Des boxeurs noirs américains bienvenus à Paris

3Avant 1905 et l’arrivée de Sam Mac Vea, rares sont les boxeurs noirs américains qui se produisent à Paris. Ils apparaissent le plus souvent lors de rencontres ponctuelles mettant en jeu des boxeurs de second plan. Ainsi, début 1907, les premiers tournois de boxe8 comprennent quelques « coloured men » présentés comme américains9. Ils se font battre régulièrement par des Anglais, tel James River dominé par Bennett au tournoi de L’Auto10. De fait, ils sont quasiment invisibles dans la presse. Les périodiques sportifs, habituellement assez prolixes quant à la description physique, comme L’Auto ou La Vie au grand air, se contentent de les désigner comme « nègres » et « Américains », voire parfois « redoutable nègre11 ». À l’inverse, les boxeurs les plus estimés du tournoi, les (blancs) Anglais Peter Brown ou Pat O’Keefe, font l’objet de descriptions nettement plus précises et plus enthousiastes. Il faut ainsi attendre l’arrivée des « grands » boxeurs américains et leur domination sans partage pour qu’une floraison d’articles commentant leur style, leurs mensurations mais également leurs loisirs soient publiés. Ainsi en est-il pour Mac Vea.

4Né en 1884 au Texas, Sam Mac Vea grandit en Californie. Comme souvent à propos des boxeurs de cette époque, son origine sociale est difficile à définir : descendant esclave, il serait devenu « travailleur agricole » puis « marin12 » ; tandis qu’il affirme à Sporting être fils d’un dompteur de chevaux13. Toujours est-il qu’il livre ses premiers combats officiels à dix-huit ans autour d’Oxnard, en Californie, où il réussit à battre des boxeurs estimés comme Denver Ed Martin, tout en échouant à trois reprises face à Jack Johnson. En 1905, il se rend en France, vraisemblablement sur les conseils d’un écrivain et journaliste de L’Auto, Georges Dupuy, qui effectue de fréquents voyages aux États-Unis, couvrant parfois de grands matches de boxe. Si les raisons exactes de sa venue en Europe (car les boxeurs ne se rendent jamais dans un seul pays mais en Angleterre, en Belgique et en France) sont floues, on peut supposer que la plus grande liberté de combattre offerte aux boxeurs noirs en Europe, le haut montant des bourses et l’accueil positif fait à leurs compatriotes, en cyclisme notamment (à l’instar du Major Taylor), les encouragent à traverser l’Atlantique14. Quoi qu’il en soit, durant deux années, entre 1905 et 1907, et bien qu’il ne boxe officiellement qu’aux États-Unis, Mac Vea multiplie les séjours en Angleterre, Belgique et France, au point d’être surnommé le « Colored Globe Trotter » selon la biographe de Jack Johnson15.

5Bien que présent à Paris depuis 1905, Mac Vea n’intéresse véritablement la presse qu’à partir de mai-juin 1907, moment où le marché de la boxe explose (on comptait 4 soirées pugilistiques en 1905, 7 en 1906 et 77 en 1907) notamment sous l’action de tournois qui se veulent très ouverts sur l’international. À cette occasion, l’Américain lance « un défi à tous les boxeurs du monde16 ». Fortement relayé par les journaux sportifs, ce défi lui offre une visibilité croissante, les journalistes adoptant un ton inédit en boxe à son égard. Ainsi le responsable de la rubrique « boxe » à L’Auto, Léon Manaud vante le caractère hors-norme, extraordinaire du boxeur, allant jusqu’au champ lexical de la monstruosité :

« Depuis dix jours les habitants du joyeux Montmartre rencontrent matin et soir un nègre épouvantable, aux larges épaules, aux poings énormes, et on se demande quel peut être ce colosse. C’est Sam Mac Vey, le champion de Californie, c’est lui qui a lancé un défi à tous les boxeurs du monde ; c’est cet athlète à l’aspect terrible qui se vante de pouvoir battre Jeffries. Eh bien ! Sam Mac Vey a trouvé un adversaire […]. Nous avons reçu en effet hier la visite d’un autre nègre, un grand gaillard dont la réputation n’est plus à faire : c’est Frank Craig […]. Pour qui a vu ces deux hommes, on en est à se demander ce qu’il adviendra d’un combat entre deux pareils colosses17. »

6Ce défi initie une longue série qui se termine le 17 avril 1909 : soit 18 rencontres dont 15 en France (12 à Paris), pour autant de victoires18. Pour les organisateurs, Mac Vea devient un élément essentiel de l’attractivité des spectacles pugilistiques. Ils peuvent désormais s’appuyer sur un boxeur reconnu mondialement, et qui, à lui seul, justifie l’intérêt d’un combat. La morphologie et la domination extraordinaires de Mac Vea font l’objet d’une grande publicité initiée par les organisateurs et relayée dans la presse. Pourtant, sa notoriété pâtit du peu d’enjeu sportif de ses combats : il n’affronte pas de rival sérieux. Même à l’issue de son match contre l’un des boxeurs français les plus estimés, Marc Gaucher, Léon Manaud considère que le « match a manqué d’intérêt » et précise : « le nègre est vraiment trop supérieur pour qu’une comparaison soit possible », et de ce fait « l’ovation faite aux matcheurs n’est pas très enthousiaste19 ». Il est vrai que Mac Vea n’a pas encore rencontré de boxeurs véritablement à son niveau et que les affirmations des organisateurs concernant le suspense du match relèvent surtout d’un argumentaire publicitaire puisque le boxeur remporte ses quinze combats en moins de cinq rounds. Mais sa quatrième rencontre, contre l’anglais Harry Shearing, inaugure la pluie d’éloges qui accompagne ensuite chacun de ses combats. Ainsi, au lendemain de sa victoire, à Neuilly, début 1908, dans La Vie au grand air, Jacques Mortane, responsable de la rubrique « boxe » et organisateur de combats, souligne :

« Nous avons assisté à un combat où Mac Vea, tout en menant la danse de bout en bout, a eu à vaincre un athlète qui lui a opposé une très belle résistance. Nous avons vu le nègre à l’ouvrage. Jusqu’ici il s’était joué de ses adversaires, là il a donné l’impression qu’il était obligé de recourir à ses ressources exceptionnelles pour obtenir la victoire20. »

Homme de sport et de spectacles

7L’ouverture du public parisien aux boxeurs « de couleur », notamment par rapport au public londonien, donne l’opportunité aux organisateurs de faire venir un grand boxeur poids lourds (catégorie la plus estimée). Cet avantage renforce la position du marché pugilistique parisien alors en compétition avec Londres quant à savoir qui est la capitale européenne de la boxe21. Dans ce cadre, Mac Vea bénéficie dès ses débuts du soutien de plusieurs organisateurs, dirigeants et journalistes dans la mesure où il leur assure un succès tant par l’affluence du public que par le retentissement au plan sportif. Plus particulièrement, l’Américain doit la plupart de ses premiers combats au Pelican Boxing Club (PBC), structure crée en 1905, reformée au cours de l’année 1907 et investie par de multiples personnalités dont Frantz Reichel et Paul Rousseau, journalistes et respectivement secrétaire général et président de la Fédération française des sociétés de boxe. Le PBC organise cinq soirées de boxe entre le 1^er janvier 1907 et le 31 décembre 1909, et à trois reprises, le combat inclut Mac Vea et s’accompagne d’un succès notable. En témoigne le premier match mis sur pied par le PBC, opposant Sam Mac Vea à Jack Scales, pour lequel L’Auto affirme que 6 000 francs de billets ont été vendus dès l’avant-veille du combat22. Plus généralement, les quelques recettes glanées dans la presse témoignent de l’attractivité du boxeur : le match contre Ben Taylor à l’Hippodrome de Montmartre rapporte 28 000 francs ; le premier contre Jeannette au Cirque de Paris entre 75 000 et 85 000 et le second un peu plus de 40 000. Vu ce succès, les organisateurs et journalistes qui patronnent les événements multiplient les combats à Paris et en province comme, entre autres, à Marseille et Orléans. Ces matches font systématiquement l’objet d’une très forte publicité avant et après la rencontre. Sont rappelées ses performances sportives mais aussi sa puissance et sa musculature. Le 20 février 1909, son premier match contre Joe Jeannette est le plus grand événement pugilistique jamais organisé dans la capitale, tant par le montant de la bourse (25 000 francs23) que par le public accueilli (estimé à plus de 5 000 personnes) au Cirque de Paris, la salle la plus prestigieuse de Paris. Dans L’Auto, Victor Breyer, journaliste et coorganisateur du combat, se targue d’avoir programmé cet événement prestigieux lors d’un séjour aux États-Unis24, soulignant ainsi son rôle dans l’organisation de cet événement sportif de premier plan. À l’approche du combat, les annonces se multiplient ; ainsi, entre le 16 et le 22 février, L’Auto consacre chaque jour 2 à 4 colonnes de sa une à l’événement. Les deux boxeurs font l’objet de moult panégyriques. Quatre jours avant le combat, le sculpteur Georges Dubois publie leurs mensurations en détaillant pas moins de vingt mesures (les mollets, le « biceps droit contracté », « l’épaisseur de la poitrine au milieu du sternum » ou encore le « diamètre latéral du crane ») qu’il assortit de ce commentaire :

« Le squelette de Joe, plus fin que celui de Sam, est d’un équilibre plus parfait ; [sa] cage thoracique est beaucoup plus large ; [les] fémurs de Sam, plus courts, doivent donner aux extenseurs des cuisses une puissance prodigieuse, etc. […] La poitrine de Joe Jeannette a une bien plus grande capacité, et […] si ses muscles sont moins puissants, l’admirable équilibre de son squelette doit lui assurer dans le combat une plus grande variété d’attitudes qu’à son adversaire25. »

8De même, l’après-combat est particulièrement commenté dans une multitude de journaux généralistes (Le Matin, Le Petit Journal, L’Écho de Paris, La Petite République ou Le Radical) et sportifs (L’Auto, L’Écho des sports, Les Armes, La Vie au grand air). Si quelques-uns, comme Le Petit Parisien, se disent déçus, un concert de louanges entoure les qualités physiques et sportives des deux boxeurs. Dans Le Figaro, le romancier Marcel Prévost se livre à un éloge non sans une certaine ambiguïté. En effet, jouant sur une contradiction, il écarte la possibilité que ces boxeurs appartiennent à « une autre race » et les qualifie d’humains exceptionnels tout en les rapprochant de la part la plus sauvage du monde animal :

« Mac Vea et Jeannette sont des individus non pas d’une autre race, mais d’une autre espèce animale que moi. Et je ne ressens pas plus l’ambition de me mesurer avec eux qu’avec les hippopotames du Jardin des plantes. Il est vrai que les Sam Mac Vea et les Joe Jeannette sont les types d’une humanité exceptionnelle. Justement pour cela, il n’est pas nécessaire à des humains ordinaires, comme, vous et moi, d’être entrainés pour de telles rencontres, aussi rares, dans la vie courante, qu’une lutte avec un hippopotame ou un ours26. »

9Pour autant, la notoriété de Mac Vea ne saurait être le seul résultat de ses victoires dans des combats officiels. Tout au long de ses premières années parisiennes, il investit pleinement les possibilités offertes par la pratique pugilistique, se livrant à la fois à des combats codifiés sportivement et à de multiples spectacles. Le tout lui permettant la mise en valeur de ses qualités physiques et sportives. Avant de prendre part à des rencontres réglementées en 1907, il commence, dès 1905, à se faire connaître par des exhibitions (forme de combat sans enjeu sportif et qui relève davantage de la démonstration) et des spectacles (formes de boxe extrêmement mise en scène comme le fait d’affronter plusieurs adversaires, de combattre un pratiquant de jiu-jitsu etc.). On le trouve par exemple au Casino de Paris participant à l’Aero-Redoute, fête nocturne proposant de la musique, de la danse, des improvisateurs et des « attractions diverses » dont des numéros de Dranem ou de Mistinguett, des « assauts de boxe féminine » ainsi que « le célèbre nègre Sam Mac Vea et le nain Delphin » qui connaît un succès croissant dans les cabarets et les music-halls depuis l’Exposition de 190027. En 1909, le quotidien Les Sports mentionne la présence de Sam Mac Vea à l’Olympia, du 15 au 31 décembre où il se livre à des exhibitions contre son compatriote blanc Al Kubiak. En 1907, aux Folies-Bergère, faute d’adversaires, Mac Vea se livre à des démonstrations de punching-ball, activité peu répandue en France. Un article non signé de L’Auto commente :

« Cette démonstration de la méthode de travail du champion noir a été fort intéressante et très goûtée. Elle a permis d’admirer la parfaite souplesse et la force de Mac Vea, qui d’ailleurs est très entraîné28. »

10Un mois et demi avant la première rencontre avec Jeannette, et alors que la publicité pour ce match a déjà commencé dans la presse sportive, Mac Vea donne une démonstration de punching-ball au Bal Bullier, Joe Jeannette se livrant au même exercice au Wonderland29. Toutes ces exhibitions participent à la publicité du combat à venir en construisant une image du boxeur comme colosse.

11Dans le même esprit, Mac Vea investit les événements situés aux confins de la pratique pugilistique, événements qui se veulent particulièrement spectaculaires et renforcent sa réputation de « combattant » doté d’une force et d’une résistance extraordinaires. Ainsi, livre-t-il trois combats « au finish », c’est-à-dire sans limite de rounds, entre avril et mai 1909 (contre Warren, Jeannette et Harris)30. De même, après avoir refusé d’affronter le lutteur Padoubny faute d’une bourse suffisante31, il participe à un match contre Tano Matsuda, l’un des plus grands spécialistes de jiu-jitsu. Cette rencontre, visant à déterminer « l’homme le plus fort du monde32 », est organisée par le PBC le jour de la Saint-Sylvestre 1908 au Théâtre Marigny devant un public chic. Il bénéficie d’une grande publicité. La bourse en jeu s’élève à 12 000 francs (10 000 au vainqueur). Le combat, arbitré par Frantz Reichel, se déroule jusqu’à un résultat, autrement dit jusqu’à ce que l’un des deux soit « hors de combat » pendant dix secondes. Or, Sam Mac Vea bat Tano Matsuda en huit secondes, après deux coups seulement. Cette rencontre est « un triomphe pour le sympathique Sam33 », écrit alors Léon Manaud dans L’Auto. Mais cette domination n’est pas goûtée par toute la presse. En témoigne le quotidien nationaliste L’Action française, qui fustige la « sauvagerie » du « nègre » et souligne que :

« Les uns et les autres ont […] insuffisamment réfléchi aux conditions de la rencontre. La victoire devait infailliblement revenir au nègre. […] Le coup de poing qu’asséna ensuite Mac Vea sur la tête de sa victime a donné à tous une impression des plus pénibles, non que le nègre ne fût strictement dans son droit, mais parce que le coup est apparu à presque tous comme brutal et inutile34. »

12L’accueil enthousiaste fait à Sam Mac Vea, alors seul véritable champion parmi les boxeurs afro-américains, n’est pas celui réservé à tous les boxeurs noirs. À côté de lui, d’autres demeurent peu visibles dans la presse, même s’ils investissent les différentes formes de boxe existantes. Presque toujours de faible qualité sportive, leur arrivée ou leur présence est peu commentée ou l’est de façon critique, leur reprochant notamment leur manque de professionnalisme, mais sans que leur soit contestée leur légitimité à boxer ou à être présent à Paris du fait de leur couleur de peau. Par exemple, l’un des premiers à participer à des combats officiels, Bob Scanlon, est perçu comme « un rude combattant qui aurait probablement battu Werner s’il n’avait pas manqué d’entraînement35 ».

Entre fascination et répulsion

13De même que les représentations dont font l’objet les Américains ou les noirs dans la presse ne sont pas figées, celles concernant les boxeurs noirs américains fluctuent, notamment au gré de leurs succès sportifs. Aucune défaite ou faiblesse ne leur est pardonnée. Ainsi pour Kid Davis, boxeur poids plume surnommé, comme d’autres, « la merveille noire ». En janvier 1908, Frantz Reichel salue son arrivée en ces termes : « Kid Davis, un boxeur nègre poids-plume, est arrivé à Paris. Il possède, paraît-il, une énergie farouche et une science consommée du combat36. » Engagé à la salle Parisiana pour plusieurs soirs au mois de mai 1908, il affronte régulièrement plusieurs adversaires consécutivement37. Mais après neuf soirées victorieuses contre des boxeurs le plus souvent peu reconnus, il enchaîne deux matches nuls et une défaite contre des boxeurs plus estimés. Dans La Vie au grand air, Jacques Mortane écrit aussitôt : « La merveille noire, ainsi qu’on surnomme ce boxeur, me semble avoir une réputation bien surfaite. Kid est scientifique, certes, mais il n’est pas un combattant de classe38. »

14À partir de 1908, moment décisif dans l’essor de la boxe à Paris dans la mesure où le nombre annuel de soirées pugilistiques dépasse systématiquement la centaine, les boxeurs américains sont nombreux à arriver. Alors qu’auparavant ils venaient seuls, à l’image de Mac Vea, ils arrivent par équipes, souvent constituées de blancs et de noirs. Leur niveau sportif est meilleur. Aussi, à partir de 1909, la presse leur consacre une place importante, soulignant leur forte valeur sportive. Ainsi lors de l’arrivée de Jeannette et de boxeurs plus ou moins connus comme George Gunther, Dixie Kid, Jim Johnson, Jack Johnson et Sam Langford. L’Auto, tout comme La Boxe et Les Boxeurs et, dans une moindre mesure, La Vie au grand air n’ont de cesse d’évoquer « l’invasion des boxeurs » américains au palmarès notable, expression concernant tous les boxeurs d’outre-Atlantique noirs compris. Par exemple, en 1909, L’Auto annonce en une la venue de Langford en soulignant que l’organisateur, Théodore Vienne, a pu « décider, on devine au prix de quels sacrifices pécuniaires, à venir combattre à Paris un des rares grands cracks du ring que nous ne connaissions encore que de réputation. Nous voulons parler du prodigieux Sam Langford, de ce fameux athlète […] que les Américains appellent une fistic marvel (une merveille de la boxe)39 ». La référence aux « sacrifices pécuniaires » révèle en même temps l’enjeu commercial de ces contrats pour les organisateurs soucieux de construire des évènements pugilistiques d’ampleur.

15Les commentaires sur les boxeurs afro-américains sont ambivalents. La qualité sportive des boxeurs est admirée : leur force, leur puissance et leur endurance fascinent. Elles font constamment l’objet d’éloges qui montrent que leur couleur de peau ni ne les disqualifie ni ne les empêche d’être les bienvenus. Ainsi, en 1909, Mac Vea est qualifié d’« athlète le plus populaire de Paris40 ». En tant qu’Américain, il est, comme ses homologues, encensé car dominant sur le plan sportif ; en tant que « noir », on loue sa puissance mais on la juge moins belle, moins élégante et plus bestiale que les pugilistes blancs. Ces caractéristiques sont alors essentialisées et sont jugées d’autant plus présentes que le boxeur est noir de peau. Ainsi Mac Vea (très noir de peau) est supposé plus fort, plus puissant, plus insensible à la douleur, car moins civilisé, plus brute (au sens propre), plus sauvage. Surnommé dès ses débuts à Paris « Le sauvage californien », il est décrit comme peu affecté, tant moralement que physiquement, par la violence qu’il exerce ou qu’il subit. Par ailleurs, des métis, tel Joe Jeannette baptisé le « nègre jaune », sont plutôt décrits et présentés comme Américains. Leur style, leur élégance, leur souplesse sont évoqués (sans pour autant que leur puissance ne soit complètement occultée). Établissant un portrait absolument dissymétrique entre Jeannette et Mac Vea, un journaliste anonyme de L’Écho des sports, dans un long article sur Mac Vea, écrit :

« Il y a nègre et nègre. L’angle facial du bon Sam est inférieur d’un nombre respectable de degrés de celui de son rival Joe Jeannette. Si ce dernier a une silhouette d’Apollon du Belvédère, la découpure de son camarade fait plutôt songer à ce colosse immobile des music-halls, qui, moyennant le versement préalable d’un décime, encaisse imperturbablement les plus violents directs41. »

16Poursuivant cette hiérarchisation des races, les journalistes glissent alors du registre de la sauvagerie à celui de l’animalisation. En effet, la puissance et la résistance physique de Mac Vea, dont le rappel est incessant dans les comptes rendus, l’amènent à être régulièrement comparé à un singe, à un hippopotame ou encore à un bison, tandis que Jeannette est davantage assimilée à un tigre ; cette comparaison étant toujours faite à l’avantage du métis. Ainsi, dans L’Auto, Georges Dupuy juge que « Joe est moins noir, moins simiesque de visage, et beaucoup plus harmonieux de membres que Mac Vea42 ». De même, dans un autre compte rendu de combat intitulé « Le tigre et le bison », et qui se révèle malgré tout laudatif, il poursuit cette comparaison tout en faisant valoir également un préjugé sexiste, la puissance animale de Mac Vea est supposée faire fantasmer les femmes :

« Pendant plus d’une heure, un métis aussi beau qu’Hercule et le plus prodigieusement fort des Ethiopiens ont travaillé patiemment, furieusement à s’envoyer l’un l’autre au pays des rêves. Ce fut l’assaut d’un tigre contre un bison. Le tigre agile, souple, puissant, agressif et parfaitement ramassé fut Joe Jeannette, et l’inébranlable bison noir, au front dur, au crane énorme, c’était Mac Vea (Sam pour les petites misses françaises)43. »

17Si cette animalisation concerne d’autres sportifs et parfois d’autres boxeurs, soit elle consiste en un surnom tel le blanc américain Frank Klaus surnommé « the Bear-Cat » ou « l’Ours de Pittsburgh44 » soit est unilatéralement élogieuse tel Georges Carpentier comparé à un aigle45. Dans le cas des boxeurs afro-américains et en particulier de ceux particulièrement noirs de peau, si l’animalisation comporte aussi une dimension « positive », à savoir louer la force, la puissance ou la résistance, elle demeure péjorative, dans la mesure où, quels que soient les éloges, le boxeur est renvoyé à un statut d’individu sauvage privé d’intelligence ou de sensibilité. Alors que le compte rendu anonyme déjà cité de L’Écho des sports affirme que « la véritable force du colosse noir ne paraît pas être dans son cerveau46 », Jacques Mortane s’inscrit dans son prolongement par un recours à la chosification. Comme ses confrères, il ne décrit finalement qu’assez peu le style pugilistique des boxeurs, se concentrant sur leurs qualités physiques :

« Ce rocher qu’est Sam n’a pu être ébranlé par ce tigre qu’est Joe. Pendant le combat, nous avons pu nous rendre compte que l’un, beaucoup plus scientifique que l’autre, nous enthousiasmait par ses feintes, ses esquives et son agilité, tandis que Sam, que nous considérions jusqu’ici comme le roi des boxeurs ayant combattu à Paris, semblait maladroit, manquait de précision. […] Un homme plus fin, plus scientifique, a été battu par un boxeur qui tapait comme sur une enclume47. »

18Paradoxalement, ces préjugés contribuent à asseoir la réputation de Mac Vea comme fort et puissant et favorise son succès auprès de la presse sportive spécialisée dans l’entraînement et la condition physique. Ainsi, la revue La Culture physique, dirigée par l’ancien boxeur, escrimeur et haltérophile devenu journaliste et organisateur de combats de boxe Léon Sée, fait plusieurs fois l’éloge des boxeurs noirs américains et présente Mac Vea dans sa « galerie athlétique » (rubrique illustrée montrant des modèles d’athlètes) comme un « athlète admirable » à la « beauté plastique irréprochable », possible futur champion du monde :

« Le terrible nègre Sam Mac Vea est l’idole du public parisien. Sa puissance, la beauté de ses lignes, la vitesse et la précision de ses attaques lui ont valu en France une réputation d’invincibilité absolue. Ses admirateurs, et ils sont des milliers, voient en lui un véritable champion du monde48. »

19Cette représentation d’un boxeur fort et musclé est régulièrement accompagnée d’une iconographie prouvant sa notoriété. En effet, nombreuses sont les images publiées de Mac Vea (comme de Jeannette), surtout sur le ring, mais pas exclusivement. Par exemple, le périodique La Boxe et Les Boxeurs, célèbre pour ses couvertures représentant chaque semaine un boxeur, met à l’affiche Mac Vea dès son deuxième numéro (le premier étant réservé à James J. Jeffries), mais également dans sa treizième édition. Plus généralement, sur les 56 premiers, numéros, du 8 décembre 1909 au 4 janvier 1911, on trouve 37 Américains, parmi lesquels 12 noirs, auxquels il faut ajouter l’Australien Peter Jackson. De même, les cartes postales éditées par la presse sportive, notamment par L’Auto ou par Les Sports, tout comme les agences de presse, telles que Meurisse et Rol multiplient les clichés de Mac Vea prenant des poses sportives ou se livrant à un effort physique mettant en valeur sa musculature.

20Au-delà de ces descriptions et des légendes des photographies, comme d’autres célèbres boxeurs noirs tels Jack Johnson ou Sam Langford, Mac Vea est l’objet de nombreuses caricatures. Dans L’Auto, c’est le plus souvent Mich, qui croque le portrait du boxeur, insistant sur sa musculature et convoquant différents stéréotypes, notamment physiques, associés aux noirs : lèvres boursoufflées ; diction approximative ; insensibilité (voir indifférence) aux coups reçus etc. Ainsi la publicité pour les chewing-gums Sen-Sen utilisent-elles régulièrement son effigie. Par exemple, l’encart publié le 25 avril 1909 représente le boxeur défiguré après son deuxième match contre Jeannette et lui fait dire, dans un parler « petit nègre » typique de l’imaginaire colonial : « Moi, toujours vainqueur, toujours souriant, jamais KO, car moi toujours mâcher sen-sen chewing-gum49. »

21Cette ambivalence, entre admiration et mépris, fascination et répulsion, entre les descriptions élogieuses et les stéréotypes, est particulièrement visible lors du deuxième match opposant Mac Vea à Jeannette, au printemps 1909. Déjà, dès l’entraînement de Jeannette auquel il assiste, Georges Dupuy déclare :

« Je n’ai pas besoin d’interroger Jeannette sur sa ligne généalogique pour savoir que c’est un métis canadien. Le nez est large mais peu épaté, les os maxillaires normaux, les yeux bruns et très vifs. […] D’un poing léger […] Jeannette effleure la base du gros ballon de cuir gonflé d’air, et tout aussitôt nous croyons entendre le crépitement effroyable de deux mille fusils. Quelle rapidité ! Quelle virtuosité ! Les abominables épaules, la poitrine puissante, le cou et le dos du boxeur oscillent à peine. […] Rien d’impressionnant comme la vue de ce Don Quichotte à demi-nu, qui lance, à deux pouces de la cloison des coups droits et des jabs50. »

22Deux mois plus tard, à l’issue du match, Dupuy reprend son propos, illustrant encore une fois la position des journalistes à l’égard de ces boxeurs. Ceux-ci sont dépeints en boxeurs d’exception capables de prouesses physiques extraordinaires mais sont, simultanément, renvoyés à une série de clichés racistes (dont le cannibalisme) :

« Une heure du matin. Un silence immense plane dans l’amphithéâtre. Joe, ce même homme qui a roulé sur le dos, en agonie, plusieurs fois durant le combat, est férocement au travail, à présent. Les poings hauts, les reins baissés, balançant ses puissantes épaules, il vise la face tuméfiée de Sam ; il danse, boxe […], en bondissant Jeannette vient d’appliquer de toute la volée de son bras droit un “jab” sur l’oreille gauche du noir, puis, dans la même seconde, un “cross” court, foudroyant vient écraser la bouche bleuie et sanguinolente de Mac Vea, lequel […] aussitôt grimace, crache rouge et montre des dents déchaussées. Tristan Bernard […] [me] dit : “Je n’ai jamais rien vu dans ma vie d’aussi angoissant.” […] Aux repos, dans les coins, une étrange alchimie tient ses assises : on voit des hommes soulever des tubes d’oxygène, manœuvrer des robinets de pression […]. Un monsieur […] manie seringues et fioles, enfourne un tuyau noir dans la bouche insensible de Sam, lequel n’y voit plus rien du tout. Scanlon, appliquant ses grosses lèvres sur l’œil clos de Mac Vea, lui suce tant qu’il peut les paupières, dans l’espoir de les rouvrir. Cet effrayant baiser à la sueur et au sang, ce nègre qui cherche à “gober” l’œil d’un autre nègre est un spectacle assez hallucinant. Jeannette aspire, lui aussi, à un tube de caoutchouc. […] On lui arrose la tête ; ses yeux sont clairs à peine cernés de fatigue. […] Au coup de gong de la quarante-neuvième reprise [Mac Vea] se leva assez lentement, marcha vers Joe et ne se mit pas en garde. […] Il ne tendit pas la main […] ; la seule main valide comprimait son ventre. Je l’entendis seulement dire à son vainqueur […] ces simples mots enfantins et tristes : […] “Je crois que je ne peux plus…”51 »

23Comme pour d’autres boxeurs noirs américains, à l’exception de Jeannette, l’attitude dans et hors du ring de Mac Vea est régulièrement considérée comme provocatrice. En effet, davantage que pour les blancs, les journalistes et organisateurs attendent des boxeurs noirs (américains ou non) qu’ils n’attirent pas l’attention, soient discrets et respectueux des règles et des usages ; sans quoi les condamnations morales sont fortes et unanimes. Ainsi Bob Scanlon est mis au pilori en 1910. Vaincu, il frappe son adversaire au sol et refuse d’obéir à l’arbitre. Alors que Léon Manaud le qualifie d’« énergumène » et de « voyou52 », Georges Dupuy renvoie son attitude à sa couleur de peau, indissociable, selon lui, de la noirceur de son âme :

« J’espère bien qu’on a à jamais banni des réunions du pugilisme ce nègre d’âme et de peau, qu’on nomme Bob Scanlon. Quand un nègre est irrémédiablement nègre, dans le sens où l’entendent les gens, en Amérique et dans les îles du Centre, il n’y a rien à en tirer. Il vole, il incendie, il assassine, il violente les femmes blanches. M. Robert (Bob) Scanlon est tout à fait ce genre-là53. »

24De même Léon Sée va jusqu’à distinguer « les bons nègres » (Mac Vea ou Jeannette) des « mauvais » (dont Scanlon) et à remettre en question l’accueil bienveillant des boxeurs noirs à Paris :

« Nous autres, Français, nous avons une tendance, dictée par notre bon cœur, à considérer que les Américains sont de véritables tyrans envers la race noire dans leur pays ; nous disons volontiers, dans notre ignorance totale de la question : “un nègre est un homme comme un autre, il a droit aux mêmes égards qu’un blanc”. C’est que nous n’avons pas encore eu à souffrir des “coloured men” comme nos voisins d’outre-Atlantique ; mais déjà, ceux d’entre nous qui depuis l’invasion noire due à la vogue de la boxe en France, ont eu affaire aux nègres, sont obligés de reconnaître que les Américains n’ont pas tout à fait tort. Faux et sans scrupules, bruyants et hypocrites, ils cherchent sans cesse des difficultés à ceux qui les ont engagés ; toujours mécontents, ils ne sont loyaux en combattant pas plus que dans l’exécution de leurs contrats. Ils ignorent totalement la reconnaissance ou l’amitié et leurs indéniables qualités physiques que d’ailleurs le courage vient rarement compléter, sont les seules qui puissent leur être reconnues54. »

25De son côté, loué en tant que « bon caniche noir55 », Mac Vea est critiqué dans ses efforts d’indépendances comme s’il lui était reproché de ne pas rester à sa place. Il est en effet un des rares boxeurs à se passer de manager, provoquant un commentaire amusé et condescendant de L’Auto :

« Le célèbre et populaire nègre Sam Mac Vea est manager depuis hier ! Savez-vous de qui ? Je vous le donne en mille ! Mac Vea est manager de lui-même car il vient de quitter son ancien ami Guiller, qui le pilotait depuis plus d’une année. Et le brave nègre en nous annonçant cette importante nouvelle nous a déclaré énergiquement qu’il ne voulait plus pour rien au monde d’association56. »

26De même, il n’hésite pas à attaquer en justice des promoteurs, Richard Klugin d’abord, Victor Breyer et Théodore Vienne ensuite, puis Hugh Mc Intosh pour finir. Mais, en même temps, à de nombreuses reprises, les journalistes soulignent sa courtoisie, sa discrétion et, parfois, ce qu’ils estiment être un certain raffinement hors du ring.

27L’ambivalence est donc, à propos de Mac Vea en particulier, en toutes choses. Ainsi peut-on lire l’article « Mac Vea au piano », paru dans L’Auto et rédigé par l’écrivain et fidèle spectateur des combats de boxe Tristan Bernard, comme un effort pour contrer les accusations d’insensibilité portées contre ce boxeur. Décrivant Mac Vea chantant au piano une chanson lors d’un dîner organisé par les dirigeants du Wonderland, Tristan Bernard, loin des propos unilatéraux, loue longuement la sensibilité et la délicatesse du boxeur tout en le considérant comme naïf et enfantin à l’instar de la manière dont une partie des élites se représentent alors les noirs :

« Sam Vea, en smoking, et son plastron orné de boutons en brillants, s’est avancé au piano. Je ne dis pas qu’il était rougissant ; je ne l’ai pas remarqué. Mais il paraissait certainement moins gaillard et moins assuré qu’au moment où le gong annonce la reprise du combat. Il s’est assis sur le tabouret, et a posé doucement sur le clavier ses mains formidables qui, à l’exception de deux ou trois hommes peut-être, étendraient certainement sur le sol tous les hommes de la terre, à condition qu’ils se présentent un à un. Puis, en s’accompagnant, il s’est mis à chanter une chanson d’une tendresse pénétrante, une romance où il mettait toute son âme. Ses lèvres considérables s’avançaient très loin devant sa figure, comme la bouche du masque antique. Et l’on sentait que c’était d’une sincérité absolue et délicieuse. Il était aussi ingénu que lorsque, après sa victoire sur Jeannette, porté en triomphe par une solide escouade, il lançait à la foule avec ses gants de combat des baisers heureux et puérils. »

28Au-delà de toutes ces considérations, l’élément le plus récurrent dans le discours journalistique à l’égard des boxeurs noirs, américains ou non, touche au soupçon du chiqué. Nombre de commentateurs prétendent que les boxeurs noirs se ménagent pendant le combat, ne délivrent pas complètement leurs coups, et surtout qu’ils s’accordent, au préalable, sur un match nul afin de provoquer une deuxième rencontre. Cette accusation est à l’origine de nombreuses tribunes des organisateurs dans la presse sportive visant à prouver que tel ou tel combat est sincère. Ainsi, dans L’Auto, une longue annonce des promoteurs de la troisième rencontre entre Mac Vea et Jeannette, fin 1909, s’intitule : « Pourquoi le combat suprême ne peut être autre que sincère et décisif57. » Toujours dans L’Auto, en 1911, dans une tribune particulièrement violente, Léon Manaud qualifie ces boxeurs de « véritables goujats58 », se livrant à de multiples combinaisons malhonnêtes. Ces accusations sont aussi présentes dans la presse généraliste qui, reprenant le cliché du cannibalisme, affirme à plusieurs reprises que « les nègres ne se mangent pas entre eux59 ». Mais, là aussi, la violence des propos fait débat dans l’espace pugilistique. En effet, réagissant à la tribune de Manaud, l’organisateur Théodore Vienne se pose en homme qui prend de la hauteur et qui l’invite donc à la nuance en citant des boxeurs qu’il juge irréprochables (mais qui sont tous d’un très haut niveau sportif). Ce faisant, il rappelle, indirectement, que le recours aux afro-américains s’explique d’abord par leurs qualités sportives :

« Parmi les nègres que j’ai employé au Wonderland, je puis en tous cas citer : Joe Jeannette, Géo Gunther et Dixie Kid comme des modèles de parfaite correction, que je donnerai volontiers comme exemple à certains boxeurs blancs qui sont loin de témoigner de la même loyauté. […] À mon sens, il n’est ni bon ni utile de susciter en France la haine et le mépris des gens de couleur, dont nous tient d’ailleurs éloigné notre généreux tempérament français. Surtout en boxe, n’excitons pas les passions mauvaises et souhaitons simplement de voir toujours le meilleur gagner, qu’il soit blanc, noir ou jaune60. »

⁂

29Dans une étude sur la boxe à la charnière des xix^e et xx^e siècles, l’historien américain Louis Moore rapporte le propos du cycliste américain Floyd McFarland : « Paris is Crazy Over Negro Fighters61. » Quoiqu’excessive dans son caractère globalisant et uniforme, cette appréciation n’en renvoie pas moins à une part de vérité. Sans doute, plus qu’ailleurs, et notamment plus qu’aux États-Unis et en Angleterre, les boxeurs noirs américains bénéficient à Paris d’un accueil favorable. Mais le caractère mécanique et homogène de cette représentation appelle donc la nuance. En réalité, les conditions permettant aux boxeurs noirs émigrés à Paris de toucher à la félicité sont très exigeantes : ils doivent exceller sportivement, ne pas faire parler d’eux et ne pas reculer devant la participation à des formes de combats les plus variées. Sam Mac Vea, parce qu’il remplit parfaitement ses conditions, a pu être adulé. Celui dont la tombe à Maspeth, dans le Queens, porte l’inscription « idol of Paris » se caractérise en effet par une capacité à jouer sur deux tableaux, celui du sport et celui du spectacle, et donc à cumuler les bénéfices de son inscription dans les deux univers, tout en apparaissant relativement docile et obéissant. En outre, et à l’inverse de lui, pour ceux qui ne satisfont pas ces critères, le traitement réservé se révèle plus sévère que celui touchant les boxeurs blancs.

30Enfin, de ce cas Mac Vea, une conclusion plus générale peut être formulée. La manière dont les boxeurs sont perçus, représentés et plus globalement accueillis n’est ni un processus linéaire ni isolé, dépendant uniquement des conditions de la terre d’accueil, ici Paris. Elle résulte aussi des propriétés des immigrés, de leur passif (sur leur terre d’origine)62, de leurs caractéristiques sociales (et donc sportives) et de leurs actions. Celles-ci étant aussi rendues possibles ou visibles sous l’action des intermédiaires que sont les journalistes ou les managers. Finalement comprendre comment un athlète est perçu dans un lieu donné suppose de confronter les spécificités de l’espace dans lequel il s’inscrit, le rôle de tous les intermédiaires entre les organisateurs et les pratiquants et les actions et les propriétés individuelles de ces derniers.