1Jacques-Antoine Coquille d’Alleux, le prédicateur patriote (1747-1805) est un remarquable aboutissement d’enquête et de réflexion qui permet d’éclairer, sous l’angle micro-historique, l’Ouest en Révolution.

2Un aboutissement de vingt ans de travail d’abord. En 2000, j’ai eu la chance de diriger le mémoire de maîtrise de Bertrand Delahaye portant sur Les Prêtres constitutionnels des Mauges et du Saumurois pendant la Révolution : 1790-17951. Ce fut déjà un excellent travail de recherches à une époque d’avant la masterisation, où la maîtrise d’histoire s’élaborait, s’écrivait et se soutenait seulement en une année. Il fallait alors faire preuve d’efficacité dans la compilation des sources, leur tri, le développement des analyses et la rédaction des synthèses.

3Depuis, nous avons continué avec bonheur à échanger sur la recherche et l’historiographie autour de la guerre de Vendée. En 2021, sur son invitation et celle de Didier Boisson, j’ai participé à son jury de master 2, dont ce livre présente une version resserrée autour de la figure du prêtre constitutionnel Coquille. Ses analyses stimulantes ont convaincu les éditions des Presses universitaires de Rennes de publier sa recherche, démarche éditoriale suffisamment rare pour souligner la qualité exceptionnelle du travail.

4Il faut dire que Bertrand Delahaye n’a pas ménagé son énergie ni son temps, pour consulter avec rigueur les archives départementales de Maine-et-Loire, notamment la fameuse sous-série 1L, dotée de plusieurs centaines de cartons, mais aussi celles d’Eure-et-Loire, de Mayenne et d’Indre-et-Loire. Il a également dépouillé les Archives diocésaines d’Angers, trop souvent négligées par les chercheurs, quoi que pourtant si riches. En bref, avec patience et minutie, il a retracé le parcours de Coquille et de sa famille, non seulement en Anjou, mais également dans le grand nord-ouest de la France, de la fin du xviii^e siècle jusqu’à l’année de sa mort en 1805.

5Je ne reviendrai pas, dans le cadre de cette préface que je suis honorée d’écrire, sur le renouvellement bibliographique des questions religieuses pendant la Révolution française, du serment aux résistances ou encore de la Constitution civile du clergé. Un numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française, datant de 2009, en recense les ouvrages les plus marquants, de Bernard Plongeron à Michel Vovelle, en passant par Timothy Tackett et Dale K. Van Kley. Rodney Dean, Paul et Caroline Chopelin ont depuis proposé des approches biographiques novatrices, en la personne de Grégoire ou de Lamourette, ce que Bertrand Delahaye n’a pas manqué d’exploiter pour enrichir ses réflexions historiques2.

6Toutes ces études permettent en effet des approches croisées et fécondes sur l’articulation Religion/Révolution. Toutefois, l’ouest de la France en restait étonnamment un point aveugle. C’est tout le paradoxe de la recherche historique, alors même que la religion est le facteur principal du soulèvement de la société de l’Ouest3 et que les violences commises durant les guerres de Vendée s’expliquent essentiellement par la défense du catholicisme, combat sacré et saint pour les Vendéens, que les républicains jugent fanatique et arriéré.

7Car il faut souligner comment Bertrand Delahaye renouvelle l’approche du sujet religieux en Révolution. Coquille est en effet un personnage bien connu des spécialistes. Les érudits du xix^e siècle et du début du xx^e siècle le mettaient en bonne place dès qu’il s’agissait de montrer des exemples de curés constitutionnels. Selon eux, c’était un acteur incontournable de la Constitution civile du clergé et de ses effets dans l’ouest de la France. La figure de Coquille se plaçait dans un manichéisme bien commode et simpliste. Pour expliquer la Contre-révolution, les défenseurs de la Vendée militaire le considéraient comme un dangereux athée et moquaient sa cause, ses discours et sa personnalité. Au contraire, les tenants de la Révolution en faisaient un personnage généreux et visionnaire, sensible aux inégalités et partisan d’une Église réformée. Il suffit de se reporter aux écrits de Célestin Port, archiviste républicain des Archives départementales à la fin du xix^e siècle, et à ceux de François Uzureau, aumônier du cimetière des martyrs à Avrillé, pour s’en convaincre s’il en était encore besoin.

8Bertrand Delahaye démontre que l’abbé Coquille est un homme mal compris et un protagoniste bien plus complexe que ne le laissent supposer les précédentes études. Le personnage est même de première importance pour qui veut comprendre le contexte politique et social de la fin du xviii^e siècle en Anjou. Homme de son temps, sensible aux débats d’idées de son époque, lui, plus que tout autre clerc, a choisi en toute connaissance de cause d’épouser la Révolution française. Bertrand Delahaye ne propose pas seulement une biographie de Coquille. En suivant ce curé constitutionnel, il retrace avec minutie l’itinéraire d’un acteur républicain important de l’ouest de la France en Révolution. De plus en plus engagé, militant inconditionnel de la cause révolutionnaire, il devient un homme public et politique de premier plan, persuadé de choisir la modernité politique et de montrer l’exemple à tous ceux qui hésiteraient encore entre l’archaïsme mortifère de la Vendée militaire et la capacité de régénération sociale et politique de la République. Pour Coquille, la Révolution est « l’horizon d’idéalité », pour reprendre les termes de l’historien Reinhart Koselleck, quitte à s’engager plus avant du côté de la répression contre les Vendéens4.

9Une telle démonstration historique n’a été possible que grâce à l’exigence intellectuelle et scientifique dont a su faire preuve Bertrand Delahaye. Il ne se contente pas d’évoquer les pérégrinations politiques et idéologiques d’un Coquille ; il étudie avec soin la société de la fin du xviii^e siècle, les réseaux qui l’animent et l’organisation qu’elle présuppose pour donner une existence historique et sociale à son objet, en somme incarner un temps de crise et de mutation. C’est ainsi que la mise en réseau des fidélités et des groupes, en particulier les récollets qui gravitent autour de Coquille, et de leurs influences mutuelles, expliquent la dynamique de ce curé en Révolution.

10Comme l’écrit l’historien André Burguière, dans son Dictionnaire des sciences historiques, « ce qui donne du prix au travail de l’historien, ce n’est pas la qualité des sources qu’il a pu découvrir, mais la qualité des questions qu’il leur pose5 ». L’ouvrage de Bertrand Delahaye cumule ces deux qualités. Il pose de bonnes questions, présente aux lecteurs des sources variées qui se recoupent avec bonheur et propose des analyses pertinentes susceptibles d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la recherche. Ce livre confirme enfin à quel point tout n’a pas été écrit sur la Vendée militaire. Par la méthodologie qu’il développe, les sources qu’il présente, les synthèses qu’il propose, Bertrand Delahaye donne des clés précieuses pour comprendre la guerre fratricide qui déchire l’Ouest de la France de 1793 à 1796.

11En bref, il convie le lecteur à explorer un temps où les distinctions entre religion et Révolution n’allaient pas forcément de soi, mais ont pourtant été un formidable moteur de transformation sociale et politique de la France de la fin du xviii^e siècle.