L’assise territoriale de Louis I^er d’Anjou

5Étudier la commande architecturale de Louis I^er suppose, dans un premier temps, de circonscrire ses possessions13. En 1351, lorsqu’il reçut de son père Jean II Le Bon les comtés d’Anjou et du Maine, il entra notamment en possession des châteaux d’Angers, de Saumur, de Baugé, des Ponts-de-Cé et du Mans. En plus de l’érection du comté d’Anjou en duché, la concession de l’apanage apporta à Louis la baronnie de Château-du-Loir, les châtellenies de Champtoceaux (restituée au duc de Bretagne en 1367) et de La Roche-sur-Yon, cette dernière se trouvant alors aux mains des Anglais. Son frère Charles V ajouta le duché de Touraine à partir de 136414 (avec les châteaux de Tours, Loches et Langeais), puis la châtellenie de Chinon ainsi que la châtellenie de Loudun en 1367. Le mariage de Louis avec Marie de Blois lui apporta la terre de Guise en Thiérache, la châtellenie de Mayenne-la-Juhel dans le Maine et les domaines franciliens de Longjumeau et de Chilly15. En 1370, Isabelle de Pierrepont lui vendit le comté de Roucy en Champagne (comprenant les châtellenies de Roucy, Montaigu, Châteauneuf-sur-Aisne, Pierrepont et Nify), le château de Rochefort16 ainsi que, neuf ans plus tard, la châtellenie poitevine de Mirebeau. En 1371, Louis se porta acquéreur des châtellenies de Sablé, Précigné et Brûlon dans le Maine, ainsi que du château de La Roche-aux-Moines sur les bords de la Loire angevine. En 1373, il reçut toute une série de possessions poitevines confisquées à Isabelle d’Avaugour, parmi lesquelles la châtellenie de Talmont, les vicomtés de Curzon et de Brandois, les terres des Sables-d’Olonne, les îles de Ré et d’Oléron. En 1376, il acheta des seigneuries tourangelles : Champigny17, La Rajace, Champvent, Le Coudray18. En 1381, Louis d’Étampes lui céda en Languedoc, région qu’il connaissait bien pour y avoir assuré les fonctions de lieutenant du roi en 136419, la baronnie de Lunel et la terre de Massillargues.

6En 1375, Louis devint l’héritier du dernier roi de Majorque, Jacques, et de sa fille Isabelle marquise de Montferrat, ce qui lui ouvrit des droits sur de nombreux territoires allant de l’Espagne à la Grèce20. Par ailleurs, son adoption par Jeanne I^re de Naples en 1380 lui octroya, au décès de cette dernière en 1382, des droits sur le comté de Provence21 et sur le royaume de Jérusalem (en réalité Naples), mais qui restaient des territoires sur lesquels son autorité était fragile. Louis était également héritier de Louis d’Évreux, comte d’Étampes – à ce titre, il reçut les seigneuries d’Étampes et de Gien ainsi que les châtellenies de Dourdan et d’Aubigny22 dans le Berry – et de la duchesse Jeanne de Brabant dont il récupéra les terres hennuyères de Raymes, Aymeries, Pont-sur-Somme et Doulens.

7Louis disposait enfin de plusieurs résidences parisiennes, dont deux situées intra-muros, l’hôtel de Bohême-Savoie près du Louvre et l’hôtel d’Anjou au nord de la place de Grève. À l’extérieur de la capitale, le duc d’Anjou possédait un hôtel à Bicêtre23 et un hôtel à Saint-Mandé24 dans l’enceinte du bois de Vincennes. Il en fit édifier un autre en 1378 pour se rapprocher du manoir de Beauté-sur-Marne que Charles V se fit construire vers 1373-137525. Enfin, en 1377, le duc d’Anjou reçut de Bertrand du Guesclin l’hôtel de Cachan, situé à quelques kilomètres au sud de la capitale26.

8Louis se trouvait donc à la tête d’un patrimoine foncier important, sans être exceptionnel. Ses possessions se concentraient dans les grands domaines qu’il s’était vu confier par le roi, en l’occurrence l’Anjou, le Maine et la Touraine. L’attraction exercée par la capitale parisienne où siégeait le pouvoir royal se traduit par le nombre relativement important de propriétés franciliennes, offrant selon les lieux de simples points d’étape ou de véritables résidences27. Des acquisitions lui permirent de s’étendre vers le Bas-Poitou d’une part, et de prendre pied en Languedoc mais il n’eut pas le temps de profiter de ses sites provençaux et plus largement de ses possessions méditerranéennes. L’examen des résidences sur lesquelles il fit engager des travaux montre que furent privilégiés les grands sites de pouvoir traditionnels et les hôtels parisiens, au détriment semble-t-il de presque tout le reste et notamment des nombreuses châtellenies dont il s’était porté acquéreur. L’espace qu’offraient les lieux dans lesquels il élut résidence permettaient d’articuler aisément la vie privée d’un prince et les fonctions dues à son rang.

Maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage

9Dans un article publié en 1983, Françoise Robin a dressé un état détaillé des connaissances sur la gestion des chantiers des ducs d’Anjou, en analysant notamment l’exécution des travaux et le recrutement des équipes d’artisans28. Pour le principat de Louis, elle s’est heurtée à l’indigence de la documentation qui ne permet pas d’engager sur la maîtrise d’ouvrage les mêmes recherches que celles qui ont pu, par exemple, être réalisées pour Jean de Berry ou Louis d’Orléans29. Comme l’a bien montré Justine Moreno, l’institution de la Chambre des comptes ne semble pas encore jouer le rôle qu’elle aura sous le règne de René d’Anjou. Elle sera alors chargée de l’entretien et de la valorisation du domaine, ce qui l’amènera notamment à superviser l’ensemble des travaux conduits sur les résidences du duc30. Sous le règne de Louis I^er, les attributions de l’institution encore jeune portent essentiellement sur la vérification des comptes de l’administration du duché.

10Les décisions initiales devaient être prises par le duc avec le concours des membres de son conseil. Une phrase tirée du Journal de Jean Le Fèvre en donne l’illustration à l’époque de la régence assurée par Marie de Blois : « Au matin je [le chancelier Jean Le Fèvre] fus en la chambre, ou fu touché de la neccessité qui est de faire reparacions en toulz les chasteaulx de Madame ; si est a adviser qui les visitera et qui aura l’auctorité de faire paier les œuvres et de ordenner les maistres des œuvres31. » La commande architecturale s’appuyait manifestement sur la même organisation que celle qui était en place à Paris et dans les grandes principautés avec des maîtres payeurs des œuvres et des maîtres d’œuvre chargés de définir les projets architecturaux, d’assurer l’organisation et la gestion technique du chantier.

11Malheureusement, les sources comptables « angevines » ont pratiquement toutes été perdues. Le registre de dépenses tenu entre le 26 mai 1375 et le 10 juin 1379, par Nicolas de Mauregard, trésorier de Louis I^er, fait état de quelques dépenses relatives à l’entretien du patrimoine ducal, mais celles-ci sont assez peu détaillées32. La British Library conserve également les « comptes de Macé Darne », du nom de l’un de ses maîtres des œuvres. Le document se présente comme la compilation de dépenses rassemblées, à la suite du décès de Macé Darne, par ses héritiers pour se faire rembourser les sommes avancées par ce dernier entre 1367 et 137633. Il fut en charge de plusieurs chantiers, principalement aux châteaux d’Angers et de Saumur et au palais du Mans mais de toute évidence, la compilation ne rend pas compte de tous les travaux réalisés durant cette décennie. Un maître payeur des œuvres, Pierre Lescot, est également mentionné en 1378 pour des travaux sur la chapelle des Halles à Angers34.

12Pour la maîtrise d’ouvrage, le duc, souvent absent, se fit représenter par un homme de confiance, Pierre d’Avoir, sieur de Château-Fromont, sénéchal et lieutenant général de Louis I^er en Anjou, Maine et Touraine depuis 1371, conseiller du roi Charles V, premier chambellan du duc. Ce proche négociait les transactions, avançait l’argent et assurait le suivi des travaux. Il reçut ainsi 5 000 francs pour les travaux diligentés à l’hôtel d’Anjou35. Vers 1365, on envoya quelqu’un jusque dans les environs de Senlis pour « lui faire savoir l’état des ouvraiges et pour avoir chevance d’argent36 ». Il disposait de l’autorité suffisante pour instaurer en 1383 au Mans une nouvelle taxe « pour fortiffier, réparer et mettre en estat et maintenir la forteresse de la dicte ville du Mans37 ». Pierre d’Avoir se rendait sur les chantiers, par exemple au château de Saumur, où une chambre lui fut aménagée en urgence dans une des tours en cours d’achèvement38. Il disposait également au château d’Angers d’une chambre avec un vitrail à ses armes39. Dans son testament, Louis le désigna pour faire partie du conseil de régence40 et Pierre d’Avoir hérita même du château de la Roche-aux-Moines pour sa vie durant41.

13Comme l’a déjà décrit Françoise Robin, le recrutement de la main-d’œuvre est dans l’ensemble local, ce que l’on constate par exemple pour les maîtres artisans travaillant sur les hôtels parisiens ou angevin. Sur les chantiers d’Angers ou de Saumur, les artisans viennent au maximum de quelques dizaines de kilomètres à la ronde, avec cependant des exceptions tels le sculpteur Thomas Cailleau se déplaçant de Tours ou le couvreur Jean le Plombier ainsi que trois menuisiers qui résident au Mans42. Ces formes de recrutement portent sur des personnels fortement spécialisés. Dans les années 1368-1370, Simon Corbet et Jean Petit, tailleurs et sculpteurs, furent sollicités sur plusieurs chantiers, ce qui les amena à se déplacer entre la Touraine, Angers et Saumur43. En avril 1377, Pierre d’Avoir fit venir de Paris un tailleur de pierre du nom de Guillot Brune pour travailler au château d’Angers44.

14Les hommes les plus qualifiés pouvaient répondre aux sollicitations de plusieurs commanditaires. Ainsi, à Paris, le maître maçon Renaud Thiboust que Louis d’Anjou recruta pour les chantiers des hôtels de Bohême, de Saint-Mandé et d’Anjou45 travailla avec son frère Jean au service de Philippe le Hardi à l’hôtel d’Artois (compte de 1371-1373). En 1400, il assista le maître d’ouvrage du roi Raymond du Temple en tant que « maçon juré du roi en la ville de Paris en l’office de maçonnerie » pour expertiser un escalier en vis à l’hôtel du duc d’Orléans46.

Les grands chantiers résidentiels de Louis I^er

15En Anjou, Louis hérita de deux places majeures, Angers et Saumur. À Angers, capitale du comté érigé en duché en 1360, la puissante forteresse de saint Louis abrite l’ancien palais comtal Plantagenêt qui, relativement délaissé par Charles I^er comte d’Anjou (1246-1285)47 et à sa suite par les autres comtes apanagés, ne semble pas avoir bénéficié de travaux d’aménagement depuis le début du xiii^e siècle48. La grande salle du xi^e siècle fit l’objet de remaniements importants sans doute dans les premières années du règne de Louis ; un plancher porté par une file de piliers fut inséré pour créer un vaste cellier et rehausser le sol de la pièce. La façade fut reprise avec le percement de grandes croisées à doubles traverses alternant avec des jours placés en hauteur49. Une cheminée monumentale incorporée dans l’épaisseur du mur pignon sud matérialisait le haut bout de la grande salle. Elle était jouxtée par une porte desservant probablement un logis privatif dévolus à Louis, et duquel ne subsiste plus qu’un pan de mur contre lequel s’appuie un escalier en vis, sans doute un peu plus tardif. Dans les années 1370-1372, les comptes de Macé Darne font état de quelques dépenses relativement limitées pour des interventions sur la cheminée et la couverture50.

16Il fait également peu de doute que Louis fut le commanditaire de la restructuration complète de l’aile dite d’apparat se développant au nord-est de la grande salle, et dont quelques vestiges ont été mis au jour dans le cadre des fouilles archéologiques menées au milieu des années 1990, puis lors du suivi des travaux qui eut lieu en 201251. Cette aile superposant deux niveaux comportait à l’étage ce qui semble avoir été une chambre de parement suivie d’une chambre de retrait. La desserte de l’étage, probablement par un escalier extérieur, peut-être la « grant vis » mentionnée en 146952, n’est quant à elle pas précisément localisée à ce jour.

17L’ancienne chapelle Saint-Laud édifiée au milieu du xii^e siècle en contrebas du mur pignon sud de la grande salle était toujours en service au xiv^e siècle mais présentait des dispositions modestes en décalage avec les aménagements architecturaux voulus par Louis. L’édification de la grande chapelle Saint-Jean-Baptiste ne date que des années 1410 ; toutefois, l’étude archéologique du logis royal a révélé les traces de repentirs au niveau des maçonneries de fondation, soulevant la question d’un possible projet antérieur53. Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Louis d’Anjou ait cherché à faire bâtir un édifice digne de son rang, voire une Sainte-Chapelle à l’image de celle que Charles V fonda en 1379 au château de Vincennes54, et que le projet ait été interrompu par la campagne italienne de 1382-1384 où il trouva la mort.

18Toujours au château d’Angers, Jacques Mallet a bien souligné l’importance des travaux conduits sur le logis de la porte de Ville. L’ouvrage ornementé d’un décor sculpté (des « imayges ») et dont le couronnement comportait des lucarnes et des « espiz » en pierre, pourrait avoir été transformé dans les premières années du principat de Louis. D’après les comptes de Macé Darne, il fit l’objet de nouveaux travaux entre 1368 et 1371, avec le percement d’une grande baie à remplage pour la chapelle occupant l’étage supérieur, de huit fenêtres à croisées, la pose de sols de tomettes, de lambris, l’aménagement d’une chambre forte, dite du « tresor », destinée à abriter les archives du duché, la réfection de la maison du portier. Une horloge attestée à la fin du xvi^e siècle, pourrait avoir été installée par Louis I^er, qui en équipa par ailleurs le château de Saumur vers 138055.

19Des incertitudes demeurent en ce qui concerne les cuisines de plan carré identifiées à partir de sources plus tardives, à l’est des probables cuisines romanes. La comptabilité de Macé Darne mentionne seulement trois dépenses, dont une au pignon de la « grant cuisine », sans doute en novembre 137156.

20Sur une maison dont il était propriétaire dans la cité, immédiatement au nord du château, Louis finança en 1368-1369 toute une série de travaux pour que puisse s’y installer la Chambre des comptes d’Angers57. À l’autre extrémité de la ville, la « grant maison des halles » semble désigner la salle comtale édifiée au début des années 1250 par Charles d’Anjou, dont le duc fit reprendre la couverture58. Les sources mentionnent une garde-robe, une cuisine ainsi qu’une écurie et rapportent la fabrication de meubles et d’huisseries59. En 1378, d’autres dépenses portèrent sur la réalisation de la charpente de la « chapelle des halles d’Angers » qui était pourvue d’oratoires60. Une certaine confusion règne cependant sur la localisation et l’affectation de ces édifices dans ce quartier de la ville où se tenaient également des halles marchandes ainsi qu’un auditoire de justice61.

21À Saumur, la seconde ville du duché d’Anjou, Louis hérita de la même façon d’une forteresse édifiée au début du xiii^e siècle autour d’un noyau plus ancien sur la pointe d’un promontoire dominant la confluence de la Loire et du Thouet. Le monument, qui a conservé une part importante de ses élévations médiévales, est sans doute le chantier de Louis le mieux connu grâce aux indications livrées par les comptes de Macé Darne pour la période comprise entre 1367 et 1376. Dans un premier temps, Louis commanda l’édification d’un corps de logis tourné vers la Loire, encadré par deux tours et adossé contre l’ancienne tour maîtresse romane qui se dressait toujours au milieu du château et qui abritait une salle. Un escalier extérieur droit donnait accès à l’étage du nouvel édifice qui abritait une garde-robe, une chambre de parement, une chambre de retrait et une chapelle. Ce logis, autonome sur le plan fonctionnel, n’appelait pas d’autres travaux. Pourtant, peu après son achèvement en 1376, le duc fit radicalement modifier le projet architectural en ordonnant la construction de trois nouvelles ailes se développant autour d’une cour centrale créée en faisant déraser le donjon roman62. Les travaux débutèrent par la construction de la tour ouest et de l’aile nord-ouest abritant respectivement les chambres privatives du couple ducal et la nouvelle salle. Dans l’angle nord de la cour, une grande vis faisant directement écho à celles du Louvre et de Vincennes, desservait les deux ailes. Les travaux furent achevés vers 1380. Il semble que Louis ait eu le temps de faire édifier l’aile sud-est avant son départ pour l’Italie en juin 1382, mais pas le châtelet d’entrée à deux tours dont la construction fut abandonnée alors que les arases de maçonnerie arrivaient seulement au niveau de la cour63. Le second projet, beaucoup plus ambitieux que le premier, multipliant les références aux fleurs de lys, a été mené tambour battant pour traduire dans la pierre les ambitions politiques croissantes du prince64. Immédiatement à l’ouest du château se développait un ensemble de chambres disposées autour de la « salle du baille », peut-être l’ancienne aula comtale mentionnée au xi^e siècle, servant d’auditoire.

22Le château de La Roche-aux-Moines, que Louis racheta en 1370 à Guillaume I^er de Craon, pour un montant de 20 000 francs d’or, était une puissante forteresse stratégiquement posée sur un promontoire rocheux dominant la Loire, en aval de la confluence avec la Maine. La place fut renommée La Roche-au-Duc. Les sources indiquent que les travaux réalisés avant 1376 portèrent principalement sur des éléments de décor et d’appropriation du lieu65. Le maître des œuvres Macé Darne fit acheter trente grandes pierres « d’apparay » provenant des carrières de tuffeau de Dampierre près de Saumur pour refaire des « fenestrages ». La somme consacrée au chantier (38 livres et 15 sous) permit également de faire réaliser un nouveau décor peint dans les pièces d’habitation, de changer les armoiries présentes sur les vitraux et de refaire les pennonceaux métalliques posés sur les épis des toitures.

23Nous ne disposons d’aucune information sur d’éventuels travaux conduits sur les autres châteaux angevins tels que Baugé. Les Ponts-de-Cé était une place forte liée au contrôle de l’axe ligérien, a priori dépourvue d’aménagements résidentiels importants. Les sources n’indiquent rien non plus pour le château de Champtoceaux, mais Louis I^er pourrait avoir refusé de mobiliser des moyens financiers sur ce site qu’il savait réclamé par le duc de Bretagne.

24Dans le Maine, il semble n’avoir disposé pour seule véritable résidence que du palais du Mans, édifié dès avant le xii^e siècle contre l’enceinte antique, comme à Angers66. Les travaux documentés par les comptes de Macé Darne témoignent, entre 1368 et 1370, de dépenses liées à la réfection des lambris de la grande salle et des galeries périphériques (les ballets), ainsi qu’à la réalisation de meubles. Si certains travaux sont liés au fonctionnement de l’administration ducale, en particulier à l’exercice de la justice avec l’installation d’un auditoire dans la grande salle, d’autres dépenses portent sur des aménagements résidentiels, ainsi dans la petite salle de la tour de la Roche ou sur les cuisines67. La réalisation d’un décor peint coûteux et la fermeture des fenêtres des ballets par des vitraux témoignent qu’il s’agissait bien d’espaces de qualité. Des extensions étaient prévues comme l’atteste, par exemple, la mention de l’achat d’une maison située près du palais68. Au sud de la grande salle, la tour du Gros Pilier, longtemps datée du xv^e siècle, puis d’environ 1380 par Nicolas Gauthier, pourrait être un peu plus ancienne. Les recherches récemment conduites par Bénédicte Fillion-Braguet l’amènent à en vieillir quelque peu la datation, entre 1367 et 137969. L’ouvrage jointif à l’angle avec la grande salle, a été édifié en saillie sur le front défensif, perpendiculaire à ce dernier. Il se présentait sous la forme d’un logis de plan barlong superposant une salle basse, peut-être voûtée dès l’origine, et deux niveaux résidentiels de qualité, reliés par un escalier en vis dans-œuvre. Un oratoire établi au deuxième étage, dans l’épaisseur du mur sud, porte sur la clé de sa voûte les armes du Maine. Ce chantier aurait précédé de quelques années la construction de l’escalier du Pont-Neuf établi immédiatement au sud pour faciliter la communication. Le château, au nord de la cité, décrit comme nécessitant des travaux en 1387, restait dédié à des fonctions défensives.

25En Touraine, nous ignorons tout d’éventuels aménagements apportés sur le château de Tours. La situation est plus complexe au château de Chinon où un premier travail universitaire70 puis des recherches archéologiques menées en 2006-2008 ont montré que, dans le château du Milieu, les logis appuyés contre le front sud, et qui furent sans doute endommagés par les Anglais autour de 1350, ont bénéficié de premiers travaux ordonnés par Louis d’Anjou71, lesquels ont par la suite été intégrés dans les transformations dues à Charles VII72. Le duc d’Anjou fit reprendre la partie occidentale du corps de bâtiment accueillant une grande salle d’étage desservie par un escalier en vis aménagé dans une tourelle de plan carré adossée contre la façade. Peut-être servit-elle à héberger l’auditoire aménagé en 1370. Louis finança-t-il d’autres travaux ? L’étude des logis royaux ne permet pas de l’affirmer. Des arriérés de dépenses qu’il aurait engagées sur le château, peut-être peu avant son départ pour l’Italie, ne furent remboursés par Yolande d’Aragon, la femme de Louis II d’Anjou, qu’en 1409, mais l’affectation de ces dépenses n’est pas connue.

26Pour le château de Loches en revanche, il ne fait aucun doute que Louis d’Anjou en ait été le commanditaire. Jean Guillaume a pu le premier préciser la datation de la partie méridionale des logis royaux, donnée par l’analyse dendrochronologique des bois de la charpente abattus en 1376-137773. L’édifice a bénéficié d’une étude approfondie conduite dans le cadre de la thèse de doctorat de Solveig Bourocher74. Le duc qui avait reçu la Touraine en 1364, se fit réaliser dans l’ancien castrum, une résidence de plaisance dominant le cours de l’Indre avec les berges duquel elle communiquait par une étonnante rampe cavalière voûtée. Le corps de logis, juxtaposant au premier étage une salle et une chambre montant sous charpente, était articulé au sud-est avec une grande tour (aujourd’hui appelée tour Agnès Sorel) abritant une garde-robe, des latrines et peut-être des chambres privatives. Dans le corps principal, une petite vis assurait la communication interne mais depuis l’extérieur, l’accès à l’étage se faisait par un escalier extérieur à deux volées placé dans l’angle que formait le logis avec la chapelle Saint-Louis, détruite dans la seconde moitié du xviii^e siècle, mais dont les fouilles archéologiques ont récemment permis de dégager les vestiges75. La salle et la chambre, respectivement de 150 et 77,5 m², ont conservé les traces d’un décor peint de faux-appareil blanc sur fond rose, ainsi que des frises alternant des motifs géométriques et des blasons soulignant la courbure de la charpente lambrissée. Les cheminées, incorporées dans l’épaisseur des maçonneries ou par les grandes croisées à double traverse font écho à des dispositions déjà décrites ailleurs, notamment à Angers et Saumur. Plus original était le traitement des façades est et nord, rythmées par des tourelles ou des échauguettes que reliait un parapet crénelé ornemental se retournant sur les pignons pour créer un profil à redents. Les différents bâtiments semblent avoir été agencés de façon à créer une grande composition organisée autour d’un axe de symétrie situé au contact du logis et de la chapelle, la tour Agnès Sorel et une tour du xiii^e siècle conservée plus au nord se faisant pendant à chaque extrémité76.

27À Loudun dont il prit possession en 1367, Louis pourrait avoir fait réaliser toute une série de travaux pour remettre en état les fortifications. Dans l’enceinte du château, autour de la tour-beffroi du xii^e siècle, il lui est également attribué la construction d’un vaste ensemble résidentiel d’une surface de 750 m², dont les fondations ont été dégagées dans le cadre des fouilles conduites dans les années 1860 par Joseph Moreau de La Ronde. Bien que ce dernier ait lui-même détruit une partie de ses archives (carnets de notes, relevés), on doit à Louis Charbonneau-Lassay d’avoir repris la documentation subsistante pour retracer les grandes lignes de l’histoire du château, et notamment son histoire monumentale77. Les maçonneries dégagées en fouilles ont permis de restituer une grande salle de 30 mètres de long sur environ 11 mètres de large prolongée par une pièce équipée d’une cheminée. Ce vaste corps de bâtiment était complété par deux ailes plus petites se retournant contre les faces ouest et sud de la tour romane. Un pan de mur rejoignant l’enceinte castrale créait une petite cour d’entrée. L’ensemble était semble-t-il protégé par un fossé. La qualité de l’édifice aurait incité Marie de Médicis à faire réaliser des relevés des cheminées et des croisées en 156578. La destruction de ce que Louis Charbonneau-Lassay appelle le palais royal de Sicile intervint dans les années 1630. Compte tenu de la date ancienne des fouilles et du caractère très lacunaire de la documentation, l’attribution de la construction de cet ensemble résidentiel à Louis d’Anjou reste encore à démontrer, d’autant que le château ne figure pas dans la liste des résidences sur lesquelles Louis II ou René d’Anjou engagèrent des travaux79. À Mirebeau, à vingt-cinq kilomètres au sud de Loudun, les informations font entièrement défaut pour identifier d’éventuels interventions dans le périmètre du château.

28Dans la capitale du royaume, Louis reçut de son père en 1361 une maison située rue de Nesle (future rue d’Orléans), près du Louvre. Josette Proust-Perrault80 indique que cet hôtel était appelé « de Bohème81 » mais les dénominations pouvaient être multiples ainsi que le rappelle un registre daté de 1378 : « A Reverent père en Dieu monseigneur l’evesque de paris pour restitucion et satisfacion de certaines masures que mondit seigneur le duc a fait appliquer à son hostel de Paris qui iadis fu appellé l’ostel de Boesme et depuis l’ostel de Savoie et a present l’ostel d’aniou lesquelles masures estoient en la censive et jurisdicion dudit monseigneur l’evesque à cause de son église par mandement de mondit seigneur le duc. Donné le 18 octobre 137882… » Nous ne connaissons rien de l’édifice qui sera vendu par Marie de Blois en 1388 au roi de France ; ce dernier en fit don au duc d’Orléans qui le transforma complètement83. En 1408, l’hôtel appartenait à la duchesse d’Orléans84.

29Mais désireux de disposer d’une résidence plus centrale, proche de l’hôtel Saint-Paul et du palais de la cité, Louis porta quelques années plus tard son dévolu sur un îlot situé au nord de la place de Grève85. Il engagea une politique d’acquisition foncière à partir des années 1373-1374 et commença l’édification d’une grande résidence, ou d’une résidence double86, que les sources désignent comme l’hôtel de la Verrerie ou de la Grève. Plus prestigieux que l’hôtel de Bohême, il semble avoir rapidement pris le nom d’hôtel d’Anjou qui s’est imposé par la suite87. L’hôtel de Grève fut donné par Marie de Bretagne à Pierre d’Avoir en 138688. L’ensemble, clos de mur, comprenait plusieurs corps de bâtiments dont une grande salle d’étage, des galeries, plusieurs cours et un jardin, le tout occupant une surface d’environ 6 000 m²89.

30Les vestiges architecturaux comme les archives font complètement défaut pour identifier la nature des travaux engagés sur l’hôtel de Saint-Mandé ou caractériser le programme architectural de celui édifié à Beauté-sur-Marne. Enfin, en l’état actuel des connaissances, rien ne permet de savoir si des transformations furent apportées aux autres résidences franciliennes de Bicêtre, Cachan, Longjumeau et Chilly. En octobre 1365, les comptes des travaux du Louvre rapportent seulement une visite faite par Charles aux « œuvres de l’hostel M. d’Anjou à Paris », chantier dont l’identification reste à ce jour incertaine90.

Conclusion

31Sa vie durant, Louis I^er fut confronté à des situations politiques instables avec, entre autres, la guerre de Cent Ans qui lui valut une période de captivité Outre-Manche91, les révoltes fiscales particulièrement rudes qu’il dut affronter dans le Languedoc, des luttes âpres pour asseoir son pouvoir en Italie et les intrigues politiques qui émaillèrent la régence de Charles VI. Ces difficultés, et bien d’autres, contribuèrent sans doute à faire que Louis I^er d’Anjou et ses frères, inscrits également dans un contexte de construction de l’État moderne, furent par la force des choses des princes au travail qui contribuèrent par leurs décisions et leurs actions à modeler, à leur niveau, les contours d’institutions et de pouvoirs clés (finances, armée, justice…). Bien sûr, le nombre et l’ampleur des programmes résidentiels participaient également de cette dimension politique. Comme le roi dans sa capitale, et ses frères dans leur apanage, Louis d’Anjou s’attacha à traduire dans la pierre son rang princier en ouvrant d’ambitieux chantiers pour disposer de complexes résidentiels luxueux dont le développement accompagna l’accroissement des effectifs au sein des hôtels ducaux. Ces édifices prestigieux déclinent un vocabulaire commun s’articulant autour de formes architecturales et d’une emblématique spécifiques. À Angers et Saumur, les deux principales villes de son duché, Louis refaçonna complètement les résidences qui matérialisaient dans la pierre son ancrage dans l’apanage angevin. Autres lieux de pouvoir, le palais du Mans et le château de Chinon bénéficièrent aussi de travaux d’agrandissement, quoi que sans doute un peu moins ambitieux. Le duc consacra des moyens importants pour enrichir le parc de ses résidences dont plusieurs correspondent à des créations ex nihilo comme le logis édifié à Loches, les hôtels d’Anjou ou de Beauté92. Dans d’autres cas comme aux châteaux de Loudun ou de la Roche-au-Duc, son investissement fut sans doute plus limité, encore que les carences documentaires obligent à rester prudent. D’une façon générale, hormis pour Paris, Louis I^er semble avoir concentré ses moyens sur les grands sites traditionnellement liés à l’exercice du pouvoir et pour autant que l’on puisse en juger, il ne lança pas de chantiers dans les sièges des châtellenies qu’il put acheter au fil des années. La liste des sites résidentiels qu’il fit construire ou transformer, telle que nous pouvons la restituer à partir de la documentation disponible, n’est pas si étoffée qu’on aurait pu l’attendre compte tenu du rang de Louis d’Anjou, de son assiste territoriale, de l’ambition politique et du goût du luxe dont il fit montre tout au long de sa vie. Son décès à l’âge de quarante-cinq ans lui laissa moins de temps que Jean de Berry, qui mourût en 1416 à l’âge de soixante-seize ans, pour mener à bien des chantiers d’envergure, cependant, Louis d’Orléans, assassiné à l’âge de trente-cinq ans, avait déjà à son actif une liste impressionnante de réalisations, dont l’exceptionnel château de Pierrefonds.

32Dans plusieurs cas, les travaux commandités par Louis d’Anjou se sont articulés avec les édifices hérités des états antérieurs tels que les grandes salles d’Angers ou du Mans ou, au moins dans un premier temps, la tour maîtresse romane de Saumur. À Loches en revanche, il ne chercha pas à réinvestir l’ancienne aula du xi^e siècle et l’abandonna pour faire édifier un logis plus intime. D’une façon générale, les contraintes imposées par les bâtiments déjà existants expliquent sans doute, au moins en partie, la diversité des partis architecturaux développés, même si notre perception se heurte au fait que la majorité des sites ont été détruits ou lourdement transformés. Deux résidences, les châteaux de Saumur et de Loches, permettent cependant d’apprécier jusque dans le détail du second œuvre, la commande architecturale de Louis d’Anjou dans la décennie 1370. Si le logis de Loches reste traditionnel dans son organisation intérieure, les trois ailes du château de Saumur montrent des choix plus novateurs en termes de distributions notamment, avec en particulier la grande vis faisant directement référence aux réalisations de Charles V au Louvre et à Vincennes93. Sur le plan esthétique, les deux sites s’inscrivent pleinement dans le mouvement de renouvellement des formes architecturales qui caractérise le dernier tiers du xiv^e siècle et le début du siècle suivant. Saumur et Loches montrent le soin apporté au traitement des élévations extérieures, et tout particulièrement des parties hautes qui présentaient ces silhouettes très découpées mêlant aux grands toits d’ardoises de nombreuses superstructures de pierre. Le château, inscrit dans le paysage, dominant la ville, décoré aux emblèmes de son commanditaire, constituait le rappel permanent du pouvoir d’un prince sans cesse en mouvement.