1C’est en 1255 que l’évêque-comte de Cambrai, Nicolas de Fontaines1, fit ériger la plus vaste forteresse-prison de sa principauté dans les prairies humides bordant la Sambre, au sud du petit village d’Ors2, à sept kilomètres environ du Cateau. Avec sa double enceinte et ses trois fossés en eau, ce castrum, qualifié plus tard de mala domus, présentait un avantage stratégique indéniable dans une vallée perçue comme un couloir d’invasions. Dès la fin du xiii^e siècle, le lieu suscita la convoitise, celle d’abord du comte de Hainaut qui ne pouvait rester indifférent à la présence d’un tel ouvrage militaire à quelques encablures de son comté, celle ensuite des petits seigneurs locaux qui ne manquaient jamais une occasion de s’en prendre aux biens de l’évêché3.

2C’est sous l’épiscopat de Pierre d’Ailly (1397-1411)4 que la Malmaison se transforma en pomme de discorde entre l’évêque-comte de Cambrai et le comte de Hainaut, Aubert de Bavière5. Lors d’une énième prise de la forteresse, en 1398, par une bande armée jusqu’aux dents, à la solde des fils du seigneur d’Esnes, les vicaires de l’évêque, le chapitre cathédral, le prévôt et les échevins de Cambrai n’eurent d’autre alternative que d’appeler leur puissant voisin hainuyer à la rescousse. Ce dernier envoya son fils et héritier, Guillaume, comte d’Ostrevant6, reprendre les lieux au prix fort, les fils du seigneur d’Esnes étant redevables à leurs complices d’une forte somme d’argent7.

3La Malmaison était désormais occupée par le comte d’Ostrevant, visiblement peu pressé de la rendre à l’évêque en dépit des frais considérables qu’elle lui occasionnait. Pierre d’Ailly, qui avait d’abord souhaité récupérer la forteresse et indemniser le comte d’Ostrevant de tous ses frais, opta finalement pour une solution radicale : la démolition pure et simple du castrum. Mais le chapitre cathédral s’y opposa, faisant savoir à l’évêque qu’il n’était pas de son intérêt de consentir à pareille aliénation. Pierre d’Ailly s’inclina. En janvier 1403, le comte d’Ostrevant profita de la désunion de ses adversaires pour imposer un « accord » dont les termes, s’ils lui étaient particulièrement favorables, plaçaient l’évêché dans une situation financière délicate. Pierre d’Ailly signa néanmoins et la Malmaison réintégra le giron épiscopal, flanquée d’un châtelain à la botte du comte de Hainaut et de son fils8.

4Malgré les apparences, l’affaire n’était pas encore réglée. Une fraction du chapitre cathédral refusait toujours la démolition de la forteresse, de crainte de devoir en assumer la responsabilité devant les successeurs de Pierre d’Ailly. L’autre partie s’interrogeait : fallait-il conserver ce castrum insalubre, perdu au milieu des bois et des marécages, coûteux en réparations et entretien au quotidien, exposé de par sa situation frontalière aux menaces constantes du comte de Hainaut ? Ou bien fallait-il se résoudre à le faire démolir ? Les chanoines firent part à Pierre d’Ailly de leurs préoccupations et celui-ci saisit la perche qui lui était tendue. Il proposa d’en appeler au pape et de prendre l’avis de personnes d’expérience. C’est ainsi qu’au printemps 1405, Benoît XIII délégua le cardinal Jean Allarmet de Brogny9 qui désigna deux commissaires chargés de mener l’enquête officielle : les abbés des monastères intra muros de Saint-Aubert et du Saint-Sépulcre de Cambrai, dont les noms avaient été soufflés à l’oreille du pontife par Pierre d’Ailly10.

5L’enquête dura trois jours, les 30 avril, 1^er et 5 mai11. Trente-et-un témoins furent appelés à la barre, tous identifiés par leur âge, leur lieu de résidence, leurs titres et qualités. Les commissaires devaient vérifier auprès de chacun la véracité des informations fournies par l’évêque, recueillir son sentiment et connaître sa conclusion. Les deux commissaires donnèrent eux aussi leur opinion avant d’interroger, à la demande de l’official, les deux notaires désignés pour établir l’acte final. Au total, trente-cinq dépositions, allant toutes dans le sens espéré par Pierre d’Ailly, furent consignées par écrit. L’acte fut scellé des sceaux des deux abbés, signé par les notaires de leurs seings manuels et expédié à Benoît XIII qui résidait alors à Gênes. Le pape le soumit à l’avis de deux cardinaux issus de la promotion de 1404, Antoine de Chalant12 et Michel de Salva13. Le 1^er août 1405, sans surprise, il autorisa Pierre d’Ailly à démolir la forteresse14.

6Le tableau dressé en annexe répertorie l’ensemble des personnes interrogées dans l’ordre de leur arrivée « à la barre » : huit le 30 avril, douze le 1^er mai, onze le 5 mai, auxquelles se joignent les deux abbés commissaires et les deux notaires. Le personnage identifié en tête du tableau en raison de son rôle capital dans cette enquête est maître Jacques Grégoire, l’official diocésain qui agit ici en qualité de vicaire de l’évêque, garant du bon fonctionnement de l’opération et de la légalité des pièces justificatives produites en amont. C’est lui qui a soigneusement choisi les témoins. Né vraisemblablement à Cambrai vers 1360, ce bachelier en droit canon est âgé de 37 ans lorsqu’il apparaît pour la première fois dans sa fonction d’official en septembre 1397. Il est également mentionné comme conseiller de Pierre d’Ailly en mars 1399. Au printemps 1402, il est reçu au chapitre cathédral à la prébende de Raoul Le Prêtre. L’évêque le choisit comme deuxième vicaire précisément en 1405. Jacques Grégoire présida le tribunal diocésain jusqu’en 1423. Il mourut le 25 décembre 1432 et fut inhumé dans la chapelle Saint-Jean l’Évangéliste de la cathédrale de Cambrai. On sait qu’il était prêtre au moment de son décès15.

7Toutes les personnes qui ont apporté leur témoignage vivent à Cambrai ou au Cateau, petite ville et seigneurie épiscopale ; une seule réside à Valenciennes. La moyenne d’âge se situe entre 49 et 50 ans. La présence du receveur du comté de Cambrésis, Jean Brouwaut, de son prédécesseur Robert Testard, chanoine de Saint-Géry de Cambrai, qui exerça cette fonction sous l’épiscopat d’André de Luxembourg (1389-1396) et au début de celui de Pierre d’Ailly, également de Pierre Le Maire, chanoine de la cathédrale, chargé de rendre les comptes de l’évêché et du comté, s’explique assurément par le besoin d’éclairer les commissaires pontificaux sur le gouffre financier que représente la Malmaison. De même, la présence du châtelain du Cateau, Hughes Estokart, devenu prévôt séculier de Cambrai, de cinq échevins de la cité épiscopale et de leur secrétaire, de quatre échevins du Cateau et de leur clerc, est justifiée par la nécessité de convaincre l’autorité apostolique des menaces que la forteresse fait peser sur la sécurité des biens d’églises et des habitants de la petite principauté. Il en va de même de Guillaume Pillette, le bailli de l’abbaye artésienne d’Anchin, interrogé en raison des fiefs tenus par son institution en Cambrésis, plus particulièrement au Cateau, et de biens situés à Cambrai où l’abbaye possède un refuge. Pillette, bourgeois de Cambrai, est également le concierge de la tour-prison et l’ancien bailli du chapitre cathédral16.

8À l’exception de l’abbé bénédictin du Saint-Sépulcre et des abbés de Saint-Aubert et de Saint-André du Cateau, qui sont des chanoines réguliers, tous les ecclésiastiques interrogés sont des séculiers, membres du chapitre cathédral et/ou des chapitres collégiaux de la cité épiscopale. Quelques-unes de ces personnalités méritent un coup de projecteur. En premier lieu, maître Raoul Le Prêtre, neveu et bras droit de Pierre d’Ailly, déjà cité17. Originaire de Compiègne, Raoul entre, grâce à son oncle, au collège de Navarre comme boursier artien en 1388, à l’âge de seize ans. On ne lui connaît aucun grade universitaire. Incardiné dans le diocèse de Soissons, il entame une brève carrière de secrétaire à la chancellerie de Charles VI. Il obtient d’abord une prébende à Saint-Clément de Compiègne et une autre à Saint-Laurent de Rozoy-sur-Serre au diocèse de Laon. Il fait sa première apparition à Cambrai comme procureur de son oncle en juin 1397. À partir de janvier 1398, il exerce la fonction de scelleur de l’officialité. En mai de la même année, Pierre d’Ailly fait de lui son vicaire. Le 24 juillet suivant, muni d’une provision apostolique, Raoul est reçu au chapitre cathédral à la prébende de Pierre Daysne.

9Pendant les absences de son oncle, c’est lui qui prend les commandes. En septembre 1399, il reçoit la mitre et le bâton pastoral mis à la disposition de l’évêque par le chapitre cathédral. Il appose sa propre signature, précédée de la mention per dominum ou « par monseigneur », sur les actes épiscopaux. En cas d’urgence, c’est à lui que les chanoines s’adressent en priorité. En avril 1402, Raoul est nommé par la faveur de son oncle à l’archidiaconat de Hainaut, succédant ainsi au défunt Jean Daniel, dont il obtient aussi la prébende après avoir résigné celle qu’il avait décrochée quatre ans plus tôt. Entre-temps il accède à la prêtrise. Au fil des années, les prébendes s’accumulent : Notre-Dame de Noyon, Saint-Vulfran d’Abbeville au diocèse d’Amiens, Saint-Germain de Mons, Saint-Géry de Cambrai, Saint-Donatien de Bruges et Saint-Pierre de Lille au diocèse de Tournai. Élu prévôt du chapitre cathédral de Cambrai en février 1409, Raoul refuse l’office quelques jours plus tard « de crainte de paraître trop ambitieux ».

10Raoul Le Prêtre partage avec son oncle la passion des sciences, au point de lui servir pendant des années d’« assistant scientifique18 ». Jusqu’à la fin de sa vie, il poursuit l’étude du comput, de la cosmographie, de la géographie, des sciences naturelles, de l’astronomie et même de l’astrologie. C’est lui qui, entre 1410 et 1415, apporte de nombreuses corrections à l’Imago mundi de Pierre d’Ailly. Il cultive aussi le goût des beaux livres, comme ce bréviaire à l’usage de l’église de Cambrai, en deux volumes enluminés d’or et d’azur, qu’il a offert à son oncle. Il lègue à la bibliothèque du chapitre cathédral de nombreux manuscrits scientifiques, ainsi que le De Remediis de Pétrarque et les Histoires d’Orose, manuscrit du xii^e siècle provenant de cette bibliothèque, que Pierre d’Ailly avait emprunté mais jamais rendu.

11Au début de 1414, Raoul Le Prêtre est présent à la Curie romaine. Entre-temps, Pierre d’Ailly l’a institué intendant de sa maison à Avignon et désigné comme premier de ses exécuteurs testamentaires. Après le décès du cardinal de Cambrai en août 1420, Raoul revient dans la cité épiscopale où il conserve son archidiaconat de Hainaut. Il meurt le 28 juin 1443 et est inhumé dans la cathédrale, devant la chapelle Saint-Blaise.

12En 1405, Nicolas Falourdier, ou Le Falourdeur, est membre des trois chapitres séculiers cambrésiens : cathédrale, Sainte-Croix et Saint-Géry. Né vers 1338, originaire du diocèse de Cambrai, il est maître ès arts et licencié dans les deux droits. C’est à Paris et Orléans qu’il a acquis ses grades académiques. Le 10 juin 1384, il succède à Jean Jérémie au chapitre cathédral de Cambrai. En 1401, il en devient le prévôt après le décès de Gautier de Beauvoir. Au moment de l’enquête, il comptabilise quarante ans de carrière à l’officialité, notamment comme avocat, et c’est convaincu par sa longue expérience que Pierre d’Ailly l’a imposé comme témoin à son official. Falourdier meurt le 11 avril 1408 et est inhumé dans la cathédrale, devant l’autel de la chapelle Sainte-Anne. Il est signalé comme prêtre à son décès19.

13Renaud Fréron est né vers 1356 dans une famille bourgeoise du diocèse de Soissons. Son oncle, Simon Fréron, fut professeur à la faculté de théologie de Paris et grand maître du collège de Navarre20 de 1361 à 1381. Renaud entre à Navarre en 1372 comme boursier artien. Il y suit les leçons de Pierre d’Ailly. Après sa maîtrise ès arts, il poursuit des études de médecine jusqu’à la maîtrise, qu’il acquiert avant 1385. Charles VI le choisit comme « physicien » en 1387 et comme premier « physicien » en 1389. Il est donc confronté aux crises de « folie » du roi. Fréron fait également partie de l’entourage du duc d’Orléans. Vers le milieu des années 1390, il se marie avec Jeanne du Châtel, fille de Pierre du Châtel, chanoine de Notre-Dame de Paris et conseiller de Charles VI.

14Devenu veuf, Renaud Fréron poursuit une carrière ecclésiastique. Il travaille un temps à la Curie romaine comme abréviateur des lettres apostoliques et entre dans la familia du cardinal Jacques de Menthonay21. Il enseigne aussi à la faculté de médecine de Paris. En 1403, il est reçu au chapitre cathédral de Cambrai à la prébende de Gérard Paridaens, la collation apostolique confirmant la collation ordinaire obtenue pendant la soustraction d’obédience à Benoît XIII. Le 13 avril 1408, Fréron est mentionné comme prêtre lors de son élection à la prévôté du chapitre cathédral, dignité à laquelle il renonce moins d’un an plus tard. Il meurt peu avant le 20 novembre 1436 et est inhumé devant le chœur de la cathédrale22.

15Né vers 1361 à Amiens ou dans les environs, maître Pierre Le Maire, déjà cité, est le frère de Hugues Le Maire, chanoine d’Amiens, et le cousin de Pierre d’Ailly. Il est bachelier dans les deux droits. En 1385, il rejoint les rangs du chapitre cathédral d’Amiens et reçoit la prébende vicariale que Raoul d’Ailly, ancien archidiacre de Cambrai, y avait fondée par disposition testamentaire. En 1396, Pierre d’Ailly, alors évêque du Puy, choisit son cousin Pierre comme vicaire général.

16L’année suivante, Pierre Le Maire suit son parent à Cambrai. Devenu chanoine prébendé de Saint-Géry, il est mentionné en 1399 comme « compagnon » et conseiller de l’évêque. Sa présence auprès de Pierre d’Ailly est quasi constante mais beaucoup plus discrète que celle de Raoul Le Prêtre. L’évêque lui confie la comptabilité de l’évêché et du comté de Cambrésis. Pierre Le Maire entre au chapitre cathédral en 1400 et reçoit la prébende de Robert Boistel. Alors que sévit l’épidémie de peste qui, en 1401, décime les rangs du clergé de la cathédrale, il fait don au chapitre d’une forte somme d’argent destinée à financer ses fondations. On le retrouve en 1407 comme chapelain commensal du pape, titre devenu honorifique. En août 1418, le chapitre et les grands vicaires de la cathédrale s’engagent à fonder à son intention des obits perpétuels et des messes solennelles aux fêtes de Saint-Firmin, apôtre d’Amiens, et de la Vierge. Le chanoine fait un don à la grande communauté des chapelains pour la célébration d’une messe annuelle de la Trinité, suivant en cela l’exemple de son cousin évêque qui éprouvait une véritable « passion » pour la Trinité23.

17Pierre Le Maire décède au plus tard le 2 novembre 1418, sans avoir dépassé le sous-diaconat. Sa dépouille est inhumée à l’endroit où il a élu sa sépulture, à l’arrière du grand chœur de la cathédrale, dans le déambulatoire, près de la tombe destinée à accueillir les restes de Pierre d’Ailly. Il laisse une fortune considérable. Le compte de son exécution testamentaire, dressé le 7 novembre 1419, mentionne une lame funéraire ainsi qu’un « ouvrage », probablement un tableau votif disposé contre le mur du chœur, représentant une Nativité de l’Enfant, saint Quentin et saint Firmin. La cathédrale gardait en souvenir de Pierre quatre lanternes d’argent, qu’il avait offertes en 1415 pour le service nocturne du chœur24.

18Né vers 1353, Nicolas Claiquin est issu d’une famille de la bourgeoise cambrésienne. Il étudie le droit canon à Paris pendant cinq ans. Lui aussi appartient à des « familles » cardinalices, celles d’Amédée de Saluces25 et de Pierre de Luxembourg26, celle aussi de son frère André de Luxembourg, l’évêque de Cambrai. Le 21 décembre 1387, Claiquin est reçu au chapitre cathédral à la prébende de Hughes de Châtillon. Il meurt avant le 21 juin 1415 et est enterré dans la cathédrale27.

19Maître Pierre Simonis est né vers 1365. Il est originaire du diocèse de Toul. Après sa maîtrise ès arts, il étudie le droit canon à Paris et le droit civil à Orléans. Il acquiert la licence in utroque jure. Il entame sa carrière comme secrétaire du duc Louis d’Orléans. Le 15 août 1390, il entre au chapitre cathédral et reçoit la prébende de Guillaume de Poitiers. Il meurt en 1412, probablement en octobre, et est inhumé chez les frères Prêcheurs du couvent de Valenciennes28.

20Maître Jean Nicole, ou Nicolai, appartient à la même génération que Fréron, Le Maire et Claiquin, puisque né vers 1357. Ce sous-diacre, chanoine de Saint-Géry de Cambrai, est un pilier de la curie épiscopale : il est connu pendant dix-sept ans comme secrétaire et familier des évêques Jean T’Serclaes (1378-1389) et André de Luxembourg. Cet homme cultivé possède une belle collection de livres, notamment juridiques, qu’il lègue à son fils, Grégoire Nicole, official de Cambrai sous l’épiscopat de Jean de Bourgogne, chanoine de la cathédrale, de Sainte-Croix et de Saint-Géry. Ancré toute sa longue vie dans le quartier Saint-Géry, Jean Nicole se fait inhumer dans sa collégiale, vers 145229.

21Maître Nicolas d’Estrées fait partie de la « jeune » génération puisqu’il est né vers 1371, dans une famille « de noble origine » selon ses dires. Après une maîtrise ès arts à Paris, il entame des études de droit jusqu’à la licence in utroque jure. Louis d’Orléans le prend alors sous son aile protectrice. Nicolas est membre du chapitre de Saint-Géry de Cambrai depuis 1398 au moins. Bien introduit auprès des conseillers du comte de Hainaut, Guillaume de Bavière, il a participé aux discussions au sommet, à Mons, sur la restitution de la Malmaison à l’évêque. À partir de 1408, il accumule les prébendes : Sainte-Croix de Cambrai, Saint-Géry de Haaltert, Saint-Pierre de Douai, Saint-Gervais-Saint-Protais de Soissons. Sa réception au chapitre cathédral, à la prébende d’Étienne de Semur, est tardive, le 20 juin 1418. Dans les dernières années de sa vie, il est le conseiller de l’évêque Jean de Gavre, successeur de Pierre d’Ailly, et du Magistrat de Cambrai. Il meurt le 27 avril 1419, toujours sous-diacre, et est inhumé dans la cathédrale30.

22Autre pilier de longue date de la curie épiscopale, Martin de Tournai est qualifié simplement de « juriste ». Né vers 1347, il figure parmi les protagonistes les plus âgés de l’enquête pontificale de 1405. Son métier d’avocat à l’officialité a débuté sous l’épiscopat de Gérard de Dainville (1371-1378). En 1405, Martin de Tournai compte vingt-sept années d’activité dans la curie épiscopale. Il est chanoine prébendé de la petite collégiale Sainte-Croix de Cambrai31.

23Un peu plus jeune que le précédent, maître Henri Ponet, dit aussi Henri de Boussu, alias Ponet, est né vers 1353. Ce prêtre originaire du diocèse de Liège appartenait à la chapelle de Clément VII à l’époque de son sous-diaconat. Familier du pape d’Avignon, il l’est aussi du cardinal Jean de Blauzac32. Ses appuis à la Curie romaine lui permettent d’accumuler les prébendes : à Saint-Jean et à Saint-Martin de Liège, à Saint-Amé de Douai, Saint-Martin de Tours, Saint-Pierre de Lille. En 1388, il est reçu au chapitre cathédral de Cambrai à la prébende de Nicolas Le Diseur. Il meurt au plus tard en janvier 1435. On ne lui connaît pas de grade universitaire33.

24Dernière personnalité du monde canonial épinglée dans cette enquête, maître Renier Lamelin. Ce clerc originaire du diocèse de Cambrai, né vers 1358 dans une famille bourgeoise de Valenciennes, est licencié en droit civil de l’université d’Orléans et bachelier en droit canon de l’université de Paris. Il est l’un des conseillers du comte de Hainaut, Aubert de Bavière, et de son fils et successeur, Guillaume, comte d’Ostrevant. Lamelin est signalé comme official diocésain sous l’épiscopat d’André de Luxembourg. D’abord chanoine de Notre-Dame d’Antoing, puis chanoine et trésorier de Saint-Géry de Cambrai, il succède en 1408 à la prébende de feu Nicolas Falourdier au chapitre cathédral. En 1414, il est mentionné comme chanoine de Sainte-Croix. Il décède avant le 12 août 141734.

25Enfin, on retiendra les noms de deux clercs, les notaires Gérard Boussoit, ou de Boussoit, et Luc du Vivier, auditeurs jurés de la curie épiscopale. Le premier cité appartient à une famille alliée aux de Vaux, du Cateau. Les Boussoit louent à l’office du Grand Métier de la cathédrale la maison ad signum mutonis située en face « de la curie du seigneur official de Cambrai ». La fille de Pierre de Vaux, Jeanne, a épousé Gérard Boussoit, notaire depuis 1388 au moins, auquel elle donne un fils, Jean. Gérard a encore deux enfants d’un second mariage, dont un fils, Quentin. Le notaire décède vers 1418-1419 à l’âge de 70 ans environ. Ses fils Jean et Quentin prennent alors la relève à l’officialité35.

26À la suite de cette série de portraits, une question se pose : que nous révèle l’enquête de 1405 sur l’entourage de Pierre d’Ailly, sur ses hommes de confiance ? Cet entourage est manifestement dominé par un duo de vicaires généraux, Raoul Le Prêtre, vicaire et scelleur, et Jacques Grégoire, vicaire et official. La puissance des liens familiaux saute aux yeux : c’est à deux de ses parents, son neveu Raoul et son cousin Pierre Le Maire, que Pierre d’Ailly a confié de hautes responsabilités dans le gouvernement de son évêché. La présence dans la curie de deux anciens navarristes ne doit rien au hasard : Renaud Fréron fut l’élève de Pierre d’Ailly au collège de Navarre et Raoul Le Prêtre y entra comme boursier alors que son oncle en était encore le proviseur. Point de hasard non plus, sans doute, dans la présence de trois personnages – Fréron, Simonis et d’Estrées – proches de Louis d’Orléans, celui-là même qui soutint Pierre d’Ailly contre le duc de Bourgogne lors de son accession au siège épiscopal de Cambrai en 1397.

27À l’exception du neveu Raoul, réputé pour n’avoir aucun grade académique à faire valoir, et du médecin Fréron, tous les ecclésiastiques identifiés ici sont des juristes, trois d’entre eux gradués dans l’un et l’autre droit. Une carrière de longue durée à l’officialité de Cambrai, et qui donc a fait ses preuves, est une caractéristique que partagent plusieurs des protagonistes de cette enquête : Nicolas Falourdier, Jean Nicole, Martin de Tournai, Renier Lamelin, Gérard Boussoit, sans oublier Jacques Grégoire, l’official en titre. Enfin, si l’on excepte les deux notaires de l’officialité, dont l’un était notoirement marié et père de famille, tous ceux dont nous avons dressé le portrait appartiennent au monde canonial, la collation d’une prébende à Cambrai récompensant leurs bons et loyaux services.