Territoires de domination et structuration des communautés au miroir de la fiscalité comtale
Forcalquier et Fontienne, 1345
p. 227-236
Texte intégral
1Le 3 mai 1345, les habitants de Fontienne rassemblés devant l’église Sainte-Marie, en présence du vice-bayle royal Raymond Juliani1 et des syndics de la communauté de Forcalquier, réitèrent un accord passé entre les deux communautés sur leurs droits d’usage réciproques. À la demande des deux parties, le notaire public Raymond Thabaudi, investi par l’autorité comtale, rédige l’accord sous forme authentique. Le moteur principal de cette action est la réponse qu’il convient d’apporter à une criée, émise par la reine Jeanne Ire en mars 1345, qui proclame que les terres de pâture possédées par la cour comtale dans chaque communauté provençale doivent être interdites d’accès au bétail appartenant à des personnes qui ne vivent pas sur place ni ne paient de taxes en ce lieu2. Les officiers comtaux doivent collecter sur ces dernières une taxe spéciale – le pasquier – car leurs animaux sont considérés comme des troupeaux « étrangers ». Les intentions de l’autorité comtale sont claires ; elles s’inscrivent dans une politique de protection et de fiscalisation des usages et des activités entreprises sur les territoires de forêt relevant de la cour, mise en place entre la fin du xiiie siècle et les premières décennies du suivant3. Il convient également d’inscrire ces mesures dans l’histoire de la perception du pasquerium dans le comté de Forcalquier qui semble se normaliser à partir du début du xive siècle : dès 1253, la levée de cette taxe par les seigneurs locaux est récusée par la comtesse Béatrice de Provence, à l’exception de celle perçue sur les troupeaux séjournant sur leurs terres. En mars 1345, les communautés sont invitées à se porter partie contre les seigneurs et individus qui n’acquitteraient pas le pasquier, au même titre que la cour comtale4. On peut, enfin, souligner la volonté de protection des droits des sujets qui émane de la criée, employant une rhétorique typique du bien commun qui peut rejoindre les préoccupations des communautés5. Afin de ne pas subir cette fiscalité, de nombreuses communautés, de même que des individus, en appelèrent à la cour souveraine d’Aix et durent prouver leurs droits de pâturer sur le territoire de communautés voisines ; des enquêtes furent menées à cet effet par les officiers locaux. Ici, on peut aisément imaginer que la démarche de formalisation des droits de pâture de Forcalquier devait pouvoir soutenir une potentielle procédure d’appel devant les maîtres rationaux.
2L’intérêt de ce document ne réside pas dans l’originalité de son sujet mais bien plutôt dans la manière dont il nous est parvenu et dans ce que celle-ci révèle de l’organisation des communautés en ce milieu de xive siècle. Le texte est, en effet, conservé dans le « Livre des privilèges de Forcalquier », dont la rédaction fut achevée, pour la majorité de son contenu, dans le premier quart du xvie siècle, probablement avant 15276. Si le contexte et les motivations précises de la confection de ce recueil ne nous sont pas connus, il convient de rapprocher cette entreprise d’une série de délibérations prises par le conseil de la ville en cette même année 1527, qui montrent une volonté d’entretenir de bonnes relations avec les officiers ainsi que les autorités seigneuriales et épiscopales locales afin, vraisemblablement, de faire reconnaître et confirmer les privilèges de la ville7. Quelques indices peuvent laisser penser qu’un effort d’organisation des archives municipales a été entrepris pour Forcalquier dès la fin des années 1330, ce qui placerait cette initiative, si elle était avérée, parmi les premières entreprises de ce genre pour la Provence8. Le recueil du xvie siècle revêt, quant à lui, toutes les caractéristiques d’un livre de statuts composé de copies d’actes médiévaux réalisées à l’époque moderne9. La chronologie couverte par les chartes copiées s’étend de 1206 à 1527, les actes sont numérotés en chiffres romains de I à LXXXVI. Si l’on ne discerne pas de logique apparente, ni chronologique ni thématique, ayant présidé à la structuration du livre, on peut repérer aisément trois grands ensembles d’actes : les copies des réponses faites aux requêtes et suppliques adressées au comte de Provence ou à son sénéchal ordonnant exécution aux juge et viguier locaux – le recueil s’ouvre sur un ensemble de ce type composé de onze actes datés d’entre 1359 et 1492 ; les copies d’actes intéressant la franchise du paiement de taxes diverses par les hommes de Forcalquier (notamment les péages) ; un ensemble d’actes concernant les droits d’usage et les limites des territoires conclus entre Forcalquier et les différentes communautés qui l’entourent. C’est dans le cadre de ce dernier ensemble que s’inscrit notre document et ce sont ces sujets qui semblent constituer le cœur du recueil10. Bien que de confection soignée11, le livre des privilèges a manifestement été conçu comme un instrument de travail plus que comme un livre mémoriel, de nombreuses traces d’usage peuvent se repérer, notamment des annotations marginales, des corrections ainsi que des accolades et autres signes de repérage réalisés à différentes dates de l’époque moderne, sans doute entre xvie et xviie siècle.
3Si le caractère du document choisi n’est donc pas exceptionnel, il apparaît cependant exemplaire de la manière dont l’administration comtale peut venir perturber et remettre en cause les équilibres établis de longue date entre communautés. La question des droits de pacage, que l’accord pérennise, ne doit pas masquer, en effet, la diversité des usages ici pris en considération ni surtout détourner le regard de l’historien des enjeux politiques qui se nouent à l’échelle des communautés concernées et dans le cadre des territoires de domination. Tout autant que la garantie des droits d’usage et la pérennisation de leur franchise fiscale, ce qui apparaît au cœur du propos sont ici les voies par lesquelles le droit local a pu être certifié et authentifié dès le xive siècle, constituant une étape essentielle dans la constitution des communautés tant au regard de l’autorité souveraine que seigneuriale.
Bois et pâturages : les enjeux de la mise en défens
4L’acte concerne deux communautés du comté de Forcalquier d’inégale importance démographique : Forcalquier est une petite ville, l’une des plus importantes places cependant de ce comté, passée sous domination du comte de Provence durant la seconde moitié du xiiie siècle. Fontienne est un petit village au nord de Forcalquier, situé au pied de la montagne de Lure. En 1315, le village compte 28 chefs de maison qui paient des taxes en ce lieu, soit à peu près 190-200 habitants12. L’accord de 1345 fournit les noms de 23 individus ayant pris part à l’assemblée, un chiffre que l’on peut considérer comme égal à celui des chefs de maison à cette même date13. Le cas présenté ici est très fréquent : dans le comté de Forcalquier, toutes les communautés semblent liées par des accords avec leurs voisines, parfois de manière fort ancienne14, qui permettent à tous les habitants du village de faire paître leurs troupeaux de jour comme de nuit sur le territoire de l’autre communauté – ou sur une partie de celui-ci – sans rien payer en retour.
5En dépit de l’usage d’une rhétorique de la parité et de la réciprocité, le texte apparaît clairement en faveur des habitants de Forcalquier. Il semble primordial pour les membres de cette communauté de garantir les conditions qui leur permettront de développer au mieux les activités liées à la mise en valeur des pâturages et de la forêt. Ainsi, comme le soulignait Noël Coulet pour la haute Provence en général15, le bétail concerné est loin de se limiter aux seuls ovins. On remarque une importante présence de bovins, notamment, auxquels on souhaite réserver les meilleures pâtures. De la sorte s’explique la mise en défens de la petite montagne de la Brécuigne16 sur laquelle les habitants de Forcalquier ainsi que ceux de Fontienne possèdent des terres de labour, comme en atteste l’enquête générale de 133217. Dès 1319, les forêts et pâtures de cet espace ont fait l’objet d’une réglementation par l’universitas de Forcalquier18. Les bœufs de labour et les vaches ont alors seuls l’autorisation de pâturer sur les pascua, nemora et deffensis de la montagne durant le mois d’avril et entre la Toussaint et la Saint-André (30 novembre). Les peines pour infraction aux bans sont élevées, s’échelonnant de 6 deniers jusqu’à 50 sous pour le bétail « étranger » qui serait pris en train de transiter. En 1345, ceux de Fontienne se retrouvent très explicitement exclus du défens que la communauté de Forcalquier19, par le biais des actions de ses syndics, a réussi à placer sous son contrôle.
6Si la mise en défens de la montagne de la Brécuigne apparaît si importante, c’est que ce sont toutes les activités et ressources de ces espaces communs naturels qu’il convient de protéger et de mettre à l’abris des abus éventuels de la compascuité de voisinage. Dès 1342, un compromis d’arbitrage prononcé à la suite d’une enquête est ainsi conclu entre les syndics de la communauté de Forcalquier et les seigneurs de Fontienne portant sur les limites des pâturages et terres gastes du territoire de Fontienne sur lesquels les hommes de Forcalquier auront des droits d’usage20. Le texte, fort long, dit bien la minutie avec laquelle ces questions sont réglées tant les conflits qu’elles peuvent générer semblent prégnants. John Drendel a bien montré, pour la région de Brignoles, combien la forêt est un espace de ressources fondamentales et complémentaires dans lequel les droits communautaires sont tôt réglementés : droit d’essartage, de coupe du bois, de ramassage, de cueillette viennent s’adjoindre aux divers droits de pacage21. Ce sont, sans doute, toutes ces activités qui sont visées par la mise en défens de la Brécuigne. Ce sont également des pratiques diverses de l’élevage qui sont révélées de la sorte, ainsi que leurs enjeux. Si l’élevage pratiqué par les membres des communautés du pays de Forcalquier, en ce milieu de xive siècle, semble ne menacer en rien l’équilibre des terroirs ni surcharger ces derniers22, on peut trouver également de véritables entrepreneurs de l’élevage parmi lesquels les seigneurs ne sont pas en reste. Ainsi en va-t-il de ceux de Fontienne, à l’origine de l’enquête menée en 1342, qui possèdent la possibilité de conclure des accords séparés relatifs à leur propre bétail. La criée de mars 1345 est manifestement venue rompre un équilibre patiemment élaboré, par l’accord entre communautés mais aussi à l’intérieur d’un territoire de domination entre seigneurs et communautés.
Les nobles, acteurs à part entière du jeu politique local
7En 1345, le territoire de Fontienne se trouve administré, comme la plupart des villages provençaux, sous la forme d’une coseigneurie aux mains d’au moins quatre coseigneurs présents parmi un ensemble de sept personnes désignées par les termes « domicellus » ou « nobilis » : Isnard Gaufridi, Hugues, Rostaing et Raybaud de Fontienne, Raybaud de Curte, Raymond Giraudi et Raymond Juliani. L’enquête générale de 1332 ajoute à cette liste les noms de Jacques et Jean d’Aubenas (de Albenacio23) qualifiés de « dominus ». Ces nobles forment une universitas distincte24 et peuvent conclure des accords séparés selon le contexte et le sujet de la négociation. La semonce « voce preconia » et le constant balancement dans le texte entre le singulier et le pluriel, le collectif et l’individu, ainsi que la mention du fait que tous, nobles comme populaires, sont concernés indique, cependant, que ce qui est recherché ici est un accord qui puisse engager tout le monde, qui reflète l’intérêt général et exprime l’unanimité. Bien que toutes les familles du village ne possèdent peut-être pas de bétail, potentiellement elles sont toutes concernées, ont les mêmes droits et à ce titre peuvent prendre part à la prise de décision collective. C’est pourquoi, lorsque l’assemblée publique est convoquée tous doivent s’y rendre : l’appartenance à la communauté ne repose pas sur des critères sociaux, économiques ou juridiques mais bien sur le fait que tous mènent le même mode de vie.
8Les intérêts d’une famille noble en particulier – celle des de Fontienne – semblent, pourtant, plus prégnants. Rostaing de Fontienne paraît être le fondateur de ce lignage25 dont le territoire de domination s’étend sur Fontienne et au nord de cette localité, aux Orgues et à Saint-Étienne. En 1323, ses fils Raybaud, Hugues et Jacques sont mentionnés comme témoins et déclarants. Un autre fils, François, est identifié comme le frère de Raybaud dans l’enquête générale de 133226. Le véritable chef du lignage, dans les années 1330-1340, est Hugues de Fontienne, seul membre de la famille à être possessionné à la fois sur les terroirs des trois villages susmentionnés. Dans l’enquête générale de 1332, il est également déclarant à Forcalquier sans être apparemment membre de cette dernière communauté. Ce sont vraisemblablement ses intérêts plus particuliers en matière d’élevage qui risquent d’être compromis par la criée, jusque-là préservés par un équilibre de compromis, et c’est la raison pour laquelle il cherche à faire certifier ses droits. En 1342 déjà, il apparaît comme le principal protagoniste de l’enquête et de l’arbitrage sur la délimitation des terrains de pâture de Fontienne, enquête qui permet de fixer les contours des défens qu’il possède sur ce territoire ; sans doute l’assemblée de Fontienne de mai 1345 est-elle réunie à son initiative.
Le droit en marche : les procédures de certification du droit local
9Les différents acteurs n’usent pas des mêmes armes juridiques. Pour Hugues de Fontienne, la procédure de certification de ses droits passe avant tout par la production de témoins, en 1342, et par sa participation à l’assemblée publique réunie à Fontienne en mai 1345 qui atteste de son appartenance à la communauté de ce lieu. Pour les syndics de Forcalquier, il s’agit d’affirmer l’autorité de leur communauté, sur un territoire mis en défens quelque 25 ans auparavant, par la transformation des droits d’usage concernés en coutumes. Les références à la mémoire collective et aux temps immémoriaux disent bien, ici, la volonté de gommer toute référence temporelle trop précise. L’accord avec Fontienne doit permettre, en effet, d’éteindre tout conflit potentiel tant avec les seigneurs qu’avec l’ensemble des hommes du lieu. Le vocabulaire de la paix et de la tranquillité habille ainsi d’une intention pacifique l’aboutissement d’un processus d’annexion territoriale.
10Bien que la scène prenne place à Fontienne, le texte révèle bien plus du jeu des représentants de Forcalquier que du rôle revêtu par l’universitas de ce premier village. Certes, nous retrouvons ici une étape importante dans le processus de structuration des communautés provençales en ce milieu de xive siècle, par les références faites à la délibération de l’assemblée publique conduite par la « maior et sanior pars » de ses membres. Arrêtons-nous un instant sur ces éléments. L’arbitrage conclu en 1342 donne le nom de six probi homines de Fontienne. Les probes hommes sont souvent membres de l’universitas des « populares », ou comme ici « plebeos », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas nobles. Cependant, certains de ces six probes hommes sont en fait des coseigneurs du lieu, de même pour certaines des vingt-trois personnes mentionnées au bas de l’acte de 1345. On peut avoir une bonne idée de la composition de ces élites rurales pour le comté de Forcalquier grâce à un document exceptionnel : il s’agit d’une enquête réalisée à l’extrême fin du xiiie siècle sur les ventes de tenures supposées frauduleuses. Michel Hébert, qui a étudié cette enquête27, a bien montré que parmi les acquéreurs de ces terres, la majorité étaient des laboureurs. À côté des nobles, notaires, hommes de loi, marchands locaux et artisans, se dessine ainsi toute une frange d’élites rurales issues du monde paysan qui possède suffisamment d’argent pour prendre part au marché de la terre et probablement suffisamment de charisme pour représenter la communauté. Ici, on peut considérer que, par la force de la délibération publique menée par ces élites, le défens de la Brécuigne se trouve « introduit » dans les coutumes de Fontienne, peut-être au prix du compromis trouvé qui préserve les droits d’usage des habitants de Fontienne sur le reste du territoire de Forcalquier.
11C’est ce même pouvoir de dire le droit légitime de la communauté qu’expriment les procureurs de Forcalquier. Ce qui frappe ici est la manière dont les syndics28 de cette ville saisissent l’occasion de l’accord pour formaliser ce que l’on peut assimiler à une forme de potestas statuendi. Celle-ci se définit par un certain nombre d’éléments caractéristiques dont le pouvoir d’amender et d’user du texte en justice, évoqué à la fin de l’acte. Surtout, le souci relatif à la constitution d’archives apparaît ici comme une trame qui sous-tend toutes ces actions. Si la demande de la rédaction d’un instrument public émane des deux communautés, les syndics de Forcalquier inscrivent cette délibération dans une véritable chaîne documentaire, que l’on peut faire remonter à l’année 1319, par l’allusion faite au texte qui authentifie leur potestas29. La présence de représentants parlant au nom de tous est donc le mode fondamental de « fabrique » de la communauté car ces procureurs ont un rôle bien spécifique : ils doivent, non seulement, défendre les intérêts de tous et de chacun, mais ils sont également, et surtout, la voix de l’universitas qui formalise le droit et légitime ses actions.
12Pierre Coste estimait, en 1972, que la criée de mars 1345 avait eu pour conséquence une homogénéisation des pratiques pastorales qui avait suffi à gommer le caractère « étranger » attribué aux troupeaux des communautés voisines ainsi que la disparité des pratiques de pacage. Les accords entre communautés, renouvelés à la faveur de la criée et des possibilités d’appel qu’elle offrait, auraient avant tout poursuivi cet objectif30. L’attention qu’il convient de porter à la forme du texte conclu entre Forcalquier et Fontienne et à sa tradition nous permet de souligner une autre piste d’interprétation, celle de la mise en place des territoires de domination par les communautés et des modes d’accommodement qu’elle génère. L’opportunité ouverte par la criée de mars 1345 est, en effet, politique avant tout ; elle vient fournir un appui précieux à l’établissement de l’autorité des assemblées et syndics par les possibilités fiscales et législatives qu’elle suscite. En cela aussi la seconde moitié du xive siècle est un temps favorable aux communautés, certes placées sous le contrôle des officiers comtaux mais possédant, de fait, la maturité institutionnelle nécessaire à leur légitimation.
Annexe
Pièce justificative
Fontienne, 3 mai 1345
Livre des privilèges, Archives municipales de Forcalquier, AA 14, fo 166 vo-168 vo, acte 41, copie du xvie siècle.
« Convention entre les hommes de Fontienne, assemblés devant l’église Sainte-Marie du lieu, et les syndics de Forcalquier, sur les droits de pacage réciproques des deux communautés dans leurs territoires respectifs31. »
[fo 166 vo] Anno Domini millesimo tricentesimo quadragesimo quinto et die tercia mensis madii32. Noverint universi presentes pariter et futuri ex huius veri et publici instrumenti continentiam inspecturam quod apud Fontiannam vice ecclesiam Beate Marie castri, ipsius mandato discreti viri Raymundi Juliani dicti castri vicebaiuli reginalis, universitate hominum dicti castri seu maiori et saniori parte ipsorum voce preconia congregatis, quorum nomina inferius describiuntur, in quaquidem congregatione omnes homines universitatis predicte vel saltim duas partes et maiorem ac saniorem partem adesse dicti homines asserebant, ibidemque existentibus magistro Raymundo Rey notario ac Bertrando Girardi, quodam Raymundo Girardi de Forcalquerio sindicis, actoribus seu procuratoribus universitatis hominum dicti castri Forcalquerii presentibus et personaliter existentibus cum dicte universitatis Fontianne hominibus in presentia et conspectu dicti vicebaiuli constitutis. Cum per nonnullos everetur et revoccatur indubium de iure, usu et consuetudine que habent et habere debent consueverunt et usi sunt homines universitatis Forcalquerii omnes et singuli in territorio dicti castri de Fontianna ipsique homines de Fontianna in territorio castri Forcalquerii antedicti. Igitur ne de homines universitatum castrorum predictorum aut singularum personarum (eiusdem) ipsarum iure, usi et consuetudine inmposterum dubitaretur [fo 167] predicti homines castri de Fontianna universitatem facientes ibidem eorum nomine ac omnium et singulorum hominum universitatis predicte quos reperirentur absentes ex [s]ponte33 et ex (eius) certa sciencia eorum ut dicebant plene certificati de iure ipsorum confessuerunt in dicti vicebaiuli, mei notarii et testium presentia subscriptorum publiceque recognoverunt predictis sindicis seu procuratoribus dicti castri Forcalquerii presentibus recipientibus et solempniter stipulantibus propriis eorum nominibus omniumque et singulorum hominum universitatis hominum castri antedicti omnes universos et singulos universitatis castri Forcalquerii memorati tam universaliter quam singulariter omnesque predecessores ipsorum habere, habuisse et habere debere ac posse usum, consuetudinem, ius plenamque et liberam potestatem auctoritate eorum propria avere impingare sine enim banum et pene prestatione aliaque extorcione et exactione quacumque eorum quocumque averia grossa et minuta speciei vel generis cuiuscumque sine aliqua34 licentia inmittendi, tenendi, custodiendi, pastorgandi seu inmiti, teneri, custodiri et pastorgari quoscumque alios faciendi, pascendi, pategandi ac pascua pro dicto avere summendi35 et recipiendi in territorio, districtu et tenemento dicti castri de Fontianna ipsiusque parte qualibet tam de die quam de nocte horisque singulis et momentis pro ipsorum hominum Forcalquerii dispositione propria [fo 167 vo] et pariter voluntate et in possessione seu quasi paciffica et quieta quorumcumque hominum, molestia, inquietacione et contradictione revertis, presertim dicti castri Fontianne hominum esse et fuisse, tam nos quam omnes predecessores ipsorum per temporum lustra XX, XXX, XL, L, LX annorum ac ultra per tanta tempora quod alicuius in contrarium memoria non existit ; comfitentes insuper super usu predicto nullam eisdem hominibus Forcalquerii universis aut singulis controversiam, inquietationem, molestiam aut questionem fecisse aut facere velle vel proponere in futurum. Versa quoque vice predicti sindici, auctores (aut) \seu/procuratores hominum dicte universitatis Forcalquerii eorum dicteque universitatis ac omnium et singulorum dicte universitatis hominum sponte et ex verum certa scientia, nullo ducti errore confessi fuerunt et publice recognoverunt dicti castri Fontianne hominibus universitatem facientibus pro se et quibuscumque aliis tam universaliter quam singulariter hominum dicti loci nominibus stipulantibus solempniterque recipientibus dicti castri (homines) universitate homines tam nobiles quam plebeos36 ac singulares eorum personas idem vel simile ius cum eorum avere quodcumque habere et habuisse et habere debere tam in nos quam (eorum) omnes predecessores ipsorum semper acthenus habuisse per tempora supradicta in territorio dicti castri Forcalquerii et qualibet eius parte de die, tamen noctibus seu jaculis detractis [fo 168] et excepta montanea que appellatur Breconnha seu Brecuenha in qua nullum ius habent nec acthenus habuerunt pascendi aut etiam aliquam aliam servitutem ; et in possesione seu quasi dicti iuris et usu pasciffica et quieta fuisse et esse per tempora supradicta homines dicti castri Fontianne tam universaliter quam singulariter et quoscumque predecessores ipsorum sine dictorum hominum Forcalquerii inquietatione, controvertia et contraditione quacumque. Nomina memoratorum hominum sunt hoc : Isnardus Gaufridi, Hugo de Fontianna, Rostagnus de Fontianna, Raybaudus de Fontianna, Raybaudus de Curte, Raymundus Giraudi, Raymundus Juliani domicellos, Bernardus Clamentis, Petrus Raybaudi filius Raymundi quondam, Petrus Marcii, Raymundus Symeoni, Petrus Martini, Hugo Desderii, Raymundus de Petra, Bertrandus Crotii, Guilhelmus Crotii, Petrus Raybaudi, Tirellus Tirelli, Raymundus Rome, Johannes Galh, Poncius Jordani, (Bert) Bertrandus Martini, Petrus Gorda. Et ad decendum de potestate sindicatus ipsorum, dicti sindici producerunt, exhibuerunt quoddam publicum instrumentum factum manu magistri Raymundi Brinonie notarii publici de Forcalquerii, sub anno Domini millesimo tricentesimo tricesimo octavo die nona decima mensis aprilis, quod incipit in secunda linea « Forcalquerii » finitque « domum in eadem ». Et de predictis omnibus et singulis utraque pars petiit sibi fieri publicum instrumentum seu publica instrumenta totquot habere voluerint quod possint dictari, fieri, reffici, corrigi, esmendari et meliorari semel secundo et plures cuiuslibet sapientis consilio productum in iudicio vel non productum, extractum vel non quousque obtineat omnimodam roboris firmitatem facti substancia [fo 168 vo] non mutata. Actum in castro de Fontianna, ante ecclesiam dicti castri subtus ulmum in presentia testium vocatorum et rogatorum scilicet domini Raymundi Gostini Crociensis canonici ac prioris ecclesie Beati Petri de Ulmo, domini Raymundi Jausenti de Opeda nunc cappellani curati37 ecclesie dicti castri, Raymundi Buas de Petrarua et mei Raymundi Thabaudi regia auctoritate in comittatibus Provincie et Forcalquerii notarii publici qui predictis omnibus affui et requisitus hanc cartam scripsi et signo meo signavi.
Notes de bas de page
1Un personnage homonyme, qualifié de noble, apparaît en 1332 en tant que déclarant et confront à Fontienne dans l’enquête menée dans le comté de Forcalquier entre juin et septembre 1332 par Leopardo da Foligno. Il déclare tenir tous ses biens à Fontienne et Saint-Étienne « sub dominio domini nostri regis franca et libera ». Pécout Thierry (dir.), L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier (juin-septembre 1332), Paris, CTHS, 2017, p. 351.
2Coste Pierre, « La vie pastorale en Provence au milieu du xive siècle », Études rurales, t. 46, 1972, p. 61-75. Une traduction française partielle du texte de la criée est publiée p. 62-63.
3Coste Pierre, « La vie pastorale en Provence », art. cité, p. 65, n. 4 et Boyer Jean-Paul, « Pour une histoire des forêts de Haute Provence (xiiie-xve siècle) », Provence historique, t. 40, fasc. 161, 1990, p. 267-290, ici p. 287-288.
4Voir à ce sujet : L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier, op. cit., p. 78, n. 52.
5Le règne de la reine Jeanne Ire est marqué, du point de vue de la construction étatique, par une volonté de négocier avec et de s’appuyer sur les élites locales bien plus que par une affirmation idéologique de principe. Cette volonté peut se traduire, à l’exemple de la criée de mars 1345, par l’association des communautés et l’emploi du vocabulaire du bien commun qui caractérise également le discours porté par les assemblées d’états à partir de 1347. Sur ce sujet, voir en dernier lieu Pécout Thierry, « Corps et anticorps. Les grands officiers de Provence durant le règne de Jeanne de Naples (1343-1382), un symptôme du délitement de l’État ? », Revue historique, t. 693-1, 2020, p. 67-108.
6Je souhaite remercier chaleureusement Michel Hébert pour avoir attiré mon attention sur ce document et m’avoir envoyé les photographies du manuscrit qu’il avait prises aux Archives municipales de Forcalquier ainsi que le tableau analytique du contenu des actes.
7Arnaud Camille, Histoire de la viguerie de Forcalquier, t. 1, Camoin, Marseille, 1874-1875, p. 306-309.
8En 1338, le juge de Forcalquier préside à l’authentification d’au moins un acte conservé par la ville et produit par les syndics en 1345 (acte 45). Sur la question de la constitution des archives municipales en Provence, voir Hébert Michel, « Les cartulaires municipaux de Provence à la fin du Moyen Âge. Jalons pour une enquête », Memini Travaux et documents, t. 12, 2008, L’écrit et la ville, p. 43-83.
9À titre de comparaison, voir Anheim Étienne, Bernardi Philippe, Theis Valérie et Ramage Maëlle, « La notion de libri statutorum: « tribut philologique » ou réalité documentaire ? Les statuts communaux du Moyen Âge conservés pour l’actuel département de Vaucluse », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, t. 126-2, 2014, [https://doi.org/10.4000/mefrm.2133].
10Il s’agit des actes 35 (août 1340), 36 (mai 1436, le document fait référence à l’acte 68 daté de 1288), 37 (mars 1442), 38 (juillet 1342), 41 (mai 1345), 44 (décembre 1371), 47 (mai 1345), auxquels il convient d’ajouter les actes relatifs à la franchise du paiement de taxes par les hommes de Forcalquier sur leurs possessions situées dans d’autres territoires : 69 (Pierrerue, juillet 1363) et 71 (janvier 1449, lettre de Tanguy du Chatel autorisant la communauté de Forcalquier à conserver ses droits sur les territoires des communautés avec lesquelles elle a passé un accord).
11L’écriture est très régulière, presque sans ratures ; les premiers mots des actes (invocation ou datation) sont rédigés en capitales et s’ornent d’une lettrine.
12Baratier Édouard, La démographie provençale du xiiie au xvie siècle (avec chiffres de comparaison pour le xviiie siècle), Paris, SEVPEN, 1971.
13Camille Arnaud estime cependant, sur la base du registre des pasquiers, la population de Fontienne en 1345 à 400-500 habitants.
14Coste Pierre, « La vie pastorale en Provence », art. cité, p. 72-73 : les accords lient les castra en binôme pour une complémentarité des pâturages.
15Coulet Noël, « Notes sur l’élevage en Haute-Provence xive-xve siècle », Provence historique, t. 40, fasc. 161, 1990, p. 257-266. L’enquête générale de 1332 souligne également la forte implantation de l’élevage bovin à Fontienne dont 30 habitants sont soumis au paiement du bladagium, levé sur les bêtes de trait, associé à des corvées de labour. On comprend que la désignation des troupeaux « étrangers » soit ici particulièrement importante pour l’application d’une fiscalité comtale raisonnée. L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier, op. cit., p. 102-103.
16La montagne de la Brécuigne (ce toponyme est attesté au début du xixe siècle) s’élève à quelques 800 mètres d’altitude au nord de Forcalquier et à l’ouest de Fontienne. Elle se situe à l’heure actuelle sur le territoire de la commune d’Ongles.
17L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier, op. cit.
18Acte 45, 4-7 février 1319. Jean-Paul Boyer fait remarquer que les mises en défens commencent en Provence dès le début du xiiie siècle : Boyer Jean-Paul, « Pour une histoire des forêts », art. cité, p. 276.
19Il en va de même pour les habitants de Pierrerue qui concluent, le même jour, avec les syndics de Forcalquier un accord similaire à celui de Fontienne (acte 47, 3 mai 1345, fo 190-193 vo).
20Acte 38, 9 juillet 1342, fo 150-162.
21Drendel John, « Note sur l’exploitation de la terre gaste dans le finage de Brignoles au xive siècle », Provence historique, t. 64, fasc. 256, 2014, p. 371-379. L’acte 38 (1342) l’exprime de manière explicite, notamment au fo 152 vo.
22Coste Pierre, « La vie pastorale en Provence », art. cité, p. 73 : « L’élevage ici, quoique d’ambition modeste, profite de façon inégale aux membres inégalement fortunés de ces communautés. Il se pratique sans déplacements, sinon ceux nécessités par le renouvellement des pâturages (favorisé donc par l’association binôme des castrum [sic] qu’il a entraînée), et avec des espèces multiples, comme celles énoncées par un ancien berger appelé à témoigner : bovins, équins, petit bétail. Nulle bête ne sort du pays dans le but de paître, nulle n’y entre ».
23Aubenas se situe au nord de Reillanne.
24La convocation « voce preconia » concerne tous les chefs de maison, ou tous les hommes âgés de plus de 12 ou 14 ans. Ici, il s’agit vraisemblablement de tous les chefs de famille, nobles compris, même si dès le milieu du xiiie siècle on distingue dans les communautés provençales deux universitates : celle que forment les nobles – ou « personnes militaires » – et celle que forment les « probi homines, populares, plebeos ». L’indication des deux-tiers est également fréquente ; il s’agit d’une sorte de quorum afin que les décisions prises soient valides. Sur la question des deux universitates, très caractéristique de la structuration des communautés provençales, qu’il me soit permis de renvoyer à Verdon Laure, « S’émanciper par la délibération. Autour du premier registre de délibérations communales de Trets (Provence, 1340) », Edad Media. Revista de Historia, t. 21, 2020, p. 153-177.
25La date de leur implantation en ce lieu n’est pas connue, mais la famille est attestée dans l’obituaire du chapitre de Saint-Mary de Forcalquier : L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier, op. cit., p. 113, n. 233.
26L’enquête générale de Leopardo de Foligno dans le comté de Forcalquier, op. cit., p. 116.
27Hébert Michel, « Les mutations foncières et l’évolution sociale en haute Provence à la fin du xiiie siècle », Provence historique, t. 37, 1987, p. 421-437.
28À Forcalquier, il existe un ensemble de probi homines formant conseil attesté de manière formelle dès 1217. En 1273, le roi de Sicile autorisa les habitants de cette ville à élire des syndics ad hoc pour négocier toutes leurs affaires. Des syndics permanents ont dû exister dès les années 1340, mais il faut cependant attendre 1385 pour que la reine Marie authentifie la pratique de l’élection de syndics par le conseil de la ville. Notre document représente un jalon de plus dans cette histoire, qui met l’accent sur la constitution de la potestas des syndics et leur légitimation dans la défense des intérêts généraux de la communauté qu’ils représentent. Sur la question des formes de la délibération publique qui certifient le droit local, qu’il me soit permis de renvoyer à Verdon Laure, « De la charte aux statuts. L’exemple de la communauté de Bédoin (diocèse de Carpentras), 1264-1340 », in Lett Didier (dir.), La confection des statuts dans les sociétés méditerranéennes de l’Occident (xiie-xve siècle). Statuts, écritures et pratiques sociales, t. 1, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 59-80, ici p. 71-73.
29Il s’agit de l’acte 45 qui concerne la mise en défens de la Brécuigne élaborée par une commission de probes hommes le 4 février et approuvée en assemblée publique le 7 février 1319. L’acte est authentifié par le juge de Forcalquier en mai 1338. On peut le rapprocher d’un autre document concernant la réglementation de la chasse aux lapins, également préparé par une commission restreinte puis juré par les officiers comtaux et tous les hommes de Forcalquier réunis en assemblée publique entre les mains du notaire de la cour royale Raymond Brinonie (acte 43, fo 173-177, mars 1344). Sur ce dernier point, voir également Arnaud Camille, Histoire de la viguerie de Forcalquier, t. 2, p. 184-186 et 193-194.
30Coste Pierre, « La vie pastorale en Provence », art. cité, p. 67.
31Analyse tirée de l’étude manuscrite de Hébert Michel, Le Livre des privilèges de Forcalquier 1206-1527. Archives municipales de Forcalquier AA 14, Montréal, 2016 (dactylographié).
32Accolade en marge de droite ; annotation en marge de gauche : Forcalquerienses habent pastorga quam tam de die quam de nocte in toto territorio de Fontiana et vice versa exeptis jaculis. D’une autre écriture : Ceulx de Forcalquier ont liberté de pasturer au terroir de Fontienne et ceulx de Fontienne au terroir de Forcalquier excepté au deffens de la Brecoygne ceux de Forcalquier tant de jour que de nuict et ceulx de Fontiene de jour seulement.
33Ms exponte.
34Ms alinqua.
35Annotation en marge de gauche : Liberté à ceulx de Forcalquier de pasturer au terroir de Fontienne tant de jour que de nuict.
36Accolade en marge de droite ; annotation en marge de gauche : Fontiene tant seigneurs que le peuple peuvent \faire/pasturer leur bestail au terroir de Forcalquier de jour et non de nuict excepté en la montagne de la Brecoigne.
37Ms cappellano curato.
Auteur
Université d’Aix-Marseille, UMR 7303 TELEMME-UMR 7303.
Professeure d’histoire médiévale, université d’Aix-Marseille, UMR 7303 TELEMME-UMR 7303.
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