Outil pastoral ou développement bureaucratique ?
Les rouleaux et archives des évêques de Lincoln dans la première moitié du xiiie siècle
p. 297-310
Texte intégral
1Du milieu à la fin du xiiie siècle, la majorité des évêques anglais utilisent l’outil administratif qu’est le registre épiscopal1. Ce dernier peut être de format variable – il est conservé parfois en rouleaux, parfois en codex – et de contenu divers. Certains registres n’incluent que des investitures de clercs, d’autres se concentrent sur les ordinations et d’autres encore contiennent un mélange de documentation sur des conflits juridiques et sur des interventions pratiques de l’évêque2. Leurs objectifs diffèrent également : les registres peuvent contenir des informations destinées à servir de référence en cas de litige ou bien servir de formulaire à la chancellerie de l’évêque, et ils peuvent ou non être accompagnés de dossiers d’archives complémentaires, dans certains diocèses. Pourtant, on en fait habituellement des éléments fondamentaux d’une histoire globale du développement administratif. Un examen attentif et une comparaison des deux premiers ensembles de rouleaux dans le diocèse de Lincoln, qui constituent les plus anciens rouleaux épiscopaux anglais de ce type encore conservés aujourd’hui3, suggèrent la nécessité de réfléchir plus attentivement à l’utilisation et à la création de ces documents. Alors qu’ils s’intègrent certainement à la stratégie administrative globale suivie dans chaque diocèse, leur mise en place, leur entretien et peut-être aussi leur utilisation reflètent aussi les intérêts, les préoccupations et la formation de chaque évêque, même dans une période où la chancellerie tend à devenir de plus en plus autonome de ce dernier.
2Le présent article examinera ces premiers rouleaux sous l’angle de leur contenu et de la place qu’ils occupent dans la pratique bureaucratique naissante de la chancellerie épiscopale de Lincoln, et du point de vue de leurs fonctions au sein de deux épiscopats très différents. Nous analyserons la façon dont deux évêques ont utilisé – ou n’ont pas utilisé – leurs rouleaux, la manière dont cela a affecté la mise en place et la tenue de ces registres, et le lien entre ces éléments et la conception que chacun des évêques avait de sa fonction épiscopale. Au cours de cette période en effet, la fonction administrative et la fonction spirituelle des évêques connaissent encore une tension non résolue et les attitudes individuelles à l’égard de ces fonctions ont eu un effet direct non pas sur le fait que les évêques de Lincoln du début au milieu du xiiie siècle tenaient des registres ou des rouleaux, mais sur la façon dont ils les conservaient et les utilisaient. Aussi la réflexion sur l’administration diocésaine doit se faire au niveau individuel, à l’échelle de chaque épiscopat, en tenant compte non seulement de la charge générale de l’administration épiscopale mais également des besoins et de l’approche particulière d’individus spécifiques.
Le développement des registres et rouleaux épiscopaux : une histoire à réécrire ?
3L’histoire habituellement racontée sur le développement des registres et rouleaux épiscopaux est celle de la centralisation, de processus de plus en plus bureaucratiques et d’un volume grandissant de documentation couplé à la nécessité d’un contrôle épiscopal fort au sein du diocèse afin de réaliser les objectifs pastoraux du mouvement de réforme pontificale aux xiie et xiiie siècles4. Le processus d’élaboration de ces documents n’est cependant pas évident à saisir. À partir d’une enquête sur les documents encore disponibles, les historiens ont été amenés à décrire une progression simple et linéaire de la production de documents épiscopaux de la fin du xie siècle au xive siècle. Au xie siècle, les évêques seraient passés de la pratique consistant à seulement sceller les donations, accords et autres documents qui leur étaient présentés par les bénéficiaires à l’utilisation de leur propre chancellerie pour rédiger et pour écrire ces documents scellés au nom de l’évêque. À la fin du xiie siècle, dans certains diocèses, les évêques avaient déjà constaté la nécessité de tenir des registres plus centralisés et de produire des documents comme les matricules (ou pouillés), c’est-à-dire des enquêtes sur les églises du diocèse donnant des détails sur les patrons et les titulaires de certaines églises paroissiales et sur les revenus dus à ces titulaires, qui devaient être mises à jour lorsque les noms des clercs et d’autres informations avaient changé5. Au xiiie siècle, l’accent mis par l’Église occidentale, après Latran IV, sur la surveillance de l’état spirituel de chaque individu dans un diocèse, ainsi qu’une augmentation générale de l’utilisation des documents dans les administrations laïques et ecclésiastiques, auraient ouvert la voie à une meilleure tenue de registres, permettant un contrôle diocésain plus étroit sur les clercs et les laïcs dans les paroisses. À ce stade, l’influence des registres royaux anglais et de la pratique pontificale de l’enregistrement auraient conduit à la création de registres épiscopaux, d’abord sous forme de rouleaux puis de volumes reliés, plus faciles à conserver et à consulter6.
4Cependant, ce modèle est loin de répondre à toutes les questions qui se posent. Pourquoi les évêques anglais ont-ils mis autant de temps à produire des registres épiscopaux et pourquoi certains diocèses accusent-ils un tel retard dans l’élaboration de ce type de documents ? Les registres des différents diocèses doivent être comparés au schéma général de développement décrit ci-dessus. Si on regarde les premiers registres encore conservés aujourd’hui, on voit que les chancelleries épiscopales ne suivent pas toutes un modèle linéaire de développement bureaucratique. Elles peuvent faire usage, selon les cas, de rouleaux et/ou de registres, et connaître des périodes où l’enregistrement n’est pas pratiqué. Au cours du xive siècle, elles ont continué à expérimenter des façons d’organiser et d’utiliser leurs registres. Les raisons de ces différences peuvent être importantes. Bien que celles-ci puissent être le résultat direct de besoins administratifs particuliers – ou de la nomination d’administrateurs particuliers – dans des diocèses spécifiques, elles peuvent aussi provenir des attitudes et des priorités des évêques eux-mêmes.
5Les deux évêques sur lesquels nous nous concentrerons sont Hugues de Wells, évêque de Lincoln de 1209 à 1235, et son successeur immédiat, Robert Grosseteste, évêque de Lincoln de 1235 à 1253. Aucun des deux n’est natif du Lincolnshire. Hugues de Wells vient du Somerset. Sa carrière ecclésiastique commence à la fin du xiie siècle, dans le diocèse de Bath où il sert dans l’entourage de deux évêques consécutifs7. Son frère cadet, Joscelin, deviendra plus tard évêque de Bath et Wells8, ce qui suggère une certaine influence familiale dans le diocèse. Hugues ne reste cependant pas dans le Somerset. Bien au contraire, en 1199, il entre dans une autre sphère administrative où il y a des possibilités de promotion pour un jeune homme compétent : l’administration royale. Ce changement est probablement facilité par son réseau familial. Il est présenté à la cour du nouveau roi, Jean sans Terre, par un parent, Simon de Wells, qui était employé à la chancellerie royale par Hubert Walter9. Lorsque Simon devient évêque de Chichester, Hugues lui succède comme chancelier adjoint à la cour, apparaissant pour la première fois dans ce rôle en août 119910. En 1209, Hugues est élu évêque de Lincoln. L’obtention d’un évêché après un service loyal du roi n’est pas un événement inhabituel – certains hommes qui ont été maintes fois écartés pour un tel honneur semblent en avoir éprouvé de la frustration – et son élection soulève des soupçons d’influence royale indue. Une enquête pontificale est ordonnée mais il est impossible de prouver une quelconque interférence11. En tant que membre de l’épiscopat, Hugues rompt avec le roi Jean désormais excommunié et part rejoindre Étienne Langton, archevêque de Cantorbéry, en exil, ce dernier le consacrant évêque. Il y reste jusqu’en 121312. Son travail d’évêque commence vraiment à cette date, à son retour dans le diocèse de Lincoln, même s’il continue parallèlement à travailler pour l’administration laïque, par exemple comme juge itinérant pour le Lincolnshire en 121813. Il meurt le 7 février 123514.
6Son successeur, Robert Grosseteste, est un homme différent. Il ne bénéficie d’aucune influence familiale pour aider à sa promotion. Il semble plutôt être le fils d’une famille pauvre, peut-être du Suffolk15. Comme Hugues de Wells, on peut le trouver au début de sa carrière au service de certains évêques. Dans la vingtaine ou peut-être même à la fin de son adolescence – du milieu à la fin des années 1180 – il fait partie de l’entourage d’Hugues d’Avallon, évêque de Lincoln, qu’il quitte avant la mort de ce dernier pour travailler avec Guillaume de Vere, évêque d’Hereford16. Contrairement à Hugues de Wells, Robert Grosseteste était réputé pour son savoir. Déjà pour aller à Hereford, il avait été recommandé par un homme aussi important que Gérald de Galles (aussi connu sous le nom de Giraud de Barri) pour la qualité de ses grandes connaissances en droit et en médecine, et pour ses compétences solides dans les arts libéraux17. Sa formation et son ascension dans les cercles de l’Église se poursuivent. Il occupe d’autres fonctions ecclésiastiques : il est brièvement archidiacre de Leicester (dans le diocèse de Lincoln), avant de démissionner de ce poste et de l’un de ses bénéfices afin de se consacrer à l’encadrement pastoral de la paroisse de Sainte-Marguerite de Leicester. À Oxford, il est lecteur des Franciscains au début des années 123018. Au moment où il est élu évêque, en mars 1235, il a probablement déjà atteint la soixantaine et il est connu pour son travail scientifique, philosophique et théologique ainsi que pour ses manuels pratiques de pastorale, conçus pour le clergé. Robert Grosseteste reste sur le siège de Lincoln pendant dix-huit ans. Dans les décennies qui suivent sa mort, on se souvient de lui en particulier pour son enthousiasme pour la pastorale – la cure des âmes – qu’il avait lui-même placée au centre de ses priorités, comme le démontrent ses lettres, sermons et autres écrits19.
Les rouleaux épiscopaux : conception, évolution et usage
7Ces deux évêques, Hugues et Robert, ont chacun laissé un ensemble de rouleaux épiscopaux d’administration. En dépit de fortes similitudes de forme et de taille20, ces rouleaux diffèrent fortement les uns des autres dans la manière dont ils ont été conçus et conservés. Dans leur organisation et leur mise à jour, ils sont aussi très différents, bien qu’ils constituent deux ensembles de rouleaux administratifs s’appuyant sur les mêmes types d’informations.
8La chancellerie d’Hugues est productive et organisée. Ce dernier a développé et maintenu plusieurs séries de rouleaux. Les plus importants et les plus anciens de ces documents, commençant vers 1214, peu de temps après le retour d’Hugues en Angleterre21, sont les listes d’investitures, qui ont à première vue des entrées concises concernant les nominations dans les différents bénéfices du diocèse. Ces listes rassemblent les informations issues de la documentation administrative utilisée dans le processus d’investiture : lettres de présentation, enquête sur le candidat et introduction dans le bénéfice. Au verso figurent des nominations d’un autre genre : celles des chefs de maisons religieuses du diocèse. Dans les premières années de tenue de ce registre, les scribes travaillent visiblement pour trouver la manière la plus satisfaisante d’organiser ce matériau. Au début, les entrées semblent être ajoutées au fur et à mesure de l’arrivée des informations, sans différenciation, puis en 1218, la dixième année de l’épiscopat, la chancellerie commence à organiser les entrées par année de l’épiscopat22. L’année suivante, une nouvelle série de divisions est créée, les archives de chaque archidiaconé commençant à être conservées sur un rouleau distinct.
9Ces listes d’investitures, fournissant des informations importantes sur le clergé des paroisses, ont été complétées par ce que l’on appelle les rouleaux des chartes, qui ont subi un processus similaire de développement organisationnel. Ceux-ci comprennent des copies de lettres d’investiture et de collation accordées à des particuliers (il s’agissait de notifications officielles de l’évêque indiquant que telle personne avait été investie pour tel bénéfice) au recto des rouleaux, et une sélection plus diversifiée de documents au verso, y compris des accords concernant les chanteries de chapelles, des concessions privées de terres, de pensions et de dîmes, des accords dans les litiges concernant les églises, et d’autres documents. L’examen des mains ayant écrit ces rouleaux suggère que les enregistrements sont faits régulièrement et peu de temps après les événements qu’ils décrivent. De plus, à partir du début des années 1220, la chancellerie tient des registres de vicariats, relevant les détails des dispositions relatives aux vicariats individuels établis dans le diocèse, incluant l’identité du patron, les revenus et le nom de chaque bénéficiaire23. Dans les années 1230, on observe un autre développement administratif. Les vicariats sont désormais enregistrés dans un codex relié, plus facile à lire et à consulter, et le soin apporté à l’écriture et à la mise en page – ménageant de la place pour des entrées supplémentaires dans l’avenir – suggère que ce document était destiné à une utilisation et une conservation à long terme24.
10La chancellerie d’Hugues de Wells a donc produit un ensemble très organisé de documents administratifs. Pour maintenir cette efficacité, Robert Grosseteste aurait pu se contenter de poursuivre ce que son prédécesseur avait fait. Lui-même, dans sa brève période en tant qu’archidiacre de Leicester sous l’épiscopat d’Hugues, avait d’ailleurs dû avoir une certaine expérience de la collecte et de la transmission d’informations pour la tenue à jour de ces registres. Les archidiacres sont en effet chargés de superviser la présentation de nouveaux clercs dans leur archidiaconé et de faire connaître l’idonéité de ces hommes à l’évêque, par exemple. Par ailleurs, l’expertise cléricale nécessaire à l’entretien des registres épiscopaux est toujours présente dans le diocèse, même après le changement d’évêque. Plusieurs de ceux qui avaient servi Hugues restent à Lincoln pour travailler pour Robert Grosseteste, ce qui rend le processus de transfert administratif encore plus facile. Thomas d’Ashby, scribe et exécuteur testamentaire d’Hugues de Wells, figure par exemple dans l’entourage de Robert Grosseteste jusqu’en 1237. Jean de Banbury, également connu sous le nom de Jean de Saint-Gilles, sert les deux évêques25. D’ailleurs, pendant les quelques mois de vacance entre les deux épiscopats, un registre provisoire des investitures reprenant la forme des habituelles listes d’investitures d’Hugues de Wells est tenu à jour26.
11En dépit de cela, il n’y a pas de continuité administrative entre les deux épiscopats. On a pu considérer que les rouleaux de Robert Grosseteste étaient des versions simplifiées de ceux d’Hugues de Wells27 mais il serait peut-être préférable de les décrire comme le produit d’une pratique d’enregistrement centralisée non systématique. Les informations enregistrées par la chancellerie passent en effet d’une série de rouleaux différenciés à un seul ensemble de rouleaux. Ceux-ci sont encore répartis par archidiaconé mais ils comprennent, au recto, les vicariats et les investitures de toute sorte, tandis qu’un matériau documentaire comparable à celui des rouleaux d’Hugues de Wells figure au verso. L’enregistrement en volumes thématiques est complètement abandonné. Certains des problèmes des rouleaux de Robert sont partagés par ceux de Hugues. Dans les deux séries, il est difficile de se repérer (des titres marginaux sont ajoutés rétrospectivement aux rôles de Robert au cours de la dix-huitième année)28. L’une et l’autre omettent également certaines entrées concernant des clercs investis par l’évêque en place29. Par rapport à ceux d’Hugues, les rôles de Robert peuvent cependant sembler extrêmement négligés. Des informations importantes, telles que les noms ou les ordres des titulaires, sont omises dans les entrées individuelles, laissant les autorités diocésaines incapables aussi bien de garantir que chaque paroisse a accès à un clerc ayant reçu l’ordination, que de poursuivre des clercs absents dont elles ne connaissent peut-être pas les noms. Le rouleau concernant l’archidiaconé de Lincoln comporte des noms de candidats partiellement ou totalement manquants dans 14 % de ses entrées et les ordres des candidats manquent dans 3 % des entrées. Les rouleaux pour les archidiaconés d’Oxford et de Buckingham fournissent des statistiques similaires et, bien que d’autres rouleaux aient un pourcentage de lacunes inférieur, il n’y a jamais de rouleau où toutes les entrées sont entièrement complétées30. Une analyse des mains des rouleaux révèle également qu’ils ne sont pas soigneusement entretenus par la chancellerie. Contrairement aux scribes d’Hugues de Wells, ceux de Robert Grosseteste ne tiennent pas régulièrement à jour les registres. Le manque d’assiduité dans la mise à jour de tous les rouleaux des archidiaconés est notamment visible au cours des dernières années de l’épiscopat et, bien qu’il soit tentant de mettre cela sur le compte de l’âge avancé de Robert, ce n’est pas un argument convaincant. L’entretien des rouleaux ne dépend pas – ou du moins n’aurait pas dû dépendre – d’une surveillance constante de l’évêque s’ils sont déjà des documents administratifs considérés comme précieux. Ils sont détenus par la chancellerie et, à la fin de l’épiscopat, on pourrait s’attendre à ce que leur conservation soit devenue automatique et que l’administration ait l’habitude bien ancrée d’y enregistrer ce qui doit y figurer. Ce n’est d’ailleurs pas un problème limité aux années 1250. Même plus tôt dans l’épiscopat, il n’est pas inhabituel que les rouleaux soient mis à jour d’un coup alors qu’ils n’ont pas été complétés pendant un, deux ou trois ans. L’analyse des mains des scribes et des changements d’encre sur le rouleau du plus grand archidiaconé, celui de Lincoln, révèle que les derniers enregistrements de la cinquième année de l’épiscopat, tous ceux de la sixième année, ainsi que les premières entrées de la septième année ont été écrits en même temps. Sur le rouleau de l’archidiaconé d’Oxford, la fin de la deuxième année de l’épiscopat, toute la troisième et le début de la quatrième ont été écrites en même temps. Pour l’archidiaconé de Stow, une même main écrit les dernières entrées de la quatrième année et toutes celles de la sixième année en même temps mais omet complètement la cinquième année31.
12Comment expliquer cela ? Il ressort clairement des rouleaux de Robert Grosseteste que la chancellerie archive des documents originaux dans la cathédrale et en utilise au moins une partie pour l’élaboration des registres. Une caractéristique notable de ces rouleaux – omise dans leur édition de 1914 – est l’utilisation de notes marginales32. La plupart sont des références à des parties manquantes (dans les rouleaux) de ce qui devait constituer des dossiers d’archives, en général des lettres de présentation ou d’enquête. D’autres indiquent que certains des documents originaux relatifs à une entrée sur le rouleau ont été déplacés vers ce qui est clairement une autre partie du système de classement. Ce système est organisé par catégories de documents, puis par année et dans au moins un cas également par lettre, indiquant éventuellement un système de classement alphabétique33. Il est possible que ces dossiers de documents originaux soient, en fait, le principal outil de référence et d’administration de la chancellerie, ce qui signifierait que les rouleaux et leur maintenance ne sont qu’une préoccupation secondaire pour cette dernière.
13Cela soulève une autre question : pourquoi la chancellerie n’est-elle pas attentive à l’entretien des rouleaux ? Les dossiers de documents originaux ne sont pas faciles à utiliser et ne constituent pas un système de références efficace. Au milieu du xiiie siècle, les chancelleries épiscopales anglaises commencent à développer une certaine indépendance vis-à-vis de l’évêque ainsi qu’une cohérence et une continuité institutionnelles. Elles tendent à s’approprier les processus de production des documents, en particulier l’utilisation du sceau de dignité de l’évêque qui était détenu et utilisé par le chef de la chancellerie indépendamment de l’évêque lui-même, en particulier sur les documents éphémères, tandis que les chancelleries élaborent des formulaires standard que l’on retrouve sous des épiscopats différents. Indubitablement, le personnel et les formulaires dans les diocèses anglais du xiiie siècle sont désormais souvent liés à la chancellerie elle-même et non à l’officier qui la supervise34.
14Certains changements dans la production documentaire sont très clairs à Lincoln. Une certaine standardisation des formes dans des types de documents particulièrement courants est évidente pendant l’épiscopat de Robert Grosseteste. Par exemple, les documents signifiant les excommunications sont des demandes de l’évêque ou d’autres responsables ecclésiastiques pour que soit délivré le bref de excommunicato capiendo demandant au shérif du comté concerné d’arrêter les individus qui étaient restés excommuniés, au mépris de l’Église, pendant quarante jours ou plus35. Il s’agit de documents éphémères, mais qui doivent respecter des procédures juridiques particulières. Afin de garantir leur validité juridique et la rapidité de leur rédaction, ils deviennent progressivement très courants au sein de chaque diocèse, ne différant parfois que par la date et le nom de l’individu concerné36. Dans d’autres diocèses anglais, leur standardisation accrue est un indicateur de l’existence d’une chancellerie de plus en plus organisée et indépendante. Les quarante-trois notifications d’excommunication qui nous restent de Robert Grosseteste, bien qu’elles diffèrent de la forme utilisée par les successeurs de celui-ci, ne suivent que trois formulaires différents, qui n’ont que de très légères différences entre eux37. Des changements dans la façon dont les listes de témoins sont utilisées et envisagées peuvent également être repérés, à Lincoln comme ailleurs. En général, l’usage des listes de témoins change, dans les actes de la pratique anglais, à partir du début du xiiie siècle. Ce changement vient du fait que les témoins semblent cesser d’être nécessairement présents lors de la transaction enregistrée par le document et peuvent n’être présents qu’au moment de la rédaction du document lui-même. Bien que cela n’ait eu que peu d’effet en pratique sur les documents produits lors de la mention du nom des témoins, il y a une séparation de plus en plus grande entre la réalisation juridique de la volonté du donateur et le document qui en garde le souvenir et incarne cette volonté38. Dans les documents épiscopaux, cela est également évident : les listes de témoins disparaissent totalement de plusieurs catégories de documents délivrés par l’évêque ex officio39. À Lincoln, sous Robert Grosseteste, des listes de témoins subsistent encore dans les documents les plus fréquemment trouvés au verso de ses rouleaux, c’est-à-dire dans des lettres d’investiture confirmant la tenue d’un bénéfice par un individu en particulier. La manière dont ces documents ont été inscrits sur les rouleaux donne cependant à penser que l’administration a cessé d’accorder une grande attention à ces listes de témoins. Ainsi la lettre par laquelle est investi Simon d’Ardern, en qualité de recteur de l’église de Coleby, est inscrite par erreur deux fois dans le rouleau de l’archidiaconé de Lincoln. La première occurrence ne fournit que les deux premiers témoins, l’archidiacre d’Oxford et un Robert de Cadeney, puis note que la liste est « comme la liste ci-dessus ». La deuxième version du document donne la liste complète et permet de savoir que seuls ces deux premiers témoins sont en fait identiques à la liste de l’acte écrit au-dessus du premier enregistrement40. Les détails exacts de la liste sont manifestement devenus sans importance. La chancellerie n’a besoin d’enregistrer que les plus importants parmi les témoins, ceux qui comparaissent en premier. Ce sont des hommes d’un rang élevé qui pourront défendre le document en justice si nécessaire. Le reste des témoins peut être ignoré. Leur présence n’ajoute rien à la sécurité du document.
Deux évêques, deux parcours et deux conceptions de leur fonction
15Les registres épiscopaux semblent, dans certains diocèses, participer de ces développements et de ces changements, et être utilisés pour les enregistrements à long terme et comme formulaires41. Pourquoi n’est-ce pas le cas à Lincoln ? Pourquoi les scribes de Robert Grosseteste n’ont-ils pas fait l’usage que l’on pourrait attendre du système d’enregistrement épiscopal qui avait existé avant eux ? Ils avaient pourtant hérité d’un modèle d’organisation administrative qu’Hugues de Wells avait établi, qui avait été affiné par sa chancellerie pendant vingt ans jusqu’en 1235, et qui avait commencé à intégrer la nécessité d’utiliser des formats plus faciles à utiliser comme le codex.
16La réponse à ces questions réside probablement dans la personnalité des deux évêques, leurs antécédents, leurs objectifs et leur compréhension de l’administration du diocèse. Hugues de Wells et Robert Grosseteste représentent deux types d’évêques très différents : l’administrateur pour l’un et le pasteur pour l’autre. Les fonctions de l’évêque en tant que seigneur temporel et en tant que seigneur spirituel sont toujours en tension, tout comme ses fonctions de gouverneur du diocèse et de berger des âmes. Hugues de Wells comprend l’accent mis par le mouvement réformateur sur la pastorale. Il est présent en personne au concile de Latran IV42. Cependant, il considère qu’une administration efficace est essentielle pour atteindre ces fins spirituelles. Robert Grosseteste, quant à lui, reconnaît l’importance des deux aspects de sa mission. Par exemple, en écrivant à la comtesse de Lincoln au sujet de la succession de cette dernière, il démontre une conscience de l’administration temporelle de son propre diocèse et de sa maison, connaissant le coût quotidien des petites dépenses43. Cependant, il ne fait aucune tentative pour encourager sa chancellerie à considérer les registres en rouleaux comme ayant une importance centrale et il n’effectue aucune vérification de leur entretien. La pastorale, qu’il considère comme une question distincte, est pour lui d’une bien plus grande importance.
17Hugues, comme son homologue d’York, Gautier de Gray, qui a également produit un rouleau épiscopal précoce et encore conservé, est un administrateur royal qui a passé de nombreuses années à travailler dans la chancellerie royale44. Il a été le témoin et l’un des acteurs des changements administratifs qui y ont été introduits par Hubert Walter. Il comprend le fonctionnement d’une administration royale efficace et centralisée telle qu’elle s’est développée en Angleterre et il y accorde une grande importance. Face au double problème de l’administration croissante du xiiie siècle et de la gouvernance du plus grand diocèse du pays, sur lequel il a besoin d’exercer un contrôle rapide après environ quatre ans d’exil, lui et ses clercs cherchent un moyen d’organiser leur travail afin de garder le contrôle du clergé paroissial et des chefs des maisons religieuses. Leur solution est d’ordre administratif : la réponse au souci pastoral est de savoir qui doit être où, et d’envoyer la bonne personne au bon endroit, au bon moment. Le système qui fonctionne pour le gouvernement royal doit fonctionner pour lui aussi : une collection de rouleaux administratifs, à adapter et à compléter autant que de besoin. Bien qu’il puisse être influencé par le concile de Latran IV et les recommandations de ce dernier pour le soin de l’âme de l’individu et la tenue d’archives juridiques de bonne qualité, il ne trouve pas là son principal moteur. Hugues commence en effet à tenir à jour des rouleaux avant le concile et, bien qu’il les adapte par la suite, inscrit cette initiative dans un processus graduel. Il compte parmi les grands administrateurs séculiers et épiscopaux de son époque.
18L’approche de Robert Grosseteste est différente. Celui-ci n’est pas un administrateur comme l’a été Hugues de Wells. Il n’a aucune expérience du gouvernement royal. Deux traits le caractérisent. Il est à la fois un membre du clergé qui croit en l’importance de la pastorale personnelle – en 1231, il a démissionné de fonctions administratives bien rémunérées pour se concentrer sur son travail pastoral dans une paroisse – et un savant qui pense que toutes les études peuvent et devraient être utilisées pour la gloire de Dieu45. Ses lectures théologiques et philosophiques l’ont convaincu de l’importance centrale de l’évêque dans la supervision du salut de tous les hommes et les femmes de son diocèse. Latran IV a ordonné à tous les évêques de prendre soin de l’âme des fidèles et les prêtres de paroisse sont souvent avertis du danger que court leur âme s’ils négligent le salut de leurs propres paroissiens. L’avertissement de Grégoire le Grand concernant le danger pesant sur l’âme des clercs de paroisse qui négligeraient le salut de leurs paroissiens est en effet souvent répété au xiiie siècle46, mais Robert étend encore davantage le champ de sa responsabilité. Pour lui, c’est l’évêque, responsable de l’ordination et de l’investiture du clergé paroissial, qui assure la pastorale quotidienne. Si, en tant qu’évêque, il accorde un bénéfice à un clerc indigne, c’est sa propre âme qui était en danger et il risque de se retrouver parmi les meurtriers au jour du jugement dernier47.
19L’influence que cette théorie de la responsabilité pastorale a sur l’attitude de Robert Grosseteste vis-à-vis de l’administration se retrouve dans certains de ses sermons et discours prononcés avant et après son élection comme évêque. On pourrait penser que les rouleaux épiscopaux, qui contiennent tant d’entrées sur la désignation de pasteurs dans les paroisses, sont importants pour la pastorale de Robert. Ces pasteurs constituent en effet le clergé qui assume le rôle important de mener les fidèles au salut : ils sont les hommes dont l’action conditionne le propre salut de l’évêque. Mais ce n’est pas ainsi que Robert considère la question. Ses sermons et ses discours révèlent que, pour lui, l’expérience personnelle et vécue du présent est bien plus importante que l’expérience archivée du passé. Dans une série d’images et de métaphores tirées de la production documentaire – liées à la fois à l’écriture et au scellement –, il démontre que, pour lui, la pratique au présent est plus importante que la conservation des traces du passé. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’il ne tente guère de s’assurer que ses rouleaux administratifs sont régulièrement tenus et organisés.
20Dans deux textes, probablement écrits avant de devenir évêque, Robert Grosseteste oppose la valeur de l’écrit, qui est mort, au processus vivant de la pensée et de la parole48. Dans les deux cas, il parle de l’utilisation des Écritures et des quatre sens de ces dernières traditionnellement reconnus au Moyen Âge. Sa description de l’écriture des manuscrits se situe donc dans ce contexte mais pourrait également faire référence à la conservation de tout document écrit, y compris administratif. L’un de ces textes est construit autour d’une citation du livre d’Ézéchiel concernant la rédaction des Écritures. Robert s’appuie alors sur une image assimilant l’esprit à un livre49. Alors qu’il discute de l’interprétation allégorique des Écritures, il soutient que la lecture doit être un processus réflexif : elle doit produire un changement chez le lecteur, qui devient alors partie intégrante du processus de lecture. Ce processus doit avoir une valeur : les Écritures, dit-il, sont mieux écrites sur un esprit vivant que sur une peau d’animal mort50. L’expérience présente a plus de valeur que le souvenir du passé. Dans un autre sermon, qui discute et développe la métaphore assimilant la plume à la langue, Robert souligne la valeur de la langue vivante – qui peut écrire sur l’esprit des mots d’or – par opposition à la plume ordinaire qui ne fait que salir avec des lettres noires ce qu’il appelle à nouveau une simple peau d’animal mort51. La parole est dangereuse, reconnaît-il. Un discours hâtif et inconsidéré pourrait entraîner les hommes dans le péché et causer des dommages aux autres. C’est un discours vivant, éclairé par la lecture des Écritures, qui peut s’avérer transformant52. Bien qu’il s’agisse ici de la lecture des Écritures, pour Robert Grosseteste, cela s’applique également au soin pastoral présent. Le contraste qu’il dessine entre l’esprit vivant et la langue, d’une part, et la peau d’animal mort du parchemin, d’autre part, correspond à celui établi entre le présent, l’expérience vécue, d’une part, et le passé, le texte gardé en mémoire, d’autre part. Ce dernier est peut-être plus sûr et il peut avoir son intérêt, mais la mémoire n’est pas en soi quelque chose qui peut conduire à la transformation de soi et au salut.
21La pratique – c’est-à-dire l’action et la compréhension découlant de l’expérience vécue – est donc supérieure au souvenir. Elle comprend en particulier l’expérience personnelle vécue et l’exemple qui devrait être offert par chaque membre du clergé dans le cadre de la pastorale, les sermons épiscopaux de Robert Grosseteste utilisant l’image du sceau apposé sur un document pour l’expliquer. En prêchant sur le bon pasteur – c’est-à-dire le bon clerc – Robert souligne l’importance pour le prêtre d’exprimer l’amour de Dieu pour l’humanité53. En se concentrant sur le bien – c’est-à-dire sur l’amour – le prêtre reflétera cet amour pour ceux qui l’entourent, une idée que Robert développe par ailleurs longuement dans son commentaire sur les psaumes54. Cela, pour Robert, est assimilable au scellement. Tout comme la cire, fermement appliquée à la matrice, reçoit la beauté à travers l’apparence des formes et des figures gravées dans la matrice, l’âme, à travers son expérience grandissante de l’amour, est fermement appliquée à Dieu et montre sa beauté. La pratique active et vivante du prêtre est d’une importance capitale pour transmettre la compréhension de cela et « impressionner » les paroissiens par l’amour de Dieu qui assurera leur salut.
22L’évêque utilise à nouveau une image similaire en 1239. Il profite de son synode diocésain, le rassemblement du clergé du diocèse, à la fois pour faire circuler un ensemble de statuts épiscopaux auprès de ses prêtres paroissiaux et pour prêcher devant son clergé sur le texte « Vous êtes un sacerdoce royal ». La métaphore étendue du prêtre en tant que roi comprend une section sur l’importance de donner un exemple de bonne vie à ses paroissiens ou à ses sujets55. La vie et la pratique du prêtre, dit Robert Grosseteste, sont comme la gravure sur la matrice d’argent : son impression se verra sur la cire molle de chaque paroissien. Les erreurs de gravure apparaîtront, reproduites, dans le troupeau du prêtre. Ce dernier doit conduire ses paroissiens vers le salut par la démonstration qu’il fait d’une bonne vie et par son engagement avec eux à travers la prière, la prédication et la confession56. Pour ce faire, cependant, le prêtre doit être à la fois présent et actif, tout comme la matrice elle-même doit être activement pressée dans la cire. Il doit être là dans la paroisse pour prêcher, enseigner et prier nominativement pour ses paroissiens57. La chose la plus importante est l’influence du prêtre exercée individuellement sur ces derniers. Les deux images utilisées par Robert Grosseteste – le parchemin écrit et le document scellé – montrent que ce qui est important pour lui est l’expérience active, présente et vécue des hommes et des femmes de la paroisse. Le souvenir des circonstances entourant cette expérience n’a qu’un intérêt secondaire et accessoire.
23Pour Robert lui-même, comme nous l’avons déjà noté, son salut personnel est intimement lié au fonctionnement de la pastorale : si une âme de son diocèse était damnée, la sienne le serait également. Sa croyance en l’importance de l’exemple vécu – qui a été enseigné dans les canons du concile de Latran IV sur la pastorale du xiiie siècle et dans le travail des Pères de l’Église tels que Grégoire le Grand – et en l’urgence du salut le conduit à s’impliquer personnellement au sein de son diocèse. Cela se voit dans les visites de paroisses qu’il est peut-être le premier évêque anglais à effectuer, et au cours desquelles il enquête à la fois sur la qualité de la « matrice » du pasteur de la paroisse, sur « l’impression » qui en résulte chez les laïcs et les paroissiens, et sur les modalités pratiques de ce « scellement » par la prédication et les sacrements58. On pourrait, en fait, dire que Robert Grosseteste ne croit pas à la délégation. Certes, alors qu’il ordonne à ses archidiacres de s’acquitter de leurs fonctions, il croit (comme il l’écrit au doyen et au chapitre de la cathédrale de Lincoln) que, même si l’autorité peut être partagée, elle ne peut jamais être déléguée59. Cela l’amène à s’impliquer lui-même dans son diocèse à tous les niveaux. On peut supposer que le diocèse d’Hugues de Wells avait été géré au mieux, avec peut-être de vraies réussites pastorales, mais Robert Grosseteste est certainement le plus impliqué des deux prélats, de ce point de vue. Avec un tel accent mis sur le travail en paroisse, il n’est pas surprenant que Robert accorde peu d’importance à l’enregistrement des événements passés dans ses rouleaux. La mise en place de bons clercs paroissiaux est vitale mais l’enregistrement de l’investiture de ces derniers, dans le passé, n’a rien qui puisse les améliorer, contrairement au travail fait au bénéfice de leur comportement présent.
⁂
24Lorsque les moines de Cantorbéry, au xiie siècle, eurent connaissance du règlement de leur conflit avec le roi, tranché à la cour pontificale, à la fois par des documents écrits et par un message oral qui semblaient contradictoires, il y eut, selon Eadmer, un différend entre les moines et les représentants des évêques pour savoir lequel comptait le plus : le parchemin mort avec un morceau de plomb attaché, qui était néanmoins tangible, ou le message oral vivant qui était pourtant éphémère. Certains moines résolurent le problème en soulignant que les saintes Écritures aussi étaient couchées sur du parchemin60. Pour Robert Grosseteste, la lecture des Écritures est vitale pour le clergé mais aucun écrit ne suffit en soi. Il doit en résulter une expérience personnelle, vécue, présente et transmise à ceux qu’il appartient de guider vers le salut. L’histoire des registres des évêques de Lincoln dans la première moitié du xiiie siècle n’est donc pas l’histoire d’une efficacité accrue mais de changements, de faux départs et d’attitudes différentes à l’égard des registres et de la tenue de ces derniers. La pratique de l’enregistrement, même dans des registres épiscopaux apparemment standardisés et produits par la chancellerie, dépend en partie des perspectives de chaque évêque. Hugues de Wells est un administrateur dans l’âme, tandis que Robert Grosseteste est un réformateur. L’attention continue portée par ce dernier à la guérison des âmes dans le diocèse l’amène à mettre l’accent sur une administration décentralisée et à focaliser son attention sur la paroisse. Une administration moins centralisée correspond également à la position théologique et philosophique de Robert sur l’obligation personnelle de l’évêque dans la pastorale. Cela donne à tous les individus – clercs et laïcs – la responsabilité du salut des âmes. L’intérêt personnel de Robert pour certaines préoccupations spécifiques, associé à son administration déconcentrée, a fait de l’entretien des rouleaux une tâche moins urgente pour le gouvernement du diocèse. Alors que les registres peuvent constituer un outil pour la pastorale – ce qui a peut-être été le cas sous Hugues de Wells –, ils peuvent aussi être vus comme des entraves à la pastorale. Les changements et les développements dans la tenue des registres sont donc probablement les conséquences aussi bien de convictions théologiques personnelles que du développement progressif de l’administration et de la bureaucratie.
Notes de bas de page
1Texte traduit de l’anglais par Grégory Combalbert.
2Pour des exemples de registres organisés comme des formulaires, voir les registres (xiiie siècle) de Guillaume Wickwane et de Jean Romeyn, archevêques d’York : Borthwick Institute, University of York, Archbp. Reg. 3 and 4, édités par Brown William (éd.), The Register of William Wickwane, Lord Archbishop of York, 1279-1285, vol. CXIV, Surtees Society, 1907 et Brown William (éd.), The Register of John Le Romeyn, lord archbishop of York, 1286-1296, 2 parties, vol. CXXIII et CXXVIII, Surtees Society, 1913-1917.
3Phillimore William P. W. et Davis Francis D. (éd.), Rotuli Hugonis de Welles, episcopi Lincolniensis, 1209-35, Londres, Canterbury and York Society, 1907-1914, 3 vol.
4Cheney Christopher R., English Bishops’ Chanceries 1100-1250, Manchester, Manchester University Press, 1950, p. 96-99 ; Clanchy Michael, From Memory to Written Record, Oxford, Wiley-Blackwell, 2012 (3e éd.), p. 56.
5Cheney C., English Bishops’ Chanceries, op. cit., p. 98 et 115-116 ; Kemp Brian R., « Informing the Archdeacon on Ecclesiastical Matters in Twelfth-century England », in Michael J. Franklin et Christopher Harper-Bill (dir.), Medieval Ecclesiastical Studies in honour of Dorothy M. Owen, Woodbridge, Boydell Press, 1995, p. 146-149, pour une discussion générale sur les matricula. Pour l’étude détaillée d’un pouillé normand régulièrement actualisé, voir la contribution de Grégory Combalbert et Émeline Mancel dans le présent volume.
6Churchill Irene J., Canterbury Administration, 2 vol., vol. I, Londres, Society for Promoting Christian Knowledge, 1933, p. 4 ; Churchill I., « The Archbishops’ Registers », in Edward Bill (éd.), Medieval Records of the Archbishops of Canterbury, Londres, Faith, 1962, p. 12 ; Jenkins Claude, Ecclesiastical Records, Londres, s. n., 1920, p. 41 ; Cheney C., English Bishops’ Chanceries, op. cit., p. 108-109 ; Cheney Christopher, From Becket to Langton English Church Government 1170-1213, Manchester, Manchester University Press, 1956, p. 65 ; Foster Charles W., « The Lincoln Episcopal Registers », Reports and Papers of the Architectural and Archaeological Societies of the County of Lincoln and the County of Northampton, vol. XLI, 1935, p. 155-156 ; Fowler Robert C., Episcopal Registers of England and Wales, Londres, Society for Promoting Christian Knowledge, 1918, p. 103 ; Frankforter A. Daniel, « The origin of Episcopal Registration procedures in Medieval England », Manuscripta, vol. XXVI, 1982, p. 67-89.
7Ramsey Frances M. R. (éd.), English Episcopal Acta 10: Bath and Wells 1061-1205, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. liii, lv et lviii.
8Kemp Brian R. (éd.), English Episcopal Acta: Bath and Wells 1206-1247, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. xxvii-xxxv.
9Smith David M., The Administration of Hugh of Wells, Bishop of Lincoln, 1209-1235, PhD, University of Nottingham, 1970, 2 vol., au vol. II, p. 181-182.
10Round John H. (éd.), Calendar of Documents preserved in France illustrative of the History of Great Britain 1, AD 918-1216, no 1103, Londres, HMSO, 1899, p. 391-392.
11Cheney Christopher et Cheney Mary G. (éd.), The Letters of Pope Innocent III (1198-1216). Concerning England and Wales: a Calendar With an Appendix of Texts, no 851, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 140-141.
12Luard Henry R. (éd.), Matthaei Parisiensis monachi Sancti Albani Chronica Majora, Londres, Longman, 1872-1883, 7 vol., au vol. III, p. 528 ; Smith D. M., Administration of Hugh of Wells, op. cit., p. 189-192.
13Stenton Doris M. (éd.), Rolls of the Justices in Eyre for Lincolnshire 1218-19 and Worcestershire 1221, Londres, Quaritch, 1934, p. 66, no 151.
14Madden Frederic (éd.), Matthaei Parisiensis, monachi Sancti Albani, Historia Anglorum, sive, ut vulgo dicitur, Historia minor. Item, ejusdem Abbreviatio Chronicorum Angliae, Londres, Longman, 1866-1868, 3 vol., au vol. II, p. 376.
15Madden F. (éd.), Matthaei Parisiensis, op. cit., vol. II, p. 376 ; Southern Richard W., The Growth of an English Mind in Medieval Europe, Oxford, Clarendon Press, 1992 (2e éd.), p. 63-64 ; McEvoy James, The Philosophy of Robert Grosseteste, Oxford, Clarendon Press, 1982, p. 5-6 ; McEvoy James, Robert Grosseteste, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 9-10.
16Smith David M. (éd.), English Episcopal Acta 4: Lincoln 1186-1206, Oxford, Oxford University Press, 1980, p. xxx ; Barrow Julia (éd.), English Episcopal Acta 7: Hereford 1079-1234, nos 207-209, Oxford, Oxford University Press, 1993, p. xliv, li et lviii.
17Brewer John S., Dimock James F. et Warner George F. (éd.), Giraldus Cambrensis Opera, Londres, Longman, 1861-1891, 8 vol., au vol. I, p. 249.
18Little Andrew G. (éd.), Thomas of Eccleston, De adventu Fratrum Minorum in Angliam, Manchester, 1951, p. 48 ; Goering Joseph et Mantello Frank A. C. (éd.), The Letters of Robert Grosseteste, Bishop of Lincoln, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 78-79 ; Luard Henry R. (éd.), Roberti Grosseteste Episcopi quondam Lincolniensis Epistolae, Londres, Longman, 1861, p. 45-47.
19Goering Joseph et Mantello Franck A. C. (éd.), « Introduction », in Robert Grosseteste Templum Dei, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1984 ; Wenzel Siegfried, « Robert Grosseteste’s Treatise on Confession Deus Est », Franciscan Studies, vol. XXX, 1970, p. 218-293.
20Pour une description matérielle détaillée des rouleaux, voir Smith David M., Guide to Bishops’ Registers of England and Wales: a Survey from the Middle Ages to the Abolition of Episcopacy in 1646, Londres, Offices of the Royal Historical Society, 1981, p. 107.
21Smith David M., « The Rolls of Hugh of Wells, bishop of Lincoln 1209-35 », Bulletin of the Institute of historical Research, vol. XLV, 1972, p. 170-171.
22Ibid., p. 171.
23Ibid., p. 172-174.
24Lincolnshire Archives, DIOC/ADD REG/6, édité par Gibbons Alfred W. (éd.), Liber Antiquus de Ordinationibus Vicariorum tempore Hugonis Wells Lincolniensis Episcopi 1209-1235, Lincoln, Williamson, 1888 ; Smith D. M., « The Rolls of Hugh of Wells », art. cité, p. 175 ; Foster C., « The Lincoln episcopal registers », art. cité, p. 158.
25Major Kathleen, « The Familia of Robert Grosseteste », in Daniel A. Callus (dir.), Robert Grosseteste: Scholar and Bishop. Essays in Commemoration of the Seventh Centenary of His Death, Oxford, Clarendon Press, 1955, Appendix I, p. 216-241, aux p. 219-220.
26Lincolnshire Archives, D&C/Dij/62/1/1.
27Major K., « The Familia of Robert Grosseteste », art. cité, p. 237.
28Hoskin Philippa (éd.), Robert Grosseteste as Bishop of Lincoln: The Episcopal Rolls, 1235-1253, Woodbridge, Boydell Press, 2015, p. xxx.
29Hoskin P. (éd.), Robert Grosseteste, op. cit., p. xxxi ; Smith D., « The Rolls of Hugh of Wells », art. cité, p. 171 ; Major K., « The Familia of Robert Grosseteste », art. cité, p. 217.
30Hoskin P. (éd.), Robert Grosseteste, op. cit., p. xxxii.
31Ibid., p. xxxiv, xxxviii et xxxix ; Smith D., « The Rolls of Hugh of Wells », art. cité, p. 176.
32Davis Francis N. (éd.), Rotuli Roberti Grosseteste Episcopi Lincolniensis AD MCCXXXV-MCCLIII, Londres, Canterbury and York Society, 1914.
33Hoskin P. (éd.), Robert Grosseteste, op. cit., p. xlv-xlvi.
34Hoskin Philippa, « Authors of Bureaucracy: Developing and Creating Administrative Systems in English Episcopal Chanceries in the Second Half of the Thirteenth Century », in Paul Binski et Elizabeth A. New (dir.), Patrons and Professionals in the Middle Ages: Proceedings of the 2010 Harlaxton Symposium, Donington, Shaun Tyas, 2012, p. 70-73.
35Pour une discussion détaillée sur ce point, voir Logan Francis D., Excommunication and the Secular Arm in Medieval England, Toronto, Pontifical Institute oif Mediaeval Studies, 1968.
36Hoskin Philippa, « Delineating the Development of English Episcopal Chanceries through the Signification of Excommunication », Tabularia, Dossier Actes épiscopaux et abbatiaux en Normandie et dans le grand Ouest européen, mis en ligne le 14 novembre 2011, p. 35-47, [http://journals.openedition.org/tabularia/597] ; DOI : [https://doi.org/10.4000/tabularia.597].
37Ibid., p. 41.
38Haskins George L., « Charter witness lists in the reign of King John », Speculum, vol. XIII, 1938, p. 321-322 ; Thorne Samuel E., « Livery of Seisin », in Samuel E. Thorne, Essays in English Legal History, Londres/Ronceverte, Hambledon Press, 1985, p. 45-46 ; Broun Dauvit, « The presence of witnesses and the writing of charters », in Dauvit Broun (dir.), The Reality Behind Charter Diplomatic in Anglo-Norman Britain, Glasgow, University of Glasgow, 2011, p. 270-271.
39Hoskin P., « Authors of Bureaucracy », art. cité, p. 63-64.
40Hoskin P. (éd.), Robert Grosseteste, op. cit., nos 569 et 573.
41Hoskin P., « Authors of Bureaucracy », art. cité, p. 69-77.
42Pour une liste de ceux ayant assisté au concile voir Werner Jakob, « Der Teillnehmerliste des Laterankonzils, v. J. 1215 », Neues Archiv der Geselleschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, vol. XXXI, 1906, p. 575-593.
43Oschinsky Dorothea (éd.), Walter of Henley, and Other Treatises in Estate Management and Accounting, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 393.
44Édité par Raine James (éd.), The Register or Rolls of Walter Gray, Lord Archbishop of York, 1215-1255, Durham, Andrews, 1872.
45McEvoy J., Robert Grosseteste, op. cit., p. 28-29.
46Lawrence Clifford H. (éd.), The Letters of Adam Marsh, Oxford, Clarendon Press/Oxford University Press, 2006-2010, 2 vol., au vol. I, p. 22-23 et vol. II, p. 177-181 et 307-309 ; Grégoire le Grand, « Regula Pastoralis », PL, t. CCXVI, p. 617-618.
47Goering J. et Mantello F. (éd.), Letters of Robert Grosseteste, op. cit., p. 174-176 ; Luard H. (éd.), Epistolae Grosseteste, op. cit., p. 146-147.
48Voir ses dicta 19 et 54, dans les notes de ses sermons et discours qu’il a lui-même collectées au début de son épiscopat. Un manuscrit de cette collection datant du xiiie siècle est conservé : Bodleian Library, ms. Bodley 798.
49Dictum 19, Bodleian Library, ms. Bodley 798, fol. 16 ro ; McEvoy James, « Laudat sensum et significationem: Robert Grosseteste on the Four Senses of Scripture », in Jane Dammen McAuliffe, Barry D. Walfish et Joseph W. Goering (dir.), With Reverence for the Word: Medieval Scripture Exegesis in Judaism, Christianity and Islam, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 241-246.
50Dictum 19, ms. Bodley 798, fol. 17.
51Dictum 54, ms. Bodley 798, fol. 43 ; Goering Joseph et Rosenfeld Randall, « The Tongue is a Pen: Robert Grosseteste’s Dictum 54 and Scribal Technology », The Journal of Medieval Latin, série 12, 2002, p. 114-140.
52Dictum 54, ms. Bodley 798, fol. 43 vo.
53Dictum 91, ms. Bodley 798, fol. 69.
54Ginther James, Master of the Sacred Page: a Study of the Theology of Robert Grosseteste c. 1229/30-1235, Aldershot, Ashgate, 2004, p. 165-167.
55Dictum 51, ms. Bodley 798, fol. 38.
56Dictum 51, ms. Bodley 798, fol. 38 vo.
57Dictum 51, ms. Bodley 798, fol. 38.
58Cheney Christopher R. et Powicke Frederick M. (éd.), Councils and Synods with Other Documents Relating to the English Church, II: A.D. 1205-1313, Oxford, Clarendon Press, 1964, 2 vol., au vol. I, p. 262.
59King Edward B., Robert Grosseteste and the Pastoral Office, PhD, Duke University, 1949, p. 78-79 ; Goering J. et Mantello F. (éd.), Letters of Robert Grosseteste, op. cit., p. 376-377, 380-382 et 396 (Luard H. [éd.], Epistolae Grosseteste, op. cit., p. 359, 363-365 et 383).
60Rule Martin (éd.), Eadmeri Historia Novorum in Anglia, Londres, Longman, 1841, p. 132-140.
Auteur
Parker Library, Corpus Christi College, Cambridge, Université de Cambridge.
Philippa Hoskin est membre et directrice de la Parker Library, Corpus Christi College, Cambridge, et professeure à la faculté de théologie de l’université de Cambridge. Ses recherches actuelles portent sur le développement des formes d’administration dans l’Angleterre des xiiie et xive siècles.
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