Un lignage seigneurial d’origine servile : éclairages sur la société angevine en 1111
p. 279-290
Texte intégral
1La documentation ligérienne est bien connue pour son caractère très narratif, comme l’a encore rappelé un récent colloque sur l’écrit monastique (2015)1. Ces textes rédigés par les moines des communautés de l’Ouest regorgent de détails sur les relations entretenues par les religieux avec la société laïque, au rythme de la constitution et la défense de leur patrimoine. Les moines, soucieux de leurs droits, sélectionnent les informations pertinentes pour leur propos. Ce faisant ils donnent de précieux éclairages sur la société féodale, mais laissent aussi beaucoup d’ombres et de questions. Leur capacité à mettre en récit l’histoire d’un bien offre parfois des lignes savoureuses. Ainsi en va-t-il de l’affaire de la terre de l’Aleu2 dont les moines de Saint-Serge d’Angers font l’acquisition en 11113.
2L’affaire est rapportée par une longue notice en forme de chirographe qui montre la complexité à la fois des droits exercés sur une terre, des règles de succession et des conditions de son transfert d’un patrimoine à un autre, in fine le patrimoine de l’abbaye Saint-Serge d’Angers. Une sombre affaire d’adultère, antérieure à l’acquisition du bien par la communauté monastique entache son histoire : le moine la rapporte au début de la notice et il convient de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le scribe a jugé nécessaire d’en rapporter les détails. Au-delà de cette affaire, la notice éclaire à la fois les débuts de la taille aux trois ou quatre cas, caractéristique du xiie siècle, ainsi que le sort d’un riche lignage remontant aux premiers prévôts du comte d’Anjou, d’origine servile. Drame familial d’une femme répudiée, Gosberge, et de ses enfants d’un côté, ascension sociale de descendants de serf de l’autre, les moines de Saint-Serge donnent dans cette notice un riche aperçu d’une « Comédie humaine » angevine.
La femme adultère et le clerc émasculé
3Le scribe rapporte comment la terre de l’Aleu, issue du patrimoine d’un certain Mainard le Poitevin, est passée à sa fille Gosberge, lors de son mariage avec le chevalier Bernard fils d’Oger le forestier. Cette terre servit probablement à constituer la dot que la jeune femme reçut par l’intermédiaire de sa mère Ermenilde, alors veuve de Mainard. Or, Bernard surprit un jour son épouse « commettant une folie de son corps » avec un clerc. De rage, il aveugla et émascula le clerc fautif. Gosberge fut, quant à elle, répudiée, et les droits sur la terre transmis à son frère Girard, celle-ci n’ayant pas eu d’enfant de son union avec Bernard. Le moine souligne que « parce qu’elle avait forfait et n’avait pas d’enfant qui aurait dû tenir la terre, elle avait perdu tout droit ». Ainsi le crime d’adultère dont la femme s’est rendue coupable a été puni d’une perte des droits sur la dot, détail rare à propos de la punition de l’adultère autant que des règles relatives à la jouissance de la dot4. Ce récit sert ici à établir les conditions du transfert des droits de Gosberge à son frère Girard et à rendre caduque toute contestation postérieure de la part de cette dernière, et peut-être de futurs descendants. Établir dans la notice les droits incontestables de Girard est d’autant plus crucial que peu après, celui-ci fit don de l’Aleu aux moines de Saint-Serge.
4En effet, les moines rapportent la négociation d’une convenientia par laquelle Girard fait don de sa personne et de la terre de l’Aleu aux moines de Saint-Serge, en échange de son entretien en nourriture et en habits (victus et vestitus). L’accord est justifié par la détresse matérielle de Girard, qui « cherchait son pain de porte en porte5 », à laquelle répond la charité des moines, ce qui contribue également à consolider la validité du don et renforcer les droits des moines sur une terre dont le statut mérite quelques observations.
Une terre aux multiples ayants droit
5Le statut de la terre de l’Aleu est révélé à l’occasion de la donation faite à Saint-Serge. Terre détenue par Mainard en vertu de l’hérédité (le bien est dit « patrimonial »), elle est transmise à sa fille Gosberge, puis au frère de Gosberge. Le toponyme lui-même pourrait renvoyer à ce statut de terre libre, qui s’opposerait au fief. Mais il apparaît nettement que plusieurs seigneurs disposent de droits sur cette terre. La notice les mentionne avec précision. Ainsi Mainard le Poitevin a constitué la dot à partir de tout ou partie de cette terre de l’Aleu. Bernard, l’époux de Gosberge, a répudié sa femme et « abandonn[é] cette terre qu’il avait reçue avec elle aux seigneurs desquels il la tenait ». Mainard tenait-il déjà l’Aleu de ces mêmes seigneurs ? C’est probable car le premier de ces seigneurs cités, Guillaume de Charray « du fief duquel [la terre] relevait », joue même un rôle de tuteur de Girard, le frère de Gosberge, désormais possesseur du bien. Guillaume de Charray tient à son tour l’Aleu de Guicher de Marans et son fils Philippe. Enfin, Guicher la tient de Guillaume de Verney, qualifié de capitalis dominus, soit seigneur chef ou suzerain. La notice reconstitue ainsi la chaîne des droits féodaux exercé sur un bien initialement qualifié de patrimonial. Les travaux récents menés sur l’alleu soulignent la proximité qu’il entretient avec le fief, par son caractère patrimonial – le fief ayant été patrimonialisé – et par ses titulaires, des hommes libres, membres de l’aristocratie. L’alleu se distingue toutefois par la part plus importante prise par la parenté dans les droits exercés sur le bien6.
6C’est pourquoi, pour confirmer leurs droits, les moines se rendent auprès des différents seigneurs quérir leur consentement à la cession de la terre : Charray, Marans, Verney. Le consentement de Bernard, mari de Gosberge, est également requis, bien qu’il ait répudié sa femme et perdu à cette occasion tout droit sur la terre, ce qui signifie à la fois que Bernard disposait peut-être de droits, en dépit de ce qui est affirmé plus haut, mais montre aussi le caractère précautionneux des moines. Enfin, cela aide à comprendre que les religieux aient rapporté avec détails les conditions dans lesquelles Gosberge, sans héritiers, a perdu tout droit, et les motifs impérieux qui ont poussé Girard à s’en dessaisir au profit de Saint-Serge.
Un témoignage précoce de la nouvelle fiscalité du xiie siècle au profit du seigneur Guillaume de Verney
7La notice précise explicitement que L’Aleu relevait du « fief de Verney7 » et désigne à deux reprises Guillaume de Verney en tant que seigneur en chef (capitalis dominus). En acceptant de tenir cette terre de lui, les moines de Saint-Serge reconnaissent lui devoir une taille (talleia). Cette taxe exceptionnelle, sans périodicité fixe, que le seigneur exige de ses vassaux, apparaît au xiie siècle. Dans le Haut-Maine voisin, Bruno Lemesle trouve une première mention en 1100 puis en 1127, avant de la voir régulièrement mentionnée8. Dans le Vendômois, c’est un peu plus tardif, en 11349. La mention de la taille levée sur l’Aleu se singularise par sa précocité (1111) et sa précision. En effet, il est alors rare de trouver le détail des cas qui justifient la levée de la taxe. Elle est ici définie comme le devoir d’aider Guillaume de Verney à financer trois cas : le paiement de sa rançon, s’il devait un jour être fait prisonnier, l’équipement de chevalier lors de la cérémonie d’adoubement de son fils aîné et le mariage de sa fille aînée. La mention singulière de la captivité de Guillaume « dans sa maison » à Verney pour dix livres dues à Adalard de Château-Gontier, un des plus puissants seigneurs d’Anjou, n’est toutefois pas sans suggérer des difficultés économiques (et expliquer l’insistance sur la levée de la taille qui précise bien la « capture du corps du seigneur » parmi les cas légitimes de levée de la redevance). La précision des conditions dans lesquelles la taille est exigée – les cas – pourrait bien être liée au passage de la terre de l’Aleu dans le patrimoine monastique. Le seigneur de Verney, comme les moines de Saint-Serge, défendent leur intérêt, le premier en maintenant le prélèvement qu’il opérait sur ses vassaux, les seconds limitant l’occasion de ces prélèvements en en précisant les conditions. Cette hypothèse n’exclut pas la possibilité que ces cas préexistaient à cet accord, mais c’est à l’occasion du passage dans le patrimoine monastique qu’ils apparaissent.
8La documentation disponible permet d’affiner la connaissance de cette famille de Verney, qui détient des attributs caractéristiques d’un seigneur féodal, comme la taille. L’acte daté du 21 septembre 1111 a été fait à Verney, dans la maison (domus) de Guillaume, devant de nombreux témoins parmi lesquels se trouvaient Alleaume et Gifard, ses écuyers (armiger).
9Guillaume apparaît comme un seigneur bien placé dans la hiérarchie féodale angevine, implanté à Verney, où se voient aujourd’hui les vestiges d’une motte féodale entourée d’un fossé en eau dont on peut supposer qu’elle est déjà édifiée au moment où se déroule cette affaire de l’Aleu. En effet, un acte du cartulaire de Saint-Serge mentionne dès les années 1082-1093, un « plessis de Verney » pour localiser une terre donnée aux moines par Sigebrand de Querré10, paroisse située à environ un kilomètre au nord-est de la motte. De plus, une notice du cartulaire de Saint-Laud d’Angers mentionne que Guillaume de Verney possédait une pêcherie située près de la « tour de Paulin » (Turris Paulini), du nom de son oncle paternel, le premier de la famille à porter le surnom « de Verney », dans les années 108011. Ces indices concordent pour admettre qu’un édifice fortifié existait à Verney, dès la fin du xie siècle, probablement déjà la motte.
10Guillaume de Verney avait un frère aîné, Geoffroy, dont un acte du cartulaire de Saint-Nicolas d’Angers rapporte qu’il fut mortellement blessé à Castrum Jolam, dans l’armée du comte Foulques Réchin, avant d’être transporté à Angers où il prit l’habit monastique à Saint-Nicolas devant l’abbé Lambert12. Les Verney sont ainsi liés à plusieurs communautés religieuses angevines – Saint-Serge, Saint-Laud, Saint-Nicolas, mais aussi Saint-Aubin – dont ils jouissent des bienfaits spirituels. Cette proximité avec les grands établissements monastiques angevins, s’ajoutant à la vassalité des comtes d’Anjou et aux éléments énoncés ci-dessus, tout concourt à faire de Guillaume de Verney le représentant d’un puissant lignage seigneurial de rang châtelain.
11Les sources fournissent pourtant un éclairage singulier sur les origines de cette famille. Guillaume et Geoffroy de Verney, ainsi que leurs demi-frères Étienne et Payen, sont les fils de Bernon de Verney qui apparaît dans les années 1060, notamment dans l’entourage de Geoffroy, fils de Rorgon, seigneur du Lion-d’Angers, une petite ville fortifiée située non loin de Verney13. Ce Bernon avait un frère aîné, Paulin de Verney, décédé avant lui, et deux cadets nommés Albéric et Geoffroy14. Albéric de Verney devint moine à Saint-Aubin d’Angers, quant à Geoffroy, on ne sait rien de lui, les sources le désignant toujours par rapport à ses frères15. Cette famille semble assez riche puisqu’elle possède ses propres colliberts16 et des biens fonciers situés autour de Champteussé-sur-Baconne, Sceaux, Thorigné, Cherré et, plus au nord, du côté de Ménil dans la Mayenne angevine17.
12Comme c’est souvent le cas pour la petite et moyenne aristocratie angevine, les traces des « de Verney » ne remontent pas au-delà des années 1060, moment à partir duquel les sources deviennent plus nombreuses18. Néanmoins, une piste permet d’envisager que cette fratrie descendrait du prévôt d’Angers, Geoffroy, dont on sait qu’il avait eu quatre fils appelés justement Paulin, Bernon, Albéric et Geoffroy, sans qualificatif de lieu19.
Les origines serviles des seigneurs de Verney
13Le prévôt d’Angers Geoffroy était le fils d’un dénommé Bernon qui occupait la même fonction sous Foulques Nerra (987-1040) et que l’on voit notamment présider pour le comte à un partage de serfs avec l’abbé Frédéric de Saint-Florent de Saumur20. La rareté de cet anthroponyme permet en outre de proposer un rapprochement avec un prévôt plus ancien appelé également Bernon, attesté en 1000, et d’envisager un lignage de prévôt sur au moins trois générations21.
14Des travaux ont déjà montré que les prévôts comtaux pouvaient être d’origine servile22. C’était probablement le cas du prévôt Geoffroy et de ses quatre fils si l’on se fie à une notice de Saint-Aubin datant de 1062 dans laquelle on apprend qu’un chevalier et « vassal illustre » appelé Hamelin est mort brutalement « surpris par l’attaque d’ennemis et tué cruellement23 ». Son corps est enterré dans le monastère de Saint-Aubin le 30 mai 1062 par sa femme et ses enfants qui, accablés de douleur et inquiets pour le salut de son âme, affranchissent un collibert nommé Josselin (Goslenus) et toute sa postérité24. Ce dernier a cherché et obtenu la confirmation des seigneurs supérieurs qui détenaient le fief d’Hamelin duquel il dépendait afin que son nouveau statut d’homme libre ne puisse pas être contesté. Par prudence, il a également prié les moines qu’on rédige un acte expliquant comment il a obtenu la liberté25.
15L’acte est confirmé par de prestigieux témoins : Otbran et Arraud (Adraldus), respectivement abbés de Saint-Aubin et Saint-Nicolas d’Angers, des dignitaires du chapitre de la cathédrale Saint-Maurice, à savoir le doyen Ansier, les archidiacres Renaud et Geoffroy le Saintongeais, et le sénéchal de l’évêque, Hugues. Les quatre fils de l’affranchi sont bien évidemment présents et nommés : Paulin, Bernon, Albéric et Geoffroy (Paulinus, Berno, Albericus et Goffredus), puisque l’affranchissement est étendu à la descendance de Josselin.
16Il paraît impensable qu’il ne s’agisse pas de la même fratrie que celle des premiers seigneurs de Verney étant donné la grande rareté du nom de Bernon et surtout de celui de Paulin, quasi unique dans les sources angevines. Leur combinaison – dans le même ordre – avec Albéric et Geoffroy ne peut donc être le fruit du hasard. Dès lors, il reste à comprendre pourquoi leur père s’appelle ici Goslenus et non Gosfridus.
17Il peut s’agir d’un problème de tradition documentaire. En effet, la rédaction originale de cette notice de Saint-Aubin a été perdue. Elle n’est connue que par deux copies modernes des xviie et xviiie siècles26. Dans la plus ancienne des deux copies, comme dans l’édition, l’abbé de Saint-Nicolas d’Angers est appelé Achardus au lieu d’Adraldus, ce qui prouve que les noms n’ont pas tous été bien retranscrits. De plus, si dans l’édition des cartulaires de l’abbaye Saint-Aubin d’Angers par Arthur Bertrand de Broussillon, Paulin est qualifié de filius praefati Gosleni, ce n’est pas le cas dans les deux copies modernes qui le désignent comme filius praefati G. Autrement dit, l’anthroponyme Goslenus n’est écrit entièrement qu’une seule fois dans chacune des copies, probablement à l’instar de leur modèle, peut-être la rédaction originale27. Cette manière d’abréger les noms n’est pas unique puisque l’on en trouve un autre exemple pour celui que nous considérons comme étant le même personnage, à savoir Paulinus, filius prepositi G., daté de la même année 106228, mais elle peut favoriser les erreurs, notamment entre deux noms commençant par les mêmes lettres : Gos-slenus/Gos-fridus ou Gaus-linus/Gaus-fridus. Enfin, la piste d’une confusion entre ces deux anthroponymes de la part du rédacteur de la notice dès le xie siècle est renforcée par l’existence d’un précédent, repéré par à la même époque par Olivier Guillot29.
18Ainsi, l’identité entre le Goslinus affranchi de la notice de Saint-Aubin et l’ancien prévôt d’Angers Gausfridus ne fait pas de doute et l’erreur dans les noms peut facilement s’expliquer. D’ailleurs, la qualité prestigieuse des témoins de cet affranchissement et le fait que l’initiative de la rédaction de l’acte provienne du bénéficiaire de cette libéralité plaident plutôt en faveur d’un homme au statut certes non libre, mais dont l’envergure sociale pourrait correspondre à celle d’un prévôt comtal. On peut remarquer dans la notice de 1111 que l’un des frères bâtards de Guillaume de Verney, Étienne, est surnommé « Golibertus » ce qui ne manque pas de faire écho à collibertus terme équivalent à serf dans la région30. Serait-ce une trace de son passé familial ? Peut-être était-il déjà né au moment où son père a été affranchi avec son grand-père et il en aurait alors conservé ce surnom. À moins qu’il n’ait pas été concerné par l’affranchissement des descendants de Geoffroy en tant que fils illégitime de Bernon…
19Il reste à déterminer comment et à quel moment Geoffroy ou bien ses fils ont reçu le domaine de Verney. Ce fut très certainement après leur affranchissement, comme le suggère la chronologie de l’apparition du qualificatif « de Verney » à partir des années 1080, et ce sont probablement les comtes d’Anjou qui leur ont octroyé ce domaine puisque ces derniers semblent détenir des droits élargis dans le secteur de Thorigné, à proximité de Champteussé-sur-Baconne où se situe Verney31. Mais il n’est pas exclu que Bernon, en tant que prévôt comtal, ait pu recevoir ce bien en rémunération de sa charge.
20Guillaume de Verney apparaît donc au xiie siècle à la tête d’une seigneurie assise sur un manoir fortifié, ayant autorité sur des vassaux, levant la taille, redevance caractéristique du droit de ban. Il a pourtant des origines serviles. Le service du comte d’Anjou assuré par ses ancêtres, depuis au moins l’an mil, lui a permis de s’élever socialement et d’obtenir l’affranchissement et une seigneurie. Cet itinéraire rappelle combien la distinction entre condition sociale et statut juridique importe au xie siècle. La macule servile ne pèse pas de la même manière lorsque l’on est prévôt comtal ou simple paysan. Pour autant, elle ne disparaît pas complètement, comme le rappelle ce surnom de « Golibertus » porté par son demi-frère, et peut-être certains rites imposés à nos protagonistes. Ainsi, une notice du cartulaire de Saint-Serge met en scène Guillaume de Verney à l’occasion d’un rite d’humiliation32. Alors qu’il réclamait aux moines installés à Thorigné certaines coutumes, à savoir un sommier pour l’ost et la taille, ce qu’il ne pouvait pas prouver, il finit par abandonner sa contestation et rendre à l’abbaye ce qu’il avait injustement perçu. Mais en raison du forfait, il dut faire pénitence lors d’une cérémonie codifiée relatée avec détails par le scribe de la notice. Il lui fallut ainsi venir à Thorigné et se présenter devant l’autel « déchaussé et tenant une verge », devant neuf témoins dont le doyen du chapitre de la cathédrale d’Angers, afin de donner satisfaction à l’abbé33. Ce rite de pénitence n’est certes pas isolé, il est néanmoins rare34. Le souvenir des origines serviles de Guillaume de Verney a pu peser dans le choix de cette forme de pénitence néanmoins, l’âpreté du conflit entre Guillaume et Saint-Serge peut justifier davantage l’accomplissement d’un tel rite, et montrer paradoxalement le prestige acquis par les descendants du prévôt Bernon.
21Singulier éclairage sur la société angevine que cette notice de Saint-Serge, qui, remise en perspective, nous informe à la fois sur le droit successoral à travers les mésaventures conjugales de Gosberge et son mari trompé, Bernard, mais aussi sur l’histoire sociale. Ce cas d’ascension sociale de serfs par le service du comte n’est pas sans rappeler d’autres itinéraires de « ministériaux huppés35 », tel ce chevalier-serf, Alcher de Villetard, que les moines de Marmoutier affranchissent tandis qu’il renonce à sa charge de maire rural36, ou, ces serviteurs du comte de Flandre, Charles le Bon, dont l’ascension rapide a fait ressurgir des accusations en servage37. L’ascension des Verney est-elle représentative de la situation d’autres lignages ligériens du xie siècle, ou demeure-t-elle exceptionnelle : l’enquête reste à mener.
Annexe
Annexe 1. Généalogie du lignage de Verney
Annexe 2. Édition de la source
1111, le 21 septembre – Verney, in domo Willelmi
Notice sur l’acquisition de la terre de l’Aleu par les moines de Saint-Serge d’Angers. La terre appartenait à Mainard le Poitevin. Sa femme, Ermenilde, la remit à sa fille, lors de son mariage avec Bernard fils d’Oger. Ce dernier la répudia lorsqu’il la surprit une nuit avec un clerc. Ayant perdu tout droit sur la terre, celle-ci revint dans la garde de Guillaume de Charray jusqu’à ce que Girard, le frère de Gosberge, soit en âge de la tenir. Les moines de Saint-Serge ont alors négocié avec Ermenilde, Girard et les différents seigneurs de la terre – Guillaume de Charray, Guicher de Marans et son fils Philippe et Guillaume de Verney – lors de la concession de l’Aleu aux religieux contre le victus et le vestitus pour Girard, ainsi que la possibilité d’être reçu comme moine.
A – Rédaction présumée originale sur parchemin, abîmé, larg. 295/280 mm, haut. 364/390 mm ; partie supérieure du chirographe, avec en son bord inférieur, décalé à droite, la devise chirographaire cirographum dont on voit le haut des lettres. Arch. dép. Maine-et-Loire, H1214 no 1 (Artem no 3321).
B – Copie du xviiie siècle, d’après A, par Roger de Gaignières, BnF, ms. lat. 5446, fo 201-202.
C – Copie du xixe siècle, d’après A, par Paul Marchegay, AD 49, H 778bis, fo 293 ro-vo et 294 ro.
La feuille de parchemin est incomplète : en haut à gauche, ainsi qu’au bord inférieur gauche (sur sept lignes de hauteur). Le bord droit présente des taches d’humidité qui empêchent de lire certaines lettres.
[…40… fid]elibus sanctȩ ecclesiȩ et maxime hujus loci successoribus qualiter nos habuimus terram quȩ dicitur /2/ […40…quidam] homo nomine Mainardus cognomento Pictavimus cui eadem terra competebat per patrimonium /3/ […12…]ne Erm[enildis… M]ainardus fuit mortuus remansit Ermenildis uxor ejus cum duabus pueris quos habebat de eo, uno /4/ masculo et alia femina. [Sed post ?…8… al]iquanto tempore vidua vixisset, accepit in uxorem illam filiam suam, quȩ habebat nomen Gosberga, quidam /5/ miles nomine Bernardus filiusa) Oggerii forestarii, et simul cum ea accepit hanc terram de qua loquimur. Fuerunt ergo simul aliquo tempore, nescio quamdiu. /6/ Sed cum tardius ad eam redisset, quadam nocte invenit eam facientem stultitiam de corpore suo, nam cum quodam clerico invenit eam for- /7/ -nicantem. Quam ob rem iratus cecavit clericum et ejus virilia amputavit. Mulierem quoque deseruit propter hanc causam fornicati- /8/ -onis, et istam terram quam cum ea acceperat dominis de quibus eam tenebat reliquit. Tunc cepit in manu sua terram Willelmus de Carreris de cujus /9/ fevo erat, usquequo posset filius Mainardi nomine Girardus qui adhuc puer erat, et frater germanus mulieris dimissȩ, quia ipsa /10/ habebat totum forsfactum et infantem non habebat qui tenere debuisset, quia nullum omnino habebat. Hic ergo puer Girardus debe- /11/ -bat tenere de Willelmo de Charreris, et Willelmus tenebat de Guicherio de Marenz, et de Philippo filio ejus, et Guicherius tenebat de /12/ Willelmo de Verneia. Cum omnibus istis fecimus tale placitum de supradicta terra. Girardus donavit se ipsum et illam terram de Alodo, quę est /13/ de fevo de Verneia, Deo et sancto Sergio consilio et voluntate matris suȩ quȩ adhuc vivebat, de cujus patrimonio tota illa causa /14/ movebat, tali convenientia ut quandiu viveret curaremus eum de victu et vestitu, quia tunc querebat panem suum de ostio in ostium, /15/ et quando voluerit fieri monachus, recipieturb). Hoc donum quo Girardus ita donavit se et terram, concessit Guillelmus de Charreris /16/ tali pacto ut eum reciperemus ad monachum quando ipse vellet, Wicherio de Marenz et Philippo filio ejus dedimus […12…] /17/ et concesserunt Deo et sancto Sergio et nobis terram solutam et quietam ab omnibus querelis et exactionibus et talle[iam] preter III […]rretas […] /18/ capitalis domini de Verneia, hoc est pro prensione corporis sui, et quando filius ejus primogenitus erit miles et quando primogenit[…] /19/ ejus dabitur marito, et quando ipse faciet emptionem, Wicherio vero de Marenz et omnibus heredibus ejus nullam talleiam facie[…] /20/ nec adjutorium et nichil omnino nisi sponte nostra preter septem solidos de servitio qui omni anno reddentur. Willelmus quoque de /21/ Verneia qui capitalis dominus erat et Mabilia uxor ejus et Gosfridus filius ejus ista omnia sicut scripta sunt ita concesserunt ut suas /22/ quattuor legales talleias reddamus dominis qui de illo tenebunt et de quibus nos tenebimusc) et illi reddant Willelmo vel domino Verneiȩ. /23/ Si vero domini de Marenz de quibus nos tenebimus defecerint de servitio Willelmi vel domini Verneiȩ, prius dicet monacho de Torinniaco /24/ et mittet ei competentem terminum quo possit habere suum guarent, et si monachus non potuerit habere guarent ad terminum, illos /25/ VII solidos de servicio non reddet amplius monachus Marentianis, sed domino de Verneia reddet usquequo sint adcordati dominus /26/ de Verneia et ille de Marenz. Pro hac concessione habuit Willelmus de Verneia quinquaginta solidos et uxor ejus Mabilia unum sexta- /27/ -rium frumenti, et concesserunt ista sicut scripta sunt ipsi et Gosfridus filius eorum ; Bernardus quoque filius Oggerii qui hanc terram habuerat sicut /28/ supradiximus habuit de nobis quinque solidos et concessit ista omnia. Facta sunt igitur hec et concessa <XI> kalendas octobris apud Verneiam in domo /29/ Willelmi ubi ipse Willelmus tenebat prensionem pro decem libris quas debebat Adelardo de Castro Gunterii, pro eo quod traxerat eum /30/ de prensione Willelmi de Fano. Ista omnia sicut sunt hic vel scripta vel dicta viderunt et audierunt isti testes, domnus abbas Walterius qui con- /31/ -cessionem hujus rei recepit ad opus sancti, et Ainricus monachus, Godefredus monachus, et Lisoius monachus, et Ernaldus presbiter Torinniaci. Laici de nostra /32/ parte viderunt isti, Britto de Capella, Isembertus bachelarius, Dodo Russellus frater ejus, Hubertus filius Orieldis, Walterius Jacob, Otgerius filius Belot, /33/ Rainaldus Pichardus, Herveus de Mortuo Fonte, Granusd) de Tercia Curte sororius Hervei, Frogerius faber, Ganulfus, Gaudinus, Stephanus /34/ Bernigaut, Guichardus filius Oggerii, Fulcoius, Gosfridus filius Durandi, Drogo Cornutus, Johannes Cornutus, Stephanus Roundel, Herois /35/ corvisarius, Ermenricus boverius. De parte Willelmi viderunt isti, ipse Willelmus, Philippus de Marenz, Grafinus de Crere, Bernardus filius Ogerii, /36/ [S]tephanus Golibertus frater bastardus Willelmi, Radulfus Girburgis, Adelelmus armiger Willelmi, Gifardus alter armiger ejus, Johannes Malum Faciens, /37/ […]erius, Radulfus de Cantosciaco frater Ganulfi, Ratfredus de Verneia, Rainbaldus suus nepos qui cognominabatur Guleta. /38/ […15…]ore in die festivitatis primȩ sancti Michaelis hoc est IIIo kalendas octobris venit in nostro capitulo Philippus de Marenz, ipse et Garinus Rufus avun- /39/ -[culus…20…]o ista omnia, et ambo receperunt beneficium hujus loci a domno Walterio abbate, et concessionem hujus rei miserunt ibi in manu ejusdem /40/ […10…] portaverunt super altare. Hoc iterum viderunt isti, Rainerius famulus cellararius, Rivallonus Brittellus, Blancardus coqus, Gosfridus Buaret, /41/ […] filius Unfredi, Bertrannus filius Alpez carpentarius. Acta sunt hȩc regnante in Francia Ludovico filio Philippi, Andecaven[se] /42/ comite Fulcone filio Fulconis junioris, presule vero ejusdem gentis Rainaldo juniore, abbatiȩ autem nostrȩ presidente domno abbate Walterio, /43/ anno ab incarnatione Domini millesimo centesimo undecimo.
a) corr. pour filii. – b) -ci- ajouté en interligne. – c) -bi- ajouté en interligne. – d) corr. pour Granum, le scribe ayant mis un tilde au-dessus du –u.
Traduction
[Nous faisons savoir] aux fidèles de la sainte Église et surtout aux successeurs de ce lieu comment nous eûmes la terre qu’on appelle [L’Aleu et qu’avait] un homme du nom de Mainard surnommé le Poitevin, à qui ladite terre appartenait par héritage [… Après que] Mainard fut mort, resta son épouse Ermenilde avec deux enfants qu’elle avait de lui, un garçon et une fille. [Après] quelque temps où elle avait vécu veuve, un chevalier nommé Bernard fils d’Oger le Forestier prit pour femme cette sienne fille qui avait pour nom Gosberge, et il reçut en même temps avec elle cette terre dont nous parlons. Ils furent donc ensemble quelque temps, j’ignore combien. Mais alors qu’il était revenu près d’elle, assez tard, une certaine nuit, il la trouva commettant une folie de son corps, puisqu’il la trouva forniquant avec un clerc. Rendu furieux par cela, il aveugla le clerc et l’amputa de ses parties viriles. Il répudia aussi la femme pour ce motif de fornication et abandonna cette terre qu’il avait reçue avec elle aux seigneurs desquels il la tenait. Alors Guillaume de Charray, du fief duquel elle relevait, prit en sa main la terre jusqu’à ce que le fils de Mainard, nommé Girard, qui était encore enfant, [le] puisse. Il était le frère germain de la femme répudiée et parce qu’elle avait forfait totalement et n’avait pas d’enfant qui aurait dû tenir [la terre], parce qu’elle n’avait absolument aucun [droit]. Donc cet enfant Girard devait [la] tenir de Guillaume de Charray et Guillaume [la] tenait de Guicher de Marans, et de Philippe son fils, et Guicher [la] tenait de Guillaume de Verney. Avec tous ceux-ci nous fîmes ce plaid au sujet de ladite terre. Girard fit don de sa personne et de cette terre de L’Aleu qui relève du fief de Verney à Dieu et à saint Serge par le conseil et la volonté de sa mère, qui vivait encore, du patrimoine de laquelle toute cette affaire (causa) relevait, selon cet accord (convenientia) que, aussi longtemps qu’il vivrait, nous prendrions soin de lui, par la nourriture et le vêtement, puisqu’alors il cherchait son pain de porte en porte, et que, quand il voudrait devenir moine, il serait reçu. Guillaume de Charray concéda ce don par lequel Girard se donna lui et la terre, par ce pacte que nous le recevrions comme moine quand il le voudrait. Nous avons donné à Guicher de Marans et à Philippe son fils [… une compensation ?…] et ils concédèrent à Dieu, à saint Serge et à nous la terre, libre et quitte de toutes querelles et exactions, et la taille à l’exception [… de ces 4 tailles ?…] du seigneur éminent de Verney, c’est-à-dire pour la capture de son corps, quand son fils aîné deviendra chevalier et quand [sa fille] aîné(e) sera donnée à un époux et quand lui-même fera un achat, et il ne fera […] aucune taille sur Guicher de Marans et tous ses héritiers, ni d’aide, ni rien d’autre si ce n’est par notre volonté, en dehors de sept sous de service qui seront payés chaque année. En outre, Guillaume de Verney, qui était seigneur éminent, et Mabilia, son épouse, et Geoffroy son fils, concédèrent tout cela tel que c’était écrit, de sorte que nous versions leurs quatre tailles légales aux seigneurs qui tiendront de lui [la terre] et desquels nous [la] tiendrons, et que ceux-ci [les] versent à Guillaume ou au seigneur de Verney. Si cependant les seigneurs de Marans, desquels nous tiendrons, manquaient au service de Guillaume ou du seigneur de Verney, qu’il (le seigneur de Verney) le dise d’abord au moine de Thorigné et qu’il lui propose une échéance convenable, où il puisse avoir son garant et si le moine ne pouvait avoir de garant à la date, il ne versera pas ces sept sous de service aux Marandais mais il [les] versera au seigneur de Verney jusqu’à ce que le seigneur de Verney et celui de Marans se soient accordés. Pour cette concession Guillaume de Verney eut de nous cinquante sous et sa femme Mabilia un setier de froment et ils concédèrent cela comme c’est écrit, eux et leur fils Geoffroy, et Bernard fils d’Oger qui avait tenu cette terre, comme nous l’avons dit plus haut, eut cinq sous et concéda tout cela. Ces choses furent établies et concédées le 11 des calendes d’Octobre [le 21 septembre] à Verney, dans la maison de Guillaume où ledit Guillaume était tenu captif pour dix livres qu’il devait à Adalard de Château-Gontier pour la raison qu’il l’avait tiré de la prison de Guillaume de Feneu. Les témoins suivants ont vu et entendu toutes ces choses, telles qu’elles ont été ici écrites et dites : l’abbé Gautier qui a reçu la concession de cette chose pour le profit du saint et Henri, moine, Geoffroy, moine, et Lisois, moine, et Ernaud, prêtre de Thorigné. Des laïcs de notre parti ont vu cela : Britto de La Chapelle, Isembert bachelarius38, Dodo Russel son frère, Hubert fils d’Orieldis, Gautier Jacob, Oger fils de Belot, Renaud Pichard, Hervé de Mortuo Fonte39, Granum de Tessecourt, beau-frère d’Hervé, Froger forgeron, Ganulfus, Gaudin, Étienne Bernigaut, Guichard fils d’Oger, Foucois, Geoffroy fils de Durand, Dreu Cornutus, Jean Cornutus, Étienne Roundel, Herois corvisier, Emeric bouvier. Du parti de Guillaume, ont vu cela : ledit Guillaume, Philippe de Marans, Grafin de Querré, Bernard fils d’Oger, Étienne Golibertus, frère bastard de Guillaume, Raoul Girburgis, Alliaume écuyer de Guillaume, Gifard, son autre écuyer, Jean le Malfaisant, […]erius, Raoul de Champtocé frère de Ganulfus, Ratfred de Verney, Raimbauld, son neveu, que l’on surnomme Guleta. […15…]ore le jour de la première fête de saint Michel, le 3e jour des calendes d’octobre [29 septembre], Philippe de Marans est venu à notre chapitre, lui-même et Garin Le Roux son oncle maternel […] reçurent tous deux le bienfait de ce lieu de la part du seigneur abbé Gautier et ils posèrent la concession de cette chose dans la main de celui-ci et [ensuite la] portèrent sur l’autel. De nouveau ceux-ci ont vu : Rainier famulus du cellérier, Rivallon Brittel, Blanchard cuisinier, Geoffroy Buaret, […] fils d’Unfroy, Bertrand fils d’Alpez charpentier. Ces choses furent accomplies alors que Louis, fils de Philippe, régnait en Francie, Foulques, fils de Foulques le jeune [étant alors] comte des Angevins, Renaud [III] le jeune [étant alors] évêque des mêmes, Gautier présidant [alors] seigneur abbé notre abbaye, en l’an de l’incarnation du Seigneur mille cent onze.
Notes de bas de page
1Nous remercions Dominique Barthélemy, Jean-Michel Cauneau et Laurent Morelle pour leur aide et suggestions précieuses. Senséby Chantal (dir.), L’écrit monastique dans l’espace ligérien (xe-xiiie siècle). Singularités, interférences et transferts documentaires, Rennes, 2018.
2L’Aleu, l.-d., cne Thorigné-d’Anjou, arr. Segré, dép. Maine-et-Loire.
3Arch. dép. Maine-et-Loire, H1214, no 1 (archives de l’abbaye Saint-Serge d’Angers). L’abbaye Saint-Serge-Saint-Bach d’Angers a été fondée hors de la cité d’Angers, rive gauche de la Maine, sous les Mérovingiens (à une date mal établie). L’abbaye relève de l’autorité épiscopale et c’est l’évêque Hubert (1006-1047) qui en organise la réforme en faisant appel à l’abbaye de Marmoutier, en 1046. Le premier abbé désigné est le moine tourangeau Vulgrin. Le rayonnement de Saint-Serge reste essentiellement angevin.
4Dominique Barthélemy rappelle que le droit autour de la dot au xie siècle est moins bien établi que celui relatif au douaire, ce qui peut expliquer les précautions des moines prises à l’égard de Bernard (« Note sur le maritagium dans le grand Anjou », Femmes, mariages, lignages, xiie-xive siècles. Mélanges offerts à Georges Duby, Bruxelles, 1992, p. 9-24). Par ailleurs, Emmanuelle Santinelli montre bien que la dot est reçue par le mari en même temps que son épouse mais que cela ne met pas en cause les droits de la femme sur le patrimoine reçu de ses parents. Le droit franc n’accorde aucun droit au conjoint survivant. L’article n’aborde pas la question de la répudiation et de ses conséquences, néanmoins, il met bien en lumière l’absence de droits du mari, ici de Bernard. Sans descendance, le bien passe dans la main de l’autre héritier de Mainard le Poitevin, Girard. (« Ni “Morgengabe” ni “tertia” mais dos et dispositions en faveur du dernier vivant. Les échanges patrimoniaux entre époux dans la Loire moyenne (viie-xie siècle) », Bougard François, Feller Laurent et Le Jan Régine (dir.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2002, p. 245-275).
5Faut-il prendre cette allusion à la lettre ? C’est possible, dans la mesure où nous n’avons pas trouvé de réminiscence de cette formule dans la Bible.
6L’épineuse question de l’alleu a fait l’objet d’une enquête minutieuse sous la direction de Carrier Nicolas, Alleux et alleutiers. Propriété foncière, seigneurie et féodalité (France, Catalogne, Italie, xe-xiie siècle), Lyon-Avignon, De Boccard, 2021. Nicolas Carrier insiste en particulier sur la prudence à avoir pour définir l’alleu et rappelle la variété des interprétations des historiens (« Alleux et alleutiers : acquis anciens et interrogations récentes », p. 9-24). Nous retenons ici surtout l’idée que l’alleu renvoie à l’importance des droits de la parenté (transmission patrimoniale du bien) et que cela n’exclut pas l’inclusion dans le système féodal, comme le montre bien cette notice où se conjuguent la notion de succession héréditaire d’un bien patrimonial, sur lequel se sont greffés des droits féodaux. Le toponyme « Alodum » rappelle l’origine du bien, lequel a fait l’objet d’inféodations, sans effacer les droits de la parenté à transmettre le bien à sa descendance ou à le céder. Dans les « Glânes dans les chartes vendômoises » (ibid., p. 117-125), Dominique Barthélemy rappelle que fondamentalement l’alleu est une terre privilégiée, tenue par un possesseur honorable et libre (ibid., p. 120) et se rapproche du fief, lui-même largement patrimonialisé au xie siècle. Ici, la terre de l’Aleu a servi à constituer une dot. Dominique Barthélemy a souligné également la compatibilité de la dot avec la féodalité, repérant dans le Vendômois et en Anjou l’alternance entre inféodations et dons en dot de certaines terres (« Note sur le “maritagium” »…, op. cit., p. 20).
7AD49, H1214, no 1 : illam terram de Alodo que est de fevo de Verneia.
8Lemesle Bruno, La société aristocratique dans le Haut-Maine (xie-xiie siècles), Rennes, PUR, 1999, p. 173-176.
9Barthélemy Dominique, La société dans le comté de Vendôme, de l’an mil au xive siècle, Paris, Fayard, 1993, p. 739. La taille est étudiée aux pages 738-740. Il cite le cas de la fondation de Bois-Ruffin dans le pays Chartrain qui date des années 1113-1129. La date haute la rapproche de la notice de l’Aleu.
10Cartulaires de Saint-Serge, op. cit. t. I, p. 249 n. 618, no B 287 : 1082-1093.
11Cartulaire du chapitre de Saint-Laud d’Angers, Adrien Planchenault (dir.), Angers, 1903, p. 43-44, no 30 : 1102-1125 ; Cartulaires de Saint-Serge, op. cit., t. II, p. 556, no 81, B’138. Cf. tableau généalogique, à la fin de cette étude.
12Cartulaire de Saint-Nicolas p. 207, no 129 : 1096-1117. Le castrum Jolam n’est pas identifié, peut-être faut-il lire « castrum Jolani » ce qui pourrait renvoyer à la Haie-Joulin, à Saint-Sylvain d’Anjou (commune de Verrières-en-Anjou), où se trouvait une motte authentique près de la fausse motte actuelle à vocation pédagogique. L’abbaye Saint-Nicolas d’Angers a été fondée par le comte Foulques Nerra en 1020, sur la rive droite de la Maine, face à la cité d’Angers. Le comte aurait fait le vœu de construire un sanctuaire à ce saint après avoir risqué le naufrage lors d’une tempête, durant un de ses pèlerinages en Terre Sainte. L’abbaye reste principalement implantée en Anjou.
13Cartulaire de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers, Bertrand de Broussillon (dir.), Angers, 1903 (3 vol.), t. I, p. 191-193, no 167 (désormais Cartulaire de Saint-Aubin).
14Cartulaire de Saint-Nicolas p. 206-207, no 128.
15Ibid. et Cartulaire de Saint-Aubin, t. II, p. 24-25, no 414.
16Cartularium monasterii beatæ Mariæ caritatis Andegavensis, Paul Marchegay (dir.), Archives d’Anjou, t. III, Angers, 1856, p. 32, no 36 (désormais Cartulaire du Ronceray).
17Cartulaire noir de la cathédrale d’Angers, Charles Urseau (dir.), Paris/Angers, 1908, p. 281-282, no 189 ; AD49, H1193, no 21 ; H1214, no 1 ; Cartulaire de Saint-Nicolas, p. 206-207, no 128 et no 129.
18Barthélemy Dominique, La société dans le comté de Vendôme… op. cit., p. 19-35.
19Cartulaire de Saint-Aubin, t. I, p. 185-187, no 160 : 1056-1059 ; Ibid., t. I, p. 222, no 191 ; Cartulaire de l’abbaye cardinale de la Trinité de Vendôme, Charles Métais (dir.), Paris, 1893-1897, 4 vol., t. I, p. 346-347, no 216.
20Cartulaire de Saint-Aubin, t. I, p. 13-14 : no 5 ; Cartulaire du Ronceray, p. 115, no 172 (sans la mention de prévôt) ; Livre noir de Saint-Florent de Saumur, BnF, n. acq. lat. 1930, fo 129 ro-vo (édité par Halphen Louis, Le comté d’Anjou au xie siècle, Paris, Picard, 1906, p. 352-354) : 1022-1039.
21Cartulaire noir de la cathédrale… op. cit., p. 53, no 22.
22Olivier Guillot, avait fait connaître le parcours de Robert, fils de Froger, affranchi en 1047 en considération de la libéralité du service qu’il lui a fourni, et qui est devenu prévôt d’Angers peu après (Guillot Olivier, Le comte d’Anjou et son entourage au xie siècle, Paris, Picard, 1972, t. II, p. 414).
23Cartulaire de Saint-Aubin, t. II, p. 7-8, no 401 : Hamelinus, militaris vir et vavassor illustris, cum esset jam provectæ ætatis et post decursam tam longo tempore militiam, magis jam exspectaret in pace quam gladio finire vitam, secundum dispositionem Dei creatoris, in cujus manu mors et vita consistit, ab occursantibus de improviso inimicis crudeliter occisus est.
24Ibid. : conjux illius, Hildeburgis, filiique eorum, Hubertus atque Giraldus, et dolore confecti et de anima dilectissimi patroni sui solliciti, pro remissione peccatorum ejus, Goslenum collibertum suum ab omni jugo nativæ servitutis, quantum in ipsis erat, absolverunt et liberum esse in perpetuum cum omnibus suis permiserunt.
25Ibid. : Ipse autem libertus factus, postmodum superiorum seniorum, de quorum beneficio in jus predicti Hamelini descenderat, auctoritatem et firmitatem diversis opportunitatibus temporum et perquirere et impetrare studuit, sicuti subinserta declarant signa, omnium quorum interfuit nominibus titulata.
26BnF, Duchesne, volume 22, fo 109 (xviie siècle) ; BnF, Dom Housseau, Fonds Touraine-Anjou, t. II-2, fo 100, no 656 (xviiie siècle).
27L’erreur sur le nom de l’abbé de Saint-Nicolas est commise dans la version de Duchesne, mais elle n’est pas présente dans celle de Housseau. On peut supposer que les deux copies sont indépendantes et que chacune d’entre elle a été faite d’après l’original.
28Cartulaire du Ronceray no 64 (p. 58).
29« Josselin » de Sainte-Maure est ainsi appelé « Geoffroy » de Sainte-Maure dans la copie du xie siècle d’un acte BnF, ms. lat. 12677, fo 179 (Guillot Olivier, Le comte d’Anjou… op. cit., t. II, p. 105-106, C 141).
30Sur les serfs et les colliberts, voir Barthélemy Dominique, La société dans le comté de Vendôme…, p. 485-487. Les deux termes sont permutables, renvoyant tous deux au servage, avec peut-être une différence d’usage, lié à une connotation plus savante pour servus, par rapport à collibertus, qui expliquerait un usage préférentiel du premier par les clercs.
31Les églises de Sceaux et de Thorigné ont été accaparées par Foulques Nerra avec l’héritage de l’évêque Renaud [II] mort en 1005 (Véron Teddy, L’intégration des Mauges à l’Anjou au xie siècle, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2007, p. 68-73 et Cartulaires de Saint-Serge, op. cit., t. I, p. 20-23, B 15). Le comte Geoffroy [II] Martel [1040-1060] donne aux moines de Saint-Serge les droits de justice [vicaria], les corvées [biannum] et toutes les coutumes sauf le feurre et la levée générale [excepto fodrio et proelio generali] sur toute la terre de Thorigné, preuve qu’il y détenait la souveraineté (ibid., t. I, p. 63-65, B 50). Enfin, en 1116, le comte Foulques [V] concède à ces mêmes moines le feurre de Thorigné (ibid., t. I, p. 315-317, B 409), signe que ses ancêtres y avaient conservé des droits.
32Ibid., t. II, p. 559, 81B’144 : 1103-1114/1118.
33Ibid. : pro forfacto venit Torinniacum et discaltiatus venit cum virga ante altare et satisfecit domno Walterio abbati et monachis ejus.
34Une notice de Marmoutier de la fin du xie siècle rapporte le cas de Martin Tirelle, qui a incendié la dépendance de Villeberfol (dép. Loir-et-Cher) : il se présente devant l’abbé de Marmoutier, Bernard, et les frères de la communauté, pieds nus et verge à la main, pour demander miséricorde. Il se fait ensuite l’homme des moines (BnF, ms. lat. 12878 dom E. Martène, « Preuves pour servir à l’histoire de l’abbaye de Marmoutier », no 374).
35Barthélemy Dominique, « Le servage et ses rites », La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu, Paris, Fayard, 1997, p. 93-171 et spécialement p. 160-165.
36AD41, 16H119, no 28, 1098 : Alcherius miles major noster de Villa Etardi atque servuus. Traduction par Dominique Barthélemy, « Enquête sur les asservis volontaires », La mutation de l’an mil…, op. cit. p. 92.
37Barthélemy Dominique, La France des Capétiens, Paris, 2012, parle à cet égard des « intrus dans la noblesse », p. 212-223.
38« Baccalarius » désigne un chevalier sans chasement, cf. Niermeyer J. F., Mediae latinitatis lexicon minus, fasc. 1, Leyde, 1976, p. 75.
39Mortefont ou Morteseaux.
Auteurs
Université d’Orléans (EA 4710 POLEN), Université de Tours (UMR 7324 CITERES-LAT).
Doctorant, université d’Orléans (EA 4710 POLEN) et université de Tours (UMR 7324 CITERES-LAT), professeur d’histoire et de géographie.
Sorbonne université.
Maîtresse de conférences en histoire médiévale, Sorbonne université, Centre Roland Mousnier.
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