Les caractéristiques du diocèse de Mâcon

1Le diocèse de Mâcon sis en Bourgogne du sud est de création tardive en comparaison des autres diocèses de la province de Lyon. Il vit le jour au milieu du vi^e siècle, répondant sans nul doute à la volonté du roi des Francs Childebert de transformer Mâcon en cité épiscopale. Le diocèse, établi sur la rive droite de la Saône, fut constitué de territoires hétéroclites, de la partie méridionale du grand diocèse d’Autun et d’une petite partie du diocèse de Lyon. Il subit par la suite d’infimes modifications afin de faire coïncider ses limites avec celles du comté de Mâcon. Il s’inscrivait au dernier rang des évêchés de la province ecclésiastique de Lyon après ceux de Lyon, Autun, Langres et Chalon-sur-Saône1.

2Blotti sur la rive occidentale de la Saône, il avait des dimensions réduites et une forme curieuse de papillon qui déterminait une partie nord au contact des évêchés d’Autun et de Chalon et une partie sud davantage tournée vers Lyon et la Loire. Son territoire ainsi constitué était soumis à des influences multiples et contradictoires. Dès les xii^e et xiii^e siècles, les contrées de l’ouest avoisinant la Loire étaient largement ouvertes au comté de Forez et à ses seigneurs ambitieux. À l’est, la Saône était la frontière avec l’Empire, mais grâce aux passeurs puis aux ponts, les relations avec les terres d’outre-Saône relevant de l’empire, étaient faciles et fructueuses. L’évêque avait sa principale châtellenie acquise dès le viii^e siècle en Bresse, c’est-à-dire en terre d’outre-Saône ; en retour les seigneurs de Dombes et le comte de Savoie montraient de vifs intérêts et de fortes convoitises pour le Mâconnais. Les influences nord-sud n’étaient pas moindres. Au nord, le puissant comté de Chalon avait longtemps empêché le pouvoir bourguignon de s’intéresser au comté de Mâcon ; au sud, la cité lyonnaise se faisait sentir dans la cité épiscopale davantage par son rayonnement commercial et religieux que par son influence politique. De fait, le diocèse de Mâcon vécut des siècles de profonde instabilité marquée par des conflits incessants entre les dépositaires du pouvoir et de la force militaire aussi nombreux que l’imposait la diversité du diocèse, ce que Georges Duby a si justement développé dans son étude sur la société dans la région mâconnaise au cœur du Moyen Âge2. Il fallut les aspirations à la paix et à la sécurité du clergé et des bourgeois des villes pour presser l’intervention royale. Dans un premier temps, un bailli royal fut installé dans la petite enclave de Saint-Gengoux offerte par les clunisiens puis, en 1239, Louis IX prit la décision de racheter le comté de Mâcon et de le rattacher au domaine royal3.

3Dans un tel contexte, l’Église de Mâcon et son évêque paraissaient sans grande influence. Elle était non seulement tributaire de l’instabilité politique mais également battue en brèche par de puissantes communautés monastiques qui avaient su obtenir des souverains pontifes d’importantes immunités. Au nord du diocèse, se tenaient l’abbaye cistercienne de La Ferté et l’abbaye bénédictine de Tournus, appartenant certes au diocèse de Chalon-sur-Saône mais influant jusqu’à Mâcon. Le diocèse pour sa part comptait deux collégiales, la collégiale castrale des Beaujeu et la collégiale régulière de Saint-Pierre, sise aux portes de la cité épiscopale, en concurrence constante avec le chapitre de la cathédrale. Il abritait surtout la puissante abbaye de Cluny. Dès son origine, les clunisiens avaient obtenu des immunités leur permettant d’échapper à tout contrôle épiscopal ; localement ils contrôlaient d’anciennes abbayes et des dizaines de prieurés comprenant patrimoine foncier et paroisse ; riches de leur rayonnement sur toute la chrétienté, ils apparaissaient comme la communauté dominante du diocèse. Lorsque le pape ou le roi parcourait la région, c’était à l’abbaye de Cluny qu’ils faisaient étape et non au palais épiscopal de Mâcon. Cependant, l’Église mâconnaise et son évêque possédaient une certaine assise temporelle qui s’était constituée au gré des donations. Les premières estimations disponibles datent de la fin du xiv^e siècle4. À cette époque, l’évêque de Mâcon disposait de revenus annuels de 3 000 florins alors que le revenu moyen d’un évêque du royaume de France s’élevait à 8 000 florins. Les 3 000 florins de l’évêque mâconnais étaient supérieurs aux 2 100 florins de l’évêque de Chalon, aux 1350 de l’abbé cistercien de La Ferté, et équivalaient aux revenus de l’abbé de Tournus. En revanche, ils faisaient pâle figure à côté des 12 000 florins de l’évêque d’Autun, aux 24 000 florins de l’abbé de Cluny, aux 27 000 florins de l’évêque de Langres. Tout cela peut expliquer que l’accession au siège mâconnais demeura longtemps l’ambition de clercs de l’aristocratie féodale issue du diocèse ou de ses voisins. Le siège de Mâcon ne représentait pas vraiment un objectif pour les clercs carriéristes, au mieux une étape dans un long parcours, mais ils ne furent que très rares. L’immense majorité des prélats mâconnais nourrirent surtout l’ambition de demeurer à Mâcon.

Les évêques mâconnais et leur élection

4Le petit diocèse de Mâcon fut considéré comme un diocèse royal5. Cela signifiait en principe que le souverain avait une part de responsabilité dans la désignation du prélat. Il devait être informé au plus vite de la vacance du siège, afin d’autoriser l’élection d’un nouveau titulaire. Durant ladite vacance, il lui revenait d’exercer la régale et de percevoir les revenus de l’évêché. Au lendemain de l’élection, il exigeait que le nouvel évêque vienne à lui et prête serment de fidélité afin d’être investi du temporel épiscopal. En 1209, pour mieux s’assurer du soutien de l’Église de Mâcon, Philippe Auguste assouplit le mode de désignation du dépositaire du siège6 : l’élection était dispensée d’une autorisation préalable et la gestion de la régale, durant la vacance du siège (sede vacante) était remise entre les mains au chapitre cathédral. Le serment de fidélité du nouvel élu qui précédait la remise du temporel était toutefois maintenu. L’acte royal de 1209 confirmait également le rôle essentiel des chanoines dans la désignation d’un nouvel évêque, rôle qu’Agapet II, à la demande de l’évêque Mainbod, avait déjà reconnue dès le x^e siècle.

5Au cœur du x^e siècle, les chartes de l’Église de Mâcon mentionnent que c’était au collegium des fidèles clercs et laïcs que revenait la désignation de l’évêque. Puis progressivement ce privilège revint aux seuls membres du chapitre de la cathédrale, c’est-à-dire à une vingtaine de chanoines parmi lesquels se comptaient six détenteurs de dignités. La mécanique de désignation du nouveau prélat tenait à la fois du vote et de la désignation par consensus. La pars sanior et melior composée des « meilleurs » éléments de la communauté canoniale, parfois même minoritaire, devait l’emporter sur tous les autres membres, puisqu’elle était considérée comme la plus sage et la plus apte à désigner le nouvel élu.

6À Mâcon, la désignation dite de l’ordinaire fut soumise en permanence à de multiples pressions. Ces pressions furent-elles plus fortes ou nombreuses que dans les diocèses voisins ? Il est difficile de l’affirmer dans la mesure où elles dépendaient de multiples facteurs ; du rayonnement du siège épiscopal, des enjeux socio-politiques de la cité épiscopale et du diocèse, de l’influence des grands feudataires laïques et ecclésiastiques. Sous les carolingiens et les premiers capétiens, la nomination de l’évêque de Mâcon fut confisquée par les autorités royales ou comtales puis soumise à l’influence des potentats locaux. Le rachat du comté par la couronne ne changea pas vraiment le jeu des influences locales. Dans les dernières décennies du xiii^e siècle, les autorités apostoliques s’immiscèrent peu à peu dans le processus électoral du prélat mâconnais, au profit de quelques crises, mais il n’y eut pas de confiscation systématique de collation de l’évêque comme dans les diocèses voisins plus puissants.

7Tous ces enjeux divergents pesaient sur la désignation des évêques de Mâcon mais paradoxalement ils n’affectèrent guère le recrutement des prélats d’un siège sans doute peu attractif. Aux xi^e et xii^e siècles, les évêques mâconnais, membres du chapitre cathédral et élus par celui-ci, étaient issus de l’aristocratie féodale locale qui combattait toute présence royale trop prégnante. Ils appartenaient aux lignages des sires de Beaujeu, de Berzé, de Châtillon en Dombes au-delà de la Saône. Au xiii^e siècle, au lendemain du rachat du comté, l’Église de Mâcon se retrouva sous la surveillance accrue du pouvoir royal mais cela ne changea guère le recrutement des prélats qui s’ouvrit seulement aux clercs des diocèses voisins de Lyon, Langres et Chalon. Dans la seconde moitié du siècle, les affrontements au sein du chapitre cathédral se firent de plus en plus violents et les consensus volèrent en éclat. Cette tension nouvelle trouvait sans doute ses racines dans la volonté des membres du chapitre et de l’aristocratie féodale dont ils étaient issus, de maintenir leur rang face à un déclin inexorable qu’ils pressentaient dans la présence réaffirmée du roi, dans les agissements des autorités laïques de Bourgogne, de Forez et de Savoie, ainsi que dans les interventions de plus en plus fréquentes de l’autorité pontificale.

L’élection, temps d’affrontements

8La crise de l’automne 1279 nous est relatée en détail par les lettres apostoliques de Nicolas III7. Elle éclata au lendemain de la mort de Guichard de Germolles advenue le 26 octobre 1276 au terme d’un pontificat de près de onze ans, finalement sans grand relief, marqué surtout par la défense du temporel épiscopal menacé par les incursions laïques. Dans les mois qui suivirent sa disparition, les chanoines arrêtèrent la date de leur prochain chapitre destiné à l’élection du nouvel évêque. Nul besoin de demander la permission royale, puisque depuis les privilèges accordés par Philippe Auguste, le chapitre de Saint-Vincent en était dispensé. Le jour fixé, les chanoines s’assemblèrent pour délibérer. Constatant rapidement leur désaccord, ils décidèrent par compromis de nommer quatre d’entre eux pour choisir, en dehors des quatre désignés, le nouvel évêque. Les quatre chanoines se retirèrent et une chandelle fut allumée dans la salle du chapitre pour déterminer la durée de leur délibération. Avant même que la chandelle ne se fût éteinte, l’un d’entre eux s’avança et annonça que leur choix s’était porté sur Hugues de Fontaines, issu de la seigneurie de Fontaines en Chalonnais, leur doyen en état, autrefois chanoine de Chalon-sur-Saône.

9Mais le chanoine Gui de Châtillon issu d’un puissant lignage de Bresse – dont la nomination apostolique au canonicat avait déjà été contestée quelque temps auparavant par certains –, n’entendit pas cautionner ce choix et, soutenu par ses partisans, il dénonça cette nomination en objectant sur la forme de l’élection et sur la personne de l’élu. Sur la forme, il souligna que les quatre chanoines désignés s’étaient engagés par serment selon Dieu et leur conscience à choisir le meilleur et le plus utile à l’Église de Mâcon et qu’au final, ils avaient opté pour un homme inutile en tout et souffrant de faiblesses manifestes. De là, il décrivait le nouvel élu sous un jour peu flatteur. Il le disait déficient de la vue, de l’ouïe et de bien d’autres sens, avec une mémoire et un sens intellectuel très défaillants. Pour prouver ce qu’il avançait, il en appelait au jugement du Saint-Siège et de Simon Mompis de Brion, cardinal de Santa Cecilia, légat apostolique présent dans la région. Portée à Rome, l’affaire fut évoquée en présence de Giacomo Savelli, cardinal de Santa Maria in Cosmedin. En raison de l’ensemble des défaillances énoncées, il fut exigé que ledit doyen fût examiné selon les règles constitutionnelles mises en place par le concile de Lyon, afin de mettre en évidence la réalité des faits avancés. En cas d’absence de preuves, la partie accusatrice encourrait une condamnation. La curie apostolique entama alors un grand débat sur le manifeste et l’évident : les défaillances dont on accusait Hugues de Fontaines étaient-elles manifestes ou évidentes ou les deux. Gui de Châtillon et ses soutiens répondirent que de toute manière, ils maintenaient leurs accusations compte tenu du fait que, malgré des demandes réitérées, ledit doyen ne s’était soumis à aucun examen… Hugues de Fontaines finit par se soumettre à celui de quelques frères, sans doute conduits par le légat, qui repoussèrent toutes les allégations portées par Gui de Châtillon et ses soutiens. La dénonciation fut jugée calomnieuse et il fut conclu que les accusateurs devaient être punis et exclus.

10Néanmoins, le devenir d’Hugues de Fontaines ne se précisait pas pour autant, car la curie apostolique s’intéressait à une certaine cédule qui était parvenue entre les mains des frères examinateurs, cédule que le doyen élu avait fait adopter sans doute pour conforter ses partisans. En effet, les chanoines convoqués à dessein en chapitre par le doyen avaient ordonné, statué et juré qu’ils défendraient leur Église et eux-mêmes contre maître Hugues Breyssodi et contre tout autre impétrant au canonicat, jusqu’à défendre leur droit et autant de droit qui leur serait possible, face à la juridiction du pape ou de l’un de ses envoyés spécialement mandatés. Aussi longtemps qu’un membre du chapitre serait conduit à supporter une opposition de cette nature, les autres chanoines ne pourraient ni ne devraient recevoir un impétrant au canonicat, ni le considérer comme un chanoine dans l’église, au chapitre et en dehors. Le doyen interrogé confessa qu’il avait lui-même, en accord avec le chapitre, décidé et scellé de son serment ledit statut. L’affaire fut alors portée à la curie et examinée en consistoire. Certains membres de celui-ci, après lecture de l’expression « usque ad jus et quantum de jure poterimus », la jugèrent tolérable ; d’autres au contraire la dénoncèrent comme une conspiration manifeste, comme une véritable conjuration contre l’autorité et la liberté de l’Église romaine. Les mots employés violaient les canons de l’Église et pour cette raison étaient inexcusables. Le doyen qui avait établi et juré le statut était reconnu comme le premier conspirateur et conjuré. Sa faute était si importante qu’il ne pouvait être dispensé de sanction. C’est pourquoi la décision fut prise de casser et d’annuler son élection sur le siège de Mâcon et lui imposer le silence sur cette condamnation. De surcroît, le pape se réservait la possibilité d’organiser un procès compte tenu de la gravité des faits et de faire preuve de sévérité au point de remettre en cause le décanat et les autres bénéfices de l’accusé. En même temps, l’humble confession du responsable et les circonstances dans lesquelles tout cela s’était déroulé, poussaient à une certaine mansuétude. Finalement, le souverain pontife sembla se donner un temps de réflexion.

11Le 11 octobre 1279, considérant que la vacance du siège mâconnais avait assez duré, Nicolas III nomma comme évêque Pierre de la Jaisse, issu du nord de Bourgogne, chanoine de Langres et d’Auxerre et proche conseiller de Marguerite de Provence, veuve de Louis IX.

12Cette nomination réalisée permettait à Nicolas III d’apporter une solution à une série de graves disfonctionnements qui affectaient d’autres diocèses. D’abord à Auxerre où, à la mort de l’évêque Érard de Lésignes, le chapitre de la cathédrale avait désigné en mars 1278 Henri de Vezelay pour lui succéder sur le siège épiscopal. Comme le nouvel élu avait la particularité d’avoir perdu son œil gauche, une délégation du chapitre se rendit à Rome pour obtenir une dispense, mais elle lui fut refusée. Il fallut donc procéder à une nouvelle élection : en décembre 1278, le chapitre auxerrois partagea ses voix entre les chanoines Pierre de La Jaisse et Jean de Chanlay8. Le nouveau contentieux fut porté à Rome. Nicolas III prit la décision de nommer un troisième clerc sur le siège auxerrois en la personne de Guillaume de Grez, doyen de Chartres et conseiller du roi. À Pierre de la Jaisse, il attribua le siège mâconnais ; à Jean de Chanlay, le siège du Mans où le chapitre s’était également divisé9.

13La sérénité ne revint pas pour autant à Mâcon lors des élections épiscopales suivantes, car la crise de 1279 laissa quelques traces. À la mort de Pierre de La Jaisse en mars 1284, le chapitre fit preuve d’indépendance en accordant de nouveau ses suffrages à Hugues de Fontaines. Le doyen, à la suite de sa condamnation, avait sans doute profité de la mansuétude du pape et n’avait pas perdu ses bénéfices. Il parvint sur le siège mâconnais à un âge très avancé et son pontificat dura moins de deux années. Après sa mort advenue en janvier 1286, la réunion du chapitre convoqué pour élire un successeur aboutit à une nouvelle confusion. Une partie majoritaire prit position pour Bernard Rebutin, chantre de la cathédrale ; la partie minoritaire pour Jean de Comines, abbé du monastère bénédictin de Saint-Victor de Marseille. Faute de consensus possible, il fallut en appeler derechef au pape, qui rejeta les deux élus. Le choix de Jean de Comines n’obéissait pas aux règles canoniques ; celui de Bernard Rebutin ne pouvait en aucun cas être accepté car lors de la crise de 1279, le chantre s’était engagé auprès d’Hugues de Fontaines et de surcroît s’était refusé à approuver les institutions établies par Nicolas III. C’est pourquoi le pape décida de nommer Nicolas de Bar, chanoine de Langres, par ailleurs candidat du roi.

14La résolution des crises mâconnaises avait nécessité l’intervention du pape et de la curie apostolique. Elle avait abouti à la désignation de clercs connus à Rome et, le plus souvent, proches collaborateurs du pouvoir royal. Ces deux données vont-elles se pérenniser à Mâcon comme elles semblent s’être installées dans les autres diocèses de Bourgogne du sud ?

Les élections des xiv^e et xv^e siècles

15Après les conflits de 1279 puis 1286, il semble que les élections épiscopales mâconnaises aient retrouvé davantage de sérénité. Il est vrai que le très long pontificat de Nicolas de Bar (1286-1330) permit d’effacer le souvenir des crises antérieures et de faire disparaître les protagonistes. Mais, au cours du xiv^e siècle, les élections épiscopales, sans jamais véritablement disparaître, se raréfièrent avec les interventions croissantes du pouvoir pontifical qui s’arrogea le droit de désigner les évêques. Pour les six évêques qui suivirent au cours du xiv^e siècle, il y eut quatre nominations apostoliques et deux élections par le chapitre : en 1331, malgré l’interventionnisme puissant de Jean XXII, Jean de Salagny fut élu par le chapitre. De même en 1395, au cœur du grand schisme, les chanoines choisirent comme nouvel évêque Pierre de Juys alors que Benoît XIII attribua le siège mâconnais à l’un de ses proches, Pierre Ravat. Pendant quelques mois, il y eut deux évêques, l’un nommé par le pape et l’autre par le chapitre qui finit par être confirmé par lettre apostolique en 1398 au lendemain du transfert de Pierre Ravat vers le petit siège de Saint-Pons de Thomières. La soustraction d’obédience adoptée par le clergé de France réuni à la demande du roi en 1398 rendit au chapitre le pouvoir de nommer l’évêque, mais les pouvoirs politiques jouèrent de leur influence pour en appeler au pape et assurer la promotion de leurs protégés. Pour les sept évêques du xv^e siècle, il y eut quatre nominations apostoliques sur intervention des autorités laïques et trois élections par le chapitre. En 1448, Étienne Hugonet fut désigné par le chapitre avant que Nicolas V le confirme tardivement en dépit de la contestation de Gui de Rochefort qui avait reçu quelques suffrages du chapitre. En 1472, c’est sans doute par élection reconnue ensuite par le pape, que Philibert Hugonet succéda à son oncle Étienne. En 1485, ce fut également le cas pour Étienne de Longwy. Que ce soit par nomination ou par élection, les nouveaux promus étaient tous des clercs issus de l’entourage ducal, qui par leurs activités avaient été amenés à fréquenter la curie apostolique ou à participer aux différents conciles. L’effondrement de la Bourgogne ducale et son rattachement au royaume ne changèrent rien, puisqu’au lendemain de la disparition de Charles le Téméraire en 1477, les élites bourguignonnes laïques et ecclésiastiques et parmi elles les notables mâconnais se rallièrent à l’autorité royale. Dès lors, les élections épiscopales par le chapitre demeurèrent mais ne furent efficientes qu’à de rares occasions.

16Nommés par le pape ou élus par le chapitre, il appert que beaucoup d’évêques de Mâcon avaient d’abord fait carrière au sein du chapitre de la cathédrale Saint-Vincent, occupant le plus souvent les dignités de doyen, chantre ou archidiacre majeur. L’immense majorité des prélats mâconnais accédèrent à l’épiscopat par leur nomination à Mâcon et cessèrent leur ministère en ce lieu par résignation ou décès. Ils firent preuve d’une étonnante stabilité et très peu d’entre eux furent transférés vers un autre évêché. Autant de caractéristiques que l’on ne retrouve pas vraiment dans les diocèses voisins de Chalon, Autun et Besançon où les interventions pontificales furent beaucoup plus pressantes, où les sièges plus prestigieux ou plus influents attiraient les clercs carriéristes. Mâcon n’était guère attractif et ne pouvait être considéré comme une promotion pour des clercs ambitieux.

17De fait, le recrutement géographique et social des prélats mâconnais demeura extrêmement étroit, ne connaissant que de très faibles mutations par rapport à celui du siècle précédent. Il n’y eut que rarement des évêques originaires de contrées extérieures dans un diocèse qui ne connaissait pas de chanoines de provenances éloignées et encore moins d’Italie. Aux xiv^e et xv^e siècles, l’aire de recrutement s’élargit aux diocèses limitrophes de Lyon, Clermont, Besançon et Genève, à l’exception de l’Amiénois Jean Lejeune ou du Toulousain Pierre Ravat qui ne se rendit jamais à Mâcon. Le recrutement social fondé sur la petite aristocratie féodale perdura au cours du xiv^e siècle avec la nomination de clercs qui servaient l’administration royale ou entretenaient des relations avec les cours bourguignonne ou savoyarde. La seule innovation fut l’introduction par les interventions pontificales de clercs d’origine bourgeoise, tous gradués de l’université, tous attachés aux différents services de la curie apostolique. Au xv^e siècle, les nominations pontificales suscitées par le pouvoir politique, en l’occurrence le duc de Bourgogne puis le roi, concernèrent une nouvelle strate sociale que l’on pourrait qualifier d’aristocratie de service. Celle-ci était constituée de bourgeois anoblis ou de petits nobles aux titres redorés par mariage, achat ou dotation. À Mâcon, ce fut le cas des évêques issus des lignages Hugonet puis Longwy. Le fait remarquable est que dans la seconde moitié du xv^e siècle, élections ou nominations épiscopales permirent l’accaparement du siège épiscopal successivement par le lignage des Hugonet10 puis celui des Longwy11, soutenus par la puissance ducale bourguignonne puis par le pouvoir royal. Ce furent d’abord les membres de la famille Hugonet, issue de la bourgeoisie mâconnaise puis portée à la noblesse par le pouvoir ducal : Étienne Hugonet, élu par le chapitre fut évêque de 1451 à 1472 ; lui succéda, de 1472 à 1484, son neveu Philibert nommé par le pape. Puis ce furent les Longwy, issus de la petite noblesse franc-comtoise : Étienne de Longwy, élu par le chapitre fut évêque de 1488 à 1510 ; lui succéda son neveu Claude promu à la suite de la résignation de son oncle. Cet accaparement familial du ministère épiscopal n’était pas le propre de Mâcon, puisqu’un phénomène identique se produisit à Autun avec la famille Rolin12, à Chalon-sur-Saône avec la succession de trois membres des Poupet13.