L’Athlète célèbre les qualités de Hams

5Paul Hams livre cinquante-sept combats entre 1918 et 1932, date à laquelle il raccroche les gants. Il serait monté sur le ring pour la première en 1910, selon les mémorialistes de la boxe8, en 1912 selon L’Auto9, mais il commence véritablement sa carrière en 1918, en combattant à Genève par deux fois, puis à Bordeaux contre le local Albert Lurie. Huit combats suivent en 1919. Ils l’opposent successivement à Ercole Balzac, Jef DePaus, Gustave Mathurin et Marcel Nilles. Dans ce temps où le public découvre le Martiniquais, l’hebdomadaire bordelais d’audience nationale L’Athlète valorise son image. En décembre 1918, on l’y présente comme « un beau gars », « un modèle de culture physique, […] un Apollon de bronze10 ». Peu après, on y évoque sa « plastique admirable, bras souples et forts, jambes aux muscles longs et d’un dessin très pur11 ». À l’instar d’autres boxeurs noirs, Paul Hams fait partie de ces sportifs qu’on dit puissants et dociles, méritants et courageux, engagés et travailleurs, appliqués, dotés d’une volonté hors norme ; en somme, un abécédaire de qualités symbolisant une nouvelle approche de la colonisation et du colonisé. Par ailleurs, L’Athlète précise que le boxeur a été « blessé au cours de la guerre […], prisonnier en Allemagne et interné en Suisse ; il livra dans ce pays deux combats [remarqués]12 ». Les Français connaissent le tribut payé par les Africains durant la guerre13. Malgré des promesses non tenues14 et un effacement rapide de la mémoire collective, l’engagement des troupes coloniales durant la Grande Guerre a fait évoluer l’image du colonisé en France. Tout ce qui renvoie à la présence des soldats noirs au côté des poilus est valorisé. Hams en bénéficie. Pour autant, l’attitude des nègres en gants de boxe doit correspondre aux visions que la société est capable d’accepter pour les personnes originaires des colonies et du monde ultramarin : soumis, calmes, invisibles quand il le faut, mais aussi engagés et combatifs pour le pays. Possédant ces qualités, Paul Hams suscite l’admiration. Une partie de la presse, à l’instar de L’Athlète, parle même de lui comme d’une possible « doublure de Carpentier15 ». Il s’agit là d’un authentique compliment puisque le Nordiste est alors une icône sportive nationale et internationale. « Suivez bien l’“ex-Mystérieux noir”, il ira loin16 », lit-on encore dans L’Athlète qui, par ailleurs, loue des qualités singulières pour sa catégorie :

« Il n’hésite pas à attaquer, il est souple et vif pour un poids lourd […]. Son jeu de jambes [est] étonnant, il esquive avec facilité même au bout de 20 rounds, sa stature lui permet les attaques à distance ce qui décontenance ses adversaires, […] c’est une révélation […] sa détente prodigieuse, sa belle vitalité et son souffle en font un « espoir » de tout premier ordre17. »

6Ainsi, Paul Hams bénéficie d’une réelle estime, renforcée par sa loyauté envers les autres boxeurs. Il accepte leur jeu, notamment l’infighting dans lequel il n’excelle pas. Pour autant, la gloire de celui qui, deux ans avant son arrivée à Paris, n’était encore qu’un « champion amateur du Panama18 » (sic) interpelle : elle remet en effet en question les hiérarchies sportives, sociales et raciales. Son palmarès et sa place parmi les poids lourds les plus connus engendrent un débat, parfois à fleurets mouchetés, parfois de manière plus piquante, sur ses qualités sportives. Comme pour de nombreux Noirs, ses qualités morales, sa finesse au combat et ses facultés intellectuelles finissent par passer au second plan19.

Un discours flottant quand le titre national est en jeu

7Combat après combat, le monde de la boxe s’agace effectivement d’un boxeur qui défie les plus grands pugilistes français. À partir de 1919, les vedettes de la boxe évitent de le rencontrer. Ainsi Albert Lurie, contre qui il combat à deux reprises et qui se défausse la troisième en invoquant une côte cassée – ce qui semble faux. Certains refusent tout bonnement ses défis. Les organisateurs de combats sont alors obligés de faire appel à des boxeurs de moindre étoffe. Les matchs de Paul Hams sont dès lors jugés de moindre intérêt et faussés. Surtout, l’ex-« mystérieux noir » devient avant tout un boxeur nègre opposé à des Français. L’Athlète insiste sur cet élément, à l’occasion du match organisé à Bordeaux contre « le vaillant Français » Ercole Balzac, qui « travailla au flanc et à l’estomac du nègre20 ». À cette occasion, la presse pondère les qualités du Martiniquais, dont « la ferme volonté de vaincre contraste avec la valeur indiscutable » du « sympathique champion de France21 » Ercole Balzac. L’Intransigeant enfonce le clou à l’approche du deuxième combat Hams vs Lurie, donné une nouvelle fois à Bordeaux : « Paul Hams, que l’on se plaît à nous montrer comme un comingman des poids lourds » n’arrivera pas à faire face et Lurie « devrait s’assurer le meilleur22 ».

8L’ascension rapide de Paul Hams est jugée, par la presse notamment, comme une tentative pour sortir de son rôle de Noir, au besoin de celui de faire-valoir ; c’est la raison pour laquelle, avec l’aide de journalistes, la fédération et les organisateurs de combats vont tout mettre en œuvre pour freiner sa carrière. La ligne de L’Athlète, plutôt amène au début, évolue en conséquence. Le périodique met en avant la faiblesse de la technique du boxeur et la nécessité pour lui de s’entraîner encore. On y lit : « À mon avis, Nilles est supérieur à Paul Hams. Il danse moins que le Martiniquais, mais danse à propos », et puis « le gauche » de Hams « se perd la plupart du temps, derrière l’épaule de l’adversaire23 ». Peu après un combat contre le Libournais Gustave Mathurin, on y précise encore : « Paul Hams n’a pas fait meilleure impression. Punch sans efficacité et tactique monotone24 ». Les propos de L’Auto sont plus positifs – « Hams a un jeu très mobile. Quand il le complétera par une science plus complète de la boxe, le champion martiniquais sera redoutable25 » –, ce qui revient à dire qu’il n’a pas encore cette science.

9Faisant écho à ce manque de maturité technique, la presse souligne néanmoins que Paul Hams « tient fort au titre de champion de France26 ». Rien n’arrête le boxeur martiniquais qui lance un défi au tenant du titre, qu’Excelsior relaie en ces termes :

« Le championnat de France des poids lourds, Nilles, livrera combat à Paul Hams. Il est fort douteux que Nilles puisse être inquiété. Et il sera bientôt légitime de formuler le souhait de voir le champion français des poids lourds s’attaquer à plus forte partie27. »

10Dans un premier temps, à distance du combat pour le titre, qui doit se tenir fin octobre 1919, les pronostics de la presse donnent Marcel Nilles vainqueur. Mais, plus on approche de l’échéance, plus les pronostics tendent à s’inverser. Paul Hams pourrait prendre le dessus sur le ring. Les propos des journalistes deviennent moins partisans. L’Auto parle de Paul Hams comme d’un « combattant qui s’impose comme le candidat tout qualifié au titre » contre « Nilles si sympathique, si puissant ! ». On souligne qu’il a combattu quatorze fois et « remporté quatorze victoires !28 » – la réalité est un peu différente puisqu’il a vaincu douze fois et fait deux matches nuls. L’Homme libre évoque le fait que « les deux hommes sont dignes l’un de l’autre » et que « tous deux ont droit à ce titre de champion si envié, tous deux ont un record magnifique29 ».

11Progressivement, donc, la presse reconstruit la figure d’un vainqueur possible en la personne de Paul Hams. Mieux, Excelsior précise qu’une éventuelle défaite du boxeur noir serait à mettre au crédit de son engagement durant la guerre puisqu’il fut « blessé quatre fois, fut prisonnier au camp de Grafenwohr30 » – ce qui revient à l’introniser au titre de sa contribution, jusqu’au sang, à l’effort national. Dans la perspective d’une possible victoire, Paul Hams (re)devient ainsi Français. L’Homme libre évoque « deux athlètes, deux jeunes Français merveilleusement bâtis, combatifs à l’extrême31 ». Toute trace d’identification raciale est effacée au profit de l’appartenance nationale. L’Intransigeant, connu pour ses positions critiques vis-à-vis des sportifs de couleur, est un des rares quotidiens à penser que « le nègre Paul Hams » ne pourra ravir son « titre à l’actuel tenant Nilles32 ».

12Le 22 octobre 1919, au terme d’un match serré en vingt rounds, à la Salle Wagram à Paris, Paul Hams remporte le titre de champion de France. Sa victoire n’est pas saluée comme elle aurait pu l’être. Même si la presse l’avait évoquée, cette issue renverse de manière trop brutale l’ordre sportif et, surtout, la hiérarchie sociale. Bien qu’il soit, comme L’Auto le rappelle encore en 1933, le « seul boxeur français de couleur détenteur du titre national33 », sa légitimité à l’être et le demeurer est mise en doute. On lui promet de n’être champion que quelques mois. On lui demande de refaire ses preuves. L’Intransigeant prétend que « Paul Hams ne semble pas devoir ajouter à son titre des victoires bien probantes » et en revient à l’idée que sa « science de la boxe est trop rudimentaire34 ». L’Athlète affirme que « s’il a progressé comme escrimeur, Hams ne s’est pas amélioré comme frappeur » et qu’il « décline comme encaisseur35 ». Au final, la presse ne dénie pas le titre de Paul Hams, mais souligne de nouveau qu’il n’a pas les qualités des véritables champions.

13Dès lors, chaque faiblesse du boxeur est utilisée pour mettre en doute sa valeur pugilistique. L’Intransigeant évoque ainsi « la piteuse exhibition fournie […] par Paul Hams36 » face à Jef DePaus, fin décembre 1919 (le Belge le bat par KO à la quatorzième reprise sur quinze). Le Figaro renvoie la faute sur la FFB dont les règlements ont conduit à produire des champions de France indignes d’un titre que seul Carpentier devrait détenir37. Bref, la presse parle de l’incapacité de Paul Hams à battre un « boxeur novice quant à la science du combat38 » et regrette que sa défaite contre Jef DePaus « attire à nouveau l’attention sur la pénible anomalie qui se produit actuellement autour du titre de champion de France poids lourds39 ». Elle souligne également que Hams lui est « de plusieurs classes inférieures40 ».

14Moins de deux mois après sa victoire contre Marcel Nilles, les milieux pugilistiques lui cherchent ainsi et déjà un remplaçant. L’Auto pressent Paul Journée41. Pour prouver son mérite, Paul Hams n’a d’autre choix que de multiplier les rencontres. À partir de 1920, il parcourt l’Hexagone et défie tous ceux qui acceptent, mais il ne parvient pas à convaincre. Lors du combat qui l’oppose à Paul Journée au Nouveau Cirque de Paris, L’Auto mentionne qu’il « s’accroche désespérément et arrive à finir le premier round » et qu’« au 8^e round, un superbe contre du droit » le « règle42 ». La Dépêche de Brest précise qu’heureusement le combat n’a pas « été conclu pour le titre », qu’en dépit du KO subi, « le boxeur noir de la Guadeloupe reste champion de France43 ». Et d’ajouter : « Ses progrès en boxe sont indéniables, mais dans le corps-à-corps il cafouille », or ce n’est pas digne du « bagage d’un boxeur complet et de classe44 ».

15La presse reproche aussi à Paul Hams son manque de fidélité. Une fois le titre en poche, il a en effet abandonné son premier entraîneur, Édouard Delmas, pour rejoindre une écurie parisienne renommée dirigée par Robert Eudeline45.

16La seule manière pour Paul Hams de prouver sa valeur est, clairement, de remettre en jeu son titre. Le match retour contre Nilles, le champion détrôné, se déroule aux Arènes du Prado, le 1^er août, en 1920. La Liberté souligne que « Nilles est d’une classe supérieure au Martiniquais » et que le match « doit être l’occasion de sa revanche46 ». Le lendemain, la presse, à l’instar du Petit Journal, apprend aux lecteurs que « combat s’est terminé au 8^e round par la disqualification du Martiniquais47 ». Paul Hams est dépossédé de son titre, offrant à tous ses détracteurs la preuve qu’il n’avait pas mérité sa victoire d’octobre 1919. Le Grand Écho du Nord de la France résume la situation ainsi : « Peu de temps après, il [Nilles] était battu aux points par Paul Hams en 20 rounds, ayant eu une main cassée au 4^e round. Six mois plus tard, il reprenait son titre sur le même Paul Hams, qu’il forçait à abandonner au 8^e round48. » La destitution du Martiniquais est d’autant plus brutale qu’elle est fondée sur sa valeur sportive, mais aussi morale. Il perd sur disqualification parce qu’il a porté un « coup bas à son adversaire49 ». L’Athlète affirme que « le coup fut si violent que la coquille était, complètement déformée50 », soulignant ainsi la rage d’un boxeur noir prêt à tout pour vaincre et garder son titre.

La presse tourne le dos à un boxeur sur le déclin

17Paul Hams fait une fin de saison 1920 médiocre. Le début de la suivante ne sera pas meilleur. Son déclassement sportif le pousse à se lancer à nouveau à la conquête du titre. Il veut prouver sa valeur. L’Auto croit à ses chances. Pour le nouveau combat qui doit l’opposer à Marcel Nilles, à la salle Wagram, le 9 février 1921, il a, assure le quotidien, « le ferme espoir de renouveler son succès d’octobre 1919 et sa forme actuelle ne défend pas de penser que cette confiance est parfaitement justifiée51 ». Paul Hams n’a donc pas perdu tout crédit. Il s’incline cependant, de nouveau par disqualification, au sixième round, le combat devant se jouer en vingt reprises. Cette nouvelle défaite met entre parenthèses sa volonté de conquérir le titre national. Il continue néanmoins à boxer, s’installant momentanément à Strasbourg pour neuf combats dans la seule année 1921. Il y est vainqueur à sept reprises entre avril et décembre. Pour continuer sur sa lancée, après l’un de ses derniers combats à Strasbourg, il défie « tous les poids lourds d’Europe, Carpentier y compris52 ».

18Fort de ses succès en Alsace, en juillet 1921, il crée à Strasbourg la Société Internationale de Boxe et le Stadium, qui se proposent d’organiser de multiples réunions53. Il s’y produit régulièrement devant « un nombreux public54 ». Il est cependant assez vite lâché par les spectateurs.

« Paul Hams, dans une soirée qu’il organisait, rencontrait Robur. Ce match donna lieu à de violentes critiques dans le public et la presse régionale, qui firent craindre pour l’avenir du noble art en Alsace55. »

19Dans cette période, il adopte un comportement que la communauté pugilistique ne comprend pas.

« Paul Hams, après le combat de Meyer, monta sur le ring pour défier le vainqueur et devint grotesque en voulant se déshabiller et matcher immédiatement. De nombreuses bagarres se produisirent dans la salle. Il faut espérer que la FFB prendra une sanction contre un pareil boxeur56. »

20Très engagé dans sa carrière à l’étranger, Paul Hams conserve néanmoins le projet de défier le champion de France, un titre qu’« il veut à tout prix reconquérir57 », souligne L’Auto en septembre 1921. Mais les observateurs ne croient plus en ses chances. À propos de la rencontre contre le Marseillais Auguste Challier, fin août, L’Auto parle « d’un combat monotone58 », L’Intransigeant relate un « match nul, au sens propre et au sens figuré59 ». Pour redorer son image, le boxeur vise alors l’Écharpe du journal L’Auto, dont « la possession sera, au surplus, une excellente publicité personnelle pour » chacun des candidats « et prouvera au public toutes leurs qualités. Il y aura certainement une petite lutte entre Nilles et Hams, ce dernier n’étant qu’à quelques points du leader60 ».

21Le 28 mars 1922, L’Auto annonce que c’est Paul Hams qui obtient l’Écharpe pour sa catégorie. Chaque combat disputé au cours de l’année 1921 (et jusqu’au 8 mars 1922) a rapporté des points en fonction des résultats. Paul Hams a totalisé 36 points pour 8 victoires (dont 6 par ko), 2 nuls et aucune défaite. Pour sa part, Marcel Nilles obtient 35 points grâce à ses 5 victoires en 5 combats. Le troisième est Paul Journée, avec 20 points seulement61.

22Paul Hams n’est cependant plus un boxeur qui intéresse les organisateurs de gala. « Et moi ? » dit Paul Hams à un rédacteur de L’Auto en février 1922. Et d’ajouter que si « Battling Siki revendique le titre de champion des colonies françaises, je me tiens à la disposition d’un organisateur pour le rencontrer à Paris62 ». Fin 1922, Paul Hams connaît cependant quelques succès. Par exemple contre l’Algérois Louis Piochelle, ce dont témoigne L’Écho d’Alger.

« Ce fut une belle rencontre où le meilleur a gagné. Et pour qui connaît la force de Piochelle, il faut reconnaître que Paul Hams est un rude encaisseur. La victoire de Paul Hams était en toute justice méritée et a été accueillie par de chaleureux applaudissements63. »

23Les qualités pugilistiques du boxeur ont évolué : il ne danse plus, il endure. Il fait ainsi preuve de qualités morales (le courage, la passivité), qui lui offrent quelques victoires et qui sont surtout considérées comme la véritable force des boxeurs noirs. Elles renvoient à une vision racialisée d’une passivité indigène supposée dont il faudrait se méfier.

Retour en grâce du vétéran

24À partir de 1923, Paul Hams poursuit une carrière à éclipse. Il ne boxe pas entre 1924 et 1926, puis il remonte sur le ring, principalement à l’étranger. Après avoir combattu en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, on le voit en Italie, en Algérie et au lointain Brésil. Mais cette troisième partie de carrière n’est guère prolixe : entre 1923 et 1932, il ne boxe que quatorze fois en combat officiel ; auxquels s’ajoutent quelques exhibitions, comme le défi qu’il accepte d’un lutteur libre, à Pau, en 1925. Il est néanmoins vainqueur à huit reprises. Pas de quoi briller pourtant aux yeux des amateurs de boxe. Systématiquement, la presse le ramène à sa volonté de reconquérir le titre ou parle de lui comme de l’ex-champion de France. Désormais, il n’existe presque plus que par ce qualificatif. Son appartenance au groupe des boxeurs noirs est ainsi reléguée au second plan, sauf lorsqu’il s’agit de dédouaner la FFB de positions jugées racistes. Ainsi, dans l’affaire Siki, qui se joue entre septembre 1922 et mars et 1923, Paul Hams est utilisé comme faire-valoir. Témoin ce communiqué paru dans L’Auto, et qui malgré ses intentions, fait état d’un mépris de la fédération pour les boxeurs nègres.

« Pour protester contre des déclarations parues dans la presse […] qui tendraient à transformer l’application d’une pénalité en un conflit de races, le bureau de la Fédération Française de Boxe a tenu à porter à la connaissance du public
1) Que des sanctions de la nature de celles prises à l’endroit de Battling Siki sont couramment appliquées à des boxeurs français et étrangers de race blanche, et cela sans que jamais aucune protestation se soit fait entendre.
2) Que jamais une race, n’a été frappée d’exclusive par la Fédération Française de Boxe, laquelle, au contraire, a toujours proclamé des champions noirs quand ils ont été vainqueurs, et notamment, le nègre Paul Hams, champion de France poids lourds64. »

25Dans l’entre-deux-guerres, les salles de boxe n’hésitent pas à programmer des boxeurs de couleur car ils attirent un public nombreux et font le spectacle. Avec l’aval des institutions pugilistiques, elles sont également capables de mettre sur la touche des boxeurs vieillissants, tel Paul Hams. L’argument racial resurgit alors et il arrive que certains s’en émeuvent, à l’image de L’Auto.

« Décidément, la FFB est hostile aux noirs. Pourquoi refuse-t-elle d’homologuer le défi de Paul Hams à Nilles pour le titre ? Si la classe du noir est médiocre, celle du champion de France est à peu près kif-kif et même très bourriquot65. »

26Paul Hams doit donc se résoudre à reconstruire sa réputation autrement qu’en convoitant le titre national. Il se plie aux règles imposées par ses adversaires et combat de jeunes boxeurs dont le niveau n’est pas encore affirmé : des espoirs, des champions dans des catégories moins prestigieuses, tels les championnats militaires.

27En 1924, Hams reprend le chemin des entraînements. Il fréquente la salle de Mainguet, une institution depuis la Belle Époque, dont il a rejoint l’équipe constituée principalement de boxeurs étrangers. À 32 ans, ses combats en dehors de l’Hexagone (Rio de Janeiro en 1926, Sao Polo en 1928 notamment) sont mitigés : 4 défaites et 4 victoires. À partir de 1931, il s’oriente vers des exhibitions plus spectaculaires que sportives. La presse insiste sur les moments où il est hué quand les combats sont jugés trop mous. Il participe néanmoins à quelques belles rencontres. On peut évoquer celle contre l’Américain Jack Taylor en 1931, qualifiée de « rentrée sensationnelle66 » par Paris-Midi, ou son défi contre le néophyte Montagnac, vu par La Liberté comme une « grande soirée de poids lourds qui s’annonce particulièrement attrayante67 ».

28Manifestement remotivé par l’intérêt qu’il suscite à nouveau, Paul Hams signe de beaux succès. Fin 1931, Le Journal rend compte de son combat contre « le jeune poids lourd Sauvage » en soulignant que le « nègre […] vient d’avoir quarante-trois ans » et que « Sauvage alla quatre fois à terre pour y rester au cinquième, knock-down. Paul Hams fut très applaudi68 ». Si le mérite sportif du Martiniquais a depuis longtemps fait l’objet de critiques fortes, en 1931, sa longévité sur les rings suscite, à l’inverse, l’admiration. Dans L’Intransigeant, qui n’a pas toujours été tendre avec le boxeur, on lit en janvier 1932 :

« Paul Hams, semblait disparu pour toujours du firmament pugilistique et ce depuis quelque dix ans. Ce fut une surprise pour nous d’apprendre que le sombre Paul Hams allait remonter sur le ring, ce fut une plus grande surprise encore de le voir vaincre. L’année 1931 se termina sous le signe du miracle, Paul Hams n’a pas connu la défaite depuis sa rentrée69. »

29La Liberté rend aussi hommage au vétéran des rings, tout comme Paris-Soir célébrant le « boxeur à moustache70 ». Les éloges sont nombreux, d’autant que Paul Hams s’est assagi. Il enchaîne quelques victoires, subit des échecs, mais ne cherche plus à détrôner les champions. Il n’est plus ce boxeur agile, rapide, déconcertant pour ses adversaires et briguant le titre national. Désormais, il encaisse sans broncher : « au bout de deux minutes, l’arbitre s’était vu dans l’obligation d’arrêter les hostilités, le Martiniquais encaissant héroïquement un nombre incalculable de coups et n’en rendant aucun71 ».

30Durant sa fin de carrière, il rencontre principalement des boxeurs étrangers : l’Italien Grizzo, le Suédois Bergwal, l’Allemand Neusel, entre autres. Il « s’offre » aussi « en pâture », selon le mot de L’Intransigeant, « au géant Primo [qui] le poursuit autour du ring, le martèle avec soin », cependant que le « vétéran se débat dans ce tourbillon tel une mouche au fond d’un verre72 ».

⁂

31Usé par les nombreux défis qu’il a dû engager pour prouver sa valeur, Paul Hams décède en décembre 1942 « terrassé subitement par une crise cardiaque73 ». La presse souligne qu’il a été le « premier champion de France de couleur » et surtout « un garçon loyal et un athlète consciencieux74 ». Dans ce moment singulier et respectueux de deuil, l’image du boxeur est présentée de manière positive, ce qui, on l’a vu, n’a pas toujours été le cas. De fait, ses performances ont été remarquées, saluées, puis critiquées. Cela renvoie sans doute à sa personnalité particulière, mais aussi à son statut de boxeur noir. Reste que si la presse a souvent discuté ses qualités pugilistiques, elle n’a jamais ni remis en cause son droit au titre ni douté de ses qualités humaines. Ainsi, Le Radical de Marseille évoque « un champion qui a des valeurs, sérieux et besogneux travailleur, mais pas forcément un grand boxeur75 ».

32Paul Hams a cherché à se hisser sur les plus hautes marches de la boxe très vite et, sans doute, de manière trop ostensible dans une période où les Noirs subissent, en France, le poids de représentations sociales très clivées. Sans doute en a-t-il payé le prix, comme il a payé de vivre au temps de Carpentier76. Certains journalistes s’en font l’écho. Ainsi, dans L’Intransigeant qui, après avoir très souvent écorné l’image de Paul Hams, n’hésite pas, en 1936, à publier ces lignes : « Alors que Carpentier faisait triompher les couleurs françaises dans les rings du monde entier […] Lurie, Hams et consorts ruinaient ce que Carpentier avait établi77. » Une telle prise de position n’appelle évidemment pas de commentaire. Elle parle d’elle-même.

33Il n’en reste pas moins que Paul Hams fut malgré tout accepté et respecté dans le cercle de la boxe. En témoignent les souscriptions organisées dans les salles de boxe pour aider sa famille (« huit enfants dont l’aîné n’a pas encore treize ans78 ») après sa mort. L’importance des dons, 24 355 francs, montre que les qualités humaines et sportives de Hams ont été reconnues par les milieux de la boxe puisque, comme le souligne L’Auto, « de nombreux confrères, des fédérations et des personnalités sportives ont tenu à apporter immédiatement la preuve que la famille de Paul Hams n’était pas oubliée79 ».

34En terminant sur cette logique solidariste qui a existé à différentes reprises dans les années 1930-1940 avec d’autres boxeurs, quelle que soit leur couleur, ou dans d’autres domaines (les ouvriers, les marins, etc.), il est permis de souligner l’ambivalence du regard porté sur ce boxeur, ambivalence qui oscille entre méfiance (plutôt que rejet) sympathie et respect.