Guy Baucard et Moussa ben Lamadi en 1900 : deux éclairs « nègres » à l’irréductible altérité
p. 61-68
Texte intégral
1Le 5 novembre 1900 débute au Casino de Paris le troisième Championnat du monde de lutte libre dont les épreuves doivent durer trois semaines. De nombreux lutteurs français y participent dont Raoul le Boucher, Eugène le Frisé, Rigal l’Auvergnat et Laurent le Beaucairois. On compte aussi des étrangers témoignant du cosmopolitisme de la lutte. Ainsi Pietro le Belge, le Néerlandais Henri Van Tol, Salim le Turc et des Italiens, des Allemands, des Américains, etc., représentant une douzaine de nations dans les catégories poids lourd et poids légers. Parmi eux, deux ressortissants de l’empire colonial français : le Martiniquais Guy Baucard et le Soudanais Moussa ben Lamadi1.
Crozier, lutteur au tournant des années 1910.
Coll. Meurisse/BnF.
2On ne sait rien de la carrière de Guy Baucard avant cet hiver 1900, si ce n’est que ses 92 kg le font concourir chez les lourds. Sa mémoire s’est volatilisée à la Martinique où nous avons investigué, échouant, entre autres, à retrouver sa trace dans l’état-civil. On en sait un peu plus sur le léger Moussa ben Lamadi grâce au Vélo. Le « lutteur du pays noir » est originaire de Tombouctou – où il serait né en 18722 – présente « un merveilleux corps d’athlète, souple et tout en muscles ; un superbe bronze » ; il pèse 78 kilos pour 1,72 m ; enfin, c’est un « habile et courageux pratiquant de la lutte, sport populaire au pays des noirs », il « combat avec ardeur et bonne humeur3 ». On dispose aussi d’un portrait, dans La Vie au grand air, le montrant en compagnie des lutteurs des Mondiaux de novembre.
3Ignorer presque tout de leur curricula n’interdit pas de les suivre grâce à une grosse centaine de mentions quasi toutes 1900, dans la presse sportive surtout. Comment les présenta-t-on au public ? Leur façon de combattre, leurs résultats furent-ils peu ou prou mis au compte de leurs origines ou reliés à des stéréotypes raciaux ? Attendait-on qu’il endosse, comme Jose-Maria Delmas et Abdullah Jeffery dans les années 1880, le rôle du « nègre » de service ?
Deux éclairs de « valeur », pas plus…
4L’entrée en scène de Moussa ben Lamadi, le 7 novembre 1900, est couronné de succès. Il domine son premier adversaire, le Français Dagé, au terme d’une « lutte […] fort goûtée par le public », juge-t-on dans Le Pays. Il est vrai que Dagé a résisté moins de quatre minutes « aux puissantes étreintes du Soudanais4 ». Ces deux lignes donnent le ton d’autres rares recensions5. Le lutteur se qualifie donc pour le second tour de l’épreuve. Il y rencontre le Belge Lafaille. Rompant avec la retenue affichée au tour précédent, Frantz Reichel, dans Le Vélo, fait l’éloge du combat, malgré un nul nécessitant une seconde confrontation.
« Les autres luttes ont été parfaites. Une des plus séduisantes fut celle [de] Moussa ben Lamadi contre le Belge Lafaille qui, certes, ne s’attendait pas à trouver dans le Soudanais une telle vigueur et une connaissance si profonde de la lutte. Moussa a gagné son public par sa vaillance et son savoir-faire. Sa rencontre avec Lafaille n’a pas donné de résultat : elle sera reprise ce soir avant les luttes éliminatoires du troisième tour6. »
5Dans le second choc contre Lafaille, Moussa ben Lamadi semble perdre sa lutte et, finalement, le combat. Pour Frantz Reichel, sa tactique défensive lui a été fatale. Il lui en fait grief : combattre ainsi « est indigne d’un beau lutteur ; ça n’est pas de la lutte, c’est de la natation7 ».
6Guy Baucard entre en scène le 20 novembre en dominant le Français Joly en 7 petites minutes8. Sa prestation ne fait pas l’unanimité. Bien qu’« athlète dans toute l’acceptation du mot », écrit un reporter anonyme de L’Auto, il n’a « pas paru d’une adresse extraordinaire, au contraire9 ». Dans Le Vélo, Frantz Reichel souligne les qualités du vaincu et ne fait que suggérer celle du vainqueur…
« Un seul homme a dû dans les poids lourds combattre à fond hier soir ; cet homme est le nègre Guy Baucard […]. Il avait en face de lui Joly qui, bien que hors de forme, a fourni une lutte remarquable en opposant à son terrible rival une défense heureuse et souvent dangereuse pour Baucard. Bravo Joly10 ! »
7Cette étrange rhétorique témoigne-t-elle d’un mépris renvoyant à l’identité du lutteur ? Rien ne l’accrédite, d’autant que Guy Baucard ayant disposé, au deuxième tour, d’Honoré le Bordelais, Frantz Reichel fait amende honorable.
« Une foule considérable s’était rendu hier soir au Casino de Paris. […] La cause de cette affluence énorme était le désir que chacun avait de voir combattre les deux vaillants lutteurs que sont le nègre Guy Baucard et le Turc Salim. Si grâce à leur impétuosité et à leur vigueur qui leur ont permis de triompher en quelques minutes de leurs adversaires, nos émotions ont été de courte durée, elles ont eu le mérite d’être forte et sincères. Peu à peu, au fur et à mesure que par le jeu normal des sélections, les rencontres s’égalisent, ces deux lutteurs, d’une valeur tout d’abord problématique parce qu’inconnus, se révèlent comme compétiteurs de plus en plus redoutables. Plus on leur en demande d’efforts, plus ils en donnent, en loyaux combattants, incapables de ménager l’adversaire […]. Le public n’a pas ménagé ses applaudissements à Salim et à Baucard, car il a senti chez eux la sincérité des efforts11. »
8L’Auto s’en tient pour sa part à un style plus comptable : « Guy Baucard (Martiniquais) tombe Honoré (Français), par un ramassement de ceinture de côté12. »
9Au troisième tour, Guy Baucard doit affronter un autre Français, Pibens. Une partie de la presse, à l’instar de Le Journal, ne cache pas que ce dernier doit résister à un « terrible Martiniquais », d’une autre trempe que l’Anglais Green qu’il vient de battre13. Le combat est dur. Et même au-delà. Les deux hommes, explique La Presse, « se seraient livrés à un pugilat, si l’arbitre n’y avait pas mis bon ordre ». Pibens a « fait l’effet d’être plus savant que son adversaire, qui a de la force et met de l’habileté à se dégager des étreintes14 ». Le combat est reporté. Guy Baucard s’impose. Son rival suivant est un lutteur d’Outre-Quiévrain : Omer de Bouillon. Une autre lutte ardente. Après quatre longues reprises, personne n’a l’avantage, mais Guy Baucard s’est blessé à la jambe, alors on recourt au pointage et le Belge l’emporte après une heure et demie de combat. Dans sa recension pour Le Vélo, Frantz Reichel dit son admiration tout en gommant le mot « nègre » :
« Baucard, superbe dans un collant violet, se présente dans le ring la mine farouche ; il attaque avec une violence inouïe et, d’une tirade, met au tapis Omer de Bouillon. Baucard travaille avec ardeur ; il se cramponne à son rival, le cravate – maladroitement mais sévèrement – tente de le retourner par des tours de tête et des tours d’épaule, mais Omer se dégage et la lutte reprend debout. Omer prend l’offensive et fait une rentrée en ceinture avant, mais Baucard se dégage, riposte aussitôt par une ceinture avant portée haut – trop haut même – et dans un effort splendide, plaque Omer. Il le plaque même avec une telle vitesse et une telle force que le Belge paraît perdu. Moment d’émoi15 ! »
10Même son de cloche chez Le Radical, dont le reporter est impressionné par son « courage », sa « vigueur » et son « énergie magnifique16 ». En revanche, L’Auto reste ambiguë. On reconnaît à Guy Baucard un courage à toute épreuve (« il l’a prouvé hier en résistant courageusement […] malgré une blessure assez sérieuse »), mais en refusant de voir en lui « un homme de classe » car il manque de « science », d’expérience. « S’il a pour lui la taille, la résistance et le sang-froid », on ne croit pas qu’il ait un jour « la vitesse d’exécution17. »
11Le championnat du monde terminé, les deux lutteurs reprennent leur route. Pour Guy Baucard, elle passe dès décembre par la Suisse et le Grand prix de lutte libre de Genève. Le Vélo ne doute plus de lui : « [il] fera certainement causer de lui, et les gymnastes lutteurs helvètes, qui sont si capables et si fins à “la libre”, trouveront à qui parler dans ce redoutable adversaire18 ». Au troisième tour, contre un Helvétique, il donne une « lutte splendide » qui « démontre force et habileté », attaquant du « début à la fin le sourire sur les lèvres et n’ayant jamais l’air fatigué19 ». Quoique vainqueur, il ne dispute pas le tour suivant, arguant d’un problème de santé. En fait, il semble avoir trouvé un contrat plus lucratif. Le surlendemain, il participe à des exhibitions de « lutte suisse au caleçon, de lutte gréco-romaine et boxe australienne (dite “au tonneau20”)21 » données au Cirque Rancy. Puis on perd sa trace. Quant à Moussa ben Lamadi la presse l’évoque à de rares reprises jusqu’en février 1907. Il concourt alors dans la Ceinture d’Or d’Algérie à laquelle participent entre autres un Danois, un Turc, un Tchèque et un Écossais22. Il n’y brille pas, éliminé au deuxième tour, puis il se volatilise. Son existence médiatique se résume donc surtout à 1900, comme pour Guy Baucard.
12Guy Baucard et Moussa ben Lamadi ne furent donc pas des lutteurs de premier plan. Selon toute vraisemblance, ils étaient inconnus du public français avant leur apparition éclair en 1900.
Autour de l’assignation
13À ce stade, ces portraits ne permettent pas de poser beaucoup de remarques sinon la distinction entre les deux hommes : on vante moins les mérites du Soudanais – éliminé au deuxième tour des Mondiaux il est vrai – que ceux du Martiniquais. Par ailleurs, en dehors de la mention « nègre », banal dans le glossaire d’époque (ce qui ne gomme certes pas sa valeur stigmatisante), ils sont neutralisés du point de vue de la couleur. Elle n’entre manifestement pas en ligne de compte dans le jugement porté sur leur lutte. Sous ce jour, leur « valeur » – mot d’un quotidien belge à propos de Guy Baucard – est ingenrée23. Mais on peut aller un peu plus loin en lisant les brèves et les articles non exploités jusque-là. Que permettent-elles de découvrir, de préciser ?
Sur l’identification « nationale »
14Le premier point méritant d’être mis en saillance touche à la question de l’identité nationale, en partant de la manière dont on les situe dans le portrait de groupe d’une lutte très cosmopolite. De temps à autre, on les dit seulement « Africains », non Martiniquais et Soudanais. Or les autres lutteurs sont désignés par leurs nationalités, comme dans Le Figaro.
« Outre des Français, des Suisses, des Belges, des Russes, des Américains, des Hollandais, des Danois, des Autrichiens, des Turcs, des Italiens, des Hongrois, des Allemands et jusqu’à des Africains (Moussa ben Lamadi et le poids lourd Baucard), ont voulu prendre part à ce championnat. Aussi ce fut un beau coup d’œil quand, avant-hier soir, la toile du Casino se leva sur cette légion de torses cosmopolites24. »
15Cette catégorisation renvoie-t-elle, que ce soit dans Le Figaro, dans La Presse ou Le Vélo25, à une hiérarchie implicite justifiant la précision des nationalités pour les Européens et assimilés et la permanente indistinction des races ou d’assignation continentale pour les noirs ? Pour Guy Baucard, apparemment pas – même si les promoteurs de combat le désignent comme « africain », ce qui explique, presse au ciseau aidant, cette mention dans les quotidiens. Plus on avance dans la compétition, plus il est investi de sa véritable identité. Au départ, il est majoritairement dit « nègre », en second lieu Martiniquais, voire les deux associés comme dans Le Radical26. Mais plus on avance dans le temps, plus le mot Martiniquais l’emporte, jusqu’à dominer. Par ailleurs, dans une dizaine de pourcents, la presse imprime juste son nom27. Enfin, exception notable : Le Patriote28 le considère comme « Français » (« Pibens, Français et Baucard, Français, font match nul »), en ne renvoyant jamais, par ailleurs, à sa couleur. Néanmoins la norme, pour Guy Baucard comme pour Moussa bel Lamadi est bien l’effacement du statut de Français. Témoin Le Vélo. Après la victoire du Turc Salim sur un adversaire français et celle de Guy Baucard sur Honoré le Bordelais, le Martiniquais est implicitement assimilé à un étranger : « Ces deux athlètes ont donné une leçon aux lutteurs français qui s’imaginent que les spectateurs sont assez naïfs pour ne pas s’apercevoir de leur complaisance quand elle se manifeste29. »
16Pour sa part, Moussa ben Lamadi est tour à tour dit Soudanais, nègre – voire « négrillon » dans un journal algérien30 qui l’identifie comme arabe quelques lignes plus loin. L’ignorance crasse se confond ici avec assignation aux catégories indigènes, secondaires, dépréciées. Rien de très surprenant s’agissant d’un titre publié sous le soleil colonial de l’Algérie. Reste néanmoins l’impression, là encore, d’une distinction entre le Martiniquais et le Soudanais, l’Africain méritant moins d’égards et l’ultramarin étant mieux respecté dans son identité. Rappelons par ailleurs qu’ils ne sont presque jamais vus comme des représentants de la France, ce qui les inscrit assez résolument du côté de l’altérité.
Autour de l’assignation
17Deuxième point en forme d’interrogation : cette altérité justifie-t-elle la convocation, ici et là, explicitement ou implicitement, des stéréotypes racialisants et dépréciateurs ?
18Voyons le cas de Guy Baucard au travers de la peinture qu’en fait Frantz Reichel : « un nègre superbe, svelte, bien pris, bien épaulé, le muscle saillant, agile, dur à la bataille, agressif et violent31 ». Cette catégorisation forgée par l’esthétique, la force, la brutalité laisse penser à l’idée d’un spécimen, d’une assignation féline, mais le journaliste ne la rapporte d’aucune façon au stéréotype du sauvage ou de l’animalité qui, par ailleurs, fait florès pour définir la race noire. On ne saurait donc y voir un signe foncièrement dépréciateur. Dans L’Auto, le cortège des paraboles introduit à une tout autre vision.
« De ses ongles, le nègre continue à labourer le corps de ce pauvre Pibens qui est transformé en un véritable zèbre. Bientôt le sang coule, le public s’en aperçoit et dans la salle on proteste en criant : les ongles ! les ongles ! Et, en effet, pourquoi ne pas obliger les lutteurs à raccourcir leurs ongles, lorsqu’ils sont d’une longueur démesurée32. »
19Plus loin, on lit :
« Pibens fait tous ses efforts pour empoigner le nègre, mais […] Guy Baucard profite de la longueur démesurée de ses bras pour tenir le Bordelais à distance. »
20Cette triple parabole de l’Afrique (zèbre), des ongles assimilables à des griffes, enfin d’une longueur de bras toute simiesque – l’image est véritablement fréquente pour peindre le corps des boxeurs et des lutteurs noirs – n’a strictement rien à voir avec l’appréciation du Vélo. On voit s’exprimer ici deux cultures, deux postures renvoyant à la rivalité politique et morale des deux quotidiens, L’Auto ayant été créé, entre autres, pour lutter contre le dreyfusisme et le progressisme (très modéré néanmoins) du Vélo.
21Mais ce qui domine dans le champ de la presse renvoie plutôt à la veine de L’Auto. Témoin l’approche du Journal – « le nègre Guy Baucard, dont la violence, l’énergie et la puissance étonnent et effraient33 » – qui tirent la peinture du lutteur vers une altérité inquiétante. Les fantasmes tournant autour de la figure noire sont donc bien ici à l’œuvre, ce dont on retrouve la marque dans Gil Blas, renvoyant cette fois au topique de l’appétit sexuel des noirs dont on prétend – double peine – qu’il serait d’abord satisfait par des demi-mondaines ou, comme il arrivait qu’on le dise alors, aux « horizontales ».
« De même que le pôle attire l’aimant, nos aimantes sont attirées par le spectacle que leur offre le Casino de Paris, avec les luttes émotionnantes du Championnat du Monde. Trop habituées à se voir entourées de frêles éphèbes et de fêtards vannés, les belles demi-mondaines prennent un délicat plaisir, tout moral peut-être, à voir ces athlètes aux formes superbes, et si la corpulence des uns peut les effrayer, la structure et l’esthétique des autres leur procure des frissons. Ne raconte-t-on pas derrière l’éventail que l’une d’elles vient de ressentir le coup de foudre pour Guy Baucard, le beau nègre. Ce qui tendrait à ratifier ce bruit, c’est qu’il lutte ce soir et que le nom de la fille en question est porté sur la feuille de location34. »
22Cet accommodement clair et net entre une péripatéticienne louée à l’occasion d’un match et le noir combattant, donne finalement corps à l’association de deux citoyennetés de seconde zone. Noir et blanc ne pouvant impunément se mêler, il s’agit de tirer la figure de celles qui fréquentent les lutteurs du côté de la grisaille morale et sociale.
23Reste enfin le caractère supposé toujours joyeux, inconscient et clownesque du « nègre », son comportement puéril aussi. Ces stéréotypes ne manquent pas à l’appel, tant pour Guy Baucard (« Le nègre fait même d’horribles grimaces qui excitent l’hilarité du public35 ») que pour Moussa bel Lamadi (« Lutte qui déclenche l’hilarité du public. On s’amuse aux mimes du nègre ; les effets du noir sur blanc sont toujours heureux36 »). On ne peut négliger le fait que les deux athlètes jouent peut-être consciemment de ce stéréotype afin de gagner les faveurs du public, comme il en va depuis les années 1880, pour satisfaire aux attentes d’amateurs tout aussi fervent d’empoignades que de surprise et d’exotisme. Reste malgré tout l’inflexion dépréciative du verbe, au-delà de l’éventuelle participation volontaire des deux hommes à un jeu de mascarade ; ainsi dans les colonnes du Vélo où, à l’issue du combat Lamadi vs Lafaille, on lit : « Lafaille qui avait travaillé… comme un nègre – blanc, dans la circonstance37 »…
⁂
24Ainsi, en ce tournant du siècle, la presse française, bien qu’étant à même de reconnaître les qualités des deux étoiles filantes de la lutte que furent Guy Baucard et Moussa ben Lamadi, voire d’en admirer certains aspects, ne peut se départir de ses présupposés racistes envers les populations noires, quelle que soit leur origine.
25En témoignent les stéréotypes soulignés ci-avant et le fait que les deux lutteurs ne soient jamais installés dans le statut de Français ou de sujets l’Empire – dont ils font pourtant juridiquement partie. On les tient à distance. L’antériorité de l’intégration du territoire aux possessions françaises compte au fond assez peu, même si on a vu que l’identité martiniquaise (la Martinique entre dans la nasse française en 1635) valait à Guy Baucard d’être mieux investi de son identité que Moussa bel Lamadi, originaire d’une possession très récente (Soudan français, 1890). Déjà privés par le système colonial de la citoyenneté française, ils ne bénéficient pas plus dans la presse de son succédané, pourtant amer, de sujets français. Ils sont donc renvoyés, purement et simplement, à l’altérité irréductible du « nègre » dont la valeur sportive, peu ou prou reconnue ne suffit pas à gommer sa couleur.
Notes de bas de page
1Le Soudan français, autrement dit le Mali actuel.
2Ce qu’on ne peut vérifier, les registres de naissances de Tombouctou pour 1872 étant perdus.
3Le Vélo, 31 octobre 1900.
4Le Pays, 8 novembre 1900.
5La Presse, 8 novembre 1900.
6Le Vélo, 12 novembre 1900.
7Le Vélo, 13 novembre 1900.
8Le Petit Bleu de Paris, 21 novembre 1900.
9L’Auto, 20 novembre 1900.
10Le Vélo, 20 novembre 1900.
11Le Vélo, 25 novembre 1900.
12L’Auto, 25 novembre 1900.
13Le Journal, 28 novembre 1900.
14La Presse, 30 novembre 1900.
15Le Vélo, 1er décembre 1900.
16Le Radical, 3 décembre 1900.
17L’Auto, 1er décembre 1900.
18Le Vélo, 2 décembre 1900.
19Le Vélo, 20 décembre 1900.
20Dans la boxe dite « au tonneau » ou « en tonneau », les adversaires se tiennent chacun dans un tonneau qui va au rythme des déséquilibres créés par le mouvement des corps, rajoutant donc le risque d’une chute éliminatoire et la difficulté, bien sûr, de boxer sans contrôler la danse du tonneau. Le catalogue des frères Lumière et la presse de province témoignent de cette mode « Belle Époque » liée au monde des foires et des cirques, [https://catalogue-lumiere.com/boxeurs-en-tonneaux/].
21Journal de Genève, 23 décembre 1900.
22Les Nouvelles (Alger), 6 février 1907.
23Gazette de Charleroi, 10 janvier 1901.
24Le Figaro, 9 novembre 1900.
25La Presse, 7 novembre 1900 ; Le Vélo, 5 novembre 1900.
26Il existe même un unique « nègre de la Martinique », Le Radical, 23 novembre 1900.
27Voir par exemple L’Aurore, 24 novembre 1900.
28KRB, Le Patriote, 2 décembre 1900. Son homologue La Meuse, du 28 novembre 1900, le désigne également comme Français, mais aussi comme nègre.
29Le Vélo, 25 novembre 1900.
30Les Nouvelles (Alger), 11 février 1907.
31Le Vélo, 20 novembre 1900.
32L’Auto, 29 novembre 1900.
33Le Journal, 26 novembre 1900.
34Gil Blas, 24 novembre 1900.
35L’Auto, 29 novembre 1900.
36Le Vélo, 7 novembre 1900.
37Le Vélo, 13 novembre 1900.
Auteur
Université de Corse, Laboratoire Lieux, identités, espaces et activité (UMR Lisa 6240).
Didier Rey est professeur des universités à l’université de Corse et membre du laboratoire Lieux, identités, espaces et activité (UMR Lisa 6240). Il travaille sur les sports en Méditerranée occidentale ainsi que sur les constructions identitaires et les phénomènes migratoires. Il a notamment publié, Le Circuit automobile de la Corse, 21 avril 1921 (Éditions Alain Piazzola, 2022) et un Atlas de la Corse contemporaine (Actes Sud, 2023). Il a codirigé avec Bachir Zoudji, Le Football dans tous ses états. Évolutions et questions d’actualité (De Boeck, 2015). Il a participé à Une histoire mondiale de l’Olympisme 1896-2024 (Atlande, 2023).
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