partager la recette42 ». Plus qu’à l’espace des sports, ces courses appartiennent encore à l’espace des divertissements, au même titre que les représentations souvent théâtrales des lutteurs de foire.
Les hommes-machine
14Espace privilégié des courses pédestres, l’hippodrome n’en est cependant pas le théâtre exclusif. Dès le milieu des années 1870, les coureurs investissent l’espace urbain pour réaliser leurs performances. Rapidement, les coureurs étrangers qui, comme l’Italien Bertaccini, viennent défier, dans la capitale, « les coureurs et même les cavaliers43 », sont concurrencés par des coureurs français. Parmi eux, Petit-Bleu, qui a fait le tour de Paris en 3 heures et 2 minutes, « se tient à la disposition des amateurs et parieurs44 ». Les professionnels ont maintenant de plus en plus d’émules parmi les jeunes gens, y compris parmi ceux qui appartiennent aux sociétés de gymnastiques45. Désormais, un public nombreux se presse aux départs comme aux arrivées des courses et autres défis. Et pas seulement parce que les exhibitions des coureurs profitent, autant qu’elles le mettent en scène, de l’élan patriotique qui a succédé à la perte de l’Alsace-lorraine46. La course à pied n’est, sur le plan de l’exacerbation du sentiment national, qu’un faible allié de la gymnastique.
15Si ce nouveau sport suscite maintenant l’intérêt du public, c’est essentiellement parce que l’image du coureur a changé en même temps que les représentations du corps athlétique47. Dans les années 1880, l’énergie se substitue à la force brute dans les discours sur l’efficacité corporelle. Ce qui change, c’est que les critères du corps efficace intègrent désormais non seulement l’intensité, mais aussi la durée des efforts déployés. Dans ce nouveau paradigme, les coureurs, capables de maintenir une allure de course pendant plusieurs heures, comme lorsque Gilbert réalise le trajet de Paris à Bar-le-Duc, soit 256 km, en 37 heures, deviennent des modèles d’utilisation et de conservation de l’énergie corporelle. Évidemment, cette question « de la conservation de l’énergie et de sa transformation en travail productif48 » n’est pas spécifique au monde sportif. Elle est surtout l’un des problèmes majeurs que tentent de résoudre les théoriciens du travail industriel dont le but est de rendre les ouvriers plus performants en repoussant les seuils d’apparition de la fatigue. En des temps durant lesquels les traditionnelles représentations anthropomorphiques du corps efficace s’effacent pour laisser place à un modèle du « corps industriel [donnant] lieu à des analyses sophistiquées sur l’espace et le temps49 », l’idéalisation du corps athlétique n’existe jamais autant qu’au travers de cette quête des lois régissant les mécanismes de sa capacité à produire de l’énergie et de son extrapolation au monde du travail. Combinant efficacité et efficience, le corps du coureur « devenu lieu d’échanges énergétiques et non plus seulement agencement structuré de muscles50 » est désormais assimilé à une machine. Brûleur d’oxygène, l’organisme devient un « moteur51 » que les champions savent exploiter au maximum des possibilités de la physiologie humaine. C’est cette analogie nouvelle entre l’homme et les machines thermiques ou électriques que les professionnels mettent en scène52. Ainsi, tandis que Bertaccini était l’homme-cheval, ses successeurs vont, presque systématiquement53, adopter des surnoms les assimilant à des machines et mettant en valeur l’énergie déployée dans l’effort. Les années 1880, notamment, voient s’exhiber dans les rues de Paris des hommes-locomotive, des hommes-vapeur, des hommes rapides, des hommes-express, des hommes-étincelle, des hommes-éclair. Tous rivalisent pour réaliser le meilleur temps sur différents trajets, dont le Paris-Versailles aller et retour ou le tour de Paris sont les plus communs.
16Pourtant, malgré l’intérêt et parfois l’admiration que suscitent leurs exploits, ces coureurs professionnels n’inscrivent pas leurs performances dans ce « temps du sport54 » qui, comme l’a montré Georges Vigarello, implique que chaque exploit soit comparé à d’autres, y compris à des résultats antérieurs. Les distances qu’ils parcourent restent approximatives55 et les courses ne sont pas systématiquement chronométrées. C’est ainsi qu’on ne possède aucun des temps de Galland, dit Cerf-volant, athlète considéré par ses adversaires des années 1880 comme « le roi de la course à pied56 ». Pour le journaliste Frantz Reichel, « Galland est venu 20 ans trop tôt aux compétitions57 » pour prétendre à une gloire posthume. Mais surtout, demeure une suspicion légitime quant à la validité réelle des performances58 de ces « hommes phénomènes59 » : les épreuves qu’ils organisent, sont-elles de véritables courses ou de simples « comédies60 » jouées par des acteurs professionnels ? Comme les lutteurs à qui l’on reproche de fausser les combats au profit d’une dramaturgie toute artificielle, les coureurs peinent à faire entrer leur discipline dans l’espace des sports naissants. Considérés plus comme des saltimbanques que comme des sportifs, ces coureurs professionnels disparaissent de l’espace des spectacles dès la fin des années 1880. La course à pied prend alors une tout autre direction imposée par la naissance des premiers clubs et l’apparition rapide des premières fédérations.
Les premiers clubs
17Si l’on s’en tient aux sept critères retenus par Allen Guttmann61 dans sa tentative de définition des sports modernes, il faut considérer l’année 1887, qui voit naître une Union des sociétés françaises de course à pied (USFCP), comme le point d’entrée du pédestrianisme dans l’espace des pratiques sportives. Il s’agit alors « de constituer en France une sorte de fédération analogue à celles qui existent en Angleterre, et dont l’objet serait, en édictant des règles communes, en instituant des concours, d’unifier les efforts dispersés, d’encourager la pratique de la course à pied et des sports athlétiques en général, de perfectionner les méthodes, de sauvegarder les principes de l’amateurisme, enfin de donner une direction au mouvement62 ». Présidée par Georges de Saint-Clair, cette nouvelle structure centralisatrice, rassemblant les membres du Racing Club et du Stade français63, se transforme deux ans plus tard en une Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) qui sera à la base du développement du mouvement sportif français.
18Pourtant, les premières réunions qui rassemblent, à partir de 1882, les jeunes racingmen, au Bois de Boulogne, n’ont rien de bien différent des courses de l’hippodrome. Bien au contraire. Dans des épreuves qui oscillent généralement entre 500 et 1 000 mètres, le mimétisme avec le turf est total, tant dans le costume des coureurs que dans l’organisation64. Comme à Longchamp, pour rendre les paris plus excitants, des handicaps « sont affichés avant les courses65 » et sont attribués aux meilleurs coureurs. En fait, les lycéens parisiens s’inspirent, pour les reproduire, des courses organisées quelques années plus tôt par les membres d’un éphémère66 Club des coureurs. Dès 1875, ces « jeunes gens de bonne famille67 » avaient investi l’esplanade des Invalides pour y organiser leur exercice sur le modèle des courses hippiques68 et sans autre souci que de se divertir. Un public, déjà nombreux, pouvait alors voir courir, sous des noms de chevaux connus, les négociants, commerçants ou autres officiers de l’armée que comptait le club.
19Rien encore, dans ces confrontations amicales et ludiques, ne tendait véritablement vers l’athlétisme moderne. Tout va cependant changer très vite lorsqu’à la fin de l’année 1884, à la faveur d’un renouvellement du comité directeur du Racing Club, le divertissement initial se transforme en un projet hygiénique et moral69 visant « l’entraînement et l’amélioration de la race humaine70 ». Mais faire de ces réunions dominicales une « œuvre patriotique et régénératrice71 », comme le souhaite Georges de Saint-Clair, passe par quelques aménagements majeurs dans le déroulement des épreuves : l’abandon du costume de jockey au profit du maillot en jersey, l’interdiction des pseudonymes et surtout la suppression des prix en espèces qui sont « remplacés par des médailles ou objets d’art72 ». C’est alors que « disparurent la cote et les bookmakers et tout ce qui fait l’ornement du turfisme, y compris les courses faussées73 ». L’amateurisme strict devient la règle74. L’adoption du code de l’Amateur Athletic Association, voulue par les dirigeants du Racing dans le but de passer du « régime de la fantaisie [… à celui] du vrai sport75 », est un moment fort de l’intégration des courses à pied dans l’espace des sports naissants. Bien que l’adhésion à cette rationalité sportive qui éloigne les courses à pied du monde du turf et du divertissement ait eu pour effet premier une diminution sensible du nombre de coureurs et de spectateurs, les réunions dominicales demeurent « des plus animées et des plus joyeuses76 ». Elles deviennent « le rendez-vous à la mode des dimanches matin77 ». S’y rendent des personnalités de la vie politique ou de la vie mondaine. Ferdinand de Lesseps, qui a accepté la présidence honoraire du Racing, y emmène ses enfants. En outre, ces réunions attirent un nombreux public féminin, dont de nombreuses jeunes filles « en toilettes aussi fraîches et élégantes que Longchamp un jour de Grand prix78 ». L’intérêt des jeunes bourgeoises pour l’athlétisme est tel qu’en février 1885 le bruit court dans les réunions du Racing « qu’une société rivale, composée de femmes du monde, était en voie de s’organiser sous le patronage de la comtesse Polocka79 ». Certes, le projet n’aboutit pas. Sans doute parce que la course à pied donne de la femme une image trop différente de celle qui sied à ces Femmes de sport80 dont le baron de Vaux dresse un portrait tout empreint des valeurs de l’aristocratie. La description que donne des courses de femmes un article du Monde illustré de 1881 est à l’opposé d’un sport féminin élitiste vécu comme « un art d’apparat [qui] relève d’un style de vie élégant81 » : « La femme qui court fond fatalement en sueur. La femme qui court s’ébouriffe, se dégingande, se dépoétise. Je vous assure que c’est bien laid – oh oui, bien laid – à voir une coureuse qui rentre soufflant comme un asthmatique, ruisselante, luisante, à demi apoplectisée82. » Bien qu’elles pratiquent, souvent avec les hommes et dans le cadre des loisirs mondains, des activités comme le golf, le tennis ou l’alpinisme, les femmes n’ont de place, dans l’espace des sports athlétiques bourgeois, qu’en tant que spectatrices.
Conclusion
20Favorisé par la campagne des hygiénistes et organisé par la création de l’UFSCP puis par celle de l’USFSA, le mouvement en faveur des sports athlétiques connaît un essor irréversible à la fin des années 1880. Dès 1888, un championnat scolaire de course à pied est créé. En 1891, ce ne sont pas moins de 24 sociétés, la plupart formées dans les lycées de Paris et des environs, qui s’affrontent dans des compétitions de plus en plus nombreuses. Désormais, morale sportive et rationalité sont de mise dans des épreuves sportives réglementées et contrôlées. L’institutionnalisation des sports athlétiques crée un espace empreint d’amateurisme et d’élitisme social qui se détache fondamentalement des formes de pratiques initiales, festives et populaires. Ces dernières, souffrant d’un manque d’uniformité et d’organisation, disparaissent peu à peu. Seules quelques rares épreuves de marche, comme ce Paris-Belfort de 1892 au départ matinal empreint de « gaité » et de « fantaisie », offrent encore un « spectacle fort amusant83 ». Orpheline de ses hommes-phénomènes et investie par de jeunes bourgeois attachés à la culture de l’entre-soi, la course à pied perd, au tournant des xixe et xxe siècles et à de rares exceptions près84, sa place au sein des divertissements et des spectacles populaires. À la fin du siècle, alors que « tout ce que Paris comprend de monde élégant et sportif85 » se retrouve au siège du Racing pour assister aux ébats sportifs de la jeunesse aisée86, c’est vers le spectacle des vélodromes que se tourne le peuple. Des professionnels comme Jacquelin, dit « Piou-Piou », y triomphent bien avant que Jean Bouin ne devienne le premier coureur à pied à se voir attribuer une place au sein du panthéon du sport moderne.
Notes de bas de page
1Chapus Eugène, Le sport à Paris, Paris, Hachette, 1854. L’auteur présente le sport comme un « passe-temps de la belle existence ». Il est à la fois l’un des « divertissements aristocratiques » et l’un des « plaisirs ordinaires » de la haute bourgeoisie (p. 3).
2Le Figaro, 3 juillet 1882.
3Gil Blas, 4 avril 1882.
4Gil Blas, 29 mars 1880.
5Saint-Clair Georges de, préface de Eole, Frantz Reichel, L. Mazzuchelli, Les sports athlétiques, Paris, Armand Colin, 1895, p. vii : « Par sports athlétiques l’on entend les exercices qui ne demandent d’autres appareils que ceux que la nature a fournis : ainsi l’aviron, l’équitation, l’escrime, le cyclisme, ne sont pas à proprement parler des sports athlétiques, tandis que la course, la marche, le saut, entrent dans cette catégorie. »
6Eole, Reichel Frantz et Mazzuchelli L., Les sports athlétiques, op. cit., p. 34.
7Ibid.
8Le Petit Journal, 5 juin 1869. Parfois ces divertissements revêtent un caractère politique. Dans les années 1830, tandis que la Provence était partégée entre Philippistes et en Henriquinquistes, les courses organisées à Trets, village proche d’Aix, donnaient aux deux camps l’occasion d’exprimer leur opinion au travers des chaussures que les concurrents portaient : vertes pour les uns, tricolores pour les autres.
9Francisco Amoros est considéré comme l’un des fondateurs de l’éducation physique en France.
10Amoros Francisco, Manuel d’éducation physique, gymnastique et morale, Paris, Roret, 1834, p. 260 (1re éd. 1830).
11Ibid., p. 260. Les courses d’hommes ont pourtant déjà été proposées au public parisien, à la fin du xviiie siècle, lors des fêtes nationales. En 1796, elles rassemblent plus de 500 participants. L’année suivante, six courses, dans lesquelles s’affrontent 25 concurrents, précèdent une finale qui regroupe les deux premiers de chaque série.
12La recette est de 4 000 francs, les dépenses de 2 000 francs.
13Amoros Francisco, Observations de M. le colonel Amoros, directeur des gymnases normaux du gouvernement, sur le coureur Rummel, Paris, 1827, p. 10.
14Le Figaro, 30 septembre 1855.
15Selon Amoros Francisco, Observations de M. le colonel Amoros…, op. cit., p. 10 : « Les miquelets espagnols gagnent en vitesse les chevaux dans les longues courses. »
16Le Monde illustré, 7 mai 1881.
17Jusserand Jean-Jacques, Les sports et jeux d’exercice dans l’Ancienne France, Paris, Plon, 1901, p. 399 et suiv.
18Voir Poyer Alex, « La France s’éveille au sport (début du xixe siècle-années 1880) », in Philippe Tétart (dir.), Histoire du sport en France. Du Second Empire au régime de Vichy, Paris Vuibert, 2007, p. 5-23.
19Ibid., p. 9 : « Les 53 épreuves de galop de 1828 sont […] 723 en 1866. Le nombre d’hippodromes passe, lui, de neuf en 1828 à […] plus de 90 en 1866. »
20L’Artiste méridional, 23 septembre 1855.
21Goubert J. B. L., Dissertation sur la Gymnastique médicale, ou influence de l’Exercice sur l’Économie animale, thèse de médecine, Paris, Didot, 1805, p. 42 : « Les meilleurs coureurs sont ceux qui ont la plus grande force d’haleine, c’est à dire qui peuvent assurer à la poitrine un degré plus considérable de dilatation permanente. »
22Amoros Francisco, Observations de M. le colonel Amoros…, op. cit., p. 7.
23Le Figaro, 14 mai 1868.
24Le Figaro, 11 août 1867.
25Ibid.
26À cette occasion, Bacon, qui parcourt 18,839 km, empoche une somme équivalente à 16 000 francs. Voir, à ce sujet, Encyclopédie des sports, Paris, Librairie de France, 1924, p. 312.
27Le Figaro, 11 août 1867.
28Le spectacle des corps recoupe ici des questions ethnologiques récurrentes depuis que des explorateurs comme Cook ou Bougainville ont vanté la force des « naturels ». Il n’est pas exempt d’arrière-pensées consistant à poursuivre des investigations, fussent-elles « sportives », quant à la définition de la valeur physique du sauvage, jadis contestée par Buffon, et surtout malmenée par les expériences dynamométriques menées par Péron lors de son expédition dans les terres australes.
29Defrance F. J. F., De l’entraînement, Paris, 1859.
30Dambax Alexis, De l’entraînement, Paris, 1866, p. 40.
31Le Figaro, 12 août 1866.
32Dambax Alexis, De l’entraînement, op. cit, p. 40. Demeurent encore cependant, à la fin du Second Empire, quelques figures de coureurs plus excentriques qu’athlétiques. Parmi elles, le père Laurent est incontestablement la plus populaire. À la fois présenté par la presse comme l’une « des célébrités du macadam [… et aussi comme] un pauvre diable » (Le Figaro, 9 février 1867), l’homme dont on dit qu’il est âgé d’environ 60 ans se présente comme le fils du coureur du duc d’Orléans. Tous les jours, il s’élance de Sèvres à Versailles, puis de Versailles à Paris à la suite de l’omnibus américain qu’il suit au pas de course dans l’attente que les voyageurs lui jettent quelques pièces. Mendiant le plus célèbre de Paris, Laurent fut jadis, dit-on, un homme aisé, professeur de violon et maître de danse, tombé en déchéance. Les habitants de Sèvres l’auraient connu « bien vêtu, presque riche [… avant que] de gros chagrins, mystérieux pour tout le monde, lui firent perdre un de ses élèves » (Le Petit Journal, 15 juillet 1868) et ne l’entraînent vers la précarité et l’alcoolisme. Bien loin de l’heureuse influence de l’exercice sur la santé vantée par les médecins de l’époque, Laurent, dont « les yeux fixes et sanglants sortent de leur orbite, [… et dont] le visage est violet » (ibid.), soumet son corps à des efforts qui, lit-on dans la presse, « feront un jour éclater son cerveau » (ibid.).
33Le Petit Journal, 23 septembre 1867.
34Ibid.
35Le Petit Journal, 23 février 1864.
36Le Petit Journal, 28 août 1872.
37Ibid.
38Le Figaro, 11 mars 1873.
39Guyau-Daubes G., Les hommes-phénomènes, Paris, Masson, 1885, p. 62.
40Ces courses de femmes sont signalées à plusieurs reprises par la presse, notamment en 1881.
41Le Figaro, 23 juin 1876.
42Guyau-Daubes G., Les hommes-phénomènes, op. cit.
43Le Petit Journal, 13 novembre 1876.
44Le Petit Journal, 9 mai 1877.
45Le Petit Parisien, 27 octobre 1876 : « Un jeune homme nommé Bouchery faisant partie de la Société de gymnastique de Roubaix, a parcouru […] une traite d’une dizaine de kilomètres environ en 43 minutes. […]. Plusieurs paris avaient été engagés pour ou contre lui. »
46La musique militaire accompagne chaque départ et c’est toujours au son de La Marseillaise qu’est fêté le vainqueur. Les coureurs français vont même parfois jusqu’à revêtir un maillot aux couleurs nationales lorsqu’ils défient un adversaire étranger. C’est le cas lorsque Calvayrac affronte Stéphano, le champion espagnol, en 1882. Quant à Louis de Saussus, il fonde et préside une Société française et patriotique des courses d’hommes.
47Voir Arnal Thierry, « De l’hercule au sportif », L’Histoire, no 427, septembre 2016, p. 68-71.
48Rabinbach Anson, Le moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernité, Paris, La Fabrique, 2004, p. 211.
49Ibid., p. 211.
50Vigarello Georges, « Histoire d’une pédagogie de l’exercice corporel et histoire des sciences », Travaux et recherches en EPS, no 6, spécial histoire, INSEP, 1980, p. 53.
51Lagrange Fernand, Physiologie des exercices du corps, Paris, F. Alcan, 1888, p. v.
52Plus que les moteurs animaux, ce sont désormais les moteurs mécaniques, qu’ils soient thermiques ou à combustion, qui s’imposent comme les références en matière de vitesse et surtout d’endurance. La Mancelle, véhicule à vapeur créée par Amédée Bollée en 1879, permet de relier Paris à Vienne à la moyenne de 28 km/h. Sur certains tronçons, sa vitesse moyenne peut atteindre les 25 km/h. C’est alors l’utilité même du moteur animal qui est remise en cause par les progrès de la mécanique.
53Seul déroge à la règle l’homme-hirondelle « qui a fait le pari d’aller de Paris à Nice en 13 jours. L’enjeu est de dix mille francs » (Le Figaro, 1er mai 1883).
54Vigarello Georges, « Le temps du sport », in Alain Corbin, L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995.
55Le Tour de Paris, par exemple, ne permet aucune comparaison de performances. Les distances varient selon les défis et les temps relevés manquent souvent de précision : 44 km lorsqu’il est parcouru par Culveran en 1882 (2 h 57), 41 km trois ans plus tard (2 h 15) lors de la course de Weiss, 11 lieues en 1888 (2 h 30) lors de la tentative de Louis de Saussus.
56Encyclopédie des sports, op. cit., 1924, p. 296.
57Ibid.
58Eole, Reichel Frantz et Mazzuchelli L., Les sports athlétiques, op. cit., p. 13-14, mettent en cause la réalité des performances annoncées par ces « triomphateurs faciles des champs de foire » : « Nous avons eu également l’Homme-Éclair, champion de France (?), qui s’engageait à partir de Paris à midi et d’arriver à Meaux à 2 h 10 min (48 kilomètres), puis de faire 20 kilomètres en une heure sur la place de l’hôtel de ville, soit 68 kilomètres en 3 h 10 min Mis au défit de parcourir cette distance sur piste, dans le temps indiqué, devant un jury et chronomètre en main, l’Homme-Éclair s’abstint. »
59Guyau-Daubes G., Les hommes-phénomènes, op. cit.
60La revue des sports, 30 décembre 1876.
61Guttmann Allen, Du rituel au record. La nature des sports modernes, Paris, L’Harmattan, 2006 (éd. originale, 1978). Selon l’historien américain, pour être considérée comme un sport moderne, une activité physique doit posséder les sept caractéristiques suivantes : sécularisme, égalité des opportunités et des conditions de l’affrontement, spécialisation des rôles, rationalisation, bureaucratisation de l’organisation, quantification, quête de records.
62Encyclopédie des sports, op. cit., 1924, p. 102.
63Dès 1882, les élèves des lycées Condorcet et Rollin et de l’école Monge fondent le Racing Club avant que leurs homologues du lycée Saint-Louis ne les imitent un an plus tard en donnant naissance au Stade français. C’est seulement le 27 juin 1884 que le Stade français obtint l’autorisation d’organiser des courses aux Tuileries, sur la terrasse de l’Orangerie, les dimanches matin et jeudis après-midi. Un éphémère Running-Club voit également le jour en 1884 à l’initiative de quelques élèves du lycée Condorcet.
64Le Figaro, 19 juin 1882 : « Les coureurs sont en costumes de jockey ; on alloue un prix au vainqueur ; il y a un pesage, des programmes et les courses tantôt plate, tantôt à obstacles, varient entre des parcours de 500 à 1 000 mètres. »
65Le Figaro, 21 février 1884.
66Le Club de coureurs disparaît à la fin de l’année 1876 victime du manque d’implication des membres de son bureau administrateur, trop occupés par les activités de la vie mondaine : « les bains de mer, la chasse, les voyages, la villégiature » (La revue des Sports, 23 septembre 1876).
67Le Figaro, 31 juillet 1875.
68Le Figaro, 27 décembre 1875 : « les coureurs portent la casaque ; quelques uns y joignent la culotte courte et les bas. Chacun d’eux est désigné sur le programme par le nom d’un cheval célèbre dans les fastes du turf. Des prix généralement compris entre 100 et 200 francs, mais pouvant parfois atteindre 1 000 francs, sont distribués aux vainqueurs ». Il y a toujours « beaucoup de monde et beaucoup d’animation » (Le Figaro, 1er février 1876).
69L’exclusivité de ces affrontements tant ludiques que pédagogiques n’appartient pas aux jeunes bourgeois parisiens. L’attrait de la course est tel que la nouvelle pratique semble vouloir s’étendre et se concrétiser y compris dans les milieux populaires. En 1884, quelques philanthropes, qui ont créé une Société d’encouragement aux sports athlétiques, organisent, sur la place du Danube, à proximité des Buttes-Chaumont, quelques réunions dominicales regroupant « des courses à pied et des courses de vélocipèdes pour les jeunes gens de ce quartier populeux » (Le Figaro, 18 juin 1884). Le succès est énorme pour un spectacle qui attire de nombreux Parisiens. Ici encore, le divertissement n’est pas seul recherché. Les réunions recoupent et servent un authentique projet moral, bien différent, cependant, de celui poursuivi par Saint-Clair : les ambitions de ce « Racing populaire [… consistent essentiellement à détourner] les jeunes gens du café et du cabaret » (ibid.). Toutefois, cette tentative d’utilisation de la course à pied comme moyen de moralisation de la classe ouvrière reste marginale et ne connaît pas de suite. En matière d’éducation physique, c’est la gymnastique, rendue obligatoire dans toutes les écoles de garçons par la loi du 27 janvier 1880, que médecins et moralistes choisiront pour lutter contre l’étiolement de la population industrielle.
70Le Figaro, 21 février 1884.
71Le Figaro, 10 mars 1886.
72Le Figaro, 19 novembre 1884.
73Eole, Reichel Frantz et Mazzuchelli L., Les sports athlétiques, op. cit., p. 17.
74Ibid., p. 17 : « Le Comité imposa […] la définition suivante de l’amateurisme, qualification sans laquelle nul ne pouvait faire partie du Racing-Club et qui mettait à l’avenir, les sports athlétiques à l’abris de toute empreinte de professionnalisme : Est amateur toute personne qui n’a jamais pris part à une course publique ouverte à tous venants, ou pour de l’argent provenant des admissions sur le terrain ; ou avec des professionnels pour un prix, ou pour de l’argent provenant d’une souscription publique, […] ; ou qui n’a jamais été, à aucune période de sa vie, professeur (ou moniteur) d’exercices de ce genre comme moyen d’existence. »
75Ibid., p. 17.
76Le Figaro, 21 février 1884.
77Le Figaro, 10 juin 1885.
78Ibid.
79Le Figaro, 16 février 1885.
80Baron de Vaux, Les femmes de sport, Paris, Marpon et Flammarion, 1885.
81Terret Thierry, « Sport et genre (1870-1945) », in Philippe Tétart, Histoire du sport en France, op. cit., p. 357.
82Le Monde illustré, 7 mai 1881.
83Le Petit Journal, 6 juin 1892.
84Parmi ces épreuves pittoresques, la course des Midinettes, créée en 1903 sous le patronage du Monde sportif, rassemble, dès sa première édition, 2 700 ouvrières modistes et couturières.
85Le Sport universel illustré, 1er août 1896, p. 237.
86Ces réunions attirent jusqu’à 6 000 personnes en 1896.
Auteur
Université polytechnique Hauts-de-France.
Thierry Arnal, maître de conférences à l’université polytechnique Hauts-de-France et membre du laboratoire de recherche Sociétés & Humanités, enseigne l’histoire du sport et de l’éducation physique. Auteur de La révolution des mouvements. Gymnastique morale et démocratie au temps d’Amoros (1838-1848), paru chez L’Harmattan en 2009, il a codirigé, avec Thierry Terret, l’ouvrage collectif Aux origines de la gymnastique moderne (Presses universitaires de Valenciennes, 2011). En 2018, avec Odile Roynette et Georges Vigarello, il a édité et commenté, chez le même éditeur, les Notes sur la gymnastique du sergent Barbier (1843). Il est également codirecteur, avec Corine Maitte, Thierry Pillon et Didier Terrier, de l’ouvrage Le corps au travail. Performance, discipline, fatigue, paru en 2021 chez New Digital Frontiers.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008