L’installation à Beaupréau, une ville au cœur de l’effervescence des Mauges en Révolution

4Les Mauges, circonscrites au xviii^e siècle autour d’une quarantaine de paroisses au sud du Layon et de la Loire, sont un ancien pagus romain devenu territoire aux limites complexes durant le Moyen Âge, aux confins de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne. Il en résulte sous l’Ancien Régime un espace fractionné aux multiples frontières3 où s’enchevêtrent notamment les juridictions religieuses et fiscales. Ce pays des Mauges n’est pas, avant la Révolution, une société homogène, soudée et fermée sur elle-même, telle que l’historiographie l’a souvent présentée. Des tensions existent dans les diverses communautés qui la composent4.

5C’est au cœur de ce territoire que se situent les deux paroisses voisines de Notre-Dame et de Saint-Martin qui composent un ensemble communément réuni sous le vocable de Beaupréau. Peuplées respectivement de 578 et 2 099 habitants en 1790-17915, ces deux paroisses rivalisent ensemble avec la ville de Cholet plus au sud, en accueillant le siège de l’un des 16 districts mis en place en 1787 par l’Assemblée provinciale d’Anjou, à la suite de la réforme administrative conduite par Loménie de Brienne. Mais avec la création des départements en 1790, Cholet et Saint-Florent-le-Vieil deviennent chefs-lieux de district aux dépens de Beaupréau, réduite au rôle de chef-lieu de canton.

6Notre-Dame et Saint-Martin sont bien différentes dans leur composition sociale. La première concentre une population de marchands, d’artisans, tandis que la seconde est très majoritairement peuplée de paysans, ce qui suscite régulièrement des divisions entre les deux entités, devenues assemblées municipales en 1789. Si le cahier de doléances de Notre-Dame n’a pas été conservé, celui de Saint-Martin exprime des espoirs de changements analogues à ce qui est rapporté pour de nombreuses paroisses du royaume6 :

« Après les doléances habituelles sur l’excès d’impôts, la demande de la suppression de la gabelle, des droits féodaux, la réforme de la procédure, l’établissement d’un cadastre, le cahier insiste sur l’égalité de l’impôt entre l’Anjou, la Touraine et le Maine, l’institution d’hôpitaux pour les filles enceintes, la lutte contre la mendicité7. »

7Les débuts de la Révolution sont plutôt bien accueillis à Beaupréau. Les deux municipalités se réunissent même le 26 juillet 1789 pour la rédaction d’une lettre commune adressée à la municipalité d’Angers dans le contexte de la Grande Peur. Elles affichent leur soutien aux révolutionnaires parisiens :

« Il a été arrêté unanimement et avec la plus grande acclamation (que malgré que l’on promette au Roi la fidélité la plus inviolable)8 que l’on jurait et affirmait, sur l’honneur le plus sacré, qu’au premier signal de leurs frères, tant Bretons qu’Angevins, on les rejoindra et aidera de tout secours de fortune et de bras jusqu’au dernier soupir, avec tout l’honneur dont un bon français peut être animé9. »

8Soixante-quatre signatures suivent cette déclaration, dont celles de trois chanoines, y compris celle de Maurice d’Elbée, futur généralissime de l’Armée catholique et royale. L’opposition à la Révolution dans les Mauges n’est pas immédiate : il n’y a pas dès l’origine à Beaupréau de foyer contre-révolutionnaire. À titre d’exemple, d’Elbée lui-même n’hésite pas à se porter acquéreur de biens nationaux en 1790. Il signe même un contrat en 1791, chez le notaire Lefeubvre de Cholet, avec un certain Guy-Joseph Duboueix10, curé constitutionnel de Roussay, consistant en un prêt de 12 000 livres qui doit lui servir à racheter la part d’héritage de son beau-frère Pierre Duhoux d’Hauterive11.

9Quant à Coquille, la municipalité de Notre-Dame de Beaupréau lui aurait même écrit en juin 1791, quelques semaines avant son installation, alors qu’il se trouve à Chalonnes-sur-Loire. D’après lui, dans cette missive, elle se veut rassurante sur le patriotisme des Bellopratains, ce qui a pu finir de le convaincre de venir s’installer au cœur des Mauges :

« D’après la lettre que vous me fîtes l’honneur de m’écrire le deux juin dernier et dans laquelle vous me marquiez des avis de scavoir de vos nouvelles enchantés de votre amour pour la patrie, connaissant votre zèle pour rapeler les brebis égarées dépersuader vous [sic] des fantômes qu’on vous a faits des habitans de cette cité, venez au milieu de votre troupeau qui vous regardera d’un oeil favorable et non comme des rebelles : soyez sûr que la paix reigne parmi nous et qu’elle y reignera toujours12. »

10Ce qui préoccupe plus particulièrement les deux municipalités en 1791, c’est le projet de réunion de paroisses qui suscite de l’inquiétude et de vives tensions dans les Mauges avant que les curés constitutionnels ne soient installés. Le 27 juin 1791, les administrateurs du département écrivent en ce sens au district de Saint-Florent-le-Vieil :

« Observez bien votre district, nous vous prévenons qu’il y règne de la fermentation, nous devrions savoir de vous sa véritable situation. Ne vous livrez pas à une fausse sécurité […]. En faisant aimer la loi, faisons la respecter13. »

11Six mois après le début des élections, la cure constitutionnelle de Beaupréau n’a toujours pas été pourvue. Ce laps de temps est fondamental. Les prêtres de Notre-Dame, Jean Trottier14, et de Saint-Martin, André Clambart15, ont eu tout le loisir de préparer leurs ouailles à l’accueil du prêtre constitutionnel, puisqu’ils sont autorisés dans un premier temps à poursuivre leur ministère. L’élection de Coquille à la cure de Beaupréau, le 9 avril, tombe plutôt bien dans le cycle liturgique car elle est très certainement connue avant les fêtes pascales fixées au 24 avril en cette année 1791. Timothy Tackett met en exergue cette temporalité :

« Au cours des semaines critiques du Carême, peu de semaines ou peu de jours avant les élections de district pour le remplacement des curés, pratiquement tous les membres de la paroisse viendraient se confesser, comme l’exigeait la période pascale16. »

12Les curés toujours en place bénéficient de cette dernière rencontre personnelle avec leurs fidèles pour condamner à l’avance leur remplaçant, transformant cet instant en un véritable tribunal de la pénitence, ce que redoutent les patriotes des Mauges17. Mais du côté des autorités l’on veut croire à un apaisement des consciences après Pâques, comme le pensent les administrateurs du district de Cholet :

« [Il serait] imprudent de vouloir remplacer avant Pasques nos fonctionnaires publics réfractaires au serment. Les Pasques une fois passées, les consciences pusillanimes seront un peu moins inquiétées18. »

13C’est donc dans ce contexte incertain que Jacques-Antoine Coquille d’Alleux se présente à Beaupréau le 10 juillet 1791, au début d’un été caniculaire, pour prendre ses fonctions de curé constitutionnel. Les circonstances de la cérémonie d’installation de Jacques-Antoine ne sont pas connues : il n’y a aucune évocation de celle-ci dans ses lettres et pas de trace dans les correspondances des districts et du département. Mais un regard comparatif sur les paroisses voisines de Beaupréau permet de se figurer le climat général dans lequel les installations des prêtres jureurs débutent dans les Mauges, à partir du mois de mai 1791. Ces cérémonies doivent se dérouler un dimanche dans l’église paroissiale en présence des municipalités. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles se montrent le plus souvent peu coopérantes, quand elles ne sont pas purement et simplement absentes. À la Tourlandry le 22 mai, on doit faire appel à deux officiers municipaux du village voisin de Vezins pour installer le curé Joseph Gautronneau19. À Chemillé le 29 mai, les commissaires Villier et Boullet indiquent qu’il a fallu forcer les membres de la municipalité à être présents20. Face aux réticences, districts et département n’ont d’autre choix que d’envoyer des détachements de gardes nationaux pour faciliter la mise en fonction des curés. Une vingtaine d’hommes en armes est envoyée à Cossé le 22 mai21 et une trentaine à Gesté le 24 mai22. Mais l’inverse se produit parfois et ce sont les gardes nationaux eux-mêmes qui font défaut : c’est le cas fin juin à la Pommeraye où la municipalité dénonce leur désobéissance lors de l’installation du curé assermenté Symphorien Lebreton23.

Le patriote dans l’arène : entre espoir et désillusion

14Les prises de fonctions des prêtres constitutionnels des Mauges ne se déroulent donc pas dans un climat des plus sereins, pas plus que les débuts de leur ministère dans lequel ils font très rapidement face à une résistance farouche. Comme d’autres assermentés, Coquille oscille entre espoir et désillusion.

15Si son installation s’est déroulée a priori sans anicroche suffisamment notable pour laisser des traces dans les archives, Jacques-Antoine s’empare cependant très rapidement de sa plume, quinze jours après, pour écrire au procureur général syndic du département, Pierre-Marie Delaunay, lui aussi membre de la Société des amis de la Constitution d’Angers. Cette lettre est un condensé de toutes les contrariétés qu’il a déjà rencontrées en quelques jours et qui ne cessent de se développer au cours des mois suivants. Mais ce qui semble le frapper, c’est l’absence de perspective et le sentiment que sa mission de porter le feu du patriotisme est déjà vouée à l’échec à court terme, ce qu’il résume dès les premières lignes de cette lettre au travers d’un constat cinglant :

« Malgré le désir ardent que j’ai de ramener aux vrais principes le peuple que l’on égare, je ne prévois pas qu’il soit possible d’établir sitôt la concorde et l’union dans un pays où tout est inconstitutionnel. Le peu de patriotisme qui y reigne, l’ignorance et la superstition qui semblent y avoir élu leur domicile sont les moindres obstacles que j’ai à surmonter24. »

16Il y aurait pourtant bien des patriotes à Beaupréau selon lui, s’ils osaient se montrer, mais « la voix turbulente de la superstition étouffe dans leur cœur jusqu’au désir qu’ils ont de voir la lumière25 ». Coquille n’avait peut-être pas imaginé possible une opposition d’une telle ampleur, quand bien même il lui est tentant d’exagérer certains faits pour accélérer la réaction des autorités. Cette dénonciation de l’ignorance et de la superstition s’accompagne d’une incompréhension face au comportement des habitants qu’il assimile à du fanatisme, terme qu’il emploie dans la presque totalité des lettres conservées26. Cela traduit très certainement ce que Boris Noguès constate dans son étude sur la formation religieuse des ecclésiastiques au xviii^e siècle :

« En-dehors même du monde des élites, ces prêtres sont mal préparés à affronter le “village immobile” et ses paysans, beaucoup moins acculturés, avec leurs pratiques immémoriales, vite jugées superstitieuses ou magiques27. »

17Ainsi, Jacques-Antoine fait un constat affligeant pour un homme ouvert aux idéaux des Lumières :

« Il se fait presque toutes les nuits des pèlerinages à belle fontaine [Bellefontaine] ; on m’a assuré que presque toutes les nuits il se faisoit dans cet endroit un rassemblement au moins de 3 000 personnes, dernièrement deux cent personnes tant de Beaupréau que de Saint-Martin y furent avec des cierges. Il y a tout à craindre que cette coalision [sic] ne se porte à quelques excès qui sont presque toujours les fruits du fanatisme28. »

18Sans encadrement clérical, les communautés des Mauges offrent avec ces processions le théâtre d’une flambée de religion sauvage29, quoique parfois accompagnées par certains réfractaires comme le curé de Saint-Martin de Beaupréau30. La mise en retrait du clergé habituel et l’opposition aux assermentés permettent ainsi un « retour du refoulé31 », c’est-à-dire la réactivation de pratiques autrefois condamnées : « La longue discipline cléricale imposée aux populations depuis la fin du xvii^e siècle est battue en brèche au nom de la vraie religion32 ! » De nombreux cortèges nocturnes convergent à l’été 1791 vers des lieux traditionnels de pèlerinage comme à l’abbaye Notre-Dame de Bellefontaine33 ou au sanctuaire des Gardes, ou vers des terrains d’expression de piété où la Vierge serait apparue comme dans un chêne à Saint-Laurent-de-la-Plaine.

19Ces processions sont l’occasion de s’en remettre aux saints intercesseurs convoqués depuis des siècles pour conjurer les maux les plus divers. À Andrezé, c’est saint Hubert que l’on implore pour lutter contre la rage. Le curé de la Chapelle-du-Genêt Yves-Michel Marchais recommande lui de prier saint Sébastien pour se prémunir contre la dysenterie34. Coquille ne fait donc pas face à des comportements véritablement nouveaux, mais à une société empreinte de croyances et de superstitions qui, d’après lui, n’ont plus leur place dans cette religion chrétienne régénérée et éclairée par la raison, à laquelle il aspire. Il en va ainsi de la sorcellerie en Anjou au xviii^e siècle étudiée par André Benjebbar :

« Quand un malheur menace, il faut prier les statuettes de saints que les paysans des Mauges placent dans un châssis. Les icônes du foyer repoussent les maléfices et les sorts. Cette croyance au diable et aux sorciers, la crainte des vivants et des “defeus” (les morts), celle des tourments de l’enfer qui menacent les âmes noires, les bruits étranges et la nuit profonde, les légendes qui font frémir, entretiennent une peur et une fièvre constantes35. »

20Ce « fanatisme » est entretenu et encouragé selon Coquille par les prêtres réfractaires qu’il dénonce dès sa première lettre adressée au département. Dans sa réponse du 30 juillet 1791, le procureur général syndic Delaunay l’encourage à rester en poste :

« Vous existez dans une contrée où les principes constitutionnels sont généralement méconnus, où le bon et franc habitant des campagnes est trompé par des pervers. Opposez la chaleur de la raison et le feu du patriotisme aux insectes rampans et venimeux de l’aristocratie presbiterienne36. »

21Ces moyens s’avèrent très rapidement dérisoires face à l’ampleur de l’opposition réservée au clergé constitutionnel. En quinze jours de présence à Beaupréau, Jacques-Antoine écrit n’avoir pu dire la messe, excepté le dimanche37. Peu de personnes assistent aux offices38 et encore moins aux processions qu’il tente d’organiser :

« Les portes, les fenêtres de toutes les maisons sont fermées, on apperçoit même pas un enfant dans les rues de sorte que si dans une ville de guerre tout le monde étoit comme à Beaupréau, il ne seroit point difficile de la livrer aux ennemis39. »

22Très vite, la question de la validité des sacrements administrés par le curé constitutionnel est posée, comme dans de nombreuses paroisses du royaume40. Coquille se plaint que « les femmes enceintes qui approchent de leur terme quittent [la] paroisse pour accoucher à Saint-Martin » et pour faire baptiser leurs enfants auprès du curé réfractaire Clambard qui officie toujours au mois d’août 179141. Les mariages sont aussi source de tensions :

« On me fait publier des bans sans certificats des ecclésiastiques autorisés par les loix pour recevoir le consentement des parties. Et dernièrement Mr le curé de St Martin procéda à la célébration d’un mariage malgré le certificat que j’avois donné, par lequel j’assurois que je n’avois point reçu le consentement des parties, ni le certificat d’aucun ecclésiastique authorisé par les loix pour le recevoir. Le prétendu vint chercher sa prétendue à ma porte, la conduisit publiquement à St Martin, c’est ainsi que dans cette paroisse on fait tout au mépris des loix42. »

23Les sépultures qu’on lui demande d’organiser suscitent chez lui des interrogations quant à savoir s’il ne s’agit pas de simulacres :

« Dois-je enterrer quoique les loix ecclesiastiques me le deffendent, toutes espèces de cadavre, pourvu qu’il ait eu la forme humaine de son vivant ? Dois-je mettre en terre sainte un idôlatre, un juif, un hérétique etc. Même un enfant né dans ma paroisse et mort au bout d’un mois et dont le baptême n’est pas constaté43. »

24Il pourrait s’agir d’exagérations de sa part, mais des faits similaires sont rapportés dans d’autres paroisses, comme à Saint-Quentin-en-Mauges où le curé constitutionnel Yves Laurent s’interroge à l’occasion d’une sépulture si c’est un corps que ses paroissiens enterrent ou bien une simple « bûche » de bois44 ! Coquille ne peut comprendre ces comportements qui se multiplient et qu’il associe une nouvelle fois à du fanatisme : « En tous sens on meurt sans sacrements, malgré la permission que j’ai donnée à tous mes paroissiens de s’adresser aux ecclésiastiques non assermentés45. » Il tente de prouver ici sa modération, sa bienveillance, en acceptant une forme de compromis46 pour ne pas laisser ses paroissiens mourir sans extrême-onction. Ces efforts sont vains et génèrent un sentiment de frustration, voire d’impuissance :

« Depuis trois mois que je suis ici, j’ai cru que ma patience, ma douceur et l’exercice de toutes les vertus qui doivent caractériser le ministre d’un dieu de paix devoient m’appuyer la tranquilité si elles ne pouvoient me gagner l’estime de mes paroissiens47. »

25Aux yeux des Bellopratains, Jacques Coquille n’est pas légitime dans ses fonctions sur le plan spirituel. À l’instar de tous les prêtres devenus fonctionnaires de l’État, il a perdu ce qui conférait aux religieux sous l’Ancien Régime le caractère sacré de leur ministère, à savoir l’institution divine via l’évêque qui les rendait aptes à remplir leur mission surnaturelle. Il déplore que l’« on porte l’insolence jusqu’à troubler le culte divin48 » et indique qu’il n’ose plus faire de processions. Cette perte du sacré ouvre alors la voie à une opposition massive et permanente face au curé assermenté sous des formes diverses et variées.

26Les lettres adressées par les prêtres constitutionnels des Mauges aux différents échelons de l’administration révolutionnaire regorgent d’exemples illustrant ce véritable combat de tous les instants qui s’engage avec les populations. L’intérêt de la correspondance de Jacques-Antoine dans ce domaine réside dans ce qu’elle donne à voir un condensé de toutes les formes de violences qui se manifestent à l’encontre de ces curés et une certaine gradation dans leur intensité.

27Les premières lettres de Coquille exposent un procédé couramment observé chez les populations engagées dans la lutte contre les prêtres constitutionnels, à savoir celui d’une tactique d’isolement49. L’entourage du religieux est pris à parti, mis sous pression pour dissuader les habitants de tout soutien à son égard : « Quiconque me parle est proscrit, quiconque ose vendre à ma domestique des denrées est honni, et celui qui approche de l’église est pour ainsi dire lapidé50 », « on attaque toutes les personnes qui ont communication avec moi51 ». Le public assistant aux offices est « disgracié52 » et « ne trouve pas à travailler, à vendre, enfin à continuer son métier, son art ou sa profession53 ». Il indique quelques jours plus tard que l’« on porte même l’insolence jusqu’à vouloir chasser de l’église une femme Thiery parce que son mari fait mon jardin54 ».

28L’opposition de la population aux assignats est aussi une source d’inquiétude pour Coquille qu’il exprime longuement dans sa lettre du 19 août 1791 et qui révèle une forme de pression économique exercée sur le curé. Décidé par l’Assemblée nationale constituante à l’automne 1789 après la mise à disposition des biens du clergé à la nation, le principe de l’assignat revient à émettre des billets correspondant au montant de la future vente de ces biens. Ainsi, les Français peuvent acheter des assignats et s’en servir comme d’un papier-monnaie. Les fonctionnaires publics sont payés de cette façon et Coquille expose les difficultés qu’il a à utiliser ces billets :

« Un autre abus non moins funeste à la circulation des assignats et à la liberté du commerce se manifeste et s’acrédite, d’une manière inconcevable. Les métayers ne veulent pas livrer leurs grains aux boulangers, ceux-ci ne veulent pas donner du pain à la coche, tous veulent avoir de l’argent et point d’assignat. Chaque métayer ne vend qu’un septier de grain à la fois et exige le payement en argent. La fille Martin boulangère m’apporta la coche d’un mois et voulut avoir dix livres dix sols que je lui devois ; je lui présente un assignat de 50 livres qu’elle refuse, je vas à la municipalité je la prie de bien vouloir me faire donner du pain jusqu’à concurrence de 50 livres et je veux déposer mon assignat d’avance, on l’offre à la fille Martin, qui n’en veut point et qui refuse constemment du pain, elle refuse ainsi l’avance que je lui fais de 39 livres 10 sols plutôt que de se charger d’un assignat, vous voyez, monsieur, que si on ne contraint pas les métayers d’apporter le grain au marché, il ne sera pas possible d’avoir du pain et les fonctionnaires publics qui ne sont payés qu’en assignats se trouveront comme Tantale55 au milieu des eaux sans pouvoir n’y boire n’y manger [sic]56. »

29Jacques-Antoine fait donc face à un boycott économique qui perdure puisqu’en octobre 1791, il écrit encore que « depuis trois mois je n’ai pu trouver de la paille pour me faire une paillasse, si monsieur le président du district ne m’en avoit donné un peu de vieille, je n’aurais pas trouvé où reposer ma tête57 ».

30La violence à son encontre se fait aussi verbale et apparaît dans sa lettre du 19 août 1791 dans laquelle il précise que « les abus se perpétuent et s’augmentent58 ». Sa domestique et lui-même sont insultés et menacés, plus particulièrement dans la paroisse de Saint-Martin tant « il est vrai que dans ma paroisse on est plus réservé59 ». La teneur de ces insultes est indiquée quelques mois plus tard : « Mes jours sont menacés, je n’entend d’autre propos que ceux-ci : voilà l’intrus, le geux [sic pour gueux], le scélérat, le poulailler, s’il ne s’en va pas il faut le tuer60. » Ces propos sont corroborés par les déclarations de Delaunay et Joseph Clémenceau61, « avoué et commissaire pour les impositions » qui font chacun une déposition devant la municipalité de Beaupréau. Le premier indique :

« Étant chez Mr Coquille, il avoit entendu des particuliers dire en passant : est-tu là, bougre de Coquille ? Que partout où il s’étoit trouvé il l’avoit entendu traiter d’intrus, de scélérat, qu’il falait le chasser et qu’il avait vu cracher de loin sur lui, qu’enfin on le méprisait au dernier point62. »

31Le second précise :

« Étant un jour chez M. Paumard, juge au tribunal de cette ville, il entendit un bruit considérable, qu’étant sorti dans la rue, il vit à une croisée donnant sur icelle une femme nommée la grande Marion, buandière en cette ville, qui criait à une vingtaine d’autres femmes attroupées, en parlant de M. Coquille qui venait de passer par la dite rue : c’est un gueu, un scélérat, foutez-lui donc une rossée en passant et que nous soyons délivrés de ce jean-foutre là ; qu’il a aussi connoissance pour avoir entendu qu’on a chanté des couplets de chansons contre M. Coquille, lesquels couplets étaient remplis de sarcasmes63. »

32Coquille se plaint par ailleurs de recevoir des « lettres infâmes qu’on jette dans mon jardin64 ». Premier stade de la violence, ces agressions verbales se doublent de dégradations matérielles. Le presbytère est particulièrement visé :

« Je ne puis sortir sans trouver à mon retour la serrure embarassée de toutes sortes d’ordures […] on casse les vitres de chez moi65. »

33Mais l’église de Notre-Dame est aussi la cible d’attaques tout à fait significatives : on commet des « impiétés […] à la porte de l’église en disant que ce n’est qu’un toit à porc66 ». On vient dans l’édifice en sa présence « battre avec des bâtons la générale sur les bancs67 ! ». Les Bellopratains s’en prennent donc à leur propre lieu de culte, ce qui leur aurait valu dans d’autres circonstances la réprobation des autres paroissiens. L’église, cœur de la communauté paroissiale, est souillée par la présence du prêtre constitutionnel. Dès lors, les atteintes à l’édifice sacré sont rendues possibles.

34La violence devient par la suite physique, d’abord à l’encontre de l’entourage de Coquille :

« Ma domestique est encore plus exposée que moi, les enfants lui jettent des pommes pourries à la tête, le petit qui me sert la messe est assommé de coups par les grandes personnes68. »

35Puis il est lui-même pris à parti personnellement d’après ses lettres, recevant des coups de « pied au derrière69 » de la part d’enfants et des jets de pierre quand il se promène dans son jardin70. Pour la plupart des habitants, le recours à des formes de coercition violente pour imposer leurs vues est légitime71. Dans le même temps, à seulement quelques kilomètres de Beaupréau, le curé réfractaire de Bégrolles-en-Mauges exprime très clairement l’objectif : « On gagne le ciel en se défaisant d’un ennemi de la religion72. »

36Exceptés quelques patriotes, la majeure partie de la communauté se soude dans l’opposition au curé constitutionnel suivant l’idée que la religion doit être sauvée. Femmes et enfants s’impliquent activement dans cette lutte d’après Jacques-Antoine : « Les enfants me poursuivent dans les rues, les mères les autorisent, les garçons les soutiennent73. » Des comportements semblables sont observés dans les communes des alentours comme à Roussay, Melay ou Saint-Lambert-du-Lattay74, comme ailleurs dans le royaume en Ardèche ou dans le Loir-et-Cher par exemple75. Pour Timothy Tackett, ces troubles menés par des femmes s’expliquent de la manière suivante :

« En vertu de la nature inférieure et du caractère irresponsable qui leur était généralement prêtés, elles bénéficiaient d’une certaine liberté lorsqu’elles se livraient à ce genre d’action et étaient de fait à l’abri des poursuites. En un certain sens, les actions violentes menées par les femmes ont pu revêtir une certaine autorité morale en tant qu’expression de la conscience collective de la communauté76. »

37Cette implication relève-t-elle d’une stratégie délibérée considérant que femmes et enfants sont moins sujets à des poursuites judiciaires77 ? Cela reste difficile à prouver dans le cas présent. Faut-il y voir de possibles dissensions religieuses dans les familles au sens où les hommes, dans plusieurs régions y compris dans l’Ouest, soutiennent plutôt le clergé constitutionnel78 ? Ou bien l’effet de la catéchèse du xviii^e siècle qui, privilégiant les femmes parmi les fidèles, pensait à travers elles ramener leurs époux au sein des églises ?

38La religion apparaît pour autant ici comme un formidable fédérateur de toute une communauté qui se mobilise contre le curé constitutionnel, catalysant malgré lui toutes les oppositions sous des formes violentes, multiples et graduées. Il existe bien d’autres patriotes à Beaupréau, certes peu nombreux semble-t-il. Mais c’est bien dans les fonctions de Coquille, où s’imbriquent à la fois les dimensions politique et religieuse, que s’incarne symboliquement l’intrusion au village d’une Révolution marquée par l’idéologie des Lumières. Un rôle qu’il doit ici assurer seul.

39Isolé dans ce qu’il nomme « l’enfer des patriotes79 », Jacques Coquille s’est très tôt adressé au district de Saint-Florent-le-Vieil, moins de quinze jours après son installation à Beaupréau. Il y rencontre l’administrateur Michelin auprès duquel il insiste pour que la réunion des deux paroisses de Saint-Martin et Notre-Dame soit effective le plus rapidement possible, car « tant que la paroisse de Saint-Martin subsistera, j’aurai toujours les mêmes inconvéniens80 ». Mais on lui oppose une fin de non-recevoir, ce qui lui inspire ce commentaire :

« On diroit que le district de Saint-Florent se fait un plaisir d’entretenir le fanatisme. La négligeance qu’il met à faire la réunion des paroisses et à remplacer les curés réfractaires prouvera toujours que je ne porte point un jugement téméraire81. »

40Pourtant, à la différence du district, le commissaire du roi Gautret, mandaté auprès du tribunal du district de Saint-Florent installé à Beaupréau, recommande lui aussi au plus vite la fusion des paroisses comme propice pour faire cesser les divisions du canton, former une garde nationale et ne plus voir « les habitants de Beaupréau courir à la messe de Saint-Martin et s’éloigner de Notre-Dame pour ne pas aller à la messe d’un curé assermenté82 ».

41Delaunay, le procureur général syndic du département à qui Coquille adresse cette plainte, lui enjoint de rester à son poste où la confiance publique l’a placé83 et écrit à la municipalité de Beaupréau sous forme d’un rappel à l’ordre84. Il demande que les quatre enfants de chœur assistent aux offices, sous peine de retirer l’argent prévu pour leur entretien, de certifier ou non la prestation de serment des professeurs du collège, des maîtres et maîtresses d’école. En guise de reproche, il observe que l’église du chapitre a été fermée, comme la loi l’y oblige, mais bien trop tardivement.

42Malgré plusieurs courriers adressés au district de Saint-Florent et au département, Coquille voit sa situation empirer et s’en remet aux édiles de Beaupréau auprès desquels il dépose une plainte le 3 octobre 1791 :

« Vous me demanderez peut-être de trouver des témoins de mes assertions, j’avoue qu’il seroit peut-être difficile d’en trouver dans un pays où personne n’ose soutenir un homme qui a assé de louange pour s’exposer seul à faire respecter la loi. Mais M. M. soyez de bonne foi, vous entendez tous les jours les sotises dont on m’accable, vous avez vu les horreurs qui se commettent, je vous prie dans ce moment de vouloir certiffier ma plainte, de l’envoyer au département, afin que le directoire trouve dans sa sagesse les moyens de rétablir la paix, l’union et d’assurer le libre exercice du culte public85. »

43Cependant, d’après Coquille, la municipalité déclare qu’elle n’a aucune preuve des faits énoncés et renvoie la plainte auprès du juge de paix. Il est alors au comble de l’exaspération comme il le rapporte à Delaunay trois jours plus tard :

« Voilà, Monsieur, la justice que j’obtiens. On veut que je traduise devant le juge de paix toute une ville ! La plus part des officiers municipaux ont été témoins des faits cités dans la plainte, tout le monde voit, entens. Et lorsque je me plains personne n’a vu86. »

44Jacques-Antoine présente une nouvelle lettre aux officiers municipaux, dix jours plus tard, annonçant son départ provisoire :

« Voyant donc MM. que vous ne faîtes aucuns efforts pour m’assurer la paix et la tranquillité, ou du moins que vos efforts sont inutiles, considérant que l’anarchie est à son comble, désirant épargner des crimes à vos concitoyens comme ministre d’un dieu de paix ne voulant appeler la force publique ni la provoquer ; espérant plus du temps que des peines que l’on pouroit infliger aux coupables que je connois ; mais aux quels je pardonne avec cette douce satisfaction qu’éprouve un vrai chrétien quand il exerce le pardon des injures. Je déclare donc, MM. que je vas [sic] m’absenter pendant quinze jours consécutifs, ne pouvant m’absenter plus longtemps sans une permission de Mr l’Evêque et du directoire du district ; permission que j’obtiendrois sûrement vu les malheureuses circonstances. D’allieurs [sic] MM. si je ne reviens pas au bout de la quinzaine vous donnerez avis à Mr le procureur général syndic de mon absence qui m’avertira de retourner à mon poste alors j’espère que l’ordre sera rétabli. Mais soyez sûrs que je ne reviendrai que lorsque la commune m’aura assuré la tranquillité sur sa responsabilité ; ou quand le pouvoir exécutif qui tôt ou tard saura faire respecter la volonté du souverain me l’ordonnera87. »

45L’affaire fait grand bruit. En effet, les autorités départementales ont transmis à l’Assemblée nationale, devenue législative, la lettre de Coquille datée du 6 octobre, véritable condensé de ses difficultés. Lors de la séance du 25 octobre 1791, c’est le député Hérault de Seychelles88 qui lit à la tribune les propos du directoire du département :

« Monsieur le Président, j’ai l’honneur de vous adresser plusieurs lettres et dénonciations concernant nos prêtres réfractaires. Vous verrez par ces différentes pièces la nécessité de prendre un parti à cet égard, si l’on veut maintenir la paix dans le royaume. M. le curé constitutionnel de Beaupréaux [sic] vient d’être obligé de quitter son poste : il a été assailli d’insultes et de mauvais traitements. La municipalité et le directoire de district, d’accord avec les non-conformistes et les mécontents, ont trouvé le moyen d’éluder, sous différents prétextes, toutes ses réquisitions. Ne trouvant d’appui dans aucun de ceux qui devraient le soutenir, il a pris le parti de la retraite. La plupart de nos curés constitutionnels sont dans le même cas, si on ne les soutient pas. Mais comment les soutenir, quand on est secondé, ni par les tribunaux, ni par les juges de paix ? La position où nous nous trouvons n’a jamais été si embarrassante, et nous prions l’Assemblée de ne point la perdre de vue89 ».

46Le député du Tarn Pierre Lacombe-Saint-Michel, ancien capitaine d’artillerie, réagit alors vivement à ces propos en prônant l’action :

« Si nous ne faisons pas respecter les personnes qui sont mises en place au nom de la Constitution, insensiblement on attaquera les tribunaux, les administrateurs ; insensiblement on vous attaquera vous-mêmes. Commençons à nous respecter et l’on nous respectera […]. Il existe des lois de police. Si elles sont insuffisantes, complétez-les. Si nous n’avons pas la force de soutenir l’édifice que nos prédécesseurs ont élevé, nous sommes perdus, et nous aurons à nous reprocher la perte de la liberté90. »

47Un autre député, dont le nom n’est pas mentionné, demande un décret d’accusation contre la municipalité de Beaupréau. L’Assemblée renvoie la lettre et les autres pièces constitutives de ce dossier au comité des pétitions, créé quelques jours auparavant le 14 octobre 1791 et chargé de traiter et filtrer la correspondance reçue pour les débats parlementaires91.

48Les administrateurs du district de Saint-Florent-le-Vieil apprennent l’accusation dont ils font l’objet dans le numéro 26 du Logographe, le journal de l’Assemblée nationale qui retranscrit les propos tenus lors de ses séances. Ils s’empressent alors d’adresser au directoire du département les plus vives protestations et réclament qu’on leur livre les noms des auteurs de cette lettre :

« Des fonctionnaires publics honorés de la confiance de leurs concitoyens, ne peuvent ni ne doivent rester sous le coup d’une pareille accusation. S’ils sont coupables, ils doivent être jugés et punis, comme des mandataires infidèles, comme ayant manqué au serment qu’ils ont prêté de faire exécuter les loix, de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution. Si au contraire leurs dénonciateurs ou ennemis sont convaincus de la plus noire, de la plus outrageante calomnie, ils doivent être connus, notés d’infâmie et livrés à leurs remords, et à l’indignation publique92. »

49Le procureur général syndic du département leur répond dans la foulée et réfute être à l’origine d’une quelconque dénonciation du district :

« La lettre du directoire du département est du 22 octobre il n’y est nullement question du directoire de votre district, vous n’avez donc pas été outragés et mal à propos vous exhalés vous [sic] les reproches contre l’administration93. »

50Tout juste admet-il par le passé « des observations lorsque le travail a été arriéré dans votre district94 ». Le cas Jacques Coquille jette donc le trouble dans les relations entre les différents échelons de l’administration révolutionnaire de Maine-et-Loire. Il devient par là même emblématique de la position des curés constitutionnels des Mauges et un enjeu crucial posant la question de la légitimité du processus révolutionnaire en cours au travers de l’application de la Constitution civile du clergé. Car si le district de Saint-Florent a bien pris soin dès le 31 août d’adresser au département, par la voix de son procureur général Renou, son soutien écrit au curé de Beaupréau, ce n’est pas le sentiment de ce dernier qui multiplie par la suite les récriminations contre ce district et en particulier contre l’un de ses administrateurs : Michelin. L’on se souvient que Coquille est reconnaissant envers Renou de lui avoir procuré de la paille pour qu’il puisse se fabriquer un couchage. Il y a tout lieu de croire à la sincérité de ce procureur qui se réfugie à Angers aux débuts de l’insurrection de 1793 et devient par la suite pharmacien en chef de l’armée des Côtes de Brest. C’est l’attitude de Michelin, sur laquelle nous reviendrons, qui pose bien plus questions et dont l’ambiguïté se dévoile peu à peu.

La lutte contre le réseau concurrent des réfractaires

51Isolé, Jacques-Antoine est néanmoins assigné à un rôle de personnage central, intermédiaire entre le réseau des patriotes et celui des prêtres réfractaires et leurs soutiens. Il est ainsi dans une position que Claire Lemercier nomme celle du « broker95 », c’est-à-dire celui qui représente le seul lien, le passage obligé entre deux groupes, qui ici s’invectivent et ne se comprennent pas. Cette situation le place dans une vulnérabilité certaine, malgré tous les moyens qu’il a mobilisés selon lui pour maintenir le dialogue :

« J’ai mis tout en usage, j’ai invité publiquement et en particulier les prêtres réfractaires non assermentés de me faire plaisir de dire la messe à mon église ; j’ai même flatté leur cupidité et l’envie qu’ils ont de perpétuer l’erreur en leur promettant de faire mon possible pour leur obtenir les pouvoirs de la confession, les confesseurs n’étant point déclarés fonctionnaires publics96. »

52Un décret de l’Assemblée nationale constituante du 7 mai 1791 autorisait en effet les prêtres n’ayant pas fait le serment à officier dans l’église des curés constitutionnels. Mais rien n’y fait, Beaupréau est véritablement pour lui « le paradis des réfractaires et l’enfer des patriotes97 ». Le processus à l’œuvre ici est essentiel pour comprendre la trajectoire que Coquille va désormais suivre. C’est par l’opposition au réseau des réfractaires qu’il conçoit à présent son engagement. Très vite, il identifie clairement ses ennemis :

« Je lutte, Monsieur, contre une vingtaine de prêtres aussi intéressés que fanatiques. Les curés, les chanoines, les professeurs du colège, le principal surtout, exercent une autorité aussi despostique que le pape dans son empire […]. Saint-Martin devient l’école de l’ignorance en servant de refuge aux prêtres réfractaires, et Mr Pinot, le ci-devant curé du Lorou [sic] vient encore d’augmenter leur nombre98. »

53Il a fallu attendre près de six mois après le début des opérations d’élection des prêtres assermentés avant que la paroisse de Notre-Dame de Beaupréau ne soit pourvue. Ce laps de temps a sans doute été propice à une mobilisation des prêtres réfractaires contre la Constitution civile du clergé. Mais ce réseau s’appuie très certainement sur des relations plus anciennes, nouées par les religieux des Mauges bien avant la Révolution, à l’image des mouvements collectifs99 de curés que l’on retrouve disséminés çà et là dans le royaume100. Il existe en effet à Beaupréau depuis 1726 une société de prêtres, encore appelée confrérie, dont le but est de « faire de sincères amis et de véritables frères101 ». Elle est toujours active pendant la Révolution et est dirigée de longue date par Yves-Michel Marchais102, curé bientôt réfractaire de la Chapelle-du-Genêt, paroisse voisine de Beaupréau. Le 6 septembre 1790, celui-ci prononce un discours dans la chapelle du collège soulignant le rayonnement de l’organisation :

« Notre Société se trouve maintenant étendue dans plusieurs provinces et renferme dans son sein des sujets les plus distingués, jusqu’à d’anciens vicaires généraux, et ces instituteurs si estimables des jeunes clercs et ordinands. Ces Messieurs remplis de l’esprit du Seigneur qui est comme le germe de leur vie, et animés de ce zèle sacerdotal dont leur admirable Congrégation (Saint-Sulpice) est comme le dépositaire, en voyant les grands principes de notre Société et peut-être même leurs effets dans quelques-uns de ses membres, l’ont aimée et adoptée comme spécialement analogue à leur façon de penser et d’agir103. »

54Le registre des membres de cette société n’a pas été conservé. Mais parmi ceux identifiés vivant sous la Révolution, aucun n’a fait le serment104. Y figurent entre autres des ecclésiastiques influents comme Jean Meilloc, supérieur du grand séminaire d’Angers depuis 1787, auteur en 1790 du Préservatif contre le schisme ou questions relatives au décret du 27 novembre 1790, concernant le serment civique des ecclésiastiques fonctionnaires, par un directeur du séminaire d’Angers105.

55Les réfractaires dénoncés par Coquille ont en outre des liens personnels avec des membres de l’administration révolutionnaire. C’est le cas du curé réfractaire de Saint-Martin, Clambart, à qui le procureur général syndic du département écrit le 7 juin 1791, un mois avant l’arrivée du curé assermenté :

« Je me rappelle avec plaisir, Monsieur, que nous avons passé nos jeunes années ensemble ; et je me ferai toujours plaisir de vous être utile. Je vais chercher dans les bureaux votre requête afin de payement de la somme de 300 livres par vous avancée. J’en presserai le rapport106. »

56Cet appui en haut-lieu est peut-être la clé de l’explication des difficultés pour Coquille d’obtenir la suppression de la paroisse de Saint-Martin et sa réunion à celle de Notre-Dame107.

57Quand il évoque une vingtaine de prêtres présents à Beaupréau fin juillet 1791, Jacques-Antoine n’exagère pas outre mesure le nombre de religieux composant le camp des réfractaires. Sur les sept chanoines du chapitre supprimé, six vivent encore à Beaupréau à cette époque108 et la municipalité les place sous sa protection, même après l’obligation faite le 1^er février 1792 d’assigner à résidence tous les insermentés à Angers109. Le curé réfractaire de Notre-Dame, Jean Trottier, demeure lui à Beaupréau grâce aux efforts des officiers municipaux qui tentent là aussi de le prendre sous leur protection le 19 février 1792, avant qu’il ne parte pour Angers le 14 mars. André-Jean Clambart, curé réfractaire de Saint-Martin, traverse toute la période révolutionnaire à Beaupréau grâce à de multiples cachettes. Son vicaire Michel Poirier110 est arrêté à la fin de l’année 1793. Le principal René Darondeau et la dizaine de professeurs du collège restent en place jusqu’à la fermeture du collège en novembre 1792111. Avec l’arrivée du curé Noël Pinot112 à la fin juillet 1791, la vingtaine de prêtres réfractaires est bien atteinte. Pinot, suspecté d’engager les ecclésiastiques des environs de sa cure du Louroux à s’opposer à la loi, avait été condamné à deux années de bannissement à plus de huit lieues de sa paroisse par le tribunal d’Angers au mois de mars 1791, après avoir prononcé un discours jugé « incendiaire » par le maire de la ville. L’affaire avait été rejugée en appel par le tribunal de Beaupréau, choisi par l’accusé suivant la législation du moment. Si l’on en croit Simon Gruget, la maréchale d’Aubeterre de Beaupréau réserve les meilleurs appartements de son château au prisonnier :

« À son arrivée, tous les habitants de l’endroit et des environs, instruits de la persécution dont il avait été l’objet, s’empressèrent de lui donner les marques les plus signalés de leur respect et de leur vénération. Chacun sortait aux portes sur son passage et le comblait de bénédictions. Il trouva au château un repas préparé pour lui. On lui donna pour prison une chambre assez commode dans le vieux manoir ; seulement on eut soin de faire apposer des grilles aux fenêtres, afin de conserver au moins les apparences de la légalité. Les habitants de Beaupréau se disputèrent l’honneur de le servir, de lui offrir tout ce qu’ils supposaient lui être agréable113. »

58Les conditions de l’irruption de Noël Pinot, probablement exagérées dans cet extrait, n’ont pu qu’exaspérer le curé constitutionnel et le conforter dans l’idée que cette paroisse est bien le refuge des réfractaires.

59Coquille, qui sort d’une expérience patriotique collective de plus de deux ans à Beaufort-en-Vallée puis à Chalonnes-sur-Loire, est propulsé dans un espace où il doit s’imposer presque seul contre tous. Il n’est plus en mesure de vivre les moments exaltants passés où son enthousiasme révolutionnaire pouvait s’exprimer et susciter l’engouement dans des mises en scène éclatantes. Son positionnement est en train de changer : il s’inscrit désormais en faux par rapport à des comportements qui lui sont incompréhensibles. Le choc est profond pour des acteurs qui comme lui ont pu un temps se mettre en avant comme le suggère Haïm Burstin :

« Il est en effet bien difficile de retomber dans l’anonymat et la normalité quand on en est sorti, avec de surcroît une gratification personnelle. C’est une expérience qui déstabilise psychologiquement les individus, en les poussant vers la sphère publique : au moment de s’en éloigner, ils ne peuvent qu’éprouver un sentiment de dépaysement114. »

60Ce contrecoup existentiel affecte sans aucun doute Jacques-Antoine qui décide, à la mi-octobre 1791, de quitter Beaupréau pour se réfugier durant quinze jours à Chalonnes-sur-Loire auprès du curé constitutionnel Denis-Jacques Renou. Des comportements semblables sont observés ailleurs dans le royaume comme dans le département de l’Orne :

« Les curés constitutionnels sont insultés et menacés. Plusieurs, fatigués, dégoûtés des humiliations qu’il leur faut dévorer dans le silence et le chagrin, effrayés d’ailleurs du danger qui menace leurs jours, se proposent d’abandonner les cures auxquelles ils viennent d’être nommés115. »

61Mais Coquille espère revenir une fois l’ordre rétabli. Signe d’une volonté conciliatrice et d’un véritable souci de ses paroissiens, il prend même le soin d’accorder au prêtre réfractaire de Saint-Martin, Clambart, et à ses vicaires, l’exercice du culte dans la paroisse de Notre-Dame pendant son absence.

Les tentatives de consolidation du réseau du clergé constitutionnel

64De retour à Chalonnes auprès du curé constitutionnel Denis-Jacques Renou dont il a été vicaire au printemps précédent, Coquille retrouve l’espace rassurant d’une ville majoritairement patriote disposant d’une garde nationale permanente. Il revoit aussi François Brideau, membre de la loge maçonnique de l’Amitié de Beaufort, devenu curé constitutionnel de Notre-Dame de Chalonnes. C’est l’occasion pour lui d’échapper à la pression quotidienne de son ministère à Beaupréau et de gagner en sérénité. Il ne demeure cependant pas inactif. Entre novembre 1791 et janvier 1792, il signe sept actes de baptêmes et 11 sépultures pour la paroisse Saint-Maurille. Mais le plus remarquable dans cette période, c’est qu’il côtoie de nombreux prêtres jureurs présents à Chalonnes, faisant de ce lieu une véritable base arrière du clergé assermenté des Mauges.

65Les registres paroissiaux comportent en effet les signatures de plusieurs membres de l’Église constitutionnelle. Coquille retrouve ainsi Jules Dunan, vicaire de la paroisse Notre-Dame de Chalonnes, élu le 2 octobre 1791 à la cure de la Poitevinière. Ce dernier expose quelques semaines plus tard, dans une lettre adressée au département, la détermination qui l’avait conduit à se faire installer le dimanche 13 novembre, suivant les conseils de ses congénères :

« J’étois décidé à refuser toute cure située dans les Mosges [sic] et éloignée de la Loire. Je persistois dans cette résolution, lorsque les sollicitations des curés constitutionnels, les propos menaçants de mes futurs paroissiens, et le plaisir de déranger les calculs aristocratiques, m’ont déterminé à fermer au fanatisme un asyle, propre à rassembler les hommes simples de quatre lieues à la ronde117. »

66Jacques-Antoine fait sans doute partie de ceux qui enjoignent les curés constitutionnels à s’implanter dans les Mauges. Dans le cas de Dunan, il a tout intérêt à ce que ce dernier s’installe à la Poitevinière, distante de seulement huit kilomètres de Beaupréau. Il peut ainsi espérer mailler les paroisses voisines de prêtres assermentés pour faire front commun face aux oppositions. Seulement, Dunan quitte la Poitevinière après deux semaines passées dans cette paroisse, en proie lui aussi aux menaces et aux injures, tout comme Jean-Pierre Lafont, autre vicaire de Saint-Maurille de Chalonnes du 16 octobre au 2 novembre 1791, qui est élu à la cure de Liré. Accusé d’ivrognerie, de libertinage et d’avoir été ordonné par l’évêque constitutionnel118, il semble se réfugier lui aussi à Chalonnes.

Fig. 8. – Le réseau du clergé constitutionnel de Chalonnes-sur-Loire.

67Quelque temps plus tard, en janvier 1792, Coquille affirme également que Jean Hulin, curé constitutionnel de Sainte-Christine, et Jules Dunan, curé constitutionnel de la Poitevinière, peuvent attester des déboires qu’il a rencontrés à Beaupréau, signe supplémentaire de l’existence d’un véritable réseau de solidarité entre prêtres assermentés.

68L’exemple le plus probant en ce sens est sans aucun doute l’installation du curé constitutionnel de Saint-Laurent-de-la-Plaine, Jean René Pirault, à laquelle Denis-Jacques Renou et Jacques-Antoine Coquille d’Alleux assistent le dimanche 30 octobre 1791. Accompagné par la garde nationale du lieu, le cortège fait route vers le bourg et est alors interpellé par deux personnes leur assurant que l’église est le théâtre de jets de pierre et qu’un certain chirurgien Cady119 force les fidèles souhaitant assister à la cérémonie à sortir de l’édifice, et que « plus de quatre mille âmes [les] attendaient armés de bâtons120 ». Arrivés à l’église, ils ne trouvent comme représentant de la municipalité que le maire, « sans écharpe », qui reçoit le serment du curé et se retire immédiatement. La messe est célébrée, « assez solennellement grâce aux sieurs Renou curé de Saint-Maurille de Chalonnes et Coquille curé de Beaupréau qui m’avaient accompagné ». La garde nationale se retire à Saint-Florent et à Montjean, et les religieux se rendent au presbytère :

« Ce fut alors que le trouble commença. La canaille s’ameuta et nous insulta de toutes manières, on menaça les jours du sieur Renou et les miens ; nous ne devions sortir ni l’un ni l’autre de Saint-Laurent, nous devions y trouver notre tombeau121. »

69Un brigadier et deux gendarmes qui avaient installé le curé Jean Hulin à Sainte-Christine parviennent à ramener un certain calme. Trois cents gardes nationaux de Chalonnes arrivent à la maison curiale pour sortir les curés de ce mauvais pas et quitter Saint-Laurent. Pirault précise que le danger avait été pressant, mais il ajoute :

« Le plaisant se trouve quelquefois auprès du tragique. Pendant que nous étions bloqués, plusieurs processions extrêmement nombreuses passèrent et malgré notre frayeur, nous ne pûmes nous empêcher de rire de leur dévotion en les entendant chanter Sancta maria trut trut, ora pro nobis coucou coucou122. »

70Cette remarque n’est pas anodine car elle tend à dénoncer l’inanité d’une religion pratiquée à l’aveugle, sans connaissances précises des formules latines consacrées, illustration du fanatisme condamné par les prêtres constitutionnels. Pirault, lui aussi réfugié à Chalonnes où il signe un acte le 3 février 1792, meurt à Saint-Laurent quelque temps après, le 23 avril, dans des circonstances non établies dans les archives. Il est inhumé le lendemain en présence de nombreux curés constitutionnels123, preuve s’il en est une nouvelle fois d’une manifestation de solidarité au sein de ce clergé.

71Jacques-Antoine œuvre ainsi à Chalonnes avec Renou à la coordination du clergé assermenté face au réseau des réfractaires qu’il dénonce124 et face à ces populations fanatisées à leurs yeux, promptes à renouveler les « horreurs de la Saint-Bartélemi » et à se comporter plus impitoyablement que « les Croisiers [sic] [qui] alloient avec moins d’ardeur pour conquérir la terre sainte qu’ils ne vont prier un chêne [à Saint-Laurent] pour conquérir les prêtres réfractaires125 ». À la fois refuge et base arrière, Chalonnes est indéniablement au cœur du réseau du clergé constitutionnel dans cette partie du département et Jacques-Antoine en a été l’un des ardents contributeurs.

La mise en évidence de la duplicité du district de Saint-Florent-le-Vieil

72Sur les bords de Loire, l’heure est aussi au règlement de comptes pour Coquille avec le district de Saint-Florent, et en particulier avec l’un de ses administrateurs : Michelin. Une lettre du 9 janvier 1792 le dénonce aux administrateurs du département sous une forme traduisant un certain goût de la mise en scène et de la théâtralité chez Jacques-Antoine126. Ce document expose les échanges tenus entre les deux protagonistes, dans un dialogue censé prouver le caractère inconstitutionnel de l’attitude de Michelin. Le curé commence par réclamer le traitement qu’on lui refuse, suspendu par le district car il n’est plus en poste à Beaupréau. Il rappelle ensuite la litanie de ses malheurs subis dans cette paroisse et réclame la force armée pour installer les prêtres constitutionnels et disperser les rassemblements de « fanatiques ». Mais d’après lui, l’administrateur Michelin ne veut rien savoir et le taxe d’être un voleur et un intolérant :

« Michelin
On ne vous a rien dit, ni rien fait. Ils sont tranquilles et vous êtes un intolérant.
Le Curé
Quoi je suis intolérant, quand pendant trois mois j’ai souffert avec une patience héroïque tout ce que l’ignorance et le fanatisme peuvent faire éprouver de plus dur à une âme sensible. Quoi j’étois intolérant quand j’ai vu, sans rien dire les enfants cracher sur moi, le peuple me menacer de m’égorger, les femmes s’attrouper et vouloir me lapider, me huer en procession, me poursuivre en chantant des chansons abominables ! J’étais intolérant !… On ne m’a rien fait ! Quand depuis quatre heures du matin jusqu’à onze heures du soir on vient à ma fenêtre m’accabler de sotises, casser les vitres, jeter des pierres dans mon jardin en sorte qu’il m’était impossible de sortir. On ne m’a rien dit ! Quand de plus d’un quart de lieu aux environs de Beaupréau, vous eussiez entendu ces épitettes outrageantes Coquille fripon, voleur, scélérat, apostat, intrus, cocou [sic] monstre etc.… ! Ils sont tranquilles ! Quand ils viennent, comme des furieux, à l’instant que je suis à l’église battre avec des bâtons la générale sur les bancs ! S’ils sont si tranquilles, pourquoi refusent-ils de m’envoyer un acte par lequel ils s’engagent à m’assurer ma tranquillité sur leur responsabilité ?
Michelin
Ils ne vous aiment point et ne peuvent vous souffrir. Ils nous ont dit ici, qu’ils ne le fairoient jamais.
Le Curé
Vous voulez donc que j’aille me faire égorger ! Et que je sois continuellement entre le poison, le fer et la flame [sic] ?
Michelin
Vous ne méritez pas votre traitement, puisque vous n’êtes pas à votre poste, c’est un vol que vous faites à la Nation.
Le Curé
Rendez par une bonne administration le poste tenable, envoyez des commissaires pour organiser la municipalité, faites fermer les portes de l’église de Saint-Martin. Quoi depuis trois mois que vous avez reçu le décret de réunion il est étonnant que vous laissiez ce foyer au fanatisme127. »

73Dégoûté, Coquille écrit : « La conduite du Directoire du District de Saint-Florent à l’égard des prêtres assermentés est si révoltante, que je suis étonné qu’il y en ait un seul qui puisse rester à son poste128. » Il condamne ainsi l’inaction de cette administration responsable de la dégradation de la situation. Robert Louis Michelin, médecin, ancien député de la paroisse de Champtoceaux et de la sénéchaussée d’Anjou, jouait un double jeu. Quelques mois plus tard, il se rallie en effet aux insurgés vendéens, tout comme son cousin Jean-Baptiste Michelin, membre du conseil supérieur des Vendéens, confortant a posteriori les doutes émis par Coquille sur son patriotisme. Il est d’ailleurs déjà mis en cause en juillet 1791 avec d’autres administrateurs du district de Saint-Florent par le Journal du département129.

Le théâtre au service de la dénonciation du clergé réfractaire

74C’est potentiellement lors de son séjour à Chalonnes que Jacques-Antoine mûrit et s’attèle à la rédaction de sa pièce de théâtre Le Prêtre réfractaire ou le nouveau Tartufe130. Celle-ci n’a sans doute jamais été jouée nulle part, bien qu’elle ait été semble-t-il publiée puisqu’elle figure parmi les catalogues des pièces de théâtre de l’époque131. D’après Eugène Jauffret132, Coquille aurait adressé sa pièce aux jacobins de Paris le 19 mars 1792, ce qui est vraisemblable car il indique en en-tête : « De Beaupréau, district de Saint-Florent, département de Maine-et-Loire ».

75La Révolution française est un moment propice à une explosion du nombre de créations théâtrales133, « des centaines de productions venant étayer cette construction d’un temps nouveau134 ». Pourtant, le théâtre est déjà un média privilégié des Français depuis les années 1750, au même titre que les chansons, dans un pays marqué par la culture orale135. La profonde mutation que connaît le genre dans la décennie révolutionnaire tient à ce qu’il devient « l’un des foyers de cette parole délibérante nouvelle136 » où l’on met en scène l’affrontement de points de vue différents. Toutefois, Michel Biard souligne qu’il y a eu des précédents et que la politisation du théâtre n’est pas lancée par le seul Charles IX de Chénier137 comme cela a été souvent souligné. Cette œuvre représentative du théâtre politique est pour son auteur l’occasion de « partager le combat pour la liberté et contre la fanatisme religieux138 ». La pièce de Coquille est à rapprocher de cette thématique, bien qu’il choisisse le registre plus commun de la comédie à la différence de la tragédie de Chénier139. Ce qui importe pour ces deux auteurs, quel que soit le genre retenu, c’est la force éducative de cet art, sa fonction sociale et politique, ce qui rejoint en tous points l’objectif que Le Chapelier assigne au théâtre dans son Rapport sur les spectacles en 1791 :

« Il faut que les spectacles épurent les moeurs, donnent des leçons de civisme, qu’ils soient une école de patriotisme, de vertu et de tous ces sentiments affectueux qui font la liaison et le charme des familles140. »

76Robespierre ne disait pas autre chose précédemment dans un de ses discours le 23 décembre 1789 : « Les théâtres deviendront des écoles publiques de principes, de bonnes mœurs et de patriotisme141. » Et l’on ira plus tard en l’an II jusqu’à parler du théâtre comme d’une « école primaire pour adultes142 ». L’objectif poursuivi est bien le même pour Coquille. En effet, dans la dédicace de sa pièce aux « Amis de la Constitution », il souligne qu’il s’agit là « d’éclairer le peuple et de tourner en ridicule toutes les idées superstitieuses que les partisans des siècles d’ignorance s’efforcent de graver dans son esprit143 ». La cible de sa comédie est clairement identifiée :

« Je me fais un devoir de donner au public cet aperçu des sottises des prêtres réfractaires de nos cantons […]. Comme les prêtres ont été les premiers à inventer de pieuses farces pour soumettre le peuple au joug de la superstition, soyons aussi les premiers à présenter la superstition dans sa plus honteuse nudité. Il faut, frères et amis, démontrer aux gens de campagne que les esprits dont on leur fait peur ne sont pas les meilleurs gens du monde, mais bien les plus fourbes et les plus méchants coquins de l’univers144. »

77Pour ce faire, Jacques-Antoine choisit une forme de continuité145 en reprenant et en adaptant le Tartuffe de Molière. Il n’est pas le seul à l’époque, loin de là, à recourir à ce modèle qui jouit d’une grande popularité. On joue de nombreux Tartuffe146, on en propose même des suites à tel point qu’un écrivain se plaint à la préfecture de police de Paris : « On donne le Tartuffe partout… pourquoi ne donnerait-on pas ma pièce147 ? » L’œuvre de Molière est particulièrement propice à la mise en cause du clergé et l’on entend à tout va à l’époque l’expression « plus de prêtres sur nos scènes, sinon démasqués148 ». Ce sont par exemple les jésuites qui sont ciblés. Un extrait du journal Les Révolutions de Paris en 1790 est très explicite à cet égard :

« Le Tartufe a montré et mis à la portée du peuple les jésuites et le jésuitisme : pas à pas ces hypocrites impérieux, qui s’insinuoient dans les familles, se sont trouvés soumis à la comparaison que faisoient d’eux les pères, les mères, les fils et les filles, avec l’hypocrite de Molière ; petit à petit les yeux se sont ouverts, la méfiance s’est étendue, la confiance en a résulté ; et quand les jésuites attaqués ont crié au secours, ils n’ont trouvé que des ennemis. Telle est, nous l’osons dire, l’influence puissante des représentations149. »

78Pour Coquille, pas de doute, le Tartuffe est donc idéalement transposable au prêtre réfractaire. L’intrigue n’est pas datée, mais à la lecture de la pièce il appert que celle-ci se déroule quelque temps après le 14 juillet 1789. Cette temporalité est tout à fait à la mode pour les pièces patriotiques de l’époque « qui portent haut en 1789-1790 la prise de la Bastille150 », et lui permet de fédérer l’éventuel auditoire en célébrant la Révolution et l’héroïsme de l’un de ses personnages, L’Éveillé, vainqueur de la Bastille. La scène se déroule « en campagne », tout proche d’un lieu de procession clandestine particulièrement prisé des populations maugeoises et identifiable au chêne de Saint-Laurent-de-la-Plaine. Le temps et l’espace ne sont pas choisis par hasard par Coquille : ils lui offrent la possibilité d’inscrire l’action dans un contexte et une réalité concrète pour donner plus encore de véracité aux faits qu’il expose. C’est aussi, en commémorant l’événement du 14 juillet 1789, la volonté clairement établie d’exprimer un engagement politique, ce qui contribue à faire de son Tartuffe une authentique pièce patriotique.

79Une rapide analyse onomastique des personnages listés au début de l’œuvre donne le ton. Le curé réfractaire assimilé au Tartuffe est nommé Caffard. C’est lui qui, tel l’insecte rampant dont il est difficile de se départir, empoisonne la vie de la famille Cadière et de leur fille Julie, éprise de L’Éveillé, vainqueur de la Bastille et à qui elle est promise. On ne peut s’empêcher de penser ici à une référence à Julie ou la Nouvelle Héloïse de Rousseau, dont Coquille est un lecteur comme nous avons pu le constater précédemment. Le nom de L’Éveillé laisse supposer l’ouverture de cet acteur aux idées des Lumières, ce qui est le cas. Quant à celle qu’il dénomme « la Bonne femme Cadière », protagoniste superstitieuse tourmentée par le curé réfractaire, comment ne pas y voir un lien avec la scandaleuse affaire Girard-Cadière survenue entre 1728 et 1731 ? Cette histoire de déviance sexuelle ecclésiastique n’a pu être choisie par hasard par Jacques-Antoine. Elle lui permet d’emblée d’insister sur la faiblesse du personnage et la perversité d’une partie du clergé. Pour mémoire, Marie-Catherine Cadière était une jeune fille placée à Toulon sous la direction de l’abbé Girard. Celui-ci, connu pour faire des saintes, réussit une nouvelle fois dans ce domaine avec la jeune femme : sa réputation se répand en Provence, tandis qu’elle multiplie les phénomènes miraculeux. Marie-Catherine Cadière, après avoir été mise au couvent par Girard, révèle les abus sexuels dont elle a été victime de la part de l’ecclésiastique. Le procès engagé s’achève par un non-lieu qui irrite l’opinion publique et débouche sur une multitude de publications condamnant la déviance sexuelle du clergé : « l’affaire rejaillit sur l’ensemble du clergé, perçu comme sensible aux séductions de la chair151 ». À une soixantaine d’années d’intervalle, l’affaire Girard-Cadière continue de faire grand bruit et Coquille l’utilise ici comme un ressort important de son histoire. Enfin, sans équivoque, le dernier personnage portant un nom dans la pièce est le juge de paix… Monsieur Prudhomme !

80L’intrigue se résume à une violente charge contre le prêtre réfractaire Caffard qui, usant de tous ses vices, cherche à récupérer la dot du futur mariage de Julie et de l’Éveillé en abusant de la crédulité de la femme Cadière. Coquille fait le condensé de ce qu’il a pu observer chez les réfractaires. Dans la bouche du Bonhomme Cadière, Caffard fanatise son épouse : « Un prêtre hypocrite est un furieux animal. Il faut le dompter ou s’en défaire » (acte I scène 1). Il s’appuie sur une théologie de la peur de Dieu, de l’Enfer et de l’excommunication pour parvenir à ses fins (acte I scène 2). Sa perversité le conduit à s’appuyer sur les femmes, considérées comme plus faibles, pour fanatiser la population (acte I scène 3). Il persuade la femme Cadière que l’argent du bien national qu’elle et son mari ont acheté puis revendu est une somme bien mal acquise, fruit du « démon de l’avarice » et propre à détruire la religion à qui l’on a confisqué tous ses biens. Mais la jeune Julie donne du fil à retordre à Caffard, car elle ne se laisse pas conter cette histoire et préfère remettre l’argent à des personnes plus vertueuses que lui (acte I scène 5). Le réfractaire tente alors de l’intimider :

« À qui vous adresserez-vous infortunée que vous êtes ? Où trouverez-vous des hommes assez vertueux pour acquitter cette dette ? Irez-vous aux Intrus ? Ne savez-vous pas que leurs prières tourmentent les morts ? »

81Julie lui rétorque :

« On m’avait bien dit qu’un prêtre réfractaire était bien méchant, mais je ne le croyais pas si scélérat […]. Je vous dénonce à la paroisse pour ce que vous êtes, c’est-à-dire un hypocrite, sans foi, sans mœurs, sans probité, sans religion. »

82Pour Coquille les choses sont claires, le prêtre réfractaire est devenu un homme sans foi ni loi, capable des pires avanies. Ainsi, pour récupérer l’argent, Caffard est présenté comme prêt à tout, y compris à se déguiser en « spectre » puis en diable et à aller tourmenter de nuit la femme Cadière qui, superstitieuse et crédule, décide de suivre les recommandations du prêtre réfractaire (acte II scène 1 et acte III).

83Mais c’est sans compter sur les vertus de l’Éveillé, vainqueur de la Bastille, appartenant à ces Français décorés au titre de leur engagement dans la prise de la prison royale. Paré de son costume de garde national et de la « couronne civique dont la patrie a daigné [l’]honorer » (acte II scène 2), il est présenté comme un modèle d’honnêteté, respectueux des « règles de l’équité et de la justice ». Lui aussi, à l’instar de Julie, se lamente sur le rôle des prêtres réfractaires :

« Que la nation française est encore superstitieuse ! Que les prêtres réfractaires sont à mes yeux d’abominables monstres ! L’Assemblée nationale, les amis de la Constitution travailleront longtemps encore avant de faire briller un rayon de lumière dans les campagnes. Si toute la famille ressemble à la bonne femme Cadière, ma foi, je désespère de pouvoir épouser Julie… Julie a trop d’esprit pour donner dans de semblables extravagances. Son cœur est trop droit pour ne pas apercevoir le ridicule, disons mieux, l’infâmie qui doit accompagner la superstition. L’amante d’un vainqueur de la Bastille doit avoir l’âme élevée. L’erreur du peuple, les absurdités que des scélérats débitent tous les jours pour l’effrayer inspirent tour à tour le mépris et la pitié. Ô ma Julie ! Tu penses, tu raisonnes, je craindrais de l’outrager si j’osais te croire un instant capable d’ajouter foi aux sottises que l’ambition persuade à l’ignorance. Oui, Julie, ton amant va trouver en toi la tendresse et non le fanatisme ? Tu seras vertueuse par goût ; la dévote ne l’est que par ostentation… Non, tu n’exigeras pas de moi que je fasse l’hypocrite, tu rougirais toi-même d’enchaîner un vainqueur de la Bastille avec les liens de la superstition. Ô Julie, quel bonheur pour moi de posséder une épouse aussi tendre que sage ! Femmes de Paris, si vous joigniez au courage la vertu des campagnes, vous seriez des divinités. L’homme se prosternerait devant vous avec le même respect qu’il se prosterne devant l’objet de son culte et si les habitants des campagnes avaient autant de lumières que de vertus, le bonheur serait sur la terre. Représentants du peuple français, à vous tous qui vous glorifiez d’être les amis de la Constitution, inspirez les mœurs, éclairez les campagnes, la patrie deviendra la terre promise, le séjour de la fidélité » (acte II scène 3).

84La fourberie du prêtre réfractaire ne s’arrête pas là. Il parvient à persuader l’Éveillé qu’il est bel et bien patriote même s’il n’a pas fait le serment, de manière à conserver la confiance de ses paroissiens qui refusent les prêtres jureurs. Coquille fait jouer un double jeu à Caffard pour mieux dénoncer la duplicité et la pratique du mensonge éhonté de cette partie du clergé qu’il exècre désormais. À la fin de l’acte II, par l’entremise du Bonhomme Cadière, Coquille livre enfin la définition de ce qu’est un prêtre réfractaire à ses yeux :

« Je connais votre touche, Monsieur Caffard. Il faut que vous soyez un grand fourbe pour abuser des droits sacrés de l’hospitalité. Osez-vous sans pudeur troubler les familles, diviser les ménages, intimider les simples, révolter les enfants contre leurs parents, armer du couteau du fanatisme l’épouse contre l’époux ? Égarer les peuples, chercher à faire revenir les siècles d’ignorance, se moquer de la religion, rire de tout ce qu’il y a de plus sacré, faire tout le mal au nom d’un Dieu. Voilà donc l’infâme métier d’un prêtre réfractaire » (acte II scène 7).

85Par l’opposition entre Caffard et L’Éveillé, Jacques-Antoine expose la lutte farouche engagée entre les tenants d’une religion superstitieuse d’un côté, et les partisans des idées des Lumières de l’autre. La dénonciation des processions de Notre-Dame du Chêne à Saint-Laurent-de-la-Plaine traduit la profonde aversion de Coquille pour ces croyances d’un autre temps, qui convoquent « des fanatiques pour aller [se] prosterner devant un chêne » (acte III scène 2). Face à cela, il prête ces mots au vainqueur de la Bastille :

« Allons vivre au sein de l’humanité. Laissons les superstitions aux imbéciles. Laissons-les dans l’esclavage. L’humanité des philosophes vaut mieux que la charité des chrétiens » (acte II scène 5).

86Coquille glorifie l’amour de la patrie de ce héros révolutionnaire. Il s’agit pour lui de présenter ici un exemple à suivre, mais aussi de transmettre un certain nombre de valeurs dans une forme de discours que l’on peut qualifier d’épidictique152. En blâmant Caffard, il met en exergue les vertus de l’Éveillé qui incarne la Nation. Sous cet angle, le théâtre de Coquille se veut aussi pédagogique comme une autre forme possible de prédication patriotique.

87C’est donc à une charge très violente contre le clergé réfractaire à laquelle se livre Jacques-Antoine dans cette pièce de théâtre. Elle sonne comme l’aboutissement de ces longs mois d’opposition à laquelle il a dû faire face à Beaupréau et dans les Mauges, et à la hauteur du choc ressenti. La rupture avec cette frange du clergé est ici consommée, marquant une étape importante dans sa conception d’une religion qui, pratiquée à mauvais escient, sombre dans le fanatisme. Les adversaires étant clairement identifiés, le combat peut à présent s’engager.

Les enjeux d’une réinstallation à hauts risques à Beaupréau

89Villier et La Révellière-Lépeaux parcourent les Mauges du 25 janvier au 13 février 1792. Ils sont chargés par le département d’organiser les municipalités, de fermer les églises des paroisses supprimées et d’en descendre les cloches. Arrivés à Beaupréau le 1^er février, ils rencontrent le maire de Saint-Martin à qui ils exposent les objectifs de leur mission, « en l’engageant à porter ses concitoyens à la soumission à la loi, ce qu’il nous a paru très disposé à faire156 ». Ils font par ailleurs appel à Jean-Baptiste Leclerc, fondateur de la société des Amis de la Constitution de Chalonnes, pour inviter Coquille à reprendre ses fonctions dès le lendemain à l’occasion de la Chandeleur, en prenant soin de l’accompagner d’un gendarme « au cas qu’il se décidât à revenir » pour lui éviter d’être insulté. Mais, le jour suivant, les commissaires reçoivent un courrier de Jacques-Antoine qui refuse l’invitation, la municipalité de Beaupréau ne lui ayant pas apporté de réponse à sa demande de s’engager « à veiller à sa sûreté personnelle » et parce que « sa présence pouvait n’être pas d’un bon effet au moment où s’opérerait la réunion des deux paroisses de Beaupréau et de Saint-Martin157 ». Décision est prise de reporter les opérations pour éviter qu’elles ne se tiennent un jour de fête religieuse. Les commissaires reçoivent ensuite la déposition de Thébaud, citoyen de Beaupréau, dont le fils a été insulté alors qu’il servait la messe du curé constitutionnel lorsqu’il était en poste. Le soir, ils rencontrent les officiers municipaux de Beaupréau, en leur rappelant leur obligation de protéger le prêtre et que « tous les moyens constitutionnels seraient mis en œuvre158 » pour sa réinstallation.

90Le 3 février, à 7 heures, les commissaires écrivent au maire de Beaupréau de prévoir sur-le-champ deux charpentiers et deux voituriers pour procéder à la descente des cloches de Saint-Martin et les envoyer à Saint-Florent, tout comme les « ornements, vases sacrés et autres objets servant au culte159 ». Mais le maire, convoqué pour huit heures, ne se présente pas à l’heure voulue pour procéder à l’inventaire et les commissaires demandent auprès du greffier de la municipalité de faire venir les officiers municipaux les plus proches de l’église. Dans le même temps, un nouveau courrier est envoyé à Coquille pour l’assurer de la réunion des deux paroisses et de la bonne disposition de la municipalité pour assurer sa sécurité :

« Nous vous engageons derechef à vous rendre à vos fonctions demain d’aussi bonne heure qu’il vous sera possible, vous trouverez l’affaire de Saint-Martin consommée et vous santez combien il est nécessaire que dimanche prochain Beaupréau ne soit pas sans messe, affin qu’on ne laisse aucun prétexte de se plaindre de ce que la réunion ait été effectuée sans qu’il y eut de curé à Beaupréau pour exercer les fonctions de son ministère160. »

91La municipalité se présente finalement à l’église à dix heures pour assister à l’inventaire, mais la descente des cloches est pour sa part reportée au lendemain, faute d’ouvriers ! Le lieutenant de gendarmerie Boisard est alors envoyé à Montrevault pour réquisitionner deux charpentiers et un voiturier. Peine perdue puisqu’un seul ouvrier est trouvé le lendemain, rendant matériellement impossible l’opération. Choix est fait de détruire les cloches, là aussi sans succès, seuls les battants ayant pu être enlevés.

92Les commissaires s’entretiennent de nouveau avec la municipalité vers 16 heures et lui reprochent que les professeurs du collège ne soient pas assermentés, risquant ainsi la fermeture de l’établissement. C’est à ce moment précis que Coquille arrive et assure vouloir reprendre ses fonctions. Il demande que les officiers municipaux prennent les mesures nécessaires pour lui faire ouvrir la porte du presbytère « qu’on avait salie de boue, et dont on avait rempli la serrure de graviers161 ». Le procureur de la commune accompagne alors le curé à cet effet.

93La cérémonie de réinstallation se déroule le 5 février, en l’absence des édiles de la ville. Les commissaires enjoignent Coquille à donner lecture, au prône de la messe, de l’arrêté du département du 1^er février contre les prêtres non assermentés les obligeant à se rendre à Angers, les officiers municipaux n’ayant pas fait la publicité de cette disposition. Le curé souhaite prendre plusieurs mesures qu’il expose dans une note transmise par les commissaires à la municipalité. Il demande entre autres un chantre pour l’assister lors des fêtes et des dimanches. Il réclame aussi les registres des baptêmes, mariages, sépultures de la paroisse de Saint-Martin et de faire le nécessaire pour procéder aux réparations du presbytère.

94Rassuré peut-être par les mesures prises par les commissaires, Jacques-Antoine est donc de retour à Beaupréau. Mais il ne peut pas être dupe des difficultés qui l’attendent. S’il revient, c’est avec la conviction profonde qu’il est investi d’une mission, celle de ne pas laisser plus longtemps la place libre aux prêtres réfractaires et à leurs soutiens.

Un combat politique

95Le 26 février 1792, moins de trois semaines après être entré de nouveau en possession de sa cure de Beaupréau, Jacques-Antoine reprend la plume dans un long courrier adressé aux administrateurs du département. Il n’a fallu que quelques jours pour que le curé constitutionnel soit encore une fois confronté à une féroce opposition municipale. Il y dénonce avec vigueur les agissements du maire de Beaupréau Coycault, qui « annonce la paix au son du tambour et fait la guerre aux patriotes partout où il les rencontre162 ». Il adresse plusieurs récriminations à son encontre. En premier lieu, il se plaint d’avoir été forcé le 8 février à réaliser un enterrement dans le cimetière de Saint-Martin, pourtant supprimé. Il s’offusque ensuite du non-paiement du fils de Charles Thébault qui lui sert la messe et qu’il réclame au maire. Ce dernier lui aurait répondu : « Voyez ce prétendu, ce soi-disant curé de Beaupréau qui voudroit nous faire la loi163 ! » Il le dénonce encore comme ayant enjoint à des patriotes de se ranger de son côté et de ne pas avoir mis en application l’arrêté du département portant sur l’obligation faite aux prêtres non assermentés de se rendre à Angers. Dans un dernier point, il narre longuement plusieurs altercations qu’il a eues avec le maire lors de sépultures. Nous ne retiendrons ici que sa conclusion sur ces faits :

« Voilà Messieurs la conduite infâme du maire de Beaupréau, je vous le dénonce pour que vous puissiez faire un exemple capable d’intimider les Mauges. Il m’est impossible d’obtenir la tranquillité, si vous ne punissez pas ce chef de révolte ; je serai encor obligé de quitter mon poste, si vous n’envoyez pas chercher peut-être 80 prêtres, et si vous ne destituez pas ce maire, qui tôt ou tard fera déployer le drapeau rouge contre les patriotes. Si quinze ou seize patriotes, qui avoient projetté de former une société des Amis de la Constitution, pendant le séjour que Messieurs les Commissaires ont fait à Beaupréau, n’ont pas eu le courage d’effectuer leur projet, comment voulez-vous que je lutte seul contre l’enfer ; en vain, j’employe la douceur, la patience, la fermeté, l’intrépidité même, tout devient inutile. Il faut voir le sieur Coycault, à un enterrement ; quand je serois un cheval de bat, il ne parlerait pas plus impertinemment. “Allez, marchez, arrêtez, chantez, taisez-vous, vous allez trop fort, hâtez le pas” etc. C’est ainsi qu’il me parle, tout le long de la route. Je vous prie, Messieurs, de bien vouloir faire cesser un semblable scandale164. »

96Les accusations de Coquille sont transmises par le département à l’accusateur public. Mais le maire de Beaupréau demeure en place. Pis, les semaines suivantes accréditent les accusations d’antipatriotisme portées à l’encontre de l’édile. Les tensions sont en effet vives dans les Mauges, tant du point de vue religieux que du point de vue fiscal puisque beaucoup de municipalités ne font pas le nécessaire pour établir les nouveaux rôles d’imposition. La situation est explosive et nécessite l’envoi de gendarmes choletais à Beaupréau le 26 mars 1792 sous la direction du lieutenant Boisard qui note dans son rapport :

« Ayant été informé […] qu’un rassemblement considérable de gens armés de bâtons et de torches allant en procession au chêne […] de Saint-Laurent, avaient attaqué dans Beaupréau, sur les deux heures de l’après-midi du susdit jour, des citoyens […] réunis pour assister à une séance des “Amis de la Constitution” […] que lesdits citoyens étaient encore menacés d’une nouvelle attaque par un plus grand nombre de processionnaires, qui pour cet effet se rassemblaient, que des mauvais citoyens de Beaupréau avaient tenté et voulaient encore sonner le tocsin pour attirer un plus grand nombre d’ennemis aux amis de la constitution et les écraser entièrement […]165. »

97En ce 26 mars, Beaupréau est le théâtre d’une réunion de patriotes dans le cadre du « club ambulant des Mauges ». On avait tenté de le mettre en place à la réinstallation de Coquille sur demande des patriotes de Chalonnes au début du mois de février. La Révellière-Lépeaux revient donc au cœur des Mauges accompagné de plusieurs amis, dont Leclerc de Chalonnes ou encore Obrumier d’Angers166. Ils parviennent à Beaupréau après s’être frayé un passage à Saint-Laurent-de-la-Plaine au beau milieu d’une procession à Notre-Dame-du-Chêne où ils furent menacés. Malgré leur souhait de rencontrer le maire Coycault, celui-ci ne les reçoit pas. Dans son rapport imprimé, La Révellière-Lépeaux donne l’explication suivante :

« Il paraît que les fortes couleurs de la Liberté blessent la vue trop tendre des Habitants de la Commune de Beaupréau ; et M. Coycaud surtout ne put les soutenir sans éprouver les plus pénibles angoisses167. »

98Rejoints par des patriotes des alentours, notamment de Cholet et de Saint-Florent, ils tiennent alors réunion dans la chapelle de l’ancien chapitre devant une assemblée de 60 à 80 personnes. Le produit d’une quête réalisée à cette occasion est transmis à Coquille pour subvenir à l’achat de pains à destination des plus pauvres de la ville. C’est à ce moment que peut-être trois à quatre cents personnes revenant de la procession organisée à Saint-Laurent-de-la-Plaine s’accrochent avec deux patriotes de Cholet au pont de Beaupréau. L’altercation est brève et somme toute peu violente. Mais il faut pendant ce temps dissuader plusieurs habitants de la ville de sonner le tocsin et d’en découdre avec les gardes nationaux. Coquille, signataire du rapport consignant les faits, a sans aucun doute été témoin de tous ces événements. Devant l’inaction de la municipalité et de son maire, une dénonciation réclamant sa dissolution est rédigée et envoyée au département, accompagnée d’une requête pour faire venir une cinquantaine d’hommes armés pour « y prévenir les attroupements ». C’est dans la nuit qui suit que le lieutenant de Cholet, Boisard, informé des troubles, atteint Beaupréau avec une quinzaine d’hommes. Le lendemain 27, il est prévu de « planter un bonnet de la liberté », mais faute de fabricant, la cérémonie est transformée en un défilé dans les rues de la ville portant l’étendard aux couleurs de la nation. Cette réappropriation patriotique de l’espace, à laquelle Coquille participe, est tout à fait symbolique, voire même procède d’un transfert de sacralité168, car elle n’est pas sans rappeler par exemple les processions des rogations. Le cortège, tambour en tête, déambule dans Beaupréau avec aux avant-postes l’un des commandants de la Garde nationale de Cholet, Durocher, et Jean-Baptiste Leclerc, commandant de celle de Chalonnes :

« Plus d’un Patriote caché vit avec joie flotter dans ses murs le signe de la Liberté. Je n’ai pas besoin d’observer que les cris de vive la Liberté, vive la Nation, vive les Frères d’Angers, de Roussillon, de Saint-Florent, de Cholet, de la Gendarmerie, de Chalonnes, etc., l’air ça ira, furent mille fois répétés dans notre marche qui eût encore plus de spectateurs, que nous ne devions nous y attendre, d’après la manière dont on a avili les malheureux Habitants de cet endroit, et obscurci leur raison169. »

99Le défilé se poursuit au collège de la ville où l’on entonne le chant Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille. La Révellière-Lépeaux prend alors la parole « devant tous les écoliers qui étaient aussi satisfaits, pour la plupart, que leurs instituteurs le paraissaient peu170 ». Tout en leur rappelant les bienfaits de la Révolution, il les assure que la Constitution « n’attaque point la religion qu’on vous a enseignée171 ». D’après son rapport, les cris de vive la Liberté se font entendre à la fin de son discours. L’abbé Bernier donne une toute autre version en précisant qu’au contraire c’est le calme plat et un silence absolu parmi les élèves, qui s’empressent de remettre leurs chapeaux sur leurs têtes172.

100Quoiqu’il en soit, le cortège repart, sans les élèves pour qui les patriotes n’obtiennent pas l’autorisation de sortie de l’établissement. La cérémonie se conclut à l’église du chapitre de Beaupréau par l’accrochage de l’étendard au pignon du bâtiment, devant lequel on entame une danse avant de partager un « déjeuner frugal et patriotique173 ». Le séjour du club ambulant des Mauges à Beaupréau se termine :

« Nos Frères Choletais, tants Soldats que Gendarmes et Gardes Nationaux, vinrent nous accompagner sur le chemin de Chalonnes, et nous entrâmes en passant, chez M. Coquille, Curé, qui nous a toujours accompagné, excepté dans nos repas et dans la poursuite de la procession ; nous y portâmes plusieurs tostes à la Liberté et à l’Union174. »

101Chemin faisant, les patriotes angevins décident en passant à Saint-Laurent-de-la-Plaine d’abattre le chêne objet des nombreuses processions clandestines :

« Nous voyons enfin tomber devant nous ce ridicule et honteux monument de l’incroyable superstition et de l’humiliation déplorable des Habitants des Mauges et des pays voisins175. »

102Coquille se retrouve de nouveau bien esseulé à Beaupréau. Le passage des Amis de la Constitution a pu le faire renouer un temps avec l’ambiance des processions patriotiques de Beaufort-en-Vallée et l’engager à poursuivre son combat. Mais il a aussi révélé toutes les difficultés de se maintenir dans une région où les tensions sont de plus en plus vives.

103Comment dans ces conditions préparer sereinement les fêtes pascales ? C’est ce que Coquille déplore dans un nouveau courrier daté du 6 avril. Aucune décoration n’est installée selon lui pour le jeudi saint, suscitant sa crainte :

« Les ennemis du bien public ne manqueront pas de dire que la religion est changée […] le peuple accoutumé aux cérémonies de l’église croira que tout est changé, parce qu’on ne chante point, qu’on ne porte plus la croix ni les chandelliers […]. Le samedi saint, et les trois fêtes de paques me fourniront les moyens de vous prouver que la municipalité de Beaupréau est la plus anti-curé-consitutionnel qui puisse exister dans l’empire français. Je ne parle pas des hommes qu’on l’on fait saôuler pour venir m’assassiner dans le presbitère176. »

104L’alerte la plus remarquable ne tarde pas à se produire le lundi 30 avril 1792 à la Poitevinière, à quelques kilomètres seulement de Beaupréau. Un rassemblement clandestin de maires et d’officiers municipaux est organisé chez le maire et aubergiste Pierre Courbet. Le 8 mai suivant, une nouvelle assemblée de ce type est prévue mais elle est interrompue par le lieutenant Boisard qui se présente sur place avec ses gendarmes. D’après son rapport, ce ne sont pas moins de trente-quatre municipalités des Mauges qui étaient représentées lors de cette réunion. Si certains participants ont pu s’échapper, d’autres n’étaient pas encore arrivés, et parmi eux Simon Coycault, le maire de Beaupréau qui venait d’être réélu deux jours plus tôt. Le dessein de cette assemblée n’est pas clairement établi : d’après les témoignages et dépositions recueillies par Boisard, il s’agissait pour certains d’organiser la destruction des sociétés patriotiques, pour d’autres de la préparation d’un soulèvement généralisé en lien avec les Bretons. Mais c’est bien sur la question religieuse que les propos des témoins convergent. Le rassemblement avait pour but de se préparer à chasser les prêtres constitutionnels et à rétablir les prêtres réfractaires dans leurs fonctions177. L’alerte a été particulièrement chaude et l’affaire est portée jusqu’à l’Assemblée législative le 23 mai 1792, où lecture est faite du procès-verbal rédigé par le lieutenant Boisard.

105Au beau milieu de toute cette agitation, rien n’a changé à Beaupréau pour Coquille qui réclame toujours à cor et à cri des poursuites à l’encontre des hors-la-loi178. Le maire Coycault est toujours en place, malgré les soupçons qui pèsent sur lui dans l’affaire de la Poitevinière et en raison de son implication dans un rassemblement de trois à quatre mille personnes dans la paroisse voisine de la Chapelle-du-Genêt. Les rapports du lieutenant Boisard le suspectent, mais le directoire du département temporise, faute de preuves179.

106Les décisions des autorités départementales se faisant attendre, plusieurs citoyens angevins appuyés par des gardes nationaux « se sont armés pour conduire au Petit Séminaire les prêtres non-assermentés qui étaient sous la sauvegarde de la loi », ce que déplore le directoire du département. Les prêtres réfractaires commencent donc à être arrêtés en Maine-et-Loire à l’été 1792. C’est le cas de celui de Notre-Dame de Beaupréau, Jean Trottier, interné le 17 juin 1792. La prise des Tuileries du 10 août 1792 et le renversement de la monarchie précipitent les événements, donnant le signal de la proscription du clergé réfractaire180. Le 14 août, un nouveau serment de fidélité à la nation pour maintenir l’égalité et la liberté est exigé pour les prêtres catholiques. Le 26 août 1792, la déportation de France de ceux qui le refusent est décidée. Trois chanoines du chapitre de Beaupréau181 et le curé réfractaire de Notre-Dame, Jean Trottier, sont concernés.

107Pour Coquille, le combat continue sous d’autres formes. À l’occasion de la célébration de la Fédération du 14 juillet 1792, il fait paraître un hymne182 dans lequel il loue Dieu et fait appel à lui pour dénoncer la tyrannie royale au même titre que le fanatisme :

108Son engagement se poursuit aussi du côté des urnes le 26 août 1792, au chapitre de la ville, à l’occasion de la nomination des électeurs pour la future Convention. Dix électeurs sont à élire un par un pour le canton de Beaupréau. Présent dans six scrutins, Jacques-Antoine ne réunit pas suffisamment de suffrages. Mais il est remarquable qu’il réussisse à en rassembler une quinzaine à plusieurs reprises sur son nom, signe d’une certaine notoriété dans le canton et d’un soutien d’une partie des électeurs à ce patriote engagé. Cela ne peut que venir nuancer la supposée unanimité des habitants des Mauges contre la Révolution à cette époque. Reste probablement pour lui la déception de ne pouvoir participer à l’élection de la Convention.

109Alors que les troupes étrangères gagnent du terrain à l’est du royaume, la capitale est secouée par plusieurs massacres du 2 au 6 septembre aboutissant à la mort de plus de deux cents ecclésiastiques réfractaires184. L’inquiétude des patriotes demeure vive à la veille de l’automne 1792 comme l’écrit une nouvelle fois Coquille à Boullet, procureur général syndic du département :

« Pardon Monsieur, si je deviens si souvent importun, je me fais un devoir de veiller et d’arrêter le plus qu’il m’est possible le mal qu’on se prépare à faire ; je puis vous assurer que l’affaire de Chatillon n’a point changé les esprits. Il court des bruits ici capables de faire soulever le peuple, et de faire égorger les patriotes. Toutes les nouvelles sont à l’avantage des malveillans et quand nous aurions massacré tous les prussiens et les hongrois on répondroit à Beaupréau qu’ils sont à Paris185. »

110L’« affaire » avait été effectivement très sérieuse à Châtillon186. Une bande d’insurgés armés conduite par un ancien militaire, Gabriel Baudry d’Asson, et le maire de Bressuire, Adrien-Joseph Delouche, était parvenue à s’emparer de la ville le 21 août, et projetait de prendre celle de Bressuire le lendemain. Le combat du 24 août suivant scellait la fin de cette révolte et le début d’une répression rapide et sanglante dans ce district. Ce contexte troublé conforte le curé constitutionnel de Beaupréau dans sa demande au département pour pouvoir conserver sur lui ses armes :

« J’ai déclaré par écrit que la loi obligeant les citoyens à donner leurs armes ou à marcher, je marcherois aux frontières ou à quelque poste que ce fût plutôt que de rester désarmé au centre du fanatisme. Je vous prie, Monsieur, de faire attention que je n’ai que deux pistolets auxquels je dois en partie le respect qu’on me porte lorsque je suis obligé de faire un enterrement187. »

111Sa requête, qui reçoit une réponse favorable, intervient après l’arrêté du département obligeant à faire l’inventaire des armes. Mesure contre-productive à ses yeux car « il s’en suit que la municipalité a fait désarmer les patriotes puisqu’il n’y avoit qu’eux à avoir fait leur déclaration188 ». Il a d’ailleurs recueilli au presbytère la famille de l’enfant qui lui sert la messe, celle-ci ayant été chassée par le propriétaire de leur maison. Il fonde beaucoup d’espoir dans l’établissement d’une future gendarmerie à Beaupréau « qui aura toute la complaisance pour entretenir le modérantisme189 ». Le procureur du département écrit par la suite à la municipalité que « les fonctions publiques que ce pasteur est obligé de remplir tant de jour que de nuit, exigent qu’il ne soit pas sans armes190 ». De ce fait, il ordonne d’« avoir égard à cette recommandation provisoire et en user d’aucune voie de rigueur191 ».

112Toujours en proie aux difficultés avec le maire, Jacques-Antoine passe à l’offensive à la fin de l’année 1792 en acceptant la charge d’officier municipal à laquelle il est élu lors du renouvellement des administrations municipales. Son objectif est clair, comme il l’écrit dans une lettre adressée le 9 janvier 1793 au ministre de l’Intérieur Jean-Marie Roland : « Vous n’avez pas idée, citoyen ministre, du peu d’intelligence et du peu d’instruction des officiers municipaux de nos campagnes192. » L’enjeu est de taille car, dans les Mauges, « le renouvellement des équipes municipales traduit les rivalités politiques qui sont dorénavant patentes et met en place, notamment dans les petites communes, des équipes d’élus clairement hostiles à la politique de l’Assemblée193 ». À Beaupréau, Coquille est pourtant élu officier municipal mais il le doit selon lui au fait que très peu d’électeurs s’étaient inscrits et qu’aucun autre candidat ne s’était présenté194. La rupture entre la population et la représentation politique proposée par la Révolution est en passe d’être consommée.

113Ce que ce courrier traduit de plus édifiant chez Jacques-Antoine, c’est le basculement de sa conception de la raison d’être de tout ecclésiastique. S’il s’adresse au ministre Roland, c’est parce que la loi ne l’autorise pas à exercer simultanément les fonctions d’officier municipal et de curé constitutionnel. Il demande donc une dérogation qui se transforme en un véritable plaidoyer en faveur de la participation des prêtres à la vie politique :

« Parce que la loi fait des ecclésiastiques (s’il en existe encor) une caste d’hommes, que les lois semblent consacrer à la contemplation, ces êtres ne peuvent être que nuisibles à la république parce que l’état contemplatif est le germe de la superstition et la source du fanatisme. L’assemblée constituante a eu raison de porter ce décret, je pense que la Convention auroit tort de le maintenir. En 89 le clergé existoit, il étoit à craindre, il ne pouvoit faire que du mal. En 93 il n’y a plus de clergé, et s’il en existe un, il ne peut que faire respecter les loix195. »

114Pour Coquille, le prêtre ne peut être un simple acteur religieux ; il est surtout un homme politique. Le limiter à son rôle religieux, c’est le rendre inutile à la patrie :

« Les curés, puisqu’il faut encor me servir de cette expression, sont les seuls qui puissent avoir le temps de se livrer aux affaires de la république ; les éloigner des fonctions publiques, c’est favoriser leur apathie pour le bien de la patrie, et ce qui est plus dangereux, c’est les forcer en quelque sorte d’entretenir le peuple dans son ignorance, en les réduisant à la triste nécessité de ne s’occuper que de confessions, et d’administrations de sacrements. C’est retenir les marches de la vérité196. »

115Il tente ensuite de prouver cette utilité en mentionnant les actions qu’il a pu accomplir en ce sens depuis qu’il est officier municipal :

« J’ai fait porter l’argenterie de mon église au district, et […] j’ai obtenu que tous les dimanches les officiers municipaux iront en écharpe et au son de la caisse lire au peuple les décrets et les expliquer dans l’église du ci-devant chapitre. Quand je n’aurois fait que cela de bien dans mon administration provisoire, c’est toujours beaucoup pour l’endroit197. »

116Au fond, c’est la cohérence du parcours de Coquille qui se révèle ici. Religion et politique ne peuvent être dissociées selon lui, elles ne l’ont jamais été dans son itinéraire de prédicateur :

« Pendant quinze ans j’ai prêché les principes qui ont amené la révolution, j’ai combatu le fanatisme avec courage, je le combaterai toute ma vie. Voilà ma profession de foi198. »

117Il cherche peut-être ici à prouver son patriotisme et justifier tout simplement son parcours a posteriori. Mais les conditions d’une rupture de Jacques-Antoine avec le clergé sont posées. La réponse négative du ministre Roland quant à savoir s’il peut poursuivre ses fonctions d’officier municipal a pu être vécue comme un choc199.

Le contrôle du collège de Beaupréau ou la bataille de l’éducation

118Ce qui mobilise aussi largement l’attention de Jacques-Antoine depuis son retour à Beaupréau en février 1792, c’est la question du devenir des prêtres du collège de la ville :

« Dernièrement des patriotes représentèrent qu’il falloit faire sortir les régents du colège ; ils répondirent qu’ils attendoient les ordres de la municipalité. De sorte que ces prêtres continuent impunément leurs manœuvres, et le colège est toujours le refuge des prêtres réfractaires200. »

119Refuge du fanatisme selon lui, Coquille sait pertinement que son maintien à la cure de Beaupréau tient au sort réservé à cet établissement. Fondé en 1710 et tenu depuis par les sulpiciens201, le collège de Beaupréau est déjà une vieille institution à la réputation bien établie aux débuts de la Révolution, dépassant largement le cadre départemental202. La construction d’un nouveau bâtiment, l’équipement mobilier203 et la bonne situation financière illustrent la réussite de l’établissement alors dirigé depuis quarante-trois ans par le principal René Darondeau204. Pour Célestin Port, le collège de Beaupréau « dépasse » même tous les collèges d’Anjou, Angers excepté205. Les effectifs, sans les externes, oscillent selon les sources entre 110 et 130 pensionnaires en septembre 1791, âgés de 7 à 15 ans. Le rayonnement géographique est large puisque le recrutement se fait, outre le diocèse d’Angers, dans ceux de Nantes, Vannes, Poitiers, Tours, La Rochelle, Rennes, Luçon et Paris, deux élèves venant même d’Amérique !

120Soumis au serment du 27 novembre 1790, le personnel du collège refuse en bloc de le prêter. On saisit dès lors toute la difficulté pour les officiers municipaux de s’en prendre à cette institution renommée. La municipalité de Beaupréau, chargée d’établir des procès-verbaux de prestation de serment, demande à Darondeau et ses professeurs de se conformer à la loi, ceci à trois reprises de mai à septembre 1791. Ils parviennent à se maintenir en poste car autorisation leur était donnée de poursuivre leurs fonctions jusqu’à leur remplacement, soit jusqu’au 3 novembre 1792. Après sa visite au printemps précédent, La Révellière-Lépeaux apporte un soutien précieux à Coquille206 en rédigeant une pétition à l’adresse du département visant à obtenir la fermeture du collège :

« L’enseignement est encore confié dans plusieurs endroits à des prêtres. Ces hypocrites se servent de l’ascendant qu’ils ont sur les jeunes gens pour en faire des ennemis de notre Constitution. Il est instant de faire cesser un mal qui peut avoir des suites aussi dangereuses. Les premières impressions, vous le savez, ne s’effacent que difficilement. Il faut de longues années d’expérience pour perdre les préjugés de son enfance. Ravaillac ne s’en guérit même jamais. Craignez, si vous ne donnez d’autres instituteurs à la jeunesse, que l’esprit de parti et de division ne se prolonge et que la tranquillité ne reparaisse de sitôt. Nous devons placer nos espérances les plus chères dans la génération qui suit ; ce ne sera que lorsqu’elle occupera les places, que la constitution sera parfaitement affermie. Nous devons donc lui accorder tous nos soins et empêcher que les prêtres ne s’en emparent […]. Nous vous prions surtout de vous occuper d’une manière plus particulière du collège de Beaupréau. Ce collège s’est toujours distingué par le grand nombre de fanatiques qu’il a donné à ce pays. Et si vous ne trouvez pas d’instituteurs à mettre dans la place de ceux qui y sont, fermez cette source de fanatisme et d’immoralité. Il vaut mieux manquer d’instruction que d’en avoir une qui nous empoisonne207. »

121L’enjeu est bien là : maîtriser l’éducation pour prêcher le patriotisme. Jacques-Antoine en est parfaitement conscient, lui qui a été régent par le passé, ce qui explique ses sollicitations répétées depuis de longs mois à la municipalité, au district et au département pour obtenir le départ des prêtres du collège. Suite à la visite du club ambulant des Mauges à Beaupréau les 3 et 4 février 1792, Coquille avait été chargé de recruter un homme capable de remplacer le principal Darondeau. Il avait alors fait jouer ses réseaux, notamment celui de la franc-maçonnerie, en contactant Pierre Hyard, organiste à Beaufort-en-Vallée depuis 1785208, qui avait été comme lui membre de la loge L’Amitié. Le 16 février, celui-ci écrivait à Boullet, procureur général syndic du département, lui aussi franc-maçon, pour lui demander des gages sur la pérennité du poste209. Mais Hyard ne donne pas suite à la proposition et c’est Coquille lui-même qui va prendre la direction du collège à la faveur des événements nationaux qui précipitent la fermeture de l’établissement. Le 18 août 1792, un décret dissout les congrégations religieuses, y compris enseignantes, et le 26 suivant, les prêtres réfractaires sont soumis à la déportation. Le 2 octobre, la Convention forme son Comité d’instruction publique, traduisant l’intérêt de la jeune République pour l’organisation de l’enseignement. Le combat pour le contrôle du collège gagne alors en intensité, mais s’étale dans le temps. Le 8 octobre 1792, le procureur général syndic de Maine-et-Loire s’adresse de manière pressante au district de Saint-Florent en ces termes :

« Vous ne m’avez point fait part du parti que vous avez pris, relativement au collège de Beaupréau. Vous aurez vraisemblablement fait notifier aux prêtres et autres ecclésiastiques le décret de la déportation, en leur notifiant celui de la suppression des congrégations séculières, confréries, etc. Cette opération est de la dernière importance pour la tranquilité des Mauges et pour la ville de Beaupréau. Si vous n’avez encore personne en vue pour mettre à la tête de cet établissement, vous pouvez provisoirement en remettre la direction au citoyen Coquille210. »

122Deux jours plus tard, le 10 octobre, l’expulsion des professeurs est ordonnée par le district de Saint-Florent qui confie cette mission à l’administrateur Martin résidant à Beaupréau. Mais force est de constater qu’il ne se précipite pas pour faire appliquer l’ordre. À tel point que Renou, le procureur général syndic du district, lui écrit le 2 novembre, près d’un mois plus tard :

« Nous sommes sans nouvelles de l’exécution de l’arrêté de ce directoire, du 10 octobre dernier, concernant le collège de Beaupréau. Cependant, voilà le moment de la rentrée des écoliers ; et à ce sujet nous ne sommes point en règle avec le département. Ayez donc la complaisance d’opérer et de mettre le directoire à portée de rendre compte au département. Vous voudrez bien notifier à M. Coquille la mission dont il est chargé211. »

123Le rappel produit son effet. L’inventaire des biens du collège est réalisé le lendemain par Martin. Coquille, nommé directeur provisoire, publie alors en ces termes un article dans le journal Les Affiches d’Angers :

« En vertu d’un arrêté du directoire du district de Saint-Florent, séance du 10 octobre 1792, article IV, le directoire, d’après l’intention du département, manifestée dans sa lettre officielle du 8 octobre, a remis et remet provisoirement la direction du collège de Beaupréau au citoyen Coquille, curé dudit lieu. Le citoyen Coquille prévient le public que l’ouverture des classes n’aura lieu qu’après la Saint-Martin, lundi 19 novembre, l’ordre ne lui ayant été signifié que le 4 novembre212. »

124Le nouveau directeur est cependant en but à de nombreuses difficultés pour relancer les activités du collège. Il les expose dans une pétition datée du 15 novembre et adressée au directoire du département, qui ne nous est pas parvenue mais dont nous avons un résumé :

« En sa qualité de directeur provisoire du collège, il a fait différentes demandes à la municipalité pour prendre les moyens indiqués par lui, afin d’empêcher la sortie des écoliers sans avoir un ordre de leurs parents, en s’opposant aux malheurs qui pourraient leur arriver en se rendant chez eux. Il a demandé aux municipaux de faire annoncer, au contraire, par des affiches que l’éducation nationale est continuée au collège de Beaupréau […]. Tous les domestiques ont remis leurs clefs, disant qu’ils ne peuvent plus y rester parce qu’ils ont une âme à sauver, et il lui est impossible de s’en procurer d’aucune espèce. La municipalité qui a connaissance des faits, n’a pris aucun moyen pour y remédier ; elle n’a pas même empêché les enlèvements qui ont eu lieu lors du simulacre d’inventaire du 3 novembre. Il a demandé aux municipaux qu’on nomme un économe qui soit chargé de tous les effets de la maison, car il n’est pas possible qu’il s’en charge lui-même, ne voulant pas s’occuper d’un collège aussi mal administré. Bref, il éprouve de la part du corps municipal tous les désagréments et des refus toujours mal fondés213 […]. »

125Il n’est pas certain que les cours aient repris. Le district de Saint-Florent envoie à Beaupréau un dénommé Cadieu pour enquêter sur les conditions de cette réouverture à la demande du département. Le constat est sans appel : si la municipalité dit avoir mis tout en œuvre pour doter Coquille de tous les objets nécessaires portés dans l’inventaire, « il ne s’est trouvé personne qui ait voulu s’en charger214 ». Le district de Saint-Florent-le-Vieil décide alors de questionner le département le 27 novembre « s’il ne convient pas de vendre tous les effets qui peuvent perdre de leur volume et de réduire au plus petit nombre possible les domestiques et les surveillants de cette maison, jusqu’à ce que son sort définitif ne soit déterminé215 ». Le 24 décembre, le directoire du département adresse une réponse sous la forme d’un arrêté à destination du district, de la municipalité de Beaupréau et de Coquille. Les biens du collège sont mis sous la sauvegarde et la responsabilité du curé constitutionnel. Ce dernier est autorisé « à continuer l’instruction aux enfants qui se présenteront dans la maison du Collège » et à recruter « les instituteurs dont il croira avoir besoin216 ». Un seul domestique lui est accordé, les autres devant quitter le collège. Le 1^er février 1793, Coquille présente au district de Saint-Florent un état des lieux des paiements restant à effectuer pour le personnel qui avait exercé dans l’établissement, notamment pour un certain Courant « engagé pour les gardes nationales et retourné au collège par ordre du département ; il était portier, mais il a perdu sa place par trop de patriotisme ; il n’a point été payé depuis cinq mois217 ».

126Les officiers municipaux bellopratains jouent cependant un jeu dangereux. En ne soutenant pas activement la réouverture du collège, ils s’exposent à voir l’établissement transféré dans une autre commune. C’est ce que les villes de Saint-Florent et de Cholet s’empressent de demander218. La municipalité de Beaupréau s’y oppose, dans une pétition, arguant du fait qu’elle possède ce collège depuis longtemps « édifice tout neuf, meublé convenablement, dans une situation agréable et salubre et qui s’il avait été abandonné lors de la retraite des anciens instituteurs, allait sous son nouveau chef le citoyen Coquille, curé de Beaupréau, reprendre ses exercices219 » ! L’affaire, délicate dans l’opposition qu’elle suscite entre trois villes déjà concurrentes dans l’obtention de divers sièges administratifs ou judiciaires, est renvoyée par le département devant la Convention. Mais les événements liés aux débuts de l’insurrection de mars 1793 viennent mettre un terme au débat.

127Un dernier rebondissement se produit en février. En effet, le 19, la municipalité de Beaupréau écrit au département, « instruit que le citoyen Coquille, principal du collège de cette ville, est retenu par une maladie grave à Angers, et qu’il a écrit au district de Saint-Florent pour le décharger de sa responsabilité ». Elle demande qu’il soit remplacé par deux instituteurs pour « que cet établissement ne soit pas longtemps sans directeur220 », ce que le directoire du département accepte le 27 février.

128Maladie grave, vraiment ? Ce n’est pas à exclure. Mais étant donné l’effervescence des Mauges en ce début d’année 1793, dans le contexte de l’exécution de Louis XVI le 21 janvier doublé d’une possible levée en masse de 300 000 hommes (effective le 24 février) pour défendre les frontières de la République, Coquille préfère peut-être se mettre d’ores et déjà à l’abri à Angers où de nombreux prêtres constitutionnels ont ou vont trouver refuge. C’est aussi à ce moment-là qu’il reçoit la réponse du ministre de l’Intérieur qui lui interdit de rester officier municipal comme nous l’avons évoqué précédemment221. S’il ne peut s’impliquer davantage politiquement, il ne conçoit éventuellement plus la possibilité de poursuivre ses fonctions de curé.

129Au cours de ces vingt mois passés à Beaupréau, Jacques-Antoine a mobilisé toute son expérience passée de prédicateur, mise ici au service d’un patriotisme qu’il a pu éprouver les années précédentes à Beaufort-en-Vallée. Seulement, même s’il pouvait s’attendre à une tâche complexe, l’opposition qu’il rencontre, sous des formes violentes, dépasse de très loin ce qu’il avait imaginé. L’impossibilité de rallier les populations de Beaupréau et des Mauges à la cause de la Révolution provoque assurément chez lui une terrible frustration, doublée d’une aversion profonde pour la crédulité et les superstitions qu’il observe en homme épris du discours des Lumières. La rivalité continuelle avec le réseau concurrent des prêtres réfractaires participe à créer très tôt, dès 1791, les conditions d’une rupture avec ce clergé dont il ne perçoit bientôt plus que le fanatisme. Son engagement en faveur de la Révolution se radicalise l’amenant à demander régulièrement aux autorités administratives l’usage de la force pour faire respecter la loi.

130Dans la République naissante, de plus en plus de patriotes amalgament clergé et Ancien Régime, surtout après le déclenchement de l’insurrection dans l’Ouest en 1793222. La position intermédiaire de l’Église constitutionnelle, entre l’État et la religion davantage incarnée par le clergé réfractaire, enlève tout pouvoir aux curés constitutionnels et toute légitimité d’action, les figeant dans une position de vulnérabilité : ils deviennent une cible toute trouvée de part et d’autre, ouvrant la voie à un démantèlement de leur communauté. L’engagement patriotique apparaît alors pour Jacques-Antoine comme la seule alternative possible à l’automne 1793.