1Quand le lecteur termine cet ouvrage, il retient naturellement avec étonnement cette phrase du testament de Jacques-Antoine Coquille d’Alleux : « Ci-gît qui dans sa vie a passé pour un fou, il vous dit aujourd’huy qu’il l’étoit moins que vous. » Comme l’écrit Bertrand Delahaye, « cette épitaphe qu’il appelle de ses vœux traduit sa crainte de passer à la postérité comme un homme incompris, une crainte lucide justifiée au regard de l’historiographie du xix^e siècle ». En effet, longtemps les historiens ont jugé avec beaucoup de sévérité le parcours religieux et politique de cet ecclésiastique. À la différence d’un autre curé assermenté du département de Maine-et-Loire, François-Yves Besnard, qui a laissé ses Souvenirs d’un nonagénaire1, Coquille d’Alleux n’a pas laissé un écrit du for privé comparable. Et c’est là tout le mérite de Bertrand Delahaye d’avoir réussi à retracer d’une part toute la complexité de l’itinéraire de cet ancien récollet devenu curé jureur avant de se marier et d’abdiquer, loin de « la légende noire des prêtres constitutionnels ». D’autre part, qualifier Coquille d’Alleux de « prédicateur patriote » permet de souligner très justement les deux principales lignes directrices de toute sa carrière : prédicateur il l’est en tant que récollet, puis curé constitutionnel, et même après son abdication en prêchant en faveur de la République lors de la fête de l’Être suprême ou des fêtes nationales du Directoire ; patriote il le devient dès le début de la Révolution. Comme le montre excellemment Bertrand Delahaye, on ne peut que souligner la grande cohérence des engagements de Coquille d’Alleux, et non comme l’a écrit Simon Gruget, curé d’une paroisse d’Angers et un de ses premiers détracteurs : « On eût dit que c’était Luther qui était ressuscité » !

2C’est un itinéraire cohérent que suit Coquille d’Alleux mais avec des ruptures qui sont très bien soulignées par Bertrand Delahaye, et que l’on peut retrouver chez d’autres ecclésiastiques en rupture avec leur institution et sur lesquels j’ai eu l’occasion de travailler, ceux convertis au protestantisme2. À l’instar des convertis, Coquille d’Alleux témoigne vivre une véritable renaissance après avoir quitté le clergé régulier et des années d’errance dans une institution où il ne trouve pas sa place ; il se repent même de ce passé dans lequel il s’estimait dans l’erreur, recherchant comme chez les convertis ou tous les réformateurs un christianisme originel. L’adhésion à la Révolution et le serment prêté à la Constitution civile du clergé ne signifient pas pour autant, comme chez les convertis, une intégration facile dans la nouvelle société que l’on veut rallier : les uns et les autres sont considérés avec mépris et rejetés. Cette hostilité à leur égard est responsable de retour en arrière, rétractations ou reconversions. Au-delà de cette comparaison, il existe pour chaque individu des faits plus personnels qui peuvent expliquer ces ruptures. Pour Coquille d’Alleux, Bertrand Delahaye les analyse avec finesse mais aussi beaucoup de prudence. On peut penser à cette affaire de Condé-sur-Huisne qui demeure très largement un mystère, mais dont l’auteur perçoit l’importance dans la mesure où Coquille d’Alleux s’engage ensuite auprès des récollets. Sa sortie du couvent est une deuxième rupture facilitée par les réseaux tissés au sein du clergé, son adhésion à la franc-maçonnerie, ses premiers engagements en faveur de la Révolution et le serment qu’il prête. Sa douloureuse expérience comme curé de Beaupréau en 1791 constitue une troisième rupture, pleine d’espoir et de désillusion. Enfin, les années 1793-1794 sont une quatrième rupture avec le mariage, l’abdication et le changement de nom, désormais Horatius Coclès.

3On ne peut que s’interroger sur la diversité des engagements des ecclésiastiques à partir de 1789 entre d’une part Coquille d’Alleux et d’autre part celui qui symbolise le mieux le curé réfractaire angevin, Noël Pinot, qui fut le centre tout au long du xix^e siècle d’une historiographie contre-révolutionnaire3. Curé de la paroisse du Louroux-Béconnais en Anjou au début de la Révolution, Noël Pinot refuse de prêter serment sur la Constitution civile du clergé et il aurait déclaré que « tant que les lois qu’a faites l’Assemblée nationale n’ont porté que sur le temporel, j’ai été le premier à m’y soumettre, […] mais aujourd’hui qu’elle attaque ouvertement les principes reconnus depuis tant de siècles par l’Église catholique, apostolique et romaine, mon silence serait un crime4 ». Réfractaire et clandestin, il est cité dans une lettre du 25 juillet 1791 de Coquille d’Alleux qui, alors curé constitutionnel de Beaupréau, se lamente auprès des administrateurs du département : « Je lutte, Messieurs, contre une vingtaine de prêtres aussi intéressés que fanatiques […]. [La paroisse de] Saint-Martin devient l’école de l’ignorance, en servant de refuge aux prêtres réfractaires, et M. Pinot, le ci-devant curé du Louroux, vient encore d’augmenter leur nombre. » Revenu au Louroux-Béconnais, Pinot est dénoncé par un de ses paroissiens en février 1794, et il exécuté le 21 février à Angers. Considéré comme un martyr, il est béatifié en 1926. Deux itinéraires opposés traités longtemps bien différemment par l’historiographie.

4Une telle recherche ouvre ainsi de nombreuses perspectives pour le futur. Tout d’abord, au-delà du personnage de Coquille d’Alleux, ou de son confrère François-Yves Besnard, et des études globales – mais essentielles – sur le serment constitutionnel, il semble nécessaire de mieux connaître et comprendre les itinéraires de ces ecclésiastiques qui s’engagent dans la Révolution française, et devenir pour certains d’entre eux les « curés rouges5 ». Formations, engagements, réseaux et ruptures apparaissent ainsi des axes essentiels à défricher dans un cadre chronologique plus large que les années 1789-1794, mais englobant la totalité de la carrière de ces hommes. Les recherches de Bertrand Delahaye permettent ainsi d’envisager la grande diversité des curés patriotes que l’on voit apparaître au fil des pages en fonction des rencontres faites par l’ancien récollet. Si incontestablement Coquille d’Alleux peut être classé parmi les « curés rouges », il existe aussi d’autres groupes, probablement très mouvants, ceux qui se rétractent plus ou moins tardivement après avoir prêté serment, ceux victimes des contre-révolutionnaires, les jureurs mariés puis réhabilités ou ceux qui vont se rallier plus tardivement au moment du concordat, pour prendre quelques exemples. Peut-on considérer que le richérisme, le gallicanisme et le jansénisme constituent des éléments qui permettent de comprendre les itinéraires de ces ecclésiastiques ? Mais sur un plan méthodologique, si c’est décelable ou analysable pour certains d’entre eux qui ont laissé quelques écrits, sont-ils alors représentatifs de l’ensemble du groupe ? Quels rôles jouent les amitiés et les réseaux tissés au séminaire ou dans le couvent, dans les lieux de sociabilité que ces ecclésiastiques côtoient comme la franc-maçonnerie ou les clubs tant au début de la Révolution que tout au long de leur carrière dans et hors de l’Église ? Même si c’est par la Révolution que Coquille d’Alleux devient curé en Maine-et-Loire et qu’il s’engage très tôt parmi les « patriotes », il serait intéressant de dresser un portrait de groupe des curés de l’Anjou avant le processus révolutionnaire et de déceler ainsi les prodromes des divisions qui traversent cet ordre dans les années 1780 et naturellement au cours des années 1789-1792.

5Au terme de cette étude, je ne peux que féliciter Bertrand Delahaye pour cette contribution majeure à l’histoire de la Révolution française dans le département de Maine-et-Loire, mais plus encore à une meilleure connaissance de ces curés patriotes, et on peut espérer que ses recherches se poursuivent dans ce domaine.