1. Un paradoxe dans l’activité de l’office

2Les principaux indicateurs du rapport d’activité traduisent une charge de travail nettement accrue en 1979 avec une forte augmentation du nombre de visiteurs (+ 30 % à 42 552), des courriers reçus (+ 31 % à 62 107), des courriers envoyés (+ 43 % à 67 883) et des documents délivrés (+ 68 % à 70 504). D’autres indicateurs la confirment : ouverture de près de 14 000 dossiers, octroi de 14 220 titres de réfugié (dont 10 890 pour l’Asie du Sud-Est) et renouvellement de 17 491 titres, augmentation des rejets (2 514 contre 894 en 1978) et du nombre de recours (2 328 contre 594 en 1978) devant la commission de recours des réfugiés (CRR), occasionnant la production de 1 721 mémoires en défense contre 722 en 1978. Malgré cette activité intense, le nombre des réfugiés inscrits a paradoxalement diminué de 4 % pour revenir à 146 2702. Cette réduction découle du retrait, qualifié de massif, du statut aux Espagnols conformément aux directives gouvernementales rendues publiques le 30 janvier 19793. 18 905 certificats ont ainsi été retirés4, occasionnant une surcharge de travail pour la section espagnole5 puisque celle-ci doit notifier le retrait à l’intéressé6 mais aussi par bordereau à trois autres destinataires (Intérieur, préfecture, délégation en France du HCR). Des Espagnols qui n’avaient pas demandé le statut et séjournaient comme travailleur étranger ont sollicité l’asile pour garantir leur séjour en France, avec peu de succès puisqu’il leur était difficile de justifier de craintes de persécutions. Ce retrait massif provoque des problèmes pratiques, notamment sociaux, pour les anciens réfugiés.

3Le conseil d’administration du 21 novembre 1978 rappelle qu’« il avait été décidé en 1977, à l’unanimité, que le non-renouvellement de ces cartes serait accompagné du maintien des droits acquis par ces réfugiés, notamment sur le plan social, du fait de leur longue présence en France ; or le directeur de l’office a pu constater que des difficultés apparaissent dans trois domaines : le versement des allocations complémentaires de vieillesse ; le versement des pensions pour dommages de guerre et enfin la délivrance des titres de voyage7 ». Le directeur s’étant demandé s’il ne serait pas possible d’inviter ces réfugiés à demander des passeports à leurs consulats sans pour autant faire acte d’allégeance, cette solution est écartée par le représentant du ministre de la Justice et par la représentante en France du HCR. Sur les deux autres points, le représentant du secrétaire d’État à l’Action sociale indique que les deux décrets nécessaires seront signés par le ministre de la Santé avant fin 1978. Le conseil d’administration du 22 novembre 1979 revient sur la question du maintien aux anciens réfugiés espagnols du versement de l’allocation handicapés (cf. 7.1). Le représentant du ministère de la Santé ayant donné au SSAE l’assurance que les droits acquis seraient sauvegardés dans ce domaine, le conseil note « qu’il reste à obtenir que cette allocation soit versée à l’ensemble des réfugiés handicapés8 ».

2. Une claire conscience des évolutions relatives à l’origine géographique des réfugiés

4Déjà le rapport de 1978 se concluait par cette notation : « Aujourd’hui nous devons vivre avec le problème des réfugiés qui viennent maintenant de toutes les régions du monde9. » Une note interne de 1973 « Politique de la France à l’égard des réfugiés » rappelle par comparaison qu’au début des années 1970, les 149 000 réfugiés en France provenaient pour moitié des pays d’Europe de l’Est et pour un tiers d’Espagne.

52.1. Le poids de l’Europe diminue depuis 1975 (– 28 %) avec une accélération sensible en 1979 (– 18 % à 85 985), les pays ou régions concernés étant l’Espagne, la Pologne, la Russie et l’Arménie. Le nombre des nouvelles protections accordées chute également de 1975 à 1978 (de 1 127 à 651), avec le recul important des demandes émanant des Espagnols et des Arméniens fuyant l’URSS, mais remonte en 1979 à 774 en raison de l’apparition d’une nouvelle émigration en provenance de l’Europe de l’Est (Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) qui affecte des adultes mais aussi des jeunes de vingt ans.

62.2. Le poids de l’Asie du Sud-Est augmente de 30 % (à 56 000, non compris les 10 000 enfants de moins de 16 ans accompagnant les parents). Et 11 000 nouveaux titres ont été délivrés en 1979, essentiellement à des ressortissants des trois pays d’Indochine. Si les arrivées ont été en nombre modéré au premier semestre – le gouvernement a limité les entrées à 500 par mois – elles ont largement dépassé les 1 000 par mois au second semestre (entre 1 100 et 1 500) suite au relèvement de ce plafond10. Cette division commence à faire face au problème du renouvellement des certificats de réfugié puisque les arrivées d’Indochine ont débuté en 1975, compliquées par la multiplication des demandes de modifications d’état civil (mariage, naissances, naturalisation…), nombreuses de la part de cette population. Malgré toutes ces difficultés, la délivrance des premiers certificats intervient en moyenne dans un délai de six semaines à deux mois.

72.3. Les chiffres de la Division « autres pays d’Asie et pays arabes » sont nettement inférieurs mais en légère progression. Le nombre de réfugiés originaires des autres pays d’Asie (dont la Turquie) passe de 871 fin 1978 à 1 414 fin 1979 (+ 62 %), cette augmentation concernant surtout les Arméniens de Turquie. Par contraste, le nombre de réfugiés provenant du Moyen-Orient et des pays arabes progresse de manière plus limitée (+ 18,4 % et + 7 %). Beaucoup de demandes émanant d’Arméniens, de Sri-Lankais11 ou de Pakistanais sont rejetées au motif qu’elles ne répondent pas aux critères de la convention de Genève. La faiblesse de la demande iranienne (sept par mois en fin d’année) est expliquée par les difficultés de sortie du pays, les demandes émanant de ressortissants l’ayant quitté avant l’installation du régime de la République islamique en février 1979. Grâce à la modération de la demande et à la réorganisation des services, le délai d’intervention des décisions a été ramené de quatre mois à six semaines dans la majorité des cas.

82.4. La division Afrique centrale et australe et Amérique latine « est probablement celle qui pose les problèmes d’avenir les plus inquiétants12 ». Le nombre de titres accordés (967) à des personnes originaires d’Afrique noire a quadruplé en 1979 : « Cette augmentation brutale était prévisible13. » Les pays d’origine qui émergent sont le Zaïre pour lequel le nombre de statuts accordés est passé de 74 en 1978 à 48314, le Ghana pour lequel ce nombre est passé de 24 à 118, l’Angola de 20 à 91 et le Togo de 2 à 36. Du côté de l’Amérique latine, « par comparaison avec l’Afrique… continent calme15 », le nombre de statuts accordés est stable (1 108 contre 939 en 1978 et 1 079 en 1977), avec trois principaux pays d’origine : le Chili (483), Haïti (351) et l’Argentine (141). En bref, entre 1975 et 1979, l’Asie concentre entre 70 et 86 % des nouveaux titres délivrés : l’asile n’est plus une affaire européenne comme au moment de la ratification de la convention de Genève avec sa double limitation dans le temps et à l’Europe. Il est devenu un problème mondial, dont l’épicentre se situe alors en Asie, même si l’office recense 70 pays d’origine en 1979. Et l’Europe est attractive car considérée comme un havre de paix dans un monde marqué par les violences et les guerres civiles.

3. Des préoccupations émergentes

9Si l’office se préoccupe surtout des questions pratiques liées à son activité (budget, effectifs, rémunération et conditions de travail du personnel, emplacement, taille et état des locaux, etc.), il pressent l’émergence de problématiques nouvelles qui ne se révéleront dans toute leur ampleur qu’ultérieurement.

103.1. Les entrées de clandestins ou de personnes ne relevant pas de l’asile. Lors du conseil d’administration du 21 novembre 1978, le secrétaire général de l’office signale au représentant du ministre de l’Intérieur « que certaines préfectures délivrent des titres de séjour provisoires portant la mention “nationalité : cambodgienne (ou laotienne, ou vietnamienne) a sollicité l’asile” à des ressortissants chinois détenteurs de passeports de Taiwan et arrivés en France avec des laissez-passer avec des visas de “court séjour” délivrés par le consulat général de France à Hong-Kong. Ces personnes ne peuvent, selon lui, être considérés comme de véritables réfugiés16 ». Le procès-verbal du conseil réuni le 13 juin 1979 relève aussi que « l’Ofpra estime à 15 % le nombre de ceux qui sont entrés en France par des voies irrégulières, en utilisant notamment des passeports de Taiwan revêtus de visas de tourisme délivrés à Hong-Kong17 ».

11Évoquant la demande en provenance d’Asie du Sud-Est, le rapport d’activité 1979 mentionne qu’un dixième des nouveaux arrivants en provenance d’Indochine sont des clandestins venant de Belgique, de la RFA ou d’autres pays du Sud-Est asiatique. « Ces clandestins posent un problème car ils viennent s’ajouter aux contingents amenés officiellement en France par des prélèvements dans les camps et à ceux qui arrivent dans notre pays avec un visa régulier. D’autre part, certains d’entre eux sont des Thaïlandais ou des Chinois et ils n’ont aucune raison d’être assimilés à des réfugiés politiques18. » En 1979 en effet, les arrivées combinent plusieurs sources : les contingents officiels pour le Sud-Est asiatique19, les entrées sous couvert d’un visa délivré par le réseau diplomatique et consulaire, les demandes d’asile à la frontière et les entrées clandestines. Le sentiment affleure donc au Quai d’Orsay que les entrées officielles et sous couvert d’un visa, c’est-à-dire les entrées régulières, constituent les seules voies admissibles d’entrée en France et que les arrivées clandestines doivent être contenues pour ne pas dire interdites.

12Une note de l’office du 15 octobre 1980 « Contrôle des réfugiés à leur entrée en France » formalise sa doctrine en rappelant qu’environ 500 000 personnes passent les frontières chaque jour et qu’il est impossible de contrôler tous ces passages, conduisant à « admettre que nos frontières resteront très perméables20 ». Elle décrit les différents points de passage et modes d’entrée, relevant par exemple la fraude constante à Marseille et la surveillance plus efficace dans les aérodromes. Elle rappelle que « pour essayer de freiner les abus le département a instauré pour certains pays l’obligation du visa en demandant à nos postes consulaires de se montrer très restrictifs. Cette mesure relativement efficace est cependant loin d’être sans failles21 ». Suivent des considérations sur les arguments pour ou contre l’extension de ces mesures aux 72 pays d’où proviennent les réfugiés et sur les mesures de refoulement, plus rapide et plus discret et qui donnerait lieu à quelques abus, certains agents de la police aux frontières s’appuyant sur l’article 31 de la convention de Genève pour apprécier directement l’éligibilité à la frontière en empiétant sur la compétence de l’office (cf. 3.4). Cette note confirme, sans pouvoir produire de preuve précise, l’existence de filières d’introduction de travailleurs étrangers passant par la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. L’office applique « strictement la convention de Genève sans se laisser influencer par des considérations humanitaires. Cette position nous a permis de procéder à un très grand nombre de rejets à l’encontre de nombreuses demandes qui nous étaient présentées. En outre dès que les conditions le permettent nous procédons à des retraits du statut de réfugié22 ». Mentionnant la stabilité du nombre de réfugiés depuis trois ans autour de 150 000, la note soutient que ce chiffre pourrait doubler sans constituer une gêne pour la société française, les réfugiés représentant alors moins de 10 % des étrangers vivant en France. Elle conclut que le libre accès des réfugiés au territoire ne présente pas de problème dans l’immédiat.

133.2. Si le rapport d’activité 1979 mentionne que des doctrines ont été définies pour les mineurs entrés sans leurs parents et des principes de base définis pour l’état civil en liaison avec le ministère de la Justice (cf. 9.1), il ne développe malheureusement pas le premier point. En dehors de cela, l’apport doctrinal de l’année paraît faible. Une note du 11 décembre 1978 confirme à un notaire, au sujet d’un Espagnol ayant quitté son pays en 1939 mais n’ayant obtenu la qualité de réfugié qu’en 1945 en vertu du décret du 15 mars 1945 ayant étendu aux Espagnols le bénéfice de la convention de Genève de 1933, que cette reconnaissance rétroagit à la date de l’entrée en France eu égard à son caractère déclaratif. Une autre note du 29 octobre 1979 à la direction des Français de l’étranger du ministère des Affaires étrangères répond à une question sur l’effet extraterritorial du statut de réfugié au sujet d’un Yougoslave reconnu réfugié en Allemagne mais ayant fait l’objet d’une demande d’extradition par la Yougoslavie alors qu’il voyageait en France. Elle explique, en l’absence de tout précédent, que ce statut une fois accordé doit être reconnu par tous les États signataires de la convention de 1951 et que si les autorités françaises peuvent refuser le séjour à un réfugié ayant un autre pays d’accueil, elles ne peuvent pas ignorer sa qualité de réfugié et les garanties qui lui sont associées, dont la prohibition de son extradition vers son pays d’origine.

143.3. Le directeur de l’office exprime des intuitions justes au regard des faits postérieurs. Par exemple, au sujet de l’Afghanistan, il observe que l’office a été jusqu’ici saisi de très peu de demandes mais que la situation peut changer : « Il est encore trop tôt pour enregistrer les conséquences de l’entrée dans ce pays des troupes soviétiques et les centaines de milliers de réfugiés afghans qui se regroupent au Pakistan n’ont pas encore décidé d’abandonner leur pays. Dans cette région cependant l’avenir est lourd de menaces et un afflux important de réfugiés est à craindre23. » Ou au sujet de l’Afrique noire, il relève que

« quatre millions d’Africains sont recensés comme étant réfugiés. Jusqu’ici ils restent dans les pays voisins de leur pays d’origine et se bornent en cas de difficulté à trouver un autre pays d’accueil. Toutefois lassés de rechercher une terre d’asile en Afrique ces réfugiés essaient maintenant de s’implanter dans d’autres continents. Or la France représente un pôle d’attraction car en dépit de certains souvenirs laissés par l’époque coloniale, ils la considèrent comme une terre de liberté et un pays d’asile traditionnellement apprécié. Cet état d’esprit qui se précise de plus en plus se traduit par le fait qu’en mai 1979 l’office, qui avait reçu 82 demandes de protection, en a eu 184 en janvier 1980. Selon toute vraisemblance nous ne sommes qu’au début de ce mouvement d’émigration et il risque de prendre rapidement une ampleur difficile à contrôler24 ».

15Au sujet de l’évolution prévisible du contentieux des réfugiés, il répond en 1980 au Premier ministre qui venait de donner des consignes pour endiguer la croissance du contentieux administratif que l’Ofpra rejette les demandes de faux réfugiés (cf. 3.4) et qu’il ne peut pas reconnaître des réfugiés qui ne le sont pas sous prétexte de diminuer le contentieux. La progression de ce contentieux (cf. 9.3) « s’explique… par l’abondance des faux réfugiés… par la crainte des travailleurs immigrés d’être expulsés et… par la prise en main de ce groupe social par des avocats conseillant volontiers l’ouverture d’une procédure. Dans ces conditions… il faut s’attendre au maintien d’un contentieux important dans les affaires de réfugiés25 ».

163.4. Le rapport d’activité 1979 laisse poindre dans le récit officiel la notion de « réfugiés économiques » lorsqu’il commente les demandes en provenance du Maghreb : alors que le taux d’admission des Éthiopiens est évalué à 50 %, « le Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) nous amène surtout des réfugiés économiques cherchant à rester en France pour des raisons de convenances personnelles ou parce qu’ils ne sont pas en règle avec les autorités militaires. Dans un cas comme dans l’autre, ils ne peuvent être acceptés26 ». Le conseil d’administration du 17 mars 1980 le confirme puisque le représentant du ministre du Travail s’alarme de l’augmentation sensible du nombre de recours devant le Conseil d’État : « L’utilisation de toutes les possibilités de recours par les demandeurs d’asile, mus par des considérations économiques, conduit à une situation préjudiciable aux intérêts des véritables réfugiés politiques. Les membres du conseil sont pleinement conscients de cet état de choses27. » Lors de ce conseil, son président, directeur des Étrangers en France au MAE, rappelle « les dispositions déjà prises par le ministère des Affaires étrangères afin de limiter le flux de “faux” réfugiés politiques qui cherchent à tourner la législation actuelle du travail et de l’immigration28 ». Déjà le rapport d’activité 1978 avait relevé que « bon nombre de demandeurs résident de longue date en France29 », l’interdiction de l’entrée en France de travailleurs étrangers et les menaces d’expulsion ayant amené certains d’entre eux à demander l’asile. Il mentionnait aussi que « dans la majorité des cas la qualité des réfugiés est en baisse », sans pouvoir l’expliquer mais en l’attribuant à « des éléments troubles cherchant à profiter du statut de réfugié en espérant vivre aux frais du pays d’accueil ». La fraude à la loi fait ainsi son apparition dans le discours officiel et celui de l’office, justifiant la baisse du taux d’admission et rendant plus difficile l’accomplissement de sa mission.

17Cette suspicion croissante à l’égard des demandeurs d’asile alimente aussi les délibérations interministérielles consacrées au droit d’asile et la cohorte des restrictions qui se mettent en place. La réunion du 1^er février 1980 (cf. 9.3) conclut

« que les ministères concernés doivent s’efforcer d’éviter que notre réglementation ne soit détournée de son objet au profit d’immigrants se prévalant abusivement de la qualité de réfugié. À cette fin, le ministère des Affaires étrangères, en liaison avec le ministère de l’Intérieur, veillera à mener l’action la plus ferme dans les pays d’où partent en grand nombre les “faux réfugiés” qui cherchent à s’introduire en France (Pakistan, Sri Lanka, et autres pays avec lesquels n’existent pas de liens traditionnels avec la France). Cette action prendra la forme notamment d’une surveillance très étroite dans la délivrance des visas. La possibilité de refouler légalement lorsqu’ils se présentent à nos frontières ces “faux réfugiés” fera dans les meilleurs délais l’objet d’une étude attentive… sur la base de laquelle le Quai d’Orsay entamera… des conversations avec le HCR afin que les termes de la convention de 1951 ne soient pas abusivement invoqués. Le ministère de l’Intérieur veillera à ce que les étrangers admis en France après avoir demandé l’asile politique mais à qui la qualité de réfugié a été, par une décision définitive, refusée, ne demeurent pas dans notre pays en situation irrégulière30 ».

18La réunion du 27 novembre 1980 décide que le MAE « poursuivra la politique de rétablissement des visas préalables et de suppression des visas de tourisme pour les pays dont sont originaires en plus grand nombre les personnes réclamant indûment l’asile politique. Conformément aux décisions du conseil des ministres, cette politique devra être progressivement étendue aux pays du Maghreb et d’Afrique noire francophone31 ». S’agissant de l’admission aux frontières, elle invite le ministre de l’Intérieur à faire « procéder au refoulement de toute personne dont la demande d’asile est entachée d’erreur manifeste en particulier quand elle ne correspond pas aux termes du préambule de la Constitution qui ouvre le droit d’asile à “tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté” ». S’agissant du récépissé de demande de titre de séjour, « les préfectures éviteront de délivrer le récépissé valant autorisation de séjour et de travail pour une durée de trois mois dans les cas où la demande, manifestement erronée, n’est présentée que pour tourner les dispositions de la loi sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France » et le ministre de l’Intérieur, en liaison avec le ministère des Affaires étrangères (MAE), « veillera à ce que cette décision de refus intervienne rapidement afin d’éviter que l’Ofpra ne soit abusivement saisi ».

193.5. Sur la demande africaine, le rapport d’activité 1979 aborde le délicat problème de la preuve, qui préfigure la méfiance vis-à-vis de la fraude qui deviendra prégnante au cours de la période suivante. « Dans leur ensemble, les dossiers africains sont difficiles à étudier. Nous n’avons presque jamais de preuve et les demandeurs laissent trop volontiers aller leur imagination. Dans ces conditions chaque dossier demande une étude délicate et les rejets se placent dans une fourchette allant de 20 à 25 %32. »

4. Administrer l’asile au quotidien

20Des notes de service couvrant des domaines variés délivrent régulièrement des consignes aux agents sur la manière d’exercer leur métier.

5. Le budget de l’Ofpra : une lutte homérique

25Obéissant à un jeu de rôle traditionnel en la matière, le directeur et le conseil d’administration de l’office réclament une augmentation du budget à laquelle s’opposent le contrôleur financier et le ministère des Finances. L’attitude du Quai d’Orsay, dont le représentant préside le conseil d’administration, est plus ambiguë selon les procès-verbaux du conseil et les notes échangées entre l’office et le Quai.

265.1. L’examen du projet de budget 1979 par le conseil d’administration du 21 novembre 1978. En augmentation de 18 %, il s’élève à 6 990 590 F et est constitué quasi exclusivement de dépenses de fonctionnement (le budget d’investissement est limité à 20 000 F.). Il est financé par une subvention de l’État (MAE) à hauteur de 6 927 525 F. Plusieurs demandes sont rejetées par le contrôleur financier : la prime de rendement de 80 000 F attribuée au directeur général et au secrétaire général qui ne peut pas être inscrite au chapitre 61 faute de texte réglementaire prévoyant cette prime pour des agents détachés dans des emplois de contractuel (cf. 8.2) et doit être transférée au chapitre « crédits à répartir » ; l’augmentation de 8 000 à 20 000 F. des frais de transport, de déplacement et de réception demandée par le directeur général pour établir les contacts utiles avec les personnalités françaises ou étrangères intéressées au problème des réfugiés et qui ne peut pas dépasser 6 % selon le ministère du Budget ; l’augmentation très importante des rémunérations versées aux secrétaires et sténodactylos de la CRR (cf. 9.3). Dans une note du 1^er décembre 1978, le sous-directeur de la direction du Personnel et de l’administration générale du Quai d’Orsay répond au directeur qu’il ne pourra pas augmenter la subvention en 1979 pour payer le supplément de loyer occasionné par l’agrandissement des locaux (cf. 7.2) et qu’il lui appartient d’imputer ces dépenses supplémentaires sur les disponibilités et en particulier sur les crédits à répartir ouverts au compte 962.

275.2. Le conseil du 13 juin 1979 évoquant l’insuffisance des frais de correspondance (cf. note 6) et leur augmentation à 200 000 F, le représentant du ministre du Budget oppose qu’il est impossible d’augmenter la subvention de l’État et qu’il convient de rechercher des solutions dans le cadre du budget actuel de l’office, y compris les fonds de réserve. Le conseil du 22 novembre 1979 adopte la décision modificative n^o 1 portant sur les augmentations de salaires, les conséquences de l’extension des locaux de l’office et l’accroissement des besoins de la CRR (nombre de rapporteurs et frais de correspondance liés à l’augmentation des recours).

285.3. Le conseil du 22 novembre 1979 permet de mieux caractériser le contexte budgétaire. Le projet de budget pour 1980 est présenté en augmentation de 12,9 % (contre + 14,7 % pour le MAE et + 14,3 % pour le budget de l’État) à 8 MF et prévoit l’ouverture de trois emplois de secrétaire. Comme en 1979, il a fallu passer sous la toise du contrôleur financier qui a accru les crédits de personnel, supprimé les crédits de matériel et sous-évalué les crédits d’entretien et de frais postaux. Après discussion, ce projet est adopté, le directeur soulignant qu’il sera insuffisant et qu’il faudra l’abonder en cours d’année tandis que le président demande que le projet pour 1981 soit préparé dans une optique plus ambitieuse.

295.4. Le conseil du 17 mars 1980 revient sur la réorganisation de l’office et le déménagement de ses locaux dans le cadre des efforts d’économies demandés. Le président pousse en ce sens, sans doute parce que le représentant du ministère du Budget vient de rappeler que les efforts de rigueur budgétaire demandés par le Premier ministre n’excluent pas l’Ofpra et qu’il y a lieu de rechercher toutes les possibilités d’économies. Et sans doute aussi parce que le contrôleur financier de l’office, se référant au compte-rendu de la réunion interministérielle (RIM) du 1^er février 1980 (cf. 9.3), vient d’indiquer « que l’Ofpra doit se réformer soit dans le cadre de ses propres crédits, soit grâce à une aide qu’il appartiendra au ministère des Affaires étrangères de dégager sur ses crédits propres41 ». Un président averti en vaut deux… Au cours de ce même conseil, le directeur souligne l’insuffisance des crédits pour l’entretien des immeubles, l’achat d’imprimés et les fournitures de bureau mais remercie le contrôleur financier de l’avoir autorisé à acheter une machine à photocopier en prélevant les crédits nécessaires sur le fonds de roulement !

305.5. Des notes des 14 février, 19 février et 28 août 1979, 30 janvier, 25 février, 15 avril et 25 avril 1980 détaillent les difficultés budgétaires de l’office et ses demandes de mise à niveau de ses moyens.

6. Une incertitude maintenue sur le dénombrement des réfugiés en France

31Posée dès 195342, cette question reste d’actualité en 1979 sans susciter de travaux internes à l’office, dans l’attente de la mise en place du service de statistiques (cf. 7.1). Le n^o 4 de la revue Accueillir du SSAE fait état des statistiques publiées par l’INED début 1980. Elles reprennent celles du ministère de l’Intérieur dénombrant 4 134 567 étrangers au 1^er janvier 1978, auxquels s’ajoutent 98 538 réfugiés et 3 889 apatrides. Pour les Espagnols par exemple, le ministère recense 26 903 réfugiés à rapprocher des 48 027 dénombrés par l’office. Selon un tableau manuscrit interne à l’office, plusieurs des chiffres donnés entre 1953 et 1978 sont fantaisistes, la première année mécanographique datant de 1963 (174 000 réfugiés) et leur exactitude n’étant avérée qu’à compter de 1971 (136 000 réfugiés). L’effectif protégé y ressort à 152 000 à la fin de l’année 1978.

7. La réorganisation de l’Ofpra et son déménagement

327.1. Plusieurs documents évoquent cette réorganisation à l’initiative du nouveau directeur, Jacques Fouchet, qui a pris ses fonctions le 1^er août 1978 et officiellement nommé en janvier 1979 : le rapport d’activité, les procès-verbaux de conseil d’administration, les organigrammes de l’office, des notes de service et des notes adressées au Quai d’Orsay. Elle a consisté à créer quatre divisions géographiques (Europe, Asie du Sud-Est, autres pays d’Asie et pays arabes, Afrique noire, Afrique du Sud, Amérique latine et Amérique centrale), dirigés par des chefs de division43, et une division du contentieux, qui n’était auparavant qu’une simple section, libérant ainsi le directeur et le secrétaire général de la tâche quotidienne d’examen des dossiers individuels pour leur permettre de se consacrer à la gestion et à la direction de l’établissement. Présentée au conseil d’administration du 21 novembre 1978, elle comporte la création de sept postes nouveaux (cinq secrétaires et deux officiers de protection) dont le recrutement a été approuvé en 1978. Sa mise en œuvre à compter du 1^er janvier 1979 selon l’organigramme communiqué au Quai d’Orsay le 10 novembre 1978 a été laborieuse44 : à titre d’illustration, les deux nominations de contractuels comme chefs de division interviendront à la suite d’un long combat le 29 février 198045 avec effet au 1^er janvier 1980. Dans l’intervalle, le directeur de l’office avait indiqué lors du conseil du 22 novembre 1979 que « l’impossibilité où il se trouve de relever les indices des chefs de division condamne le projet dès le principe. En effet, il n’a pas le droit de recruter des contractuels pour ces postes et il ne peut trouver de candidats parmi les fonctionnaires étant donné la faiblesse des indices et des primes46 ». Le contrôleur financier du MAE avait répondu qu’il n’était pas opposé à la transformation de deux postes d’officier de protection en postes de chef de division mais qu’en ce qui concerne les modifications d’indices toutes les mesures catégorielles étaient suspendues depuis deux ans par décision du Premier ministre. C’est au vu de cet accord sur le repyramidage de deux emplois que le directeur a fait modifier le projet de procès-verbal de ce conseil et décidé de mettre en œuvre sa réorganisation au 1^er janvier 1980.

33Jusque-là, l’organisation géographique de l’office reposait sur des sections nationales, qui faisaient écho aux anciens offices nationaux antérieurs à 1953 et étaient au nombre de douze en 195647, dont la plus importante était la section espagnole. En 1977, on dénombrait deux chefs de division (division hispanique et division du statut et du contentieux) ainsi que onze sections géographiques et une section des apatrides. Ces sections étaient généralement dirigées par un officier de protection mais quelques-unes l’étaient par des secrétaires bilingues. Dans la nouvelle organisation, les sections sont regroupées dans des divisions, assurant une mutualisation des moyens et favorisant leur redistribution interne à une époque où l’origine géographique des réfugiés évolue rapidement (cf. 2) et donc la charge de travail incombant à chaque section. Quant aux services fonctionnels, ils sont reventilés en un service de statistiques, un service de la comptabilité et du matériel, un bureau d’ordre et un service des archives. Par rapport à l’organisation prévalant en 1956, un des grands changements réside dans l’apparition d’un service de statistiques, qui consacre l’importance de la question du dénombrement de la population protégée (cf. 6) et de l’analyse de ses évolutions.

34L’autre changement majeur concerne la suppression du service social48, qui recentre l’office sur les deux missions de détermination du statut et de protection juridique et administrative des réfugiés. Alors que la pression de la demande d’asile s’intensifie sur le dispositif de détermination du statut, Ofpra et CRR confondus, et qu’il faut faire des choix dans un contexte budgétaire tendu, la préoccupation de l’intégration des réfugiés, qui a marqué les premières années de l’office49, semble devenir secondaire aux yeux du directeur et est abandonnée aux autres administrations, notamment sociales, et aux associations qui émergent dans les années 1970 et se sont réparties les rôles sous l’égide de l’État50. Le délégué de la France à la 29^e session du comité exécutif du HCR (10 octobre 1978) l’énonce clairement :

« La politique d’accueil de ces réfugiés associe très étroitement les pouvoirs publics et les associations bénévoles qui traditionnellement prennent une large part dans le réétablissement des immigrants en France. La participation de l’État réside principalement dans le financement des opérations d’assistance que sont chargées de mettre en œuvre des associations telles que l’association France terre d’asile, le service social d’aide aux émigrants, le Secours catholique et la Croix-Rouge française51… »

35Traduction de ce changement, sept grandes associations (CIMADE, COS, COJASOR, Comité national d’entraide franco-cambodgien, franco-laotien, franco-vietnamien, FTDA, Secours catholique et SSAE) alertent dès le 14 novembre 1978 le directeur de la police générale de la préfecture de police sur les conséquences de la nouvelle décentralisation de la préfecture sur les demandeurs d’asile en lui suggérant de délivrer à ces derniers des reçus dès leur demande de rendez-vous afin qu’ils puissent faire état d’une situation régulière et entamer leur démarche auprès de l’Ofpra. Devant l’absence de réponse, elles alertent le préfet de police et le directeur de l’Ofpra le 1^er juillet 1980 en soulignant les longs délais de convocation et des reports nombreux, rappelant leur suggestion d’indiquer sur la convocation que celle-ci tient lieu d’autorisation de séjour jusqu’à la date du rendez-vous.

36De même, c’est le SSAE et non pas l’office52 qui alerte le premier, par lettre du 13 février 1979, la ministre de la Santé et de la Famille sur les conséquences néfastes pour certains étrangers du vote de la loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, en particulier sur la suppression à partir de novembre 1978 par les CAF du versement de l’allocation adulte handicapé aux réfugiés à qui le bénéfice de cette prestation avait été étendu par une lettre de la ministre du 26 avril 1973. Sa lettre insiste aussi sur le sort des réfugiés espagnols à qui le statut a été retiré et qui s’en trouvent privés ainsi que de l’allocation logement à caractère social (cf. 1).

377.2. Le rapport d’activité 1979 évoque le déménagement début juillet 1979 des bureaux de l’office dans des locaux plus grands et mieux adaptés à l’accueil53, situés dans le même immeuble 159-161 avenue Charles-de-Gaulle à Neuilly-sur-Seine et partagés avec la délégation en France du HCR54. Sauf les archives, le personnel est remonté dans les étages, bénéficiant de meilleures conditions de travail (certains bureaux de 12 m² étaient antérieurement partagés entre quatre personnes). Il est aussi question lors des conseils d’administration et dans des notes de service de déménager dans de nouveaux locaux moins chers, contribution à l’effort d’économie demandé à l’office (cf. 5.4). Le conseil d’administration du 17 mars 1980 évoque en effet le caractère incommode, inadéquat et dispendieux des locaux de l’Ofpra suite à un pré-rapport de l’Inspection des postes diplomatiques et donne mandat au directeur pour rechercher, avec l’aide du service des immeubles et des affaires générales du MAE, une gamme aussi variée que possible de locaux disponibles. La réunion interministérielle du 19 mai 1980 entérine le principe de ce déménagement « dans un quartier de Paris où les loyers sont moins élevés qu’à Neuilly55 ».

38Une note de service du 25 juin 1980 reconnaît qu’il est question depuis plusieurs semaines de déménager les services de l’office et annonce au personnel que le déménagement aura lieu à la fin de l’année dans l’immeuble « Pariféric » situé Porte de la Villette. Une note du 20 novembre 1980 annonce que les bureaux seront fermés au public entre le 22 décembre 1980 et fin janvier 1981 en raison du déménagement qui doit intervenir dans la première quinzaine de janvier. Les agents sont néanmoins invités à venir travailler pour expédier les affaires urgentes et essayer de combler le retard pris par certains bureaux. Et à aider les déménageurs en faisant eux-mêmes leurs cartons.

397.3. Les rapports annuels 1978 et 1979 mentionnent la situation des archives avec près de 650 000 dossiers. À la faveur des travaux réalisés au sous-sol, les archives ont gagné en extension si bien qu’elles peuvent accueillir « trois années nouvelles de dossiers », solution qui ne garantit pas l’avenir selon le directeur : « Après, nous verrons ce qu’il conviendra de faire56. » Quant à leur gestion, il souligne qu’il avait été surpris de constater la pluralité des archives et les différents modes de classement. Voulant éclairer sa lanterne sur cette organisation étrange à première vue, il fit appel à « un archiviste du département57 » qui conclut, après étude, qu’elle ne présentait pas d’inconvénients. De ce fait coexistent « un classement général, un classement archives espagnoles, Amérique latine et centrale, un classement arménien et un classement directeur. Le bureau d’ordre enregistre le courrier des trois premiers, la secrétaire du directeur s’occupe de l’enregistrement du courrier réservé ». Pour rassurer le lecteur58, le rapport note qu’« en dépit de la complexité apparente de cette organisation qui regroupe plus de 650 000 dossiers, les pertes sont infimes et on obtient rapidement un dossier demandé59 ».

8. Le personnel : une situation médiocre à améliorer

40Les documents d’archive témoignent d’incessants combats en ce sens.

418.1. Le personnel (69 agents relevant de 17 nationalités en 1978 et 72 en 1979) ne dispose pas d’une cantine, en dehors de celle de la rue La Pérouse, accessible au personnel de l’office grâce « à la bienveillance du département60 ». Sa localisation n’est cependant pas idéale : « Ce n’est pas trop loin, quinze minutes en métro, mais malheureusement il y a une attente assez longue qui prolonge l’absence du déjeuner jusqu’à une heure et demie. C’est trop long pour un travail à la journée continue que souhaiterait la majorité du personnel et il faudrait trouver dans le voisinage immédiat une autre cantine61. » Le rapport d’activité 1979 mentionne une tentative auprès du maire de Neuilly, M. Peretti, mais celui-ci l’a écartée de sorte qu’« une démarche du département faite à un haut niveau pourrait peut-être permettre d’obtenir satisfaction62 ». Et une autre auprès de la société Total mais il a fallu y renoncer pour des raisons financières. Bref, l’office reste « dans l’impasse » à ce sujet.

428.2. Le personnel ne dispose pas non plus d’un niveau de rémunération suffisant au regard du service rendu. Formés d’agents contractuels, les personnels de catégorie B, C et D ont bénéficié entre 1974 et 1977 de la révision du classement indiciaire des personnels civils de l’État. Pour les personnels contractuels de catégorie A (secrétaire général et chefs de division), ce bénéfice n’a été accordé que par arrêté du ministre des Finances du 25 janvier 1979, malgré un avis défavorable du contrôleur financier du département émis le 15 décembre 1978. Ces mesures n’ont pas suffi et le directeur se focalise sur quatre problèmes en 1979-1980. Le secrétaire général, choisi par le département parmi les conseillers des Affaires étrangères de 1^re ou de 2^e classe anciens et détaché du Quai d’Orsay ne bénéficie pas de la majoration d’indice normalement accordée au personnel détaché. Il ne bénéficie pas non plus d’une prime de rendement de sorte que le directeur a demandé un rééchelonnement indiciaire du poste (IB A 3), refusé jusqu’ici. Tous les conseils d’administration abordent la question, sans succès. Pour résoudre le problème tenant à l’absence de candidats fonctionnaires pour occuper ces emplois, le décret du 2 mai 1953 est finalement modifié par décret du 19 avril 1982, pour permettre au directeur d’y nommer des contractuels aussi bien que des fonctionnaires, sans avoir à demander des dérogations au cas par cas (cf. note 43). Si grâce au département le directeur a obtenu une dérogation pour pouvoir nommer deux contractuels comme chefs de division (cf. 7.1), il n’a pas obtenu le relèvement de leur échelle de rémunération (de l’indice brut 379 à 780 contre 308 à 701) eu égard à la qualité et la quantité de travail qui leur est demandée car, s’agissant d’un changement de catégorie, il est « dans la conjoncture financière actuelle… interdit par M. le Premier ministre63 » (R. Barre).

43Le directeur estime également normal que, compte tenu de l’augmentation considérable du travail de l’office, la bonne vingtaine d’agents ne touchant pas l’indemnité pour travaux supplémentaires puisse percevoir l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires comme cela se pratique dans les autres administrations ou offices pour les agents ayant un indice brut supérieur à 370. Il lui a été objecté que ce n’était pas le cas dans les autres offices, ce que le directeur conteste au vu des témoignages qu’il a recueilli auprès d’eux. Finalement, une note de service du 9 juillet 1980 informe le personnel que le crédit inscrit au budget étant peu élevé, ces indemnités ne peuvent être importantes et qu’elles seront attribuées aux agents pouvant justifier qu’ils travaillent plus de huit heures par jour. Le personnel ne bénéficie pas non plus d’une prime de rendement car elle serait réservée au personnel titulaire alors que le directeur relève que le personnel contractuel d’autres offices en perçoit une. Paradoxe supplémentaire, le directeur et le secrétaire général, qui sont des fonctionnaires titulaires, n’ont pas perçu de prime de rendement en 1979 alors que les crédits avaient été inscrits au budget 1979 et que ceux-ci ont été supprimés en 1980.

44Lors du conseil d’administration du 13 juin 1979, après que le directeur fut remonté à la charge sur la situation du secrétaire général, la rémunération des chefs de division et les indemnités pour travaux supplémentaires, le représentant du ministre du Budget indique qu’il n’a pas été possible d’y répondre favorablement en 1979 mais que ces mesures seront proposées dans le budget pour 1980, sans garantie d’aboutir « dans le contexte actuel64 ». Le contrôleur financier du MAE déclare d’ailleurs s’y opposer. Lors du conseil du 17 mars 1980, le directeur remonte au créneau sur la sur-indiciation du traitement du secrétaire général, sur l’autorisation d’assimiler à des chargés de mission les chefs de division, sur l’indemnité accordée aux rapporteurs et au président-suppléant de la commission des recours (cf. 9.3) et sur le recrutement d’une secrétaire qualifiée pour assurer le secrétariat de cette juridiction. Le contrôleur financier objecte à la première demande la pause catégorielle interdisant d’y répondre favorablement. Pour le reste, le conseil se borne à demander à nouveau à la direction du Budget du MAE, qui n’a saisi la direction du Budget que le 27 novembre 1979 de ce sujet, de relever le plafond annuel de rémunération des rapporteurs de la CRR. Après une telle séance, le directeur de l’office se sent bien seul et peu appuyé par son conseil…

9. Quelques difficultés spécifiques rencontrées par l’office

10. Conclusion

51Si le rapport d’activité 1979 de l’office regrette que le nombre de pays d’accueil reste trop faible pour accueillir les dix millions de déplacés dans le monde, quatre pays se détachent nettement, indépendamment des contributions volontaires aux dépenses du HCR : les États-Unis, le Canada, l’Australie et la France, cette dernière par fidélité à sa tradition de terre d’asile. Preuve de cet engagement maintenu, M. Giscard d’Estaing a reçu le 10 décembre 1979 à Genève, au cours d’une cérémonie au palais des Nations, la médaille et le prix Nansen qui lui avaient été décernés le 8 novembre par le comité Nansen, distinctions qui récompensent des « services exceptionnels rendus à la cause des réfugiés ». Ce rapport révèle les contradictions de la politique française : selon son introduction, la France « fidèle à sa tradition de terre d’asile, continue à accueillir un nombre important de réfugiés si l’on tient compte de sa population, du chômage qu’elle connaît et des travailleurs étrangers se trouvant déjà sur son territoire » mais, selon sa conclusion, « l’office se trouve projeté dans une grande aventure sans disposer des moyens nécessaires pour faire face à la situation75 ». La France fait en permanence le grand écart entre les ambitions du « pays des droits de l’homme » et du membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, se positionnant volontiers au plan international sur le registre de l’accueil alors que sa situation intérieure et sa situation budgétaire imposent une relative prudence à l’égard d’une opinion publique qui ne ressent pas forcément cette nécessité avec la même évidence. D’où peut-être aussi la volonté d’afficher que le pays n’en fait pas trop ou s’efforce de maintenir un équilibre fragile.

52Le directeur résume ainsi l’année écoulée : « L’année 1979 aura été pour cet Office une année cruciale. L’arrivée massive des réfugiés indochinois, la reprise de l’émigration venant de l’Europe de l’Est, le retrait des cartes espagnoles et l’augmentation importante des réfugiés africains ont… marqué cette période76. » Si cette phrase synthétise bien les changements en cours quant aux régions d’origine des demandeurs d’asile (cf. 2), l’inclusion du retrait des cartes espagnoles au milieu d’une énumération relative aux arrivées résonne d’un son étrange : il faut sans doute y voir l’écho d’une décision politique pour montrer que la France reste certes ouverte à l’accueil mais prend les mesures internes nécessaires pour qu’elle n’apparaisse pas aux yeux de l’opinion publique submergée par des arrivées massives. D’ailleurs, le nombre des réfugiés inscrits à l’office a baissé de 4 % en 1979, poursuivant sa lente décrue amorcée depuis le début des années 195077.