Le droit international : cadre de gouvernance du travail de l’organisation internationale

8Le haut-commissariat des Nations unies n’a de cesse de 1967 à 1981 de clamer la nécessité d’obtenir de l’Égypte, l’adoption des textes qui régentent les droits des réfugiés. Cet objectif est revendiqué tout au long de la période, jusqu’au 22 mai 1981 où la ratification des instruments consacre enfin « la tradition humanitaire de l’Égypte », selon les mots du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés Poul Hartling. Ce sont des propos intéressants à relever de la part d’un dignitaire des Nations unies, car adressés en réalité à un pouvoir militaire et autoritaire3.

9Alors que la question d’un vide législatif se pose, les archives de l’organisation internationale permettent d’entrevoir une situation bien différente de celle que l’on pourrait imaginer. L’Égypte ne dénie pas aux réfugiés leurs droits malgré la non-adhésion aux instruments internationaux. Le HCR fait constamment observer, en effet, que si l’Égypte n’a pas signé les textes, la législation du pays est en phase avec ses contenus. Les provisions des textes sont appliquées et l’action peut ainsi se construire. De plus, le gouvernement permet le travail de l’organisation et montre sa compréhension, autant que sa conscience du problème des réfugiés4. Cela constitue également un témoignage d’un travail efficace du HCR dans sa politique de défense des intérêts des réfugiés auprès du gouvernement. Néanmoins, aucune loi n’entoure la condition de réfugié dans le pays. C’est pour cela que l’organisation internationale souhaite la ratification des textes internationaux. Les réfugiés sont protégés par le HCR qui organise et légitime leur présence sur le territoire, tandis que le gouvernement par cette entremise leur accorde protection sur le sol national et leur permet de disposer de documents administratifs tels que des titres de séjour et des documents de voyage. Pourtant, la condition de réfugié ne fait pas l’objet d’une reconnaissance formelle par les autorités nationales. Autrement dit, ils ne sont pas des réfugiés du point de vue de la législation égyptienne. Leur position témoigne d’une grande complexité, où échelle nationale et internationale se superposent mais divergent.

10Cela explique la détermination de l’organisation internationale à œuvrer sans discontinuer auprès du gouvernement égyptien, afin de promouvoir la ratification des grands instruments juridiques. Quelques grands moments appuient ce travail. En 1975, d’abord, le ministère de l’Intérieur annonce être en faveur de l’accession à la convention de 19515. Cette prise de position n’est cependant pas suivie d’effets. L’année 1979 semble marquer réellement le début d’une tendance menant à la ratification. Un rapport de mission émis par le HCR exprime la volonté de signer la convention et son protocole. Une étape est alors franchie. L’Égypte veut accéder aux instruments et plusieurs raisons expliquent cela : sa diplomatie se trouve esseulée, dès lors que la paix avec Israël l’isole du monde arabe, et l’OUA exerce une pression diplomatique pour la ratification de sa convention de 1969. Il s’ajoute à cela la position d’un homme d’influence, éminent homme politique égyptien mais également grand universitaire, qui se prononce particulièrement en faveur de ce texte : Boutros Boutros-Ghali, alors ministre d’État aux Affaires étrangères. Deux ans plus tard en 1981, la ratification intervient. Elle fait cependant l’objet de réserves relatives à la place des réfugiés dans le pays. À ceux-ci, est refusé un statut d’égalité avec les nationaux, les inégalités de traitement subsistent malgré la reconnaissance juridique du statut de réfugié6. Le HCR ne le reproche pas au gouvernement. C’est une pratique habituelle des États d’établir leurs réserves et restrictions. Il ne faut pas oublier que les autorités égyptiennes n’ont eu aucun, ou du moins très peu, de pouvoir décisionnel sur le contenu des textes. Émettre des réserves permet de mettre en phase ces textes avec la législation du pays, mais également d’appuyer sa souveraineté. L’élément le plus important reste en outre l’accession aux textes. C’est une victoire symbolique, qui consacre la politique menée par le bureau du HCR au Caire, doublée d’une victoire concrète en matière de reconnaissance et de protection des réfugiés.

11On peut s’interroger sur les raisons justifiant le refus d’accéder à ces textes internationaux. L’explication mise en avant dans les rapports du HCR est difficilement compréhensible. Il est fait mention, en effet, d’une impossibilité de ratifier les textes car cela entraînerait une liquidation politique du problème palestinien7. Cette question est hautement sensible dans le monde arabe et notamment en Égypte, qui de 1967 à 1981 s’engage par deux fois dans des guerres contre Israël. Cependant, la convention comme le protocole ne légitiment ni la position israélienne ni ne mentionnent les problématiques palestiniennes. Au contraire, il est expliqué dans la convention qu’elle ne s’applique pas à cette population, placée spécifiquement sous la protection des Nations unies dans le cadre d’une organisation particulière qu’est l’UNRWA8. Il est ainsi malaisé de saisir les logiques propres au gouvernement, d’autant que la signature des accords de Camp David, le 17 septembre 1978, et la paix israélo-égyptienne du 26 mars 1979 n’entraînent pas de ratification immédiate.

Être réfugié en Égypte : un asile sous conditions

12Ainsi, le cadre juridique international est essentiel à appréhender pour saisir l’évolution d’une pratique de l’asile égyptien et comprendre les spécificités du fonctionnement du HCR dans le pays. Cependant, le pays présente également ses propres particularités quant à l’asile. En effet, en Égypte, l’asile se fait sous condition. Le HCR se trouve donc confronté à des problématiques nationales avec lesquels il doit composer.

13Les années 1970 ont la spécificité d’être marquées par l’irruption de plusieurs crises sociales et économiques majeures. Une large partie de la population égyptienne vit sous le seuil de pauvreté, le chômage est conséquent ; l’inflation croissante et la surpopulation aggravent ces phénomènes. Ces raisons expliquent que l’Égypte ne soit pas considérée par le HCR comme un pays d’installation pour les réfugiés durant ces années difficiles. En effet, le pays ne semble guère aux yeux du HCR, en mesure de permettre à une nouvelle population de s’y établir durablement. Ainsi, contrairement aux réfugiés qui se sont installés dans le pays avant les années 1950 et ont pu trouver un emploi ou installer une activité, les nouveaux réfugiés ne peuvent espérer une amélioration de leur condition dans le pays. Le HCR, qui conçoit son action auprès des réfugiés dans un objectif de durabilité, est bien conscient des limites. Il impose donc, des conditions qui suivent les intérêts du pays, mais défendent surtout ceux des réfugiés.

14C’est ainsi qu’émerge l’une des orientations principales de la politique d’asile égyptienne : la politique d’éducation. La majorité des réfugiés qui s’installent alors dans le pays y poursuivent des études. Se dessine alors la seconde grande orientation qu’est la politique de réinstallation. Les réfugiés doivent en effet quitter le pays une fois leurs études achevées. C’est là l’un des grands défis du HCR et donc l’un des axes structurants de l’administration des réfugiés, prôné au même titre que l’installation locale, quand celle-ci semble possible9. L’objectif de la réinstallation est d’offrir aux réfugiés une nouvelle situation personnelle comme économique. Il s’agit d’un concept fondamental dans le fonctionnement du HCR et inscrit dans son statut, comme dans la convention de Genève.

15Cependant, malgré ces restrictions, le bureau du Caire parle toujours d’une politique d’asile « libérale » en Égypte. Les sources expliquent notamment que pour les réfugiés qui ne pourraient pas être admis sur le territoire, le gouvernement permet une période raisonnable de séjour jusqu’à ce qu’ils obtiennent l’admission vers un autre pays10. C’est le constat de la place déterminante des autorités. Ils limitent l’asile en raison de la situation sociale et économique du pays, mais demeurent enclins à l’assistance, bien que le cœur de l’action soit mené par l’organisation internationale. La nature de l’asile proposé est ici essentielle à appréhender. L’Égypte n’est ni un pays de premier asile ni un pays d’installation permanente. Il est nécessaire dans ce cadre d’interroger et de décrire le protocole pour déterminer l’éligibilité des réfugiés. Un document daté de 1979 renseigne sur les procédures mises en place ; la première étape est un enregistrement, dès l’arrivée, auprès du ministère des Affaires étrangères en tant que réfugiés. Suite à cela, le HCR est informé de leur présence, un entretien individuel a lieu avec le bureau du Caire pour déterminer leur statut et décider s’ils se qualifient ou non pour l’assistance11. Si l’organisation ne peut laisser ces réfugiés demeurer dans le pays, elle œuvre pour que leur séjour dans le pays soit administré justement, les prend en charge et les accompagne jusqu’à leur départ. La politique d’assistance est relativement large et couvre des frais d’installation et de logement, des cours et formations mais aussi une aide médicale. Le HCR agit ainsi pour faciliter l’existence matérielle des réfugiés. Cette perspective est au cœur de ses actions, d’autant plus que la crise ne fait que s’aggraver en Égypte. La politique de l’infitah, ou politique d’ouverture économique dans le but d’attirer des capitaux étrangers, promue par Anouar Al Sadate n’a pas permis de résorber les problèmes du pays12. Le besoin d’assistance est croissant et l’inflation la rend indispensable.

Une organisation internationale hégémonique : pouvoir et rôle du haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés

16Lorsque l’on observe le fonctionnement du haut-commissariat en Égypte, comme dans d’autres pays, le constat est clair : l’organisation exerce des fonctions dignes de celles d’un État. L’administration d’une population, sa prise en charge et sa protection relèvent, en effet, de prérogatives étatiques. Ce n’est pas l’État égyptien qui prend en charge les réfugiés arrivés sur le sol national mais bien le HCR. Les autorités demeurent présentes, par le biais de l’attribution des documents administratifs, mais c’est le bureau du Caire qui en choisit les bénéficiaires. Une question majeure se pose. Pourquoi un État mettant en avant une souveraineté nationale récemment acquise a-t-il tout de même mandaté une organisation internationale pour exercer ce rôle de gestion et de prise en charge des réfugiés, orchestrant donc un transfert ou une perte d’une maîtrise sur une frange de la population ?

17En effet, l’indépendance égyptienne du joug britannique n’intervient que peu de temps avant le protocole d’entente signé avec le HCR et l’installation du bureau au Caire. Cela témoigne probablement d’une volonté d’accorder une priorité nouvelle aux nationaux que le pouvoir colonial déconsidérait au bénéfice des étrangers. Jusqu’en 1956, la nationalité égyptienne pouvait être aisément obtenue, mais ce statut procurait davantage de prestige. Les Arméniens par exemple, étaient considérés comme ayant une place privilégiée dans la société13. Cette décision peut être lue comme un choix politique de remettre les nationaux au cœur de l’action du pouvoir, les réfugiés étant alors essentiellement européens.

18Malgré l’accroissement du nombre de réfugiés et l’évolution des profils avec une provenance africaine qui s’installe dans les années 1960 et se confirme dans les années 1970, le gouvernement égyptien ne souhaite pas reprendre en charge cette question. C’est donc que la gestion par le HCR l’arrange. La présence de l’organisation internationale le soulage de certaines responsabilités. Ce n’est pas tant la question budgétaire qui importe, bien qu’elle soit tout de même à considérer, que le « fardeau opérationnel » à la charge du bureau14. Cette idée de fardeau opérationnel s’oppose au concept de fardeau financier. Le « fardeau financier » est l’objet de réflexions importantes de la part de l’organe des Nations unies. C’est un concept à part entière, qui fait l’objet de nombreuses analyses par les chercheurs s’intéressant au HCR, car il constitue le cœur même de cette assistance humanitaire15. Ce dernier est admis comme laissant place à un « partage de fardeau » efficace. Le HCR reçoit des aides budgétaires, fait des appels aux dons, est soutenu par les gouvernements. Le gouvernement égyptien contribue au budget du bureau du Caire. Mais du point de vue organisationnel, c’est uniquement ce dernier qui gère l’action. L’organisation est maîtresse de son action, certes, mais doit aussi assumer les charges qui en découlent. Le fardeau opérationnel relève donc de sa responsabilité. Les autorités n’ont aucune fonction dans le processus de détermination du statut de réfugié, et se contentent de la délivrance administrative des documents16. Cette répartition des prérogatives au bénéfice du HCR est demeurée particulièrement stable. Alors même que les causes de l’asile et les provenances des réfugiés ont évolué, que les flux se sont modifiés, la manière de gérer l’asile est restée inchangée durant la période : preuve de la fonction incontournable, tant pour les réfugiés que pour le gouvernement, de cet organe des Nations unies. Il s’impose comme une instance dans la société égyptienne.

19Le fonctionnement du HCR obéit à un modèle, adopté généralement dans les pays en développement, mais sa politique s’adapte au contexte africain : l’action de l’organisation dépend, en effet, du contexte. Les années 1960 et surtout les années 1970 constituent un moment de transition, avec l’apparition de réfugiés de plus en plus nombreux en Afrique, qui se dirigent vers des États qui ne peuvent ou ne veulent pas forcément les prendre en charge17. L’organisation dispose d’une autorité attribuée par le gouvernement, et elle s’avère extensive face à un problème des réfugiés de plus en plus important. Il faut de plus voir que l’action du bureau égyptien reste totalement soumise aux impératifs de l’organisation-mère qui guide l’action. La gestion est totalement déléguée et le siège n’intervient jamais directement. Il a seulement un rôle de conseil et de supervision des objectifs généraux. Cela montre l’efficacité de sa politique. Elle peut s’implanter sur différents territoires et mettre en place sa politique de protection des réfugiés. C’est un système de gouvernance internationale très performant que l’on lit ici. Insérée dans des États qui ne la récusent pas, l’organisation promeut l’action des Nations unies. La gouvernance internationale entend permettre le traitement équitable des réfugiés, une cohérence des politiques entre pays et la promotion de solutions durables pour le problème des réfugiés.

20Cependant, lorsque l’organisation décrit son action elle insiste toujours sur son but initial, c’est-à-dire l’assistance aux réfugiés. Il s’agit pour elle de justifier ainsi le rôle prééminent qu’elle a acquis dans l’État égyptien. La question de l’assistance humanitaire constitue donc un enjeu essentiel pour appréhender ces questions de pouvoir. Pourtant, toutes les agences des Nations unies assumant un rôle analogue d’assistance ne sont pas admises sur le territoire, c’est notamment le cas de l’UNRWA qui n’est jamais acceptée sur le territoire égyptien, comme il a été vu précédemment. Cela pose la question de la rhétorique des organisations internationales, car la mise en place d’un pouvoir dans un État, d’autant plus dans un tel État autoritaire, n’est pas sans soulever de questions. Il est évident que l’Égypte se prête au jeu du HCR, qui sans cela n’aurait pu exercer aucun pouvoir dans le pays.

21Cette présentation du cadre institutionnel, essentielle à lire car descriptive d’un cas concret de gouvernance dans les Suds pose également la question de la prise en charge des réfugiés. Elle est variable car soumise à l’évolution des contextes. Il est nécessaire de les appréhender car entraînant des évolutions des flux de réfugiés, qui transforment le visage de l’asile. Il s’agit ainsi, de dresser un tableau de cette prise en charge soumise à des transformations.

De la prédominance des cas européens à la dissolution d’un asile ancien (1967-1969)

23En 1967, l’action du HCR se destine encore essentiellement aux « anciens réfugiés ». Selon la catégorisation du HCR, ceux-ci correspondent aux réfugiés européens, par opposition aux « nouveaux réfugiés », notamment Africains. Les réfugiés sont autant européens, arrivés suite à l’éclatement de l’Empire ottoman (la majorité des réfugiés sont Arméniens mais il y a également de plus petites communautés comme les Assyriens, les Assyro-Chaldéens) ou venus après la Seconde Guerre mondiale (il s’agit de Russes « blancs », de Yougoslaves et d’Albanais), que des « étudiants réfugiés » décrits seulement comme venant du continent africain. C’est l’émergence d’une action pour le HCR qui est destinée à entraîner un renouveau dans l’organisation et le fonctionnement du bureau. Un défi nouveau se profile.

24Malgré l’émergence de ce profil de réfugiés, entre 1967 et 1969, les réfugiés européens sont toujours au centre des préoccupations du HCR. Ils constituent de fait les cas les plus nombreux. Le constat qui s’impose est que le groupe est relativement vieillissant. La jeune génération a quitté le pays à la recherche d’opportunités nouvelles qu’elle ne trouvait pas en Égypte19. Parmi ces réfugiés âgés, nombre d’entre eux sont handicapés donc bien plus vulnérables. De sorte que les départs vers d’autres pays d’asile, s’avèrent complexes. Lorsqu’ils s’étaient installés sur le territoire, les réfugiés européens avaient pu accéder à l’emploi et exercer une activité professionnelle. La seule condition qui leur était imposée était d’exercer dans le secteur privé car le secteur public est strictement réservé aux nationaux. Cependant au fil du temps et avec l’évolution du contexte, leur vie est devenue moins aisée. C’est ainsi que s’amorce un nouvel exil. Pour ceux qui restent, les besoins de l’assistance sont modifiés. Ces réfugiés, qui demandaient jusqu’alors essentiellement une assistance administrative, requièrent désormais une aide matérielle, qui leur est indispensable. La crise économique, comme l’inflation, est le facteur explicatif à ces nouveaux besoins. C’est une situation assez inédite car pendant longtemps les réfugiés, et tout particulièrement les Arméniens, étaient relativement prospères20. La période 1967-1969 constitue une rupture pour les Arméniens, car cette communauté historique se voit alors contrainte de se tourner davantage vers l’aide des organismes internationaux. Ceux qui entrent dans les critères de réinstallation quittent le pays, tandis que ne demeurent en Égypte que les cas individuels plus complexes. S’ensuit une transformation importante de cette communauté. La situation conduit le HCR à instaurer en 1967 une politique d’annuités, consistant en des aides financières pour des réfugiés européens âgés et dont le nombre de bénéficiaires ne fait qu’augmenter.

25L’assistance se fait par le HCR mais pas seulement. Elle se fait par le biais de l’aide communautaire qui œuvre avec l’organisation. C’est une spécificité de ces réfugiés européens qui pratiquent une solidarité communautaire importante et inhérente à leur fonctionnement. La communauté arménienne s’appuie en Égypte sur le Howard Karagheusian Commemorative Corporation et le Jinishian Memorial Fund. L’aide communautaire est davantage qu’une caractéristique de ce groupe, c’est une revendication et un marqueur identitaire que de pouvoir s’entraider et de contribuer ainsi à la vie de la communauté. L’émigration d’une part de la communauté fragilise les plus pauvres car les circuits nationaux de l’aide dans la communauté ne peuvent se faire. Les organisations humanitaires internationales ont également un rôle mais qui a tendance à se raréfier. Les Russes « blancs » bénéficient par exemple d’un soutien par l’intermédiaire du Norwegian Refugee Council, une organisation non gouvernementale destinée aux migrants forcés.

26Un bilan conclusif peut être dressé en 1981 sur la présence de réfugiés européens en Égypte de la période. Il est irrémédiablement celui d’une forte réduction de leur présence : le tournant est pris à la fin des années 1960 et s’accentue tout au long des années 1970.

Réfugiés pour étudier : des migrations en transit (1969-1978)

27Dans le pays de la grande université d’Al Azhar, centre de savoir religieux et référence majeure dans le monde musulman, la question des études occupe une réelle place. Cette prestigieuse université, fondée à la fin du x^e siècle, permet au pays de jouir d’une grande réputation intellectuelle. Ce lieu de formation, dont rêvent de nombreux étudiants de la région, demeure cependant difficilement accessible.

28Les études sont l’un des enjeux centraux de la politique d’asile égyptienne menée de 1967 à 1981. Une grande partie des réfugiés que le pays accueille entreprend des études dans le pays. Il s’agit là d’un groupe à part, aux enjeux spécifiques, puisqu’on parle d’« étudiants réfugiés ». Pourtant la catégorie ne répond à aucune définition juridique21. Mais de fait, tous les pays de la région ne peuvent fournir un bon niveau d’éducation ni avoir les installations et établissements pour accueillir des populations estudiantines. Dans ce contexte, l’Égypte est considérée comme un pays de choix, offrant le plus grand nombre de possibilités pour mener des études22. Le HCR oriente ainsi sa politique pour s’adapter aux nécessités des réfugiés qui arrivent de plus en plus nombreux pour étudier dans le pays. Une prise en charge naît et se développe notamment à partir de 1969, qui les place au premier plan. Les choix sont orientés par l’organisation. Le HCR arbitre afin de limiter les échecs et de permettre au plus grand nombre de trouver un emploi. L’installation en Égypte n’est qu’une étape du chemin de l’asile ; en dernière instance, il s’agit de faciliter la quête d’un pays d’installation.

29À partir de 1969, la situation évolue clairement. Les réfugiés européens ne sont plus le cœur de l’action et des préoccupations. Dès lors, ce sont les réfugiés africains, principalement éthiopiens, qui occupent cette place centrale. L’Éthiopie des années 1970 connaît des crises continuelles : une guerre civile en Érythrée, puis la guerre d’Ogaden, qui la fragilise davantage encore. Les réfugiés quittent essentiellement le pays suite à la guerre civile et à la répression politique consécutive à la révolution éthiopienne de 197423. Ces réfugiés, âgés en général de moins de trente ans, sont pour la majorité au début de leur vingtaine. Ce sont majoritairement des hommes, parlant souvent plusieurs langues et musulmans24. L’Égypte n’est que rarement leur premier pays d’asile. Ils ont par exemple travaillé au Soudan ou en Arabie saoudite et arrivent dans le pays pour terminer leurs études25. Le flux est constant entre 1967 et 1981, en dépit de variations d’intensité. En outre, des étudiants réfugiés viennent de toute l’Afrique : d’Afrique du Sud, par exemple. Ceux-ci disposent d’ailleurs d’un soutien plus important que les autres réfugiés africains à travers l’existence d’un fonds dont les Nations unies sont les initiateurs, Trust Fund for South Africa, et disposent de bourses propres ; ils sont ainsi moins dépendants du HCR. Ces bourses s’insèrent dans le Educational and Training Program for the Southern Africains du programme des Nations unies pour le développement. Ces étudiants réfugiés sont d’origine indienne et pakistanaise, vivent en Afrique du Sud et ont la nationalité du pays. Mais la situation politique et sociale sud-africaine les conduit à s’expatrier, dès lors qu’en raison de la ségrégation et des lois raciales, ils ne peuvent envisager de faire des études supérieures. Le retour dans le pays est cependant rendu nécessaire par le soutien à la famille, qu’il ne s’agit pas d’abandonner suite à cette migration et malgré cette reconnaissance de leur statut de réfugié sous le mandat du HCR26.

30La présence des réfugiés africains sur le territoire égyptien finit par infléchir en leur faveur l’action du gouvernement. Si en 1969, celui-ci n’assistait pas les réfugiés, en 1973 des bourses gouvernementales sont désormais accordées à ceux qui poursuivent leurs études27. C’est une contribution essentielle car l’aide du HCR n’est parfois pas suffisante. D’autant plus que ce groupe arrive dans le pays avec des restrictions particulières : ils ne peuvent travailler et sont donc dépendants de l’assistance, y compris pour les besoins de la vie courante. Le gouvernement n’est pas le seul à modifier son action suite à l’arrivée des réfugiés africains. Alors que le bureau du Caire réaffirme en 1975 sa volonté de prendre en charge les réfugiés éthiopiens selon les critères individuels retenus par la convention de Genève28, sa position évolue en 1978, sous l’effet du contexte. Il convient alors de considérer les réfugiés d’origine éthiopienne selon le principe prima facie, et ce faisant, de mettre en œuvre une reconnaissance collective du statut29.

31L’assistance est, comme l’asile, soumise à des conditions. Le HCR, par souci d’efficacité, encadre de manière stricte la conduite des études et oriente le choix des réfugiés. Ainsi, est inaugurée la politique de la formation professionnelle. Le HCR encourage les étudiants réfugiés africains à suivre de telles formations, professionnalisantes, afin d’avoir les meilleures perspectives d’insertion sur le marché du travail lorsqu’ils seront diplômés ; ces orientations ne s’appliquent pas aux étudiants les plus brillants dans le domaine académique, mais sont préconisées dans un contexte où les pays arabes du Golfe sont en demande de main-d’œuvre qualifiée. Les réfugiés, pour leur part, ne sont pas toujours favorables à ces orientations décidées par l’organisation. De fait, un certain nombre accède à des études supérieures.

32Il est intéressant de dépasser ici brièvement le cadre chronologique défini pour mesurer la portée de cette politique. Celle-ci fait l’objet de critiques qui viennent de l’intérieur même de l’organisation internationale. En effet, en 1981 de nombreux problèmes sont constatés, dus notamment à une qualité de cours défaillante, qui empêche la bonne conduite des études. Les rapports parlent même d’un « échec quasi complet de l’expérience de la formation professionnelle ». Mais c’est là davantage une faiblesse du système égyptien face à laquelle le HCR est désarmé. Cependant, en 1981, l’Égypte est toujours considérée comme un pays majeur pour l’éducation. Une nouvelle orientation est ainsi décidée, qui consiste en une sélection des étudiants réfugiés pour des formations professionnelles plus longues30.

Vers la restriction de l’asile (1978-1981)

33La restriction de l’asile peut s’inscrire dans des contextes, sociaux et économiques, rendant l’accueil plus difficile. Elle peut aussi correspondre à des choix idéologiques et politiques. Mais, la situation égyptienne ne s’ancre pas dans une politique nationale En effet, sa politique d’asile reste administrée par le HCR ; la restriction de l’asile relève d’une décision de gestion de son bureau au Caire et le gouvernement égyptien pose bien peu de conditions. D’ailleurs, l’organisation internationale qualifie de manière constante sur la période la politique d’asile égyptienne de libérale.

34Au tournant des années 1980, l’asile en Égypte ne cesse pas mais les réalités du contexte amènent le HCR à se montrer plus strict dans son accueil, à encadrer davantage les réfugiés et à établir une régulation plus importante. À cela plusieurs facteurs. Le premier est un choix de politique nationale. En effet, le Soudan distribue aux réfugiés éthiopiens des passeports, qui leur permettent de voyager plus commodément. Cependant, cela rend plus ardu le traitement des flux par l’organisation qui se trouve confrontée à des demandes croissantes. Le HCR décide dans ce cadre de limiter son accueil. Ces pratiques suscitent des critiques. Ce n’est pas la quête de l’asile qui est l’objet de réprimandes mais bien une décision politique à laquelle l’organisation n’arrive pas à faire face. Toutefois, le HCR est également plus strict pour l’accueil, renvoyant notamment ces réfugiés vers leur premier pays d’asile ou leur refusant une assistance. Le HCR refuse d’assister les réfugiés Harari. Ils se qualifient pourtant pour le statut et pourraient mener des études en Égypte. C’est une population venant d’Éthiopie qui quitte le pays entre 1970 et 1978 en raison de la guerre civile d’Érythrée ou de répressions politiques. L’Égypte n’est pas leur premier pays d’accueil mais ils souhaitent s’y installer dans l’espoir de continuer leurs études. Ils arrivent en Égypte notamment depuis le Soudan, la Somalie et Djibouti. Leur présence dans le pays incommode le bureau du Caire qui se trouve confronté à ce choix de refuser des réfugiés. C’est un moment de rupture. Le HCR dont la fonction centrale est l’assistance aux réfugiés dans un contexte humanitaire met ici en place des politiques afin de limiter les arrivées. L’antinomie est palpable31.

35Il y a alors, de plus, une fermeture du monde arabe et africain aux réfugiés venus d’Égypte qui explique ces restrictions. La raison principale est le contexte politique régional. En effet, en 1978, l’Égypte avec les accords de Camp David signe unilatéralement la paix avec Israël. Le pays se met à dos l’ensemble du monde arabe. De plus, le marché de l’emploi au Moyen-Orient absorbe moins de main-d’œuvre. La crainte principale de l’organisation est celle de l’avènement de situation de réfugiés prolongés. Ce sont des individus qui par la force du contexte sont obligés de rester plus longtemps dans le pays d’asile qui n’était censé être qu’une étape de leur chemin. C’est une crainte davantage qu’une réalité pour l’Égypte. C’est une situation définie par le HCR en 2004 mais dont les réalités sont bien antérieures32.

36Le bureau du Caire souhaite en fait, éviter de nouveaux flux de réfugiés incontrôlés et refuse ainsi l’assistance pour éviter de se trouver face à de nouveaux réfugiés qu’il faudrait assurément prendre en charge. C’est cette question qui est au cœur du problème. Il s’agit de ne pas encombrer davantage encore le bureau du Caire. Pourtant, le HCR a mis en place durant cette même année un nouveau programme destiné à l’assistance d’étudiants réfugiés. Il s’agit de l’opération Djibouti où 200 réfugiés éthiopiens sont sélectionnés à Djibouti pour étudier en Égypte. Ce n’est donc pas dans une stricte restriction de l’asile. Le but apparaît être ici de contrôler davantage le nombre de réfugiés afin d’être certains de pouvoir leur fournir une assistance.

37L’année 1979 voit l’essor de ce discours en faveur d’une restriction de l’asile. Le HCR considère que l’Égypte n’est ni un pays de réinstallation ni un pays avec des opportunités professionnelles et qu’il ne doit donc pas encourager les migrations vers le pays33. Ce discours est nouveau et se confirme en 1980. Les réfugiés sont alors de plus en plus nombreux et le HCR raffermit sa position. Les réfugiés sont davantage contrôlés et leur présence moins aisément légitimée, autant dans les discours que dans l’accueil. L’objectif est réellement de lutter contre les flux non coordonnés de réfugiés. En effet, l’Égypte n’est pas le premier pays d’asile des réfugiés et l’organisation exige donc que les arrivées soient arrangées par les différents bureaux nationaux de ces pays et tout particulièrement le Soudan, la Somalie et Djibouti. Les réfugiés doivent rester dans leur premier pays d’asile si leur migration n’a pas été organisée vers l’Égypte. La restriction de l’asile se comprend en fait par un contexte. L’Égypte ne permet pas l’installation durable des réfugiés. Ainsi, restreindre l’asile c’est empêcher qu’ils se retrouvent retenus en Égypte sans perspective. En 1981, le HCR fait état d’extrêmes difficultés à organiser des réinstallations en direction du monde arabe et de l’Afrique34. L’organisation ne souhaite pas perdre le contrôle de la situation, d’autant plus dans le contexte de l’échec de la politique de formation professionnelle, jugée bien peu suffisante par l’organisation. Son objectif initial de favoriser l’emploi de ces réfugiés dans la région est donc fragilisé. De plus, nombre de réfugiés qui viennent sans l’accord du HCR ne peuvent bénéficier de la politique éducative car ils n’ont pas un niveau scolaire suffisant.

38Ainsi, l’asile égyptien se construit dans un contexte de stabilité institutionnelle mais dans des contextes fluctuants qui entraînent une évolution de la prise en charge. En effet, la prédominance européenne dans l’assistance prend fin au tournant des années 1970. Il s’observe alors l’émergence de besoins pour la prise en charge des réfugiés africains, dont l’une des spécificités est d’être en majeure partie des « étudiants réfugiés ». Cependant, la prise en charge de ces derniers est également amenée à évoluer avec une tendance à la restriction de la politique de l’asile à partir de 1978. Cela émerge suite à une volonté revendiquée du HCR de pouvoir prendre en charge de manière efficace les réfugiés sur le sol égyptien ou s’y installant avec l’accord de l’organisation. Une question demeure, celle du rapport de l’organisation internationale et du gouvernement. En effet, l’organisation prend en charge la question des réfugiés dans le pays mais ce cadre de gouvernance supranationale ne voit pas l’effacement des intérêts nationaux.

Le gouvernement égyptien et le haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés

39En Égypte, il est incontestable que le HCR joue un rôle essentiel et son exercice est incontournable. Cependant, il ne faut pas négliger le pouvoir politique national. En effet, si les pouvoirs politiques de la région sont décrits comme faibles car récents ou fragilisés par les conflits, il est considéré que ce n’est pas le cas de l’Égypte qui a des institutions bien installées et une identité nationale bien établie35. C’est un pays au pouvoir autoritaire et dont le raïs dispose d’un pouvoir personnel fort et exerce selon le modèle du « pouvoir personnel » ou personnal rule. Nasser comme Sadate renforcent ce système politique36.

40Tout au long de la période, le HCR mentionne l’absence de structure gouvernementale dédiée à la question des réfugiés. Toutefois, l’organisation internationale a des contacts continuels avec le gouvernement pour les informer des arrivées et des flux de réfugiés dans le pays. L’action gouvernementale ne s’arrête pas là. L’organisation onusienne œuvre avec le gouvernement et s’appuie même sur celui-ci. En effet, elle fonctionne à partir des aides gouvernementales. Son budget est dépendant de ces dernières. Le gouvernement égyptien contribue ainsi au budget de l’organisation internationale. L’assistance financière ne s’arrête pas là. Le gouvernement joue un rôle dans l’attribution de bourses aux nouveaux étudiants réfugiés. En 1973, ce sont 500 réfugiés éthiopiens qui en bénéficient. Un rapport de l’organisation explique qu’en 1975, les trois quarts des nouveaux venus reçoivent une bourse du gouvernement, en plus de quatorze bourses offertes dans le cadre d’un des projets du bureau du Caire. Le gouvernement permet également au HCR d’alléger ses coûts en 1973 où il obtient 50 % des réductions de frais de scolarité pour les étudiants réfugiés. En 1974, le HCR obtient du gouvernement une exemption des frais de scolarité pour les enfants des réfugiés scolarisés dans les écoles primaires ainsi que les réfugiés inscrits dans le secondaire, et suivant des formations professionnelles. Cela représente alors 600 à 800 personnes37. Le fardeau financier du bureau est donc allégé par le pouvoir politique.

41Il y a une réelle imbrication entre les deux parties. L’action se construit en concertation et laisse supposer une interdépendance. En effet, le gouvernement égyptien a pu bénéficier d’un allégement de la charge de travail par la prise en charge administrative des réfugiés par le HCR et l’organisation peut s’appuyer sur les autorités pour des dépenses. On lit également l’absence de lutte de souveraineté. L’Égypte a délégué l’essentiel de l’administration des réfugiés aux Nations unies en 1954 et, depuis, ne souhaite pas reprendre cette fonction.

42Les autorités égyptiennes ont également un pouvoir décisionnel. En 1981, des étudiants tchadiens résidant au Caire voient leurs études perturbées par la situation politique de leur pays. Ils rencontrent des difficultés avec l’interruption brutale de leurs bourses et font appel au HCR pour demander une assistance afin de poursuivre leurs parcours. Après quelques mois d’assistance, le HCR se tourne vers le gouvernement égyptien pour savoir si la prise en charge peut continuer. Le gouvernement confirme la poursuite de l’assistance38. La même année, ce sont des réfugiés afghans qui se présentent dans le pays mais le gouvernement refuse leur présence sur le territoire au motif de l’impossibilité pour eux de trouver une situation et un emploi dans le pays. La décision est donc de les renvoyer vers leur pays de premier asile et de cesser toute assistance financière39. Le pouvoir politique a donc un rôle et peut infléchir certaines situations. Le HCR essaie en permanence de maintenir une relation avec les autorités du pays, qui passe par des prises de contacts et une coopération continue avec les cercles gouvernementaux, jusque dans les plus hautes sphères des différentes instances gouvernementales et y compris par des relations personnelles. De nombreux échanges se font ainsi que des rencontres afin de sensibiliser le gouvernement aux problématiques de l’organisation. Ce travail est nécessaire pour que le gouvernement continue d’apporter un soutien moral et matériel à long terme40. C’est une œuvre diplomatique mise en place par l’organisation internationale. Cette pratique vise à sensibiliser le gouvernement à la question des réfugiés et aux actions menées. C’est une politique couronnée de succès. De manière globale, les autorités sont décrites comme relativement attentives à l’action et la prise en charge dirigée par le HCR.

43L’organisation internationale ne qualifie jamais la nature du régime politique égyptien. Le discours et les représentations qu’elle dresse et qui entourent l’Égypte ne sont que peu, voire aucunement, critiques. Son bilan en Égypte est très positif et elle semble satisfaite de son ancrage dans le pays. La dimension autoritaire n’apparaît jamais. L’organisation ne s’aventure pas à aborder le pouvoir personnel des raïs ou le fonctionnement du régime mais qualifie le gouvernement et les autorités par le biais des actions et relations qu’ils mènent pour le HCR. L’action gouvernementale est décrite dans les meilleurs termes. L’organisation internationale agit pour la défense de ses intérêts et est heureuse des résultats obtenus même dans des situations complexes41. Le HCR valorise également l’Égypte et insiste sur ses valeurs humanitaires. C’est tout particulièrement le cas lors de la ratification de la convention de Genève et de son protocole42. L’Égypte a une histoire dans l’accueil des réfugiés et est donc vue comme favorable à l’aide de ces déshérités du monde contemporain. L’Égypte est ainsi décrite en 1981 dans les rapports du HCR comme une terre d’asile où l’humanitarisme est une valeur réelle et même une tradition ancrée dans l’histoire du pays.

44Cette unanimité de la conception positive du gouvernement est intéressante à appréhender car elle éclaire les relations. Elle semble mettre en avant une symbiose parfaite entre une échelle nationale et supranationale autant que la résolution du HCR d’accepter des conditions imposées.

L’ambivalence d’une relation : un asile strictement égyptien

45Le HCR apparaît comme satisfait de l’action menée et de sa relation au gouvernement égyptien. Cependant, la bonne entente et la coordination de l’action n’empêchent pas de constater les ambivalences du rapport unissant l’organisation internationale et les autorités politiques. Un des grands paradoxes est le fait que le HCR a la responsabilité des réfugiés dans le pays mais ne les prend pas tous en charge. Le gouvernement égyptien peut également accorder l’asile et le fait. Ce sont notamment des réfugiés arabes et iraniens qui sont accueillis dans le pays. Ils ne passent pas par les bureaux du HCR et constituent de cette manière les grands absents de la prise en charge de l’organisation43. C’est une pratique peu renseignée par les archives de l’organisation car elle ne dépend pas du HCR qui n’en est pas informé. Le paradoxe de l’absence de communication sur ces réfugiés est frappant. Il existe ainsi des pratiques parallèles à l’action de l’organisation et qui sont l’apanage du pouvoir politique. Cependant, le gouvernement donne l’asile mais ne donne pas le statut de réfugié. C’est bien le HCR qui détermine ce statut selon son mandat. Le gouvernement permet l’asile des populations qui soutiennent par exemple la politique égyptienne. L’organisation explique que c’est une pratique qui a beaucoup court sous le mandat de Gamal Abdel Nasser (1956-1970). Sous le mandat d’Anouar Al Sadate (1971-1981), le chiffre a tendance à se réduire et concerne surtout des réfugiés arabes impliqués dans des mouvements de libération. Dans le bureau présidentiel, une section spécifique est dévolue à ces personnes. Son activité est liée aux services de sécurité et de renseignement.

46Ainsi, le gouvernement prend en charge une population dont les problématiques se rapprochent de sa politique. Cette politique est pleine d’ombres mais montre que le gouvernement agit selon ses intérêts propres. Le HCR doit nécessairement informer les autorités de la présence sur le territoire de réfugiés, c’est une question de politique nationale et de souveraineté sur les populations demeurant sur le territoire autant qu’une nécessité administrative, mais inversement, le gouvernement égyptien n’a aucun devoir d’information envers l’organisation. Le HCR n’est jamais tenu au courant des présences de ces demandeurs d’asile, et le regrette. Ces réfugiés ne sont pas les seuls qui échappent au contrôle de l’organisation. En effet, lorsque le gouvernement prend directement en charge des étudiants réfugiés à travers des bourses d’étude, ces derniers ne s’adressent pas au bureau du HCR ni ne s’y inscrivent. Ils sont sous la protection de l’administration égyptienne. Cela interroge sur le lien unissant le gouvernement égyptien et l’organisation internationale. En effet, l’image d’une organisation internationale prenant en charge des populations sur un territoire national pourrait symboliser une perte de souveraineté pour l’Égypte, mais il s’agit d’une délégation de pouvoir. Le gouvernement égyptien demeure celui qui exerce le contrôle. Le HCR s’est soumis aux impératifs nationaux égyptiens et c’est ce qui lui permet de disposer d’un champ d’action si important.

47Il est complexe de savoir si le HCR laisse à la responsabilité des autorités gouvernementales une part importante de réfugiés. En tout cas, l’absence de la reconnaissance officielle du statut de réfugié pose un problème du point de vue de leurs droits. Dès lors qu’ils sont pris en charge par le gouvernement égyptien, ces individus ne sont pas perçus selon leur caractère particulier mais seulement comme des résidents étrangers.

48Le cadre extra-européen a beaucoup à apporter à l’étude des réfugiés. Les années 1960 et 1970 constituent le moment où les mouvements de réfugiés en dehors de l’Europe se développent. Cela est notamment dû à la décolonisation et aux mouvements de libération nationale. En Égypte, l’institution de l’asile est une réalité relativement ancienne, qui s’insère cependant dans un cadre institutionnel pris en charge par le HCR : celui-ci exerce donc un rôle hégémonique et s’il ne peut compter sur la ratification des instruments dans le pays jusqu’en 1981, peut tout de même instaurer une action durable. Elle doit cependant se faire dans un horizon particulier : celui de la réinstallation nécessaire à moyen terme. C’est ainsi qu’est mise en place une politique d’éducation dans le pays qui devient une place centrale pour les étudiants réfugiés de la région.

49La prise en charge des réfugiés est confrontée à l’évolution du contexte. C’est le constat que l’année 1969 constitue un tournant d’une politique de l’asile essentiellement tournée vers des réfugiés européens, pour tendre vers une politique majoritairement adressée aux réfugiés africains et étudiants, bien qu’en 1978 émerge un discours de restriction de l’asile. Le HCR, bien qu’il soit prédominant en Égypte, œuvre dans le cadre national et doit donc composer avec les autorités. Le gouvernement égyptien est constamment décrit de manière très positive par l’organisation in situ et n’est jamais décrié. Cependant, il explique une ambivalence dans ce rapport avec l’existence d’une politique d’asile strictement égyptienne qui ne passe pas par l’organisation internationale.

50L’Afrique occupe aujourd’hui une place croissante dans les études sur les réfugiés, mais l’Égypte comme le Moyen-Orient demeurent les grands oubliés de cette histoire. Des études restent à mener pour appréhender cet espace et sa place dans l’administration de l’asile dans le monde.