Écrit, mémoire et archives à Évreux
Autour du premier cartulaire du chapitre cathédral (archives de l’Eure, G 122)fr
p. 337-352
Texte intégral
1Le chantier monumental mené par Gautier de Varinfroy, au xiiie siècle, ou les verrières au jaune d’argent, du xive siècle, font de la cathédrale d’Évreux un monument majeur de l’art gothique. L’intérêt des historiens de l’art s’est d’ailleurs substitué à celui des historiens ecclésiastiques1 pour étudier les textes relatifs à la cathédrale et au diocèse, en quête d’indices, objets aujourd’hui d’une thèse récente et exemplaire2.
2Faute sans doute de figure d’exception sur le siège épiscopal, l’histoire des évêques et des institutions du diocèse a moins attiré de travaux récents3. Faute de matériau documentaire, également ? Si l’inventaire dressé en 1769 présentait alors un fonds cathédral bien conservé et mentionnait de nombreuses chartes antérieures à 1200, quelques actes anciens seulement subsistent aujourd’hui sous forme d’original4. À côté d’un cartulaire épiscopal, réalisé au xive siècle, est en revanche conservée une belle série de six cartulaires, auxquels il faut ajouter plusieurs fragments, côtoyant pour la fin du Moyen Âge un certain nombre d’autres rouleaux ou registres de gestion5. Or le plus ancien d’entre eux, coté G 122 aux archives départementales de l’Eure, est contemporain du moment où se déploient successivement de nombreuses campagnes architecturales. Dans ce xiiie siècle rayonnant, prébendes et chapelles se multiplient, l’administration cathédrale se développe, et les chanoines entreprennent la réalisation d’un cartulaire dont l’état actuel se caractérise par sa complexité. C’est de ce manuscrit que je souhaite présenter dans les pages qui suivent une archéologie, en revenant sur son caractère composite, sur les différentes étapes de sa réalisation ainsi que sur le réseau documentaire dans lequel sa copie quasi intégrale s’inscrit au xve siècle.
Un manuscrit complexe
3Georges Bourbon présente ainsi le cartulaire en 1886 :
« Ce registre, de 24 centimètres de hauteur sur 18 centimètres de largeur, renferme les transcriptions de 474 documents, dont les originaux ont presque tous disparu […]. Les caractères de l’écriture et la date des actes transcrits permettent de le diviser en trois parties : la première, rédigée dans la première moitié du xiiie siècle, mais après 1222, se termine au 45e feuillet ; la seconde, comprenant les 32 feuillets suivants, renferme des copies de chartes dont les dates appartiennent à la période placée entre 1222 et 1276. La troisième partie, depuis le 77e feuillet, se compose de transcriptions d’écritures variées, de 1205 à 1392. – Une table de 205 documents, placée au commencement du registre, a été recopiée au 45e feuillet. Les chartes numérotées de 1 à 280 sont précédées dans le cartulaire de rubriques contenant des sommaires analytiques6. »
4Cette analyse met déjà l’accent sur le caractère composite du manuscrit, sans toutefois donner toute la mesure de sa complexité. Celle-ci apparaît suivant plusieurs critères codicologiques ou paléographiques. Il n’y a ainsi pas de régularité dans la composition des 21 cahiers, comptant de quatre à 14 feuillets7 ; de plus les feuillets 15 et 123 ont été ajoutés sur onglet, alors que le feuillet suivant le 167 a été coupé ; par ailleurs les feuillets 136 à 141 (en fait quatre feuillets dont il est difficile de déterminer la relation précise, suivis d’un bifolio 140-141) ont été insérés entre les feuillets 134 et 135 ; ce dernier se retrouve donc immédiatement suivi du folio 142.
5De nombreuses mains ont participé à la confection du manuscrit, de manière très inégale : la première partie du cartulaire a sans doute vu collaborer deux scribes principaux, auxquels il faudrait ajouter ceux des quelques actes ajoutés postérieurement ; à l’inverse, quelques séquences de feuillets voient se succéder quasiment autant de mains que d’actes transcrits8. Ces mains datent principalement des xiiie-xve siècles, mais des annotations sont ajoutées encore au xviie siècle – sans mentionner les remarques portées par G. Bourbon lors de la réalisation de l’inventaire. Mise en page, réglure, qualité même du parchemin apparaissent également très variables : par exemple, si l’usage des longues lignes prédomine, les feuillets 117 à 134 comportent deux colonnes de texte. Plusieurs ensembles se dégagent, de taille inégale, sans correspondance avec l’articulation matérielle des cahiers, sans qu’ils soient non plus mis en évidence par des titres. Ils sont représentés synthétiquement dans le diagramme codicologique suivant.
6L’acte le plus ancien date des premières décennies du xiie siècle9, le plus récent de 139210, mais la distribution des actes ne suit pas une répartition chronologique : les actes du xiie siècle ne se trouvent que dans la première partie du cartulaire, avant le folio 44, alors que ceux du xive sont essentiellement concentrés entre les folios 145 et 164 – un graphique mettant en relation le numéro d’ordre d’un acte dans le cartulaire et sa date est significatif à cet égard11.
7Se dégagent nettement : le noyau, au contenu plus ancien que les prolongements ; les différents ensembles de prolongements, où ceux de type « cartulaire » sont relativement cohérents chronologiquement alors que ceux de type « transcription » sont plus épars, et scandent les précédents. La séquence des serments, figurés par des croix, se distingue également particulièrement.
8Ce caractère composite fait naître des interrogations sur la genèse même du manuscrit. Il n’est toutefois pas dû à une intervention tardive, une reliure moderne qui aurait artificiellement rapproché des unités codicologiques sans lien. Deux éléments permettent d’affirmer que l’état actuel du registre était, à peu de chose près, déjà en place au xve siècle. D’une part une numérotation des folios en chiffres romains couvre séquentiellement l’ensemble du manuscrit, à l’exception des folios 136 à 141 et de quelques erreurs12, et confirme ainsi que leur ordre n’a pas été modifié depuis. En revanche, elle semble également montrer la perte d’un cahier en tête du registre13. D’autre part, ce manuscrit G 122 a été copié, quasi intégralement, dans un nouveau registre, aujourd’hui coté G 123. L’ordre suivi dans cette copie tardive respecte, à une poignée d’exceptions près, l’ordre actuel de son exemplaire maître. Copie et foliotation ne sont pas concomitantes : en effet, les folios non numérotés, dont je rappelle l’insertion au milieu d’un cahier constitué, sont présents néanmoins dans la copie, mais leur contenu y apparaît à la suite des actes du folio 135 (figure 1). La foliotation serait donc antérieure, de peu, à l’insertion de ces folios et à la copie. Elle pourrait avoir été notée pour préparer la reliure initiale du registre. Les feuillets insérés l’ayant été par collage, ils pourraient n’avoir été ajoutés qu’après celle-ci. Quoi qu’il en soit, la reliure dans son état actuel, qu’il s’agisse de la rénovation de la reliure d’origine ou d’un pastiche14, date du xixe siècle, et c’est alors que les feuillets insérés ont été déplacés par erreur avant le folio 135.
9Au final, ces interventions, foliotation, copie, reliure initiale, témoignent de l’attention portée au cartulaire au xve siècle. Elles ont porté sur des éléments, des cahiers, qui, sans être déjà rassemblés en un volume, étaient déjà identifiés comme participant du même projet15. Elles ont ainsi consacré une agrégation déjà consciente lors des deux siècles de composition et d’usage de ce cartulaire virtuel, et ont achevé d’en fixer l’ordre et la composition. Mais elles ont aussi pu rompre, par négligence ou par volonté, avec la logique des entreprises qui s’étaient concrétisées dans ces cahiers composés depuis le xiiie siècle. L’arrangement matériel arrêté au xve siècle ne porte donc pas en lui les clés de compréhension des strates du manuscrit, même s’il est le produit de leur sédimentation. Ces strates codicologiques sont donc à décomposer pour en saisir l’enchaînement, la logique et les virtualités, en gardant à l’esprit non seulement qu’elles se sont déposées suivant un projet propre, mais qu’elles se sont aussi inscrites dans un contexte documentaire, voire un système de références, mouvant, et que cette inscription, fluctuante, nous en apprend autant sur le rapport du chapitre à l’écrit que la réalisation même du manuscrit. Je commencerai donc par repartir de l’ensemble le plus ancien du manuscrit, correspondant à la première partie repérée par G. Bourbon.
Le noyau du cartulaire (premières décennies du xiiie siècle) et ses usages
10Cette partie initiale couvre les folios 1 à 44 ; avec les deux tables apparemment contemporaines qui l’encadrent (fol. I-IV et 45), elle occupe les sept premiers cahiers du registre (voir figure 1).
11Deux ou trois mains se sont relayées pour y transcrire deux cent cinq chartes, en s’appliquant à suivre une même mise en page. Les actes sont rubriqués, leur initiale rehaussée, à l’encre rouge, comme le sont les reproductions attentives des monogrammes royaux16 ; une numérotation séquentielle correspond à celle donnée par les tables qui reproduisent d’ailleurs le texte des rubriques. Ce sont en effet ces rubriques qui donnent son caractère spécifique et son unité à cette première partie du cartulaire, bien que leur idée et leur réalisation ne soit vraisemblablement venue qu’en cours de projet : en est la preuve la place à géométrie variable laissée en réserve par les différents scribes, réduite dans les premiers feuillets, plus importante par la suite. Le rubricateur a sans doute lui-même dressé la première table, dans laquelle il a oublié quelques actes ; la seconde table, en revanche, est composée sur deux colonnes, d’une seule main, mais en prenant soin d’intégrer les rubriques oubliées dans la première – je ne parle pas ici de celles correspondant aux actes ajoutés par la suite, qui seront abordées plus loin.
12Les cahiers sont numérotés, en chiffres romains tracés à l’encre rouge, en bas du premier des feuillets de chacun d’entre eux. Comme indiqué plus haut, le document le plus ancien est la fondation de la foire de Nonancourt par Henri Ier (1113-1122) ; l’absence d’acte antérieur s’expliquerait en grande partie par l’incendie de 1119. L’acte le plus récent de la rédaction originale est de 121717.
13Aucune indication ne permet d’établir l’identité du commanditaire ou des copistes. L’absence de tout acte postérieur à 1217 si ce n’est dans les additions ultérieures, dont les premières concernent des actes de 1216 à 1218, incite à retenir cette période comme celle de la composition. À l’époque, Luc, ancien doyen du chapitre, siège sur le trône épiscopal ; connu pour son œuvre administrative, il est l’évêque d’Évreux le plus présent dans cette première partie, tout comme d’ailleurs dans l’ensemble du cartulaire18. Son épiscopat est donc constitué par le cartulaire comme horizon de référence pour l’institutionnalisation du chapitre. L’autre figure à évoquer est celle de Raoul de Cierrey, doyen de 1217 à 1220, avant son élection comme successeur de Luc. Probablement faut-il y voir le commanditaire, sinon le maître d’ouvrage, du noyau.
14Quel ordre les transcripteurs ont-ils suivi, au service de quel projet ? La logique à l’œuvre est multiple. Elle est d’abord celle de l’autorité : passés les tous premiers actes du cartulaire, viennent en effet la série des actes pontificaux19, suivis de la plupart des actes royaux, qu’ils émanent du roi d’Angleterre ou du roi de France20, ou épiscopaux21 ; de même les actes des comtes de Meulan et d’Évreux se suivent22. Cependant ces actes émanant d’autorités diverses peuvent également être mêlés aux actes d’autres producteurs, selon une logique qui ne devient pas non plus simplement topographique. Il s’agit plutôt d’une approche par dossier, s’ouvrant sur la donation initiale d’une église ou d’un bien, accompagnée de ses éventuelles confirmations familiale, épiscopale ou seigneuriale, puis de dons complémentaires ou d’accords sur la répartition des dîmes ; l’exhaustivité n’est pas nécessairement recherchée23. L’unité de référence est alors le plus souvent l’église paroissiale24, ce qui correspond aussi à la part importante des patronages que le chapitre détient.
15La dimension patrimoniale n’épuise toutefois pas les choix des compilateurs. Des développements institutionnels s’y reflètent également, et en premier lieu, la fondation ou la définition des prébendes25. Dès lors qu’il est documenté (et essentiellement par ce cartulaire), le chapitre d’Évreux apparaît caractérisé par une prébende tenue en indivision par les « huit chanoines », dont les historiens ecclésiastiques du diocèse se plaisent à rappeler que l’origine s’en perd dans la nuit des temps26. Cette prébende indivise ne se confondait-elle pas en fait avec la mense commune, à laquelle l’évêque attribue au xiie siècle des revenus spécifiques – sa plus ancienne mention ici est dans une charte d’Audin, évêque de 1113 à 113927 ? À côté de cette première prébende, collective, les actes du cartulaire traduisent aussi l’évolution, de prébendes personnelles, tenues à titre viager28, avant d’être réintégrées à la mense commune29, vers des prébendes qui se localisent et se pérennisent, fondées sur des dotations de la noblesse locale plus que sur des arrangements individuels30. Un autre mouvement est celui de la fondation des chapelles31, et d’institutions d’anniversaires, qui représentent plus d’une trentaine d’actes présents dans le noyau du cartulaire.
16Enfin la dimension statutaire de la compilation doit être soulignée. Elle s’ouvre en effet par un dossier de plusieurs privilèges, concédés par l’évêque ou arbitrés par l’archevêque de Rouen, confirmés par le pape ou le roi de France, marquant l’autonomie juridictionnelle du chapitre et son droit de libre élection de l’évêque. Cette ouverture met en scène moins les tensions passées entre l’évêque et son chapitre, que le cadre donné dès lors à leur relation, apaisée et emplie de caritas confraternelle, si les privilèges du chapitre sont respectés. Sont inclus par la suite plusieurs actes réglementant les fonctions liturgiques du chapitre, ses charges, ses droits, ou les fonctions de certains dignitaires.
17Les choix des concepteurs du cartulaire mettent l’accent sur les libertés du chapitre, auxquelles concourt l’évêque plus qu’il n’y fait obstacle, d’une part, et, d’autre part, sur ses sources de revenus, moins dans une visée de recensement patrimonial qu’en articulation avec ses enjeux institutionnels et liturgiques, dans une période sans doute moins marquée par la conquête française que par l’affirmation collective du chapitre.
18L’examen attentif du manuscrit permet enfin deux autres remarques sur la réalisation du noyau du cartulaire et son usage. D’une part, un indice discret livre une piste complémentaire concernant l’ordre des transcriptions. Peut en effet être déchiffré un titre courant sur la plupart des rectos, en fait le terme cofinus (ou cophinus). Il ne s’agit ni d’une indication topographique, ni codicologique, mais d’une allusion au lieu et mode de conservation des archives du chapitre, en « couffin », comprendre en panier ou en coffre. L’indication est à compléter par la lecture sur le verso, qui fait face, d’un ordinal, primus ou tertius, renvoyant ainsi au premier ou au troisième couffin – étrangement, il ne semble pas y avoir de référence à un secundus cofinus. Ces mentions ordinales sont rarement lisibles dans l’état de conservation actuel du manuscrit, contrairement au cofinus : c’est probablement qu’elles ont été délibérément grattées pour les faire disparaître. Pourquoi ? La réponse est très certainement à chercher dans l’évolution de modes de classement des archives du chapitre : ces indications devenues obsolètes ont dû être effacées par un usager du cartulaire désireux d’éviter une confusion dans la référence des actes originaux copiés32.
19L’examen des actes originaux conservés dans les archives du chapitre ne permet guère d’assurer des hypothèses. Les quelques chartes conservées qui sont également transcrites dans le cartulaire, quelles que soient leur date ou leur date de copie, ne comportent pas d’indication de cette copie33. En revanche, les chartes du xiiie siècle comportent presque toutes une indication de cote, composée d’un nombre en chiffres romains et de l’abréviation C., qui pourrait renvoyer à un cofinus, ou bien à une capsa, c’est-à-dire encore un autre mode de rangement et de référencement : en effet, des chartes cotées XIII C. ou XIV C. se retrouvent néanmoins dans la partie du cartulaire portant en titre courant tertius cofinus. Soit un double système de références était employé de manière simultanée, soit ces indications contradictoires reflètent une évolution des pratiques d’archivage du chapitre et une entreprise de reclassement lancée après l’achèvement du noyau, rendant caducs les renvois aux couffins.
20D’autre part, la superposition dans ces feuillets des traces laissées par leurs lecteurs saute aux yeux : une palette variée de traits, brisés, ornés, inscrits dans la marge, pour signaler quelques lignes ; des indications écrites pour repérer, ici le début de l’énumération des biens dans une bulle pontificale, là le passage se rapportant à une localité donnée. Ces indications peuvent avoir été très précoces : certaines, de la même main et de la même encre que la rubrication, lui sont contemporaines ; les plus tardives sont d’une main du xviie siècle. Quelques actes enfin ont été ajoutés : des chartes des années 1220 ont été inscrites sans doute peu de temps après l’achèvement de l’ensemble, sur les blancs laissés en fin des cinquième et septième cahiers34 ; deux actes d’Adam et Guillaume de Cierrey sont copiés sur une page laissée étonnamment vierge au milieu du quatrième cahier35 ; un acte d’Henri II a été porté sur un feuillet inséré après coup au sein du troisième cahier sur un feuillet laissé blanc36. De plus un ajout bien plus tardif, un acte de 1270, nommant un chapelain, a été copié dans la marge inférieure de la charte de fondation de la chapelle concernée au xiie siècle37. L’ajout de ces actes s’est souvent fait au plus près des chartes concernant les mêmes lieux ou les mêmes objets ; quelle que soit la date de leur transcription, ils n’ont pas été reportés dans les tables. Ces dernières, encadrant le noyau, constituent un autre lieu de ces traces d’usage. Si la seconde a été dressée à l’issue de la réalisation de cette première partie du cartulaire, la première, peut-être écrite au fur et à mesure de sa réalisation, a été complétées par la suite : des rubriques d’actes oubliées ont été ajoutées en bas de folio, le plus souvent précocement, parfois par une main plus tardive38. Une main de la fin du xiiie siècle ou du début du xive a également noté le constat du manque de deux actes39 : l’un peut être identifié avec un acte comtal, dont la disparition avait alors dû être constatée dans les archives. Une main plus récente a porté en marge les toponymes, regroupant parfois des séquences d’actes par des accolades pour mettre en avant la paroisse concernée40.
21Dans cette table comme dans les marges, ces annotations peuvent avoir été apportées par les continuateurs du cartulaire initial, qui apparaissent alors autant comme lecteurs actifs de ce noyau que concepteurs de ses suites.
L’accrétion des continuations (xiiie-xive siècles)
22L’existence des deux tables encadrant le noyau manifeste l’achèvement du projet. Pour autant, les additions très rapidement portées démontrent aussi la volonté de mettre à jour cette compilation. Cette volonté motive les entreprises de continuation qui ont formé à terme, par accrétion, le manuscrit actuel. Ces vagues successives n’ont pas seulement consisté en la transcription d’actes plus récents, mais aussi en l’insertion d’autres types de documents, notamment serments abbatiaux et notices. Au sein d’un même cahier ou groupe de cahiers peuvent se juxtaposer des sous-ensembles documentaires contrastés tant sur la forme que sur le fond. Une typologie peut en être dressée, suivant trois modalités.
23Le plus fréquemment, les continuations sont de type « cartulaire », c’est-à-dire qu’elles consistent en des séries de copies d’actes, selon une mise en page donnée par un seul ou un groupe de copistes41. La présentation peut imiter celle du noyau (rubriques rouges, longues lignes) ou s’en détacher (espace laissé pour des rubriques jamais inscrites, ou absence de tout réserve ; mise en page à deux colonnes, rare mais présente dans un sous-ensemble) ; des réclames sont présentes à la fin de certains cahiers42. Dans chacun des sous-ensembles de ce type, un certain relâchement dans l’application de cette mise en page s’observe au fur et à mesure que l’on avance dans la consultation du manuscrit. À plusieurs reprises, le basculement se fait vers un type « transcription informe », caractérisé par la juxtaposition de copies d’actes, par différentes mains, sans unité ni effort de mise en page commune43. Ces copies ne relèvent pas d’un enregistrement au fil de l’eau d’actes émis ou reçus par le chapitre, même si dans certains cas la transcription a pu suivre de près la production de l’acte original, comme je le montrerai plus bas. Une étude paléographique plus fine permettrait de préciser la chronologie de ces additions44.
24Parmi ces actes transcrits immédiatement, je signale particulièrement deux chartes de l’évêque Matthieu des Essarts. En effet, la conservation en original de l’une d’elles permet d’affirmer l’identité entre le scribe de l’acte et le transcripteur dans le cartulaire45. Il s’agit de la confirmation par le prélat d’un certain nombre de revenus affectés à des anniversaires de chanoines, donnée au chapitre. L’intérêt en jeu des chanoines pourrait expliquer que l’un d’eux ait composé la charte originale puis l’ait recopiée. Ce cas est aussi un indice de la porosité et de la coopération entre chapitre et chancellerie épiscopale, tant dans l’administration du diocèse que dans la conservation de ses traces. La transcription dans les cahiers tenus par le chapitre pourrait être vue comme la dernière étape, symbolique, de la validation d’un acte épiscopal par et pour le chapitre. Mais le souci mémoriel porté par le chapitre l’est aussi au nom de la dignité de l’église cathédrale et de son évêque face aux communautés régulières, comme inciterait à le penser au milieu de ce cartulaire en cristallisation la présence de serments abbatiaux. En effet se trouve enchâssée dans le manuscrit une séquence bien particulière, consistant en l’enregistrement des serments prêtés à l’évêque par les abbés et abbesses du diocèse, pour la période 1288-139246. Il s’agit bien d’enregistrement et non de transcription, comme le montrent les interventions souvent autographes de ces dignitaires. Cette série de serments constitue l’une des strates les plus récentes du cartulaire dans son état actuel, d’abord du point de vue de la datation du contenu. Mais, comme je l’ai montré plus haut, elle constitue aussi en toute vraisemblance la strate finale, en n’y étant insérée qu’au xve siècle. Ces serments étaient-ils enregistrés avant 1288, et sur quel support ? Je reviendrai par ailleurs sur la période postérieure à 1392 plus bas.
25Comme je l’ai déjà indiqué, il n’est pas possible de tirer simplement la logique de ces strates, aux projets contrastés, de leur sédimentation mise en évidence dans la figure 1. Je présenterai à titre d’hypothèse le scénario suivant.
26Dans le prolongement immédiat de la composition du noyau, un projet de continuation s’est déployé, probablement par un ou plusieurs scribes y ayant participé. Ceux-ci ont commencé à transcrire, utilisant le même type de cahier à six feuillets que l’on trouve à la fin du noyau, des actes du début du xiiie siècle : d’une part le dossier autour d’une sentence arbitrale de l’abbé Adam de Perseigne datée de 120447, d’autre part, des actes des années 1218-1224 en dossiers, c’est-à-dire dans la parfaite continuité du noyau48. Ces deux amorces sont restées embryonnaires : le cahier entamé par l’acte de 1204 n’a pas été complété, sinon très tardivement, tandis que les derniers folios du cahier des actes de 1218 ont accueilli autant des actes proches chronologiquement des mains très diverses qui les ont transcrits, que des dossiers plus anciens, jusqu’au début du xive siècle49. L’organisation de la continuation du cartulaire a donc été bouleversée, peut-être par la disparition de ses concepteurs ; c’est, notons-le, en 1223 que disparaît par ailleurs l’évêque Raoul de Cierrey, possible commanditaire du cartulaire lorsqu’il était doyen.
27Toutefois, d’autres entreprises de continuation ont ensuite été régulièrement lancées. Il faut voir dans ce mouvement désordonné d’additions, de choix de mise en page contrastés, non pas une désorganisation ou un inachèvement dû à une quelconque anarchie archivistique, mais plutôt le fait que le cartulaire (dans ses cahiers existants alors autant que dans ses virtualités) constituait bien une entité vivante, une œuvre en progrès, que les transcriptions des chanoines, génération après génération, venait compléter, et qui de ce fait incarnait de manière privilégiée l’identité collective du chapitre. Régulièrement, tous les dix à vingt ans environ, un nouvel ensemble était entamé par un chef d’équipe qui poursuivait la transcription, suivant une double logique chronologique et topologique, parfois avec l’aide d’autres scribes, sur plusieurs cahiers. En effet, la plupart des biens ne sont présents que dans un seul dossier, copié lors d’une de ces vagues. À l’inverse, les biens pour lesquels plusieurs dossiers ont été copiés suivent une répartition chronologique assez nette, comme l’illustre le tableau suivant, qui recoupe la vision globale apportée par le modèle « ordre-date » (voir tableau 1 ci-après et figure 2).
Tableau 1. – Répartition dans les différents ensembles du G 122 de dossiers concernant plusieurs localités. Les dates indiquées sont les dates extrêmes des actes copiés.
Ensemble | Cintray | Garencières | Gouville | Quittebeuf | Saint-Clair d’Arcey |
fol.1-45 (noyau) | 1181-1201 | 1217 | – | – | – |
fol. 84-88 | – | 1218 | – | 1205-1224 | 1220 |
fol. 46-79 | 1252-1276 | 1243-1268 | – | 1243 | – |
fol. 106-117 | 1282-1283 | – | 1287 | 1287 | – |
fol. 118-133 | 1288-1289 | – | 1288-1289 | – | 1289 |
fol. 149-164 | – | – | – | – | 1391 |
28Deux équipes semblent ainsi avoir travaillé en parallèle, au plus tard dans les années 1270. L’une d’entre elles a très largement essayé de se conformer à la présentation du noyau (écriture à longues lignes, rubriques à l’encre rouge, puis simplement matérialisées par un espace jamais comblé, reproduction des monogrammes50), mais en ayant préparé sa page par un réseau de réglures à la mine de plomb51. Vers 1287 s’achevait la réalisation d’un nouvel ensemble52 ; c’est à partir de cette même date que débute la série des serments abbatiaux conservés ; cette date marque aussi l’achèvement d’une partie importante du chantier architectural et d’ajustements institutionnels relatifs aux chapelles53. L’ensemble suivant fut terminé dans les dernières années du xiiie siècle, avec le choix d’une mise en page à deux colonnes54. Le dernier prolongement ne fut entrepris que dans les dernières années du xive siècle55.
29En parallèle cependant, n’importe quel chanoine pouvait sans doute apporter sa contribution en transcrivant en fin de cahier un acte, qu’il s’agît d’un acte ancien oublié lors de la phase précédente de compilation, d’un acte récent dont l’importance justifiât la copie immédiate (voir les chartes de Matthieu des Essarts), ou d’une notice sur un conflit de juridiction ne pouvant être rattachée à un dossier. Comme déjà évoqué au sujet du noyau, il pouvait aussi bien annoter au cours de sa lecture les cahiers déjà formés, d’un complément à une rubrique pour en préciser un lieu ou un objet, ou de simples signes graphiques pour attirer l’attention du lecteur ou simplement aider au repérage et à la mémorisation de clauses notables56, ou encore canceller un acte devenu inutile57. Malgré cette absence de supervision générale et cette composition spontanée, le nombre de doublons reste cependant très faible58.
30Plutôt qu’un cartulaire-somme réalisée par un individu ou une petite équipe, c’est une compilation-accrétion, faite de strates juxtaposées dans lesquelles se sont impliqués, à des degrés divers, nombre de chanoines, qui a fini par constituer le G 12259.
Une copie dans un réseau documentaire (xve siècle)
31Dans le courant du xve siècle, le cartulaire ancien est constitué en volume et recopié dans un nouveau registre. Cette entreprise s’inscrit dans une profonde évolution du système documentaire du chapitre : plusieurs vagues de cartulaires et inventaires sont produits au même moment, alors que se diversifient les outils de gestion, désormais mieux conservés : rouleaux ou registres de comptes, registre de recensement.
32Plusieurs remarques sont à formuler concernant la copie du cartulaire G 122. Celle-ci induit tout d’abord une logique d’uniformisation de sa forme : l’individualité de chaque ensemble se voit fondu dans une copie effectuée « au kilomètre », suivant une mise en page fixe, assez solennelle (rubrique rouge, parchemin de bonne qualité), mais non sans raccourci : les monogrammes figurés par le copiste du xiiie siècle sont par exemple purement et simplement négligés par le scribe du xve. De même, comme je l’ai déjà mentionné, les feuillets contenant l’enregistrement des serments abbatiaux ont été insérés peu de temps avant ou au moment de la copie.
33Il est utile pour la compréhension tant de l’usage du cartulaire ancien que du projet de son copiste de relever les points d’écart avec le manuscrit d’origine, comme le permet un graphique comparant l’ordre des actes dans les deux volumes (figure 3)60.
34L’acte cancellé dans le G 122 n’est tout simplement pas recopié, sans même être mentionné61. Les autres actes présents dans l’état actuel du G 122, mais absents dans le G 123, correspondent, d’une part, aux premiers du cartulaire, en raison de la disparition des premiers feuillets du corps du cartulaire dans le G 123, d’autre part, à des ajouts tardifs, dont certains seraient en fait postérieurs à la copie. Cependant sont aussi concernés certains serments aujourd’hui difficilement lisibles62. Était-ce déjà le cas à l’époque ? Le souci de conservation de cahiers largement utilisés, donc usagés, aurait pu être une motivation à leur copie et à leur reliure. À l’inverse, sur la fin, non seulement l’ordre initial ne semble plus être respecté, mais des notices non présentes dans le premier cartulaire sont insérées. Correspondraient-elles à des folios disparus depuis ? Plus vraisemblablement, l’hypothèse d’une autre source peut être suggérée63. Elle est renforcée par l’existence d’un fragment d’un autre registre, mais qui ne pourrait être qu’un autre de ces cahiers libres rassemblant plusieurs de ces notices64. Ces quelques folios datent du courant du xiiie siècle, mais ne semblent pas issus du G 122 dont ils diffèrent par leur dimension plus modeste65. Il ne semble pas non plus que leur main corresponde à l’une de celles rencontrées dans le cartulaire. Pour autant tout n’est pas éclairci, car l’ordre de ces notices, rapportant des conflits de juridiction impliquant le chapitre, n’est pas le même entre ce fragment et le G 123. La nature précise de ce cahier, ou épave de registre, et le G 122, ainsi que l’usage qu’a pu en faire le maître d’œuvre du G 123, restent donc à élucider.
35La copie du G 122 que constitue le G 123 semble donc au final s’inscrire dans un projet de monumentalisation du cartulaire ancien, virtuel mais consciemment pensé comme un ensemble, projet motivé sans doute par le souci de sa conservation et permettant d’achever sa cristallisation en registre, peut-être incomplètement selon l’interprétation que l’on fera de ce fragment satellite. Cette copie solennelle, sur un vélin bien préparé, alors que les autres cartulaires contemporains du chapitre sont sur papier, a de fait été bien préservée. Trop bien préservée ? En effet, à part l’enregistrement de deux actes au xviie siècle66 (et leur transcription en fin de volume reflète la conscience conservée à l’époque qu’il s’agissait d’un registre prestigieux de l’institution capitulaire) et quelques annotations elles aussi modernes, les traces d’usage y demeurent rares67. À l’inverse, le G 122 est toujours annoté au xve siècle et a continué à être utilisé après la réalisation de la copie ; il reste, dans l’inventaire des archives du chapitre dressé en 1769, le « premier cartulaire68 ».
36Cette copie de prestige s’inscrit par ailleurs dans un réseau de cartulaires, nouvellement composés. En 1436, trois chanoines, Pierre Le François69, Geoffroy Lamy70 et Jean Le Sage71, sont commis pour dresser l’inventaire des titres du chapitre, alors rangés dans plusieurs armoires, par ordre alphabétique des paroisses72. L’entreprise n’est pas achevée, peut-être en raison du contexte troublé de l’époque : de nombreuses initiales sont laissées en réserve, et le classement topographique s’arrête à la lettre D ; les seules autres cotes présentes, I et P, regroupent quant à elles respectivement les actes concernant les droits et juridiction du chapitre et ceux du doyen (pro decano). Ces cotes alphabétiques ne se retrouvent pas, par ailleurs, dans notre documentation. En revanche, la remise en ordre des affaires du diocèse, et du chapitre, s’accompagne d’un foisonnement documentaire, au plus tôt à partir de 1455. Se déclinant en plusieurs volets, il marque aussi la spécialisation des registres. D’une part, un cartulaire en deux volumes, met en avant les biens mais surtout les revenus liés, dans une logique à rapprocher de celle d’un censier73. L’ordonnancement y est topographique ; il s’appuie peut-être sur le classement entamé en 1436 et est à rapprocher de l’indexation géographique portée au dos des chartes originales par une main de l’époque. D’autre part est composé un cartulaire des chapelles, qui présente de très larges ressemblances formelles avec le cartulaire en deux volumes74. Sans qu’ils ne puissent être datés précisément, s’éloignant du genre du cartulaire, peuvent cependant être mentionné le recueil des statuts, également contemporain75, ou un obituaire76. Par ailleurs, s’ils n’ont pas été conservés, d’autres registres sont mentionnés dans l’inventaire moderne, correspondant sans doute aux fragments conservés par ailleurs77.
37Paradoxalement, l’enregistrement des serments des abbés et abbesses du diocèse ne donne pas lieu à un registre spécifique, ni ne s’insère dans ces nouveaux recueils, mais trouve sa place dans un manuscrit bien antérieur au cartulaire G 122, à savoir un petit évangéliaire, conservé à Évreux78. Des recherches récentes ont permis de préciser sa provenance, le scriptorium de l’abbaye de Saint-Albans en Angleterre, et sa datation dans les années 115079. Selon cette hypothèse, il aurait pu être un présent de Robert de Gorron, abbé de Saint-Albans, à l’évêque Rotrou d’Évreux, à l’occasion de leur ambassade à Rome, auprès du pape Adrien IV, pour le compte du roi Henri II, en 1155. Il partage en tout cas « le même copiste et enlumineur du décor secondaire » qu’un manuscrit provenant du monastère anglais. Un cahier qui lui est ajouté est donc utilisé à partir de 1387 pour enregistrer les serments abbatiaux, dans la continuité de la série présente dans le G 122, jusqu’en 149080. Cela signifie-t-il qu’il avait entre-temps rejoint la bibliothèque du chapitre, ou bien que l’évêque avait repris complètement la main sur l’enregistrement de ces serments, ou encore confirme-t-il cette collaboration par l’écrit entre le prélat et son chapitre, déjà perceptible dans le cartulaire ? En tout cas, comme le G 123, il fut complété au xviie siècle, en l’occurrence par les serments anti-jansénistes du clergé du diocèse d’Évreux. Il n’est pas mentionné dans l’inventaire de 1769.
Conclusion
38Cette présentation n’est qu’une invitation à poursuivre l’étude du cartulaire G 122, tant dans sa logique d’agglomération que dans son contenu ou son inscription dans l’usage de l’écrit par les chanoines d’Évreux. L’approche archéologique pour la compréhension d’une entreprise mémorielle continue, jusque dans sa cristallisation au xve siècle, au temps de la spécialisation de l’écrit gestionnaire, montre l’intérêt de prendre en compte non seulement la conception du cartulaire, dans son noyau initial, mais d’interroger les usages et les prolongements dont il fut l’objet, et qui témoignent de la place, changeante, qu’il occupa comme symbole de l’identité collective du chapitre. L’exploration plus large de l’écrit et des archives capitulaires, d’une part, la comparaison avec les pratiques de l’administration épiscopale, qu’il ne faut pas opposer mais saisir en complémentarité, restent à entreprendre, tout comme la nécessaire comparaison avec d’autres diocèses.
Notes de bas de page
1Parmi lesquels Guéry Charles, Le chapitre épiscopal d’après le grand pouillé du diocèse d’Évreux, Évreux, Imprimerie de l’Eure, 1906 ; Bonnenfant Georges, Histoire générale du diocèse d’Évreux, Paris, Picard, 1933.
2Gallet Yves, La cathédrale d’Évreux et l’architecture gothique rayonnante, xiiie-xive siècles, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2014.
3Sont à mentionner, outre les instruments de travail récemment publiés : Combalbert Grégory, Actes des évêques d’Évreux (xie-1223), Caen, Presses universitaires de Caen, 2019, [https://www.unicaen.fr/puc/sources/ecartae/evreux/], consulté le 1er avril 2021 ; Tabbagh Vincent (dir.), Fasti Ecclesiae Gallicanae, répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France, t. XX : Diocèse d’Évreux, Turnhout, Brepols, 2020, sont également à mentionner : Montaubin Pascal, « Les clercs italiens dans les Églises normandes au xiiie siècle », Cahier des Annales de Normandie, 2000, vol. XXIX, p. 67-82 ; Id., « Raoul Grosparmi, l’intime normand de saint Louis (années 1254-1262) », Cahier des Annales de Normandie, 2009, vol. XXXV, p. 417-438 ; Combalbert Grégory, « Une “famille cathédrale” normande à la fin du xiie siècle : la famille de Cierrey, l’évêque Garin et le chapitre cathédral d’Évreux », Annales de Normandie, vol. LX, no 1, 2020, p. 15-43.
4Arch. dép. Eure, G 1908, pour l’inventaire de 1769. Sauf indication contraire, toutes les sources manuscrites citées en notes sont conservées aux archives départementales de l’Eure à Évreux. L’inventaire de référence du fonds actuellement conservé est toujours Bourbon Georges, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790 : Eure, archives ecclésiastiques, série G, Évreux, Hérissey, 1886.
5G 6 (cartulaire épiscopal) ; G 69, G 122 à 125, G 1907 (cartulaires du chapitre) ; G 126 ; BnF, nouv. acq. lat. 296 (fragments d’autres cartulaires du chapitre).
6Bourbon G., Inventaire sommaire, op. cit., p. 56 ; suit jusqu’à la page 88 une brève analyse de l’ensemble des actes contenus dans le cartulaire.
7Toutes les références à un folio, sans autre indication, renverront ici au manuscrit G 122 et à la numérotation appliquée par G. Bourbon.
8Neuf mains se partagent les transcriptions de 12 actes aux fol. 79 vo à 83 ; une quinzaine de mains celles de 20 actes aux fol. 86 vo-89 vo.
9Fondation de la foire de Nonancourt (Eure, cant. Verneuil-sur-Avre) par Henri Ier, fol. 41 ; voir Cronne Henry A., Regesta regum Anglo-normannorum: 1066-1154. 2, Regesta Henrici primi: 1100-1135, Oxford, Clarendon Press, 1966, no 1356 (1113-1122). Il s’agit du seul acte du cartulaire pouvant dater d’avant l’incendie de la cathédrale en 1119, lors du siège d’Évreux par Henri Ier en 1119 (Chibnall Marjorie, The « Ecclesiastical history » of Orderic Vitalis, Oxford, Clarendon Press, 1969, t. VI, p. 228 ; voir aussi Gallet Yves, « 1202 ou 1143 ? À propos d’une bulle d’indulgences pour la construction de la cathédrale d’Évreux », Annales de Normandie, vol. LI, no 2, 2001, p. 99-109, p. 106-107) ; l’absence de tout acte antérieur pourrait y trouver là une explication.
10Il s’agit de l’enregistrement du serment d’un moine de Lyre pour le compte de son abbé Astorge de Beauclerc (fol. 139 vo) ; la charte à proprement parler la plus récente est de 1391 (jugement de l’Échiquier concernant le patronage de l’église de Saint-Clair d’Arcey [Eure, cant. Bernay], fol. 161 vo).
11Sur cette méthode de visualisation, voir Escalona Julio, Pérez-Alfaro Cristina Jular et Bellettini Anna, « Two graphical models for the analysis and comparison of cartularies », Digital Medievalist, vol. X, 2016, [DOI : http://doi.org/10.16995/dm.55], consulté le 15 janvier 2023.
12L’actuel folio 12 est sauté par cette foliotation ancienne, qui prend soin cependant d’inclure le feuillet 15, ajouté a posteriori dans le cahier ; les numéros 88, 117 et 160 sont donnés deux fois ; l’actuel folio 168, vierge, n’est pas numéroté, mais le feuillet suivant, qui comporte deux ajouts tardifs, l’est.
13Le premier feuillet du manuscrit (le fol. I de Bourbon, correspondant au premier feuillet de la première table), porte en effet dans cette foliotation ancienne le numéro V ; un cahier initial, de quatre feuillets comme l’actuel premier cahier, aurait donc disparu. S’il n’était pas demeuré vierge, pourrait-il s’agit d’un prologue ? En tout cas il n’a pas été repris dans le G 123.
14Le motif de la reliure, estampée à froid à la roulette, pourrait dater de la fin du xve ou des premières décennies du xvie siècle. D’autres cartulaires médiévaux, ainsi le G 123, dont il sera question plus loin, ou le cartulaire de l’abbaye de Préaux (H 711) voient leur reliure refaite ou « réinventée » au xixe siècle.
15Ainsi un cahier a été entamé d’un côté, puis repris de l’autre, fol. 148 vo : il n’était donc pas relié à ce moment.
16Aux fol. 2 vo et 8 vo ; le seing d’Emma de Rouen est également figuré au fol. 11.
17Donation du droit de patronage de l’église de Garencières (Eure, cant. Saint-André de l’Eure), fol. 30 vo.
18Le cartulaire contient 18 actes de Luc, sur les 89 qu’on lui connaît (Actes des évêques d’Évreux, nos 157-243) ; par ailleurs, il est, avec sa copie, le seul témoin de 10 de ses actes ; voir cependant note 65 le cas particulier de l’acte no 158.
19Aux fol. 3-6.
20Aux fol. 6 vo-9.
21Aux fol. 9 vo-11 vo puis 16 vo-17.
22Aux fol. 17 vo-22, ici encore avec présence d’actes d’autres producteurs.
23Ainsi concernant l’église de Sainte-Colombe (Eure, cant. Le Neubourg) est copié l’arbitrage de l’évêque Luc, fol. 31, mais pas la bulle pontificale de 1214, pourtant conservée en original : G 111.
24À comparer avec le cas du cartulaire du chapitre du Mans : Mazel Florian, « L’espace du diocèse dans les cartulaires cathédraux (xie-xve siècles) », in Id. (dir.), L’espace du diocèse : genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 367-402, notamment p. 377-378, 384 et 388.
25Voir désormais Tabbagh Vincent, « Notice institutionnelle », in Id. (dir.), Fasti Ecclesiae Gallicanae, op. cit., p. 3-25.
26Gallet Y., La cathédrale d’Évreux, op. cit., p. 24-27, complétant Guéry C., Le chapitre épiscopal, op. cit., p. 41-43 ; Bonnenfant G., Histoire générale du diocèse, op. cit., vol. I, p. 24.
27Au fol. 10.
28Ainsi les prébendes tenus par Richard d’Évreux (fol. 3), Turstin (fol. 9 vo), Ives de Sabluel (fol. 23 ; cette prébende étant dotée sur les revenus de la prévôté d’Évreux, elle pourrait toutefois être à l’origine de la prébende dite de la vicomté dans les pouillés d’Ancien régime : Guéry C., Le chapitre épiscopal, op. cit., p. 89), ou celle transférée de Maurice, fils de Raoul de Garembouville, à Richard de Beaumont (fol. 19) ; voir aussi Spear David, The Personnel of the Norman Cathedrals During the Ducal Period, 911-1204, Londres, University of London, 2006, p. 133-165.
29C’est le cas pour celles de Robert d’Aviron (fol. 16 vo) et de Richard du Nuisement (ibid., voir aussi fol. 29 vo) ; À noter qu’une prébende du Nuisement est de nouveau en place plus tard au xiiie siècle.
30Par exemple, les prébendes du Plessis-Grohain (Eure, cant. Évreux) et de Quittebeuf (Eure, cant. Le Neubourg), fondées par Simon, comte d’Évreux, avant 1181 (fol. 19) ; d’Émanville (Eure, cant. Le Neubourg), déjà en place sous le règne d’Henri Ier (fol. 42 vo), mais mentionnée comme prébende attribuée personnellement au sacristain (fol. 10) ; d’Hécourt-Saint-Chéron (Eure, cant. Pacy-sur-Eure), fondée par Simon d’Anet (fol. 22) dans les années 1180 ; de Thevray (Eure, cant. Bernay, comm. Mesnils-en-Ouche), fondée par Roger de Thevray (fol. 20) dans les années 1170 ; de Bernienville (Eure, cant. Le Neubourg), fondée par Adam de Cierrey vers 1193 (fol. 24 vo) ; et la prébende attribuée à l’abbaye du Bec (Eure, cant. Brionne), reconnue chanoine en 1207 ; voir aussi Mazel F., « L’espace du diocèse », art. cité, p. 372, sur le cas des prébendes du chapitre de Bayeux.
31Voir plus généralement Bonnenfant G., Histoire générale du diocèse, op. cit, p. 61-62 ; Gallet Y., La cathédrale d’Évreux, op. cit, p. 122-125.
32En marge du fol. 42, cependant, une main du xiiie siècle a répété l’indication tertius cofinus.
33Notamment : donation par Bouchard de Barquet, 1211 (G 84), fol. 25 ; donation de Richard de Harcourt, vers 1216 (G 87), fol. 32 ; donations à Évreux de Roger Seher et Herbert (G 89), respectivement fol. 35 vo et 33 ; un dossier de cinq chartes concernant l’église d’Ormes (Eure, cant. Conches-en-Ouche), de la fin du xiie siècle à 1212 (G 104), aux fol. 13 vo-14 vo ; donation d’Eudes du Bosc (G 109), au fol. 32 ; ratification par Richard de Harcourt d’une sentence arbitrale de l’évêque Luc, 1217 (G 111).
34Aux fol. 39 vo et 44 vo.
35Sur ces actes, voir Combalbert G., « Une “famille cathédrale” », art. cité, p. 25-27 ; cet espace laissé blanc dans le corps d’un cahier ne peut s’expliquer facilement. La membrane de parchemin est là très fine, trois trous s’étant d’ailleurs formés lors de la préparation de la peau ; peut-être les scribes du chapitre ont-ils préféré entamer la série des actes relatifs à Barquet sur le feuillet suivant, de meilleure qualité.
36Au fol. 15 ; l’acte est en faveur de l’abbaye du Bec, mais concerne notamment l’église d’Ajou (Eure, cant. Bernay, comm. Mesnil-en-Ouche), concédée par les moines dans le cadre de l’accord qui instaure l’abbaye comme chanoine du chapitre cathédral, copié aux fol. 14 vo et 16.
37Acte de l’évêque Philippe de Chaourse, transcrit au fol. 19 vo à la suite de la fondation de la chapelle d’Aubevoye (Eure, cant. Gaillon, comm. Val d’Hazey) par Amaury, comte d’Évreux.
38Aux fol. I vo, II vo, III.
39Au bas du fol. I.
40Par exemple les actes concernant Barquet (Eure, cant. Brionne), fol. II.
41Aux fol. 46-79, 84-87, 90-105, 106-117, 118-133, 149-164 et 165-168.
42C’est le cas aux fol. 59 vo, 71 vo et 97 vo ; certains ensembles cohérents ne comportent cependant pas de réclames bien qu’ils courent sur plusieurs cahiers (voir fol. 113 vo, 121 vo ou 156 vo).
43Aux fol. 80-83, 134-135 et 143-148.
44Sur le modèle par exemple de la méthodologie proposée par Tucker Joanna, Reading and Shaping Medieval Cartularies: Multi-Scribe Manuscripts and their Patterns of Growth, Woodbridge, Boydell Press, 2020.
45G 93 (1318), transcrite au fol. 80 vo.
46Cet ensemble, aux fol. 136-140 vo, a été repéré pour la première fois lors des dépouillements pour la réalisation du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France : Omont Henri, « Seconde note rectificative au tome xi du Gallia Christiana », Le cabinet historique, vol. XXVI, 1880, p. 34-41.
47Fol. 165-168 ; voir également Maillet Laurent, « Les missions d’Adam de Perseigne, émissaire de Rome et de Cîteaux (1190-1221) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2013, vol. CXX, p. 99-116.
48Fol. 84-88.
49Fol. 88 vo-89.
50Au fol. 76.
51Ensemble aux fol. 46-79.
52Fol. 106-117.
53Gallet Y., La cathédrale d’Évreux, op. cit., p. 126-127.
54Fol. 118-133.
55Fol. 149-164.
56Par exemple les annotations en marge de la transcription de la confirmation donnée par l’évêque Raoul de Cierrey, fol. 69 vo-71 vo, portées en plusieurs strates, d’ailleurs, du xiiie ou xive jusqu’au xviie siècle.
57Au fol. 66.
58Deux chartes de Jean de Ferrières ont été copiées, par des mains différentes, au xiiie siècle, aux fol. 39 vo (il s’agit ici d’une addition portée dans un blanc laissé à la dernière page du cinquième cahier du noyau) et 87 vo ; un acte de l’évêque Luc, présent dans le noyau fol. 11 vo, a été copié également fol. 80. Un acte concernant Fontaine-la-Louvet (Eure, cant. Beuzeville) a été copié trois fois, aux fol. 65 vo, 100 vo et 106 ; un acte concernant Tosny (Eure, comm. nouv. des Trois-Lacs, cant. Gaillon) a été copié aux fol. 110 et 120. À chaque fois ces copies s’insèrent dans des ensembles différents.
59Ces remarques rejoignent celles formulées pour d’autres cartulaires de chapitre, par exemple celui de Glasgow (xiiie siècle), étudié par Tucker J., Reading and Shaping Cartularies, op. cit.
60Sur cette méthode de visualisation, voir Escalona J., Pérez-Alfaro C. J. et Bellettini A., « Two graphical models », art. cité.
61Il aurait dû se trouver p. 154-155 du G 123.
62Fol. 136 et 137 vo.
63G. Combalbert estime par ailleurs que la version donnée par le G 123 de la lettre de l’évêque Luc aux juges délégués par le pape (1204) a été prise sur l’original plutôt que sur la transcription du G 122 (Actes des évêques d’Évreux, no 158).
64BnF, nouv. acq. lat. 296.
65Ils ne mesurent que 18 sur 11,3 cm, contre 24 sur 18 en moyenne pour le G 122.
66Actes de l’évêque Jacques du Perron en 1648, « enregistré au registre des dons faits à ladite Église » (bien que l’acte mentionne également avoir été scellé), p. 397, et du chanoine Jean Le Batelier d’Aviron en 1655, « inséré dans le livre de leurs archives où telles libéralités sont écrites », p. 398-399.
67Une main du xvie ou du xviie siècle a parfois ajouté en marge du cartulaire G 123 des renvois à des « capses ». Lorsque l’original est conservé, la comparaison ne permet pas de déceler de correspondance entre ces indications marginales et les cotations dorsales, du xiiie siècle et celles plus tardives, portées sur les chartes.
68G 1908, p. 312.
69Tabbagh V. (dir.), Fasti, op. cit., no 492.
70Ibid., no 91.
71Ibid., no 377.
72G 1907, fol. 1.
73G 124-125.
74G 69.
75G 1909.
76G 1924.
77Notamment le feuillet isolé d’un autre cartulaire du xve siècle, G 126.
78BIBSLE 2602.
79Voir la notice de Patricia Stirnemann in Hatot Nicolas et Jacob Marie (dir.), Trésors enluminés de Normandie : une (re)découverte, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 162-163.
80Omont Henri, « Note rectificative au tome XI du Gallia Christiana », Le cabinet historique, vol. XXV, 1879, p. 83-90.
Auteur
Archives départementales de l’Eure, Archives nationales, GRHis, Université de Rouen.
Thomas Roche, ancien directeur des Archives départementales de l’Eure, est chef de département aux Archives nationales. Il est également chercheur associé au GRHis et chargé d’enseignement en histoire du droit à l’université de Rouen. Ses recherches portent sur la diplomatique médiévale et l’histoire des archives, particulièrement en Normandie.
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