Le témoignage d’un numéro deux
Entretien avec le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (2002-2005)
p. 283-300
Note de l’auteur
Entretien réalisé le 9 mars 2021, 63, avenue de Suffren 11 h-12 h 45.Texte intégral
Pierre-Emmanuel Guigo et Warren Pezé — Commençons1 par votre nomination comme Premier ministre. Qu’est-ce qui a fait de vous le Premier ministre qui s’est imposé à Jacques Chirac après sa réélection en 2002 ?
Jean-Pierre Raffarin — On aborde un sujet dont Edgar Morin dirait qu’il relève de la pensée complexe. Les périmètres sont métissés : l’idéologie, l’ambition personnelle, le sens du service, l’opportunisme, les rapports de force – tout cela est mêlé. Je pense que nous avons tous une équation personnelle dans l’histoire, où chaque paramètre a son dosage. Et d’ailleurs, ça change : on est plus ou moins ambitieux, plus ou moins au service, plus ou moins dévoré par une idéologie, plus ou moins pragmatique… Il doit y avoir des échelles – comme le pragmatisme, comme peut-être le courage, comme peut-être l’empathie – sur lesquelles on se situe ; chacun a sa propre équation. C’est assez complexe. Mais en somme, si je suis Premier ministre, je pense que je le dois à ma complémentarité avec le président. C’est-à-dire que le président va chercher un provincial, alors que lui, malgré son histoire corrézienne, est quand même maire de Paris. Il va chercher quelqu’un qui ne sort pas de l’ENA, qui vient de l’entreprise. Il va chercher quelqu’un de l’UDF, un giscardien par rapport au RPR… Il est dans une logique de rassemblement. Il est très marqué par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour2. Dans cette situation, il va faire, pendant son quinquennat, de la cohésion sociale, c’est-à-dire du rassemblement, la priorité de sa mission. J’ai bien senti qu’à de nombreuses reprises, il privilégiait le rassemblement à la réforme. L’objectif prioritaire affiché était la cohésion sociale. La cohésion sociale, c’est la capacité à parler avec l’autre, à renforcer les complémentarités, à éviter d’être trop proche de ceux qui vous ressemblent et à chercher ceux qui sont différents – d’où son intérêt pour Nicolas Hulot3, son intérêt pour le professeur Yves Coppens4, son intérêt pour de multiples choses, ses relations avec Vladimir Poutine, avec Jiang Zemin5, sa relation avec l’Afrique… On voit bien que le Chirac de 2002 est un Chirac ouvert à la diversité, qui cherche les complémentarités, et qui pour gouverner, se cherche un Premier ministre qui, certes, a une relation de confiance avec lui – parce qu’il m’a observé, depuis, disons, 1995. Il m’a fait observer par son épouse, il m’a fait observer par Alain Juppé, il m’a fait observer par un certain nombre de gens ; mon scanner personnel lui convenait. On était dans une période où il voulait le rassemblement à la fois par nécessité politique de rassembler le RPR et l’UDF – ça devenait possible, il n’avait plus directement Giscard6 face à lui, donc le rassemblement RPR-UDF devenait possible7 – et, pour ça, il lui fallait quelqu’un qui soit, en résumé, une sorte de Jean-Louis Debré8 UDF.
Avez-vous dû faire campagne pour devenir Premier ministre, et concrètement, en quoi cela consistait-il ?
Non ; disons que la ligne de la campagne électorale de Jacques Chirac, c’était de laisser penser que tous les leaders pouvaient être Premier ministre. Je me souviens que quand il est venu à Poitiers dans un meeting électoral, ça devait être début de l’année 2002, il a été très chaleureux avec moi, il m’a fait monter sur scène après son discours, et tous les médias disaient : « Raffarin marque un point ; à Poitiers, il a choisi son Premier ministre9. » Le lendemain, justement, Jean-Louis Debré recevait Nicolas Sarkozy dans sa mairie d’Évreux. Tout le monde pensait bien que si Debré recevait Sarkozy, ce dernier avait apaisé sa relation avec Chirac10. Et le surlendemain, c’est François Fillon11 qui était à la télévision dans un débat avec les représentants des candidats ! Donc un pas vers l’un, un pas vers l’autre… C’était le système du non-choix. Le soir du deuxième tour, nous sommes avec le président pour les résultats ; quand les résultats tombent, on discute un peu. Je me souviens, on part, Nicolas Sarkozy, François Fillon et moi, pour les 20 h. Je suis le premier à sortir et je salue Chirac, qui me dit ; « Jean-Pierre, merci pour ce que tu as fait, et ce soir, pas de triomphalisme ! ». En sortant je laisse mon oreille traîner pour entendre ce qu’il va dire à Nicolas Sarkozy, et il dit à Sarkozy : « Nicolas, merci pour tout ce que tu as fait et ce soir, pas de triomphalisme ! » Et François Fillon, la même chose. Donc on ne saura rien – et moi, je ne saurai rien jusqu’au coup de fil du lendemain lundi à 11 h 30. Dominique de Villepin12 me dit : « Le président voudrait te voir à 12 h 30 : il veut te nommer Premier ministre. » Ce n’est pas la réponse complète à votre question, j’ai bien compris : mais c’est le contexte de la campagne, où rien n’était fait ! Cela ne nous incitait pas à jouer.
C’est Dominique de Villepin qui vous a appelé pour vous dire que vous seriez Premier ministre ? Ce n’est pas le président lui-même ?
Non : c’est le secrétaire général de l’Élysée qui m’appelle, pour me dire : « Est-ce que tu peux venir à midi ? » J’avais déjà 60 journalistes en bas de chez moi depuis 7 h du matin. Ma mère m’a réveillé à 6 ou 7 h du matin pour me dire qu’elle avait vu à la télévision qu’il y avait beaucoup de journalistes en bas de chez moi. Il y avait des gens qui savaient, mais moi je ne le savais pas ! Tout ça pour dire que je ne faisais pas campagne pour Matignon. Je faisais cette campagne en sachant que je serais de toute façon dans l’équipe et que j’aurais des responsabilités importantes. En fait, je faisais campagne, en effet, pour faire partie des ministres importants de la prochaine équipe. On parlait de l’intérieur, des affaires étrangères, d’un certain nombre de sujets de cette nature, mais pas vraiment de Matignon.
En plus, j’ai toujours refusé de me mettre dans cette pensée-là. Par exemple, j’ai attendu quatre jours avant le scrutin du second tour pour appeler mon directeur de cabinet, Pierre Steinmetz13. Il avait été préfet en Poitou-Charentes14 ; je le connaissais bien ; je m’entendais bien avec lui, et il avait été au cabinet de Raymond Barre15. C’est un point important que le numéro deux, pour ne pas être complètement phagocyté par le numéro un, doit veiller à ce que son équipe soit la sienne. En l’occurrence, je veillais à ce que mon directeur de cabinet soit quelqu’un choisi par moi, ayant la culture UDF. Un préfet comme Pierre Steinmetz, ayant été au cabinet de Raymond Barre, avait les qualités que je voulais. Donc quelques jours avant, je lui dis : « Écoutez, je ne sais pas si c’est une chance sur quatre ou cinq d’être Premier ministre, mais ça peut arriver. » Car au meeting qui a lieu quatre jours avant l’élection, Jérôme Monod16 vient m’accueillir et me conduire pour que je m’assoie à côté de Madame Chirac. C’est le seul signe que j’ai eu ; car à Poitiers, je n’ai pas trouvé que c’était un vrai signe. Qu’on soit très proche de la personne chez qui on est en meeting, qu’on le mette plus en valeur que les autres, ça peut être un degré affectif et pas forcément un degré stratégique. Je n’avais pas pris le signal de Poitiers comme un signal pertinent. En revanche, quand on est au meeting final de la campagne, et qu’on me met au premier rang aux côtés de Bernadette Chirac, je me dis : là, quand même… Surtout que c’est Monod qui me place, ça doit avoir du sens.
Je me suis protégé contre cette idée, parce que je voyais plein de gens qui commençaient à parler d’équipe. Mais je n’en voulais surtout pas. J’ai toujours eu comme maîtres dans la vie politique des gens comme mon père d’une part, avec Pierre Mendès-France – il était secrétaire d’État de Mendès17 –, René Monory18 d’autre part, avec qui j’ai beaucoup travaillé. L’idée était de toujours être très libre et de veiller à sa santé mentale – l’hygiène de vie de ne pas se projeter dans les situations irréelles. Il faut rester ancré, tant qu’on ne vous a pas dit ceci ou cela. J’ai dit à Steinmetz : pensez à tout ce qui peut arriver ; je vous charge de réfléchir si les choses se passaient – et moi, je ne veux pas entendre parler de tout ça, mais j’ai quelqu’un dans le système qui pense un peu. Car tout va se passer très vite : je suis chez le président à midi ; je vais déjeuner au Sénat avec mes copains, avec lesquels on avait rebâti l’UDF-RPR : Michel Barnier19, Jacques Barrot20, Dominique Perben21. Il y avait cette initiative de quatre personnes, deux UDF, deux RPR, qui avaient travaillé pour Jacques Chirac pendant la campagne. Je vais déjeuner avec eux. Dominique de Villepin m’appelle vers 13 h, 13 h 15, en me disant : « Jospin est pressé, la passation de pouvoir est à 15 h. Il faut que tu viennes avec ton directeur de cabinet. » Je savais que je voulais Pierre Steinmetz. Je dis à Villepin : « Je vais venir avec Steinmetz. » Il me dit : « Ah non, ça n’est pas l’homme qu’il te faut, je vais t’en trouver un autre »… J’ai fait suffisamment de politique, et une fois que j’ai été Premier ministre, j’ai suffisamment placé de directeurs de cabinet pour savoir que c’est un point clé de la relation de pouvoir !
Justement, lorsque vous êtes Premier ministre, vous dites que vous avez placé plusieurs directeurs de cabinet. Est-ce l’un des enjeux essentiels pour arriver à s’imposer comme numéro deux de les placer auprès des autres ministres ?
C’est un enjeu essentiel d’avoir, à côté des différents ministres, des correspondants, je dirais, de bonne foi et apaisés, qui ne sont pas monolithiques. Je vous donne un exemple qui pourrait être caricatural aujourd’hui : pour moi – ce n’est pas moi qui l’ai nommé, bien sûr, parce que Nicolas Sarkozy connaît les règles du pouvoir – Claude Guéant22 était un très bon directeur de cabinet de Sarkozy pour le Premier ministre : toujours disponible, toujours courtois, toujours calme, toujours : « Je transmets au ministre, je pense que c’est possible », ou bien : « Non, là, Monsieur le Premier ministre, je pense que là vous aurez du mal à le convaincre »… J’arrivais à bien préparer les choses avec Claude Guéant qui était un grand fonctionnaire, qui tout en étant complètement dévoué à son ministre, savait ce qu’était l’appareil d’État. Peut-être qu’à l’Élysée ensuite, il a évolué dans la conception du pouvoir. La relation avec Nicolas Sarkozy n’était pas facile ; ça n’était pas la plus difficile, car Sarkozy est quelqu’un de direct, qui n’est pas comme Mazarin, trop calculateur, avec des réseaux à multiples tuyaux ; il dit ce qu’il veut, il fait tout au rapport de force. Il n’est pas compliqué ; on sait ce qu’il veut. Mais c’est très difficile d’avoir comme numéro deux dans le gouvernement quelqu’un qui conteste le numéro un.
Comment on s’impose par rapport à ce qui pouvait apparaître comme un numéro deux bis ? Il y a Nicolas Sarkozy, mais il y aussi Jean-Louis Borloo23, François Fillon, Dominique de Villepin…
La première des choses : je pense que dans les numéro deux, il y a deux catégories de gens. Il y a des gens qui sont là et savent qu’ils ne sont pas prétendants au poste de numéro un ; des gens qui sont là pour servir leur numéro un, qui n’ont pas l’ambition d’être numéro un à la place du numéro un ; et il y a ceux pour qui c’est un parcours et qui peuvent l’être. Quelqu’un comme Michel Rocard24, je ne pense pas qu’il veut forcément la place de Mitterrand au tout début ; néanmoins, vis-à-vis de tout le monde, il a le potentiel, le parcours, qui peut en faire un numéro un. C’est un numéro deux de situation, pas un numéro deux de destination. Moi, je suis un numéro deux de destination. Moi, je fuis tout ce qui peut me mettre en situation d’être trop proche du soleil et d’être numéro un. Ma première légitimité, c’est la confiance du numéro un. Cette confiance-là donne une forme de rapport de force. Le numéro un peut-il se passer de quelqu’un dont la loyauté et la confiance sont une dialectique qui fonctionne ? Une fois, Dominique de Villepin – il commençait sa campagne pour me succéder25 – va à Europe 1 et il dit : « Il faut aller plus vite, plus fort, plus loin. » Il montre qu’il faut changer de gouvernement. J’appelle le président et je lui dis : « Si c’est votre décision, je démissionne tout de suite. Soit vous recadrez Villepin, qui est votre collaborateur, soit, si vous ne le faites pas, je démissionne tout de suite. Je n’ai aucun souci à démissionner tout de suite. » Chirac a sorti la grosse Bertha, sa grosse machine politique pour recadrer Villepin : pas d’accident avec le Premier ministre maintenant ! C’est ce système de loyauté-fidélité-confiance avec le président qui est le socle. D’ailleurs, Villepin est un cas différent car il a une proximité avec le président plus grande que la mienne ; ce qui ne veut pas dire une loyauté. Jacques Chirac sait très bien qui est Villepin. Il a une très grande admiration pour Villepin, sa culture, un grand plaisir à discuter avec lui, mais en même temps, il le sait capable de tout ; il sait que ce n’est pas un professionnel de la politique. Il sait qu’avec moi, il a affaire à un professionnel de la politique. Avec Chirac, nous parlons la même langue. Je n’ai pas cette proximité historique qu’a Villepin, mais j’ai une confiance très forte. Villepin, c’est différent : après avoir été secrétaire général de l’Élysée, il a vu Chirac dans bien des situations ; il a une connaissance, y compris de l’entourage du président. Il connaît mieux le président que moi, ça c’est clair. Il s’en sert un peu. Mais le président sait qu’il peut déraper ; il peut bien aller « plus loin, plus vite, plus fort », mais ça peut déraper ! C’est ce qu’il me dira d’ailleurs lorsqu’il y aura le problème avec les contrats jeunes par la suite26. Mais pour Nicolas Sarkozy, pour François Fillon, ils se servent du canal avec moi pour faire passer leurs idées auprès du numéro un. Ma proximité, ma légitimité auprès du numéro un me sert de protection. Ils savent tous que le président me soutiendra et que s’ils ont un conflit avec moi, tout de suite viendra un conflit avec le président. Ils cherchent à m’utiliser comme médiateur.
Nicolas Sarkozy a beaucoup joué des médias dans son ascension politique, au moment où il était ministre de l’intérieur. Comment vous placez-vous, en termes de communication, pour être le numéro deux face à ces gens qui utilisent les médias pour leur ascension ?
Je suis dans une période où je me place dans le couple numéro un/numéro deux. Avec Jacques Chirac, nous sommes des boucliers réciproques. Je suis son bouclier vis-à-vis du parlement, des syndicats, des partenaires sociaux… Car il faut bien voir, pour votre réflexion, qu’il y a un moment historique après Chirac : c’est le dernier président à avoir une conception du domaine réservé, d’un rôle présidentiel. Il a les sujets de grande implication. Il me disait clairement que l’économique et le social, c’était moi. Il m’avait dit une fois : « Jusqu’à deux millions de personnes dans la rue, c’est toi. » Je dis ça en souriant, mais c’était l’idée. Le Premier ministre est un bouclier pour le président, mais le président est un bouclier pour le Premier ministre, parce que s’attaquer au Premier ministre, c’était s’attaquer au président.
La condition de cela, c’est un véritable partage des tâches, d’après ce que vous décrivez.
C’est un partage des tâches et c’est une grande confiance. Dans son bouquin, Philippe Bas27 dit qu’il pense que c’est la relation entre le président et le Premier ministre qui accorde le plus de place à la confiance. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il y a une grande confiance. Et nos équipes restent distinctes, même si Jacques Chirac me place quand même Jean-François Cirelli, qui était son responsable de l’économie et qui devient le numéro deux de mon cabinet28, mais avec qui je vais avoir une relation amicale. Aujourd’hui, je vois Cirelli régulièrement, on déjeune ensemble, c’est devenu un très bon copain – c’est un de mes meilleurs copains, mais c’est sûr qu’au début, je l’ai regardé comme l’œil de Moscou ! Mais les équipes ont été très respectueuses l’une de l’autre. Tous les samedis matin (on avait la réforme des retraites qui était dure : on s’est attaqué à la durée de cotisation des fonctionnaires, ça n’était pas simple29) il y avait un responsable du cabinet du président qui était tous les samedis avec nous dans notre groupe de travail sur cette réforme. On était très impliqué ; je pense qu’on a eu une relation de grande confiance qui ne rendait pas facile de s’en prendre à l’un ou l’autre. Si Nicolas Sarkozy voulait faire un voyage en Afrique et avait besoin de l’avion présidentiel, il me demandait gentiment si on ne pouvait pas l’obtenir du président ; et suivant les circonstances, je plaidais pour ou contre… Moi j’étais obligé d’être transparent ; quand Dominique de Villepin vient me prévenir pour Clearstream30 et qu’il me dit : « L’article va sortir, je tiens à vous prévenir », ma première réaction est d’appeler Nicolas Sarkozy : « Voilà ce que je viens d’apprendre. » Je ne veux pas rester plus d’une minute avec une information qui touche le ministre d’État au gouvernement sans lui dire. Tant que tu es dans mon gouvernement, je suis transparent avec toi. C’est important : même dans les points de désaccord, j’étais un partenaire de négociation, y compris avec le président.
Pour rebondir sur une question précédente : comment devient-on numéro deux dans les faits, en plus de l’être sur le papier ? Cela doit réclamer une forme de discipline, d’apprentissage ? On n’est pas seulement porté par la fonction, l’entourage, les institutions ?
La Ve République donne des costumes. Il y a un costume présidentiel qui est très fort ; et il y a un costume de Premier ministre qui est aussi assez fort. Un Premier ministre, par exemple dans ses cent premiers jours, a un certain nombre d’étapes institutionnelles qui l’installent : première visite à l’étranger, première réunion avec les syndicats, première visite en province… Il y a des rites de passage ; une création du costume où la fonction du rite touche à plein.
L’un de ces rites est le discours de politique générale. L’avez-vous fait relire par Jacques Chirac ? L’avez-vous écrit ensemble ?
Le premier discours de politique générale est relu par Jacques Chirac. J’en ai fait deux ou trois autres. On le fait à Matignon ; on le passe à l’Élysée une fois qu’il est fait et l’Élysée nous fait des remarques. Il y a eu assez peu de remarques ; parce que je connais bien le président, je connais son programme, j’ai travaillé à sa campagne, donc je sais à peu près où on va. Le sujet le plus dur, c’est le président qui conteste la privatisation de Gaz de France. Il me dit : « Tu imagines, dans la Vienne, les petites voitures bleues GDF qui vont circuler et dire que cette réforme n’est pas bonne ? » Il prenait les images qui peuvent me marquer sur le terrain ! Il a fallu le convaincre, mais je l’ai convaincu. Mais il a fallu plusieurs coups de téléphone.
Le reste, c’était des mots. Chirac et moi avons vraiment des styles oratoires très différents. Chirac n’accepte pas l’improvisation. Or, l’improvisation, dans un discours, ça peut être le meilleur comme le pire. Moi, je suis de la race des orateurs, qui aiment parler, se laissent inspirer par la salle. Ça peut être les plus beaux discours ; j’ai des exemples de cela. Mais naturellement, par définition, il peut y avoir des dérapages ; ça n’est pas le bon mot, c’est une erreur d’avoir dit ça, on se laisse emporter, comme le faisait François Mitterrand quand il se couchait sur son pupitre pour mieux entendre la salle, avec cette sensibilité, où vous entendez tout : vous entendez la salle qui frémit, vous sentez des gens à gauche qui n’adhèrent pas, des gens de l’autre côté très mobilisés ; vous vivez avec la salle, et ça donne un niveau de créativité exceptionnel. Mais naturellement, en politique, ça pose des difficultés. Jacques Chirac relisait ses discours. Il les construisait, déconstruisait, reconstruisait… Ça m’est arrivé plusieurs fois qu’il veuille que je participe à la rédaction de son discours, et on passait un dimanche entier à le lire à haute voix. Il n’y avait pas un mot qui était là par hasard dans un discours de Chirac. Il était très laborieux dans cet exercice. Pour mon premier discours de politique générale, il m’a fait un certain nombre de remarques ; une grosse remarque sur le fond, et pour le reste, des questions de forme. Il y en a un autre que j’ai fait avec sa méthode.
Vous avez beaucoup de rendez-vous obligés par semaine avec lui ? Par exemple, Pierre Mauroy petit-déjeunait tous les mardi matin avec François Mitterrand, la veille du conseil des ministres.
Moi, ce n’était pas comme ça. Jacques Chirac n’est pas, contrairement à Nicolas Sarkozy par la suite, à ce petit-déjeuner du mardi matin, qui est le petit-déjeuner avec les cadres du parlement, où on construit la semaine politique. Avec Chirac, la réunion de la majorité est à Matignon. Chez Sarkozy, tous les mardis matin, il y a la réunion avec le président, donc le Premier ministre. Sarkozy aura systématiquement, tous les mardis matin, la majorité, les présidents de groupes, le président de l’Assemblée, le président du Sénat, et le Premier ministre. Moi je voyais le président tous les mercredis, avant le conseil. Là, il arrivait que ça dure une heure. Ça nous arrivait de faire attendre le conseil très longtemps. Je l’ai souvent dit, j’avais une relation forte avec Chirac, c’était le meilleur moment de la semaine. Je venais avec mes problèmes et je traitais mes problèmes avec lui. De ce point de vue là, Chirac était un bon manager. Je venais lui soumettre les trucs : « Ça, c’est important ; ça, tu le règles comme ça ; t’inquiète pas, je vais l’appeler. » C’est un bon manager qui cherche à ce que son numéro deux vienne chercher des solutions auprès de lui au lieu d’avoir peur d’évoquer des problèmes. J’étais dans cette situation où je n’avais pas peur de Chirac. Si j’avais une difficulté, je n’avais pas envie de la lui cacher. En général, je le voyais assez longuement. Et puis, on se prenait très souvent un rendez-vous le week-end, le samedi ou le dimanche. Si j’allais à la Lanterne31, c’était le dimanche soir en rentrant, ou le samedi matin. On avait un tête-à-tête le week-end.
S’agissait-il à chaque fois d’un tête-à-tête ?
Il s’agissait toujours d’un tête-à-tête, sauf dans les réunions de travail, si on fait un discours : là on est sept ou huit autour de la table. Dans les tête-à-tête avant le conseil, dans les dix dernières minutes, il fait venir le secrétaire général (Dominique de Villepin) pour enregistrer les conclusions de notre entretien et en tirer les conclusions.
Qui dirige le conseil des ministres ? Est-ce plutôt le président ou vous ?
Jacques Chirac est très formaliste. Je dirais qu’il dirige le sommaire du conseil. Mais c’est le Premier ministre qui anime les débats sur chaque texte. Le président dirige, programme, et le Premier ministre anime. Le président est en surplomb.
C’est une assez bonne métaphore de votre relation numéro un/numéro deux ! Si on prend d’autres cas, comme François Mitterrand, c’était clairement lui qui dirigeait le conseil des ministres, que ce soit pour Pierre Mauroy ou Michel Rocard.
Un des facteurs clé, c’est de voir si Jacques Chirac fait quelque chose d’autre ou pas… Quand on lui fait une communication et qu’on voit que Chirac discute avec Nicolas Sarkozy, ou signe des parapheurs, les ministres comprennent qu’il vaut mieux faire court ! Chirac ne donne pas le sentiment que toute son attention pendant tout le conseil est accordée à tous les ministres. Pendant le conseil, il peut faire autre chose. Il y a quelque chose que Dominique de Villepin est le seul à avoir fait ; Sarkozy était à la droite du président ; Villepin était souvent à ma droite ; Villepin fait une communication ; le président se penche sur Sarkozy ; et là, Villepin s’arrête et attend que le président se redresse. Et ça dure un petit moment32. Villepin pouvait se le permettre ! Mais le président est la seule personne à pouvoir se permettre de faire autre chose pendant un conseil des ministres.
Vous avez beaucoup parlé de loyauté et de confiance réciproques, en des termes très forts. C’est exactement ce que dit Richelieu de sa relation avec Louis XIII. Iriez-vous jusqu’à dire que ça doit être une relation d’amitié ?
Moi, je le pense. Mon histoire avec Jacques Chirac est compliquée : je suis un vrai giscardien. Chirac a été avec Valéry Giscard d’Estaing particulièrement brutal, voire déloyal. Quand, au second tour de la présidentielle de 1981, il choisit François Mitterrand, il est clair que pour des gens comme moi, nous sommes en désaccord irréparable. Je suis candidat en 1978 aux législatives : Chirac m’envoie comme rival un des meilleurs orateurs du RPR, André Fanton, ancien ministre dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, ancien élu de Paris, qui quitte Paris pour se présenter à Poitiers et m’empêcher d’être député. Je vais le battre au premier tour, mais je ne serai pas élu au second tour : je ferai 48 %, il me manquera un petit poil lié à cette primaire un peu compliquée. Je ne viens pas d’une sphère amicale ! Il va y avoir un long chemin. Je suis avec l’équipe de François Léotard33 : il y a des tensions avec Léotard en 1986-1988 ; je ne suis pas avec Chirac. Je commence à être avec Chirac, comme tous les giscardiens d’ailleurs, quand Édouard Balladur34 émerge et capte, conquiert l’UDF de Giscard. Car Balladur capte Simone Veil35, François Bayrou36, François Léotard, Pierre Méhaignerie37. En fait, Balladur dépossède Giscard de l’UDF. Là, François Bayrou, secrétaire général de l’UDF, quitte l’UDF pour participer au gouvernement de Balladur. Moi, je deviens secrétaire général de l’UDF.
Là se passe, pendant toute cette période 1993-1995, une opération-séduction de Chirac, qui vient voir Giscard plusieurs fois. Ils passent des après-midis entiers ensemble. Son objectif : essayer de montrer à Giscard sa densité personnelle, sa culture… Ils parlent de Chine, d’Afrique… C’est assez amusant : je suis chargé d’accueillir Chirac, de le conduire chez Giscard. Je le reprends trois heures après. On voit bien que cette mayonnaise prend, d’autant plus que le principe de la dernière haine s’applique : celui que nous détestons, c’est plus Balladur que Chirac. Nous concentrons nos attaques contre Balladur plus que contre Chirac. Dans cette dialectique-là se passe ce qui doit se passer : à un moment, les adversaires de Balladur se rassemblent autour de Chirac. Je rentre au gouvernement Juppé en 1995 parce que Giscard a soutenu Chirac et parce que Giscard donne à Chirac la possibilité d’avoir quelques ministres, comme Madelin38, Millon39, Charrette40, Raffarin et un ou deux autres. On avait des postes relativement hauts : Madelin les finances, Charrette les affaires étrangères, Millon la défense. Moi je suis aux PME. Là, je vais entrer en relation avec Chirac ; là, je vois toute ma proximité avec Chirac. Il y a eu un papier dans Le Monde de Pascale Roberdiard sur la « France de Chirac », la France que je connais bien : une France agricole, une France de PME, où Chirac avait sa clientèle, ses points d’appui. Moi, j’étais le plus jeune président de région de France : en Poitou-Charentes, j’avais la même base. On s’entendait bien, avec Chirac.
Il y a eu un conseil des ministres, un jour, en 1996 : on devait faire un décret pour reconnaître le statut d’artisan-boulanger. Un artisan-boulanger, c’est quelqu’un qui n’a pas de pain congelé. Chirac tenait beaucoup à cette idée : c’était une idée forte sur la qualité du pain et le réseau des 36 000 boulangeries, etc. Il y avait un décret qui devait être signé par le ministre des finances (qui était à l’époque Jean Arthuis41), par le ministre du travail (Jacques Barrot) et par le ministre des PME (moi). À l’arrivée, le secrétaire général de l’Élysée me dit : « Le décret n’est pas signé, ni par les finances, ni par le travail. Qu’est-ce que tu fais ? – Moi je continue, je le soumets au conseil et j’interrogerai le président. » Et là je dis au président la vérité. On avait préparé ; les consultations interministérielles s’étaient bien passées ; mais là, pour des raisons qui peuvent s’expliquer, il ne peut pas signer le texte, car le Conseil d’État annulera le décret : « Monsieur le Président, je vous laisse le choix ; ma recommandation, c’est de le faire, parce que même si le décret est annulé, le process sera créé. » Jacques Barrot pense qu’on ne peut pas ; et le président dit : « Le ministre des PME a raison, laissons-le faire. » Tout ceci au conseil des ministres. Pour vous dire qu’avec Chirac, on avait cette proximité « de tripes ». Il a bien aimé ce que je faisais. Il m’a dit un jour : « Ce qui est bien, c’est que tu as des idées. »
Jacques Chirac est très organisé, très méthodique, pas improvisateur, mais il aime voir des idées apparaître. Il était content que j’aie installé mon ministère en province ; je partais une semaine en province, je visitais la préfecture, je faisais des raouts partout. Je faisais pas mal de choses comme ça. J’avais monté beaucoup d’animations politiques. Ça se passait bien. Lorsqu’il y a la dissolution42, je vais le voir, au tout début juillet. Je lui dis : « Monsieur le Président, serez-vous candidat en 2002 ? » Vraiment, Chirac est au plus bas. Et il me dit : « Bien sûr, je vais remonter tout ça. » Je le sens hyperdéterminé. Je fais une rapide analyse dans ma tête. Si Chirac est candidat, président sortant, il sera en tête de la primaire. Ce n’est pas la peine de chercher un autre candidat : il sera le meilleur candidat pour la droite républicaine. De toute façon, ça veut dire que la prochaine présidentielle, je vote Chirac. Je lui dis : « Monsieur le Président, si vous êtes candidat, je vous monte un projet politique de rassemblement RPR-UDF. » C’est là qu’on a créé cette initiative avec Barrot, Barnier, Perben et moi43, pour organiser des réunions avec toujours, pour méthodologie, autant de RPR que d’UDF à la tribune. On habitue les gens à l’idée qu’on va faire l’UMP après la campagne. C’est une période où personne ne croit en Chirac, après la dissolution. C’était compliqué, mais le hasard a fait que ça a marché… Ainsi se construit une relation personnelle avec Chirac, qui va, à partir de 1997, être une relation un peu exceptionnelle. Il n’y a pas des milliers de personnes qui font en 1997 le pari que Chirac va être président en 2002. Surtout que c’est la grande période de la team Jospin : les emplois jeunes, les trente-cinq heures… Ma seule crainte, c’était que Chirac abandonne. Mais à partir du moment où je le vois déterminé… En plus, notre projet d’UMP, Chirac peut le faire.
Pensez-vous que la troisième cohabitation a marqué les institutions ? Que la relation entre président et Premier ministre ne peut plus être la même après la cohabitation la plus longue ?
Je ne crois pas vraiment, parce que Jacques Chirac, de 2002 à 2007, reprend le domaine réservé et poursuit sa logique. Il faut dire que Chirac craint beaucoup que nous ne perdions les législatives. Il nous donne pour première mission de gagner les législatives. C’est un élément très important dans mon rapport de force : j’ai une assemblée bleue et c’est avec elle que j’ai fait campagne, avec un Chirac qui, à l’époque, pense que puisque Jospin a été correct pendant l’élection, les Français vont reconnaître au Parti socialiste une certaine éthique politique. Il ne serait pas étonné que les Français, aux législatives, rendent au PS la part qu’il n’a pas eue aux présidentielles. L’écart était très petit44. On envisage même l’ouverture, dans ces discussions. Il n’en sera naturellement plus question quand on verra cette majorité toute bleue45. Les parlementaires ne veulent pas entendre parler d’ouverture alors qu’ils ont une majorité massive à l’assemblée.
Je ne crois pas que la cohabitation ait changé quelque chose. C’est vraiment Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron qui sortent de l’idée que le président est en charge de l’essentiel et disent qu’il est en charge de tout. Moi, j’avais vraiment avec le président une liberté totale sur l’économique et le social. De temps en temps, il intervenait. Il avait fixé trois chantiers. Il avait le domaine réservé (la politique étrangère, la défense, la politique institutionnelle) et il avait pris trois sujets populaires : le plan cancer, la sécurité routière et les handicapés. Il avait lancé le 14 juillet 2002 les « trois chantiers du président ». Il avait son socle régalien – et il avait ces trois chantiers à consonance fortement populaire. Pour le reste, il est intervenu ! Je me souviens que j’avais un amendement au parlement, négocié avec les parlementaires, pour sortir la résidence principale de l’ISF. C’est un sujet important pour plusieurs raisons, notamment pour tous ceux qui sont dans des territoires comme la frontière avec les Suisses ou les Alpes ; des territoires très attractifs, où ils sont à la tête d’une ferme dont la valeur est très importante. J’avais l’accord des présidents de groupes. J’ai eu un véto du président une demi-heure avant le vote. On était en train de dîner avec les responsables de groupes à l’assemblée nationale, le débat devait reprendre à 21 h ou 22 h – et là, j’ai eu véto, donc j’ai pédalé en arrière. Il intervenait, mais occasionnellement, comme cela.
Dans le domaine réservé, aviez-vous une part ? Dans les mémoires de Barack Obama, on apprend que Joe Biden a négocié d’être toujours avec le président lors des décisions importantes, d’être « la dernière personne dans la salle », notamment en politique étrangère. Y avez-vous vous participé de la même manière ?
Nous avons un conseil de défense où se prennent les grandes décisions : le Premier ministre est présent. Sur l’Irak, la décision est prise en conseil de défense46. On a des procédures institutionnelles. Mais je dirais que c’est le président qui décide d’associer son Premier ministre, dans bien des cas. Le Premier ministre a quelques fonctions institutionnelles, où il est nécessairement dans la boucle (conseil de défense, questions européennes). Dès qu’il y a Europe, il intervient. Quand Jacques Chirac rencontrait Gerhard Schröder47, en général, j’étais là. Il y avait un format où je n’étais pas là, qui s’appelait le Blaesheim48. C’était un dîner à quatre, avec les deux chefs d’État (président et chancelier) et les deux ministres des affaires étrangères. C’était destiné aux arbitrages en politique étrangère du conseil européen. Pour tous les arbitrages hors de la politique étrangère, c’était le Premier ministre ; mais le Blaesheim, c’était une procédure à quatre qui fonctionnait assez bien. Schröder et Chirac avaient pour principe de ne jamais aller en conseil européen en désaccord et, en phase finale, ils faisaient un arbitrage, grosso modo, 50/50. Ils se mettaient d’accord. Il y avait deux institutions : le Blaesheim et la rencontre traditionnelle des chefs d’État et Premiers ministres pour faire les arbitrages finaux, où on coupait la poire en deux. Ça a été créé en 2002 ; ça n’aurait pas été possible à l’époque de Lionel Jospin.
Vous avez parlé des trois chantiers du président, qui évoquent les bonnes œuvres d’un souverain d’Ancien Régime. Ce faisant, il vous prenait ce qui était le plus rémunérateur en termes d’opinion publique. Cela nous renvoie au problème de la modélisation de la relation numéro un/numéro deux : avez-vous l’impression qu’il vous a laissé des chantiers plus exposés ? Étiez-vous chargé de prendre des coups, quitte à vous « griller » comme Premier ministre et à vous remplacer ?
Je pense que c’est dans l’esprit de nos institutions. Le Premier ministre est un airbag. Nous sommes un peuple qui est à la fois souverainiste et régicide. On a fait des institutions qui nous permettent d’avoir le roi et le Premier ministre auquel on coupe la tête. Nous avons des institutions qui sont plutôt bien faites. Un changement de Premier ministre crée une nouvelle donne. D’où l’importance des rites pour installer un nouveau Premier ministre. En remplaçant Édouard Philippe par Jean Castex, vous créez un autre ton de la vie politique. On voit bien que remplacer Jean-Pierre Raffarin par Dominique de Villepin, c’est un vrai changement. Je fais partie des gens qui pensent que Nicolas Sarkozy aurait probablement gagné, s’il avait changé de Premier ministre en cours de mandat. En effet, le Premier ministre et le président ne peuvent pas avoir le même bilan. Or, quand ils ont la même période, ils ont le même bilan, ce qui est problématique lorsque le Premier ministre se voit un destin. Le Premier ministre est à la convenance du président. Pour un bon Premier ministre, le sondage qui compte le plus, c’est le sondage du président. Le bon Premier ministre n’est pas celui qui monte quand le président descend. Dans ma logique, je voyais que sur les retraites, c’était à moi de monter en première ligne. Je le faisais assez volontiers. Auprès de nombreux interlocuteurs, c’était respecté, car c’était dans ma vocation institutionnelle. Il y avait une courtoisie générale, qui faisait que cela n’avait pas à être discuté avec le président. Je n’ai pas souvenir de moments où nous ayons dû nous répartir les sujets. Un autre souvenir me vient : quand il y a l’écroulement du chantier de Saint-Nazaire49, j’étais à Marseille. Le président m’appelle pour me rendre avec lui sur place le lendemain. Il ne voulait pas être seul avec le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour que la hiérarchie soit toujours visible.
Je reviens en deux mots sur l’amitié. Sur ces questions, l’amitié est très importante : il faut que l’un donne à l’autre. L’amitié, c’est être capable de donner. Le Premier ministre peut prendre des coups mais, en retour, il faut qu’on lui donne du soutien, qu’on ait une relation avec lui. C’est pour cela que ma relation avec Jacques Chirac était faite d’amitié. Le 6 mai 2005, j’étais chez des amis et j’ai très mal au ventre – une inflammation de la vésicule biliaire. J’ai vu des médecins et tout de suite subi un rapatriement au Val-de-Grâce. Il s’agissait de calculs et en se déplaçant, ça fait très mal. Je pensais que ça allait se poser. Il y avait le 8 mai, qu’il était hors de question de manquer. Au Val-de-Grâce, le médecin me dit qu’il faut opérer d’urgence. Je lui ai dit : « On ne peut pas opérer maintenant, car je ne veux pas déranger le président. » On était en début d’après-midi et je pensais que le président dormait (en fait, je cherchais juste à gagner du temps en pensant que cela allait se calmer). Mais, sans doute par le réseau de la police, cinq minutes après, Chirac m’appelle et me dit : « Tu te fais opérer de suite. » Il m’a passé une engueulade ! Le lundi matin, j’avais un petit-déjeuner Sarkozy-Villepin à la suite de l’affaire Clearstream. Je pensais à ce que deviendrait le gouvernement après moi, car je savais que je devais partir après le référendum : je voulais les rendre compatibles tous les deux. Je tenais donc à être à ce déjeuner-là. Après le petit-déjeuner, Chirac m’a engueulé : « Tu vas aller te coucher ! » Il y avait une proximité, une forme de don qui produisait en définitive un équilibre. Je pense que c’était la principale reconnaissance : le fait qu’il était toujours attentif, qu’il veille toujours sur moi. Quand je me reposais le week-end, il appelait ma femme en lui disant de le rappeler, mais plus tard. Trois semaines après avoir quitté Matignon, il m’appelle en disant : « J’ai un voyage officiel en Chine et je voudrais qu’avec ton épouse vous soyez mes invités personnels. »
Jacques Chirac me laissait faire. Quelques fois il me demandait de faire des choses, de l’arranger avec la CFDT par exemple ; il me demandait d’aller chez tel ami RPR qui a une foire-exposition à inaugurer… Mais il donnait aussi beaucoup. Il m’associait à des réunions. Quand George W. Bush est venu pour l’anniversaire du débarquement, Chirac m’a invité au déjeuner à quatre avec Colin Powell. La visite chez le Premier ministre n’est pas toujours obligatoire dans le protocole. Mais il m’associait souvent, notamment pour tel ou tel chef d’État africain. Quand il me nomme Premier ministre, il appelle ma mère au téléphone50. Il y a toujours cette attention. Ce que Valéry Giscard d’Estaing m’a toujours reproché, c’est mon amitié avec Chirac. Le Chirac que j’ai trouvé n’avait aucun rapport avec celui de 1981 – un dur, celui qui parlait des odeurs. Celui que j’ai trouvé en 2002, c’est un Chirac sympa, qui refuse à ses ministres d’aller à Davos51, mais les autorise à aller à Porto Alegre52. J’ai dû interdire à mes ministres d’aller à Davos sur ordre de Chirac… un Chirac de la fracture sociale.
Exerciez-vous un contrôle sur la parole des ministres ? Par exemple, Michel Rocard avait donné consigne à ses ministres de lui demander avant d’intervenir dans les médias, ce qui n’en empêchait pas beaucoup d’outrepasser la consigne. Tous les Premiers ministres essaient de le faire mais avec plus ou moins de difficultés.
J’avais des ministres turbulents qui défiaient le gouvernement comme Nicolas Sarkozy, puis François Fillon, qui avait passé un pacte avec lui, puis Dominique Villepin qui s’est positionné contre lui. Il y avait deux ministres qui se promettaient le croc de boucher53, quand même ! Il fallait donc un gilet pare-balles. Il ne fallait pas que j’espère pouvoir maîtriser la communication des uns et des autres. J’y parvenais toutefois, car le Premier ministre a la faculté de dominer dans certains lieux, comme les questions au gouvernement au Sénat et à l’Assemblée, lorsqu’une question est posée. Vous pouvez prendre les questions que vous souhaitez et vous reprenez la communication sur le ministre. Nicolas Sarkozy a globalement été régulier avec moi. Quand il y a l’incendie à l’ambassade d’Israël, il m’appelle à 3 h du matin pour me conseiller de me rendre sur place54. Il y est déjà, mais il m’appelle quand même. Sarkozy n’était pas déloyal face à l’éthique de responsabilité. Avec le président, c’était autre chose. Il y a des circonstances où je choisissais, comme les grandes émissions du dimanche soir. J’ai souvent appelé Sarkozy pour lui dire ne pas intervenir, car le président avait prévu de parler deux jours après. Le président ne supportait que l’on intervienne deux jours avant ou deux jours après lui. Plusieurs fois, j’ai fait annuler des 20 h de Sarkozy. Je pouvais compter sur Claude Guéant, qui transmettait au ministre. Dominique de Villepin, lui, ne faisait pas d’erreur publique à l’égard de Jacques Chirac. Je n’ai pas en tête d’exemple de ce type de relation. Avec Sarkozy je me souviens d’avoir eu des moments parfois assez chauds. Je lui ai refusé des avions pour aller à tel ou tel endroit.
Vous décrivez une vraie compétition entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy pour votre succession. Ils voulaient être numéro deux. Comment le numéro un se comporte face à l’ambition des concurrents du numéro deux ? Comment s’obtient l’accès au numéro un ? Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin pouvaient-ils accéder directement au président ? Avez-vous l’impression que le président cherchait à diviser pour mieux régner ?
Dès la campagne présidentielle de 2002, Jacques Chirac veille à ce que tous les numéros deux potentiels soient considérés de la même manière, à ce que la campagne ne désigne pas un numéro deux. Ensuite, les choses sont assez simples. Les numéros deux ont une histoire. Ce n’est un secret pour personne que Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac n’ont pas de bonnes relations. La seule personne qui soit montée grâce au soutien de Chirac et de son cabinet, et qui soit entrée dans le jeu, c’est Jean-Louis Borloo. Sarkozy, ce n’est pas tellement être numéro deux qui l’intéresse. Avant, oui. Je le reçois à déjeuner trois jours après être entré à Matignon. À la fin du repas, j’ai ma voiture qui m’attend car je dors encore chez moi. La sienne aussi est là. Sarkozy, presque spontanément, me laisse passer devant pour que je parte le premier. Je lui ai dit : non, c’est toi qui dois me devancer pour que je puisse te dire au revoir – quand tu franchiras la porte, je te saluerai jusqu’au bout, comme un ministre d’État. Ça montre que Sarkozy comptait être à Matignon. Je suis un des rares à avoir battu Sarkozy dans ce match-là. Mais une fois qu’il est ministre d’État, dans la spirale, son ambition n’est plus de prendre ma place, mais celle de Chirac. Avant qu’il soit ministre d’État, dès qu’il entre Place Beauveau, il vise la présidence. On le nomme ministre d’État dans le troisième gouvernement pour compenser la non-présidence de l’UMP, qu’il convoitait. Il finira par avoir le beurre et l’argent du beurre en étant ministre d’État et président de l’UMP55.
Vous décrivez un système assez sain où tous les ministres passent par vous pour accéder au président. Est-ce que d’autres ministres pouvaient avoir accès à lui directement ?
Oui, Jean-Louis Borloo par exemple. Il travaillait beaucoup avec l’Élysée. Souvent, je voyais des sujets qui avaient été arbitrés à Matignon revenir par l’Élysée. Mais il y avait aussi la proximité de Dominique Villepin avec Jacques Chirac : il connaissait tout le monde à l’Élysée, il avait été secrétaire général de l’Élysée. Madame Chirac, par contre, le détestait, elle l’appelait « Néron ».
Vous avez donné à plusieurs reprises le sentiment qu’elle jouait un rôle essentiel dans l’organisation de l’entourage du chef de l’État. La reine choisit le numéro deux ?
Non, elle ne choisit pas, mais dans cette période-là, après la dissolution, Jacques Chirac est confronté à une crise dans l’électorat de droite. On l’accuse de ne pas avoir été assez à droite. C’est elle qui fédère. Elle est la caution de droite, traditionnelle, provinciale, catholique. Elle est un personnage politique. Dans les campagnes électorales elle est beaucoup invitée, elle inaugure aussi. On sent bien que ce n’est pas elle qui a la décision finale. Ce n’est pas une régente. Mais le président, pour certains points, la consulte. Elle avait visité un hôpital avec moi et elle a dit à Jacques Chirac : « Il est comme toi : il note l’adresse du malade et lui écrit par la suite. » Pour Chirac, ça voulait dire que j’étais un professionnel. Ce n’est pas un rôle majeur, mais ça joue. Chirac ne la consulte pas sur la charte de l’environnement, mais, par contre, pour savoir dans telle région quel est l’élu qui passe le mieux. Je n’aurais pas pris un professeur de médecine à la santé sans la consulter. Elle pensait le plus grand bien de Jean-François Mattei56.
Que devient votre amitié avec Jacques Chirac une fois que vous n’êtes plus Premier ministre ? Le fait qu’on vous demande de partir affecte-t-il votre relation avec le président ?
Non, pas du tout. Comme dit précédemment, il m’emmène en Chine aussitôt après. Il me demande des choses. Il me demande de préparer le quatrième centenaire de la ville de Québec, car je connais bien cette zone. Mon départ s’est très bien passé. J’étais épuisé. On avait décidé le départ en janvier-février. Chirac aurait préféré que je reste jusqu’à septembre-octobre, bien après le référendum57 – que l’on résiste un peu. Il aimait bien mes capacités de résistance. Il était alors partagé entre Dominique de Villepin et Michèle-Alliot-Marie58 ; il n’avait pas de solution enthousiasmante. Mais moi, je n’en pouvais plus. J’ai fait la campagne du référendum en étant sorti de clinique après une opération très lourde.
On se voit le dimanche soir après le vote ; il ne me dit pas que je vais partir. Je lui dis : « Monsieur le Président, comment voyez-vous le calendrier ? » Villepin fait alors un forcing terrible. Chirac passe encore tout le lundi à tergiverser un peu. C’est finalement le mardi qu’il prend sa décision. Là je lui ai demandé de faire une déclaration à Matignon pour annoncer mon départ. D’ordinaire, cela ne se fait pas, mais il a accepté. Lui-même l’avait fait avec Valéry Giscard d’Estaing. Ce que j’avais à dire, j’ai pu le dire. Quant au jour très précis du départ et même l’heure, c’était le choix du président.
Certains présidents demandent à leur Premier ministre de leur écrire une lettre de démission à l’avance. Était-ce votre cas ?
Jacques Chirac ne me l’a jamais demandé. Je ne peux pas vous certifier qu’il ne l’a pas fait avec les autres. Mais avec moi, ça n’a jamais été le début d’une question.
Vous avez évoqué le modèle de votre père tout à l’heure. Avez-vous eu d’autres modèles de numéro deux ? Soit des personnages historiques, soit des personnes que vous avez connues ?
Je classe les numéros deux en deux catégories, ceux avec projet de numéro un et ceux qui n’aspirent pas à devenir numéro un – même si ça leur vient après. Raymond Barre, ça lui est venu en cours de route. Au départ, il n’est pas dans une carrière politique. Michel Rocard, il est dans une stratégie de pouvoir. Il est habitué à se battre avec François Mitterrand, lors du Congrès de Metz59. Sa nomination à Matignon est à la fois une manœuvre de Rocard et de Mitterrand. Ils sont entre professionnels. Pierre Mendès France a été un exemple extraordinaire, avec cette forme de désintérêt personnel.
Je suis catholique. Je pense qu’il y a une grâce du pouvoir. Le service, le ministère est un don. On ne ressent pas le poids de la charge aussi lourd qu’il ne l’est. On le mesure avant, on le mesure après, mais pas dans l’action. La résilience est une qualité exceptionnelle. C’est sûr qu’un Raymond Barre, dans sa fonction de Premier ministre et dans sa capacité à avoir un domaine, m’a inspiré. Le domaine réservé, cela signifie aussi que le Premier ministre, dans certains sujets, est un numéro un. Un bateau qui transporte de la drogue, si on n’arrive pas à l’arraisonner, c’est au Premier ministre de décider si on l’abat ou non. J’ai ainsi abattu un bateau une fois. Dans un certain nombre de cas, c’est le Premier ministre qui décide. Donc il y a toute une partie de décisions lourdes qui se prennent sans le président, mais dans la logique que l’on protège le président. Tout cela est à prendre en considération avec l’état de l’opinion, les réseaux sociaux.
Les chinois disent : « Le roi n’agit pas, il ne s’expose pas. » Chez nous, depuis Nicolas Sarkozy et avec Emmanuel Macron, c’est clair, il y a une exposition du président. Cette conception d’un leadership comme levier de réforme, cela implique aussi une usure. Le pouvoir à la Richelieu, à la Mazarin, c’est la capacité à cacher un grand nombre d’éléments, c’est l’anti-transparence. Le Premier ministre doit avoir suffisamment de transparence pour satisfaire l’opinion, mais assez pour protéger le président. Mais dans le cas d’un Sarkozy, cela devient impossible, d’où le mot de « collaborateur ». Chirac ne l’aurait jamais employé. Le Premier ministre est un collaborateur, mais pas seulement.
Notes de bas de page
1Pour la transcription de cet entretien, nous avons respecté le plus possible les tournures orales d’origine.
2Le 21 avril 2002 Jean-Marie Le Pen crée la surprise en se hissant au second tour de l’élection présidentielle derrière Jacques Chirac, mais devant le favori des sondages, le Premier ministre en exercice Lionel Jospin.
3Nicolas Hulot est un journaliste devenu célèbre grâce à son émission de découverte Ushuïa sur TF1. Il devient un militant de la cause écologique et envisage à plusieurs reprises de se présenter à l’élection présidentielle.
4Yves Coppens est un paléontologue français décédé en 2022. Il est célèbre pour avoir découvert en 1974 le squelette de Lucy, la première australopithèque connue.
5Jiang Zemin est un homme d’État chinois. Il a été secrétaire général du PC chinois de 1989 à 2002 et président de la République populaire de Chine de 1993 à 2003.
6Valéry Giscard d’Estaing est président de la République entre 1974 et 1981. Jacques Chirac qui l’a soutenu contre son propre parti au premier tour de l’élection présidentielle devient son Premier ministre en 1974, avant de quitter le gouvernement en 1976.
7Après la démission de ses fonctions de Premier ministre en 1976, les relations entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing sont très mauvaises. L’UDF de Giscard d’Estaing et le RPR de Jacques Chirac ne cessèrent pendant deux décennies d’enchaîner des phases d’alliance et d’affrontements.
8Jean-Louis Debré, fils de Michel Debré, est un des hommes de confiance de Jacques Chirac qui en fit son ministre de l’Intérieur en 1995.
9Voir Nay Catherine, Tu le sais bien, le temps passe. Souvenirs, souvenirs 2, Paris, Bouquins, 2021, p. 247-248. Voir par exemple Bacqué Raphaëlle, « À Poitiers, le président-candidat installe Raffarin sur le devant de la scène », Le Monde, 11 avril 2002 ; Schneider Vanessa, « Raffarin quasiment adoubé à Poitiers », Libération, 10 avril 2002 ; Jeudy Bruno, « Les Chirac adoubent Raffarin », Le Parisien, 10 avril 2002.
10Nicolas Sarkozy, ancien porte-parole du gouvernement et ministre du Budget dans le gouvernement d’Édouard Balladur entre 1993 et 1995 a choisi de soutenir la candidature à l’élection présidentielle de ce dernier plutôt que celle de Jacques Chirac en 1995. Nicolas Sarkozy fut dès lors écarté de toute responsabilité par le nouveau président de la République jusqu’en 2002, date à laquelle il devint ministre de l’Intérieur du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
11François Fillon est alors député de la Sarthe depuis 1981. Il a été ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le gouvernement Balladur (1993-1995), puis ministre des Technologies de l’information et de la Poste dans le gouvernement Juppé (1995-1997).
12Dominique de Villepin est un haut fonctionnaire et il occupe alors la fonction de secrétaire général de l’Élysée, ce qui en fait le principal collaborateur du président de la République. Il devint ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, avant de lui succéder comme Premier ministre en 2005.
13Pierre Steinmetz est un haut fonctionnaire, il a été préfet de la Haute-Marne et plusieurs fois directeur de cabinet de ministres. C’est un proche de Raymond Barre.
14Jean-Pierre Raffarin est président de la région Poitou-Charentes de 1988 à 2002.
15Raymond Barre a été le Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing de 1976 à 1981. Il a été une des têtes de proue de l’UDF dans les années 1980, étant le candidat de ce parti de centre-droit à l’élection présidentielle de 1988.
16Jérôme Monod est un haut fonctionnaire et homme d’affaires français. Il a été secrétaire général du RPR de 1976 à 1978 ce qui en fait un proche de Jacques Chirac, il est d’ailleurs l’un de ses plus proches conseillers à l’Élysée à partir de 2000.
17Jean Raffarin, père de Jean-Pierre Raffarin, était un exploitant agricole de la Vienne. Il fut secrétaire d’État à l’agriculture dans le gouvernement de Pierre Mendès France entre juin 1954 et février 1955.
18René Monory est un homme politique majeur de la Vienne dont il a dirigé le Conseil général pendant vingt-sept ans. Il fut ministre de l’Économie de Valéry Giscard d’Estaing, puis ministre de l’Éducation nationale dans le premier gouvernement de la cohabitation et président du Sénat entre 1992 et 1998.
19Michel Barnier a été député puis sénateur de la Savoie. Il a été ministre de l’environnement dans le gouvernement de cohabitation d’Édouard Balladur qu’il a soutenu à l’élection présidentielle de 1995. Il est l’un des fondateurs avec Jean-Pierre Raffarin du club Dialogue et Initiative, chargé de faire la passerelle au sein de l’opposition entre UDF et RPR.
20Jacques Barrot est une des principales figures du centrisme en France. Plusieurs fois ministre sous Valéry Giscard d’Estaing, puis de Jacques Chirac il a été secrétaire général du Centre des démocrates sociaux, composante démocrate-chrétienne de l’UDF. Il participe avec Jean-Pierre Raffarin au club Dialogue et Initiative.
21Dominique Perben est une des figures du RPR des années 1990 et 2000. Il a été plusieurs fois ministre de Jacques Chirac et député du Rhône. Il est lui aussi un des membres du club Dialogue et Initiative.
22Claude Guéant est un haut fonctionnaire et ancien préfet. Il a été directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci était ministre de l’Intérieur entre 2002 et 2004.
23Jean-Louis Borloo est une figure du centre-droit français. Député de la 21e circonscription du Nord depuis 1993, il a été maire de Valenciennes de 1989 à 2002. Porte-parole de la campagne de François Bayrou (UDF) en 2002, il fait partie des centristes qui rallient Jacques Chirac à la suite de sa victoire à l’élection présidentielle en 1995 et entre immédiatement au gouvernement comme ministre de la Ville.
24Michel Rocard est une des principales figures du PS des années 1970-1990. Il a été le principal opposant de François Mitterrand à l’intérieur du Parti socialiste, avant d’être nommé par ce dernier Premier ministre entre 1988 et 1991.
25Dominique de Villepin, bénéficiant d’une grande proximité avec Jacques Chirac et fort de sa popularité comme ministre des Affaires étrangères ayant rejeté la guerre en Irak, fut finalement nommé Premier ministre en 2005 à la suite de Jean-Pierre Raffarin.
26Le contrat première embauche est un dispositif créé par le gouvernement de Dominique de Villepin afin de favoriser l’insertion des moins de 26 ans sur le marché de l’emploi. Ces contrats jugés plus précaires que les CDI ou les CDD par la jeunesse seront largement rejetés, provoquant d’importantes manifestations de février à avril 2006 (jusqu’à 3 millions de manifestants). La popularité de Dominique de Villepin ne s’en remit pas, ainsi que son ambition d’être candidat à l’élection présidentielle de 2007.
27Philippe Bas est un haut fonctionnaire et homme politique français. Plusieurs fois directeur de cabinet dans le gouvernement d’Édouard Balladur, puis d’Alain Juppé, il est nommé conseiller social auprès du président de la République à partir de 1997. Il est secrétaire général de l’Élysée à partir de 2002. Il s’agit ici du livre : Avec Chirac, Paris, l’Archipel, 2012.
28Jean-François Cirelli est un haut fonctionnaire. Conseiller économique de Jacques Chirac depuis 1995, il devient directeur adjoint du cabinet de Jean-Pierre Raffarin en 2002.
29La loi Fillon sur les retraites de 2003 étend la réforme du régime de cotisation, instaurée par Édouard Balladur pour le secteur privé en 1993, aux retraites du service publique. La durée de cotisation est ainsi allongée à 40 ans, les séniors sont incités à travailler et un système de capitalisation individuel est également favorisé. Cette réforme donne lieu à de vastes manifestations initiées par les syndicats de la fonction publique.
30Clearstream est une affaire de blanchiment d’argent, suite aux révélations du journaliste Denis Robert en 2001. En 2004, un mystérieux corbeau envoie des listes de personnalités politiques et des affaires, dont Nicolas Sarkozy, qui auraient profité des services de cette entreprise. Dominique de Villepin qui y voit l’occasion d’éliminer un adversaire politique lance une enquête pour mettre au clair la responsabilité de Nicolas Sarkozy. Mais celui-ci innocenté, après que les listes se sont révélées trafiquées, en sort renforcé, alors que Dominique de Villepin, devenu entre-temps Premier ministre, est affaibli par cette manœuvre.
31La Lanterne, pavillon de Versailles, est la résidence secondaire des Premiers ministres en exercice pour prendre quelques jours de repos. Elle deviendra celle des présidents à partir de 2007.
32Cette anecdote est confirmée par Nay Catherine, Tu le sais bien, op. cit., p. 321.
33François Léotard a été une des principales figures de l’UDF dans les années 1980. Député-maire de Fréjus, il fut ministre de la Culture lors de la première cohabitation (1986-1988), puis de la Défense lors de la seconde cohabitation (1993-1995). Populaire et plus jeune, il met en place une équipe autour de lui préparant une éventuelle candidature en vue de l’élection présidentielle de 1998 et cherchant à marginaliser Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac à la tête des deux principaux partis de droite, l’UDF et le RPR.
34Édouard Balladur a été ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Lorsque la droite gagne à nouveau les élections législatives en 1993, c’est lui qui est nommé Premier ministre, le président du RPR préférant se consacrer à l’élection présidentielle de 1995. Le nouveau Premier ministre devient toutefois très populaire, au point de choisir de se présenter lui aussi à cette élection présidentielle contre Jacques Chirac. Les principales têtes d’affiche de l’UDF lui apportèrent leur soutien. Toutefois, Valéry Giscard d’Estaing encore à la tête de l’UDF voit d’un mauvais œil cette ascension et ses proches comme Jean-Pierre Raffarin soutinrent plutôt la candidature de Jacques Chirac, pourtant autrefois principal adversaire de Valéry Giscard d’Estaing.
35Simone Veil a été ministre de la Santé entre 1974 et 1979, avant de prendre la présidence du Parlement européen. Elle redevient ministre de la Santé dans le gouvernement d’Édouard Balladur entre 1993 et 1995 et elle le soutient en vue de l’élection présidentielle de 1995.
36François Bayrou est député UDF, puis ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement d’Édouard Balladur entre 1993 et 1995.
37Pierre Méhaignerie est député de l’Ille-et-Vilaine, ministre de l’Agriculture entre 1977 et 1981, ministre de l’Équipement entre 1986 et 1988 et enfin ministre de la Justice dans le gouvernement d’Édouard Balladur.
38Alain Madelin est ministre de l’Industrie dans le premier gouvernement de cohabitation, puis des entreprises dans le second gouvernement de cohabitation et enfin ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement d’Alain Juppé en 1995. Il incarne l’aile libérale de l’UDF.
39Charles Million est député UDF de l’Ain depuis 1978. En 1995, il est nommé ministre de la Défense dans le gouvernement d’Alain Juppé.
40Hervé de Charrette est un haut fonctionnaire, député UDF depuis 1986. Ministre de la Fonction publique de 1986 à 1988, il prend le portefeuille de ministre du logement dans le second gouvernement de cohabitation, avant de devenir ministre des Affaires étrangères en 1995.
41Jean Arthuis est sénateur UDF de la Mayenne. Il entre au gouvernement en 1986, avant de devenir ministre de l’Économie et des Finances en 1995.
42En avril 1997, le président de la République Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale, espérant obtenir une nouvelle majorité lors des élections législatives, ce que les sondages lui président. Il espère aussi renforcer la position d’Alain Juppé comme chef du gouvernement. Mais c’est la gauche qui l’emporte le 1er juin 1997, permettant à Lionel Jospin de devenir Premier ministre.
43Il s’agit du club Dialogue et Initiative fondé en 1998 pour préparer le rassemblement UDF-RPR. Cela aboutit en 2002 à la naissance de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti de Jacques Chirac qui réunit l’ancien RPR et la majorité des élus de l’UDF.
44Au premier tout de l’élection présidentielle de 2002, Jacques Chirac fait en effet 19,88 %, Jean-Marie Le Pen 16,86 % et Lionel Jospin 16,18 % avec une abstention à presque 30 %.
45L’UMP rafle en effet 398 sièges sur 577 à l’Assemblée nationale, soit 62 % des sièges.
46Il s’agit de l’opposition de la France à une intervention militaire en Irak voulue par les Américains en février 2003. Devant la menace d’un veto français, mais aussi russe au conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis choisirent de s’engager avec quelques alliés dont la Grande-Bretagne et l’Australie.
47Gerhard Schröder était le chancelier allemand (SPD) depuis 1998.
48Le Blaesheim est un type de rencontre en petit comité entre le chef d’État français et le chancelier allemand. Il a été inauguré par Jacques Chirac et Gerhard Schröder à partir de 2001 dans la commune alsacienne de Blaesheim, même s’il découle d’une pratique déjà existante chez leurs prédécesseurs.
49Le 15 novembre 2003 une passerelle, permettant de visiter le paquebot Queen Mary II qui vient d’être terminé dans le chantier naval de Saint-Nazaire, s’écroule, faisant 16 morts parmi les visiteurs.
50Détail confirmé par Nay Catherine, Tu le sais bien, op. cit., p. 248.
51À Davos, en Suisse, a lieu chaque année en janvier le forum économique mondial qui réunit des PDG, des lobbyistes et des représentants politiques. Cet événement incarne la mondialisation dans son volet économique et financier.
52Le forum social mondial de Porto Alegre s’est réuni en 2001. Il s’agit d’une vaste réunion internationale altermondialiste. L’événement est présenté comme l’anti-Davos.
53Cette expression aurait été utilisée par Nicolas Sarkozy à l’encontre de Dominique de Villepin au moment de l’affaire Clearstream.
54En mai 2002, l’ambassade d’Israël part en fumée suite à un incendie accidentel.
55Nicolas Sarkozy quitte le ministère de l’Intérieur en mars 2004 pour le ministère de l’Économie et des Finances. Il semble alors avoir renoncé à présider l’UMP qu’il convoitait. Mais suite à la condamnation d’Alain Juppé qui dirigeait l’organisation, Nicolas Sarkozy en fut élu président en novembre de la même année. Il démissionna alors du gouvernement. Enfin, lorsque Dominique de Villepin fut nommé à Matignon en juin 2005, Nicolas Sarkozy retrouva le gouvernement comme ministre d’État en charge de l’Intérieur.
56Jean-François Mattéi a été ministre de la Santé entre 2002 et 2004.
57Il s’agit du référendum sur le Traité constitutionnel européen le 29 mai 2005 qui aboutit à une majorité de non, provoquant la fin du gouvernement Raffarin le mardi 31 mai 2005.
58Michèle Alliot-Marie est ancienne présidente du RPR (1999-2002), députée depuis 1986 et ministre de la Défense de 2002 à 2007.
59Le congrès du Parti socialiste à Metz en avril 1979 voit s’affronter François Mitterrand et Michel Rocard pour la direction du parti socialiste et surtout pour la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1981. François Mitterrand l’emporte nettement avec plus de 40 % des mandats contre 20 % pour Michel Rocard.
Auteurs
Université Paris-Est Créteil, CRHEC.
Maître de conférences, université Paris-Est Créteil, chercheur au CRHEC (EA 4392).
Université Paris-Est Créteil, CRHEC.
Maître de conférences, université Paris-Est Créteil, chercheur au CRHEC (EA 4392).
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