Réguliers et franc-maçonnerie : des réseaux interconnectés

4Venue d’Angleterre où la Grande Loge de Londres est fondée en 1717, la franc-maçonnerie s’implante en France à partir des années 1720 comme ailleurs en Europe4 au sein de laquelle elle souhaite développer la fraternité et la solidarité5. Témoignant d’un esprit de tolérance, toutes les religions sont admises dans les loges au même titre que le christianisme, ce qui provoque un conflit avec l’Église et conduit à la condamnation de la franc-maçonnerie par le pape Clément XII en 1738 puis par Benoît XIV en 1751. Des poursuites ont bien lieu en Espagne ou en Italie, mais en France, Louis XV n’appuie pas les volontés de Rome en la matière, notamment car les francs-maçons recommandent le soutien au pouvoir en place. Il est alors possible de parler de « cohabitation paisible et fructueuse entre catholicisme et maçonnerie à la fin de l’Ancien Régime en France6 ». C’est dans ce contexte que les loges prospèrent et s’implantent dans tout le royaume, avec toutefois des nuances suivant les régions. Elles sont ainsi moins nombreuses globalement dans l’Ouest, mais pour autant bien implantées entre Angers et Saumur7. Le Grand Orient de France, principale obédience du royaume, compte alors près de 700 loges à la veille de la Révolution.

5Si Jacques Coquille est toujours présent au couvent des récollets de Beaufort, il n’a pas vécu coupé du monde. Pour preuve, outre ses activités de prédication, il fait partie dès 1788 de la toute nouvelle loge maçonnique nommée « l’Amitié », deuxième création des francs-maçons à Beaufort après celle de Saint-Jean-des-Arts8. À cette date, les liens entre les récollets de Beaufort et les francs-maçons de cette ville sont noués depuis de nombreuses années. Le 5 juillet 1774, la loge Saint-Jean organisait déjà un office religieux dans l’église des récollets à l’occasion de la mort de Louis XV9.

6En 1788, un nouveau groupe de francs-maçons beaufortains tente de se constituer, rivalisant de fait avec la loge préexistante de Saint-Jean-des-Arts, devenue entre-temps Saint-Jean-du-Secret. Le fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale de France apporte quelques précisions sur les circonstances de la création de cette nouvelle loge dénommée « L’Amitié » :

« Nous nous trouvons dans notre petite ville de Beaufort douze bons amis francs-maçons bâtards10 [sic] qui, depuis quelques mois formons une loge sous la dénomination de Saint-Jean de l’Amitié ; animés du désir ardent de nous faire constituer nous avons présenté une requête à la loge Saint-Jean du Secret… elle a refusé11. »

Fig. 6. – Constitutions officialisant la loge l’Amitié de Beaufort-en-Vallée.

7La loge de Saint-Jean-du-Secret émet une fin de non-recevoir au motif de la présence dans ce nouveau groupe de trois frères jugés indignes d’y participer : un ancien frère de Saint-Jean-du-Secret12 mais surtout deux religieux récollets de Beaufort, Côme Besnard et un certain Jacques-Antoine Coquille d’Alleux ! Dans cette lettre datée du 20 juillet 1788, les signataires se veulent de bonne foi et indiquent qu’ils ignoraient « qu’il y eut un ordre du Grand Orient qui deffendit de recevoir tout espèce de religieux13 ». Le différend est de courte durée car la reconnaissance de L’Amitié est acceptée, les constitutions sont validées le 22 avril 1789 par le Grand Orient de France14. L’installation, solennelle et placée sous la protection du « Grand architecte de l’Univers », est réalisée par la loge Saint-Jean-du-Secret elle-même, avec toutefois l’amertume exprimée de voir que certains de ses membres se soient séparés d’elle pour rejoindre la nouvelle loge15.

Fig. 7. – Matrice de sceau de la loge L’Amitié de Beaufort-en-Vallée.

8Discours et chants ponctuent cette cérémonie et les nouveaux maçons prêtent alors le serment exigé en pareil cas :

« Je promets d’honneur, en vrai maçon, d’être constamment et fidèlement attaché au Grand Orient de France et de me conformer aux statuts et règlements faits par luy16. »

9Jacques Fénéant rapporte que l’un des deux récollets « mit en rimes ses malheurs17 ». Il s’agit très certainement d’un opus de Jacques Coquille qui, dans les années révolutionnaires suivantes, est coutumier de ce genre d’écrit, dans une prose similaire :

10Jacques Coquille figure donc dans ce groupe de « douze bons amis francs-maçons » dirigés par Léonard Gabriel Lécluze, Vénérable de la loge19. Originaire de Saint-Lô en Normandie, ce maître-horloger installé à Beaufort devient par la suite un révolutionnaire engagé, d’abord en tant que lieutenant d’une compagnie de la garde nationale de la ville où Coquille officie comme aumônier, puis comme adhérent de la Société populaire à partir de 1793. La loge, qui s’étoffe peu à peu, est composée de membres majoritairement issus d’un milieu que Jacques-Antoine a déjà fréquenté dans sa jeunesse, celui des marchands, négociants et commerçants ou encore des maîtres en chirurgie. Mais l’on y relève aussi un salpêtrier, un notaire, et un maître de musique, Pierre Hyard auquel Coquille fait appel quelques années plus tard. Du côté des religieux, en plus de Côme Besnard déjà cité, un autre récollet de Beaufort, Alexis Daburon, se joint au groupe comme l’atteste sa présence sur une liste des membres établie au 23 juillet 179020. Enfin, un certain François Brideau, vicaire de la paroisse voisine de Saint-Rémy-la-Varenne, est porté comme membre de la loge en 1789. C’est lui que Jacques-Antoine retrouve en 1791 à la cure de Notre-Dame de Chalonnes, prouvant une nouvelle fois l’activation de ce réseau tissé dans la franc-maçonnerie. Pour autant, la composition socioprofessionnelle de la loge L’Amitié correspond à ce qui est observé dans le reste du royaume : « L’esprit maçonnique est aussi divers que les individus qui le colportent à travers les classes sociales, les opinions politiques et religieuses21. »

11L’appartenance d’un religieux régulier comme Coquille à une loge est-elle remarquable ? Si l’on suit les chiffres proposés par l’historien Yves Hivert-Messeca pour la décennie 1780, la France compte 2 000 à 2 500 clercs sur les 40 000 à 50 000 francs-maçons, soit 4 à 5 % du total22. Rapportés aux 115 000 ecclésiastiques français de l’époque, cela représente 2 % des religieux masculins français. Coquille participe donc à un phénomène ici largement minoritaire. Cependant, Yves Hivert-Messeca le souligne en particulier pour la province de Normandie, des loges étaient associées à des monastères. C’est le cas par exemple en Anjou de la loge Le Tendre Accueil établie depuis 1774 dans l’abbaye bénédictine de Saint-Maur de Glanfeuil au Thoureil. Il n’est donc pas rare de trouver des récollets, des bénédictins, des cisterciens, des génovéfains et d’autres réguliers encore adhérant à la franc-maçonnerie, « preuve que la Règle était tombée en désuétude et que les pratiques mondaines se répandaient dans les monastères23 ». Si l’on suit les travaux de José Antonio Ferrer Benimeli, presque tous les ordres religieux sont pourvoyeurs de membres dans la franc-maçonnerie au xviii^e siècle24. Jacques Fénéant le constate aussi dans son étude sur les francs-maçons du Val de Loire :

« Dans le Val de Loire, il y eut pratiquement équilibre entre les réguliers (55) et les séculiers (58) […]. L’entrée en force de l’Église dans les loges angevines reflétait le rôle qu’elle entendait jouer et la place qu’elle continuait d’occuper dans la vie de cette province. La maçonnerie ligérienne fut influencée indirectement par le clergé régulier25. »

12Plusieurs réguliers fréquentent donc l’Art royal, y compris en Anjou, comme dans les loges de Saumur ou de Doué-la-Fontaine. Dans les loges d’Angers, sur 102 francs-maçons dont l’identité et les origines sont connues, Bruno Blanvillain recense 17 réguliers soit 16,6 % des membres. De ce point de vue, la démarche de Jacques-Antoine Coquille n’a rien d’originale.

13La particularité des loges angevines, par rapport à celles de Nantes par exemple26, réside dans la forte représentation du clergé parmi ses membres, soit 56 religieux sur 331 frères identifiés sur la période 1774-1791, ce qui avec 17 % s’établit bien au-delà des 4 % de la moyenne du royaume. Parmi ces ecclésiastiques, 34 sont des réguliers, soit 60 % du total, près de deux fois plus que ce qui est constaté ailleurs en France à la même époque. Ils représentent 10 % des francs-maçons angevins27 !

14Reste le pourquoi de cette adhésion de Coquille à la franc-maçonnerie. S’il ne s’exprime pas directement à ce sujet, plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés. Les loges sont imprégnées du catholicisme et de ses rites28 (messes, chants comme les Te Deum), ce qui fait que cette organisation est « éminemment chrétienne29 ». Rien d’étonnant donc à ce qu’un religieux puisse fréquenter une loge et y animer ces temps d’« obligations catholiques30 ». Ces ecclésiastiques pouvaient avoir la conscience tranquille, car « dans les Statuts de la franc-maçonnerie rien n’était contraire à la religion catholique ou à l’autorité de l’État31 », ce qui est clairement précisé dans les Constitutions d’Anderson32. De surcroît, les origines sociales de Jacques-Antoine correspondent en tout point à celles des francs-maçons, à savoir majoritairement « la petite noblesse, la petite et moyenne bourgeoisie urbaine et rurale33 » quoiqu’en Anjou la petite bourgeoisie semble globalement un peu moins représentée qu’ailleurs34. Les circonstances dans lesquelles il intègre la loge L’Amitié de Beaufort sont inconnues, mais dans la plupart des cas cela se fait via des « canaux familiaux, amicaux, géographiques, culturels et/ou économiques35 ». La plupart de ces loges entretiennent des relations entre elles et forment un réseau à Angers et à l’est du futur département de Maine-et-Loire36 dans les villes de Baugé, Beaufort, Doué et Saumur, pour un total de neuf loges et 180 membres en 178937. C’est là que réside la grande force de la franc-maçonnerie, qui, loin d’être un complot à l’origine de la Révolution comme la recherche universitaire l’a désormais bien établi, rayonne sur tout le territoire avec son millier de loges qui entretiennent de nombreuses correspondances. La loge Saint-Jean-du-Secret de Beaufort échangeait par exemple des courriers avec la loge Les Amis réunis de Lille38.

15Jacques-Antoine a sans doute été sensible, comme d’autres membres du clergé, aux buts poursuivis par les francs-maçons :

« L’intérêt des francs-maçons pour la paix, la fraternité, l’humanisme, la justice, avait des aspects spécifiquement évangéliques, bien trop négligés pour ne pas dire oubliés à cette époque-là. C’est justement cette préoccupation de justice qui attira nombre de gens dans les Loges […] Il est évident que cette situation engendrait un désir de tolérance, de paix et de fraternité, c’est-à-dire de véritable œcuménisme, celui-là même que le Concile Vatican II, deux siècles plus tard, consacrerait et canoniserait, et qui curieusement se reflète dans les noms choisis par les Loges : les noms de saint y sont non seulement fréquents, mais aussi les références à l’amitié et à l’union fraternelle. D’autre part le despotisme éclairé, l’inégalité de classe, la centralisation de trop de richesses entre les mains de quelques privilégiés, avaient excité le désir de liberté et d’égalité39. »

16Coquille développe ultérieurement ces thématiques dans ses écrits et ses discours, en particulier l’égalité, mais aussi la liberté et la fraternité qui sont pour certains francs-maçons les « filles légitimes du véritable christianisme40 ». Il partage aussi un autre rôle assuré par la franc-maçonnerie, à savoir l’assistance et le secours aux pauvres41. Son goût pour la justice se traduit également quelques années plus tard par son engagement dans la profession de défenseur officieux.

17Il ne semble pourtant pas y avoir de corrélation entre l’appartenance à une loge maçonnique et l’adhésion ultérieure à l’Église constitutionnelle à partir de 1790. Yves Hivert-Messeca met en exergue le fait que « les religieux catholiques qui se retrouvèrent en loge pouvaient avoir des choix idéologiques fort divers42 ». Ainsi y trouve-t-on des ecclésiastiques se révélant réfractaires au serment tout comme des constitutionnels. Les prêtres francs-maçons se sont divisés sur la question religieuse43, ce qui est confirmé par Bernard Plongeron qui remarquait déjà en 1964 que « l’appartenance à une loge était une chose […] [et] l’adhésion à la Constitution civile du clergé en était une autre44 ». Les travaux plus récents de Pierre-Yves Beaurepaire invitent aussi à « rejeter toute prédestination génétique des francs-maçons à devenir révolutionnaires45 ». Il existe dans l’Ouest de nombreux exemples de religieux francs-maçons assermentés. C’est le cas du curé du Vieux-Pouzauges en Vendée, Dominique Dillon, député aux États généraux, bientôt membre de l’Assemblée constituante et président du Directoire du département de la Vendée, abdicataire puis membre du Conseil des Cinq-Cents46. Jacques-Antoine a connu des ecclésiastiques francs-maçons tel François-Yves Besnard, curé constitutionnel de Saint-Laud à Angers, qui intègre les réseaux de la maçonnerie mancelle après avoir choisi de s’installer dans le Maine. Pierre-Thomas Tramblier des Varennes, gardien des récollets de Saumur, rejoint lui les loges maçonniques de cette ville (il devient Vénérable de la loge Saint-Louis de la Gloire en 1785) puis exerce en tant qu’aumônier de la garde nationale de Saumur. Il occupe la cure constitutionnelle de Brigné de 1791 à 1793 avant d’abdiquer et de se marier. D’autres prêtres, bien que francs-maçons, n’ont pas fait le choix du serment, trois d’entre eux sont même déportés en Espagne en 1792 comme réfractaires47. Un autre, François Lenoir de la Cochetière, vicaire général de l’évêque Couët du Vivier de Lorry et membre de la loge le Tendre Accueil à Angers depuis 1786, refuse d’adhérer à l’Église constitutionnelle et choisit l’exil à Bologne en 1792 avant de passer en Angleterre.

18Alors que de nombreuses loges ont déjà cessé d’exister dans le royaume, la loge L’Amitié fonctionne au moins jusqu’au printemps 1791 et peut-être, comme la plupart des loges angevines, jusqu’en 1792. Les troubles liés au contexte insurrectionnel de l’Ouest en 1793 mettent la franc-maçonnerie angevine en sommeil. Mais ce n’est pas la seule raison car le même constat peut être établi à l’échelle nationale. En plus des tensions sociales entre loges qui se développent, de la suspicion répandue d’être des sociétés à mystères ouvertes à l’aristocratie, ou encore des conflits larvés entre loges parisiennes et provinciales, les francs-maçons pâtissent de la concurrence de nouvelles formes de sociabilités comme les clubs48. À Beaufort, les loges renaissent fusionnées en 1801 sous le nom de Saint-Jean de l’Amitié, avant que celle-ci ne soit dissoute en 1809.

19La durée de l’activité maçonnique de Jacques-Antoine est inconnue, mais il est probable qu’il fréquente la loge jusqu’à son départ de Beaufort au printemps 1791. Il a donc développé, dès 1788, son intérêt pour cette franc-maçonnerie qui a connu un formidable essor depuis les années 1760, donnant lieu à une véritable effervescence intellectuelle. Cette adhésion marque son attachement à l’idéal fraternel entre les hommes et à la solidarité, qui transcende les différences sans les nier49. Il aura l’occasion d’exposer ces conceptions dans ses discours et écrits ultérieurs. Qui plus est, dans ce réseau, il établit des liens d’amitié sur lesquels il pourra s’appuyer le moment venu.

L’aumônier de la Garde nationale de Beaufort ou la première expérience d’un christianisme civique

20Peu à peu, le père récollet Coquille d’Alleux se fait une place au sein de la société de Beaufort. Il observe probablement avec attention les événements se déroulant dans la ville et qui précèdent de quelques jours la publication du Règlement royal du 24 janvier 1789, fixant les modalités de l’élection des députés aux États généraux. Les échevins et le maire François Roberdeau50 décident de convoquer les représentants des trois ordres de Beaufort pour le 22 janvier. C’est le prieur de Beaufort Hugues Pelletier qui représente le clergé à cette occasion. Les débats portent alors sur la pertinence de l’organisation des États généraux de la province, sur le mode de représentation des ordres par tête ou par ordre, sur le choix des représentants au sein de chaque ordre ou bien sur la possibilité de choisir des députés dans un autre ordre que le sien. Le 5 mars, l’« assemblée de l’hôtel de ville51 » se réunit au palais royal de Beaufort pour procéder à la rédaction du cahier de doléances, et à l’élection de six représentants devant se rendre à l’assemblée du tiers-état de la sénéchaussée le lundi suivant.

21Quelques mois plus tard, les événements parisiens du 14 juillet 1789 et les prémices de la Grande Peur52 suscitent de vives réactions à Beaufort comme dans le reste du pays53, et convoquent Coquille sur le devant de la scène révolutionnaire. Le 19, une quarantaine de « jeunes gens de cette ville […] à l’occasion des troubles tant de la capitale que de quelques provinces du royaume […] ont présenté à cette municipalité [une] requête54 ». Ils demandent expressément la convocation d’une assemblée générale des habitants en vue de la création « d’un corps actif de milice angevine beaufortaise », arguant le fait que « le salut de la patrie est en danger » et voulant « donner au Roi des preuves d’amour et de soumission, et à nos concitoyens des témoignages de dévouement55 ». Ce à quoi l’assemblée des habitants répond favorablement le 21 juillet. Une proposition supplémentaire est alors soumise et adoptée :

« L’assemblée ayant fait réflexion qu’il pourroit arriver que les dites compagnies de la milice nationale de Beaufort en Anjou fussent obligées de se transporter ailleurs qu’en cette ville, elles auroient besoin d’un aumônier à l’instard du Régiment, elle a nommé d’une voix unanime le père Simplicien Coquile [sic] Religieux Récollet de la communauté de cette ville56. »

22La décision est validée le lendemain par le comité de l’Assemblée nationale de Beaufort en Anjou57. Cette unanimité vient confirmer que Coquille n’est pas un inconnu et qu’il dispose déjà d’une certaine notoriété dans la ville.

23Le voilà donc propulsé au cœur des événements de l’été 1789, et, dès le 23 juillet, il est présent devant le comité constitué pour installer cet embryon de la future garde nationale et pour « recevoir les soumissions de ceux qui voudront servir dans les dites compagnies58 ». Beaufort connaît donc aussi le mouvement de création des milices nationales, mais il faut attendre décembre 1789 pour que les gardes nationales rencontrent une organisation légale à l’échelle du pays59.

24La mise en place d’un service d’aumônier aux armées ne constitue toutefois pas une nouveauté. Cette pratique, notamment chez les récollets, est déjà attestée par exemple lors du siège de La Rochelle en 1628 et explique en général leur présence dans les villes de garnison60. Leur existence répond au souci de promouvoir un sentiment de sécurité61. Celle de Coquille au sein de la milice nationale de Beaufort ne revêt donc pas de caractère exceptionnel ou original comme l’a suggéré l’historiographie du xix^e siècle.

25De surcroît, les mêmes fonctions d’aumôniers de garde nationale sont exercées par d’autres religieux en Anjou. C’est le cas de Pierre-Thomas Tramblier des Varennes, récollet et franc-maçon déjà évoqué, qui devient aumônier de la garde nationale de Saumur en 1790, de René Mathieu Roger, cordelier, aumônier pendant quelque temps de la garde nationale d’Angers62 ou encore de Jean-Claude Marchand, lui aussi cordelier et aumônier de la même garde nationale d’Angers en 1791. Ces trois réguliers prêtent le serment en 1791, tout comme le vicaire Urbain Yves Desplaces qui devient aumônier de la garde nationale de Morannes avant de connaître une fin tragique63. Les exemples sont donc multiples, comme ces deux futurs constitutionnels qui participent à la fête de la Fédération à Paris le 14 juillet 1790 : Jean-François Ecot64 et Lebreton65, respectivement aumôniers des districts d’Angers et de Saint-Florent-le-Vieil66.

26Pourtant cette fonction ne conduit pas forcément à un engagement dans l’Église constitutionnelle. Pour preuve, le devenir du prêtre Barthélemy Abrial du Buot qui, bien qu’aumônier de la garde nationale du canton de Seiches en 1789, est interné à Angers en 1792 puis déporté en Espagne avec les réfractaires au serment67.

27Le 23 juillet 1789, le comité de Beaufort consigne dans son registre :

« Nous avons chargé monsieur le secrétaire [Harau de la Bare] d’écrire au provincial pour lui faire part de la nomination du RP Coquille Récolet à la place d’aumônier et le prier de lever l’interdiction qu’il avait prononcé contre lui68. »

28Le 25, le secrétaire expose au comité la réponse favorable reçue, validant ainsi la place d’aumônier confiée à Coquille. Quelle était la nature de cette interdiction émise par le révérend père Pierre David, provincial des récollets, à l’encontre de Jacques-Antoine ? Il n’y a pas d’élément d’explication dans les archives, mais cette interdiction, ajoutée aux récentes difficultés rencontrées quant à sa participation à la loge maçonnique L’Amitié, ne manquent pas de questionner sur le tempérament de ce religieux.

29Mais la véritable entrée en Révolution de celui qui signe encore « frère Simplicien Coquille d’Alleux Récollet69 » s’opère le dimanche 27 septembre 1789. Le 10 août précédent, l’Assemblée nationale demandait aux milices citoyennes d’organiser une cérémonie de prestation de serment, ce que le roi approuva le 14 du même mois. Le comité de Beaufort explique à regret n’avoir pu organiser cette cérémonie plus tôt, en raison de la reformation du comité et de la milice le 27 août précédent, et car la confection du deuxième drapeau aux couleurs de la Nation s’est achevée le 26 août. C’est donc ce 27 septembre70 que se déroulent la bénédiction des drapeaux et la prestation de serment de la milice nationale de Beaufort en Anjou, au cours desquelles Jacques-Antoine Coquille joue les premiers rôles. Le registre du comité comporte un procès-verbal qui donne à voir la solennité de l’instant à travers les modalités de cette cérémonie. Les soldats de la milice nationale se sont assemblés et rangés en bataille sur la place d’armes de Beaufort, formant deux bataillons de dix compagnies chacun « dont une de grenadiers et une autre de chasseurs ayant à leur teste celle des sapeurs et au centre celle des canonniers71 ». Après l’appel nominatif de tous les officiers et soldats, le chevalier de Brûlon, commandant la milice, forme deux lignes parallèles et, en compagnie des électeurs et membres du comité, dirige le cortège vers l’église paroissiale :

« Il étoit attendu par MM. Hugues Pelletier prieur curé de cette ville, et le Révérend père Coquille récollet aumônier du Régiment. Un discours noble et touchant a été prononcé dans la chaire de vérité par notre vénérable pasteur qui immédiatement après a fait la bénédiction de nos drapeaux, cérémonial qui a été suivi du saint sacrifice de la messe par notre aumônier72. »

30Le régiment sort alors de l’église, se rend au Champ-de-Mars, lieu choisi pour la prestation du serment, et forme un carré avec en son centre le commandant, l’aumônier Coquille, les électeurs, les membres du comité, le colonel de la milice d’Angers Le Goux Duplessis et plusieurs de ses officiers, tout cela en présence de Le Gros de Princé, ancien capitaine du Régiment de Picardie. C’est alors que Coquille entre en scène, et quelle scène ! Devant les 300 gardes nationaux réunis, il prononce un discours, publié quelques mois plus tard sous le titre Discours patriotique sur l’égalité et la liberté civile et politique, ce que relate le procès-verbal :

« Tout le Régiment avait entendu avec ravissement les exhortations pleines de douceur et de patriotisme du chef de notre Église, de même au champ de Mars il a reçu avec applaudissement celles qui lui ont été faittes alternativement par l’aumônier et par le commandant73. »

31À la suite du serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Loi prêté par le commandant le chevalier de Brûlon, une « acclamation universelle s’est fait entendre aussitôt par la répétition du même serment qu’ont prononcé les électeurs, les membres du comité, les officiers et soldats du Régiment74 ». La journée festive se poursuit par un banquet géant sous les halles de Beaufort « où les officiers se sont fait un vray plaisir de servir les soldats et de se mêler parmi eux en témoignage de l’estime qu’ils ont pour des citoyens dignes de l’honorable fonction à laquelle ils se sont dévoués75 ». Quel enthousiasme a dû susciter ce rassemblement pour Coquille, lui qui a sûrement participé au dîner donné dans le réfectoire des récollets pour clore cette « mémorable journée76 » et lors duquel ont résonné des chants patriotiques77. Après les troubles de l’été 1789, il s’agit là d’un moment de répit, tant pour les autorités municipales, que pour l’Église : le débat sur son devenir est ouvert mais rien n’est encore véritablement acté78. L’union de la Nation et de l’Église transparaît publiquement dans ces cérémonies de bénédiction de drapeaux79, d’autant plus à Beaufort où la fête ne consiste pas dans le seul office religieux comme c’est le cas à Paris pour 42 fêtes du même type sur 4480. Le caractère nécessaire de l’alliance de la religion et de la Révolution est ici mis en avant, « gage de paix et de concorde civile, selon les thèmes récurrents du discours clérical de l’époque81 ».

32C’est au mois de janvier 1790 que la garde nationale est constituée en remplacement de la milice nationale « et l’on voit même Monsieur, comte de Beaufort (frère de Louis XVI) contribuer à sa constitution82 ». Coquille vit donc les premiers mois de la Révolution à Beaufort et assiste à de multiples rassemblements. C’est sans doute le cas par exemple au début de l’année 1790 au moment où, en février, une assemblée des citoyens est convoquée afin de choisir les membres de la nouvelle municipalité. Pour ce faire, elle est conviée à « se réunir […] en la maison des Pères Récollets83 », ce qui place une nouvelle fois le couvent au cœur des événements. À cette occasion, le prieur-curé Hugues Pelletier est élu membre du conseil et du bureau municipal. Quelques jours plus tard, le 21 février 1790, lecture est faite au conseil d’une lettre du général La Fayette « par laquelle il témoigne sa satisfaction et son patriotisme à la Garde nationale de cette ville84 ». S’exprime alors la fierté des Beaufortains qui déposent la lettre dans leurs archives municipales car elle émane « d’une personne de haute distinction85 ».

33Devant la multiplication de ces rassemblements depuis l’automne 1789 et des « fêtes fédératives » difficilement contrôlables depuis Paris, l’Assemblée prend les devants le 4 juin 1790 en fixant au 14 juillet une grande fête à la date anniversaire de la prise de la Bastille86. C’est donc la préparation de cette fête dite de la Fédération qui occupe les autorités de Beaufort et dont elles fixent les modalités le 10 juillet87. Le lendemain, la construction d’un autel est actée « sur la place du marché attenante à l’église de cette ville à l’endroit de la croix de mission qui, à cause de sa vétusté, sera ôtée et remplacée à la diligence desdits commissaires par celle en fer placée dans le mur de la maison des Récollets de cette ville88 ». Il est précisé dans la suite de cette séance que les « Pères Récollets de cette ville et M.M. de la maréchaussée seront invités par M. le Maire de se trouver à la dite fédération89 ». Une quête est organisée le 12 juillet chez toutes les personnes aisées de la ville de Beaufort pour qu’une distribution soit faite, en argent ou en pain, lors de la fête le mercredi suivant90.

34Coquille est évidemment présent ce 14 juillet 1790 sur la place des halles de Beaufort, lieu choisi pour fêter la Fédération de tous les Français. C’est le conseiller Poullot qui fait le récit de cette journée devant la municipalité le 25 juillet91. La reproduction de larges extraits de ce texte permet de prendre la mesure de l’événement, de mieux appréhender son caractère solennel et de mettre en évidence une forme d’esthétisation de la Révolution. L’autel « à la patrie92 » construit à cette occasion rassemble les symboles religieux, notamment la croix des récollets, et « les emblèmes analogues à la Révolution93 », signes de l’union de la religion et de la Nation. C’est le point de convergence des dix compagnies de la Garde nationale parties du champ de Mars « au bruit du canon et d’une musique guerrière94 » :

« [Elles étaient] précédées par la Municipalité et les notables qui entouraient les quatre plus anciens d’âge, vieillards respectables. La marche étoit fermée par la brigade de maréchaussée à cheval. Le clergé placé autour de l’autel était accompagné des quatre vieillards, assis sur des fauteuils. Toutes les gardes nationales s’étant formées en cercle avoient laissé près de l’autel devant la Municipalité, un vuide dans lequel on avait placé des chaises. Les musiciens s’étant absentés reparurent bientôt à la tête de quatre-vingt-trois filles citoyennes de cette ville, de tous âges et de tous rangs représentant les quatre-vingt-trois départemens de la France. Toutes vêtues en blanc ceinturée de larges rubans aux trois couleurs et dont les extrémités pendantes jusqu’à terre flottaient au gré des vents, marchant sur quatre colonnes dans le plus grand ordre et se placèrent sur les chaises dont nous venons de parler ; il étoit alors onze heure et demie.
M. le Prieur Curé commença la messe au son de la musique : elle fut entendue avec le recueillement le plus religieux. À peine finie, M. le Maire, après avoir prononcé un discours pathétique et analogue à la cérémonie, levant la main prononça le serment civique qui fut répété par tous les citoyens et suivi d’acclamations réitérées de vive la nation, vive le Roi.
C’est dans ce moment que les jeunes citoyennes s’étant approchées de l’autel de la patrie et placées en face de la Municipalité, l’une d’elles prononça un discours relatif à la circonstance. Après avoir complimenté la Municipalité et la garde nationale, après avoir répété le serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi, elles en ajoutèrent un particulier à leur sexe connu en ces termes : “celles d’entre nous que Dieu appelle au mariage s’honorent de faire aujourd’hui en votre présence le serment solennel de n’accorder leur main qu’à des vrais patriotes, de répéter dans l’âge tendre à leurs enfans le mot sacré de patrie, afin qu’ils en succent les sentimens avec le lait maternel, et de leur enseigner le cathéchisme du citoyen en même tems que celui de notre religion, pour en former tout à la fois de bons chrétiens et de braves français”. M. le Maire ayant répondu et approuvé des sentimens aussi nobles, demanda au clergé un Te Deum, qui fut aussitôt chanté au son des cloches, des instrumens et au bruit du canon. Les citoyens avant de se séparer se prirent par la main et ayant formé entre eux une chaîne se jurèrent union et fraternité. Après le dîner, les citoyens de l’un et l’autre sexe, de tous âges et de toutes professions se rassemblèrent dans les différents quartiers de la ville où dansant sans distinction ils présentèrent le tableau de l’égalité et de la cordialité la plus parfaite95. »

35Cette journée, marquée de rituels de fraternisation et d’unification, a sans aucun doute eu pour effet sur Coquille ce que l’historien Pascal Dupuy souligne à propos de cet événement national :

« La fête de la Fédération a eu un effet à la fois séduisant et porteur d’unité nationale sur la population. Même si certains ont tout de suite compris qu’il s’agissait d’une mise en scène et que le rideau allait bientôt tomber, la foule réunie et assemblée en gardera un souvenir ému et admiratif96. »

36Le décorum de la fête, l’union des générations, des sexes, de la religion et de l’État à travers ses représentants, la prestation en apparence unanime du serment, autant d’éléments qui ont pu au final marquer durablement l’esprit de Jacques-Antoine. C’est d’autant plus envisageable qu’il n’a pas été un simple spectateur de cette fête mais un véritable acteur de celle-ci. La symbolique est forte : il sort d’un ordre pour entrer pleinement dans cette nation en construction à laquelle il apporte sa contribution. Pour lui et d’autres à cet instant, l’union de la religion et du « cathéchisme citoyen97 » est non seulement possible mais plus encore de l’ordre de l’évidence. Cet enthousiasme populaire vécu à Beaufort, éventuellement exagéré par Poullot, tranche avec ce qu’il s’apprête à vivre l’été suivant dans les Mauges.

37Pourtant, même à Beaufort, la concorde est de courte durée. Une certaine tension était déjà palpable le 29 mai précédent, lorsque le conseil municipal décidait de convoquer la Garde nationale, avec 40 hommes en armes, pour assurer le maintien de l’ordre lors de la procession du Saint Sacrement le jour de la Fête-Dieu. C’est au mois d’août que les divisions éclatent au grand jour. Le 15, le conseil général de la commune, composé des officiers municipaux et de quelques-uns des notables de la ville, est réuni à 14 h pour délibérer sur divers points et doit se rendre ensuite à l’église Notre-Dame pour assister aux vêpres et « à la procession solennelle qui se fait chaque année à pareille époque en exécution du vœu de Louis XIII98 ». Lors de la séance, « une difficulté relative à la concession d’un banc d’église99 » est abordée. À cet instant, plusieurs individus armés font irruption dans la salle du palais de Beaufort, réclamant que tous les bancs d’église soient enlevés et remplacés par des chaises. L’attaque est ici portée contre l’un des droits d’Ancien Régime réservant les bancs d’église aux nobles, notables et officiers publics. Les émeutiers, selon le procès-verbal dressé le lendemain par les officiers municipaux, invectivent l’assemblée en menaçant :

« Que si on n’avait égard à leur pétition ils les enleveroient et en feraient une charibaude, changeant aussitôt de langage, ils dirent d’un ton menaçant qu’on les avait conduit jusqu’à présent comme des moutons, mais qu’ils allaient devenir des lions ; qu’ils fouteroient des coups de fusil aux Bourgeois comme sur des chiens ; qu’il y avoit longtemps qu’on les trompoit100. »

38Ils s’en prennent ensuite à un des notables, Le Bouvier, qu’ils accusent d’être un accapareur de grains. La Garde nationale intervient alors « après avoir percé la foulle101 » pour tenter de ramener le calme face à une « troupe séditieuse [qui] se réduisit bientôt à une vingtaine d’hommes la plupart armés parmi lesquels étoient plusieurs enfans102 ». Les membres du conseil général de la commune parviennent à sortir de la salle pour se rendre à l’église et participer à la procession qui allait bientôt commencer.

39L’alerte a été suffisamment sérieuse pour que le conseil municipal ordonne la publication de la loi martiale et le déploiement du drapeau rouge dès le lendemain « à la première émotion populaire103 ». Le même jour, les officiers municipaux, alarmistes, écrivent aux administrateurs du département de Maine-et-Loire :

« Les troubles de notre ville sont si grands et l’esprit du peuple si exalté que la Bourgeoisie se regarde en danger. On n’entend parler que de Lanterne et de coups de fusil ; les femmes ne craignent pas de dire qu’elles ne seront contentes que lorsqu’elles porteront dans leurs tabliers les têtes de tous les Bourgeois. Ces menaces sont d’autant plus offensantes qu’elles sont sans motif. Nous vous supplions de vouloir bien prendre en considération la critique position où nous nous trouvons104. »

40Ils demandent la venue et le stationnement en garnison de 50 hommes de cavalerie du régiment.

41L’affaire fait donc grand bruit à Beaufort, un mois après la fête de la Fédération, et Coquille en a peut-être même été témoin car il a très probablement participé ce 15 août à la procession annuelle du vœu de Louis XIII. En effet, il est semble-t-il de toutes les cérémonies puisque quelques jours plus tard, lors de la fête de la Saint-Louis le 25 août, il célèbre une messe en tant qu’aumônier de la Garde nationale en l’église des récollets « pour rendre au Roi Chef Suprême de la Nation les devoirs de tous les citoyens français » et « pour la conservation des jours de sa Majesté, de la Reine et de toute la famille105 ». Ces menaces, ces scènes de violence vécues à Beaufort engagent Coquille à prêcher la modération dans les discours qu’ils prononcent dans les semaines suivantes.

42S’il n’est pas exceptionnel, l’engagement de Jacques-Antoine en tant qu’aumônier de la milice nationale de Beaufort, dans l’une des villes les plus peuplées du tout nouveau département de Maine-et-Loire106, n’est cependant pas anodin. Il apparaît comme un moment majeur dans la vie de cet ecclésiastique, comme un geste profond et une volonté forte de servir la Nation. Cela corrobore l’analyse de la mise en place de la Garde nationale aux débuts de la Révolution développée par l’historien Roger Dupuy, et résumée par l’historienne Mathilde Larrère :

« La participation de la Garde, née la veille, à la prise de la Bastille lui confère immédiatement une dimension mythique. La Garde devient le symbole de la souveraineté nationale, son action exprimant les intérêts véritables du Tiers, du Peuple107. »

43Cette démarche de prise de responsabilité de Coquille s’inscrit-elle dans une volonté de représentation des intérêts du peuple ? Croyait-il à ce que l’abbé Grégoire dénomme plus tard dans ses mémoires « la sainte alliance du christianisme et de la démocratie108 » ? C’est pour lui la première expérience d’un christianisme civique, les débuts de sa contribution à la création d’une société libre, juste et égalitaire, à l’accomplissement des idéaux chrétiens109. Tout comme beaucoup d’autres religieux au commencement de la Révolution, il est empreint de ce que Bernard Plongeron a nommé « la vertu de sociabilité politique du christianisme110 ».

S’affranchir de la règle : une libération ?

44Entre-temps, pendant cette année 1790, les décisions de l’Assemblée nationale sur les questions religieuses sont appliquées sans encombre à Beaufort. En conformité avec le décret de mise à disposition des biens du clergé à la Nation du 2 novembre 1789, Hugues Pelletier fait la déclaration des biens du prieuré de Beaufort le 23 février 1790. S’en suivent plusieurs déclarations pour différents bénéfices et notamment celle de la supérieure de la communauté des religieuses hospitalières de Beaufort. Le tout est envoyé à l’Assemblée nationale le 6 mars. Et le 23 mars, cinq semaines après le décret du 13 février 1790 supprimant les ordres religieux à vœux monastiques solennels, les neuf récollets de Beaufort se présentent à la municipalité. Leurs noms, âge, fonction et dates de naissance sont consignés dans le registre des délibérations de la commune111. Ces religieux expriment le désir suivant :

« Profiter de la liberté accordée à tous les individus existans dans les monastères et maisons religieuses par le décret de l’assemblée nationale du treize février dernier, et […] ont déclaré qu’ils sont dans l’attention [sic] de sortir de la dite communauté et qu’ils effectueront leur sortie aussitôt qu’il aura plu à l’assemblée nationale de leur faire savoir à quelle époque ils doivent le faire pour pouvoir jouir de la pension qui leur est accordée112. »

45Tous signataires et demandant une copie de leur déclaration, les récollets de Beaufort ne posent aucun problème à la municipalité pour se conformer aux décrets nationaux. La date de sortie effective du couvent n’est pas connue. Mais quelques éléments renseignent sur les conditions de la fermeture du bâtiment. Le 26 mars, un nouveau décret de l’Assemblée enjoint les municipalités à lister les biens mobiliers et immobiliers des couvents. Ainsi, l’inventaire des biens de la communauté est fixé au 24 avril à 8 h. Soin a été pris pour cette occasion d’avertir les récollets qu’ils doivent se rendre disponibles à cet effet.

46Le 28 juin 1790, la municipalité décide que la maison des récollets ne sera pas comprise dans l’acquisition des biens nationaux et qu’elle sera conservée, soit pour y loger des religieux soit pour y installer un collège royal, ou pour en faire une caserne113. La vente des biens des récollets est préparée le 6 novembre sous l’égide de Le Breton, membre du district de Baugé. Il est fait état de la bibliothèque qui « n’est composée que d’anciens théologiens, sermonnaires, casuistes et bréviaires qui n’ont paru susceptibles que d’être vendus au poids et pour l’épicier114 ». Ce qui pose problème, ce sont « les ornements et linges » des récollets qui, bien que « ni considérables ni précieux » sont demandés par « les religieux [qui] en réclament une partie pour leur usage personnel », par la Garde nationale « qui en demande pour son aumônier », par la fabrique de Beaufort « dont les charges annuelles sont aussi considérables que les revenus [qui] ne peut se procurer les ornemens dont elle a besoin à l’époque présente115 ». La municipalité souhaite que ces ornements « donnés pour la plupart par la piété des citoyens, doivent de préférence être accordés, tant à la ville qu’ils habitent, qu’à l’église de Saint-Pierre-du-Lac son annexe, qui en est entièrement dépourvue116 » plutôt que d’être envoyés au directoire du district comme le demande une délibération de ce dernier.

47Les récollets de Beaufort ont montré leur unanimité dans leur volonté de quitter le cloître. Possibilité leur était donnée de continuer à vivre en communauté, regroupés dans quelques maisons par département117. Pourtant, ils choisissent tous de reprendre leur liberté moyennant une pension à un taux variable suivant l’âge et l’ordre, le maximum étant de 1 200 livres118. Les attitudes ont été très diverses dans les autres ordres : bénédictins, cisterciens, augustiniens quittent massivement les couvents à la différence des trappistes, des chartreux et des capucins119. Les monastères féminins, comme celui des hospitalières de Beaufort, optent très largement pour la poursuite de la vie en communauté. Certains de ces réguliers choisissent de se retirer dans leur famille, mais c’est l’Église constitutionnelle, manquant cruellement de prêtres, qui leur ouvre bientôt les bras120.

48Quels sentiments Jacques-Antoine peut-il bien éprouver à cet instant ? Quelques lignes d’un texte qu’il publie quelques mois plus tard à l’automne 1790 semblent faire écho à sa sortie du couvent et interrogent quant à la possible évocation d’une expérience personnelle :

« Des pères et des mères étouffant dans leurs entrailles les sentimens de la nature, condamnoient à une prison perpétuelle le fruit infortuné de leur union. Pour conserver un nom, illustrer une famille, enrichir un aîné, fournir à son libertinage, on condamnoit le cadet ou la sœur à pleurer dans un cloître les égaremens de son frère et l’ambition de ses parens ; parce qu’une mère ne pouvoit supporter le fruit de ses entrailles ; (qui quelquefois était celui de son crime) il falloit dépouillé cet infortuné de tous ses biens pour ne le revêtir que de la pauvreté religieuse. On appelloit cela consacrer ses enfants à Dieu ! Ah ! c’étoit les immoler au démon de l’avarice, de l’ambition, de la prédilection. Voilà les idoles auxquelles on sacrifioit ces innocentes victimes, dont le sang a crié vengeance au tribunal de Dieu. Bénis soient à jamais les Représentans de la Nation, qui en supprimant les vœux monastiques, ont aboli ces horreurs ! privilèges abominables par lesquels l’aîné d’une famille étoit une espèce de Dieu, tandis que son frère étoit esclave121 ! »

Entrer en politique : l’adhésion à la Société des amis de la Constitution

49Désireux de prendre une part active aux débuts de la Révolution, de nombreux clubs ou sociétés populaires naissent dans le royaume en 1789. En 1790, 90 d’entre eux sont affiliés au club jacobin parisien122 dont ils copient les modalités d’organisation et de fonctionnement. Ces clubs entretiennent de volumineuses correspondances, dans un véritable réseau qui n’est pas sans rappeler celui de la franc-maçonnerie. Ils s’appuient sur la diffusion de journaux pour faire connaître leurs idées123. Ainsi, les deux aspects fondamentaux de la culture jacobine sont la naissance de l’association politique et l’émergence de la presse provinciale124.

50Une Société des amis de la Constitution125 affiliée au club des Jacobins de Paris voit le jour à Angers en mars 1790 et installe ses quartiers dans l’église Saint-Aubin, puis dans celle des Jacobins126. Essentiellement appuyée sur la bourgeoisie, elle réunit d’après Blordier-Langlois « ce qu’Angers compta de plus instruit, de plus honnête et de plus civilisé127 ». Benjamin Bois cite parmi ses membres les plus illustres l’avocat Pierre Marie Delaunay, l’oratorien Jean-Claude Benaben, le polémiste Jean-Baptiste Cordier, le publiciste Claude Milscent le créole, l’imprimeur Charles Mame, les députés Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux, Urbain-René Pilastre de la Brardière128 et Jean-Baptiste Leclerc129. En octobre-novembre la société compte « 450 patriotes qui s’y rassemblent fréquemment pour traiter tout ce qui concerne le bien public130 ».

51Il n’est pas possible de déterminer la date d’entrée de Jacques Coquille dans cette société, mais il était l’un de ces 450 patriotes comme l’atteste le préambule de la pièce de théâtre Le prêtre réfractaire ou le nouveau Tartuffe qu’il publie le 19 mars 1792 et qu’il dédie aux amis de la Constitution :

« À tous les amis de la Constitution, frères et amis, je pense que le moyen d’éclairer le peuple est de tourner en ridicule toutes les idées superstitieuses que les partisans des siècles d’ignorance s’efforcent de graver dans son esprit […]. J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments de la plus tendre fraternité, frères et amis, votre dévoué frère, Coquille d’Alleux membre des sociétés des amis de la constitution d’Angers et de Chalonnes131. »

52Sa participation à ce club est d’autant plus compréhensible qu’elle montre une correspondance de vue totale entre sa pensée aux débuts de la Révolution et le programme de la Société publié en mars 1790 :

« Un respect profond pour l’auguste assemblée nationale, une soumission entière à ses décrets, le sacrifice absolu de tout intérêt personnel à l’intérêt général, en un mot un dévouement complet de toutes ses facultés à la patrie : telles sont les principales qualités requises pour être admis parmi les membres de cette patriotique association […]. Les Amis de la Constitution auront sans cesse les yeux ouverts sur la chose publique. Tout ce qui intéresse la liberté, la sûreté des individus, l’agriculture, le commerce, les arts, sera l’objet de leurs délibérations ; ils discuteront sur tout et tâcheront de faire adopter tous les plans qui tendraient à améliorer le sort des classes les moins fortunées de la société et à établir, de fait, cette précieuse égalité civile, le plus grand des bienfaits de l’Assemblée nationale132. »

53Et que dire de la devise de la Société des amis de la Constitution d’Angers ? A-t-elle été une source d’inspiration pour Coquille ?

« Courage et fermeté dans les principes, fidélité à la Constitution, constance infatigable à la défendre, respect et soumission aux lois et aux pouvoirs qu’elle aura établis, dévouement à la patrie133. »

54Jacques-Antoine noue sans conteste dans ce club des relations dont il tire parti ultérieurement134. Ainsi, en 1791, il retrouve à Chalonnes-sur-Loire Jean-Baptiste Leclerc, franc-maçon135, célèbre pour ses qualités d’écrivain et de musicologue136, qui y résidait depuis 1789 et commandait la garde nationale. Devenu député à l’Assemblée nationale constituante en remplacement de Milscent en août 1790, il siégea à l’extrême gauche137. C’est lui le fondateur à l’été 1791 de la Société des amis de la Constitution de Chalonnes à laquelle adhère Jacques-Antoine. Fervent opposant aux prêtres réfractaires, dont il dénonce les agissements dans ses publications138, Leclerc accompagne son ami La Révellière-Lépeaux en mars 1792 et Joseph Villier139 dans la tournée du « club ambulant des Mauges » à Beaupréau, pour venir en aide à Coquille qui est alors en mauvaise posture face à l’hostilité d’une grande partie de la population.

55Jacques-Antoine est aussi le correspondant attitré de L’Observateur provincial, journal d’opinion créé par l’imprimeur Louis-Victor Pavie. Benjamin Bois précise le cadre dans lequel s’inscrit cette publication :

« L’Observateur provincial, annexe de la Correspondance des députés des communes d’Anjou sous la Constituante, puis de la Correspondance du département de Maine-et-Loire à l’Assemblée législative, est un organe d’information comme les Affiches, un journal constitutionnel comme le Journal des Amis de la Constitution, mais sans attaches officielles avec le club, et plus libre d’allure. Il paraît devoir prendre place à la gauche du Journal des Amis de la Constitution140. »

56C’est dans ce journal que Coquille fait paraître en octobre 1789 les comptes-rendus de ses deux discours patriotiques. D’ailleurs, on y lit dans le n^o 7 :

« Les Amis de la Constitution d’Angers, et les Citoyens Patriotes de toutes les extrémités de la France, qui se sont trouvés à la foire de la S. Martin, ont engagé M. Coquille à donner une seconde édition de son Discours, moins coûteuse, afin que tous les habitants des campagnes puissent se procurer à peu de frais un ouvrage si utile. L’Auteur, qui a toujours su sacrifier ses intérêts particuliers au bien général, abandonne cette seconde édition à six sols, au lieu de douze sols, en le priant de faire attention au prospectus suivant141. »

57Il annonce ici la prochaine parution d’un journal de sa composition, le Prédicateur patriote :

« Cet ouvrage, où la raison et la Religion annonceront les vérités les plus consolantes, doit porter dans les cœurs les plus froids le feu du patriotisme ; les Amis de la Constitution y trouveront les sentiments sublimes qui les caractérisent ; la Société des Francs […], répandue sur la surface du globe, y trouvera les sentiments de la plus tendre fraternité ; ceux même qui souffrent de la révolution y puiseront les consolations que la Religion présente aux affligés ; en un mot, le Prédicateur Patriote fera aimer une Constitution qui rendra la Religion plus respectable, la Loi plus sage, les mœurs plus épurées et les hommes plus heureux : voilà le bonheur auquel il aspire ; s’il réussit, le plaisir d’avoir été utile sera sa récompense ; s’il ne réussit pas, le public excusera sa témérité en faveur de son zèle142. »

58Il projette la parution de deux discours de quarante pages chacun : « On s’abonne à Beaufort, chez l’Auteur, et à Angers, chez Pavie, Imprimeur-libraire, rue Saint-Laud. Le premier Discours paraîtra aussitôt qu’il y aura assez de Souscripteurs pour les frais d’impression143. »

59Cette forte implication de Coquille dès l’automne 1789 dans la presse révolutionnaire angevine naissante, accompagnée de son investissement dans la Société des amis de la Constitution d’Angers, puis dans celle de Chalonnes, révèlent un vif engagement de sa part dans les premiers temps de la Révolution. Il débute un itinéraire politique inaccessible auparavant, le faisant entrer dans une dimension véritablement citoyenne. De sujet, il devient un acteur à part entière dans cette sociabilité politique émergente, un homme nouveau, même si ce citoyen n’est pas encore de fait un révolutionnaire144. Le club de l’Est à Angers est d’ailleurs plus modéré que le club de l’Ouest, ou club des Amis de la Liberté et de l’Égalité, qui voit le jour en mai 1791. Cette adhésion est à percevoir comme un prolongement direct de son action pastorale antérieure « afin d’accompagner, voire de guider, le grand mouvement de régénération morale du peuple français145 ». En associant la religion à la raison pour développer le feu du patriotisme et faire aimer la Constitution, il participe à sa manière au transfert de sacralité du religieux au politique. Il y a là une véritable volonté de christianiser la Révolution pour la rendre plus louable encore. Mais pour lui l’Église a elle aussi tout à y gagner en opérant un retour à ses fondements et à sa simplicité primitive.

Le Discours patriotique sur l’égalité et la liberté civile et politique (1789)

61Le premier discours est prononcé sur le champ de foire de Beaufort le 27 septembre 1789 à l’occasion de la bénédiction des drapeaux de la Garde nationale comme évoqué précédemment. Il s’inscrit dans cette temporalité des derniers mois de l’année 1789 qui voient « l’éclosion d’une forme de “sermon civique” dans le cadre d’élaboration d’une “religion nationale” […], plusieurs tentatives d’élaboration d’un discours civique qui tirerait une partie de sa légitimité de la sacralité attachée à la fonction de prédicateur148 ». C’est bien le cas ici avec Jacques-Antoine, lui le récollet issu de cet ordre franciscain dont la prédication constitue l’un des fondements, auréolé de sa récente fonction civique d’aumônier de la Garde nationale de Beaufort. Composé d’un exorde et de deux points, l’un sur l’égalité, l’autre sur la liberté, ce discours respecte les codes de la rhétorique classique de la deuxième moitié du xviii^e siècle influencée par les œuvres de l’Antiquité149. Sa particularité réside cependant dans l’utilisation d’un vocabulaire moins empreint de religion (l’occurrence du mot « Dieu » par exemple se retrouve à sept reprises seulement, « religion » à trois reprises, « Seigneur » à deux reprises et une seule mention du mot « chrétien ») au profit de termes résolument tournés vers le champ du politique, de l’homme et du citoyen : « liberté » (41 occurrences), « égalité-égaux » (37), « homme » (35), « citoyen-concitoyen » (18), « patrie-patriote-compatriote-patriotisme » (17), « loi » (17), « peuple » (14), « droit » (11), « nation » (7). On assiste avec ce discours à un « investissement de la rhétorique traditionnelle par de nouveaux idéaux, une volonté de faire coïncider, au moins dans la fiction du public auquel il est adressé, communauté nationale, civique, et communauté de fidèles150 ».

62Ce discours, en priorité destiné aux gardes nationaux de Beaufort, a une portée plus étendue et s’adresse aux hommes en général, ce qui est confirmé par la publication qui lui assure une plus large diffusion. La citation mise en exergue de ce texte correspond bien à l’objectif assigné par Coquille à son discours : « Melior est sapientia, quam arma bellica. La sagesse est meilleure que les armes des gens de guerre151. » En effet, le texte de l’aumônier est une vive mise en garde contre une mauvaise interprétation des changements qui s’opèrent dans le cadre de cette Révolution naissante. Dans son introduction, il s’attache à exposer les dangers et les « convulsions » de l’anarchie qui menacent le royaume après cette Révolution qui a « arraché la nation aux fureurs du despotisme ». Autrement dit, il s’agit d’éviter de tout perdre après avoir accompli une grande avancée. Le tableau de l’état de la France dressé à cet instant est des plus inquiétants. Coquille évoque cette peur du peuple en armes et cette guerre civile qui menace :

« Qu’il est affligeant de ne tracer à vos yeux que les malheurs qui vous menacent ! Quand je jette des regards étonnés sur la révolution qui vient de s’opérer en France, lorsque des millions d’hommes armés, revenus de leur terreur, ne semblent conserver le glaive meurtrier, que pour l’enfoncer dans le sein de leurs concitoyens. »

63La liberté et l’égalité nouvellement acquises, exaltées dans ce texte comme dans les sermons prononcés à la même occasion dans les districts parisiens152, ne sauraient être irréfléchies au risque de sombrer sous l’oppression de l’anarchie :

« Mais quand d’un autre côté je vois les calamités qui désolent ma patrie, les sources qui alimentoient le trésor-royal, détournées ou taries, les lois oubliées ou méprisées, l’autorité publique ou les tribunaux méconnus ou impuissants ; le peuple livré aux excès de la licence qu’il prend pour la liberté ; les troupes sans frein, sans discipline, appellant leur désordre du Patriotisme, et menaçant la nation d’une dissolution totale de l’armée : lorsque j’apperçois des meurtres, des assassinats, des incendies ; je m’écrie, en frémissant, quelle est donc cette égalité qui confond tout et ne respecte rien ? Quelle est cette liberté qui porte partout la confusion et l’horreur ? »

64Les contextes nationaux et locaux permettent d’éclairer cette vision alarmante de l’état de la société en ce début d’automne 1789. En effet, dans l’onde de choc du 14 juillet, la peur précède, accompagne ou suit l’enthousiasme153. Les échos de cette journée de la prise de la Bastille parviennent à Angers le 17 juillet, où dès le soir même une garde de 300 hommes est constituée pour s’assurer de la sûreté publique154. Les mêmes dispositions sont prises à Beaufort à partir du 21 du même mois. Les « meurtres, assassinats, incendies » mentionnés par Coquille renvoient sans doute aux décapitations de l’intendant de Paris Bertier de Sauvigny et de son beau-père Foulon de Doué155, originaire d’une famille noble de Saumur, et plus largement aux troubles frumentaires ou antiseigneuriaux qui secouent le royaume durant l’été et qualifiés de « Grande Peur ». L’on craint en Anjou des émeutes fomentées par les ouvriers des carrières à ardoises qui se sont déjà réunis à plus de trois mille au milieu de l’été. À Saumur, une émeute est déclenchée sur le marché le 27 juillet suite à une disette. Nombreux sont donc les événements qui incitent Coquille à adopter un ton extrêmement alarmiste :

« Voilà ce que nous avons à craindre dans ces temps malheureux, où la France se voit à deux doigts de sa perte […], tout, enfin, porte la terreur dans mon âme, et me fait présager les plus horribles catastrophes. »

65Son propos s’accompagne tout au long du discours d’un champ lexical du désordre, thématique chère par la suite aux yeux des révolutionnaires. La « licence » (9 occurrences) suscite le « malheur » (10), l’« anarchie » (8), le « désordre » (8), la « fureur » (5), l’« oppression » (4), le « despotisme » (4), l’« horreur » (4) ou encore la « terreur » (2). Ce qui est remarquable ici, c’est que Coquille use de l’émotion pour susciter crainte et terreur156, modèle d’argumentation mobilisé par la suite par l’abbé Maury par exemple, chef de file des Noirs157, dans un tout autre objectif. Mais à la différence de la rhétorique de l’affect de Maury, la solution que propose Coquille à tous ces maux, c’est le patriotisme qu’il érige au titre de religion, « dans une sorte de syncrétisme en vertu duquel tout bon chrétien devait être un bon patriote158 » :

« Citoyens militaires, prenez donc les vertus des guerriers ; mais évitez-en les défauts ; à leur exemple obéissez aux chefs que vous avez librement choisis. C’est en grande partie sur leur sagesse et leur modération reconnues, c’est sur leur zèle pour la prospérité de l’état, que je fonde l’espoir de votre tranquillité. Je n’entreprendrai point leur éloge, ils sont trop au-dessus des louanges, par le noble mépris qu’ils en savent faire. Ils sont patriotes, soyez de même ; ils sont modérés, imitez-les ; ils sont prudens, il faut les écouter ; ils vous aiment, payez-les de reconnoissance ; ils ont de la religion, qu’ils vous servent d’exemple. Écoutez donc cette religion ; elle vous conduira dans les sentiers de la sagesse ; elle vous apprendra ce que c’est que liberté et égalité, elle vous dira de rendre à César ce qui appartient à César, d’être soumis à celui qui vous commande, parce que toute autorité est émanée de Dieu même ; de payer les impôts à qui ils appartiennent ; elle vous commande d’aimer votre prochain comme vous-même, et de ne pas faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Pardonnez-vous, dit-elle, comme vous voulez qu’on vous pardonne : le Seigneur a en abomination l’homme sanguinaire, il punira le vindicatif ; si quelqu’un précipite son frère dans le tombeau, vous l’arracherez de mes autels, vous le condamnerez à mourir, dit le Seigneur votre Dieu. »

66Sa parole s’apparente en cela aux discours des prêtres parisiens étudiés par Jean Centini et prononcés lors des mêmes cérémonies de bénédiction des drapeaux des gardes nationales. En insistant sur la fragilité de la liberté, tous pointent le danger de la dégénérescence de celle-ci en licence. La religion est alors la seule « en mesure de garantir cette moralité privée donc de fonder la liberté publique159 ».

67L’influence du récollet se fait sentir ici : c’est bien une pastorale de la sécurisation qui est proposée par l’entremise d’une société solidaire, aimante, attentive à l’autre. Et la punition divine n’est réservée qu’aux criminels les plus odieux, les assassins, et à ceux qui soufflent « le feu de la discorde » et qui portent le « flambeau de la division » à qui il promet le « tribunal du Dieu vengeur des crimes ». Car les ennemis de la Révolution sont bel et bien présents selon lui, comme il le suggère dans les trois parties de son intervention.

68À l’instar de la pensée d’un Claude Fauchet160, Jacques-Antoine propose ici une vision où religion et Révolution sont réunies pour faire Nation, foi et projet civique allant de pair161 :

« Allez, généreux guerriers, braves compatriotes, promettre fidélité à la nation et au roi ; rangez-vous sous vos drapeaux ; la religion, en les bénissant, ne cessera de vous crier : Que la sagesse est meilleure que les armes des gens de guerre. Ainsi soit-il. »

69Les apostrophes qu’il utilise tour à tour traduisent sans aucun doute cette volonté de rassemblement mêlant l’humanité et la patrie : « mes amis », « mes frères », « mes concitoyens », « mes compatriotes ».

70Voilà donc un discours qui n’est pas le fait d’un exalté, encore moins d’un jusqu’au-boutiste comme le laisse entendre l’historiographie sur Coquille, mais bien un discours de raison, où la modération est de mise, et où s’exprime une certaine forme de lucidité face aux conséquences possiblement néfastes des événements en cours. Ce discours « raisonnable » s’inspire des idées de l’époque et des Lumières en particulier. Il en va ainsi de la question du bonheur abordée à douze reprises dans le texte162. Ce bonheur, comme celui des philosophes, c’est un bonheur terrestre émanant ici de la nation dans toutes ses composantes : d’abord de l’Assemblée nationale « attendez tranquillement le bonheur que l’Assemblée nationale vous prépare », du Roi ensuite présenté comme le « meilleur des princes, à ce roi bienfaisant, qui ne veut que votre bonheur », des citoyens enfin « parce que vous contribuez tous au bonheur de l’État ». Il n’est pas question ici du salut de l’âme et du bonheur dans l’au-delà, mais bien de celui du salut du peuple ici-bas. Ce qui reprend le « bonheur de tous » évoqué dans le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789163.

71Ce qui transparaît tout au long de sa démonstration, c’est sa propension à proposer une vision patriotique propice à la création d’un collectif inédit dans l’Histoire. Il oppose ainsi à plusieurs reprises l’individu et l’intérêt particulier aux bienfaits de la communauté. S’exprime dans ce cadre la convergence de la pensée de Jacques-Antoine avec les cercles jacobins auxquels il appartient, dans le sens où le jacobinisme apparaît comme un anti-individualisme. Cette cérémonie religieuse de la bénédiction des drapeaux est dans l’esprit de Coquille un moyen de faire société, de créer une conscience collective nouvelle164 par le biais de l’intérêt général. Le patriotisme devient sacré à ses yeux :

« En un mot, tous les citoyens d’un même état, grands ou petits, riches ou pauvres, nobles ou roturiers, étant membres d’un même corps, et citoyens d’une même ville, doivent s’aimer, se soutenir, et travailler de concert à la félicité publique. »

72On assiste avec ce discours aux prémices d’un transfert de religiosité vers la Nation que l’on retrouve de manière plus évidente dans son deuxième discours publié en 1790. De l’association du civisme et de la foi naîtra une « véritable religion patriotique chrétienne, fondement durable de la liberté165 ».

73Ce salut du peuple passe par la compréhension des deux notions essentielles qui composent le cœur de la démonstration de l’orateur : l’égalité et la liberté. Coquille commence par distinguer égalité naturelle et égalité civile, dont la confusion est matrice de l’anarchie :

« L’égalité civile n’est pas l’anéantissement de la subordination […]. Nous sommes, Messieurs, tous également hommes, mais non membres égaux de la société […] [qui] jouent sur la terre des rôles différens. Les hommes, dans l’ordre civil, sont égaux parce qu’ils vivent tous dans une dépendance égale les uns des autres ; parce que l’un n’a pas de droit sur l’autre, sans un pouvoir légitime. »

74L’influence de Rousseau est ici palpable comparée à quelques passages de son Du Contrat social :

« J’ai déjà dit ce que c’est que la liberté civile ; à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre, par ce mot, que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes ; mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence, et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois ; et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre, ce qui suppose du côté des grands, modération de biens et de crédit, et du côté des petits modération d’avarice et de convoitise166. »

75Pour Coquille, il existe une interdépendance entre riches et pauvres dont l’équation ne peut être résolue que par l’utilité de chacun à la patrie :

« C’est donc de cet accord général que résulte l’égalité civile. Voilà pourquoi les hommes doivent se respecter mutuellement, parce qu’ils ont tous également besoin les uns des autres. Il faut tout dire : si les riches étoient convaincus de cette vérité, ils cesseroient de mépriser le pauvre ; alors le pauvre ne chercheroit point à sortir de sa sphère, pour se venger du mépris qu’on fait de lui. »

76L’égalité de Coquille est basée sur le mérite, les talents et les vertus qui seuls doivent conduire à l’exercice du pouvoir et des emplois : « Voilà le sens dans lequel tous les hommes sont égaux parce qu’ils sont tous également utiles à l’état. » De là découle l’utilité des impôts dont il faut nécessairement s’acquitter car « vous êtes les membres utiles à l’état, si vous refusez de pourvoir à ses besoin [sic] : sa perte et la vôtre sont inévitables ». Cela passe en outre par l’obéissance aux représentants librement choisis : « Persuadez-vous que tout le monde ne peut commander, mais que tous peuvent obéir. »

77Dans la suite de son discours, Jacques-Antoine se mue en véritable apôtre de la liberté. Faisant la distinction entre liberté naturelle et liberté civile, il attribue à la première tous les maux expérimentés par les hommes dans l’Histoire : « C’est en s’abandonnant aux excès de sa liberté naturelle, que les peuples sont tombés en esclavage. » Avec la Révolution, c’est le retour à la liberté civile qui se profile, seule capable de restaurer l’ordre et d’assurer l’harmonie dans la société :

« Nous voilà précisément, Messieurs, à cet instant heureux où nous pouvons nous flatter d’avoir recouvré la liberté civile. Cette liberté ne consiste pas à faire ce qu’on veut dans une société ; mais elle consiste à dépendre des loix qui doivent avoir pour but le bien public. »

78C’est par un légicentrisme assumé que force est donnée à la loi dans la rhétorique de l’aumônier (le terme « loi » revient à 17 reprises), établie par les citoyens et à la source de toute justice :

« Que la liberté devienne dans vos mains la sûreté de vos compatriotes. N’oubliez jamais que dans les sociétés les droits des hommes sont limités par la justice […]. La justice n’ôte point à l’homme la liberté ou la faculté de travailler à son propre bonheur ; elle l’empêche seulement d’exercer ce pouvoir d’une façon nuisible à ceux que la société doit maintenir. Rien n’est si contraire à la justice que le mauvais usage de la liberté. »

79Dans cette apologie de la liberté civile, Coquille insiste sur la morale sociale comme préalable au respect des lois, les mœurs étant la condition de la réussite des lois dans la tradition des Lumières167 :

« On entend tous les jours des voix tumultueuses qui menacent d’assassiner des patriotes. Eh ! quoi donc, barbares ! est-ce là l’engagement que vous avez contracté avec la société ? Vous est-il permis d’attenter à la vie de vos semblables ? […] Peut-on qualifier du beau nom de liberté des actions aussi barbares ? N’est-ce pas plutôt rage, fureur et démence ? »

80C’est donc par un véritable rappel à l’ordre adressé aux gardes nationaux que Coquille termine la partie de son discours consacrée à la liberté, une injonction à ne pas confondre la liberté avec la licence :

« L’insubordination qui règne dans la milice, ces haines secrettes et cachées, mille fois plus dangereuses que la foudre dont on n’apperçoit pas les éclairs ; ces jalousies odieuses qui vous font méconnoître la voix des chefs que vous avez choisis vous-mêmes ; cette inconstance qui règne dans vos désirs, la légèreté avec laquelle vous écoutez les discours de ceux qui ne cherchent qu’à jeter la discorde parmi vous, afin de vous désunir et de vous affoiblir […] il me semble vous voir tourner les armes les uns contre les autres. Dieu puissant ! arrêtez le crime, touchez les cœurs. Ô mes amis ! soyez donc persuadés que dans l’état militaire tout est grand : le dernier des soldats vaut son général, quand il est brave, vertueux, et qu’il a l’amour de la patrie. Si voulez entretenir la paix, l’union et la concorde, n’aspirez qu’au glorieux titre de généreux défenseurs de la patrie : si l’on vous attaque, défendez-vous courageusement ; mais respectez vos frères, vos amis, vos concitoyens ; n’oubliez jamais que la sagesse est meilleure que les armes des gens de guerre. »

81La religion vient au secours de la garde nationale, pour préserver sa concorde et son harmonie. Au fond, « être garde national, c’est accomplir, ici bas, ses devoirs de chrétien168 » et se comporter en « père de famille responsable169 ».

82Ce même 27 septembre 1789, à proximité de Notre-Dame de Beaupréau future cure constitutionnelle de Coquille, le curé de la petite paroisse de la Chapelle-du-Genêt monte en chaire devant ses paroissiens pour prononcer son sermon. Ce curé, c’est Yves-Michel Marchais dont une partie des prêches a été publiée par l’historien François Lebrun170. Une coïncidence fortuite fait qu’il aborde les mêmes thématiques de liberté et d’égalité à cette date. La comparaison des deux textes s’impose d’autant plus que le curé de la Chapelle-du-Genêt devient un réfractaire, farouche opposant à la Constitution civile du clergé et un voisin bien encombrant de Coquille171. Le texte, beaucoup plus concis et tenant en une page, commence par une injonction :

« Ne vous fiez point, mes frères, je vous en conjure, et ne vous laissez point prendre à certaines déclamations que vous pourriez entendre faire à quelques fanatiques. Prenez-y bien garde ! Sous le nom imposant de liberté naturelle à l’homme et d’égalité pour la matière de naître, ils vous inspireraient bien promptement le plus dangereux de tous les maux qui est l’indépendance et le prétendu plaisir de ne vivre qu’à sa volonté172. »

83De ce point de vue, Yves-Michel Marchais critique en substance ce que Coquille déplore tout autant, c’est-à-dire l’erreur consistant à prendre la liberté et l’égalité dans leur conception naturelle. Mais ce que le curé de la Chapelle-du-Genêt n’envisage à aucun moment, c’est la conception de ces deux notions du point de vue civil. Ce qui explique pour lui l’impossibilité d’une remise en cause des « droits, privilèges et exemptions attribuées jusqu’à présent à certaines familles ou dignités » que certains voudraient présenter comme des « abus » et qui s’apparentent selon lui à une « pitoyable extravagance173 ». Par conséquent, la conception de Coquille d’une société basée sur un contrat passé entre des individus formant ainsi une nation et se forgeant des lois est tout simplement impensable pour Marchais, qui poursuit en justifiant la société d’ordres :

« Dieu vous préserve de pareilles grossièretés, mes frères, et faites-vous honneur de penser mieux, en respectant et honorant le roi comme le chef de la nation et auquel nous ne pourrions sans crime refuser d’obéir en tout ce qui n’est point contraire à la loi de Dieu ; respectez et honorez aussi, dans le degré qui leur convient, la noblesse et les seigneurs qui tiennent après lui le premier rang et qui conséquemment méritent après lui des prérogatives et distinctions. Ne désirez point avec trop d’ardeur de voir tomber leurs privilèges, mais seulement les abus qu’ils en pourraient faire et le fardeau pesant de certaines charges qui vous accablent174. »

84Ainsi, dix mois avant l’adoption de la Constitution civile du clergé et la mise en place de l’Église constitutionnelle, une divergence fondamentale apparaît entre ces deux ecclésiastiques, plus politique que religieuse et d’ores et déjà irrémédiable. Pour Jacques-Antoine Coquille, à la différence de la conception de Marchais, la voie de la liberté passe par des fondements égalitaires, principalement parce que la Révolution a lieu d’abord contre les aspects nobiliaires175, tout en reconnaissant d’ailleurs les « sacrifices » consentis par les nobles à cet égard en référence à l’abolition des privilèges lors de la nuit du 4 août 1789. Éloquence révolutionnaire contre rhétorique pastorale traditionnelle176.

85In fine, les influences intellectuelles de Coquille que sont la pastorale de sécurisation des récollets franciscains, les idées des Lumières, l’anti-individualisme jacobin et un fort légicentrisme se mêlent au contexte révolutionnaire pour peser sur son discours.

Le Discours patriotique sur les avantages de la Constitution, considérés par rapport à la Religion et par rapport à l’Humanité (1790)

86La publication d’un deuxième discours de Jacques Coquille intervient un an plus tard à l’automne 1790177, de nouveau à partir des presses de l’imprimeur angevin Pavie. Le contexte national a alors déjà beaucoup changé : la Constitution civile du clergé a été adoptée le 12 juillet 1790, deux jours avant la fête de la Fédération, et les travaux d’élaboration de la constitution ont avancé. Jacques Coquille a pour sa part quitté l’ordre des récollets désormais supprimé et se consacre pleinement à son rôle d’aumônier de la Garde nationale dans cette ville de Beaufort marquée par diverses tensions. Il a acquis une certaine notoriété, notamment via la publication de son premier discours et grâce à sa participation à la Société des amis de la Constitution, ce qui lui vaut d’être invité à Angers pour en prononcer un nouveau. Le fait est rapporté dans la correspondance hebdomadaire de la Société des amis de la Constitution de Paris lors de la séance du dimanche 21 novembre 1790 :

« Envoi fait par M. Bénaben, secrétaire de la société, de deux imprimés, dont l’un a pour titre Adresse et Mémoire justificatif de la garde nationale d’Angers, à l’Assemblée nationale ; et l’autre Discours patriotique, par J.-B. Coquille, aumônier de la garde nationale de Beaufort. “Ce discours devait être prononcé dimanche 14, en présence de notre garde nationale, mais notre évêque s’y est opposé sous prétexte qu’il était incendiaire. L’ouvrage paroît mériter d’être connu dans son entier. On y trouve cette phrase remarquable : “Français, réjouissez-vous dans le Seigneur ; la religion va devenir plus respectable, puisqu’elle reprend sa simplicité majestueuse”. L’évêque d’Angers a interdit à M.J.B. Coquille toute espèce de prédication”178. »

87Quelle était donc la teneur des propos de Coquille dans ce discours, non tenu mais tout de même publié et qui semble ravir Jean Benaben179, fervent révolutionnaire angevin ? Pourquoi l’évêque Michel Couët du Vivier de Lorry, bientôt réfractaire, en vient-il à s’opposer à ce prêche « incendiaire » au point de lui interdire toute intervention publique ?

88L’intitulé de cet opus est déjà tout un programme : Discours patriotique sur les avantages de la Constitution, considérés par rapport à la Religion et par rapport à l’Humanité. Suivant la même méthode classique que pour son précédent discours, Jacques-Antoine divise son propos en deux parties après un exorde. Dans celui-ci, il se réjouit de l’avancée des travaux sur la constitution « qui confond le despotisme et éteint la torche du fanatisme180 ». Il rend hommage aux Français qui ont, chacun à leur manière, « sacrifié sur l’autel de la patrie, les uns leurs intérêts particuliers, les autres des privilèges onéreux » et ont promis « de ne former qu’une seule famille ». Il appelle par ailleurs les citoyens à suivre l’exemple de leur roi : « Le plus grand des Rois, le Roi de tous les hommes, [qui] instruit les Monarques ; ce prince magnanime, fatigué des voies tortueuses d’une fausse politique, renonce aux maximes du despotisme pour faire son bonheur et celui de ses sujets » et qui depuis le 14 juillet 1790 « a juré plusieurs fois de maintenir de tout son pouvoir une constitution qui le dégrade aux yeux de la cupidité, mais qui l’immortalise aux yeux de la raison ». Il fustige enfin avec virulence les hurlements des « ennemis du bien public […] plus propres à servir honteusement sous le despotisme, qu’à vivre libres au milieu d’une Nation généreuse ». L’introduction est donc claire : sans constitution, point de salut pour la Nation.

89La première partie dans laquelle Coquille s’attache à démontrer « que la religion retirera les plus grands avantages de la constitution » est sans nul doute celle qui a le plus ulcéré l’évêque. Il place en effet d’emblée la religion et la constitution sur un même pied d’égalité :

« Pour être convaincu de cette vérité, prenez l’évangile d’une main, et de l’autre la constitution, et vous verrez l’accord parfait qu’il y a entre la sagesse divine et la sagesse humaine. »

90La Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 qui compose le préambule du projet de constitution est pour lui la partition de cette harmonie :

« Voilà les vérités éternelles que les augustes Représentans ont reconnues et consacrées dans la sublime déclaration qu’ils ont faite des droits de l’homme (préambule de la const.) en présence et sous les auspices de l’Être Suprême. »

91Il ponctue l’ensemble de son discours d’un subtil assemblage de références à plusieurs articles de cette Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (préambule, articles 2, 6, 7, 10, 11, 15, 20) et de références religieuses des premiers temps de l’Église (évangiles de Matthieu et Luc, Actes des Apôtres, épîtres de Paul et de Jacques) visant à démontrer leur convergence idéologique.

92Cette approche n’est pas moins percutante dans son contenu. L’ensemble des arguments avancés concourt à l’idée d’une régénération181 de la religion grâce à la raison :

« Réjouissez-vous, chrétiens, vous allez voir la raison marcher pour ainsi dire d’un pas égal avec la religion. Ô vous ! qui tenez de cœur et d’esprit à cette religion sainte, réjouissez-vous dans le Seigneur, puisqu’elle va être plus respectée et plus honorée que jamais. Oui, si elle étoit susceptible d’être embellie, on pourroit dire qu’elle reçoit un nouveau lustre par la déclaration des droits de l’homme. »

93Transparaît dans les écrits de Coquille une culture janséniste peut-être, mais assurément richériste et gallicane. Gallicane car il ne convoque jamais la figure papale dans ses deux discours. Cette absence de référence au pape est criante de ce point de vue, mais elle est plutôt à comprendre ici dans le sens le plus courant du mot gallicanisme au xviii^e siècle d’après Catherine Maire, à savoir l’affirmation de la compétence de l’autorité séculière en matière religieuse182. Pas de doute pour lui, l’Église est liée au nouvel État révolutionnaire et ne peut retirer de cette relation que des bénéfices, l’Assemblée nationale ne touchant « qu’à l’extérieur [de la religion] et non pas à la conscience ». C’est d’ailleurs bien ce que Martineau, rapporteur des travaux du Comité ecclésiastique, avait souligné le 21 avril 1790 : « les règles de la foi et de la morale » ne font pas partie des compétences du législateur à la différence de la « discipline extérieure183 ». Coquille a parfaitement intégré cette dimension essentielle de la Constitution civile du clergé qui, dans la ligne de l’idéal gallican, ne crée pas une religion d’État mais tente d’œuvrer à « la recherche d’équilibre entre deux souverainetés indépendantes, chacune dans leur ordre, avec les difficultés qui naissent autour des points où elles se rencontrent, les “matières mixtes”. Sauf que cette fois l’articulation des deux puissances allait se révéler plus introuvable que jamais184 ».

94Sans jamais les nommer directement, Coquille s’en prend aux évêques de cet Ancien Régime dont il n’est pas « aisé d’imaginer qu’il y ait des hommes capables de [le] regretter ». Mais c’est un richérisme bien plus révolutionnaire que la simple critique des évêques qu’il propose dans cette ecclésiologie. Prônant le retour à l’Église primitive, il affirme avec force que « les ministres des autels seront austères pour eux et bons à l’égard de tous ; loin d’un faste pernicieux, ils conserveront au sein de la médiocrité, l’esprit de l’évangile et de leur état, n’aspireront qu’aux biens du ciel ». Cette régénération de la religion passe d’abord, dans l’esprit de l’auteur, par le retour à une forme d’Église primitive, détachée de ses richesses et de ses possessions, et qui « va reprendre sa simplicité majestueuse ». C’est une exhortation à prendre un nouveau départ, une nécessaire renaissance185 en réponse à la situation d’une société corrompue par les excès liés à l’argent. À dessein, il invite les prêtres « à donner l’exemple du désintéressement », à revêtir « l’humilité dont le Fils de Dieu nous a donné l’exemple » et à être « les pères des pauvres, puisque la religion en est la mère » en étant « austères […] et bons à l’égard de tous ». Pour le récollet Coquille qui a expérimenté l’appartenance à un ordre mendiant pendant presque quinze ans, le retour à cette vie faite de simplicité relève de l’évidence. De fait, la fin du casuel par exemple ne lui apparaît pas comme une contrainte mais bien comme « un acte de charité et d’humanité », qui ne viendra pas accabler davantage les veufs et les veuves déjà bien assez malheureux de la perte de leurs proches. De même, il se réjouit qu’il n’y ait plus de distinctions à l’intérieur des églises, sous-entendant la fin de la pratique des bancs réservés à la noblesse et dont il a pu constater les désordres à Beaufort l’année précédente. Il condamne le faste et le luxe dans lesquels vivent certains ecclésiastiques, ce qui tranche avec la pauvreté d’un Jésus-Christ né dans une étable. Coquille s’inscrit ici parfaitement dans l’argumentaire utilisé par certains membres du Comité ecclésiastique comme Martineau, Treilhard ou Camus, et dans le courant de la presse religieuse patriote de l’époque qui décrivent « une religion épurée et charitable construite autour de l’image d’un Christ pauvre186 ». Sortir l’Église de son avarice, tel est l’enjeu selon lui. En faisant allusion aux racines du christianisme, son invitation à se réjouir d’un retour symbolique aux premiers siècles chrétiens est une manière de procurer un sentiment de sécurité187 face au despotisme et à l’anarchie. Ainsi la Révolution est en mesure de mettre fin aux abus des évêques et, en supprimant les vœux monastiques comme il le souligne, de libérer les religieux dont l’action dans les cloîtres est infructueuse pour la société. Ses nombreuses références aux apôtres confirment ce souhait de retrouver l’esprit de cette Église primitive idéalisée où l’ecclésiastique, libéré d’une hiérarchie percluse de son avarice, se consacre entièrement à ses ouailles. C’est par l’exemple de ses vertus et non la contrainte, par des moyens pacifiques, qu’il peut faire venir à la religion ceux qui ont « le malheur de marcher dans les ténèbres ». C’est un appel à une Église tolérante qui ne peut combattre l’impiété par « les poisons, les gibets, les roues et les bûchers » car « la liberté de penser et des opinions est un droit inaliénable et imprescriptible. Cette liberté est la plus sacrée de toutes ».

95C’est donc librement, sans contrainte institutionnelle, que Jacques-Antoine Coquille d’Alleux parle le nouveau langage de la Nation, des droits de l’homme et de l’égalité des individus. Il n’est pas le seul, loin de là, à légitimer la Révolution de cette manière et dans les mêmes circonstances au nom de la raison et de la religion, à l’instar d’un Claude Fauchet ou d’un Jacques Roux188. Ses discours traduisent les influences de sa pensée puisées notamment dans la philosophie des Lumières, dans la franc-maçonnerie et les sociétés populaires. Pourtant, Dale Van Kley l’a démontré, un jansénisme empreint de gallicanisme, de richérisme et de patriotisme ne conduit pas nécessairement à un engagement révolutionnaire189. Le deuxième discours de Coquille est nettement plus orienté que le premier sur la religion, sur ce qu’elle peut apporter à la Révolution et sur les réformes que l’Église peut entreprendre. Il traduit la place de plus en plus centrale que prennent les questions religieuses dans les débats révolutionnaires. En tout cas, l’on assiste ici à une politisation des fonctions de ce religieux au travers de sa pastorale d’aumônier de la garde nationale. Le voilà prêt à servir conjointement la religion et l’État.

Prêter serment, un geste habituel ?

102C’est le 30 janvier 1791 que les directives concernant le serment à prêter à la Constitution civile du clergé sont exposées au prône de la messe paroissiale de Beaufort197. Très rapidement, quatre jours après cette annonce officielle, le prieur-curé et officier municipal Hugues Pelletier est le premier des ecclésiastiques à se présenter devant la municipalité198. Cet empressement s’explique parce que l’assemblée électorale qu’il évoque doit élire l’évêque constitutionnel du département de Maine-et-Loire : le serment s’impose donc à lui puisqu’il convoite ce poste.

103Le lendemain, c’est Jacques-Antoine Coquille qui déclare devant le maire et les officiers municipaux « être dans l’intention de prêter le serment prescrit à tous fonctionnaires publics […] [et] de faire ledit serment dans le délai porté par la loi199 ». Il est donc le premier des ecclésiastiques de Beaufort après Pelletier et le premier des récollets à exprimer son intention de prêter le serment. Cela lui ouvre les portes de l’Église constitutionnelle dans laquelle il projette sûrement de s’investir. Pourtant, il n’était pas en principe astreint obligatoirement à ce serment en tant que régulier200. Mais quoi de plus logique au regard de son parcours et de son engagement en faveur des idées nouvelles exprimées notamment dans ses écrits ? La célérité avec laquelle il procède n’exprime-t-elle pas que ce geste relève pour lui de l’évidence ? De plus, ce serment s’inscrit dans la suite des précédents réalisés le 27 septembre 1789201 et le 14 juillet 1790202, sans parler de ceux qu’il a sans doute prêtés lors de son entrée dans la loge maçonnique L’Amitié et dans la Société des amis de la Constitution d’Angers203. Les prêtres étaient familiers de ce type de pratiques aux débuts de la Révolution, mais y compris aussi sous l’Ancien Régime. Timothy Tackett le rappelle d’ailleurs à juste titre :

« Le serment de janvier 1791 n’a pas été nécessairement le premier que le clergé prêta au cours de la Révolution. Un curé engagé dans la politique, participant aux élections ou ayant des responsabilités dans la vie politique locale, avait pu en prêter une bonne demi-douzaine ou plus. Les ecclésiastiques qui se tenaient à l’écart de telles activités – et qui constituaient la grande majorité – avaient eux aussi probablement pris part à deux ou trois cérémonies de ce genre204. »

104La force de l’habitude dira-t-on. Mais cela ne semble cependant pas suffisant dans le cas de Coquille car le serment revêt bien à l’époque un caractère sacré, religieux, ce que le canoniste Durand de Maillane définit en ces termes : « Le serment est un acte de religion par lequel celui qui jure prend Dieu pour témoin de sa sincérité et de sa fidélité205. » De quelle sacralité parle-t-on alors pour lui ? Il s’agit de celle des révolutionnaires fascinés par l’extraordinaire importance qu’ils donnent à la parole206, du « caractère rituel des serments de fidélité pour aider à maintenir leur résolution et à affirmer la création d’une nouvelle communauté nationale [contribuant] à affirmer les nouveaux liens de citoyenneté qui unissaient les individus de cette communauté207 ». En bref, ce sont ces nouveaux liens que Coquille expérimente à Beaufort depuis 1788 en tant que franc-maçon et depuis 1789 en tant qu’aumônier de la Garde nationale. Quant à la parole sacrée, c’est l’expérience du récollet prédicateur qui joue pleinement ici.

105Se présentent ensuite à la municipalité pour la même démarche les vicaires de Beaufort Pierre Macé (le 9 février), François Pottery et Dominique Vergne (le 10 février), le principal du collège Louis Château et les régents Mathieu Auger, René Château, Jean Cognard (le 10 février), le récollet Paul Gaudineau (12 février). C’est donc une nouvelle cérémonie qui débute à 10 h ce dimanche 13 février 1791 en l’église Notre-Dame de Beaufort. À la fin de la messe, le Conseil général de la commune s’assemble devant le grand autel, « ainsi que grand nombre de fidèles208 ». Tous les ecclésiastiques précédemment nommés s’avancent tour à tour. Ils sont rejoints par deux autres religieux, à savoir le récollet de Beaufort Jean-Claude Vinot et le diacre de Beaufort Jacques-Marin Giroust209. Chacun apporte quelques précisions au serment :

« Ledit sieur Pelletier curé celui de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse confiée à ses soins et encore sur ceux de ce département dont il vient d’être nommé évêque ; d’être fidèle à la nation, à la loi et au Roi et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le Roi. Les dits sieurs Vergne, Poterye et Macé celui de remplir avec exactitude les fonctions de leur ministère, d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi. Les dits sieurs Coquille, Château principal, Château régent et Cognard celui de remplir avec exactitude et fidélité les fonctions publiques qui leur sont et pourront être confiées, d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi. Et les dits sieurs Vinot, Gaudineau, Auger et Giroust celui de remplir pareillement avec exactitude et fidélité les fonctions publiques qui pourront leur être confiées, d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi210. »

106Un Te Deum est alors entonné par toute l’assemblée « au bruit du canon et au son de toutes les cloches211 ».

107S’attarder sur l’attitude de tous ces ecclésiastiques permet de prendre en compte le réseau clérical dans lequel Jacques-Antoine a évolué, comme nous l’avons fait dans les parties précédentes de cette étude. C’est ce que Timothy Tackett nomme « l’interaction cléricale212 ». Les relations entre ecclésiastiques permettent-elles de dégager des tendances dans l’attitude face au serment ? Pour l’historien américain, hormis les rapports de hiérarchie, parfois lointains pour le clergé rural, ce sont les influences que les prêtres exerçaient les uns sur les autres qui méritent d’être étudiées. Sauf qu’il est bien difficile, comme il le reconnaît lui-même, « de détecter dans les documents des institutions officielles les liens existant entre les individus213 ». Ce que l’on peut déjà rapporter dans le cas de Coquille, c’est que tant chez les récollets de Tours que chez ceux de Beaufort, le milieu ecclésiastique qu’il rencontre est favorable à la Constitution civile du clergé et au serment. Il en va de même pour le clergé paroissial de Beaufort. À 62 ans en 1791, le prieur-curé Hugues Pelletier, très impliqué dans les autorités municipales dès 1789 puis évêque constitutionnel élu le 6 février 1791, connaît Coquille depuis plusieurs années déjà et a célébré plusieurs offices en sa compagnie. Ils partagent ensemble un certain nombre de points de vue communs sur les changements de l’époque, si l’on veut bien croire notamment au fait que Pelletier ornait les murs de son presbytère de textes de Voltaire et Rousseau214. L’engagement de Coquille en tant qu’aumônier de la Garde nationale est d’ailleurs approuvé à l’unanimité par les autorités municipales. Ils sont liés tous deux par cette histoire beaufortaine commune, par leurs engagements en faveur de la Révolution à ses débuts, par leur prestation de serment à la Constitution civile du clergé faite conjointement dans l’église Notre-Dame. Ils entrent ensemble dans cette Église constitutionnelle qu’ils quitteront là aussi simultanément le 20 novembre 1793 à la cathédrale d’Angers, devenue temple de la Raison. Communauté d’engagement et communauté de destin donc pour ces deux hommes qui font le pari de l’intégration de l’Église dans le processus révolutionnaire.

108Les vicaires de Beaufort ne sont pas en reste de ce point de vue. Âgés tous deux de 34 ans en 1791, Dominique Vergne et François Pottery ont travaillé de concert depuis 1789 avec les autorités beaufortaines pour s’acquitter au mieux de leur tâche d’assistance aux pauvres. Ils ont aussi beaucoup suppléé leur curé comme l’atteste le peu de signatures d’Hugues Pelletier sur les registres paroissiaux en 1789 et 1790. Ils se connaissent déjà depuis plusieurs années, à n’en pas douter, car Vergne est ordonné prêtre et Pottery sous-diacre par l’évêque de La Rochelle dans la paroisse du May-sur-Evre le 9 juin 1781. Ils se retrouvent vicaires à Beaufort le 15 juin 1781 pour le premier et le 5 juin 1782 pour le second. Vergne, signe sans doute de la confiance que lui accordait le prieur-curé, devient curé constitutionnel de Beaufort au départ de Pelletier215. Pottery, lui, est élu à la cure constitutionnelle de Corzé le 29 mai 1791, poste qu’il occupe à partir du 16 octobre216. Le troisième vicaire de Pelletier, Pierre Macé, était un franc-maçon de longue date avant même son arrivée à Beaufort. Il prête aussi le serment le 13 février 1791 à Beaufort. Hugues Pelletier en fait alors l’un de ses vicaires épiscopaux, chargé de l’administration du district de Saumur. Et lui aussi renonce à la prêtrise en même temps que son évêque et que Jacques-Antoine Coquille. Le diacre de Beaufort, Jacques-Marin Giroust, né en 1719 dans cette même ville, verse lui aussi dans l’Église constitutionnelle217.

109Il convient d’ajouter à tout ce réseau clérical beaufortain l’encadrement du collège de Beaufort qui a été modifié en 1790. Jusqu’à cette date, le principal en était François Auger. Le 16 octobre 1790, le procureur de la commune dresse un constat accablant de l’institution :

« L’éducation de la jeunesse de cette ville étoit absolument négligée par le sieur Auger, qui seul et sans régents ne pouvoit remplir les obligations consignées dans l’acte de sa réception ; ce qui avoit forcé un grand nombre de citoyens de retirer leurs enfants pour les mettre à grands frais dans les maisons d’éducation des villes voisines218. »

110Décision est alors prise de démettre Auger de ses fonctions. C’est par l’intermédiaire du fils d’Auger, Mathieu, religieux de Fontevraud revenu à Beaufort chez son père, que trois autres fontevristes se présentent pour prendre en main le collège : Louis Château qui en devient le principal, accompagné de son frère René nommé régent tout comme Jean Cognard. Ces trois ecclésiastiques tenus au serment, comme tous les principaux et régents des collèges de l’époque, le prêtent sans ambiguïté eux aussi le 13 février à Beaufort en compagnie de leur ami Mathieu Auger. Louis Château devient curé constitutionnel de Saint-Denis d’Anjou quelques mois après219. René Château est ordonné prêtre par Hugues Pelletier et devient curé constitutionnel de Grez-en-Bouère près de Château-Gontier. Quant à Jean Cognard, il devient vicaire constitutionnel de Cherré, puis de Saint-Denis d’Anjou où il retrouve Louis Château. Le récollet Gaudineau, récemment fixé à Beaufort, devient curé constitutionnel de Chemellier220.

111Le moins que l’on puisse dire, c’est que le clergé de Beaufort adopte une attitude particulièrement homogène face au serment. Le fait est à souligner pour notre étude car il a sans conteste conforté Jacques-Antoine dans ses choix. Seul un récollet du couvent refuse le serment, Jean-Baptiste Thierry, de même que Pierre Le Seiller de Montplacé, chapelain de l’hôtel-Dieu de Beaufort221. L’opposition aux décisions de l’Assemblée en matière de religion est plus manifeste chez les religieuses hospitalières de Beaufort comme dans beaucoup de couvents féminins du royaume222.

112L’historiographie du xix^e siècle insistait sur les choix hasardeux de Coquille. Force est de constater bien au contraire la cohérence de son itinéraire, si l’on inscrit celui-ci dans le cadre d’un long processus depuis les débuts de sa formation religieuse à partir des années 1770. Cela révèle par ailleurs tout l’intérêt de retracer les parcours des curés constitutionnels bien en amont de la Révolution. Baigné à Beaufort dans un cadre clérical et social où s’exprime un ardent patriotisme, il s’engage de plus en plus ouvertement, porté par une notoriété grandissante. Il s’apprête à retrouver ce cadre patriote plutôt urbain à Chalonnes-sur-Loire aux portes des Mauges.

Tisser sa toile dans la nouvelle Église : le réseau du clergé constitutionnel de Chalonnes-sur-Loire

113Début avril, Coquille est donc à Saint-Maurille-de-Chalonnes auprès du curé constitutionnel Denis-Jacques Renou, de douze ans son cadet, installé depuis le 22 mars 1791223. Les deux familles maternelles de ces ecclésiastiques étaient originaires de Château-Gontier et ses environs, où le grand-père de Denis-Jacques était maître cordonnier dans la paroisse d’Azé. Heureux hasard peut-être ? Ou bien se connaissaient-ils au préalable ? En tout état de cause, le curé constitutionnel Renou va jouer un rôle important dans le parcours de Jacques-Antoine entre 1791 et 1793. Né à la Trinité d’Angers en 1759, d’une famille d’artisans aisés, il fait ses études au séminaire d’Angers et se fait remarquer pour ses qualités de latiniste et de bon musicien. Il devient vicaire dans sa paroisse natale au contact de l’abbé Simon Gruget de 1784 à 1788, puis vicaire de Cheviré-le-Rouge jusqu’au 8 décembre 1790 où le curé Maurice Jubin prêche publiquement contre la Constitution :

« De tempérament enflammé, le vicaire Renou s’insurge lui aussi, contre les conséquences de 1789. Il crée une polémique dans la paroisse et irrite les paisibles Baugeois. Les patriotes l’obligent à partir. Il va alors virer de bord224. »

114Il prête serment parmi les premiers ecclésiastiques en Anjou, le 23 janvier 1791, dans l’église des cordeliers d’Angers, et est élu à la cure de Saint-Maurille-de-Chalonnes. Jacques-Antoine reste trois mois auprès de Denis-Jacques Renou, de début avril jusqu’aux premiers jours de juillet. Au cours de ces trois mois, il signe sept actes de baptême et quatre actes de décès. La première de ses signatures en tant que vicaire, d’une manière assez symbolique, est apposée sur l’acte de baptême de Pierre Maurille, le fils de Pierre Charbonneau, marchand et lieutenant de la Garde nationale de Chalonnes. Ce dernier est accompagné de son frère René Charbonneau, major de cette même Garde nationale et membre du district d’Angers qui a participé à l’élection de Jacques-Antoine.

115Le clergé de la paroisse comprend, en plus de Renou et de Coquille, deux autres vicaires. Le premier, Jacques Delahaye, est lui aussi arrivé à Chalonnes vers le 3 avril, paroisse qu’il connaît bien puisqu’il y a déjà été vicaire sous l’Ancien Régime en 1780. Il y demeure jusqu’au 29 mai environ, après avoir refusé la cure constitutionnelle de la Chapelle-Rousselin. Il est ensuite élu curé constitutionnel de Faveraye où il est installé le 5 juin. Il renonce à ses fonctions ecclésiastiques en 1794 puis devient instituteur à Thouarcé.

116Le second, Jules Dunan, est vicaire de Saint-Maurille-de-Chalonnes du 13 mai au 21 novembre 1791. Lui aussi est originaire de Château-Gontier où il était bénédictin au prieuré Saint-Jean. Dunan est ensuite élu pour exercer son ministère constitutionnel à la Poitevinière. Face aux difficultés rencontrées au contact d’une population hostile à sa fonction, il passe dans le département de la Mayenne où il accepte la cure de Laigné qu’il occupe le 6 avril 1792. D’après le dictionnaire de l’abbé Angot, il est chassé de sa paroisse en octobre 1792 par les habitants « dégoûtés de son ivrognerie, de ses débauches et de ses délations contre les prêtres papistes225 » ; « il mariait les moines, ne quittait pas l’uniforme de garde national, avait supprimé le casuel avant les décrets de l’Assemblée nationale226 ». Ayant abdiqué ses fonctions de prêtre, il devient membre du Conseil départemental de la Mayenne.

117Renou, Coquille et Dunan ont donc tous les trois des attaches à Château-Gontier : simple hasard ou bien preuve que des solidarités amicales ou familiales sont déjà à l’œuvre au sein du clergé assermenté ? Dans tous les cas, un réseau de prêtres assermentés est en formation à Chalonnes-sur-Loire autour de l’influent Denis-Jacques Renou et qui est amené à s’étoffer dans les mois suivants.

118Pendant son vicariat à Chalonnes, Jacques-Antoine se rappelle aux bons souvenirs de la municipalité de Beaufort en lui adressant une lettre le 11 mai 1791 réclamant le paiement de 120 livres pour avoir prêché à Beaufort pendant le carême en 1790227. Les officiers municipaux ayant parcouru les registres de l’année 1790 soulignent qu’ils n’ont trouvé aucune délibération « qui ait requis et autorisé le dit sieur Coquille à prêcher pendant la dite année » et considèrent « que ce n’a pu être que son patriotisme qui a pu l’engager à prêcher pendant le dit Carême » et déclarent enfin « qu’il n’y a lieu à délibérer sur la dite demande ». Coquille se fait insistant et demande par ailleurs dans le même courrier une somme de 9 livres pour le prix d’une table qu’il a vendue à la municipalité de Beaufort. Cette fois-ci, sa demande est approuvée et « le trézorier est autorisé à lui payer la dite somme ». Il faut dire qu’il a aussi écrit en ce sens aux administrateurs du district de Baugé le 13 mai les exhortant à donner des ordres à la municipalité de Beaufort pour lui payer les 120 livres. Les officiers municipaux réitèrent leur refus, de même qu’ils s’opposent à l’alternative proposée par Coquille qui réclame en guise de paiement « un certificat d’un don patriotique » ! Retenons de cette anecdote que Coquille considérait déjà sa mission comme un service public, avant même son serment, qui méritait donc une rétribution pour l’agent qui en avait la charge ! En cela, il est déjà prêt à se muer en fonctionnaire public à part entière et à devenir curé constitutionnel.

L’élection à la cure constitutionnelle de Beaupréau : hasard ou choix délibéré ?

119À la différence de certains réguliers qui préfèrent se retirer la plupart du temps dans leur famille en attendant de toucher la pension qui leur est promise, Jacques-Antoine poursuit de fait son engagement religieux dans le clergé séculier et trouve là matière à reconversion comme beaucoup d’autres228. Pour accéder à l’Église constitutionnelle, il est impératif d’être élu par une assemblée de district composée de laïcs, quelle que soit leur confession. Ces élections sont des élections de réputation, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de candidature officielle229. Les prêtres connus localement et considérés comme aptes à remplir les fonctions de curé constitutionnel sont élus, sans forcément se présenter pour telle ou telle cure. Cette impossibilité de faire acte de candidature, « par respect pour une humilité ecclésiastique de bon aloi230 », provoque un allongement du processus électoral qui s’étale globalement dans le royaume de janvier 1791 à mai 1791 suivant les territoires et les contextes locaux. Il faut parfois procéder à plusieurs élections pour une seule et même paroisse si les élus refusent le poste.

120Le 3 avril 1791, les électeurs du district de Segré s’assemblent dans la salle électorale de la ville en vue de procéder aux élections des prêtres constitutionnels. Préalablement à ce moment solennel, une messe est célébrée dans l’église de la Madeleine en présence des électeurs, d’un détachement de la Garde nationale, du corps administratif du district, de la municipalité de Segré, des juges du tribunal et de la gendarmerie nationale, « le cortège marchant majestueusement sur quatre de hauteur [sic] au son de la musique nationale accompagnés d’un peuple nombreux vers l’église de la Magdelaine231 ». À cette occasion, Jacques-Antoine Coquille est élu à la cure de Freigné « à la majorité presqu’unanime » des 37 votants. Le lendemain, tous les acteurs de cette cérémonie sont de nouveau convoqués dans la salle électorale puis à l’église de la Magdelaine pour assister en présence d’un « peuple nombreux […] à la proclamation générale des curés nouvellement choisis ». Une nouvelle messe est célébrée et un Te Deum est chanté.

121Coquille était-il présent ? Rien n’est moins sûr, la plupart du temps les élections avaient lieu sans les religieux pressentis pour ces fonctions. Certains étaient parfois élus sans même avoir prêté le serment ! Ce qui est à souligner ici, à l’instar des cérémonies de prestation de serment, c’est la symbiose entre autorités civiles et religieuses, entre Nation et religion, perpétuant ainsi une longue tradition de l’Ancien Régime où monarchie et religion étaient indissociablement liées.

122Jacques-Antoine refuse cependant cette cure sans que le motif en soit établi, ce qui oblige ici à formuler une hypothèse. L’historiographie a fait de Coquille un personnage cupide : peut-on voir dans ce cas précis une raison financière qui puisse motiver ce choix ? Freigné est à l’époque une paroisse toute proche de Candé, située à l’est du nouveau département de Maine-et-Loire créé le 4 mars précédent. Elle compte environ 1 700 habitants en 1790 d’après Célestin Port. Si l’on se réfère à l’article 5 du titre III de la Constitution civile du clergé intitulé « Du traitement des ministres de la religion », le revenu alloué au curé constitutionnel pour une paroisse entre mille et deux mille habitants s’élève à 1 500 livres par an. Pourtant, Coquille choisit de rejoindre la ville de Chalonnes-sur-Loire où il devient vicaire de la paroisse Saint-Maurille, sa première signature sur le registre paroissial datant du 8 avril, soit cinq jours après l’élection à la cure de Freigné. Autrement dit, à ce poste, il touche un traitement de 700 livres par an, comme tout vicaire exerçant dans une paroisse rurale de ce type232, soit 800 livres de moins qu’à Freigné. L’argument financier ne tient pas dans ce cas, sauf si l’on considère que Coquille espère alors être élu à une autre cure plus grande. C’est finalement une de ses bonnes connaissances qui occupe un temps la cure de Freigné en août-septembre 1791, à savoir Paul Gaudineau, ex-récollet qu’il a connu à Beaufort. Quelques semaines après son installation, ce dernier se plaint d’y être insulté233.

123Le 9 avril 1791, Coquille est choisi par les électeurs du district de Saint-Florent-le-Vieil pour la cure constitutionnelle de Notre-Dame de Beaupréau. Celle-ci ne compte pas plus de 600 habitants234 ce qui lui confère un traitement de 1 000 livres annuelles, soit bien moins que les 1 500 livres de la cure de Freigné. L’explication tient peut-être à l’immense remaniement de la carte des paroisses françaises prévu par la Constitution civile du clergé. Un long travail de circonscription est effectivement entrepris par les révolutionnaires jusqu’en 1792. Les règles définies sont les suivantes : les villes de moins de 6 000 habitants ne conservent qu’un seul curé, et les paroisses rurales qui n’ont pas trois quarts de lieue de côté sont supprimées. Le choc est considérable chez les paroissiens partout en Anjou, l’église paroissiale constituant à l’époque le monument qui identifie la communauté235. L’enracinement au sol des ancêtres et l’attachement à l’horizon paroissial sont puissants236. Très vite, les motifs de cette opération de circonscription qui se prolonge dans le temps deviennent politiques :

« Étant donné la difficulté de trouver des candidats pour remplacer les curés réfractaires, et comme la loi oblige à maintenir le curé réfractaire en fonctions jusqu’à son remplacement par le constitutionnel, et comme ces curés réfractaires font du mauvais esprit, la tentation est grande de supprimer leur paroisse, même si elles ne correspondent pas aux critères de la Constitution civile. La tentation est même si grande que des administrateurs y succombent237. »

124Par exemple, le département suggère aux administrateurs du district de Saint-Florent-le-Vieil, dans lequel se situe Beaupréau, de supprimer les paroisses de Saint-Laurent-de-la-Plaine, Bourgneuf et Châteaupanne, afin de se débarrasser des curés réfractaires qui s’y trouvent238. À Chemillé, le 30 juin 1791, des patriotes demandent à profiter du départ du curé de la paroisse voisine de Melay pour la réunir à Chemillé, où il y a des ecclésiastiques assermentés, et pour fermer l’église de la Chapelle-Rousselin où il y a un réfractaire239.

125Et à Beaupréau donc, le projet de réunion des paroisses de Saint-Martin et de Notre-Dame déchaîne les passions. De son côté, la municipalité de Notre-Dame demande la fusion :

« Dans les circonstances actuelles où les paroissiens de Saint-Martin-de-Beaupréau ont toujours été en contrariété avec ceux de Notre-Dame où la division des municipalités est nuisible, où la différence des opinions occasionne quelques troubles, il paroit nécessaire de réunir en entier les deux paroisses pour ne former qu’une seule municipalité, et n’avoir qu’un curé et deux vicaires. Cette réunion devient encore plus pressée par la difficulté qu’on a à trouver des prêtres assermentés240. »

126Mais la municipalité de Saint-Martin n’entend pas céder. En effet, les habitants de Saint-Martin viennent de rebâtir leur église et l’on veut leur fermer. Pour eux, la seule motivation de cette réunion est l’intérêt personnel du curé Jacques Coquille :

« Il est vray [sic] que le curé constitutionnel de Beaupréau un des plus ardents solliciteurs de ce décret en recevra un traittement [sic] plus considérable241. »

127Simple accusation pour s’opposer au curé constitutionnel après son arrivée ? Ou bien Jacques Coquille avait-il déjà connaissance en avril 1791 du projet de réunion des deux paroisses de Beaupréau ? Cette réunion, effective à l’été 1791, porte la paroisse de Beaupréau à 2 700 habitants environ, procurant un traitement annuel de 2 500 livres pour le curé constitutionnel, soit ici dans le cas de Coquille 1 000 livres de plus qu’à Freigné ou 1 500 de plus qu’à la cure de Notre-Dame de Beaupréau seule ! Mieux valait-il peut-être se montrer patient et espérer cette réunion de paroisses.

128Jacques-Antoine Coquille d’Alleux est donc élu curé constitutionnel de Notre-Dame de Beaupréau le 9 avril 1791. Une question demeure cependant. Si l’on part du postulat que le choix de l’accession à une paroisse pour Coquille n’est pas motivé par le montant du traitement espéré, pourquoi accepter cette cure de Beaupréau ? Souhaite-t-il maintenir un lien de proximité avec Renou, dont la cure de Chalonnes est distante de 26 km, tout comme le fait quelques mois plus tard le vicaire Dunan élu à la Poitevinière, paroisse toute aussi proche ?

129Il est difficile de se figurer que Jacques-Antoine ne soit pas au courant des nombreux refus de prestations de serment des curés des Mauges et des difficultés rencontrées par les autorités pour procéder aux élections dans les districts de Saint-Florent-le-Vieil et de Cholet. Le manque de prêtres se fait cruellement sentir et ce, très tôt dans cette année 1791. Dès le 22 janvier, le procureur général syndic du département écrivait au procureur-syndic du district de Cholet en ces termes :

« Je ne doute pas que la circonstance du défaut de prestation de serment des curés ne donne lieu à ne pas proroger la loi jusqu’à la fin de l’année à la nomination des cures jusqu’à ce que les municipalités vous ayent dénoncé les contrevenans [sic] au décret242. »

130Le 9 février, le procureur-syndic du district de Cholet Chouteau déplore à son tour : « Deux curés, deux vicaires et un homônier d’hôpital [sic] composent seuls la liste des sermentaires pour remplacer les réfractaires qui sont au nombre de 43 curés, 42 vicaires et 3 homôniers […], où prendre, où trouver243 ? »

131Le 22 février suivant, le nouveau procureur-syndic de ce même district de Cholet, de Beauvau, établit la liste des assermentés de son district qui se résume à quatre curés seulement. Son constat, à l’image de celui de son prédécesseur, est éloquent : « C’est ainsi que les épines sont mêlées de roses mais ces fleurs sont malheureusement bien rares dans ce district244. » La situation ne s’améliore pas puisque le 12 mars 1791, les administrateurs de Cholet ne recensent que six prestations de serment dont une faite par un vicaire245. Les élections ont finalement lieu à Cholet le 17 avril 1791246.

132Dans le district de Saint-Florent-le-Vieil, cinq curés seulement ont satisfait au décret concernant le serment. Une première élection de cinq curés a lieu le 9 avril 1791 dont Coquille ; celle-ci est troublée par l’intervention du prêtre réfractaire de Saint-Florent-le-Vieil, Michel Gruget, qui tente de l’invalider en invoquant un défaut de procédure lié au choix du jour de l’élection247. Mais pour les administrateurs, il s’agit de faire vite : peu importe finalement le lieu ou le jour, l’essentiel est de pourvoir les cures de prêtres constitutionnels. Une seconde élection, plus massive celle-ci, a lieu le 22 mai 1791 : 24 curés sont nommés248. Mais cela ne suffit pas à remplacer tous les prêtres réfractaires des Mauges. D’autres élections ont lieu le 25 septembre 1791 pour le district de Cholet249 et le 2 octobre 1791 pour le district de Saint-Florent-le-Vieil250.

133Et comment Coquille ne peut-il pas être au courant des troubles qui ont par exemple éclaté au mois de février 1791 à Cholet et Maulévrier, où 14 canons pris par des insurgés ont été enterrés dans les jardins du château. Trois cents hommes de la garde nationale sont envoyés par les administrateurs du département fin mai dans ce district de Cholet251. Tout cela ne passe pas inaperçu. Il est ainsi possible de penser que Jacques-Antoine ait fait un choix délibéré en accédant à cette cure de Notre-Dame de Beaupréau en ce printemps 1791. Il n’en prend pas possession tout de suite puisqu’il reste à Chalonnes jusqu’au 10 juillet. Ces quelques mois où les nouvelles inquiétantes en provenance des Mauges ne cessent d’affluer ne l’engagent pas pour autant à renoncer. C’est donc en véritable prédicateur, investi d’une mission de régénération de la société par la religion, qu’il s’apprête à se rendre au cœur des Mauges.

134Ce décalage entre l’élection et l’installation dans la cure laisse aussi le temps à ses futurs paroissiens de se faire une idée du curé qui leur a été choisi. Et comme pour de nombreux prêtres assermentés, sa réputation va probablement le devancer. Des exemples pris dans les communes des alentours laissent présager l’accueil réservé aux curés constitutionnels. Ainsi à Liré, une lettre anonyme adressée au curé Jean Lafont rapporte en ces termes :

« Nous savons que nous ne devons recevoir un être de votre espèce qui il y a moins de six mois étoit votré [sic] dans les plus grands désordres […], que vous étiez un ivrogne, un libertin du premier ton252. »

135À Saint-Quentin-en-Mauges, le maire René Raimbault remarque que le curé Yves Laurent, ex-récollet comme Coquille, a eu le malheur « d’avoir été devancé par une réputation qui n’est rien moins qu’avantageuse253 ». Les prêtres prétendants aux cures des Mauges sont donc prévenus.

136À 44 ans, Jacques-Antoine Coquille d’Alleux s’apprête à franchir une nouvelle étape dans sa carrière d’ecclésiastique. S’émanciper de la règle en sortant du couvent a sans doute été vécu comme une libération. Avec son engagement dans la franc-maçonnerie dès 1788 et en complément de son rôle de prédication en tant que récollet, il manifeste déjà sa volonté avant la Révolution de participer activement à des réseaux de sociabilités autres que religieux. Son adhésion aux sociétés populaires vient confirmer ce souhait de s’impliquer dans les affaires de la cité et donc d’entrer en « politique ». Mais à aucun moment il n’est question pour lui de quitter le clergé et de rompre avec son expérience spirituelle. Bien au contraire, entrer dans la Révolution et l’Église constitutionnelle, c’est retrouver l’idéal de simplicité, de pauvreté et d’humilité des fondateurs des ordres monastiques254, ce qui ouvre la question d’un possible engagement facilité pour les anciens réguliers prédicateurs. Faire le choix d’un ministère constitutionnel, c’est peut-être aussi pour lui une façon de sauver son sacerdoce et de « dissimuler un passé tumultueux par un patriotisme fracassant255 », tout en étant animé de la volonté d’une régénération conjointe de l’Église et de l’État.