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Chapitre VI. L’intégration culturelle et cultuelle

p. 165-200


Texte intégral

Thomas Dobrée, l’armateur amateur d’art

1La plume de Julien Gracq résume, mieux que quiconque, le « personnage » Thomas II Dobrée :

Quant au musée Dobrée, comme le passage Pommeraye, il reste surtout le legs monumental à sa ville d’une de ces personnalités abruptes, à la fois caricaturales et volumineuses. […] L’architecture indéfinissable de ce testament d’un excentrique (flanqué d’une tour destinée à servir de gîte d’étape – hélas ! bien peu fréquenté – aux oiseaux migrateurs en difficulté), devait être rattachée en définitive au style irlandais. […] Ce Dobrée, lunatique et ami des Lumières, si éclectiquement préoccupé des fins dernières de l’homme, me plaît. Quoi qu’il en soit de son donateur, au fond de ma mémoire, il fait bon se tenir, par un après-midi d’été, dans les salles du musée Dobrée. On dirait du logis d’un collectionneur que l’accumulation sans frein des trouvailles successives a expulsé peu à peu, sans drame et comme par un processus naturel, de son espace habitable : c’est moins un musée qu’une maison colonisée où les dépouilles du tableau de chasse se sont installées en squatters, et en fin de compte ont obtenu le droit de cité. En quoi, il s’apparente aux seuls musées qui me touchent, qui sont des coquilles humaines expropriées, et qui sont presque tous fils à la fois de la cohabitation, du progrès rongeur d’une passion dévorante et du hasard1. »

2Thomas II Dobrée naît à Nantes, le 31 août 1810, et son nom est apposé par le pasteur Dejoux dans le registre initial des baptêmes de l’église réformée de Nantes aux côtés des enfants Say, Berthault, Anthus, Jacobi, Bourcard, Favre, Delaroche (famille liée aux Delessert), Dumoustier, Voruz, Philippe, Petitpierre, Pelloutier, et Pierre-Antoine Labouchère, futur acteur culturel dont nous reparlerons plus loin. C’est cette génération qui a modelé l’histoire urbaine et portuaire, industrielle et culturelle de la ville de Nantes au cours du xixe siècle.

3Héritier de la fortune de son père Thomas I Dobrée, Thomas II marque de son empreinte la ville par la constitution d’une collection gigantesque de 10 000 œuvres d’arts graphiques et décoratifs. Pour abriter ces acquisitions, il imagine et bâtit un palais qu’il lègue dans un premier temps à la ville de Nantes. Mais un désaccord sur l’alignement des rues jouxtant sa propriété, entraîne la modification de son testament en faveur du département. Ce cas est unique en France. Celui de la propriété d’un protestant dont l’objectif est la naissance d’un musée au cœur de la ville, reconnu, aimé des Nantais, sur un espace de plus d’un hectare et demi qui réunit deux bâtiments remarquables : le palais Dobrée, de style néo-médiéval, avec sa tour haute de 30 mètres et le manoir de la Touche, ancienne résidence épiscopale.

Une tradition familiale tournée vers les arts et l’urbanisme

4Son grand-père, Pierre-Frédéric, aimait acquérir des gravures et lavis du port de Nantes. Il fit confectionner un ex-libris héraldique aux armoiries de la famille « de gueules à un croissant mi-parti (en pal) or et argent entre trois trèfles d’argent2 ». Ces armoiries sont toujours conservées à Guernesey, dans la cathédrale de Saint-Peter Port, et au sommet d’un vitrail de l’église du Catel. Des portraits de Pierre-Frédéric et de son épouse Rose Schweighauser sont réalisés à Nantes. Ils affichent ainsi leur rang. Le goût des objets et l’attrait des belles choses font partie de leur univers. Son fils Thomas I est aussi un amateur d’art. Dès son plus jeune âge, dans une lettre adressée à son père lors d’un passage par les Pays-Bas, il loue les peintres flamands, l’architecture et l’urbanisme des villes. Il n’a alors que 20 ans et cette découverte des arts au service de l’urbanisme à l’aspect industrieux le fascine. Son irrésistible ascension nantaise l’amène vers les plus beaux immeubles et à une vie mondaine dans les propriétés des notables. Mobilier de l’ébéniste Vautrin, réceptions, habits de la rue Saint-Honoré, objets personnels armoriés font de Thomas I Dobrée un amateur de l’élégance, trait de sa personnalité éclipsé par l’image d’un homme tourné vers son travail d’armateur et les expériences industrielles.

5Son épouse, Frédérique Möller, est elle-même artiste à ses heures. Elle dessine, dans un album relié, à la mine de plomb ou à l’aquarelle, des scènes de chasse, des gravures d’animaux, des rencontres familiales à Chassenon, en Vendée, propriété de son frère. Elle croque également des portraits des époux Dobrée Möller. Mais Thomas I est aussi un excellent dessinateur qui reproduit sa maison d’armement. Cet excellent communicant sait que, pour attirer les regards, le dessin est un bon vecteur. Il prend aussi plaisir à faire réaliser des objets précieux, tels le marteau à tête d’argent et manche d’ébène réalisé pour la cérémonie de la pose de la quille du navire Fils-de-France en présence du duc d’Angoulême. C’est à Thomas I, son père, que Thomas II doit en grande partie la collection des pièces de Chine, services à vaisselle armoriée, statuettes en terre crue, gouaches ou bien encore boîtes à thé. Plus étonnant de la part d’un homme voué à la mer, et très peu connu du grand public, est l’attrait que porte Thomas I à l’urbanisme. Il réalise des croquis dans la perspective de différents projets. C’est ici le plan d’une machine à lever l’eau de la Loire pour des fontaines publiques, ou bien encore, là un projet de thermes à Guernesey3. Il présente le projet du programme d’un concours qui serait récompensé par un prix national pour la réalisation de canaux desservant les villes portuaires en bord de Loire. L’argumentation relève à la fois de l’ingénieur et du politique : ce concours doit, « après avoir démontré ces avantages, qu’il prouve que le gouvernement a un intérêt à faire un emprunt pour le faire, qu’il amortira moyennant une somme de deux millions de francs au budget chaque année4 ».

6Thomas I est un citoyen engagé pour que tout un chacun s’instruise. Il fonde ainsi la première école communale protestante d’enseignement mutuel, en 1818, rue de la Bastille. Elle accueille, par an, environ 250 enfants protestants d’origine modeste dont les parents ne peuvent subvenir aux coûts de l’enseignement dispensé par les congrégations religieuses. Il projette également de créer une chaire universitaire de droit commercial, publique et gratuite. Plus étonnant encore : il projette de bâtir un musée-école pour la ville de Nantes : « Mon vœu est de parvenir à la construction d’un établissement qui réunirait des musées de tout ce qui peut intéresser les arts et les sciences, et d’établir à côté d’eux des écoles où un très grand nombre d’individus seraient instruits5. » Il va même jusqu’à dessiner les plans du musée à l’encre de Chine. Rien n’est oublié : espaces de conservation, galeries d’exposition, salles d’enseignement, logements administratifs et bureaux pour la Société académique. « Je voudrais que cet établissement fut ce qu’il n’y a jamais eu de plus beau, de plus grand, de plus complet en son espèce, que la construction des édifices fut de la première solidité et d’un luxe proportionné à l’objet. »

7Dans la même lettre, il associe à ses vues sa descendance, à commencer par son fils Thomas II : « Je les lie par forme de testament à l’exécution de mes volontés, et pour mieux assurer je constitue un majorat en faveur de l’aîné de mes enfants afin qu’il puisse être en mesure de vaquer à cet objet. Tous mes descendants participeront gratis à tous les bienfaits de l’établissement6. » On comprend mieux, entre les lignes de cette missive testamentaire, le profil de Thomas II, fils unique, descendant sans héritier, dépositaire d’un projet de musée qu’il entreprend plus tard jusqu’à l’obsession. Thomas I imagine également un cimetière entièrement rénové et dévolu aux protestants. « Et si ce cimetière ne pouvait rivaliser avec celui du Père Lachaise par la richesse de ses tombeaux, il le surpasserait par sa distribution et ses promenades7. » Projet qui aboutira au réaménagement sommaire du carré protestant au cimetière Miséricorde.

8Par ailleurs, Thomas I ne cache pas son goût pour l’archéologie, les monnaies anciennes, romaines notamment. Il croque admirablement les monuments mégalithiques, parmi lesquels le dolmen de Saint-Nazaire et s’intéresse à la tradition druidique. Il dessine des scènes bretonnes dans ses carnets de voyages. Le trait est net, les couleurs pastel rehaussées à la plume témoignent d’une réelle maîtrise de l’aquarelle et de l’encre de Chine. Lors d’un séjour à Nîmes, il peint différents monuments romains dont le temple de Diane et les arènes. Rien ne semble hors de portée de Thomas I. Cet inlassable travailleur trouve sans doute ses moments de détente dans l’art et dans les projets culturels qui influenceront probablement son fils. On retrouve chez ce dernier ce même goût pour l’archéologie, la culture bretonne, la numismatique, le projet et la réalisation d’un musée. Armateur incontournable sur le port, héritier d’une immense fortune à la mort de son père, Thomas II est davantage tourné vers les arts par lesquels toute son enfance a été baignée.

9Cette volonté d’influence sur l’urbanisme, hérité de son père, poussera plus tard Thomas II à entreprendre des démarches auprès de Gabriel Lauriol, alors adjoint à l’urbanisme et conseiller général qu’il croise le dimanche au temple, dans le but d’aérer le quartier de son futur domaine, et « assainir la moralité jusqu’ici douteuse de la rue des Catherinettes, occupée par des maisons de prostitutions et détruire différentes maisons8 ». Mais sans succès. Son projet de raser le quartier en contrebas de son domaine pour dégager la vue jusqu’au port reçoit une fin de non-recevoir catégorique. Il vouera dès lors une rancune tenace à l’égard de la municipalité. Rancune d’autant plus vive qu’il a en mémoire son grand-père, Pierre Frédéric, en charge de l’aménagement urbain sous le municipe de Christophe-Clair Danyel de Kervégan, en 1790 pendant la Révolution. Charge dont celui-ci faillit démissionner à cause de la réticence de certains, due à sa qualité de protestant, et de la demande qu’on lui opposa de présenter une lettre de naturalisation9. Son grand-père, comme son père, Thomas I, ont à l’évidence le sens de l’organisation et de l’ordonnancement urbain. C’est ainsi que Thomas I, également conseiller municipal présente en 1820, un projet d’alignement de la rue Boileau.

Thomas II l’armateur contrarié ou le collectionneur bâtisseur

10Ainsi est dépeint en 1898 Thomas II Dobrée par Pitre de Lisle du Dreneuc, premier conservateur du musée Dobrée :

« Il y avait à Nantes, dans les dernières années du règne de Charles X, un grand jeune blond, de taille droite, élancée, et ayant tout à fait le genre et les manières d’un Anglais, ce qui était fort à la mode. Ses goûts le faisaient beaucoup remarquer ; il adorait les livres anciens, les gravures, les autographes. Comme les amateurs étaient rares en ce temps-là, surtout dans une ville de province, il n’en fallait pas davantage pour être regardé comme excentrique. […] La foule ne jugeant que sur le dehors, raillait son originalité10. »

11En 1828, Thomas II est officiellement armateur, activité qu’il exerce jusqu’en 1838. Sa carrière maritime est peu connue car elle se mène par procuration. Il bénéficie du soutien de Frédéric de Coninck avec lequel il fonde la société Thomas Dobrée, de Coninck & Cie. Il poursuit l’activité de la pêche à la baleine, tente de monter une entreprise industrielle de filature de lin au 11 rue Menou avec le soutien du protestant et maire Ferdinand Favre, puis une entreprise de savon de palme à Rezé. Ses navires importent principalement du café (48,4 % du poids total), du riz (22,1 %), du poivre (22,1 %)11. Le départ de Coninck au Havre signe la fin progressive de sa carrière d’armateur et la société est liquidée le 31 décembre 1838.

12Comme son père, son plan de développement est tourné vers l’Extrême-Orient. Par ailleurs, Thomas II ne s’allie qu’avec des protestants. La société est en effet détenue par Bourcard, Luther, (également membre du consistoire) et Philippe. 51 % sont détenus par Thomas II, de Coninck et Henri d’Allens12. Les 15 % restants par sa mère et son épouse ainsi que par deux subrécargues, Laroche et Georges Mac-Mahon. Ce dernier protestant, d’origine irlandaise, n’a aucun lien de parenté avec Patrice de Mac-Mahon, aux origines jacobites et Président de la République de 1875 à 1879.

13Thomas II ne cache pas son peu d’intérêt pour les affaires maritimes. Ainsi cet acte notarié : « Le devoir de gérer les affaires incombe particulièrement à Frédéric de Coninck ; Thomas Dobrée n’entend y participer qu’autant que cela lui conviendra13. » Une stratégie se dessine alors. Coninck comprend vite l’intérêt de créer une succursale au Havre pour au moins deux raisons : à partir des années 1830, l’armement nantais réalise que les colonies aux Antilles ne sont plus rentables. Il faut donc diversifier le trafic du sucre vers l’île Bourbon. Au départ des ports français, les navires sont chargés de zinc, de fer et de carreaux. Le négociateur sur place n’est autre que Nicolas Cézard de la maison hollandaise Suermondt et Cie. Par ailleurs, la loi permet, à partir de 1834, une réduction de 20 % sur tous les produits naturels, autres que le sucre pour ne pas concurrencer Bourbon, importés en droiture et sous pavillon français d’Extrême-Orient et d’Océanie. Mais Nantes n’est plus capable d’accueillir des navires à fort tonnage. Le port du Havre est plus accessible et plus proche de Paris dont les entrepôts intérieurs permettent de recevoir les marchandises avant de les livrer à la consommation14. La vallée inférieure de la Loire ne transporte plus rien par voie d’eau car il manque une ligne en continu entre Nantes et Paris. Enfin, le mode de financement s’effectue en grande partie grâce aux traites de Nicolas Cézard. C’est ainsi que des relations privilégiées conduisent en 1839 Coninck à devenir officiellement son fondé de pouvoir au Havre, lors de sa séparation avec Thomas II.

14Le mode de financement des expéditions de la maison Dobrée est très simple. Des navires sont envoyés à Batavia. Cézard reçoit les marchandises et touche de confortables commissions à la revente. Il charge les cargaisons de café en retour. La maison Dobrée perçoit ainsi la différence entre le prix de revient de la cargaison de café et le produit de la vente de la marchandise du voyage retour. Les navires se limitent à des expéditions vers les Philippines, les Mascareignes, les côtes de l’Inde et les îles de la Sonde. Pour les autres destinations, on a recours à un subrécargue, tel Mac-Mahon, pour négocier la vente des marchandises. Il est indéniable que la maison Dobrée, de Thomas I à sa liquidation par Thomas II, est la seule capable à Nantes d’entretenir des relations commerciales internationales à ce niveau, entre 1818 et 1839, avec la Chine et l’Océan Indien. De mars 1835 à mai 1839, la maison de Thomas II Dobrée arme ou affrète 16 bâtiments, soit 4 par an et en reçoit 4 en consignation15.

15Coninck est à la manœuvre et Thomas II demeure relativement éloigné de ces montages commerciaux et financiers. Il fréquente bien les quais du port mais pour dessiner des navires à la gouache, maniant aussi les rehauts d’encre de Chine ou bien encore les esquisses au crayon. « Souvenir du père ? Nostalgie ? Quelles méditations sont les siennes devant l’activité du port16 ? » Est-ce le souvenir d’un père surmené par ses affaires qui l’éloigne du négoce ? Jeune, Thomas II est plus souvent dans les musées parisiens, à contempler les expositions que dans ses bureaux. Il est vrai que l’immense fortune dont il hérite lui permet d’envisager sereinement l’avenir. Son père laisse une rente de 64 000 F pour son épouse veuve Dobrée et 11 000 F pour Thomas II. Un document permet de mieux mesurer le patrimoine légué17. Cette fortune estimée à 32 millions de francs nouveaux en 1997, équivaut à près de 7 millions d’euros d’aujourd’hui.

16Dès son plus jeune âge, Thomas II fait preuve d’un talent certain lorsqu’il observe et libère sa créativité : ses croquis représentent la nature animale ou végétale, des scènes de pêche ou de chasse, peut-être dessinées au cours de ses séjours au château de Briord alors propriété de Duboisviolette qui sera son principal conseiller l’âge adulte venu. Cette prédisposition au dessin est confirmée par sa formation à Paris ; il laisse alors à Coninck et à Duboisviolette le soin de gérer la société. Son désintérêt pour les affaires est patent lorsqu’il séjourne de 1830 à 1832 à proximité des grands boulevards parisiens. Il fréquente les ateliers des maîtres parisiens et approfondit ses connaissances en histoire de l’art. Il reçoit très probablement une formation en dessin d’architecture qui s’avérera très utile lors de la construction de son futur domaine. Ses études de motifs architecturaux, ses esquisses d’immeubles conservées au musée Dobrée attestent une réelle maîtrise de cet art. Art qu’il cultive par ailleurs dans des études de personnages et de paysages tout au long de sa vie.

17Il rencontre des collectionneurs les plus illustres, des bibliophiles tels Richard Heber qui avait réuni plus de cent vingt mille ouvrages anciens. Quelle ambition, quel dessein derrière ce séjour parisien ? Il n’est possible que de supposer ici, faute des témoignages précis. Que Thomas II Dobrée ait aussi songé à devenir l’un de ces collectionneurs qui participent à l’histoire de leur ville en fondant un établissement culturel ou en contribuant au renom de celle-ci, cela ne serait pas surprenant. Dans le même temps, un premier musée imaginé par son père est inauguré à Nantes à la Halle au Toile (halle toujours existante rue de Feltre)18. Il n’a alors que 21 ans.

18Ce bibliomane possède une collection ancienne très diversifiée et d’une grande rareté. Elle réunit livres de chasse, bibles anciennes, romans de chevaleries, et surtout de botanique pour lesquels il voue une véritable passion. Son penchant pour ces livres « rustiques », comme il les appelle, est-il né lors de ses séjours à Briord ? « Je ferais pour eux des folies », disait-il. Ces œuvres forment un ensemble de 120 livres dont 54 sont consacrés à la chasse et 66 à l’agriculture et aux jardins19. Car Thomas II ne se contente pas de collectionner ; il s’instruit et devient un expert en botanique. Lorsqu’il obtient son baccalauréat en 1828, il se rend en premier lieu au jardin botanique de Rennes. Ce n’est pas l’endroit idéal pour les affaires que son père rêvait de lui confier.

19Inlassablement il acquiert plus d’une centaine d’incunables imprimés avant 1500. Sa collection dépassant les 1 500 autographes est une des plus importantes de France : les lettres de rois croisent les bulles papales et quelques correspondances des chouans Henri de la Rochejaquelein et le Comte de Charette20. Il recherche des autographes inédits : ainsi demande-t-il à son mandataire, Giraud de Savine, d’acquérir des mandats de paiement et des quittances « comme preuves de la cupidité des grands seigneurs de ce temps et des gaspillages des finances du royaume », notamment la quittance concernant la somme versée de 3 000 livres au duc de la Trémoille, « données au moment où il abjurait le protestantisme21 ».

20Amateur d’estampes, son goût se porte sur les gravures religieuses, historiques ou de portraits illustres. Ses préférences vont aux peintres flamands et allemands ; s’y mêlent des Rembrandt, des Schongauer, Van Meckenem, Dürer… Aucun genre n’échappe à sa curiosité artistique à l’exception d’un seul : sa collection ne comporte aucune œuvre impressionniste. Bien que contemporain de ce mouvement qui marque une rupture avec l’art académique, il demeure un homme de son temps, conservateur dans les deux sens du terme : toutes ses acquisitions sont antérieures aux années 1840 et il ne cache pas son aversion pour la modernité. Véritable numismate, il collectionne les monnaies romaines, gauloises, ducales. Médiéviste en objets religieux, détenteur de meubles anciens issus d’autres collections, Thomas II est insatiable dans sa quête de vie consacré au culte du passé.

Voyage artistique de la Bretagne à l’Orient

21Thomas II est captivé par l’histoire bretonne et par les langues celtiques. La figure nantaise de la duchesse Anne de Bretagne et future reine de France, épouse des rois Charles VIII et Louis XII, le fascine. Son engouement pour les ducs n’est pas uniquement lié au manoir de la Touche, manoir où décéda le duc de Bretagne Jean V et dont il fit l’acquisition, mais aussi à la Renaissance, période durant laquelle la bien-aimée duchesse jouit encore d’une popularité inégalée dans la mémoire collective des Nantais. L’art de cette époque, les châteaux de la Loire en particulier ne pouvaient le laisser indifférent. Outre l’acquisition de nombreux ouvrages des xviie et xviiie siècles, Thomas II devient propriétaire de médailles à l’effigie de la duchesse, de lettres signées de sa main ou de meubles supposés lui avoir appartenu.

22Cela lui vaut d’acquérir des faux : il en est ainsi de quelques lettres imitant la signature de la duchesse alors devenue reine, et surtout de la chaire (ou cathèdre) aux armes de France et de Bretagne sur laquelle elle était supposée avoir trôné. Cette pièce de référence était publiée dans un ouvrage de l’architecte Viollet-le-Duc ; Thomas II se crut à l’abri de toute mauvaise surprise. Mais les faussaires et les pastiches de toute nature foisonnent au xixe siècle. « Pas plus que les plus grands collectionneurs, il ne put échapper à ce que la recherche scientifique se permet aujourd’hui de reconnaître comme des “erreurs”22 », souligne Jacques Santrot. Ceci étant, sur plus de 10 000 pièces authentifiées de la collection, les « œuvres » de faussaires restent marginales.

23La Bretagne, pour Thomas II, c’est la beauté des paysages des œuvres de Roussin, un intérêt avéré pour les langues celtiques ou bien encore cette étonnante maxime écrite en Gallois, langue cousine du Breton, sur la tour carrée de son palais : « Ann o ianaf a rog ac’hanoun » qui peut se traduire par « Le doute ronge mon cœur23 »… Ce vif intérêt de Thomas II pour la duchesse est-il à l’origine du dépôt du reliquaire d’Anne de Bretagne, après sa mort, au musée, en 189624 ? L’écrin du cœur de la duchesse a été réalisé par un orfèvre anonyme de la cour de Blois à la mort de celle-ci en 1514 et représente pour beaucoup un symbole fort de la Bretagne. La reine Anne, duchesse de Bretagne, avait souhaité que son cœur soit inhumé auprès de ses parents. L’écrin dissimulé dans le couvent des Carmes et sauvé de la fonte durant la Révolution fut transféré au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale. Récupéré par la Ville de Nantes en septembre 1817 et oublié dans une armoire de l’hôtel de ville pendant plus de trente ans, la municipalité accepte que l’écrin soit exposé en 1886 au musée départemental hébergé par la Ville, dans la chapelle de l’Oratoire. En 1896, le reliquaire rejoint le musée Dobrée. Dans l’entre-deux-guerres, une vive polémique oppose le conservateur des musées du château des Ducs de Bretagne, propriété de la Ville de Nantes qui souhaite le récupérer, et celui du musée Dobrée, qui contexte vigoureusement sa restitution. Presque un siècle après, la polémique n’est pas refermée. Enfin, tout comme son père, il s’intéresse à l’Extrême-Orient, acquiert des porcelaines, des livres et des vases chinois ou japonais. La peinture, dans sa collection, correspond à son siècle : l’Orient de Bonaparte durant sa campagne d’Égypte, l’Orient des écrivains, l’Orient des peintres et celui plus proche des conquêtes coloniales de la seconde moitié du xixe siècle25.

Thomas II Dobrée, un protestant confirmé

24Thomas II est un calviniste fervent. Il épouse Jane Walsh (1813-1889) le 16 novembre 1836, au temple protestant de Nantes, en présence du pasteur Louis-César Rosselet. Cette femme peu connue est la fille de James Walsh, un vicomte irlandais propriétaire à Stadalt et résidant à Sucé-sur-Erdre. A-t-elle eu de l’influence dans les choix artistiques de son mari ? Quelle fut son rôle en société en dehors des actions de bienfaisance ? Elle sut se montrer discrète dans l’opulence. Magali Robelet souligne que « les Dobrée adoptent un style de vie simple, conforme à la doctrine calviniste qui refuse l’exhibition de la richesse26 ». Le couple Dobrée participe aux bonnes œuvres selon les recommandations de l’Évangile : porter secours à son prochain. Renoncement de soi, dévouement aux autres poussent les Dobrée à participer au comité de secours de l’église. Mais pas seulement protestante ; ainsi des dons sont régulièrement effectués en faveur des petites sœurs des pauvres de Chantenay, ou lors de fêtes de charité catholiques dans la ville. Il soutient la société industrielle de son coreligionnaire Voruz dans le cadre de la « Société industrielle », dont l’objectif est d’enseigner et d’améliorer le sort du monde ouvrier. En cela, suivant les préceptes de la Réforme, Dobrée participe à l’émancipation de l’être humain par l’accès aux connaissances.

25Connaissances toujours en fondant, avec sa mère, l’école protestante de la rue Dugommier en 1841, à la suite de celle fondée par son père rue de la Bastille27. Thomas II Dobrée initie, pour l’époque, un projet singulier : créer une école professionnelle gratuite et qualifiante pour les jeunes filles et ainsi aménager une annexe de l’école du commerce et de l’industrie dans son manoir du Grand-Blottereau. Le souci de l’enseignement pratique prime presque sur le reste. Il rejoint ainsi la volonté de son père qui avait proposé de créer une chaire de droit commercial, toujours gratuite et publique, pour répondre aux besoins de formations économiques et juridiques dans une ville portuaire en mutation. Il envisage même de confier l’encadrement des jeunes filles à des religieuses28 ; ce qui est exceptionnel venant d’un protestant de l’époque. Pour les Dobrée, charité ne rime pas avec bonne conscience mais avec principe d’utilité. Les Dobrée se conforment à la vision de Jean Calvin, quant à la position de l’individu dans son environnement, son destin, son engagement dans le travail et sa relation avec Dieu. Les Dobrée valorisent particulièrement la responsabilité de l’homme envers ses semblables. Servir ses semblables ? N’est-ce pas la vocation fondamentale de l’être humain, selon Calvin ? La solidarité, la responsabilité sociale, sont ainsi des composantes essentielles de l’enseignement du réformateur29. En instaurant le service des diacres, auquel Thomas I participa au consistoire de Nantes, en organisant l’Hôpital général ou en accueillant à Genève des milliers de réfugiés protestants, Calvin a remarquablement appliqué ce principe auquel Thomas II est tant attaché.

26Malgré un caractère peu conciliant, son intelligence a durablement influencé les actions d’entraides collectives nantaises à l’égard des plus nécessiteux. Ce lien en apparence sociable est cependant circonscrit au domaine parfaitement bien organisé des notables. Il en est ainsi du « bazar », qui n’en a que le nom, initié par les épouses des notables protestants : la mère, Frédérique Möller et Jane Walsh l’épouse de Thomas II animent cette œuvre de charité pour laquelle les dons affluent. L’armateur protestant Thomas Chéguillaume donne 1 000 F en 1864 ainsi qu’aux petites sœurs des pauvres pour lesquelles Thomas II a un préjugé très favorable30. On peut citer les Möller, Philippe, Bourcard qui délient généreusement leurs escarcelles en faveur des pauvres protestants. Familles d’ailleurs toutes associées à la société Dobrée, de Coninck et Cie… Cette générosité l’amène à recevoir de nombreuses demandes. Personne ne sait combien ont reçu un retour favorable. Cependant il léguera, à sa mort, des biens et espèces considérables en faveur des plus nécessiteux.

27Son épouse, Jane Walsh, n’est pas membre de la famille Walsh de Chassenon, en Vendée, que nous avons évoqué précédemment. Cette dernière est irlandaise jacobite, donc catholique, corsaire pour le roi de France et dont les membres sont des négriers notoires ruinés lors de la perte de Saint-Domingue. Cette accointance avec les Jacobites Irlandais est une curieuse constance dans l’histoire de la famille Dobrée. Car l’acquisition de l’espace sur lequel Thomas II bâtit son palais se situe sur un terrain nommé « Le domaine des Irlandais »… avec pour origine des Irlandais jacobites, très antiprotestants, ayant trouvé refuge en France principalement à Nantes au cours du xviie siècle. Ce n’est pas le cas de Jane Walsh. Elle est calviniste et l’une de ses arrière-grands-mères Anne Judith Foissin (1702-1788) est la fille du banquier huguenot et négociant en vin de Paris Paul Foissin, mariée par le chapelain de l’ambassadeur d’Angleterre à Paris31. Jane est de santé fragile et les Dobrée font très régulièrement des séjours à Cauterets station thermale des Hautes-Pyrénées où Thomas II s’y ennuie passablement32. Le culte protestant a lieu chaque dimanche dans une salle de la mairie, avant l’inauguration du temple en 1862 encouragée par la présence de nombreux curistes et estivants de confession réformée. Seul moment de distraction hormis sa correspondance active avec le collectionneur Giraud de Savine, intermédiaire pour le compte de Thomas II qui souhaitait conserver l’anonymat. C’est par la médiation de Giraud de Savine que Thomas II acquiert un fonds de 300 ouvrages manuscrits ou imprimés de la Réforme protestante. Ce fonds compte quatorze ouvrages de Calvin dont un de 1551 ainsi que deux exemplaires de Christianoe religionis instutio. Figure aussi l’original de la Bible dite des Palatins traduite par Martin Luther et édité en 1561. Les éditions originales de Calvin, Luther, Melanchthon, Théodore de Bèze, Staupitz ainsi qu’Érasme, et de bien d’autres encore, figurent dans sa collection.

28L’imprimerie, « dernier don de Dieu » tel que la qualifiait Martin Luther, ne pouvait laisser indifférent le protestant Dobrée. Ainsi, il ne veut céder à aucun prix le Nouveau Testament de Lefèvre d’Étaples car bien qu’il soit une traduction, il a été édité « par un des premiers protestants en opposition avec Rome qui interdisait la traduction de ce livre33 ». Il veut absolument acquérir la Bible d’Olivétan imprimée à Neuchâtel. Mieux encore et fait ignoré du grand public, les mascarons et modillons à l’effigie de Jean Calvin sont en bonne place aux quatre angles de la tour carrée du palais et placés au deux-tiers de sa hauteur. Au nez et à la barbe de la Nantes catholique34.

Mais un protestant très tourmenté : « Le doute ronge mon cœur »

29Jane Walsh décède en 1889. Thomas II, affecté, est veuf sans héritier et plongé dans la tourmente de la construction du palais, l’œuvre de sa vie. On distingue, la devise écrite, étrangement, en langue galloise, dont la terre est majoritairement protestante. L’énigmatique maxime « Le doute ronge mon cœur » sur la face sud de la tour carrée du palais, résume-t-il le tempérament obstiné du constructeur collectionneur et de l’homme rongé par les doutes35 ? La ferronnerie de la devise ainsi que l’animal sont en bronze et réalisés par Jean-Simon Voruz. L’étrange créature représente un serpent croisé avec un lézard ailé et rappelle la légende des dragons. Il entoure de ses pattes griffues un cœur en pierre qu’il semble dévorer.

30À l’image de Martin Luther, Thomas II est-il tourmenté quant à la question de son salut ? Parmi sa collection de 300 ouvrages, en lien avec les écrits de la Réforme, il possède l’édition De œrterna Dei prœdestinatione, ouvrage de Jean Calvin sur la prédestination de 1552. Est-il sensible à la démonstration de Calvin qui soutient la thèse de la souveraineté absolue de Dieu ? Selon le Réformateur genevois, l’homme, étant par nature mauvais et corrompu, est dès sa naissance prédestiné. Certes il peut s’améliorer par le travail au détriment de la rente et des plaisirs superficiels pour être élu mais le choix final revient à Dieu. La présence de Thomas II Dobrée au sein de la communauté est discrète même s’il œuvre en faveur de la fondation de la maison de retraite protestante à laquelle il fournit un terrain et alloue une rente annuelle. Tout comme son ami Hippolyte Durand-Gasselin, il est membre du conseil presbytéral tant que l’orthodoxe Benjamin Vaurigaud est pasteur à Nantes. Il envisage même de léguer sa fortune au consistoire36.

31On peut raisonnablement penser que le mal qui le ronge est lié à un accident survenu à l’âge de huit ans. À l’angle de la rue Crébillon et de la rue Boileau (en face du futur passage Pommeraye), Thomas chute lourdement sur une plaque d’égout. Première rencontre malheureuse avec l’urbanisme nantais ! De cet accident découle une infirmité à vie : un genou fléchi, une main droite fracturée. En vieillissant, cette infirmité du genou lui cause de vives souffrances qu’il surnomme « le serpent ». Dans une lettre à Giraud de Savine, il évoque ses souffrances mais trouve réconfort à la lecture du livre de Job dans l’Ancien Testament. Dans un courrier de 1864, « il paraît bien que c’est le serpent qui est aussi la cause du mal de genoux […]. C’est un rhumatisme goutteux dont je souffre depuis quatre ans ». Dans un autre, daté de la même année, il rappelle à Giraud de Savine, le mal dont il souffre sous toutes ses formes, « mal physique et mal spirituel, et aussi, le monde médical, le caducée du médecin étant entouré d’un serpent37 ». Il semble entretenir une colère sourde contre son temps, « qui s’exprime toujours en termes d’opposition entre un temps religieux et pieux et un temps athée et amoral38 ». Probe et pessimiste, son caractère s’est forgé de ses doutes religieux et de la confrontation entre ses convictions et son époque. L’homme est souvent seul, fuit les mondanités et déteste l’agitation sociale. Il ne cache pas ses idées réactionnaires, peu républicaines. Il vilipende même la Révolution française à laquelle son grand-père avait pourtant participé :

« Pour lui, la guillotine de 93 avait coupé la France en deux : d’un côté, l’éblouissante lignée de nos gloires, de nos grands hommes, un temps où l’esprit se dilatait, où les cœurs battaient joyeux sous les brillants costumes ; de l’autre, notre époque mesquine, étriquée comme un fardeau prétentieux gêné dans son habit noir. Comment voulez-vous, disait-il, que l’on vive l’esprit à l’aise dans une maison où l’on sait que les laquais égorgent les maîtres pour prendre leur place39 ? »

32Il est furieux quand il apprend que l’école protestante fondée par ses parents et lui-même devient école communale. Il entre alors en conflit avec le maire républicain et coreligionnaire Charles Lechat :

« Tout tend à l’iniquité et à l’irréligion. Ainsi ma mère et moi avions établi à Nantes une école protestante où les enfants étaient élevés pieusement et honnêtement. Malheureusement, par la sottise de nos ministres [les pasteurs NDLR] séduits par une misérable subvention de la ville, l’institution était devenue communale et voici qu’il est interdit d’y donner aux enfants aucune éducation religieuse40. »

33Cependant, il feint d’oublier que le conseil municipal avait également mis fin dès le 17 août 1871 au versement des allocations à des écoles catholiques comme auparavant à l’école protestante de la rue Dugommier. 1877 est une année où Thomas II semble accablé. Le 28 décembre, il écrit au correspondant d’un fief seigneurial dont il continue à toucher les rentes : « Je vois avec chagrin que probablement je ne retournerai jamais à Guernesey à moins que le radicalisme qui nous menace de plus en plus ne nous oblige à nous réfugier près de vous41. » Un an déjà auparavant, déprimé, il écrivait au peintre Étienne Roussin, « ma demeure sera probablement un triste endroit que vous ne connaissez pas, je pense, à l’ouest de notre Ville, que l’on nomme, peut-être par antiphrase Miséricorde. Grand jardin planté de cyprès où l’on ne va qu’à contrecœur se reposer, si encore l’on doit y trouver le repos42 ». Est-ce le droit féodal qu’il possède sur les terres de Guernesey qui le tourmente et le conduit à vivre continuellement dans le passé ? Il vilipende la IIIe République : « Moins que jamais je ne voudrais réduire le peu que je possède hors de cette abominable France où je suis enchaîné43 ! » Il n’hésite pas non plus à dénoncer, selon lui, la décadence morale et politique du pays. Thomas II, enfermé dans un passé inaccessible, a vraiment du mal à vivre avec son temps. Et il ne reverra jamais Guernesey.

34Il se consacre alors avec acharnement à l’œuvre de sa vie mais l’analyse de sa foi le tourmente. Ainsi doute-t-il de sa tradition religieuse et envisage même de se convertir au catholicisme. Il entretient une correspondance avec un jésuite, le révérend père Matignon qui lui écrit en 1863, après que Thomas II ait cessé toute relation : « La doctrine catholique qui nous lie l’un et l’autre mérite bien certainement un examen approfondi. […] Croyez-moi, si vous voulez vraiment arriver à la vérité ne craignez point de le demander à ce Dieu qui est la vérité même. Pour moi, je le lui demanderai pour vous et j’espère qu’il m’exaucera44. » En clair et entre les lignes, « convertissez-vous ».

35Le jésuite ne peut pas savoir, qu’entre-temps, Thomas II est entré dans une colère noire à l’encontre de son unique nièce, Sophie Blount, fille de sa belle-sœur, Sophie Walsh, et d’Henry Blount. Sophie Blount se convertit au catholicisme en 1874 lorsqu’elle épouse Henri de Kersabiec dont la famille ne peut supporter l’idée d’un mariage protestant45. Cette conversion est vécue comme une trahison. Thomas II, furieux et rancunier, déshéritera son unique descendante. Cependant il entretient une relation de grande confiance, entre 1890 et 1895, année de son décès, avec l’abbé Parent qui le visite régulièrement et l’accompagne dans ses rares sorties. L’entourage soupçonne même le curé de vouloir détourner quelques richesses d’un homme affaibli. Selon Claire Aptel, « c’est celui-ci qui dut le supplier de continuer à venir le voir. L’abbé Parent accepta, à la condition que les conversations ne portent plus sur des sujets religieux46 ». Il ne cacha pas non plus la tentation d’agnosticisme qu’il eut à la mort de son père. La mort qui rôde le saisit le soir du 3 octobre 1895. Mourant, souffrant d’urémie, ce n’est pas le pasteur Jean-Albert Dartigue-Peyron qui est appelé mais l’abbé Parent qui arrive trop tard et ne peut que constater le décès de son ami. Sa dépouille reposa place Graslin, à son domicile, loin de son palais inachevé et un long cortège de personnalités, amis et anonymes le visitèrent.

36Les obsèques ont lieu quatre jours plus tard. Plusieurs milliers de personnes assistent aux funérailles et accompagnent sa dépouille de la place Graslin jusqu’au carré protestant du cimetière Miséricorde, après un culte d’action de grâce au temple. Quelques heures précédant son ultime parcours dans les rues de Nantes, Thomas II avait bien involontairement marqué les esprits selon Julien Gracq :

« Dobrée, qui avait pris des mesures préparatoires minutieuses pour se faire accompagner à sa dernière demeure par des prêtres de toutes les religions, avait manqué sa sortie : le jour de l’enterrement, le cercueil, échappant à la prise des porteurs, avait descendu l’escalier tout seul, et, accélérant sa glissade de marche en marche, était venu se fracasser aux pieds des lamas, derviches, chamans et talapoins, surpris d’avoir été convoqués du bout du monde pour constater un excès de vitesse47. »

37Thomas II, comme son père, est mort d’épuisement. Son projet l’a absorbé jusqu’à l’obsession. À la lecture de ses courriers, il se révèle nostalgique d’un temps passé, religieux, mystique même et il juge son époque comme athée et débauchée. Ainsi ne verra-t-il pas l’aboutissement de son labeur consacrée à la quête des œuvres du passé. La vie de Thomas Dobrée marque en partie l’histoire culturelle et urbaine de Nantes : celle d’un palais, dont la construction donna du fil à retordre aux bâtisseurs et à la ville mais aujourd’hui considéré comme patrimoine exceptionnel, fierté de Nantes et de la Loire-Atlantique.

Thomas II Dobrée : un manoir, un palais, un musée

38Sa riche collection d’arts graphiques et décoratifs ne pouvait être dispersée éternellement dans ses différentes demeures et entrepôts. C’est ainsi qu’en 1862, il acquiert, non loin du port, le domaine dit « des Irlandais » au lieu-dit « Latousche-lès-Nantes ». À cet emplacement, s’élève le manoir « Jean V » et la chapelle Saint-Gabriel, édifiés par Jean de Malestroit, évêque de Nantes et reconstructeur de la cathédrale catholique de Nantes au xve siècle. Le manoir est riche d’une histoire singulière : au xvie siècle, il faisait fonction d’hôpital pour les pestiférés et les protestants blessés durant les guerres civiles puis accueillit, de 1695 à 1793, les prêtres catholiques irlandais chassés par les protestants de ce même pays… avant de devenir propriété de Thomas II, protestant marié à une irlandaise. Le lien avec l’Irlande est une constante familiale. Son grand-père Pierre-Frédéric Dobrée avait demeuré quelques semaines en 1775 à Lorient chez un irlandais jacobite, le négociant André Gallway, chassé de Cork par les anglicans. C’est par son intermédiaire que Pierre-Frédéric achetait du thé de contrebande en provenance de Chine pour l’expédier ensuite en Angleterre48.

39L’acquisition du manoir fut facilitée par des acquisitions antérieures de terrains alentour dont un appartenait à l’armateur protestant Thomas Chéguillaume. Promis à la ville puis au conseil général de la Loire-Inférieure, à la suite d’une vive querelle quant à la disposition de ses rues contiguës, le domaine de Thomas Dobrée connaît alors une histoire étonnante que l’on raconte encore. C’est sur ce vaste terrain de près de deux hectares, que Thomas II décide de bâtir une « folie » pour abriter à la fois ses collections et y résider. C’est la châsse de saint Calminius, reliquaire et chef-d’œuvre de l’orfèvrerie limousine du xiiie siècle, acquise en 1861, qui fut le déclencheur de l’opération49. Dans l’esprit de Thomas II, il n’est alors pas question de musée. Dans un premier temps, il rénove le manoir fraîchement acquis pour y installer quelques-unes de ses collections.

40Par l’intermédiaire de Giraud de Savine, Thomas II fait appel au prestigieux architecte Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc expert dans la construction de demeures néo-médiévales. Après quelques propositions de plans et d’esquisses, la collaboration s’arrête brusquement et le maître architecte du moment est congédié. Surcroît de travail pour Viollet-le-Duc qui s’est contenté de donner des plans, fidèle à son goût pour le gothique, ou heurts entre deux caractères forts ? Dans une lettre à Giraud de Savine, Dobrée évoque en des termes peu aimables les « mauvais plans, pleins de sottises et d’impossibilités » de Viollet-le-Duc. Dobrée va travailler seul dans ce qu’il appellera son manoir des Irlandais, mais jamais son palais50… « À vrai dire, il n’y a pas à regretter que M. Dobrée ne l’ait pas suivi. Nous aurions un édifice, en gothique moderne, très dur de ligne et original, en somme, comme la dixième empreinte d’un surmoulage51. » C’est le début d’une longue aventure, entrecoupée de procès et de conflits avec d’autres architectes, tous bousculés ou démis, les uns après les autres. Sa formation au dessin d’architecture le promeut à la fois au rang de maître d’œuvre et de chef de chantier. Lisle du Dreneuc rapporte que, « ses pierres, dures comme l’acier, sont appareillées avec un soin scrupuleux et soudées par un ciment merveilleux. Lorsqu’on les mettait en place, M. Dobrée tirait de sa poche une petite jauge d’argent, plus mince qu’une lame de canif ; si la lame passait entre les interstices, la pierre était impitoyablement refusée et reléguée aux murs d’enclos52 ».

41Il semble que seul Prévy, son contremaître et tailleur de pierre, trouve grâce à ses yeux53. On retrouve les talents d’artiste de Thomas II. Il reprend les plans de Viollet-le-Duc et modifie la façade pour en faire une demeure d’architecture romane mais conserve l’essentiel des plans primitifs de disposition des pièces. Tout est pensé, de la salle de bains aux poignées de portes de style médiéval. Il parle désormais de « maison romane » à Giraud de Savine. Le projet va accaparer Thomas II pendant 35 années, corps et âme. La distribution des pièces est contemporaine et moderne ; il aménage dans la tour carrée son bureau et une chambre noire dédiée à la photographie naissante pour laquelle il se passionne. Ici et là, on retrouve des ornements voisins de l’art médiéval et des plafonds ornés de stucs évoquent des arabesques. Le style est très éclectique. La tour est-elle le rappel d’un château guernesiais ou bien l’évocation d’un clocher anglican ?

42Animaux et figures humaines ornent l’extérieur du domaine. Aux côtés des modillons représentant des portraits de Jean Calvin, très identifiables aux quatre angles de la tour, des représentations demeurent énigmatiques : lionne ou bec d’oiseau agrémentent les frises parant les bâtiments. Si certaines sont identifiables d’autres conservent leur secret emporté par Thomas II dans sa tombe. Que signifient toutes ces sculptures animales, les hiboux, les corbeaux et surtout ces ours emblématiques postés à toutes les encoignures des toits et des murs ? Souvenir de l’animal allégorique des Pyrénées observé lors de ses séjours à Cauterets ? Affirmation de puissance et de protection de son territoire ? Difficile de répondre, mais reconnaissons que l’assemblage est fort singulier et unique dans son genre sans compter les quatre modillons de Jean Calvin, juchées en soutien de la tour carrée, qui contemplent la ville de Nantes aux coins cardinaux. Un cas unique en France puisqu’aucune effigie du réformateur ne figure sur un établissement public. Au-delà de son attachement au calvinisme, nous pouvons penser que Thomas II a voulu graver dans la pierre une référence à la ville qui a donné son nom à l’édit de 1598. Tout comme son attachement à ses origines guernesiaises, les armoiries de ses arrière-grands-parents figurent sur la façade méridionale du bâtiment, mais il n’eut pas le temps d’y adjoindre la devise familiale « Spe Vivitur », que son père traduisait ainsi : « Fais ce que dois, advienne que pourra54. »

43En définitive, les travaux durèrent plus de quarante ans ; trente-cinq ans du vivant de Thomas II et cinq ans ensuite pour aménager les abords avant d’ouvrir le lieu au public. On considère « que la construction de la Folie Dobrée a coûté au collectionneur, sans son achèvement ni ses aménagements, la modique somme d’environ 64 millions de francs 1997, c’est-à-dire en moyenne, 1,6 million de francs par an pendant quarante ans55 ». Soit environ 10 millions d’euros en 2020. Ces travaux ne furent pas exempts d’erreurs comme la destruction de la chapelle Saint-Gabriel datant du xve siècle et jouxtant le manoir Jean V. Dobrée fit apposer le portail sauvegardé sur le fronton ouest du manoir. Le reste des pierres servit à bâtir l’assise du puits. Les conflits avec l’administration municipale au sujet de l’alignement des rues ainsi qu’avec ses voisins perturbèrent la construction et le conduisirent à réviser son testament préalablement rédigé en faveur de la ville de Nantes56. Le 31 mai 1894, il dépose chez son notaire, Maître Chéguillaume, un testament olographe : le palais Dobrée, le manoir de la Touche, le jardin et toutes les dépendances ainsi que les collections sont léguées au département et deviendront un musée. Lassé des tracasseries municipales et de la mauvaise volonté des autorités qui refusent d’assainir les rues insalubres jouxtant son domaine, Thomas II voulut pérenniser les œuvres acquises. Les Dobrée, à commencer par Thomas I, ont bien laissé leur marque indélébile dans l’espace urbain de Nantes.

Légation universelle

44À sa mort, sa fortune est estimée à 21 millions de francs or de l’époque, (67 millions d’euros d’aujourd’hui), soit 10 fois celle de son père qu’il a su admirablement faire fructifier. Son capital dépasse notablement celui des plus fortunés de Nantes. Bien qu’il loue les deux derniers étages du numéro 1 place Graslin, son immense patrimoine est composé d’immeubles et terres acquis ou hérités. À Nantes, ce sont deux immeubles dans les rues Boileau et de Launay hérités de sa mère, le château du Grand-Blottereau et ses dépendances, la « Folie » du Port Hubert à Sucé-sur-Erdre, des terres, des bois et des Métairies dans le Maine et Loire et à Guernesey, une carrière à Vertou pour extraire la pierre nécessaire à la construction du manoir des Irlandais et futur musée…

45Hippolyte Durand-Gasselin, président du conseil presbytéral est son légataire universel. Il suit les instructions de Thomas II et fait don de nombreux biens à des établissements publics et charitables : ainsi à l’œuvre antituberculeuse de la Loire-Inférieure, au dispensaire Jean V en face de son palais, en faveur des orphelins et abandonnés au château de la Papotière, pour le sanatorium de Pen-Bron, à la société de bienfaisance pour les Protestants de Nantes et de Loire-Inférieure à Saint-Michel-Chef-Chef dont les locaux, « La Brise de Mer », sont toujours gérés par le diaconat protestant nantais. Il prévoit aussi de léguer 6 000 francs par an en faveur des vieillards pauvres d’au moins 65 ans, à condition qu’ils soient nés à Nantes, Chantenay ou Doulon, non alcooliques et de « bonnes mœurs ». 6 000 francs de secours annuel au profit des orphelins, 9 375 francs de rente à l’attention d’une section d’enseignement colonial de l’école d’agriculture du Grand-Blottereau57. Hippolyte Durand-Gasselin fait transporter les collections amassées place Graslin au manoir des Irlandais tandis que l’architecte Le Diberder achève les travaux. Sa tâche lui vaudra quelques inimitiés et un procès pour avoir vendu 95 kg d’argenterie. Un autre procès l’opposera aux héritiers Dobrée58.

46Un siècle s’achève. Par legs, le patrimoine Dobrée est désormais propriété du conseil général qui inaugure le musée en 1899. Le manoir colossal abrite un cortège improbable de 10 000 œuvres rassemblées par la quête du passé de Thomas II. Le dernier mot ne revient-il pas à son premier conservateur, Pitre de Lisle du Dreneuc, à propos de l’avenir du musée : « Quant à décrire ce qui n’existe pas encore, les ours sculptés aux quatre coins des Irlandais nous rappellent trop une certaine fable, dont la peau de leur camarade a jadis fourni le sujet59. »

Pierre-Antoine Labouchère : l’homme d’art protestant

47Le parcours de Pierre-Antoine Labouchère est très comparable à celui de Thomas II Dobrée : fils d’armateur voué au même métier, grand amateur de collections et peintre mais plus célèbre que son coreligionnaire. Sa carrière d’artiste se concrétise à Paris. Né à Nantes le 26 novembre 1807, il figure sur le registre protestant des baptêmes aux côtés de Thomas II Dobrée et juste après Pierre Samuel Voruz tué lors des journées révolutionnaires de 1830. Ce dernier est baptisé le 30 novembre 1806, tandis que Pierre Antoine Labouchère l’est le 10 janvier 1808. Soit 13 mois d’écart sans aucun baptême, ce qui est révélateur de la faiblesse de la communauté protestante limitée aux négociants et armateurs d’origine étrangère exerçant sur le port. Sa famille, originaire d’Orthez, émigre en Hollande durant les guerres de Religion60. Son père, armateur, installé à Nantes après la Révolution, est consul des Pays-Bas. Sa mère, Catherine Meincke Knudtzon est norvégienne. Ils donnent naissance à 5 enfants, 3 filles et 2 garçons présentés au « Saint Baptême » à Nantes entre 1804 et 1815.

48Autre similitude avec Thomas II : les liens étroits de la famille Labouchère avec la Grande-Bretagne. Son oncle, Pierre César Labouchère épouse en 1796 Dorothée Baring, une Anglaise dont le père est propriétaire de la puissante banque du même nom. Leur fils, Henri Labouchère, entreprend une carrière politique. Son ascension est fulgurante. Député aux Communes (1826), Lord de l’Amirauté (1832), ministre du Commerce britannique (1839 et 1847), secrétaire-chef du vice-roi d’Irlande (1846), secrétaire d’État aux colonies (1855) et représentant du très protestant Parti libéral (Whig). Son parcours le promeut au titre de 1er Baron Taunton61.

49À l’instar de Thomas I Dobrée, le nantais Pierre-Antoine Labouchère suit des études commerciales en Angleterre et en Allemagne. Subrécargue de l’armement de son frère, il voyage beaucoup, des États-Unis à la Chine, en passant par la Hollande. Mais comme il le disait lui-même, « plus j’allais, plus je voyais, et moins je me sentais d’aptitude au négoce62 ». En 1836 il renonce, deux ans avant Thomas II Dobrée, à toute activité commerciale et au métier d’armateur. Il épouse à Paris, le 23 mai 1839, Nathalie Mallet, fille de Louis Mallet et petite-fille de Christophe Oberkampf fondateur de la manufacture d’indiennes de Jouy-en-Josas. Après avoir étudié à Rome, c’est vers l’art religieux largement inspiré de Luther qu’il se tourne. Ainsi lui doit-on, Luther à la diète de Worms et Luther traduisant la Bible, en compagnie de Melanchthon, Poméranus et Cruciger. Il peint également Le chef camisard Cavalier63.

50En 1846, il accompagne Narcisse de Salvandy, protestant, ministre de l’instruction publique de Louis-Philippe, dans un voyage en Algérie et en Espagne à l’occasion du mariage de la fille du maréchal Bugeaud. Narcisse de Salvandy est son parent, par alliance avec les Oberkampf. Labouchère est le peintre officiel de cette expédition. L’un de ses derniers sujets sera celui de Jeanne d’Albret présentant son fils, Henri de Navarre, futur Henri IV. Il n’a que 65 ans lorsqu’il décède, le 28 mars 1873. Membre actif de la Société de l’histoire du protestantisme français (SHPF) pour laquelle il réalise de multiples communications, il adresse au bulletin de la SHPF, quelques jours avant sa mort, un fac-similé de la signature de Coulligny assorti de quelques explications. Dans son bulletin, la SHPF « fait observer à ce sujet que les noms propres étaient loin d’avoir au xvie siècle la fixité qu’ils ont acquise depuis64 ».

Un collectionneur passionné

51Comme Thomas II, le peintre Labouchère est un collectionneur de livres et d’autographes. Par acte notarié de 1870, ses 185 livres relatifs au protestantisme sont légués à la SHPF. Les 20 volumes de précieux autographes de protestants célèbres et une collection de monnaies sont légués à la bibliothèque de Nantes, sa ville natale qui donne son nom à l’une de ses rues. En 2007, seront retrouvés parmi des milliers de pièces, un fragment d’une partition attribuée à Mozart, ou bien encore en 2010, un fragment de manuscrit attribué à Léonard de Vinci65. Son épouse avait choisi de léguer les médailles à la SHPF dont une de Jeanne d’Albret66. Dès 1873, la SHPF lui rend hommage à la fois pour son œuvre artistique, son concours en faveur du protestantisme, son caractère libéral et sa curiosité pour les arts et la science car « il a su, grâce à la réalité d’un talent dans l’expression duquel la dignité s’unit à la délicatesse, traduire, dans divers tableaux consacrés à la glorification de la Réforme, les sentiments élevés dont il était animé67 ».

52Le Fonds Labouchère à Nantes, inventorié en 2008 dans sa quasi-totalité, a permis de recenser des pièces de musiciens allant du xvie au xviiie siècle. L’inventaire comporte en particulier une lettre datée du 3 mai 1783 de Mozart écrivant à son père Léopold depuis Vienne, une note autographe de Beethoven, mais aussi pour ne citer qu’eux, une lettre d’Hector Berlioz, un fragment de la symphonie en mi-bémol de Joseph Haydn, une partition signée Rossini, une lettre de Gluck, une partition signée Jan Ladislav Dussek, et des autographes de célébrités, tels ceux de Chateaubriand ou de Madame de Sévigné68.

53Le fonds légué à la bibliothèque de Nantes révèle régulièrement de nouvelles surprises. Plus étrange : au stade actuel des recherches, il n’existe pas de correspondance officielle entre Thomas II Dobrée et Pierre-Antoine Labouchère. Ils ont pourtant le même profil. Et pour cause. Nos recherches ont abouti à la découverte de lettres qui attestent la détestation de Thomas II à l’égard de son concurrent Labouchère dans leur recherche d’autographes. Les deux hommes se connaissent depuis la toute petite enfance. Ils sont tous deux catéchumènes dans la même paroisse réformée. Leurs parents sont armateurs. Ils appartiennent aux mêmes réseaux et fréquentent le même milieu lié au négoce portuaire. Il paraît donc très improbable qu’ils ne se soient pas croisés dans leur recherche du passé. C’est peut-être pour cela qu’ils ne purent s’accorder au présent. Et surtout Thomas II voit dans Labouchère un coreligionnaire bien encombrant. Ainsi ces quatre lettres inédites de Thomas II relatives aux relations entre les deux hommes69.

54La première, datée du 13 février 1861, est écrite à Giraud de Savine. La lettre porte sur l’acquisition de lettres et autographes : « je vous remercie de l’offre des catalogues de Charavay, qui me l’a envoyée. Cette vente ne contient presque rien pour moi. Je ne parle pas de Mme de Maintenon, dont quelque belle que soit cette lettre, je ne donnerais que 45 francs ayant déjà un billet d’elle très intéressant […] ». Rien du catalogue de Charavay ne trouve réellement grâce aux yeux de Thomas II jusqu’à l’évocation de son frère ennemi : « je vous ai dit l’autre jour, ce que je craignais des visites que l’on vous fait. Celle de Labouchère me contrarie beaucoup plus, car à coup sûr, notre secret va être découvert […]. Informez-moi, je vous prie, pour satisfaire ma curiosité, de la manière dont ces visites se sont passées et de ce que ces messieurs, surtout Labouchère vous auront dit70 ».

55Dans une seconde lettre en date du 3 octobre 1864, Thomas II évoque les nombreux faux autographes qui circulent. Il cite Labouchère (avec un accent grave sur le « e »). Subtilement et non sans une certaine délectation dans le ton patelin et goguenard du courrier, Thomas II espère auprès de son ami Giraud que « Mr Labouchêre ne comptait pas dans sa collection les [fausses NDLR] fameuses lettres de Talbot, Rabelais, Triboulet, etc. et qu’il commencerait par établir la fausseté du fameux devis de Molière, de Mr Chambuy. Ce sera curieux ! ». Cependant, à la mort de Labouchère, Thomas II n’hésite pas à prendre contact avec Gabriel Charavay, le fournisseur attitré du disparu et qu’il pourfendait peu de temps auparavant. Ce même Charavay qui dans une lettre en date du 18 mai 1875 tient à rassurer Thomas II Dobrée :

« Je me conformerai, du reste, en tout à vos observations […]. Je procède de même avec tous mes bons clients pour les ventes d’autographes. Ils me donnent la liste de leurs désidératas […] avec les prix, ayant soin de me laisser de la marge pour les choses auxquelles ils tiennent particulièrement, et de me donner carte blanche pour celles qu’ils veulent. C’est avec le regretté Monsieur Labouchère que j’ai commencé à procéder ainsi, et je m’en suis toujours bien trouvé, en ce sens que j’ai la satisfaction de n’avoir jamais de reproches, tout au contraire71. »

56Enfin, après avoir trouvé un terrain d’entente et reçu un chèque de 1 233,50 francs de Thomas II, Gabriel Charavay espère bien réussir et gagner la confiance de son nouveau commanditaire comme « celle de notre regretté M. Labouchère, qui me chargeait exclusivement de ses commissions72 ».

57Deux fils d’armateurs liés avec l’Angleterre. Deux collectionneurs et créateurs remarquable par leur ténacité. Tous deux protestants, l’un orthodoxe, l’autre plus libéral. Rivaux comme leurs pères sur les mers. Ils ont traduit leur intégration dans la cité et dans la vie culturelle française par leur talent réciproque. Et ils ne connaîtront pas la tenue dans leur ville natale d’un événement à la fois culturel et cultuel majeur qui les aurait certainement passionnés : le tricentenaire de l’édit de Nantes.

Le tricentenaire de l’édit de Nantes : un enjeu d’union nationale protestante dans la ville qui a donné son nom à l’édit

58À l’occasion de travaux réalisés dans le temple de Nantes en 2017, nous avons découvert fortuitement deux photographies prises à quelques minutes d’intervalle lors du tricentenaire de l’édit de Nantes, en 1898, dans l’ancien temple73. Elles ont fixé pour toujours les délégués de trois-quarts face. À une exception près, ils sont tout de noir vêtus et se tiennent assis. Rares sont ceux qui ne portent ni barbe ni moustache. Un seul sourit. Les visages sont empreints de gravité. Au triforium à l’étage, en arrière-plan, des femmes en costume d’époque contemplent la scène. En bas, elles sont peu nombreuses dans l’assemblée et sont rassemblées dans la travée droite du temple. Le tricentenaire, c’est une affaire d’hommes. Les femmes les plus illustres de l’histoire protestante sont la portion congrue. Qui sont ces hommes au premier plan ? On suppose le président de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Fernand de Schickler au centre et, à sa droite, le président du consistoire, Hippolyte Durand-Gasselin. Devant, sur l’estrade, à gauche sur la photo, Jean Dartigue-Peyron ou plus probablement Samuel Diény alors jeune pasteur. Peu sont identifiés. Une enquête commence et redonne vie à ces êtres disparus.

Des protestants divisés

59Il convient au préalable de rappeler la situation des Églises réformées au xixe siècle. Elles sont particulièrement divisées et, n’ayant pas de représentation centrale, leur audience est essentiellement locale. Si les protestants désirent affirmer un rôle social au-delà de la reconnaissance locale du consistoire, ils se doivent de créer des sociétés religieuses, telle la « Société biblique protestante » à laquelle participe Jean Wilson, le pasteur de Nantes, ou bien encore « la Société pour l’Encouragement de l’instruction Primaire parmi les Protestants de France », ce, après approbation des autorités administratives.

60Ces sociétés pallient en partie l’absence de synodes par la réunion régulière de pasteurs et de laïcs, mais elles ne représentent pas la totalité des protestants. Elles sont, pour l’essentiel, animées par des évangéliques du mouvement du « Réveil ». Cela ne sera pas sans source de conflits entre libéraux et orthodoxes. Dès 1838, les pasteurs du Gard réunis en conférence pastorale critiquent avec vigueur le Réveil et se déclarent préoccupés du « séparatisme religieux » des revivalistes. Mais à Nantes, et jusqu’en 1938, c’est bien un courant revivaliste puis « orthodoxe » qui domine la paroisse affiliée au sein des Églises réformées évangéliques. C’est l’époque où l’Église réformée se déchire durant près d’un siècle, entre libéraux et orthodoxes74. Nous ne revisiterons pas cette histoire mais rappelons simplement que les libéraux sont partisans d’une étude critique de la Bible pour adapter le message chrétien au monde moderne. Ainsi, la Bible n’est pas la révélation de Dieu, mais le témoignage rendu par des hommes à cette révélation. À leurs yeux, les revivalistes sont des obscurantistes qui veulent retourner à la théologie dogmatique de Calvin du xvie siècle. Ils les soupçonnent d’être influencés par les disciples de John Wesley (1703-1791) fondateur du méthodisme.

61Dans le camp des revivalistes, l’on considère que les libéraux, influencés par la science moderne en adaptant la foi chrétienne à son temps, détruisent non seulement le protestantisme mais la foi chrétienne elle-même en la vidant de sa substance. Le mouvement a une origine piétiste et veut réveiller les fidèles pour un retour à la doctrine pure des réformateurs comme seule expression de la vérité évangélique. En 1848, ce courant est encore minoritaire. Mais, comme le note le professeur André Encrevé, « après 1850, quand les libéraux extrémistes prennent le pas sur les libéraux modérés, la majorité des protestants français se détournent d’eux pour rejoindre le camp évangélique75 ».

62Car tout au long du xixe siècle, et surtout à partir du synode de 1872 de l’Église réformée de France, les libéraux s’opposent, parfois violemment, aux tenants d’une « théologie évangélique » issue des mouvements du Réveil, ce qui conduit à des scissions et à la création d’Églises dites « confessantes » qui reprochent aux libéraux de mettre l’homme, sa raison, ses sentiments et sa culture – et non pas Dieu – au centre et de ne plus se différencier des libres penseurs et de l’humanisme. Les polémiques sont vives et, à Paris, une Union protestante libérale est créée dès 1861, avec à sa tête le pasteur Antoine Carenou. Les évangéliques réagissent en créant, en 1866, une Société fraternelle pour l’évangélisation paroissiale de l’Église réformée de Paris, puis une Union évangélique en 186876.

63En Loire-Inférieure, le petit troupeau est resté quantitativement le même jusqu’à la fin du xixe siècle : guère plus de 800 à 1 000 réformés recensés par le conseil presbytéral. Soit moins de 1 % de la population nantaise. Certes, l’élévation du nouveau temple place Gigant en 1855, confère aux protestants une réelle représentation dans la ville. Certes la bourgeoisie protestante, dominante sur le port, dont une partie est à l’origine de la métallurgie nantaise et nazairienne, force le respect. Mais le corps protestant n’évolue guère et le conseil presbytéral rallié au camp orthodoxe est rattrapé par la querelle avec les libéraux. Il est indéniable que les pasteurs Vaurigaud puis Fargues et Rouffineau verrouillent sans partage la paroisse réformée. Ainsi, leurs réactions aux circulaires ministérielles de 1880 et de 1885 qui imposent aux conseils presbytéraux des Églises réformées le renouvellement triennal de leurs membres77. Le conseil presbytéral de Nantes est en effet composé de 6 membres et présidé par le pasteur de la paroisse, au bénéfice de l’âge. Cette décision administrative provoque l’ire du pasteur Fargues : « Ce sont les libéraux qui triomphent. Ils avaient demandé qu’on leur cédât sur les questions d’électorat, eh bien ! Ils obtiennent gain de cause78. » Cependant, et malgré les protestations, le conseil presbytéral se conforme à la loi et évite une scission. Il est incontestable que les modérés du conseil ont tempéré le pasteur Fargues :

« N’oublions pas que nous sommes sous un gouvernement sérieux qui peut se tromper mais qui, sincèrement libéral, désire la pacification et l’union des citoyens… Pas de violence, le moment serait mal choisi ; et nos Églises, non seulement ne nous suivraient pas mais même elles nous désapprouveraient si, à l’exemple du clergé romain peu soucieux du respect de la loi, nous nous mettions en opposition avec le pouvoir civil… […]. Il faut accepter le multitudinisme tel qu’il est79. »

64Nous ne connaissons pas l’auteur de cet argument de nature plutôt libérale au sein du CP. Peut-être Maurice Sibille, alors secrétaire du conseil et qui transcrit discrètement son opinion. L’auteur reconnaît alors le caractère de l’église n’exigeant pas de ses membres une profession de foi, par opposition aux églises dites « confessantes » dont les pasteurs de Nantes se revendiquaient. On notera également au passage l’appréciation peu amène portée à l’égard de l’Église catholique.

65Nationalement, les protestants se dispersent. Naissent alors les Églises réformées évangéliques (de tradition « orthodoxe »), les Églises réformées unies (de tradition « libérale » et regroupées en union), les Églises évangéliques libres et l’Église méthodiste80. À cela faut-il rajouter le rôle éminent d’une initiative tardive. Un troisième groupe apparaît à la fin des années 1890 sous le nom de Commission d’action protestante évangélique sur le terrain moral et social, composée de pasteurs « non alignés ». Les chefs de file sont Élie Gounelle et Wilfred Monod, issus du christianisme social. « Ils avaient le souci de ne pas laisser les querelles ecclésiastiques et théologiques l’emporter sur le témoignage de l’Église, l’action diaconale et l’œuvre missionnaire81. » Ce mouvement aboutit à l’Union nationale des Églises réformées à Jarnac en attendant la réunification des réformés en 1938. En 1912, constatant que pratiquement la moitié des Églises du mouvement de Jarnac étaient également membres de l’Union libérale, les deux Unions fusionnèrent sous le nom d’« Union des Églises réformées ». Le processus de « restauration de l’unité réformée » aboutit à la création de l’Église réformée de France, dont le premier synode s’est tenu à Lyon en 193882. Nantes a-t-elle tracé ce chemin de l’unité ?

Les protestants rassemblés

66C’est pourquoi le tricentenaire de l’édit de Nantes a représenté, à juste titre un enjeu d’unité avant l’heure et de mémoire pour les protestants83. Mais pas uniquement. Dans son tome 47 de 1898, le bulletin de la SHPF consacre naturellement l’essentiel de ses articles (plus de 300 pages sur 714) au 300e anniversaire de l’édit de Nantes célébré dans la ville qui lui a donné son nom. Dès l’introduction, le constat du secrétaire général, Nathanaël Weiss, se veut lucide : « l’édit de Nantes n’est pas, comme on continue à l’imprimer, le plus favorable de ceux que l’ancienne monarchie octroya à nos pères. À certains égards le premier de tous, l’édit du 17 janvier 1562, dû principalement aux efforts de Coligny, était plus libéral, moins encombré de restrictions que celui de Nantes84 ». Mais l’éditorialiste se fait l’écho de l’article II de l’édit qui exhorte « de ne pas s’attaquer, ressentir, injurier ni provoquer l’un l’autre par reproche de ce qui s’est passé ». Cet appel à la réconciliation n’est, à l’évidence, toujours pas entendu 300 ans plus tard. Juste après le procès Dreyfus, le 4 décembre 1897, une affiche est placardée à proximité du siège à Paris, 54 rue des Saints-Pères, et désigne, entre autres, les protestants comme des « non-Français » :

« Français… que tous ces traitres, frères, parents, argentiers et complices de traitres, que tous ces aventuriers, étrangers au sang de France, s’aperçoivent, dans toutes les manifestations de notre vie publique et privée, que la noble nation, désormais désabusée, se désabonne à jamais de la juiverie, de la Huguenoterie, de la Maçonnerie, de tous ces éléments empoisonnés qui la stupéfiaient depuis vingt-cinq ans [après la proclamation de la IIIe République, NDLR], et qu’elle vomit enfin85 ! »

67La célébration du tricentenaire devient un enjeu pour opposer à ces paroles de haine, « ce fait irrécusable : toutes les fois qu’elles ont été écoulées dans notre patrie – et que de fois cela n’est-il pas arrivé ? – elle a marché au démembrement et à la ruine86 ». Mais un enjeu peut en cacher un autre : celui de l’unité des protestants. La SHPF, au regard du sujet traité, a toute légitimité pour patronner l’événement. Elle contribue à ce que toutes les composantes de l’Église réformée, alors extrêmement divisée, se rassemblent dans le port où Henri IV vint parapher l’édit et comme le dit son secrétaire général, Nathanaël Weiss, « rendre service à tous ceux qui désireront ne pas laisser passer cet anniversaire sans en marquer et en recueillir la signification87 ».

68C’est ainsi que, dans sa séance du comité en date du 9 novembre 1897, elle avait acté deux lettres concomitantes du consistoire de Nantes et de l’association fraternelle des pasteurs libéraux de France, invitant à célébrer à Nantes, en avril 1898, le tricentenaire. Le président de la SHPF eut la responsabilité de s’entretenir avec Nantes pour préparer cet événement. Le président du consistoire de l’église réformée de Nantes, le Pasteur Audra, pasteur à Angers et Hippolyte Marie Durand-Gasselin, secrétaire, furent les référents pour préparer les solennités. Il fut également acté qu’une médaille soit frappée à cette occasion et c’est Hippolyte Durand-Gasselin qui en endossa les frais.

69Ces deux hommes se connaissent très bien et appartiennent au courant orthodoxe et évangélique : Audra est le président et Durand-Gasselin le vice-président du synode officieux réformé évangélique de La Rochelle en novembre 1884. Le premier y suggère une « école préparatoire de théologie dans la région ». Le second, « que le vendredi Saint soit jour d’humiliation et de prières ». Malgré les divisions, une commission mixte composée de libéraux et d’orthodoxes, dite « Commission fraternelle », née à Lyon en novembre 1896 permet « que les ténors se fréquentent de nouveau et ce avec une grande courtoisie88 ». Et pour l’honneur de la Réforme.

70Même si le garde des Sceaux de l’époque assure qu’il ne doute pas du patriotisme des protestants français, les attaques sont en effet extrêmement préoccupantes à l’encontre des protestants dans leur globalité89. Aussi, compte tenu des désordres que pourrait susciter le tricentenaire, les festivités se préparent avec la plus grande rigueur. Dans sa séance du 24 octobre 1897, le consistoire s’en remet à la commission mixte90. Le président de la SHPF, Ferdinand de Schickler s’inquiète, « est-il prudent dans une ville bretonne, comme Nantes, à l’heure actuelle de convoquer des sociétés huguenotes d’Allemagne et d’Angleterre91 ? ». Ce à quoi le pasteur Couve répond qu’il faut avoir « du courage chrétien ». Malgré tout, la prudence l’emporte et la commission n’envoie aucune invitation officielle à l’étranger. Le tricentenaire se déroule, du 30 mai au 4 juin à Nantes après les festivités de New York, du 10 au 17 avril, et sous haute surveillance. En effet, les autorités craignent des incidents liés à l’affaire Dreyfus. En janvier de la même année, plusieurs milliers de manifestants avaient défilé durant cinq soirées dans les rues de la ville, molestant des juifs et brisant les vitrines de leurs magasins après la publication de l’article « J’accuse » d’Émile Zola dans le journal L’Aurore du 13 janvier 189892. Le jeune pasteur Samuel Diény, nouvellement nommé, organise la logistique et l’intendance, négocie les prix de transport, se démène pour trouver des solutions d’hébergements auprès des hôtels et des particuliers93. Le résultat dépasse les prévisions les plus optimistes. 400 personnes venues de toute la France et de l’étranger assistent aux cérémonies, malgré le refus des compagnies de chemins de fer de délivrer des titres de transport à prix réduits. « Il y a donc eu, chez un certain nombre de capitalistes français, sinon un antiprotestantisme latent, du moins une prudence exagérée94. » Trente consistoires issus de toutes les Églises réformées sont représentés ainsi que les Églises luthériennes du pays de Montbéliard. Et Nathanaël Weiss de rappeler que ce succès est obtenu malgré « une campagne cléricale aussi lâche qu’odieuse menée dans une certaine presse à gages, contre les minorités religieuses95 ». Les délégations étrangères, « très rares, Protestant Alliance ; Evangelical Continental Society ; Société d’histoire vaudoise et du Piémont purent tout juste adresser des vœux ; mais ils n’eurent pas la parole96 ».

Un pas vers l’unité ?

71Nathanaël Weiss ne cache pas sa proximité avec les libéraux et le pasteur Philippe Jalabert (1823-1907) « chef laïque du parti libéral » selon la formule du pasteur Benjamin Couve (orthodoxe)97. Dans son introduction, il rappelle que Nantes est en Bretagne et donc certes catholique. Mais Weiss s’aperçoit qu’on est dans une ville libérale « où les protestants sont trop connus pour être mal vus ». D’ailleurs la générosité « princière » d’Hippolyte Durand-Gasselin permet d’héberger tous les participants, quelles que soient leurs origines. Mais pour Weiss, l’enjeu est de rassembler les épars et il n’hésite pas à mettre en avant la SHPF pour laquelle il œuvre tant : « c’est notre Société qui leur a donné leur véritable caractère, celui d’assemblée du Protestantisme français ». Pour Weiss, l’enjeu est à la fois de rappeler quelle fut l’histoire, les revers du protestantisme et ainsi de dépasser les querelles et les divisions ; mais aussi de ne pas laisser aux « orthodoxes » le monopole de la célébration :

« Les divergences entre telles et telles Églises ou tendances protestantes sont devenues un thème à variations tellement banales, qu’il n’est pas utile d’affirmer de temps en temps l’existence d’un Protestantisme français. Ceux qui ont été à Nantes ont, une fois de plus, constaté que si nos divisions sont le résultat logique de notre liberté, aucun d’entre nous n’entend renier aucune parcelle de notre passé, ni surtout faire bande à part en présence de nos ennemis ou de nos détracteurs98. »

72Le pasteur Benjamin Couve ouvre les cérémonies par un culte au temple pavoisé de drapeaux tricolores le lundi 30 mai à « 8 heures du soir » sur la prière biblique d’Esdras au chapitre 1599. « Prêche simple, grave, point déclamatoire, mais sérieux, huguenot et pourtant moderne de ton et d’allure », selon Weiss dans le bulletin de la Société (BSHPF). Durant ces journées, du 30 mai au 4 juin, le ton est pour le moins consensuel ; dans son discours d’accueil, le pasteur Dartigue-Peyron se félicite de la solidarité protestante et de la liberté de conscience de chacun :

« On parle de nos divisions, on nous les reproche. Il ne faut rien exagérer. Si les protestants ne s’entendent pas sur toutes les questions, c’est parce que leur méthode est celle du libre examen. Or il faut choisir ou bien le libre examen avec ses périls, ou bien le despotisme de l’autorité avec l’abdication de l’intelligence et l’esclavage de la volonté100. »

73Weiss se plaît à rapporter les propos du pasteur Henri Fargues, proche des orthodoxes : « il rend hommage au libéralisme des Nantais », à propos des massacres de la Saint-Barthélemy qui n’eurent pas lieu à Nantes. Dans les mêmes pages du BSHPF de 1898, il est sans cesse évoqué « de nous aimer les uns les autres », de remercier Nantes « de nous avoir fourni l’occasion de nous unir tous dans une même pensée pour le passé et pour l’avenir ». Après qu’un salut fraternel fut adressé aux participants par les protestants unitariens de Transylvanie, la palme de l’union revient au pasteur Auguste Sabatier, professeur de dogmatique à la faculté de théologie protestante de Paris et classé parmi les libéraux modérés. Il rappelle, avec une remarquable subtilité, que c’est plus de la révocation de l’édit de Nantes que date « cette antinomie entre la liberté et la religion que le protestantisme est destiné à résoudre en montrant que la liberté est faite pour la religion et la religion pour la liberté101 ». Toute allusion aux débats du synode de 1872, qui avait abouti à la division des protestants, ne serait bien sûr que pure coïncidence.

74Doyen et professeur de théologie à la faculté de théologie protestante de Paris, l’autorité de Sabatier est respectée par tous les courants du protestantisme français102. Même s’il tint à rester à distance des conflits, il prit part au débat dix ans plus tôt en tentant de concilier les points de vue dans un article de la Revue Chrétienne103 :

« C’est sur le terrain de la piété et de la vie religieuse que doit se réaliser l’union. […] Elle doit être le vœu de tous ceux qui sont plus animés d’un esprit vraiment chrétien que de sentiments sectaires. […] De même que le sabbat a été fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat, de même aussi la religion a été faite pour l’élévation morale de l’homme (tâche difficile et utile entre toutes) et non l’homme pour concevoir et cataloguer des formules (tâche relativement aisée et trop souvent stérile). Dieu a voulu avant tout attirer l’homme vers lui, et ce qui importe, c’est que cette attraction soit suivie d’une réelle ascension. […] Il est donc profondément désirable que l’ensemble des fidèles, c’est-à-dire l’Église, trouve dans l’intensité de la vie religieuse l’union qui fait la force et la cohésion qui défie la mort104. »

75D’où la première leçon tirée d’un tel constat, « la lutte pourrait finir dans l’union. […] Une semblable solution entraînerait une conséquence plus importante et plus radicale, je veux dire la disparition tout au moins nominale du parti libéral et son absorption progressive dans le parti évangélique105 ». Sabatier se veut ensuite rassurant et ne juge pas les points de vue : « bientôt donc il n’existerait entre les divers membres de la famille protestante que ces nuances qui, inévitables dans un milieu où la conscience individuelle est respectée, ne constituent pourtant pas un obstacle sérieux à la vie commune et à l’association fraternelle des efforts106 ». On peut imaginer que de tels propos aient pu agacer le parti libéral. Mais Sabatier se veut magnanime :

« Mais je dois à l’impartialité de dire que quelle que soit l’issue de la crise, le parti libéral aura joué dans la vie générale de l’Église un rôle dont on ne saurait nier la portée, et dont la trace indélébile marquera honorablement sa place dans l’histoire religieuse de notre temps. […] Je suis de ceux qui pensent qu’il ne convient pas de l’oublier ; car pour agir ainsi, le parti libéral a dû faire appel à tout son courage et braver bien des sentiments hostiles107. »

76Auguste Sabatier ne veut pas qu’on lui fasse dire ce qu’il n’a pas dit au sujet du parti libéral. Son propos est sans appel :

« Il aura semé des ferments dont l’action trop exclusive s’est montrée incapable de faire lever toute la pâte. […] Les événements l’ont bien prouvé, puisque la grande majorité des troupeaux, qui lui appartenaient d’abord, ont refusé de le suivre, et des défections récentes viennent accroître encore la liste de ceux qui lui retirent leurs sympathies. »

77La solution, dans la réunification, réside dans la séparation des Églises et de l’État qu’il a toujours soutenue. De son point de vue, elle pourrait « hâter singulièrement » l’effacement du parti libéral comme « parti distinct, comme camp séparé ; […] mais certainement aussi (et n’est-ce pas là une compensation suffisante ?) l’esprit libéral ne périra pas. » Avec la diplomatie qui le caractérise, Sabatier n’oublie pas de rassurer le camp adverse : « Son influence, convenablement acceptée par le parti orthodoxe, procurera toujours à la doctrine évangélique une souplesse et une élasticité qui lui permettront de satisfaire sans cesse aux aspirations et aux besoins de notre mouvante humanité ».

78Comment classer Auguste Sabatier dans les disputes ecclésiastiques qui suivent le synode de 1872 ? Quand il écrit que l’union doit se faire « sur le terrain de la piété et de la vie religieuse » ou « dans l’intensité de la vie religieuse », sans mentionner un accord doctrinal, il exprime une position typique de la pensée libérale. Quand il affirme que « l’esprit libéral ne périra pas » et qu’il laissera « une trace indélébile », il se démarque fortement des héritiers du Réveil et du courant « évangélique » – dont il est issu et qui a appuyé sa candidature à la Faculté de théologie de Strasbourg – pour qui le libéralisme est un courant négatif et destructeur en dehors du protestantisme voire du christianisme. C’est du « parti libéral » et non de la théologie libérale que Sabatier se démarque108.

Liberté !

79Dix années se sont écoulées depuis l’article d’Auguste Sabatier. L’heure est donc à l’union fraternelle et à la liberté de conscience. Le président de la SHPF, le baron Fernand de Schickler, ne fait aucune allusion aux courants qui séparent les protestants. Après un long exposé de plus d’une heure, dans sa conclusion, il préfère rappeler que « le protestantisme ne mourra jamais, s’il ne commence, en abandonnant le ferme terrain évangélique, par se renier lui-même109 ». Le lendemain, 31 mai, Nathanaël Weiss s’exprime lui aussi sur le sens de la liberté sous une forme assez inattendue en faisant allusion aux noyades de Nantes entre novembre 1793 et février 1794 sur ordre de Jean-Baptiste Carrier représentant en mission de la Convention : « Liberté ? Et quand en 93, la tête du pasteur Rabaut-Saint-Étienne roule sur l’échafaud de la place Louis XV parce qu’il n’a pas voulu signer l’arrêt de mort du roi qui avait persécuté ses coreligionnaires, quand à Nantes et ailleurs la Loire charrie des centaines d’autres cadavres, que crient-ils, tous ces suppliciés si ce n’est ce même refrain : Liberté !110. » Le 1er juin, la plaque commémorative de l’événement est inaugurée dans le temple111. Le 2 juin, le banquet d’honneur réunit 400 personnes, dont toute la haute société nantaise, à l’exception des représentants catholiques. Banquet « remarquablement bien servi, très animé, sans être bruyant », comme le remarque Weiss, au cours duquel une dépêche est lue avant d’être adressée au président de la République, Félix Faure112. On n’y parle pas d’Église réformée mais de « protestants rassemblés ». Le maire républicain et dreyfusard Hippolyte-Étienne Étiennez porte un toast et proclame son engagement pour la liberté de conscience : « qu’elle soit toujours respectée, jamais troublée113 » ! Avant que Fernand de Schickler ne conclue par un appel au rassemblement : « Puissions-nous continuer à préparer l’avenir dans les sentiments d’union et de paix dont les fêtes de Nantes ont été l’éclatante, l’inoubliable manifestation114. »

80Ces fêtes commémoratives sont abondamment rapportées dans les journaux locaux. Le Phare de la Loire, Le Populaire ou bien encore Le Progrès de Nantes qui regrette que « l’Édit ne demeura perpétuel et irrévocable car c’était bien la charte de la liberté de conscience115 ». Ils livrent chaque jour, dans leurs colonnes, de longs articles sur les réunions tenues dans le temple, place de l’édit de Nantes. Naturellement, aucun article ne vient alimenter le journal catholique local l’Espérance du Peuple. Au niveau national, l’événement ne passe pas non plus inaperçu. Ainsi le journal d’extrême droite L’Univers qui accuse les protestants de prendre leurs ordres à Berlin, ou bien encore le propos fielleux de Léon Cros dans Le Peuple Français : « La tolérance protestante, en voilà un carcan116. » L’Illustration se demande « à quoi bon proclamer en grand apparat des principes qui ne sont plus en péril ni en discussion117 ».

81Le tricentenaire de l’édit de Nantes fut incontestablement un enjeu national pour l’unité des protestants. Unité d’esprit mais pas union de corps, constitué en une seule Église. Enjeu de reconnaissance par la société civile, très certainement, mais aussi et surtout enjeu de reconnaissance fraternelle entre des églises réformées alors fragmentées. C’est peut-être aussi à compter de cette période durant laquelle les libéraux les plus radicaux ont quitté les églises réformées, que se dessine une réelle volonté de trouver le chemin de l’unité, nonobstant une réserve des plus orthodoxes. Ce fut un temps où libéraux et orthodoxes fraternisèrent. Nous avons retrouvé dans les archives du consistoire, une lettre d’un pasteur de Montauban qui remercie et félicite Jean Dartigue-Peyron. Il dit, entre autres, ceci :

« Vos belles fêtes protestantes de Nantes si fraternelles et si cordiales pour l’impression qu’elles ont produites, porteront des fruits salutaires pour notre protestantisme. Comme vous l’avez si heureusement dit, Nantes continue et continuera pour une large part au rapprochement, à l’apaisement, à la conciliation, en nous faisant sentir que arrachés à nos petites querelles, nous sommes vraiment les membres d’un seul corps. »

82Et de rajouter : « Vous vous êtes ainsi les uns les autres acquis des droits solides à la reconnaissance de tous les vrais protestants118. » La signature est illisible mais la lettre est datée : 13 juin 1898. Cette missive a sans doute été écrite par Louis Salles, alors pasteur de Montauban. L’influence de Louis Salles, auteur d’un catéchisme libéral, est loin d’être négligeable ; il est un membre reconnu des équipes pastorales libérales du midi.

83Le futur aumônier militaire, Rémy Maluski, au titre de président du corps des étudiants de la faculté de théologie de Paris écrit le 18 juin 1898 : « Nous demandons à Dieu que le rapprochement des cœurs produisent un renouveau de foi dans nos Églises119. » Renouveau que Maluski appellera de ses vœux dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Le tricentenaire de l’édit de Nantes trace peut-être, dans un contexte de préparation de la loi de séparation des Églises et de l’État, les contours de l’assemblée de Jarnac de 1906 et d’un mouvement d’union qui aboutit à la réunification presque totale des Églises réformées en 1938120. En commémorant un événement trois fois centenaire mais un événement majeur des temps modernes, le tricentenaire à Nantes était tourné vers l’avenir.

84Le vendredi 3 juin 1898 est un temps de détente. Le conseil presbytéral organise une excursion à Sucé-sur-Erdre pour se rendre sur l’emplacement de l’ancien temple détruit à la Révocation. Un petit bateau à moteur, Le Vertou, remonte les flots paisibles de l’Erdre et les passagers sillonnent les trois lieues que les huguenots nantais parcouraient à la rame pour célébrer le culte au xviie siècle. Retour émouvant sur le passé, espoirs de lendemains meilleurs. Quelques-uns des participants issus des différents courants se retrouvent le soir au domicile du pasteur Dartigue-Peyron pour un dernier partage. Le lendemain il les raccompagne à la gare. Et Nathanaël Weiss de conclure :

« Souhaitons que dans un siècle on n’oublie pas la date de 1898. Puissent nos arrière-neveux, à la lecture de ce qui reste de ces quelques journées, y retrouver […] une impression de ces multiples séances, si pleines, si animées, si cordiales, où toujours nous avons senti battre à l’unisson le cœur du huguenot […]121. »

85Les protestants sont alors dans l’union mais pas encore dans l’unité. Et Nantes, de nouveau, contribue à l’histoire du protestantisme français.

Notes de bas de page

1Gracq J., La forme d’une ville, Paris, Éditions José Corti, 1985, extraits p. 99-103.

2Collectif, Thomas Dobrée, un homme, un musée, op. cit., p. 41.

3AMN, 8 Z 2 A 158. Thomas I va même recenser la totalité des fontaines publiques de Nantes. Il imagine l’adjonction d’un lavoir et d’un séchoir pour le public.

4AMN, 8 Z 2 A 153.

5AMN, Papiers Dobrée, 2 A 153.

6AMN, Papiers Dobrée, 2 A 155.

7AMN, Papiers Dobrée, 2 A 143.

8Rousselot M.-C., La fortune de Thomas Dobrée, mémoire de maîtrise d’Histoire, Nantes, 1988, p. 32-33.

9Santrot J., « Un négociant éclairé dans la tourmente révolutionnaire », Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 44. « Je répondis que je n’en avois pas, que j’ignorois si quinze ans de résidence – mon mariage avec une française & mon établissement pourvoient la charge ». Le pasteur Jacques Barré siège à ses côtés durant le second mandat de Kervégan. Durant cette période tourmentée, en 1793, Pierre évoque le procès de Louis XVI et suggère l’exil de l’ex-roi en Amérique septentrionale, où « Louis ne pourrait y nuire à la France & y seroit bien vu au milieu d’un peuple qui lui doit en grande partie sa liberté ».

10De Lisle du Dreneuc P., « Musée T. Dobrée », La Ville de Nantes et la Loire-Inférieure, Nantes, 1898, t. II, p. 45-46.

11Benjelloun-Zahar J., La maison Dobrée et l’Asie, op. cit., p. 342.

12Benjelloun-Zahar J., ibid., p. 308.

13ADLA, 1 Q 1610, enregistrement des actes sous seing privé.

14Lalandre A., Le Port de Paris : naissance d’un port industriel (Milieu xixe siècle-1914). Thèse d’Histoire, université Panthéon-Sorbonne, Paris I, 2017, 488 p. Benjelloun-Zahar J., op. cit., p. 348.

15Ibid., p. 332.

16Richard M., « 1858-1838 : Thomas (II) Dobrée, armateur malgré lui », in Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 85.

17Des biens mobiliers et diverses actions, la maison de commerce et la fabrique à Basse-Indre de feutres à destination des carénages de navires, les Forges de Basse-Indre, les mines de Faymoreau, des biens à Guernesey, en Allemagne, et ceux de Nantes…, AMN, Fonds Dobrée, 8o Z 2 A 176.

18Richard M., op. cit., p. 89.

19Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 108.

20François-Athanase de Charette de la Contrie, chef vendéen, est fusillé place Viarme à Nantes en 1796. Pierre-Frédéric Dobrée au détour d’une lettre écrite à ses parents, au sujet de ses affaires en cours, précise que Charette a été « fusillé comme il le méritait ». Lettre des archives de Guernesey citée dans Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 49.

21Archives du musée Dobrée, lettre datée du 30 juin 1873.

22Santrot J., « Les “erreurs” d’un collectionneur de son temps », Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 266.

23« Le Breton ne suffisait pas à donner l’expression métaphysique de la sentence, on eut d’abord recours au gallois ; les celtisants de France et d’Angleterre furent consultés et notre barde breton, de la Villemarqué, a tracé sur ce texte de patientes dissertations ». D’autres interprétations sont possibles : « L’incertitude me dévore » ou bien encore « L’incertitude me déchire », De Lisle du Dreneuc P., op. cit., p. 61-62.

24De Lisle du Dreneuc P., Catalogue général des collections du musée Dobrée, Nantes 1906, p. 997-1016. Dérobé dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, l’écrin a été retrouvé par la police le 21 avril 2018 à Saint-Nazaire.

25Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand, Voyage en Orient de Nerval, Les orientales de Victor Hugo, Le Bain Turc d’Ingres, pour ne citer que ces exemples.

26Robelet M., Les Dobrée : notables nantais et grands négociants d’Europe, Nantes, Musée Dobrée, 1996, p. 40.

27Rousselot M.-C., La fortune de Thomas Dobrée, mémoire de maîtrise d’Histoire, Nantes, 1988, p. 104.

28AMN, 8 Z 2 A 186.

29Bauer C., Travail et responsabilité selon Jean Calvin, une interprétation par le devoir de lieutenance, thèse de doctorat, (dir. François Dermange), université de Genève, 2015.

30Robelet M., op. cit., p. 42-43 et ADLA, 2 X 219.

31Et comme il l’est précisé dans le registre des baptêmes 1805-1818 conservé au temple, sa mère Sophia Slessor est née au Portugal dans la province nord de Träs-Os-Montes le 21 juillet 1786. Elle décède à Nantes le 7 janvier 1873.

32« Nous sommes arrivés à Cauterets où elle se baigne et boit les eaux sans en avoir encore éprouvé aucun bon effet mais ce que je redoutais et ce qui se produit souvent, un empirement immédiat de la maladie. […] Cauterets est un endroit ennuyeux à habiter […] La hauteur des montagnes entre lesquelles le bourg est resserré, quelques magnifiques qu’elles soient, vous oppresse. » Correspondance conservée aux archives du musée Dobrée.

33Archives musée Dobrée, lettre écrite en 1872 de Thomas II à Giraud de Savines qui le remercie par la même occasion d’avoir revendu La Confession d’Augsbourg de Mélanchton qui était trop chère (551,21 F), qui plus est « n’était pas l’original ni par son impression, ni par sa langue ».

34Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 272. Effigies mentionnées dans les livres de comptes de Thomas II Dobrée.

35Aptel C., « La devise et la vouivre de la tour carrée », Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 292.

36Rousselot M.-C., op. cit., p. 104.

37Archives musée Dobrée et Aptel C., op. cit., p. 115.

38Robelet M., op. cit., p. 44.

39De Lisle du Dreneuc P., op. cit., p. 48.

40AMN, 8o Z 2 A 162, La Ville de Nantes et la Loire-Inférieure, Nantes, 1898, Imprimerie Émile Grimaud et fils, t. I, p. 196.

41Lettre citée par Aptel C., « La fortune de Thomas Dobrée », Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 96.

42Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 116. « Miséricorde » où se situe le cimetière protestant.

43AMN, 8 Z 2 A 162.

44Lettre conservée aux archives du musée Dobrée.

45De son vrai nom Sioc Han de Kersabiec.

46Aptel C., op. cit., p. 115.

47Gracq J., op. cit., p. 100. Le célèbre écrivain ne cite pas sa source…

48Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 32.

49Deux chasses de Saint Calmine des moines de l’abbaye de Mozac (Puy de Dôme) sont recensées en France : l’une conservée dans l’église de Mozac et celle du musée Dobrée. La chasse de Dobrée provient de l’abbaye de Tulle.

50Aptel C., op. cit., p. 277. Ces plans sont conservés aux archives du musée Dobrée.

51Sentence sans appel de Lisle du Dreneuc (de) P., op. cit., p. 59.

52Ibid., p. 60.

53« Il sait la genèse de tout le monument, l’histoire de chaque pierre : c’est le Quasimodo des Irlandais », ibid., p. 59.

54Collectif, Thomas Dobrée… op. cit., p. 292. Autre traduction plus fidèle : « Vis dans l’espoir ».

55Aptel C., op. cit., p. 294.

56Lettre de Thomas II, 21 septembre 1881 au sujet d’une taxe de droit de voirie. Nantes, musée Dobrée, archives : « J’aurai le regret, Mr le Maire, d’en refuser pour le moment le paiement, croyant que l’administration ne peut exiger une taxe sur une propriété où précisément par suite de l’inexécution de l’alignement qu’elle m’a donné, il y a dix ans, je suis empêché d’achever la construction commencée et que je ne puis habiter… ».

57AMN, donation Durand-Gasselin, 500 W 23 et 24 et Rousselot M.-C., op. cit., p. 105-106.

58Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., « Inventaire après décès des biens de Thomas (II) Dobrée », p. 300 et 303.

59De Lisle du Dreneuc P., « Musée T. Dobrée », op. cit., p. 66.

60Boniol F., Pierre-Antoine Labouchère, un peintre protestant du xixe siècle, Carrières-sous-Poissy, La Cause, 2010, 104 pages.

61Smiles S., The Huguenots, their settlements, churches and industries in England and Ireland, Londres, Ed. John Murray, 1868. Commenté par Esquiros A., « Les immigrations protestantes en Angleterre », Paris, Revue des Deux Mondes, t. 74, 1868.

62Bonnet J., « Nécrologie », Paris, BSHPF, t. XXII, 1873, p. 192.

63Luther à la Diète de Worms et Le chef camisard Cavalier par Pierre-Antoine Labouchère sont exposés au musée du Désert à Mialet. Jeanne d’Albret et Henri de Navarre au camp de La Rochelle est conservé au temple de Saint-Germain-en-Laye, de nombreuses gravures sont conservées à la bibliothèque municipale de Nantes.

64BSHPF, « Séances du comité. Extraits des procès-verbaux. Séance du 11 février 1873 », Paris, 1873, t. XXII, p. 431.

65Le fonds regroupe près de 5000 objets (autographes et portraits gravés) dont des autographes de monarques, hommes politiques, révolutionnaires, artistes, hommes et femmes de lettres.

66BSHPF, « Séances du comité. Extraits des procès-verbaux. Séance du 11 février 1873 », op. cit., p. 583.

67Delaborde J., « Rapport sur les travaux de la société », BSHPF, 1873, t. XXII, p. 197-198.

68Le fonds Labouchère : les pièces de la collection relatives aux musiciens des xviie, xviiie et xixe siècles ainsi que son inventaire global est disponible à la médiathèque de Nantes dans le volume XXII du Catalogue Général des Manuscrits.

69Archives du musée Dobrée. Ces lettres portent les cotes C 128, C 155 et C322, C 341.

70Lettre C 155.

71Archives du musée Dobrée. Lettre C 322.

72Archives du musée Dobrée. Lettre C 341.

73Ces épreuves étaient conservées dans un carton au fond d’un placard dans le temple. Provenant très probablement de l’ancien temple détruit par les bombardements de 1943, elles avaient été entreposées puis oubliées. Nous avons aussi découvert une photo du synode officieux de 1884 à Nantes. Nous ne savons pas ce que sont devenues les plaques de verre utilisées à l’époque pour photographier les événements.

74Encrevé A., L’expérience et la foi, Pensée et vie religieuse au xixe siècle, Genève, Labor et Fides, 2001. Zorn J.-F., « La division dans la Séparation », Études théologiques et religieuses 2007/1 ; t. 82, p. 103-119.

75Encrevé A., op. cit., p. 103.

76Encrevé A., « Les protestants à Paris à la fin du xixe siècle (1882-1907) », Paris, BSHPF, t. 154, juillet-août-septembre 2008, p. 351-380.

77ADLA, 84 V I, circulaire du 15 septembre 1885.

78ADLA, 124 J 56, 6 octobre 1880.

79Ibidem. Multitudinisme, principe au nom duquel une église protestante continue d’offrir des services (baptêmes, mariages, services funèbres, etc.) à une population qui n’est pas membre de l’église et n’exigeant pas de ses adeptes une profession de foi.

80En 1906, les biens du conseil presbytéral de l’Église réformée sont confiés à l’association cultuelle dite « Église réformée évangélique de Nantes », ADLA 124 J 2 : les statuts de l’Union nationale sont adoptés. ADLA 124 J 140, PV d’attribution des biens.

81Zorn J.-F., op. cit., p. 119.

82Ibid., p. 117. Léonard Émile G., Le protestant français, Paris, PUF, 2e éd., 1955.

83Harismendy P., « L’édit de Nantes, un enjeu de mémoire pour son tricentenaire », Paris, BSHPF, vol. 142, janvier-février-mars 1996, p. 81-128.

84Weiss Nathanaël, Paris, BSHPF, t. XLVII, quatrième série, septième année, 3 janvier 1898, p. 5. Il est ici question de l’édit de Saint-Germain.

85Ibid., p. 6.

86Ibid., p. 7.

87Ibid., p. 114.

88Harismendy P., op. cit., p. 103.

89La théorie du complot selon laquelle l’Histoire est le produit de l’action d’un groupe occulte agissant dans l’ombre ne date pas du xxie siècle : « un exemple, la présence de descendants de huguenots dans les armées prussiennes en 1870 avaient fourni de nombreux éléments aux antiprotestants pour stigmatiser le complot international », ibid., p. 105-106.

90ADLA, 124 J 57.

91Harismendy P., op. cit. p. 113.

92Cattiau M., « Les préoccupations du conseil municipal de Nantes sous les mandats d’Alfred Riom et Étienne Étiennez, 1892-1899 », BSAHNLA, t. 155, 2020, p. 340.

93ADLA, 124 J 43.

94Harismendy P., op. cit., p. 114.

95Weiss N., op. cit., p. 182.

96Harismendy P., op. cit., p. 117.

97Hivert-Messeca Y., « Le consistoire de Versailles et la Séparation », Paris, BSHPF, t. 151, octobre-novembre-décembre 2005, p. 694. Weiss ne tarissait pas d’éloge sur la thèse de Ferdinand Buisson, Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre (1515-1563). Ainsi compare-t-il la thèse de Buisson à « une œuvre conçue, poursuivie et achevée avec amour », BSHPF, t. 41, 1892, p. 209-213.

98Weiss N., op. cit., p. 184.

99« Éternel, Dieu d’Israël, tu es juste, car nous ne sommes plus, aujourd’hui, qu’un reste de rescapés. »

100Troisième centenaire de l’édit de Nantes – Compte-rendu des fêtes célébrées à Nantes le 31 mai, 1er et 2 juin 1898, Paris, Berger-Levrault et Cie, 1899, p. 20.

101Weiss N., op. cit., p. 187.

102Reymond B., Auguste Sabatier, un théologien à l’air libre (1839-1901), Genève, Labor et Fides, 2011, 147 pages.

103Sabatier A., « Orthodoxie et Libéralisme », Paris, Revue Chrétienne, t. 4, 1888, p. 401-423. La Revue Chrétienne est dirigée par Edmond de Pressensé (1824-1891).

104Ibid., p. 422.

105Ibidem.

106Ibid., p. 423.

107Ibidem.

108Contribution du professeur André Gounelle à notre recherche. Correspondance du 26 janvier 2018. Et Gounelle A., « Libéralisme ? », Paris, Évangile & Liberté, no 325, p. 13-18, janvier 2019.

109Weiss N., op. cit., à retrouver dans son intégralité p. 188-228.

110Martin Jean-Clément, La Loire-Atlantique dans la tourmente révolutionnaire, Éditions Reflets du Passé, 1989, p. 88. Weiss N., op. cit., p. 291.

111Apposée dans le temple, elle échappe à la destruction lors du bombardement du 23 septembre 1943. Elle est aujourd’hui placée à gauche dans le hall d’entrée du temple inauguré en 1958.

112Weiss N., op. cit., p. 297 : « Les protestants français, rassemblés à Nantes, pour commémorer le troisième centenaire de l’édit de Nantes, vous prient de bien vouloir agréer l’hommage de leur respect, ainsi que leurs vœux pour le bonheur et la grandeur de la patrie française ».

113Ibid., p. 298.

114Ibidem.

115« Chronique locale, l’édit de Nantes », Le Progrès de Nantes, mardi 31 mai 1898, p. 1. Le lendemain, le correspondant de ce journal socialiste et très anticlérical salue « l’intervention remarquable » de Nathanaël Weiss et s’émeut même de l’assemblée des « 600 personnes présentes entonnant le choral de Luther ».

116Weiss N., op. cit., p. 391.

117Ibidem.

118ADLA, 124 J 43.

119ADLA, 124 J 43, la signature est orthographiée « Maluskhi », un H qui disparaît ensuite dans l’état civil.

120C’est à Orléans, en 1905, au synode officieux des Églises réformées orthodoxes, que Wilfred Monod et Élie Gounelle pourtant eux-mêmes issus du camp orthodoxe, remirent leur démission face à l’intransigeance de leurs ainés, in Monod W., Pour l’Unité protestante, Paris, 1932, p. 33.

121Weiss N., op. cit., p. 304. Le 400e anniversaire de l’édit de Nantes fut également célébré à Nantes en 1998.

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