Un plan d’ensemble introuvable

2La première fermeture est celle d’Arles, en 1964. Dès 1961, elle est envisagée dans une annexe au rapport de visite canonique1. La visitatrice soulève trois questions, révélatrices de la façon dont la congrégation aborde cette problématique nouvelle : « Que pensera l’inspecteur de la population, étant donné le nombre croissant de demandes de placement ces dernières années ? N’aurons-nous pas à faire face à des réclamations puisque nous avons reçu des subsides pour les travaux ? L’archevêché réclamera peut-être la chapelle et une partie des bâtiments pour établir une paroisse ? » Le dilemme se pose en ces termes : « Je ne vois pas comment agir pour sauvegarder les biens de la congrégation et ménager les risques avec les autorités civiles et religieuses. » En 1962, un projet de foyer maternel (jeunes mères et enfants) est envisagé, puis abandonné2. En 1964, la fermeture est décidée « par suite de la pénurie de personnel religieux », cause désormais souvent reprise. Les jeunes sont réparties entre les deux maisons de Marseille. Cette petite institution d’Arles, comportant 13 religieuses en 1963 et pas de sœurs de la Croix dont le sort est à prévoir en cas de fermeture, pouvait être fermée sans difficulté. Comment les autorités ont-elles été prévenues ? Selon sœur Odile Perrain, le juge des enfants est venu, et le lendemain, on lui a annoncé la fermeture3 ; selon la provinciale, « les services administratifs de la région sont bien d’accord4 ». Les bâtiments sont vendus à une congrégation religieuse (graph. 15).

Graphique 15. – Évolution du nombre d’institutions du Bon-Pasteur, 1963-1992.

3Cette première fermeture est l’occasion d’une réflexion d’ensemble, en 1965, sur laquelle nous n’avons aucune indication5. Cette réflexion est secrète et négociée, puisqu’une lettre de la supérieure générale aux prieures regrette que celles-ci aient été informées de l’extérieur et par « des indiscrétions commises par les Organismes dont nous dépendons6 ». Cette lettre expose les deux causes des fermetures : le manque de supérieures possibles et la situation des religieuses éducatrices, « doublement surchargées du fait d’un personnel laïque peu stable et inexpérimenté, et souvent surmenées. Combien parmi les meilleures se sont plaintes de n’avoir plus la tête à réfléchir et à prier7 ».

4En 1965, lors de la visite canonique à Perpignan, la provinciale annonce à l’évêché l’intention de fermer l’institution de la ville. Le rapport évoque le peu de soutien du juge des enfants, et note : « l’esprit du pays est défavorable à l’œuvre8 ». La fermeture a lieu en 1967. Les fermetures suivantes ont-elles suivi cette logique9 ? Dans certains cas, il s’agit de regroupements territoriaux. Les œuvres éducatives de Lille-Lompret sont arrêtées en 196710, alors que la congrégation possède une autre maison dans la banlieue de Lille, à Loos. Il en est de même lors de la fermeture de la maison de Metz en 1967, qui rejoint en banlieue celle de Borny-lès-Metz. La fermeture (partielle) d’Écully, annoncée en mars 1968 pour septembre, est probablement décidée par rapport à la maison de Lyon. Même situation pour Saint-Hilaire-Saint-Florent (près de Saumur) par rapport à Angers (1969), et probablement pour Saint-Nicolas à Angers11. Dans la province de Lyon, la maison de Valence (13 religieuses en 1966) est fermée en 1967 : la proximité de la maison d’Annonay a-t-elle joué contre elle ? De même, Dole, qui ferme en 1968, a sans doute pâti de sa petite taille et de la proximité de la plus grande institution de Dijon. La fermeture de Bourges est annoncée en 1966, « coup de tonnerre » dans une maison qui s’était récemment transformée sous la direction de la supérieure12. À partir du 1^er septembre 1967, quatre éducatrices de l’Éducation surveillée viennent travailler au home de semi-liberté, assurant une transition vers le départ du Bon-Pasteur le 1^er août 1968. L’institution devient publique. La supérieure interrogée ne donne pas d’explication de fond13.

5D’autres maisons sont fermées en fonction d’un vieillissement ou d’une insuffisance des religieuses. Pour Lourdes, la visite par la provinciale en 1966 avait repéré deux directrices de sections « inadaptées14 » ; dès 1967, le nombre de religieuses est réduit. Une autre congrégation contactée pour reprendre l’institution renonce en avril 1969 ; un contact avec le Centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) est pris, mais la fermeture est annoncée pour juin 197015. La proximité de la maison de Pau, plus adaptée pour la rééducation16, a facilité la décision. Pour Poitiers, un rapport de la visitatrice, début 1966, constate que la section de préservation meurt d’elle-même, « sans maîtresse valable », et fermera en fin d’année scolaire. En 1969, 13 religieuses (sur 18) sont envoyées ailleurs en cours d’année, les négociations sont entamées avec le CREAI pour le transfert de l’internat, et le maintien de deux foyers de 10 jeunes, avec 5 religieuses dépendant d’Angoulême, pour un an. La provinciale commente : cela « nous éclaire peut-être sur l’avenir ». Sans doute fait-elle allusion au maintien des foyers, nouvelle formule éducative. Pour Sens, institution isolée où le recrutement régional est minime, les religieuses sont pour un « retrait pur et simple17 » : la décision, prise en 1971, ne sera effective qu’en 1972. À Charenton, on envisage un temps la fermeture de l’internat et le maintien provisoire de deux foyers, mais tout est fermé en 1971. Pour Saint-Omer (1968), Moulins (1968), Chambéry (1969) et Amiens (1970), l’argument avancé est le manque de vocations.

6Les premières fermetures de maisons ne sont pas passées inaperçues des autorités de tutelle. En mars 1968, monsieur Bégorre, de l’Éducation surveillée, expose devant des magistrats, dans un rapport sur le secteur privé, que le Bon-Pasteur doit « faute de vocations religieuses », fermer le quart de ses 43 [sic] établissements, soit 12 établissements18. « En ce qui concerne les établissements du Bon-Pasteur le but recherché par les ministères utilisateurs est que ces organismes continuent à faire partie intégrante de l’équipement spécifique de l’enfance inadaptée. » Discrètement mais fermement, M. Bégorre s’appuie sur la nature congréganiste des établissements pour faire appel à la loi du 1^er juillet 1901, article 13, qui rend « impossible la fermeture et a fortiori la dévolution à titre onéreux d’établissement congréganistes sans le préalable d’un texte réglementaire pris sur avis conforme du Conseil d’État19 ». Argumentation gallicane rappelant à la congrégation qu’elle ne peut agir librement. Cette épée de Damoclès explique peut-être l’arrêt des ventes de bâtiments à des institutions hors du réseau de l’enfance inadaptée.

7Pour les religieuses, ces réorganisations se traduisent par des mutations au sein de leur province et de province à province. En 1969, 90 religieuses sur 903 changent de maison20. Or, on n’a aucune trace d’expression collective sur ces changements ; l’obéissance semble ici complète. Les documents des chapitres de 1966 n’évoquent pas la première fermeture. Ce n’est qu’en 1969, au cours de la préparation du chapitre extraordinaire de 1969 qu’une question est posée à Angers : « Y a-t-il un PLAN concerté pour la réorganisation des Maisons et des provinces ? [Une] solution pour éviter de fermer encore des maisons21. »

8En décembre 1969, la circulaire des provinciales annonçant la création de la commission interprovinciale d’étude (CIPE) n’évoque pas de fermetures mais un diagnostic et des perspectives : elle invite toutes les religieuses à s’exprimer, mais ne dit rien de l’instance qui prendra des décisions. Les premières fermetures avaient été faites de façon chaotique. Les réactions des diverses instances dans la congrégation révèlent l’inquiétude générale, et la CIPE souhaite, en octobre 1970, « arrêter, pendant un temps, un processus de fermeture des maisons qui est très mal assumé tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la congrégation ». Cette commission enquête sur l’environnement de chaque maison, sur le nombre de religieuses éducatrices jeunes (moins de 45 ans), et interroge toutes les religieuses. Dans les réponses reçues, individuelles ou collectives, on sent une urgence et une radicalité, une religieuse déclarant qu’il fallait fermer la moitié des maisons et une autre souhaitant ne conserver que six à dix maisons. Un groupe envisage de garder six maisons complètes (internat et foyers) et cinq maisons spécialisées (Marcq, Nazareth, Paris…). « Attendre ne fait qu’accentuer le désastre, et enlever à certains éléments le dynamisme qui serait pourtant nécessaire », déclare une autre instance22.

9Trois plans successifs sont élaborés entre mars 1970 et juin 1971. Le premier envisage de conserver 12 maisons (calcul basé sur un encadrement idéal, avec le nombre optimum de religieuses). Le second intègre dans les projections l’hébergement des religieuses âgées (qu’on avait oubliées !), et envisage 25 maisons. Le troisième prévoit 26 maisons, dont 13 avec une œuvre éducatrice et une communauté de religieuses âgées, et 13 affectées uniquement à des religieuses âgées. Ce sont des projections théoriques puisqu’aucune liste des maisons fermées ou maintenues n’est rendue publique. Dans les conseils provinciaux, on s’inquiète, on souhaite un plan. Sur le fond, la question clé n’est pas la nature des maisons à maintenir (internat, foyer, etc.), mais la proportion des religieuses qui veulent continuer dans l’œuvre éducative, et de celles qui veulent « faire autre chose ». S’y ajoute le principe d’héberger les religieuses âgées que l’on ne veut pas isoler dans des maisons spécialisées. Les chapitres provinciaux de 1975 (Angers, Lyon et Strasbourg) abordent en des termes voisins ce thème d’un « plan d’action » de regroupements ou de transferts23. Jusqu’en 1975, c’est le conseil interprovincial qui prend la décision. Après sa suppression, les conseils provinciaux reprennent la main. Dans les deux cas, la supérieure générale doit approuver.

Des rapports tendus avec les administrations de l’État

10À la suite des premières fermetures, l’Éducation surveillée avait rappelé à la congrégation son obligation de soumettre ses restructurations à l’autorisation du Conseil d’État, selon la loi de 1901 sur les congrégations. À cet égard, est élaborée, en 1971, une note aux ministères, soigneusement relue par la conseillère générale pour la France, qui demande des modifications : « supprimer la phrase “ces opérations se sont effectuées [après l’accord des ministères intéressés]” qui n’est pas tout à fait exacte – nous nous retirons de nos maisons avec l’accord de l’Évêque mais c’est à la congrégation de décider et d’avertir ensuite les organismes officiels (nous n’avons pas besoin de leur accord pour effectuer ces regroupements), nous sommes seulement un peu liées pour la succession de l’œuvre. Je pense donc que ce serait très imprudent, en même temps qu’inexact de maintenir la phrase citée. […] “[La Congrégation souhaiterait en rester là, dans la mesure du possible] pour les années à venir” me paraît trop large… Il ne faut surtout pas s’engager et leur laisser croire que nous allons maintenir tous les Ets pendant X temps ! À la place j’écrirais : “Nous souhaiterions en rester là au cours des prochaines années, dans la mesure du possible”… ce qui apporterait une nuance nécessaire24. » En outre, selon la conseillère générale, le nombre de 1 700 jeunes pouvant être accueillies doit être ramené à 1 500. La note présente la nouvelle structure des établissements, plus petits, qui « entre dans la perspective que soulignent les études et les propositions élaborées en faveur de l’enfance inadaptée vers des équipements plus légers », et manifeste aussi le souci d’une possibilité de relève par les administrations ou associations25.

11En avril 1971, des rendez-vous sont demandés par les trois provinciales à la direction de l’Éducation surveillée (M. Ledoux), et à la secrétaire d’État à l’Action sociale (M^me Dienesch), en même temps que leur est communiquée la note préparée. L’entrevue est évoquée lors de la réunion de clôture de la CIPE, en juin : « Au ministère de la Justice une étude est en cours en vue de nous faire connaître la position de ce ministère quant au maintien de l’œuvre éducative dans nos implantations actuelles. Le problème n’en sera pas réglé pour autant : – car les DDASS, en certains endroits désirent le maintien de nos internats pour leurs pupilles, même si la Justice n’en voit pas la nécessité. – Et c’est à nous de décider si nous voulons continuer nous-mêmes l’œuvre éducative désirée par ces ministères ou si nous préférons la céder à une association. » La réponse de l’Éducation surveillée, promise pour la fin de l’année, ne vient pas. Les projets du Bon-Pasteur, ses débats internes sont probablement connus des tutelles qui n’apprécient pas cette évolution ; en effet, le VI^e Plan prévoit encore une augmentation du nombre de places. En juin 1972, le Conseil interprovincial de France (CIF) constate : « Sens, colonie de Saint-Omer, Écully, Grenoble, Nazareth. Des difficultés surgissent, dossiers bloqués, visites inamicales, intimidation, mise en accusation de démolition de l’équipement de l’Éducation surveillée, demande de terrains à titre gracieux, obstacles à la reprise par d’autres organismes… Il semble que le même processus de barrages se retrouve dans les différentes régions et qu’il émane du ministère de Justice et du service de l’Éducation surveillée. » Les provinciales préparent une lettre à l’Éducation surveillée26, se plaignant de l’absence de réponses écrites, de réponses par téléphone, de dossiers bloqués. Il est prévu de joindre un dossier sur chacune des affaires, dont l’un évoque une demande de terrain par l’Éducation surveillée, accompagnée de cette menace : « le Bon-Pasteur aurait intérêt à accéder à ce désir, pour ne pas voir ses dossiers bloqués ». L’entrevue avec la direction de l’Éducation surveillée (M. Lajoux et M. Ledoux) a lieu le 11 septembre 1972. Au conseil interprovincial du 10 octobre, les trois provinciales parlent d’une « collaboration amorcée ». « Désormais, le ministère de la Justice visitera l’établissement que la congrégation décidera d’abandonner. » La provinciale d’Angers rapporte à son conseil : « Le ministère voit disparaître les équipements de filles, alors qu’il ne s’en était pas préoccupé jusqu’à présent27. »

12Un an plus tard, la situation n’a guère changé28. D’une part, des griefs réciproques persistent : l’Éducation surveillée n’a pas apprécié l’annonce du retrait d’Avignon, mais « ils n’ont pas tenu les promesses faites à la dernière rencontre ». D’autre part, est réitérée explicitement la suspicion des tutelles envers ce qui est considéré comme un possible détournement de subventions publiques : par une lettre du 15 décembre 1973, l’Éducation surveillée demande « que nous ne vendions pas nos bâtiments anciens pour faire, avec l’argent de la vente, des constructions nouvelles qui seraient occupées par nous ». Le Conseil interprovincial s’interroge : « Voulons-nous faire un plan d’ensemble avec eux ? Voulons-nous immobiliser nos capitaux pour réaliser nos projets ? Est-il nécessaire de leur répondre par écrit puisqu’eux-mêmes ne répondent jamais à notre correspondance ? » On décide de ne pas répondre, et de demander un rendez-vous. Pour la congrégation, la liberté de choix des fermetures est essentielle, puisque ses critères primordiaux ne sont pas les souhaits de l’administration, mais la répartition des religieuses et leurs conditions de vie et de travail.

13On peut penser qu’en ces années, le Bon-Pasteur a réussi à imposer aux administrations son choix d’un repli progressif mais important. Face aux services sociaux, « pour diminuer les effectifs, il a fallu lutter », se souvient la conseillère générale pour la France29. Peut-être pas tant que cela. Ce n’était qu’anticiper le tournant des politiques de protection de la jeunesse et les effets de la majorité à 18 ans (1974).

14Les rencontres suivantes sont moins tendues. « Il semble que certaines maisons du Bon-Pasteur n’intéressent plus tellement l’Éducation surveillée30. » La visite du 4 mai 1976 est ainsi décrite par les provinciales : « pendant des années ils ont compté sur nous. Actuellement, ils font un remaniement global. Là où le privé suffit aux besoins, c’est bien, sinon ils y installent le public. Maintenant, ils sont habitués à nous voir nous retirer, mais ils demandent à connaître nos projets et nos évolutions. Ils ont admis le fait de nos retraits massifs ». Le directeur de l’Éducation surveillée, M. Bouret, souhaite que le Bon-Pasteur renforce les « centres qui fonctionnent à plein […] au lieu de disperser nos forces en plusieurs endroits31 ». Pour 1977, la provinciale de Lyon annonce à son conseil les questions qui seront abordées avec l’Éducation surveillée32 : « leur politique de placement », « notre politique globale : diminution des effectifs pour coller d’aussi près que possible aux demandes de placement », puisque les plus de 16 ans n’acceptent plus l’internat, les ouvrir à des plus jeunes, et abaissement de l’âge d’ouverture des foyers. L’administration n’a plus besoin de tant de places, et la congrégation sait présenter ses décisions dans la langue de l’administration. Le ton ne change pas en 1979 : « Le ministère est bienveillant pour les institutions dirigées par la congrégation. Il conseille que les admissions de jeunes soient larges (jeunes faciles et difficiles) pour éviter le ghetto, la ségrégation et que nous gardions la liberté d’admission pour éviter être à la merci de la politique des juges33. » La visite de 1980 montre une administration sur la défensive : « Ils sont en alerte face au projet Robert Boulet contre les placements34. Il est reconnu que les placements des jeunes en institution sont tributaires du juge des enfants et de son optique face aux institutions35. » En définitive, le Bon-Pasteur a mené ses fermetures à sa guise, mais en n’ayant pas poursuivi la mise en place d’un plan pour l’ensemble des maisons ébauché en 1971. Le pragmatisme et les contraintes locales l’ont emporté.

L’inexorable repli

15La période est émaillée de nouvelles fermetures ; certaines sont immédiates, d’autres font suite à une décennie ou plus de réaménagements des établissements. L’option de la cession à une association, qu’elle soit déjà existante ou fondée ad hoc, largement pratiquée par la congrégation du Refuge par exemple, ne rencontre que peu de succès auprès des autorités du Bon-Pasteur. Ces expériences sont rares et tardives, témoignant de la difficulté de la congrégation à transmettre son héritage dans un champ de la rééducation en pleine recomposition, mais aussi de la priorité donnée aux réorganisations internes et à la gestion patrimoniale, guidée notamment par le sort des religieuses âgées.

16La fermeture du Puy, rapide, est décidée en mars 1973, à la suite d’un départ qui a déstabilisé l’établissement. La Sauvegarde de l’enfance reprend le foyer le 1^er septembre 1973, mais ne le garde qu’un an, faute de jeunes placées. Autre fermeture, cette-fois ci en deux temps, à Arras : juillet 1976 pour l’internat, juillet 1977 pour le foyer, ce dernier continuant son activité au sein du centre éducatif Benoît Labre (un réseau d’associations catholiques). La fermeture est décidée en mai 1974 pour Mulhouse : le CIF estime qu’il y aurait toutes les raisons de garder cette maison, excepté le manque de religieuses. Le centre éducatif s’arrête en juillet 1976 (mais les « sœurs aînées » restent sur place) ; il n’y a pas de suite. Pour Borny, la fermeture décidée en juin 1977 est effective en juillet 1978 ; les locaux deviennent un centre social. Enfin, la fermeture de Cannes, décidée en 1973 pour 1977, est repoussée en 1976 de trois ans et a lieu en juillet 1979. Le problème du reclassement du personnel est difficile à régler. Le Bon-Pasteur doit s’engager à financer, avec une partie du produit de la vente à un promoteur, la reconstruction d’un petit internat de transition et d’un foyer ainsi que les indemnités de licenciement du personnel36. La fermeture de Valognes (internat et foyer), en 1981, vient de la faiblesse du recrutement régional, une zone rurale enclavée.

17Puisque la question clé est d’abord celle du personnel, toute innovation implique la suppression d’autres activités. On observe donc ces glissements dans plusieurs maisons, avec des tentatives de réorientation en direction de nouveaux publics. À Dijon, on a un cas unique d’abandon du foyer (en 1976) pour se concentrer sur un internat spécialisé de 4 puis 3 groupes de filles « qui ne peuvent pas relever d’un foyer scolaire à cause de leurs fugues répétées ou d’un absentéisme scolaire ». Mais un ultime scandale pour le Bon-Pasteur frappe l’institution, à la suite de maltraitances dont ont été victimes les jeunes placées et aboutit à une « fermeture momentanée en juin 1982 », qui se révélera définitive37. En 1975, la maison de Valognes avait envisagé de créer (si les effectifs de l’internat baissaient) un hébergement pour jeunes sortant de l’hôpital psychiatrique : cela ne se fait pas. Saint-Yrieix, maison rurale, reçoit, à partir de 1973-1974, des « filles très perturbées ». Cela est difficile, et il faut réduire les effectifs. On y pratique une pédagogie de grands groupes avec vie commune (foyer d’action éducative) éducatrices-filles jusqu’en 1989, où l’équipe éducative ne peut plus faire face. Le transfert est impossible, puisque DDASS et Éducation surveillée ne voient plus l’intérêt d’un foyer en Charente. À Avignon, dès mai 1972, on décide de fermer l’internat pour ne conserver que deux foyers et un centre d’accueil, et d’aménager la section des « cas sociaux » en foyer d’étudiantes. Mais dès septembre 1975, le conseil provincial estime que l’on continue « sans relève possible ». En 1976, on évoque deux types de foyer, l’un pour les filles envoyées par le juge, l’autre libre. Le petit foyer éducatif est maintenu jusqu’en 1983, et le foyer libre jusqu’en 1985. Il n’y a pas de reprise de l’œuvre à Avignon. Le foyer libre, qui concernait des élèves d’une école religieuse mixte est repris par cette structure. Les initiatives prises par ces maisons vers des publics plus spécifiques répondent aux souhaits exprimés dans les commissions et chapitres du début de la décennie 1970, mais sont ensuite freinées par le manque de religieuses disponibles.

18Pour toutes les autres maisons, on procède progressivement, ou plus exactement on adapte la situation au personnel religieux disponible. Et comme le personnel religieux ne souhaite pas garder les internats, comme les internats sont de moins en moins envisagés comme la solution par les tutelles, le schéma est partout le même : réduction puis fermeture de l’internat, maintien, tant qu’on le peut, des foyers sous diverses appellations. Ainsi voit-on l’avenir de Grenoble (Saint-Martin-d’Hères) en 1972 : « on garderait deux foyers et un petit centre d’accueil. La Sauvegarde prendrait tout l’internat. Des sœurs tiendraient les foyers et d’autres travailleraient à l’internat38 ». Pour ces foyers, plusieurs centres innovent en les installant dans des HLM en ville (Angers, Valognes, Cholet, Pau, Bastia, Marseille Cabot), ou dans des locaux indépendants (Lyon, Reims). Une autre suggestion est reprise, celle « d’accueils temporaires pour des filles en attente de décision judiciaire […] en attendant une mesure qui ne sera pas nécessairement un placement en institution ». Cette suggestion rencontre d’ailleurs la demande d’accueil d’urgence par les juges39. Reims (à partir de septembre 1970) a un « foyer-hôtel », transition entre semi-liberté et service de suite40, Loos un foyer mineures-majeures (1973).

19Dans la décennie suivante, on négocie la passation des foyers. La distinction internat-foyer est d’ailleurs de plus en plus incertaine dans ces années, tant l’internat évolue vers l’extérieur. On ne pourrait parler d’internat que pour les maisons où la scolarisation se fait à l’intérieur pour une part des enfants (comme à Dijon, Pau, Bastia, Marseille, Lyon), mais même dans ce cas, on parle parfois de foyers41. Les conseils provinciaux tentent de programmer le repli, mais, souvent, la défaillance d’une directrice (maladie, ou demande d’une autre obédience), des démissions d’éducateurs42, obligent à agir plus tôt que prévu. On n’envisage plus d’imposer à une religieuse une fonction de responsabilité qu’elle ne souhaite pas exercer. Les conseils provinciaux passent en revue les éducatrices disponibles, mais n’ont plus de marge de manœuvre. Les situations diffèrent selon les provinces. Dans la province de Strasbourg, après les fermetures de 1976-1978, et celle imprévue de Dijon en 1982, il ne reste, outre Marcq (Marquette)43, que Loos et Strasbourg. Dans les deux cas, on abandonne l’internat (1978 à Loos, 1980 à Strasbourg), pour ne garder que les foyers. Pour Loos, on note en 1988 que le foyer fonctionne bien, mais que la directrice ne pourra continuer longtemps, et que les religieuses assez jeunes peuvent encore faire autre chose si on ferme, ce que l’on décide. On prend la même décision à Strasbourg en juillet 1987. Dans la province d’Angers, on retrouve à Cholet la même chronologie : 1977, fermeture de l’internat, fin 1987 passation des foyers. Dans ce cas, la fermeture de l’internat n’est pas motivée par la réduction des effectifs, mais par un choix des religieuses qui veulent créer un foyer d’hébergement d’adultes44. À Pau (foyer d’Ossau), la situation évolue beaucoup plus lentement : en juin 1971, la maison est « florissante », trois groupes d’internat, trois foyers, une expérience en HLM. En mars 1975, c’est une maison « à conserver ». Les effectifs sont importants : 110 filles en 1970, 90 en 1975, 78 en 1983 (y compris de jeunes majeures). Ce n’est qu’à partir de 1983 qu’on évoque une réduction des effectifs ainsi qu’une réflexion sur l’avenir du scolaire, et une reprise d’une partie des activités par la DDASS ; en 1984, 3 des 4 unités sont reprises par des associations, et le Bon-Pasteur garde un foyer (jusqu’à nos jours). L’offre d’Angers étant variée (même après la fermeture de Saint-Nicolas et des Genêts-Nazareth en 1971), l’évolution est lente : on passe de 147 places à 64 en 1980, à 50 en 1988. La passation se fait en juin 1991. Après avoir évoqué trois associations susceptibles de reprendre les établissements, on note : « Autre solution : créer nous-mêmes une Association ? Contacter Notre-Dame-de-Charité qui a de nombreuses expériences en ce domaine. » Ce ne fut pas la voie finalement retenue45.

20La province de Lyon était dans une situation particulière, en raison du nombre de maisons (10) encore actives en 1975. Le conseil provincial avait élaboré en 1975 un plan de réduction, basée sur des unités éducatives (de 12 jeunes) encadrées chacune par deux religieuses éducatrices, soit 9 groupes dans 5 centres éducatifs, qui seraient maintenues jusqu’en 1980-1995 ; 3 autres centres seraient fermés avant 1980. Les fermetures prévues de Cannes et d’Annonay eurent lieu46, celle de Toulon (jugée « à bout de souffle » dès juin 1974, avec une pédagogie à revoir et des fugues aussi nombreuses que les entrées en 1976) fut compliquée, mais la passation se fit en novembre 1981. Même schéma à Bastia : l’établissement était depuis toujours plus en lien avec la DDASS qu’avec le juge. Il existait aussi une garderie d’enfants qui accueillait filles et garçons jusqu’en 1978. L’internat devint mixte en 1973 et fut transféré en 1980. Restait un foyer pour adolescents et jeunes adultes, qui passera 1997 à une association, à laquelle les religieuses participèrent jusqu’en 199947.

21Le seul événement imprévu concerne Lyon : le plan prévoyait pour Lyon le maintien de deux foyers, et la fermeture de l’internat, aux locaux inadaptés, avec des problèmes de personnel. Si l’évolution des foyers se fait comme prévu, la question se pose en 1979 de reconstruire un internat à Lyon sur le terrain disponible. Les avis sont partagés : les unes sont pour reconstruire, ce qui éviterait les licenciements, les autres estiment que « nous marchons sur la corde raide. […] La politique du gouvernement est claire. Les circulaires en font foi : le moins de placements possibles en internat ». Le vote pour la construction d’un petit internat de deux pavillons de 12 places est de 4 oui, 2 non, 1 blanc (une division très rare dans les conseils provinciaux). L’internat est construit à partir de 1980, mais dès 1983, un des deux groupes est supprimé. En 1986, les deux nouveaux pavillons sont occupés par les deux foyers. Le conseil provincial revient souvent sur ces questions : alléger encore les internats pour conserver les foyers « à taille humaine » (Marseille-boulevard Baille, Saint-Martin-d’Hères) qui « correspondent davantage à ce que désirent les sœurs éducatrices » (octobre 1982). En mai 1983, à la suite d’un nouveau questionnaire à toutes les religieuses « actives » (80) de la province, on constate : « Suite à ces réponses, nous pouvons conserver trois unités éducatives avec un maximum de 12 jeunes chacune. Nous avons 4 directrices qui acceptent de continuer, 3 éducatrices qui peuvent assurer un groupe, 11 éducatrices qui peuvent seulement aider. » Saint-Martin-d’Hères ferme en 1984, Marseille Cabot en 1984 pour l’internat, en 1989 pour le foyer. Ne restent alors que Marseille Clos-fleuri, Bastia et Lyon.

22La supérieure générale ne semble pas vraiment percevoir la lassitude de beaucoup de religieuses lorsqu’elle donne cette consigne à la provinciale de France en décembre 1985 : « ne pas aller trop vite, veiller à ne pas précipiter les fermetures, mais aménager des structures légères de foyer où les sœurs travaillent avec plaisir48 ». En 1985, l’âge moyen des religieuses directrices de foyers éducatifs est de 52 ans, des religieuses éducatrices de groupes de 47 ans. Citons en écho cet extrait du conseil provincial de Lyon (février 1986) : « Le rôle des sœurs dans les foyers est important, mais si l’on retire trop du rôle qui porte le quotidien, on est trop éloigné des filles ; cependant, les sœurs présentent dans les Foyers sont fatiguées ; [il faut désormais] inventer une manière d’être présente au quotidien pour maintenir présence et proximité sans trop de fatigue. » À Angers, en décembre 1989, dans un débat sur une éventuelle passation, « la réponse des sœurs [concernées] est qu’elles ne peuvent plus faire face à aucune prise en charge des jeunes dans les structures actuelles, étant donné leur âge et leurs possibilités ».

Le temps révolu de la contrainte et de la réclusion

23Au-delà des péripéties qui tiennent à la diversité des situations locales (personnelles, immobilières, financières, judiciaires, syndicales, etc.), se dégagent quelques lignes de force. Si les tutelles sont au départ surprises et sans doute irritées, elles doivent reconnaître rapidement que le mouvement de repli ne les gêne pas, puisque la plupart des établissements ne sont pas pleins, que les effectifs réels sont inférieurs aux effectifs pour lesquels ils sont habilités. Les nouvelles conceptions éducatives privilégient petites structures et maintien des jeunes avec leur famille49. Cela inspire les décisions des juges des enfants, ouvre la possibilité aux jeunes de refuser d’entrer dans un établissement. On voit souvent les supérieures locales consulter le juge et la DDASS pour demander une réduction d’effectifs, et l’obtenir. Parfois même, l’initiative vient de la DDASS. Les supérieures, dans des rapports internes, constatent qu’elles dépendent des politiques variables des juges.

24Les observations de la directrice de Valognes en janvier 1980 sont généralisables. Elles témoignent à la fois de la progressive marginalisation institutionnelle du Bon-Pasteur dans le champ de la rééducation, mais aussi de son éloignement croissant à l’égard des attentes sociales et éducatives de la part des jeunes et de leurs familles. Le temps des institutions de réclusion et de contrainte est révolu :

« Répercussion sur notre maison de l’évolution actuelle de l’éducation spécialisée. 1^o Au niveau des services de tutelle. Moins de placement en Internat étant donné les autres formes de prise en charge possible (milieu ouvert par ex.), la majorité à 18 ans, la participation importante demandée aux jeunes et à leur famille pour un placement (il arrive qu’un placement ne se fasse pas après visite de la maison par le jeune et sa famille). À noter aussi la tolérance importante de la société (comportements sexuels, absentéisme scolaire, absence de travail…). Il apparaît également que la DDASS fait moins de placement en internat. Les J. E. [juges pour enfants] de la région ne placent en internat qu’en dernier recours, et donnent facilement une mainlevée de placement. Lorsqu’on prend contact avec les autorités de tutelle du département : celles-ci demandent qu’un établissement demeure, mais il y aura peu de placements… Il n’est pas demandé d’amélioration précise du service50. »

25À Angers, on note que les juges ne sont intéressés qu’en cas d’urgence. Du côté de la DDASS, on case les filles, les rapports sont purement administratifs. Avec l’Éducation surveillée, les tensions existent dans les années 1970, liées au fait que la congrégation refuse de se laisser dicter ses orientations, notamment s’agissant des fermetures et restructurations d’établissements. Elle laisse place à une relative indifférence à compter de 1975. Cette fermeté de la congrégation permet-elle d’atteindre les objectifs d’ensemble dessinés en 1970-1971 ? Un de ces objectifs était de garder des maisons en nombre suffisant pour que les religieuses âgées ne soient pas reléguées dans des communautés sans œuvres. La rapidité du mouvement de recul rend cet objectif difficile, malgré les regroupements en cours dans des établissements transformés en maisons de retraite51. En 1978, il n’y a que deux communautés isolées de « sœurs aînées52 », et, malgré les regroupements, il y en a 4 en 1984, et 6 en 1990.

26L’autre objectif était de rétablir l’équilibre de vie des religieuses éducatrices, et en même temps de leur redonner l’occasion d’exercer leur apostolat. L’approche peut être d’abord quantitative : le nombre de jeunes reçues est réduit de décembre 1970 à décembre 1980 de 76 %, et de 96 % en décembre 1991. La baisse des effectifs est d’abord la conséquence du recul du nombre de centres éducatifs, mais c’est aussi, dans les centres subsistants, la réduction spectaculaire des effectifs moyens.

27Cela a pour conséquence de réduire le nombre de jeunes placées pour chaque religieuse. Si l’on calcule leur poids dans l’encadrement des filles, les changements sont sensibles sur la longue durée. Même leur place par rapport aux professionnelles laïques augmente de nouveau après 1970 ; en 1970 il y a une religieuse pour 2,3 éducatrices laïques, en 1985, une pour 1,8 éducatrice laïque.

28Les chapitres provinciaux de 1978 constatent les changements. À Lyon, les religieuses en institution décrivent une échelle plus familiale, de vraies équipes de travail : « ce que nous avons à dire sur le plan chrétien et professionnel est plus facile à dire [et] on a plus facilement les jeunes en main ». La provinciale constate qu’avec des structures légères, un, deux ou trois foyers par maison, on arrive à une situation qui « allège beaucoup la lourdeur administrative ; le rôle de Directrice revient à taille humaine ». Il semble donc que pour les religieuses, l’exercice de la fonction d’éducatrice ait été, paradoxalement, plus favorable au moment du repli des institutions.

29Mais la question qui revient est celle du personnel laïc. Si le ton a changé, mettant en avant une plus grande complémentarité, c’est parce que les professionnelles sont désormais choisies pour leurs affinités idéologiques avec l’œuvre. À Strasbourg, « on pense que les quatre institutions actuelles de la Province posent encore des problèmes malgré tout l’allègement et les mutations des dernières années, et qu’il faut être attentif en particulier au problème d’équilibre entre personnel religieux et personnel laïc, tout en donnant à celui-ci toute la place qui lui revient53 ». Les actes du chapitre de Lyon affirment qu’il faut sélectionner le personnel laïc : « Il est important qu’il se trouve parmi [les équipes éducatives] des laïcs et même des éléments masculins, à condition qu’ils acceptent de jouer le jeu et de travailler dans l’optique et l’esprit du Bon-Pasteur. L’institution réduite évite aussi la présence de syndicalisme, des délégués du personnel qui sont souvent à l’origine de conflits internes ». À Angers, on pense « garder les postes clés : à compétence égales, c’est à la religieuse d’être responsable d’un service. Ceci non pour dominer mais pour “donner” un esprit et garder à l’institution les caractéristiques du Bon Pasteur. Tenir compte, dans l’équipe éducative, de la proportion suffisante de religieuses ne serait-ce que pour faire face à de multiples courants. » Face à la laïcisation du métier, les religieuses du Bon-Pasteur n’ont pas cédé de leur pouvoir.

30Une enquête sur les centres éducatifs de la province d’Angers en 1980 apporte des réponses aux tonalités très diverses54. À Pau, « un personnel stable, compétent, très attaché à la maison ». « Le problème du pluralisme se pose certes mais notre maison d’éducation spécialisée annonce sa “couleur” à tous […]. Nous respectons les options différentes mais nous exigeons que notre projet pédagogique soit respecté. » Mais à Angers, le ton est moins assuré : on reconnaît la « tolérance » des éducateurs, qui ne « vivent pas n’importe quoi ». On hésite entre deux positions : « Ou comme maintenant : nous maintenons dans la maison des valeurs humaines, morales, chrétiennes, mais notre action est bien lointaine. […] Ou en regroupant un peu les sœurs, ou en diminuant les effectifs si ça peut se faire, nous avons une action moins étendue, mais plus prégnante, avec des laïcs acceptant une référence plus explicite à l’Évangile. À travers notre apostolat est-il clair que le BP “œuvre dans l’intérêt des pauvres” ? Comment faire mieux ? » À Cholet, comme à Angers, on insiste sur le choix difficile lors de l’embauche, et l’on remarque « qu’on ne peut évidemment pas licencier sous le motif des opinions ». Au centre d’Angers, en 1983, on envisage une nouvelle réduction des effectifs, ce qui permettrait « un climat plus familial […]. Le moins grand nombre de laïcs, face au même nombre de religieuses devrait permettre des relations plus faciles ». Mais contre cette hypothèse, on avance la crainte des licenciements (« Nous même comment pourrions nous envisager cela dans le contexte économique actuel »), et si l’on profite des départs spontanés, cela créera une « insécurité du personnel, climat difficile, sur combien de temps55 ».

⁂

31Lorsque le conseil provincial de France réaffirme en 1986 : « La direction des foyers doit être confiée à une religieuse. Il est souhaitable que plusieurs sœurs travaillent ensemble dans le foyer. Équilibre des laïques et des religieuses afin de maintenir l’esprit du Bon Pasteur56 », c’est un vœu pieux. La démographie impose sa solution : à court terme, ajuster l’effectif des laïcs à celui des religieuses ; à plus long terme, programmer la fermeture de la quasi-totalité des centres éducatifs. En janvier 1989, ce même conseil constate que les besoins existent : « la vraie question est celle des sœurs pouvant en assurer la responsabilité ». Le chapitre de 1990 aborde encore la question des foyers éducatifs et de leur fermeture, repoussant une dernière fois la fermeture des dernières institutions : « Qu’est-ce qui fait que l’esprit du Bon Pasteur est vivant dans un centre éducatif : le nombre ? la directrice ? une sœur57 ? » Que signifie ce dernier atermoiement sur une question à peu près scellée en France : nostalgie, ou résistance discrète à d’autres orientations ? Depuis vingt ans, parallèlement à ce repli de la fonction éducative en institution, de multiples pistes avaient été évoquées, quelques-unes explorées. Finalement, le deuil des grandes institutions conventuelles de rééducation n’a jamais été exprimé.