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Chapitre VII. L’intégration politique
p. 203-248
Texte intégral
Au service de la cité
1Les protestants nantais se sont investis en politique dès la Révolution française. Le pasteur Jacques Barré et Pierre-Frédéric Dobrée siègent ensemble à Nantes au sein de la première municipalité républicaine de 1792 à 17931. Le gouvernement sollicite Thomas I Dobrée pour entrer au Conseil du commerce de Paris en 1819. Mais il décline la proposition de devenir député de Loire-Inférieure en 1827. La Légion d’Honneur lui est remise le 29 octobre 1828 par le ministre du Commerce et des Manufactures pour son « honorable notabilité » et la « confiance accordée par ses pairs », moins de deux mois avant sa mort2.
2Les protestants ont plutôt bien vécu l’avènement de Napoléon au regard des articles organiques qui instaurent l’égalité des cultes. Dès 1803, le pasteur Molles (démissionnaire) suivi du pasteur Dejoux, nommé par le préfet Belleville, ne cachent pas leurs sympathies bonapartistes. Bonaparte ne mène pas une politique cléricale. En se brouillant avec le pape, il éloigne le spectre redouté de l’union du trône et de l’autel. Mais il ne favorise pas pour autant les protestants. À l’exception notoire d’Otto de Mosloy, ministre d’État en 1813, l’exécutif ne compte pas de ministres protestants. La plupart des notables protestants, Say, Constant, Germaine de Staël, prennent rapidement leurs distances avec Bonaparte en raison de l’absence de liberté qui règne dans la France du début du xixe siècle. Thomas I Dobrée, cheville ouvrière de la Chambre de commerce, s’accommode tant bien que mal du bonapartisme. La visite de Napoléon Bonaparte en 1808 sur l’estuaire de la Loire, de Nantes à Paimbœuf, ne suscite ni enthousiasme ni réticences de la part des négociants protestants, malgré une situation économique particulièrement défavorable : perte de Saint-Domingue, faillite de l’indienneur Favre-Petitpierre avec un passif de 459 000 francs, sans compter le blocus continental3. Mais la possibilité offerte par le gouvernement à la Chambre de commerce de pouvoir gérer les entrepôts du port et d’en obtenir la concession compense les difficultés.
3La chute de Bonaparte en 1815 ne provoque aucun regret et l’arrivée de Louis XVIII est saluée avec courtoisie et prudence. Il est vrai que Thomas I et ses coreligionnaires ne se plaignent pas de cette période qui concilie conservatisme de l’Ancien Régime et conquêtes de la Révolution et de l’Empire. C’est le temps où la pêche à la baleine fait de Nantes le second port baleinier de France après Le Havre et consacre Thomas I Dobrée comme l’hôte émérite du Duc d’Angoulême et de la duchesse de Berry. C’est l’époque où le même Dobrée établit des relations avec l’Inde, l’Extrême-Orient et s’active autour des forges de Basse-Indre. C’est aussi le temps où les négociants fluctuent politiquement entre libéralisme économique et protectionnisme. Ainsi en 1821, Thomas I se déclare favorable à un protectionnisme interdisant aux colonies de s’approvisionner en marchandises sous pavillon étranger. Tout en défendant la liberté du commerce et l’abaissement des droits de douane pour le port de Nantes. C’est enfin l’époque où émergent les raffineurs de sucre autour des Say et de jeunes entrepreneurs protestants ambitieux à l’image des Favre et Voruz.
4C’est aussi une période agitée. Les trois glorieuses, journées révolutionnaires des 27, 28, 29 juillet 1830, au cours desquelles le roi Charles X est renversé et qui mettent fin à la Restauration, sont sanglantes à Nantes. Pierre-Samuel Voruz est tué place Louis XVI, tandis que son frère Jean-Simon, le futur grand industriel nantais, est blessé. C’est l’époque de la conjuration de la duchesse de Berry qui, en novembre 1832, est arrêtée à Nantes.
Des barons d’Empire
5Le général d’Empire, Pierre Dumoustier, prend officiellement le commandement de la 12e division militaire après le départ de Charles X. Ce militaire de carrière a participé à toutes les grandes batailles de l’Empire (Austerlitz, Ulm, Wagram…). Protestant, membre du consistoire, le général Dumoustier n’est pas un inconnu en politique : en 1815, durant les 100 jours, il siège à la chambre des représentants pour le département de Loire-Inférieure4. Louis-Philippe le confirme dans ses fonctions qu’il occupera jusqu’à sa mort, le 15 juin 1831, à la suite de l’amputation d’une jambe en chutant de cheval lors d’une tournée d’inspection. Ce militaire qui a survécu à tant d’opérations armées et meurtrières, aux côtés de l’Empereur Napoléon, décède d’une simple chute équestre sur un champ qui n’était pas de bataille. Il avait 60 ans. Ses obsèques ont lieu le 17 juin 1831 et son tombeau, récemment restauré, se situe dans le carré protestant du cimetière Miséricorde à Nantes5.
6Nantes compte également un autre général protestant et Baron d’Empire, Étienne Brouard. Il commande le département de la Loire-Inférieure de 1812 à 1815 et siège aux côtés de Dumoustier à la Chambre des représentants durant les cent jours6. Émile et Adolphe, les enfants de son second mariage avec Charlotte de Koenig, sont baptisés par le pasteur Dejoux en 18117. Il décède à Paris en 1833 après avoir été mis hors cadre et à la retraite par la Restauration. Il avait été fait Chevalier de l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis par Louis XVIII en 1814, durant l’exil de Bonaparte à l’Île d’Elbe. Un ordre réservé par un édit de Louis XIV du 5 avril 1693 pour récompenser les officiers… catholiques.
7Enfin, comment ne pas citer un autre Baron d’Empire, fidèle parmi les fidèles de Bonaparte : le général et vicomte Cambronne (1770-1842), qui nia avoir prononcé le mot si célèbre. Sérieusement blessé à Waterloo, d’un éclat d’obus à la tête, d’un coup de sabre au bras droit, d’un coup de baïonnette à la main droite, il épouse durant sa captivité Mary Osburn (1773-1854), une infirmière d’origine écossaise et protestante. Il ne se convertit pas pour autant au protestantisme. Ils reposent tous les deux au cimetière Miséricorde. Mary Osburn dans le carré protestant à proximité de la tombe du général Dumoustier. Celle de Pierre Cambronne à 50 mètres environ dans l’espace catholique. À la fin de leur vie, ils séjournent souvent à Saint-Sébastien-sur-Loire, dans le manoir de la Baugerie, propriété de Mary Osburn et jouxtant le domaine de la famille Petitpierre sur les bords de la Loire8.
Ferdinand Favre : un industriel en mairie
8C’est à ce tournant de l’histoire de Nantes, en 1830, qu’apparaît Abraham-Ferdinand Favre (1779-1867), neveu et beau-frère de Ferdinand Petitpierre. Il naît le 28 janvier 1779 en Suisse, tout comme Jean-Simon Voruz. Il rejoint la famille Petitpierre à Nantes en 1793 avec ses parents et son frère Henri-Friedrich. Il n’a pas 15 ans lorsqu’il participe à la défense de Nantes contre les Vendéens en 1793. Il est avant tout un industriel, fabriquant d’indiennes. L’effondrement de cette activité le pousse à fonder, avec Ferdinand-Louis Petitpierre et son frère, une brûlerie de café puis une distillerie, une fabrique de vinaigre, une entreprise de vins en gros et surtout une entreprise d’engrais à base de noir animal. Dès 1822, il se lance dans cette production de « l’or brun » réalisée à partir de résidus des raffineries de sucre dont il a constaté le pouvoir fertilisant avec l’apport d’amendements calcaires. Le succès est prodigieux tant la demande des agriculteurs est forte9.
9Ainsi vers 1840, Nantes détient un véritable monopole sur le commerce européen du noir animal qui contribue à l’expansion des surfaces cultivées et à l’augmentation de la production de céréales en Bretagne. La réussite est telle que certains négociants indélicats en profitent pour fournir des produits contrefaits, ce qui entraîne la création dans la ville en 1852 du premier laboratoire français d’analyse agricole10. Favre est incontestablement un « multicarte » aux nombreux réseaux. Il est également officier de la Garde nationale durant la révolution de 1830. L’un de ses cousins, Ferdinand Petitpierre, fils, est adjudant de la place et finit sa carrière commandant d’État-Major.
10C’est ainsi que ses prédispositions d’organisateur sont très rapidement remarquées. Partisan de Louis-Philippe, il entre au conseil général de Loire-Inférieure aux côtés de René Soubzmain alors maire de Nantes11. Par ordonnance royale, Favre est à son tour nommé 104e maire de la ville en 1832. Et pour une durée record : 31 années de mandat municipal. Son réseau d’influence au plus haut niveau national a incontestablement joué en sa faveur car au sein du Conseil, Ferdinand Favre, avec 59 voix, n’est qu’en 14e position. Le premier élu est Philippe-René Soubzmain (90 voix)12.
11Dès le début de son mandat, il est confronté à une grave crise politique nationale : la conspiration de la duchesse Marie-Caroline de Berry qui, pour faire valoir les droits légitimes de son fils Henri V, tente un soulèvement monarchiste légitimiste en Vendée. Elle est arrêtée à Nantes ainsi que le protestant Ulrich-Louis Pelloutier, ardent légitimiste et fils de Jean Ulrich Pelloutier, indienneur, armateur et consul de Prusse13. Il avait été promu Baron de Boisrichard par Charles X. Ce qui peut expliquer sa loyauté et son fidèle soutien. Il aurait reçu des propres mains de la Duchesse « héroïquement folle », un morceau d’étoffe de la robe qu’elle portait ce jour. Il fut arrêté au château de Launay, près de Châteaubriand14. Le général d’Empire Paul Ferdinand Stanislas Dermoncourt, commandant de la Loire-Inférieure, a laissé dans ses mémoires un témoignage de cette affaire lors de son passage à Nantes. La duchesse est amenée sur le quai de la Fosse sous bonne escorte par le préfet Maurice Duval et le maire Ferdinand Favre. Dans ses mémoires, Paul Ferdinand Dermoncourt évoque le départ de la duchesse :
« Ils montèrent dans une voiture qui les conduisit à la Fosse où les attendait un bateau à vapeur, sur lequel se trouvaient déjà […] Ferdinand Petitpierre, adjudant de la place de Nantes, et Joly, commissaire de police de Paris. Madame était accompagnée, en se rendant au bateau, de M. le général d’Erlon, de M. Ferdinand Favre et de M. Maurice Duval. […] M. le général commandant la division, M. le préfet et M. le maire de Nantes devaient accompagner Madame jusqu’à Saint-Nazaire, et ne la quitter qu’après son embarquement sur le brick la Capricieuse. En mettant le pied sur le bateau, Madame s’informa si M. Guibourg la suivrait. Le préfet lui répondit que la chose était impossible. Alors elle demanda une plume et de l’encre, et lui écrivit le billet suivant : « J’ai réclamé mon ancien prisonnier, et l’on va écrire pour cela. Dieu nous aidera, et nous nous reverrons. Amitié à tous nos amis. Dieu les garde ; courage, confiance en lui. Sainte Anne est notre patronne à nous autres Bretons ». Ce billet fut confié à M. Ferdinand Favre, qui le remit religieusement à son adresse15. »
12Un geste que n’oublieront peut-être pas les légitimistes à son égard quelques années plus tard.
13La nouvelle monarchie du « Roi des Français » est libérale. Le gouvernement de Louis-Philippe compte de nombreux protestants, à l’image de l’emblématique François Guizot16. Le roi orléaniste accepte que ses enfants se marient avec des protestants. Ainsi, sa fille aînée épouse le roi des Belges, luthérien, Léopold 1er de Saxe-Cobourg. Son fils aîné, Ferdinand, épouse l’Allemande et luthérienne Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Sa cadette, Marie, épouse en 1837, l’Allemand et protestant duc de Wurtemberg. À Nantes, comme dans le reste de la France, il est malaisé de connaître l’opinion politique réelle des protestants. Ils sont loyalistes et font confiance à leur coreligionnaire Ferdinand Favre qui est encore diacre de l’Église en 183017. Mais le rôle de Favre dans la répression de plusieurs grèves des maçons à Nantes, en 1836 et 1847 notamment, le détourne de l’aile protestante la plus républicaine18. Ferdinand Favre est aussi un visionnaire. C’est sous sa mandature que sont engagés les grands travaux d’urbanisme tels que l’arrivée du chemin de fer, le percement des grands boulevards qui modifient la trame urbaine de Nantes. Il favorise l’implantation de l’institut des « sourds-muets » (telle est l’appellation de l’époque) à La Persagotière, établissement catholique installé auparavant dans l’hôpital Saint-Jacques au sud de Nantes. Il est un partisan de l’ouverture d’une ligne transatlantique à destination des Antilles et soutient le projet de l’avant-port à Saint-Nazaire.
14La Révolution de 1848 met un coup d’arrêt brutal à sa carrière politique. En apparence du moins. Le 28 février 1848, deux chefs politiques républicains apparentés aux protestants, membres du conseil municipal, le docteur Ange Guépin et l’imprimeur Victor Mangin, se présentent à la préfecture pour confirmer à la fois l’abdication de Louis-Philippe et la révocation du préfet. Et dans la foulée, la propre nomination de Guépin au titre de préfet. Le 1er mars, son compagnon de lutte, Michel Rocher est nommé préfet-adjoint et invite Ferdinand Favre à installer des ateliers, dits « nationaux », pour occuper les ouvriers au chômage19. Favre est peu enthousiaste et Rocher le limoge le 21 mars suivant. C’est un autre protestant, Évariste Colombel, républicain modéré, qui est nommé maire. Pour peu de temps également. Entre-temps, la campagne présidentielle bat son plein. Guépin comme Colombel font campagne pour le général Cavaignac. Le choix de Guépin peut surprendre : Est-ce parce que Cavaignac, tout comme Guépin, est lui aussi franc-maçon et l’époux d’une protestante20 ? Cavaignac s’était rendu très impopulaire par sa dure répression des émeutes ouvrières de 1848 lors de la fermeture des ateliers nationaux21. Cette « seconde Révolution » de 1848 dénommée « Les journées de juin » fait un carnage. 3 500 morts officiels côté insurgés, 1 500 morts côté militaires et gardes nationaux, 7 généraux dont le général Bréa assassiné par les émeutiers tandis qu’il tentait de parlementer, des milliers de déportés.
15Louis-Napoléon Bonaparte est largement élu devant Cavaignac22. À Nantes, les résultats sont beaucoup plus serrés puisque Napoléon-Bonaparte ne récolte que 40 % des suffrages devant Cavaignac et Ledru-Rollin. Le plébiscite de 1870 confirmera cette orientation : près de 75 % de « non » traduisent l’opposition de Nantes au régime impérial23. Il est difficile de connaître la répartition des suffrages au sein de la communauté protestante. Elle est probablement en faveur de Bonaparte, neveu de l’empereur qui est l’auteur des articles organiques reconnaissant officiellement les Églises réformées et luthériennes, rétablit l’égalité des cultes dans un environnement très catholique et hostile aux protestants. Cependant, il est fort probable qu’une partie non négligeable des électeurs protestants se soient rapprochés du projet d’une république libérale incarnée par Cavaignac.
16Ferdinand Favre jouit d’un fort soutien au sein de la bourgeoisie nantaise et se rallie au parti de l’ordre qui rassure les élites. Il se présente à l’Assemblée constituante et est élu le 23 avril avec le soutien des électeurs conservateurs et l’appui du clergé catholique avec lequel il entretient de très bonnes relations. Son score est sans appel : 82 291 voix soit 66 % des suffrages24. Avec la droite dure, il soutient la proposition de dissolution de l’Assemblée constituante du député Rateau et s’exprime contre l’amnistie des émeutiers de 1848. Il est réélu le 13 mai 1849 par 72 669 voix, pour 148 363 inscrits, avec à nouveau l’appui des conservateurs mais aussi du parti monarchiste légitimiste qui ne lui tient pas rigueur de ses opinions libérales orléanistes. Les légitimistes se souviennent-ils de sa mansuétude à l’égard de la duchesse de Berry lors de sa rocambolesque arrestation en 1832 ?
17Il soutient Louis-Napoléon Bonaparte et, après le coup d’État de 1851, fait partie de la commission consultative. Il siège dans la majorité, vote pour l’expédition de Rome, les lois restreignant la liberté de la presse, le droit de réunion et le suffrage universel25. Il vote naturellement contre l’amendement Grévy de 1848 qui visait à supprimer la fonction de président de la République. Mais il vote avec la gauche pour l’abolition de la peine de mort, pour la réduction de l’impôt du sel. Candidat du gouvernement dans la 2e circonscription de la Loire-Inférieure, il est élu député au Corps législatif, le 29 février 1852, cette fois-ci plus difficilement, au second tour de scrutin, par 7 626 voix sur 10 573 votants et 36 608 inscrits, contre 2 300 voix à M. Waldeck-Rousseau, 399 à M. de Sesmaisons et 184 à M. Braheix, tous les trois anciens représentants. Entre-temps il est nommé maire de Nantes, le 30 décembre 1851, et réinstallé le 31 janvier de 1852.
18Son mandat dure à nouveau 13 ans. Il s’entoure de protestants comme Charles Philippe, beau-père de Charles Lechat et futur maire républicain. Il est également nommé, la même année, président du conseil général de Loire-Inférieure. Son soutien indéfectible à Louis-Napoléon Bonaparte ne se dément pas. Il imagine de faire de Nantes une « résidence impériale », à l’instar de Lille, Strasbourg, Lyon et Bordeaux. En séance du conseil municipal, le 6 août 1853, il propose d’acquérir le château de l’Abbaye à Chantenay et de l’offrir à l’empereur mais ce projet n’aboutit pas faute de soutiens politiques. En 1856, après la naissance du prince impérial, Ferdinand Favre propose de lui offrir une résidence nantaise ; mais le ministre de l’Intérieur décline cette offre au nom de l’empereur, notamment en raison de la crue récente de la Loire26.
19En 1857, il fait son entrée au Sénat. Son pragmatisme politique provoque la risée de ses opposants. Une biographie parlementaire rappelant les antécédents orléanistes puis bonapartistes du nouvel élu, ajoute : « Monsieur Favre, après avoir manifesté son attachement à Louis-Philippe a maintenant les immunités d’un bonapartiste décidé. Enfin protestant, il a l’appui du clergé, voilà ce qui s’appelle manger à tous les râteliers27. »
20Au Sénat, il continue de voter avec les partisans du régime impérial. Mais son mandat de maire prend fin en 1866. Sa liste est battue par le rassemblement de l’opposition d’Union libérale au sein de laquelle l’on retrouve notamment Ange Guépin et René Waldeck-Rousseau. Une liste très largement soutenue par l’aile gauche et républicaine protestante : on y trouve Gabriel Lauriol, Charles Lechat (futur maire), les avocats François Gouillard, Lucas de Peslouan gendre de Guépin, Amable-André Sibille et son fils Maurice (futur député), le monde des affaires autour d’Hippolyte Durand-Gasselin, Émile Péquin au sein de l’Union démocratique28. On peut raisonnablement penser que l’extrême bienveillance de Favre à l’égard de la hiérarchie catholique nantaise, pour se ménager la magnanimité et le soutien de leurs membres, ne fut pas toujours du goût de l’église réformée de Nantes, à commencer par celui du pasteur Benjamin Vaurigaud qui lui reproche de l’oublier lors des inaugurations au profit de l’évêque. Ainsi commence le crépuscule de Ferdinand Favre qui déserte sa résidence du Clos sur l’Eau pour son appartement de la rue de Rivoli à Paris où il décède le 17 juillet 1867 à l’âge de 88 ans. Son corps est transféré au cimetière de famille du Clos sur l’Eau à Saint-Sébastien-sur-Loire, le 20 juillet29.
21Ferdinand Favre laisse le souvenir d’un grand maire bâtisseur, industriel et visionnaire. À son actif, on peut citer l’amélioration du port, la fondation de la ligne paquebots Nantes-Antilles, le chemin de fer… Mais aussi le souvenir d’un politicien versatile et parfois peu fidèle à ses convictions. Il possède néanmoins un jardin secret pour lequel il voue une véritable passion : c’est lui qui fait de Nantes une capitale du camélia30. Abraham-Ferdinand Favre fait en effet venir à grands frais des plants d’Angleterre et réussit à les faire pousser en pleine terre. En 1857, on compte à Nantes 250 000 pieds de camélia de 60 espèces différentes et 200 variétés. Dans sa résidence du Clos sur l’Eau surnommée « Singe Doré », cohabitent 27 000 plants31. Nous ne savons pas très bien comment Favre découvrit cette plante, probablement en visitant une exposition à Gand à l’âge de 27 ans. Lors de son second mandat de maire en 1839, il crée un cours de botanique, joue un rôle essentiel dans la création du jardin des plantes, après avoir créé la société d’horticulture. Nous ne connaissons pas plus sa vie personnelle ni ses relations amicales ou affectives si ce n’est qu’il est célibataire et autrement que par son goût prononcé pour la vie politique. Son neveu, le colonel Joseph Rousseau de la Brosse, dira de lui : « Chose curieuse chez cet esprit fin et observateur, existaient deux tendances en apparence irréconciliables. L’une le portait à approuver les mesures politiques les plus rigoureuses, l’autre faisait de lui un homme essentiellement bon cherchant les occasions de se rendre utile et dont tous les gestes étaient empreints de la plus grande simplicité32. »
Jean-Simon Voruz
22Jean-Simon Voruz accompagne Ferdinand Favre dans les méandres du pouvoir. Il est élu conseiller municipal puis adjoint sous l’exercice des maires Colombel et Favre. Il est réélu en 1855 et en 1860. Nous ne connaissons pas la nature de son vote aux présidentielles de 1848. En faveur de Cavaignac ? Peut-être, au regard de son engagement pour l’éducation et la promotion des ouvriers. L’homme social est plutôt libéral. En sa qualité d’adjoint, il entre à la Société académique en 1850. Il est membre de la Chambre de commerce. Il siège également au tribunal de commerce de 1853 à 185733. Lors du coup d’État de 1851, Voruz démissionne de son mandat municipal. La raison est obscure. Proteste-t-il contre la répression à l’égard des républicains ? Trouve-t-il dans la personnalité de son coreligionnaire, Évariste Colombel, un partisan trop tiède de Louis-Napoléon Bonaparte ? Malgré cela, quelques mois plus tard, il figure sur la liste de Ferdinand Favre lui-même nommé maire le 30 novembre 1851. Et il se rallie logiquement à l’Empereur. Car ses activités industrielles l’amènent à signer des contrats important avec le pouvoir tant les domaines de l’armement ou des chemins de fer.
23Le préfet le juge ainsi : « Homme loyal, d’une probité inattaquable, d’un dévouement sans égal pour ceux qui souffrent, ne reniant jamais ses origines populaires, M. Voruz représente la société moderne dans ses aspirations les plus libérales34. » Sa qualité de notable lui permet de se présenter à la législative du 17 décembre 1859 sur la seconde circonscription de la Loire Inférieure. Il est élu député au Corps législatif face au candidat, également protestant, Alphonse Cézard : 15 455 voix contre 2 488. Les protestants regroupés au sein de l’Union démocratique n’oublieront pas son ralliement à l’Empereur. Car son mandat prend fin à la législative de 1863. Que reproche-t-on à Voruz ? Tout est formulé dans sa profession de foi qui relève plus de la justification d’un élu en difficulté que du projet politique :
« Depuis deux jours, on répand pour nuire à ma candidature les bruits les plus injustes […]. J’oublie les noms de ceux qui se font les propagateurs de ces calomnies ; je ne poursuivrai personne, mais je tiens à m’expliquer devant vous. Aux négociants, à tous ceux qui s’occupent de commerce et d’industrie, aux propriétaires, on va colporter que je ne me suis pas occupé des intérêts de la ville. […] Aux ouvriers, on essaie de faire croire que c’est moi qui aie proposé au gouvernement de frapper les alcools d’un droit de 60 centimes : enfin, il y a des hommes qui ne reculent pas devant toutes les calomnies qui peuvent être de nature à m’aliéner la classe ouvrière. Ouvriers, je suis né parmi vous, j’ai toujours vécu au milieu de vous. […] À tous enfin, on dit que je n’aime pas la liberté. La liberté ! Qui donc la désire plus sincèrement que moi ? Qui lui a donné plus de gages que moi35 ? »
24La profession de foi de Voruz est défensive et elle est particulièrement consubstantielle à la vie économique du port. Le sucre des colonies ne peut plus lutter contre celui venu de la culture de betterave métropolitaine. Le trafic portuaire nantais connaît une inquiétante baisse et stagne au profit de Saint-Nazaire qui finit même par dépasser celui de Nantes36. Le traité de libre-échange signé entre la France et la Grande-Bretagne en 1859 rebat les cartes économiques et va à l’encontre de la bourgeoisie négociante et portuaire nantaise toujours obnubilée par ses colonies et par le protectionnisme, alors que Voruz exporte à l’étranger. Quant à sa supplique sur la liberté, Voruz paye le prix de l’image d’un homme certes né parmi les ouvriers, qui a combattu au prix fort par la mort de son frère la monarchie en 1830, mais qui est désormais un notable rallié au liberticide Napoléon III. C’est ainsi que Jean-Simon Voruz est battu par le candidat indépendant, mais classé à gauche, Victor Lanjuinais avec le soutien des protestants au sein de l’Union démocratique37.
25Sa vie politique n’en est pas pour autant finie : il prend sa revanche en 1863 en étant le premier industriel à accéder à la présidence de la Chambre de commerce et succède à des négociants ou à des armateurs qui l’ont combattu politiquement. Il est même élu maire d’Aigrefeuille-sur-Maine en 1878. Mais, les défaites électorales de Voruz et de Favre à Nantes sonnent le glas de « la vieille société protestante », orléaniste et bonapartiste selon l’expression de Jacky Réault38. À la veille de la IIIe République, une nouvelle génération protestante est majoritairement républicaine malgré un rapport erroné du préfet en 1862 : « Favre et Voruz représentent bien l’opinion générale de la majorité des négociants, industriels et autres propriétaires qui forment le noyau de la bourgeoisie protestante39. » L’avocat, le médecin, l’homme de lettres remplacent les négociants et « les républicains apparaissent comme les seuls véritables défenseurs des intérêts de l’Église réformée40 ». La page de l’orléanisme est tournée. Les protestants nantais comme beaucoup de leurs coreligionnaires français étaient avant tout orléanistes « parce que le régime était libéral, dénué de cléricalisme, et surtout pacifiste dans sa politique extérieure, argument de poids pour une bourgeoisie qui fait preuve des plus grandes audaces commerciales41 ». Une nouvelle génération de protestants tourne la page d’un clan issu du négoce post révolutionnaire et d’origine suisse. Le protestantisme des indienneries n’est plus qu’un souvenir et d’autres types de négociants entrent au consistoire, tels Pierre Clémot, Jules Cézard, ou bien encore les Durand-Gasselin.
Les autres maires protestants
26Dès les années 1860, de nouveaux noms apparaissent sur les registres, tel celui de Paul Bellamy, baptisé le 30 mai 1867. Mais aussi des Marchand, Cormerais ou bien encore Chessé. La chute de Napoléon III à Sedan n’émeut guère les protestants. Quelques années plus tard, nous trouvons dans les archives une liste des soldats mobilisés et une demande de recherche des disparus pendant la guerre franco-prussienne de 1870. Cependant, une prière est organisée en 1871 au temple pour que Dieu mette fin « à tant de malheurs42 ».
27Ange Guépin, remarié en 1850 avec la protestante Floreska Leconte, est à nouveau nommé préfet de Loire-Inférieure puis élu en 1864 conseiller général43. La ville compte alors 118 317 habitants dont 800 protestants environ. Leur présence politique est toujours aussi solide. Ce qui fait dire au pasteur Dartigue-Peyron que « notre influence vaut mieux que notre nombre et à Nantes en particulier, le protestantisme jouit d’une heureuse considération peu en rapport avec son importance numérique44 ». La proclamation de la IIIe république marque un tournant. Le soutien des protestants au nouveau régime ne fait aucun doute. En février 1871, le président du conseil presbytéral, Hippolyte-Marie Durand-Gasselin formule cette considération :
« Généralement, on ne sait pas assez ce que c’est la République. Le peuple s’imagine que c’est un gouvernement sous lequel il pourra faire impunément tout ce qu’il voudra, et les gens riches se figurent que la République est nécessairement le régime du désordre et de l’anarchie. Erreur des deux côtés que l’instruction seule pourrait effacer. Nous avons bien à faire pour mettre le peuple dans la bonne voie car à côté de l’erreur il y a les passions : l’ambition de dominer, l’amour des richesses, la paresse, l’envie, la jalousie, la haine. Il faut donc moraliser le peuple en même temps que l’instruire pour le rendre vraiment républicain45. »
28Une nouvelle génération politique fait son apparition à Nantes. Nationalement, c’est l’âge d’or du protestantisme français en politique avec l’arrivée du ministère Waddington composé majoritairement de ministres républicains et de confession réformée dont Élie Le Royer, Léon Say, Jean-Bernard Jauréguiberry, Charles de Freycinet. Ce dernier est l’auteur d’un plan qui vise la modernisation des voies ferrées et des ports46. Cette période sonne également le glas du protestantisme bourgeois et orléaniste incarné par François Guizot. Ce sont des protestants, Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Félix Pécaud ou bien encore Émile Fourcand maire de Bordeaux qui entourent l’agnostique Jules Ferry lui-même marié à une protestante, Eugénie Risler fille de l’industriel Alsacien, Camille Risler dont le fils Charles Risler est maire du VIIe arrondissement de Paris. Ils organisent l’établissement de l’enseignement laïc, public, gratuit et obligatoire. Sur 55 cabinets ministériels en exercice entre 1875 et 1914, une dizaine ont été conduits par des protestants, soit près de 20 %47.
29Évariste Colombel. Le xixe siècle et le début du xxe siècle est marqué par l’élection ou la nomination de quatre autres maires protestants. Le premier, Évariste Colombel, est un républicain modéré et n’est pas un débutant en politique. Cet ancien élève du petit séminaire catholique qui se convertit est issu du milieu juridique. Son père, Hyacinthe Colombel, est juge au tribunal civil de Nantes, et fait partie des opposants résolus au régime de la Restauration. Évariste, après ses études de droit, exerce la profession d’avocat et est choisi comme bâtonnier de Nantes à deux reprises. Il est élu conseiller municipal de Nantes en 1843 et son coreligionnaire maire Ferdinand Favre le nomme adjoint jusqu’à sa démission en octobre 184448. Nous ne connaissons pas, faute d’archives suffisantes, les raisons pour lesquelles il démissionne. Nous pouvons supposer un désaccord avec la ligne politique de Favre. Le 1er août 1846, il est élu de justesse député du sixième collège électoral de la Loire-Inférieure de Paimbœuf par 79 voix contre 78 attribuées au contre-amiral Le Ray, député orléaniste sortant. Il siège dans les rangs de l’opposition de gauche mais contracte une méningite qui menace sa vie. Il doit renoncer un temps à son mandat et s’apprête à reprendre son poste au Palais-Bourbon, quand éclate la révolution de février 184849.
30Il est nommé maire de Nantes le 21 mars 1848 par le commissaire du gouvernement Maunoury et remplace Ferdinand Favre révoqué. En juin, il organise l’envoi de volontaires nantais de la garde nationale pour mettre fin aux journées de juin de l’insurrection parisienne, ce qui explique sans doute son soutien ultérieur à Cavaignac lors des élections présidentielles de 1848. Bien qu’en 1849, il accueille courtoisement le président de la République Napoléon Bonaparte, le coup d’État du même président met fin à ses fonctions le 30 décembre 1851. Son court mandat est marqué par le financement d’une série de travaux urbains qui pallient aux difficultés économiques et au chômage des ouvriers, tels l’achèvement du joyau nantais, le cours Cambronne, les constructions des églises Saint-Nicolas et Notre-Dame du Bon Port. Mais l’évènement important de son mandat demeure l’inauguration du chemin de fer de Paris à Nantes pour lequel Ferdinand Favre avait tant œuvré. Son mandat est également marqué, en 1849, par une grave épidémie de choléra qui emporte Clothilde Guépin. Évariste Colombel, de santé fragile, décède le 22 novembre 1856 à son domicile nantais rue de la Poissonnerie (actuellement rue de la Paix). Ferdinand Favre prononce son éloge funèbre au temple50.
31Julien Charles Lechat. À Nantes, parmi les nouveaux promus, le protestant Julien Charles Lechat, accède à la magistrature municipale suprême. Agrégé de lettres mais contraint de démissionner en 1855 en raison de son appartenance à la religion réformée, il embrasse une brillante carrière industrielle à la tête de la conserverie Philippe et Canaud. L’entreprise est à l’origine celle de son beau-père, Charles Philippe lui-même protestant et associé à Henri Canaud également protestant. Charles Lechat fait preuve de sens pratique et est un remarquable animateur. L’organisation de l’entreprise est familiale : Alfred Chessé et Raoul Philippe, les deux beaux-frères (protestants) de Charles Lechat, assurent une direction collégiale.
32Il entre au tribunal de commerce en 1864 et est élu conseiller municipal républicain en 1870 aux côtés de René Waldeck-Rousseau51 ; celui-ci se retirant en juin 1873 pour des raisons de santé, Charles Lechat, alors promu au rang de premier adjoint, fait fonction de maire jusqu’en mars 1874. Le 13 décembre, il est nommé maire et est installé le 23 décembre par le préfet. Il occupe la fonction jusqu’en 1881 et c’est sous son mandat que sont créés l’annexe du lycée de Nantes, l’actuel lycée Jules-Verne et le premier tramway. Le préfet dit de lui, dans un rapport de 1878 : « il consacre à la mairie de Nantes la popularité que lui assurent ses opinions républicaines, le crédit de sa grande situation industrielle, de sa fortune, de son honorabilité et intelligence administrative52 ». Son patrimoine lui permet d’occuper sur la place Launay (actuelle place Mellinet) un hôtel particulier géré par quatre domestiques à son service. À sa mort, en 1894, c’est son gendre Arthur Benoît, qui prend la suite de ses affaires et qui résidera dans cette maison53.
33Georges Colombel est le dernier protestant qui accède à la fonction de maire au xixe siècle. Il est baptisé au temple le 12 juin 1838 et marche sur les pas de son père54. Georges Colombel, également avocat, s’engage en politique. Il réside un temps dans la commune du muscadet, à Saint-Julien-de-Concelles, dont il est maire de 1865 à 1867. Militant républicain, franc-maçon, opposé à Napoléon III, membre du parti républicain, il devient l’assistant d’Ange Guépin commissaire de la République à la chute du Second empire. Nantais, il intègre le nouveau conseil municipal dirigé par René Waldeck-Rousseau, et demeure conseiller municipal sous la municipalité d’Arsène Leloup. Il est l’un des adjoints sous les trois municipalités de Charles Lechat, entre 1874 et 1881. Le 28 novembre 1881, il est nommé maire par Jules Grévy, président de la République. Sa fonction est confirmée par le conseil municipal, le 25 avril 1882, au scrutin secret et à la majorité des suffrages, par les membres du conseil municipal55. Cet amateur d’art et d’archéologie enrichit les collections de l’actuel musée Dobrée. Le 13 janvier 1885, il présente sa démission, mais est réélu maire lors de la séance du 27 janvier suivant.
34Son mandat est marqué, comme ce fut le cas pour son père, par une épidémie de choléra qui frappe le faubourg de Richebourg en octobre 1884 et provoque la mort d’une centaine de personnes. Il échoue aux élections législatives du 4 octobre 1885 et aux sénatoriales du 20 octobre 188656. Il est alors très meurtri par une campagne calomnieuse dirigée contre lui, à propos d’une souscription organisée à la mairie pour l’obtention d’une croix de la légion d’honneur rehaussée de diamants. La rumeur enfle, et face aux critiques de sa gestion municipale, il démissionne définitivement le 15 octobre 1885. À ce jour, rien ne permet d’affirmer que cette souscription ait été voulue par Georges Colombel. Cette affaire fut même mise en chanson et colportée par les journaux satiriques et d’extrême droite. Les couplets sont d’une cruelle férocité :
« ALLÉLUIA, Hymne dédié à deux conseillers municipaux radicaux par un de leurs électeurs :
Réjouissez-vous, braves nantais, Vous n’avez rien à désirer, Car votre maire est décoré, Alléluia, Alléluia, Alléluia, Alléluia
Cet austère républicain, De Waldeck en baisant la main, S’est laissé choir dans le pétrin, Alléluia (ter)
Le fameux rat, dit Calcuni, Autrefois démocrate aussi, Ne trouve pas que ça suffit, Alléluia
Aidé de son ami Plihon, Qui lui donne cent sous, tout rond, Il ouvre une souscription, Alléluia
De la mairie, les employés, Sous la conduite de Brevet, Sont bien obligés de casquer, Alléluia57. »
35Sa fin relève de la rupture familiale et de l’errance politique. Il divorce d’abord de son épouse, Lucie Goupilleau qui était la fille de François Goupilleau, protestant, courtier maritime à Nantes et consul de Hanovre. Le républicain, passé dans le camp dit « des opportunistes » et désabusé, se rallie au général Boulanger, son camarade de Lycée. Ruiné, sans attache professionnelle ni affective, il se suicide à son domicile, dans son hôtel particulier de Beziaux, rue de Flandres, le 7 juillet 1894. Ses obsèques ont lieu au temple avant qu’il ne soit inhumé aux côtés de son père au cimetière de la Bouteillerie, le 9 juillet suivant58.
36Paul Bellamy est le dernier maire nantais de confession réformée. Il est un acteur incontournable de la présence protestante à Nantes et Saint-Nazaire au début du xxe siècle. Nous lui consacrons le dernier chapitre de notre ouvrage tant il agit sur le développement de la ville et celui de son port. L’élection de maires protestants à Nantes n’est pas un cas unique si l’on considère les villes portuaires atlantiques. Bordeaux a compté cinq maires aux profils presque identiques, bourgeois, négociants, orléanistes puis républicains : David Johnston (1838-1842), négociant ; Alexandre de Bethmann (1867-1870), négociant ; Émile Fourcand (1870-1878), négociant ; Albert Brandenburg (1878-1884), négociant ; Adrien Beysellance (1888-1892), ingénieur industriel59.
37À La Rochelle, le nombre de maires de confession protestante est plus important : 10 maires se succèdent de 1791 à 1940. Le dernier, Léonce Vieljeux 1930-1940, est diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et armateur. Il résiste à l’occupant nazi, ce qui lui vaut d’être déporté au camp de concentration de Struthof, près de Schirmeck où il est fusillé à l’âge de 80 ans, en même temps que 300 hommes et 92 femmes. À noter que l’ensemble de ces personnalités politiques, à l’instar des maires de Nantes, ont appartenu aux différentes sensibilités politiques qui ont traversé le xixe siècle de la Restauration à la IIIe République.
38Notre analyse serait incomplète si nous n’évoquions pas le saint-simonisme à Nantes et à Saint-Nazaire. Les docteurs Ange Guépin et Eugène Bonamy, Jean-Simon Voruz, les acteurs industriels de Saint-Nazaire ont été marqués par les saint-simoniens. Nous savons que des membres vinrent en mission en octobre 1831 et mars 1833 « prêcher » l’amélioration de l’humanité par la science et une meilleure répartition des biens. Mais comme le dit Jacques Fiérain, « les hommes barbus et chevelus en pantalon blanc, tunique bleue et gilet rouge suscitèrent à la fois curiosité et méfiance. Peu porté vers l’utopie et la théorie, l’ouvrier nantais ne les prit pas au sérieux60 ». Seul Jean-Simon Voruz est réellement inspiré par le mouvement saint-simonien. Il participe à la fondation de la société industrielle de Nantes dès 1830 avec Guépin et Bonamy. La mise en place d’une école des apprentis et d’une caisse de secours mutuel est à mettre à l’actif du protestant paternaliste. Et c’est une grande avancée sociale pour l’époque. À Saint-Nazaire, les frères Pereire ainsi qu’Alphonse d’Eichthal sont incontestablement les créateurs de la ville et des chantiers navals. Mais ces saint-simoniens n’y vivent pas et le saint-simonisme ne trouve aucun écho dans le monde ouvrier et encore moins dans celui des industriels et armateurs de la ville.
Les députés protestants oubliés
39Il convient, avant de clore ce chapitre politique, d’évoquer la vie de trois autres députés de confession protestante, influents dans la cité et sensibilisés aux questions maritimes, fluviales et portuaires.
40Antoine-Élie Peyrusset. De son vrai nom Antoine-Elie Peyrusset de la Rochette, il naît le 8 novembre 1761 à La rochelle (Charente-Inférieure), et décède à Nantes le 31 décembre 1818. Négociant, juge au tribunal de commerce en 1813, il est un partisan de la Restauration et est élu député du grand collège de la Loire-Inférieure à « la Chambre introuvable » de Louis XVIII, de 1815 à 1818. Il siège dans les rangs des ultraroyalistes. A-t-il contribué à la venue à Nantes du duc d’Angoulême, le 4 novembre 1817, pour baptiser le navire de Thomas I Dobrée Le Fils de France ? Nous pouvons raisonnablement le penser, mais aucune source connue à ce jour n’atteste une intervention de Peyrusset dans ce sens.
41Gustave Roch (1844-1923), naît le 10 mars 1844 à Aigrefeuille-sur-Maine en Loire-Inférieure dans une commune marquée par le protestantisme. La Réforme y fait son apparition dès le xvie siècle où l’on constate l’ébauche d’une Église. En 1878, Jean-Simon Voruz est également maire de la commune durant quatre années. Juriste de formation, avocat et fils d’un avocat, Gustave Roch est également inscrit au barreau de Nantes et s’engage en politique notamment dans la campagne antiplébiscitaire de 1870. En 1873 il est élu conseiller général et se marie avec une norvégienne protestante, Frédérike Olsen. Ses trois fils, Adrien, Carl, Maurice sont baptisés au temple61. Le 1er mai 1892, il est élu conseiller municipal de Nantes sur la liste républicaine et nommé adjoint au maire. Il échoue à l’élection de maire (1 voix contre 28 pour Alfred Riom) puis est élu député de l’alliance républicaine l’année suivante sur la 3e circonscription de Nantes (Nantes Ouest et Chantenay)62. Député de la gauche radicale, il est un fervent partisan de la laïcité comme l’atteste sa profession de foi de 1914 :
« Mes opinions n’ont jamais varié : fermement attaché à la République, qui a donné quarante-trois ans de paix et de prospérité, j’ai lutté toute ma vie contre des attaques réitérées, pour en assurer le triomphe définitif, et faire pénétrer dans nos lois plus de justice et de fraternité […]. J’ai joint mes efforts à tous ceux des amis de l’école laïque pour la défendre contre des attaques imméritées, garantir son indépendance et lui permettre de remplir librement sa noble mission63. »
42Il est élu sans interruption de 1893 à 1919, soit 26 ans de mandat. Ainsi, avec Maurice Sibille élu de 1889 à 1932 et Paul Bellamy élu député en 1924, la terre catholique de Loire-Inférieure compte trois députés protestants presque sans interruption durant 42 ans. Gustave Roch s’intéresse tout particulièrement aux questions ouvrières et sociales. Il fait également partie du groupe de défense des ouvriers et employés de l’État, des chemins de fer, des ports et de la marine marchande. Dès 1893 et en 1901, il participe aux discussions du projet de loi sur la marine marchande64. Il se concentre plus particulièrement sur la défense des employés du service colonial des ports de la métropole, inscrits maritimes et cheminots. Patriote, soucieux d’assurer à la France une marine et une armée solide, il est, dans le domaine religieux, partisan de la séparation des Églises et de l’État qu’il votera. Il déposera, lors de la discussion, un amendement relatif aux dettes des travaux des édifices religieux65. Il prend aussi la défense de l’enfance notamment en situation de handicap.
43Lors de la fermeture des congrégations d’enseignement religieux par le ministère Combes, Gustave Roch dépose un amendement et obtient un sursis en faveur des maisons abritant des sourds-muets et des aveugles66. Il n’oublie pas qu’il est administrateur de La Persagotière créée par Ferdinand Favre dans son propre département. La fondation, majoritairement composée de catholiques, a le souci de ménager toutes les composantes confessionnelles et politiques locales. Gustave Roch reste fidèle au groupe parlementaire de la gauche radicale mais est classé à l’extrême gauche de Gambetta. Il ne se représente pas aux élections de novembre 1919. Le scrutin de liste avec représentation proportionnelle y amène le succès de la liste d’union nationale dans la 3e circonscription de Nantes dont il avait été pendant vingt-six ans l’élu. Le 12 août 1923, il décède à Aigrefeuille-sur-Maine où il s’était retiré.
44Maurice Sibille est moins marqué à gauche que son collègue Gustave Roch. C’est un membre actif du consistoire de Nantes dont il assure un temps la fonction de secrétaire et d’avocat. Il est, à l’instar de Gustave Roch, très sensibilisé aux questions maritimes, et lié au monde du négoce portuaire des députés protestants nantais. Né le 21 mai 1847 à Nantes, ce fils d’officier ministériel huguenot, Amable Sibille, et dont la mère Marie Wohrnitz est issue d’une famille d’armateurs et de négociants d’origine allemande, est baptisé dans l’ancien temple en 184767. Sa sœur aînée épouse le négociant Carl Ulrich. Leur fils, André Ulrich, sera le secrétaire particulier du ministre Pierre Waldeck-Rousseau.
45Maurice Sibille est d’abord reçu au concours de l’École des mines à Paris, mais, renonçant à la carrière d’ingénieur, il entreprend des études juridiques afin de devenir avocat. Pendant la guerre de 1870, il fait campagne comme lieutenant d’artillerie. À la fin des hostilités, il s’inscrit au barreau de sa ville natale et s’intéresse très tôt aux affaires publiques. Conseiller d’arrondissement en 1875, conseiller général représentant le 5e canton de Nantes en 1880, il se marie avec Louise Waddington, fille de Charles Waddington, membre de l’Institut. Celle-ci est également cousine du protestant William Waddington, président du Conseil. De leur union naît Nelly Sibille qui décède à 34 ans, en 1918, la même année que son épouse à l’âge de 54 ans, probablement de la grippe espagnole. Son mariage a-t-il accéléré son parcours politique ? Maurice Sibille a 42 ans quand il brigue le mandat de la 1re circonscription nantaise. Le 6 octobre 1889, il est élu député au second tour de scrutin par 6 898 voix contre 5 798 à Sosthène Vivier, candidat de la droite monarchiste, sur 12 828 votants.
46Il siège parmi les républicains de gauche et se range dans les rangs des modérés aux côtés de Raymond Poincaré. On retient surtout sa participation au conseil supérieur du travail. Il s’investit pour limiter le travail des enfants dont l’âge requis était de 8 ans et 13 ans pour un travail de nuit, et dont le temps de travail était de 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans et de 12 heures entre 12 et 16 ans. Il est ainsi rapporteur de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants et des femmes dans les établissements industriels. La loi comporte une nouvelle limitation de la durée du travail et l’interdiction du travail de nuit pour les mineurs, mais aussi des règles de sécurité et d’hygiène pour tous les salariés68.
47Partisan de la loi de séparation des Églises et de l’État, il intervient cependant contre les excès que comporte la proposition de la loi Combes voulant interdire la constitution d’une union d’associations en dehors du département ce qui aurait eu pour conséquence de réduire à néant le régime presbytérien-synodal. Il refuse ainsi, le 4 novembre 1904, la confiance au ministère Combes, mais soutient le ministère Clemenceau, son condisciple de lycée, les 6 avril et 12 juin 1908. Il s’oppose aux mesures anticléricales des ministères Waldeck-Rousseau et Combes, ce qui lui vaut le soutien du journal La Croix Nantaise. Lors du vote de la loi de séparation, il défend aussi bien les intérêts de l’Église catholique que ceux des Églises protestantes. Il soutient la création d’écoles privées confessionnelles et reçoit en retour le soutien des catholiques nantais dans la première circonscription de la Loire-Inférieure ! À l’image de son coreligionnaire Ferdinand Favre, son exceptionnelle longévité à l’Assemblée nationale trouve peut-être sa source dans son art du compromis politique.
48Ainsi, lors de l’examen de l’article 2 du projet de la loi de séparation, Maurice Sibille estime que voter l’article tel qu’il figure dans le projet rendrait « vaines et illusoires les belles promesses, les garanties solennelles de l’article 1er » qui assure la liberté de conscience. Aussi, au nom de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes, il dépose un amendement en faveur de la présence d’aumôniers dans tous les établissements où vivait une population s’y trouvant retenue, par la maladie, le service militaire ou l’internat69. Son amendement est adopté de justesse par 287 voix contre 281. Et cet amendement toujours inscrit dans le deuxième paragraphe de la loi permet la diffusion d’émissions religieuses sur la radio, France Culture, ou à la télévision, sur France 2.
49L’électorat catholique lui restera fidèle : « Vous savez que je suis né à Nantes, que j’y ai tous mes intérêts, que j’y compte de nombreux amis », déclare-t-il à l’Assemblée lors d’un examen de projet de loi en 191070. En outre, il intervient dans les discussions budgétaires, notamment en matière d’agriculture et d’instruction publique. À partir des années 1900, il s’intéresse plus particulièrement aux transports et, en tant que délégué de la France aux conférences de Paris, de Barcelone, de Berne et de Genève, il signe plusieurs accords internationaux relatifs à cette question. Il est nommé rapporteur spécial du budget des travaux publics pour les chemins de fer de l’État. Il plaide en 1912 pour un projet de loi visant à l’extension du port de Nantes71. Mais ces travaux, effectués sur 20 km en amont, eurent des conséquences parfois désastreuses : le surcreusement de l’estuaire, afin d’entraîner le sable vers la mer par effet de chasse à marée descendante et donc de freiner l’ensablement du lit, provoqua l’effondrement de quais et de ponts dont l’emblématique pont de Pirmil, verrou de l’entrée sud de Nantes sur la Loire.
50Maurice Sibille est également un homme tourné vers l’art. Numismate, il lègue au musée Dobrée sa collection de médailles des grands évènements auxquels il a surtout participé. Il est membre de la commission du musée des Beaux-arts de Nantes et membre titulaire de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure. Sa fonction parlementaire lui permet d’obtenir de l’État une subvention de 15 000 francs pour l’aménagement de la Porte Saint-Pierre lors des fouilles archéologiques menées autour de ce monument. En 1913, il obtient également une allocation annuelle de 50 000 francs pour l’entretien et la réparation de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes. On comprend mieux encore le préjugé favorable des catholiques dont il bénéficie…
51En 1928, son exceptionnelle longévité de député le consacre « doyen d’âge » de la nouvelle chambre et il préside les séances lors des renouvellements du bureau. À ce titre, il prononce, le 3 janvier 1931, l’éloge funèbre du maréchal Joffre. On retient également de lui, ses interventions sur l’assistance aux vieillards et sur le repos hebdomadaire, son engagement dans la lutte antialcoolique comme la suppression du privilège des bouilleurs de cru et la limitation du nombre de débits de boissons. Il est également à l’origine d’une loi dite « Sibille »visant à la fermeture du bagne de Guyane. Le 26 juillet 1932, Maurice Sibille, qui ne s’était pas représenté aux élections législatives du mois de mai précédent, décède à Paris à l’âge de 85 ans, après avoir siégé 43 ans sans interruption au Palais-Bourbon72. Ses obsèques ont lieu au temple protestant de Nantes le 30 juillet 1932.
52Gustave Roch et Maurice Sibille sont très représentatifs de la physionomie électorale nantaise dans cette période qui est anti-bonapartiste, résolument républicaine et d’un parti pris modéré. Même si leur étiquette est de « gauche », ils appartiennent plutôt au centre-droit pour Sibille et au centre-gauche pour Roch. Ils côtoient Eugène Réveillaud, engagé dans l’organisation réformée évangélique, et membre du groupe politique de la gauche radicale. C’est à lui qu’Aristide Briand confie la commission chargée d’élaborer le projet de loi de séparation73. Leur soutien à la loi de séparation des Églises et de l’État est naturel car elle « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes », deux principes chers aux protestants. Leur anticléricalisme diverge totalement de celui que revendiquent des députés d’origine catholique devenus athées par rejet de leurs origines religieuses à l’instar d’Émile Combes. Leur participation aux débats se veut au nom de la liberté de tous, et non pas seulement pour la leur. À toutes les étapes de la construction de la loi, nous retrouvons des protestants dont les députés nantais de confession réformée.
53À Saint-Nazaire, seul un protestant connu s’engage en politique dans une ville acquise à l’idéal républicain : Ernest Bachelot-Villeneuve (1845-1927)74. Ce médecin, protestant pratiquant, était le fils de Louis Bachelot de Villeneuve député du Morbihan au Conseil des Cinq-Cents et qui demanda l’exclusion des anciens nobles de toutes les fonctions publiques… Originaire de la Somme, il est venu en 1868 s’établir comme médecin à Saint-Nazaire et il devient premier adjoint du maire républicain Alexandre Vézin en 1870. Son frère, Alphonse-Gustave Bachelot, né en 1845, est nommé en 1883 vice-président du tribunal civil de Nantes. La famille figure régulièrement dans les registres BMS de Nantes75. En 1874, Ernest Bachelot-Villeneuve est relevé de ses fonctions ainsi que le maire, au profit de Pascal Cahour, sur décision du président de la République Mac-Mahon76. Le 13 avril 1874, il qualifie en séance publique le nouveau maire de « maire de l’ordre moral » et sa carrière politique prend définitivement fin.
Georges Clemenceau : le protestant malgré lui
54Dans le registre des baptêmes, le pasteur de Nantes Benjamin Vaurigaud écrit : « J’ai baptisé ce jour, 23 mai 1864, Emma Sophie Clemenceau, fille de Benjamin Clemenceau, née à Mouilleron-en-Pareds en Vendée le 4 septembre 1840 ». Vingt-quatre années séparent la naissance du baptême d’Emma Clemenceau. Le baptême d’une jeune femme est rare à cette époque et n’est pas le fruit d’une conversion. Il s’agit de la sœur de Georges Clemenceau, futur grand homme politique français77. Il naît également à Mouilleron-en-Pareds, dans un département héritier direct de deux guerres civiles de Vendée : celle entre les catholiques et les protestants aux xvie et xviie siècles et « la guerre de Vendée » (1793-1800). Il parvient peu à peu à dépasser les haines tenaces et devient le champion de l’unité nationale, réunissant les Français au-delà des clivages, image utilisée par ses successeurs et, ce, jusqu’à aujourd’hui. La famille de Georges Clemenceau appartient à la forte minorité protestante de Vendée. Ses membres sont propriétaires terriens mais républicains. Les Clemenceau possèdent le domaine du Colombier à Mouchamps, où il est inhumé aux côtés de son père, et le château de l’Aubraie à La Réorthe.
55Le père de Georges, le docteur Benjamin Clemenceau, médecin et descendant d’une longue lignée de médecins de confession protestante mais non pratiquante, proclame volontiers son athéisme78. Pourtant il accepte de se marier au temple protestant de Mouilleron-en-Pareds en 1839 avec Sophie Gautreau issue, elle aussi, d’une longue lignée protestante mais, quant à elle, très pratiquante. Georges naît de cette union dans la même commune, le 28 septembre 184179. Il ne sera pas baptisé. Benjamin Clemenceau n’a pas d’autre choix que d’accepter que sa fille soit baptisée à l’âge adulte. Et Benjamin Vaurigaud de préciser : « Des circonstances particulières avaient empêché cette jeune personne d’être baptisée plus tôt80. » Georges est alors encore très jeune. Est-il présent au temple auprès de sa sœur d’un an plus âgée ? Probablement, dans la mesure où, ce même jour, Emma épouse dans la foulée Paul Léon Édouard Jacquet, « ingénieur des Arts et Manufactures » originaire de La Réorthe en Vendée. Sans doute la première et dernière participation de Georges à une cérémonie religieuse familiale protestante.
56La famille réside un temps à Nantes, rue du Calvaire. À partir de 1852, Georges poursuit ses études au lycée de Nantes qui sera rebaptisé de son vivant en 1919 « Georges Clemenceau ». Il entame des études de médecine à l’hôpital Saint-Jacques à Nantes avant de les poursuivre à Paris en 1861. Il est inutile de retracer le parcours du médecin et de l’homme politique, défenseur du capitaine Dreyfus, radical, viscéralement anticlérical, autant honni des catholiques vendéens que de son aile gauche, « Père la Victoire » de la guerre 14-18, mais aussi ami des impressionnistes. Jamais il ne fera état d’un quelconque attachement à ses origines protestantes81. Cependant…
57Avant sa mort, Georges a émis le souhait de ne pas être enterré dans le cimetière communal mais à côté de son père sous les cèdres de la propriété du Colombier à Mouchamps. On peut légitimement se poser la question de cette ultime volonté, qualifiée parfois d’insolite. Est-ce par tradition protestante qui voulait que les huguenots soient contraints d’être inhumés hors des cimetières catholiques ? À l’aube du 26 novembre 1929, un fourgon mortuaire s’engage dans la propriété du Colombier. Il ramène le corps de Georges Clemenceau. Les paysans du domaine ont creusé sa tombe durant la nuit :
« Je veux être enterré au Colombier à côté de mon père. Mon corps sera conduit de la maison mortuaire au lieu d’inhumation sans aucun cortège. Aucune ablation ne sera pratiquée. Ni manifestation, ni invitation, ni cérémonie. Autour de ma fosse, rien qu’une grille de fer, sans nom, comme pour mon père. Dans mon cercueil, je veux qu’on place ma canne à pomme de fer qui est de ma jeunesse, et le petit coffret recouvert de peau de chèvre qui se trouve au coin de l’étage supérieur de mon armoire à glace. On y laissera le petit livre qui y fut déposé par la main de ma chère maman. Enfin, on y joindra deux bouquets de fleurs desséchées qui sont sur la cheminée de ma chambre qui donne accès dans le jardin. On mettra le petit bouquet dans l’obus qui contient le grand, et le tout sera déposé à côté de moi. Pour mes obsèques, je ne veux que le strict nécessaire, c’est-à-dire moi82. »
58Quel était ce petit livre de sa mère protestante ? Denis Vatinel formule une hypothèse : « Nous savons bien que dans le protestantisme, quand un garçon arrivait à la puberté, c’était l’usage de lui donner un nouveau testament avec des psaumes. Et que sa mère lui ait donné un nouveau testament, c’est tout à fait traditionnel en milieu protestant. On n’emporte pas n’importe quel livre dans son cercueil83. » Nous ne le saurons sans doute jamais.
Émile Zimmer : le général protestant oublié
59Ajoutons enfin à cette liste d’acteurs politiques, un général oublié qui a pourtant joué un rôle crucial durant la célèbre affaire Dreyfus. Le général Émile Zimmer, Alsacien protestant, épouse en 1881 au temple de Nantes Charlotte Gérauld de la Faucherie, issue d’une famille aristocratique vendéenne. Alors qu’il est chef du service de renseignements en 1903, il découvre, avec le commandant Antoine Targe, dans un coffre-fort du service, un document qui disculpe définitivement le capitaine Dreyfus84. Il recevra, à ce titre, la Légion d’Honneur. Sa carrière le propulse à la tête du 11e corps d’armée de Nantes, en 1910. Cette découverte lui vaudra de sérieuses inimités de la part des généraux proches des milieux royalistes et catholiques. Il décède le 3 mai 1925, 42 rue de Strasbourg à Nantes, après s’être consacré dans les dernières années de sa vie aux associations patriotiques et militaires.
La communauté nantaise face à la séparation des Églises et de l’État
60Les querelles fratricides perdurent et par là même contribuent à la diminution de l’influence du protestantisme français jusqu’à la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 instituant la séparation des Églises et de l’État. Au consistoire de Nantes, l’idée de la séparation des Églises avec l’État est régulièrement évoquée, non sans inquiétude quant au traitement des pasteurs après les événements révolutionnaires de 1848. « Nous voulons le maintien de salaire par l’État : mais à des conditions qui ne compromettent en rien la dignité et la liberté de l’Église ». L’avis fut de conclure au maintien des liens avec l’État85.
61Le sujet revient à l’occasion de la tenue du synode de 1872 qui acte de fait la séparation, non pas entre l’Église réformée et l’État, mais entre réformés orthodoxes et libéraux. Les libéraux se réclament de la seule autorité de l’Écriture mais de son analyse historico-critique, et s’opposent aux orthodoxes qui veulent imposer une confession de foi unique. Ces derniers obtiennent gain de cause. Le pasteur de Nantes, Benjamin Vaurigaud, défend avec vigueur cette dernière orientation. Il s’engage sur le plan national au sein de la tendance évangélique de l’Église réformée dont il devient un thuriféraire. Il anime la Correspondance fraternelle privée qui unit les pasteurs de ce courant86. Il est désigné membre de la commission permanente nommée par le synode national de 1872. Il apprécie les autres confessions évangéliques, mais… hors de son consistoire ! Car il s’oppose aux tentatives d’implantation évangéliques de type darbyste à Nantes et baptiste à Angers. Son attitude inquiète même le préfet qui déplore les tendances méthodistes du pasteur87… Le synode officieux tenu dans le temple de Nantes du 11 au 18 juin 1884 marque un tournant et un durcissement des orthodoxes : on renonce à tout proche espoir de réunification.
62Après la mort de Benjamin Vaurigaud, le sujet de la séparation revient régulièrement dans les comptes rendus du consistoire et du conseil presbytéral de Nantes88. Mais toujours de manière apaisée. En 1904, le ministère Combes accélère le processus de séparation auquel les protestants sont préparés et plutôt favorables dans leur ensemble. Mais le projet Combes s’avère très défavorable aux protestants et provoque la stupéfaction à Nantes. En effet, l’article 8 de sa première rédaction interdit l’union d’associations en dehors du département ce qui a pour conséquence de réduire à néant le régime presbytérien-synodal. À Bordeaux, une pétition adressée aux parlementaires de la Gironde, en novembre 1904, dénonce le projet de loi accusé de « priver les protestants qui sont en infime minorité dans certains départements du moyen de pourvoir à leurs besoins religieux et porter ainsi atteinte à la liberté de conscience89 ». Il en résultera une modification de cet article portant à dix départements le périmètre d’intervention des associations religieuses. De fait, les griefs se portent sur l’Église catholique. C’est ainsi que le pasteur libéral Louis Lafon, de Montauban, tire à boulets rouges sur cette dernière : « La liberté d’association […] brisera le joug que cette Église fait encore peser sur la France et trop souvent sur son gouvernement90. » Le nouveau projet de loi déposé par Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, ministre des cultes sous le gouvernement Rouvier, aidé par le haut-fonctionnaire Louis Méjan par ailleurs de confession protestante, apaise les tensions. Celui-ci, frère de pasteurs, entre dans la haute fonction publique et participe aux cabinets ministériels du gouvernement Waldeck Rousseau, puis auprès du Nantais et Nazairien Aristide Briand rapporteur de la loi de séparation. Comme nous l’avons vu précédemment les députés Maurice Sibille et Gustave Roch durent batailler pour modérer le projet de loi et s’opposer aux excès de la loi Combes.
63À Nantes, la crainte avait été naturellement de mise dans un premier temps. En effet, 20 ans auparavant, dès 1884, un membre du consistoire ne cache pas son appréhension en se méfiant « de cette confiance trop naïve91 ». Les réserves évoquées plus haut par le député Maurice Sibille vont dans ce sens face au projet de loi Combes présenté en 1904. Le rapport du président Hippolyte Durand-Gasselin considère que le projet en l’état n’est pas acceptable : « Notre organisation a été de tout temps presbytérienne synodale et qu’en limitant à un ou plusieurs départements les unions d’associations, notre organisation traditionnelle serait supprimée92. » En effet, Hippolyte Durand-Gasselin ne cache pas dans le rapport, sa vive inquiétude quant au dispositif de la loi qui prévoit de supprimer les caisses centrales : « cela empêcherait les Églises de venir en aide les unes aux autres et condamnerait les Églises pauvres à disparaître à bref délai ». Le projet prévoyait aussi de confisquer les biens mobiliers et immobiliers des Églises au profit de l’État. Nous savons que la chute du ministère Combes, la reprise en main par Aristide Briand, Ferdinand Buisson et Francis de Pressensé aboutira en 1905 à un texte modéré et approuvé très largement par les protestants, dont les députés nantais protestants Gustave Roch et Maurice Sibille.
64Les protestants nantais sont très actifs au cœur du débat sur la séparation. Ont-ils joué un rôle décisif quant à son adoption par les Églises réformées dans leur ensemble ? Auparavant, le pasteur Dartigue-Peyron se distingue sur le sujet dès 1884, avant son arrivée à Nantes, en publiant un ouvrage, Faut-il abolir le concordat ?93 Son propos invite à la séparation, inéluctable à terme, de l’Église et de l’État. L’ouvrage est salué par toute la presse protestante et notamment par celle, certes modérée, d’Edmond de Pressensé dans la Revue Chrétienne qui en reprend les passages les plus importants94. De fait, redoute-t-il à cette époque un empressement qui dédouanerait les communes de leurs obligations financières à l’égard des Églises. Et Pressensé, également sénateur, de rajouter : « Tant que le Concordat existe, il faut le maintenir dans son esprit et non seulement dans sa lettre. En faire une geôle où l’Église serait à la fois captive et affamée (le mot n’est pas trop fort pour notre protestantisme) comme le demande M. Paul Bert dans son fameux projet, est une politique détestable. Je la combattrai de toute mon énergie95. » Pressensé nuance les termes de Dartigue-Peyron quand celui-ci affirme que la logique de la neutralité de l’État « implique la séparation des deux pouvoirs et que la vraie nature de l’Église ne se prête pas davantage à leur union ». Le plaidoyer de 1884 annonce le bien-fondé de la séparation des Églises et de l’État pour une raison essentielle toujours selon Pressensé dans son article :
« La religion n’est pas le fondement de l’ordre social, comme le pensait Bonaparte, comme le croient les despotes, qui s’en servent comme d’un frein pour contenir les passions populaires ; la religion, dans son principe et dans son essence, c’est la vie avec Dieu, qui n’a rien de commun avec l’organisation de ce monde. La religion, dans son principe et dans son essence, c’est le sentiment religieux qui plonge ses racines dans le monde invisible – c’est là son caractère permanent, que nous ne devons jamais oublier – et dans ses manifestations extérieures, c’est l’Église ; mais l’Église n’est pas d’une autre nature que la source d’où elle dérive, pas plus que les branches d’un arbre ne sont différentes du tronc, ni le tronc des racines ; l’Église devrait être une étrangère ici-bas. C’est l’ambition des hommes, ce sont les calculs de la politique qui en ont décidé autrement. Pourquoi l’État, dont l’essence est la neutralité en matière religieuse reconnaît-il des cultes ? Pourquoi reconnaît-il tels cultes plutôt que d’autres ? Pourquoi un budget des cultes ? Le Concordat est incompatible avec l’essence de l’État moderne et surtout de l’État républicain96. »
65Cependant, Pressensé redoute la soudaineté de la séparation sur un plan financier. Oui à la remise en cause du concordat mais pas trop vite. Il en profite pour porter une estocade au camp libéral qui à son sens ne prend pas assez la mesure de cette réforme inéluctable : « Si le parti libéral ne s’y met pas sérieusement et virilement, le parti violent s’en chargera97. » Il est vrai que les libéraux ne cachent pas quelques inquiétudes quant à l’abolition du concordat garant, à leurs yeux, de l’égalité de moyens, notamment financiers, avec les catholiques. À cette époque, Dartigue-Peyron ne fait pas toujours preuve de modération. Dans la même revue, ses propos peuvent surprendre :
« Cette tendance à tout laïciser s’accentue de jour en jour : laïcisation de l’enseignement primaire par la séparation de l’Église et de l’école, en attendant la séparation de l’Église et de l’État, qui ne saurait tarder, parce que la logique gouverne les choses de ce monde et qu’elle est plus forte que la volonté des hommes et les calculs de la politique ; laïcisation du serment judiciaire par la substitution à la formule religieuse d’une formule, d’où l’idée que Dieu soit bannie ; laïcisation de la morale par la proclamation d’une morale indépendante de tout principe métaphysique aussi bien que de tout dogme religieux ; laïcisation de la philosophie par le triomphe définitif du positivisme… Si laïcisation est synonyme d’hostilité à la religion, si c’est une déclaration de guerre, les amis du Christianisme, qui sont aussi les amis du progrès, doivent accepter la lutte98. »
66Nous pouvons penser que ces réserves s’adressaient au camp anticlérical dont certains membres soutenaient une pure et simple disparition des Églises du champ social et politique français et non pas le principe de la laïcité qui stipule la liberté de conscience et le respect des organisations religieuses séparées des institutions publiques. Peu après, Dartigue-Peyron, alors pasteur à Nantes, révise son analyse. Et le ton en faveur de la séparation des Églises et de l’État est beaucoup plus magnanime. Dans un long article de 1885, il commence ainsi :
« Nous marchons vers la séparation de l’Église et de l’État, que le courant qui nous y porte soit plus ou moins rapide, il est incontestable que ce but est inévitable, que ce courant est réel, puissant, qu’il grossit de jour en jour et finira par triompher des plus fortes résistances. La séparation de l’Église et de l’État est dans la logique des idées, et, comme ce sont les idées qui gouvernent le monde, elle entrera tôt ou tard dans les mœurs et dans les lois99. »
67Selon Dartigue-Peyron, le concordat se justifiait alors que Napoléon devait faire face à la domination de l’Église catholique qui en retirait de nombreux avantages financiers et politiques. Mais plus désormais car « chaque progrès dans le sens démocratique, chaque réforme libérale ébranle l’édifice du Concordat et lui imprime des secousses qui, à force de se répéter, amèneront fatalement sa chute ». Le jugement est sévère à l’égard du gouvernement de Jules Ferry issu « d’une majorité de coalition, incohérente, sans discipline […] une majorité qui a besoin, pour exister, de l’appoint de la droite. Or, l’histoire et l’expérience prouvent qu’il n’y a rien de plus éphémère que les majorités de coalition100 ».
68Dartigue-Peyron voit dans ce gouvernement une menace radicale qui soit s’accommode du Concordat pour préserver sa majorité soit, par anticléricalisme virulent, décide d’une mise hors la loi des cultes. « Les plus violents, pour “écraser l’infâme”, ressusciteraient volontiers l’Inquisition et les Dragonnades, tant il est vrai que les ennemis les plus acharnés du cléricalisme en ont conservé l’esprit101. » La charge est pour le moins brutale et vise notamment le député Paul Bert. Aussi, propose-t-il une séparation progressive dans le temps, « cinq, dix ans par exemple ». Les faits lui donneront raison. Mais le traitement des ministres du culte doit perdurer après l’adoption de la loi, par un système nouveau s’appliquant uniquement aux ministres en exercice. « En effet, quand une fonction est supprimée ou modifiée […] la réduction n’est applicable et appliquée qu’à son successeur102. » Principe qui s’appliquait déjà aux sénateurs inamovibles remplacés par des sénateurs élus au fur et à mesure des décès dans leur rang103. C’est donc cette solution qualifiée de « libérale » par Dartigue-Peyron, qui doit prévaloir sur celle « des jacobins, révolutionnaires ». Sinon la solution radicale, « si elle venait à prévaloir, perdrait la République et toutes les libertés conquises par la Révolution française104 ».
69Le propos « libéral » de Dartigue-Peyron anticipe incontestablement la rédaction finale de la loi. Ce pasteur, plutôt opposé aux positions extrêmes, a porté au sein des réformés une voix prépondérante dans le débat liminaire à la loi de 1905. Durant son ministère à Nantes, il peut compter sur un soutien de poids : autant il fut ignoré par Thomas II Dobrée, orthodoxe intransigeant, autant il est soutenu par Paul Bellamy futur maire radical-socialiste de Nantes. Tous deux, républicains convaincus, ont compris le sens de l’Histoire. Tous deux, il est vrai, ne cachent pas leur sympathie politique de gauche. Bellamy est favorable à la séparation. À la fois politiquement et au regard de ses convictions protestantes réformées. En 1906, il est élu président du conseil presbytéral. Période très marquée par la question des inventaires. Ainsi adresse-t-il un courrier au maire républicain modéré de Nantes, Paul-Émile Sarradin, afin de lui signifier que le temple de Nantes devient « propriété à part entière du conseil presbytéral de l’Église réformée de Nantes105 ». Ce qui n’est pas pour déplaire au maire qui lui répond par la délibération prise le 18 janvier 1907 : « La commune ne saurait être tenue de payer la subvention votée par le conseil municipal dans ses séances des 2 août 1904 et 30 avril 1906106. » Paul Bellamy est élu quatre ans plus tard maire de Nantes et s’appliquera à faire respecter cette décision à la lettre. Le 24 mars suivant la réponse du maire Sarradin, Jean Dartigue-Peyron remet au consistoire un rapport empreint de clairvoyance107 : « La séparation, nous l’avons acceptée avec sagesse, parce que la loi est la loi. […] Les amis de nos Églises, et ils sont nombreux, s’évertuent à mettre de l’huile dans les rouages ; mais la machine promet de grincer quelques temps encore108. »
70L’inventaire du temple à Nantes est effectué le 22 février 1906 sans incident alors que des émeutes éclatent à proximité des églises catholiques109. Quant à Saint-Nazaire, l’inventaire s’effectue le même jour, le 22 février 1906, sans aucune difficulté, en présence du pasteur Corby de la Mission populaire évangélique. Le préfet actera que les temples de Nantes et de Saint-Nazaire sont propriétés du consistoire et non de la commune. La loi de séparation a donc été très largement portée et approuvée par les protestants nantais.
La franc-maçonnerie et les protestants
L’origine protestante
71La franc-maçonnerie, société plus discrète que secrète, a fait l’objet de nombreuses publications et demeure toujours un sujet suscitant interrogations voire suspicions110. Il faut admettre que les ports jouent un grand rôle dans l’arrivée des premières loges, en France, au xviiie siècle. Nos recherches attestent une franc-maçonnerie nantaise effectivement très marquée par l’environnement portuaire. Parmi les francs-maçons, des négociants et des armateurs dont beaucoup sont liés au commerce triangulaire. De nombreux protestants garnissent les loges nantaises et celles de Loire-Inférieure dès les xviiie et xixe siècles. En 1947, Henri Librec, franc-maçon et historien, entreprend une étude très détaillée des archives de la Grande Loge de France et du Grand Orient de France111. Il eut ainsi accès aux listes des membres des loges nantaises et de Loire-Inférieure. Ce travail minutieux révèle que les premières loges nantaises, avant la Révolution Française, ne comptent pratiquement pas d’aristocrates dans leurs rangs, ce, malgré leur caractère très conventionnel à l’égard de la monarchie et de leur Grand Maître Philippe-Égalité.
72La maçonnerie occupe une place non négligeable dans l’histoire urbaine nantaise et nazairienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours112. À la fin du xixe siècle, les loges sont manifestement républicaines et comptent parmi leurs membres de nombreux maires de Nantes. Ainsi pour Nantes des maires francs-maçons non protestants mais souvent témoins de baptêmes ou de mariages dans la communauté : Édouard Normand 1885-1888, Paul-Émile Sarradin 1899-1908 qui est le principal adjoint de Charles Lechat, Gabriel Guist’hau 1908-1910 dont le premier adjoint est Paul Bellamy, et Auguste Pageot 1935-1940. Entre-temps, elles ont traversé le bonapartisme, la Restauration et le Second Empire. Parmi ses adhérents, nous retrouvons plusieurs protestants mais pas si nombreux dans les périodes où le préjugé lie le protestant au laïc républicain donc nécessairement franc-maçon.
73La franc-maçonnerie n’est pas une société immuable et imperméable aux évolutions de la société. Les travaux et la nature de la maçonnerie du xviiie siècle et ceux du xxie siècle ne sont naturellement pas tout à fait les mêmes. Aux premières loges conformistes et déistes succède au cours du xixe siècle, une maçonnerie beaucoup plus républicaine et laïque au sein de laquelle des protestants illustres ont joué un grand rôle. Toutefois deux points communs relient les maçons dans le temps : l’initiation qui permet d’entrer dans un espace de liberté de pensée et de fraternité, mais aussi un rituel et des outils symboliques qui aident le maçon à progresser intérieurement et personnellement. Les ports, lieux d’échanges économiques et internationaux, sont naturellement des lieux où se rencontrent les explorateurs, les gens de mer et les négociants portuaires. Les courants commerciaux, la découverte et la diffusion de différents modèles économiques européens font passer nombre de ces hommes du quai à la loge. Et inversement113. Un autre point commun ne peut être ignoré : le lien étroit entre le protestantisme et la franc-maçonnerie, de ses origines à nos jours, dont nous ne pouvons ignorer le récit114.
74Au commencement James Anderson (1680-1739) et Jean-Théophile Désaguliers (1684-1744). Un point commun relie ces deux hommes : ils sont protestants et pasteurs. Anderson, formé à Aberdeen, ministre de l’Église presbytérienne d’Écosse, est défenseur de la stricte orthodoxie calviniste. Il est à l’opposé de Désaguliers, fils d’un huguenot de La Rochelle, ordonné dans l’Église d’Angleterre115. Ce dernier est également plus physicien que théologien, disciple et vulgarisateur de Newton dont il est le secrétaire jusqu’en 1727. C’est un proche du courant protestant unitarien qui affirme que Dieu est un seul et même esprit, et non une « essence » en trois hypostases, à savoir le Père, le Fils et l’Esprit, fondement du dogme de la Trinité. Désaguliers participera à l’initiation maçonnique de Montesquieu à Londres.
75Le 24 juin 1717, jour de la Saint-Jean d’Été, les deux pasteurs se réunissent à Londres, dans une taverne « L’Oie et le Gril », dans la cour de la cathédrale Saint-Paul. Autour d’eux, des représentants de quatre loges londoniennes déjà constituées. La date choisie n’est pas le fruit du hasard : la Saint-Jean d’Été est consacrée à Saint-Jean-Baptiste tandis que la Saint-Jean d’Hiver (27 décembre) honore Saint-Jean l’Évangéliste. Pour les maçons, Saint-Jean représente l’Initié, le précurseur qui prépare la venue de Jésus qu’il baptise. Jean l’Évangéliste annonce le cycle ascendant de la lumière car les maçons, selon Anderson et Désaguliers sont « Enfants de la Lumière ». La franc-maçonnerie a deux origines qui se juxtaposent : une tradition dite opérative qui légendairement provient des bâtisseurs de pyramides et subséquemment de cathédrales ; la discipline, l’organisation, les secrets des métiers sont transmis en « loge », bâtisse adossée à un édifice en construction, lieu où les maçons se réunissent pour parler des difficultés du chantier et préparer le travail du lendemain. Les élévations en grades dans la hiérarchie, les augmentations de salaires se font lors de cérémonies d’initiation et de rituels inspirés de la Bible.
76À la fin du xviie siècle et au début du xviiie siècle, les loges anglaises dites opératives reçoivent peu à peu des membres étrangers au métier que l’on appelle « maçons acceptés » : quelques aristocrates, puis des pasteurs, des érudits soucieux d’approfondir leurs connaissances. Un nouveau symbolisme fondé sur la science et la spiritualité est né. Un fait économique marquant accentue ce phénomène : à la fin du xviie siècle, les loges opératives commencent à décliner, à la suite d’une baisse du nombre des chantiers de construction. Le temps des cathédrales fait déjà parti du passé116. Au début du xviiie siècle, les tailleurs de pierre sont remplacés par des briqueteurs. Si bien qu’en quelques décennies, les maçons opératifs vont déserter les loges. Seuls vont y demeurer les maçons acceptés. Le rituel maçonnique opératif d’élévation de métiers est remplacé par un rituel maçonnique spirituel de réflexion, observant symboliquement les règles du métier, le vocabulaire, la gestuelle et les outils, à une époque de grande misère sociale, principalement à des fins d’entraide envers les démunis. Ce sera effectivement le cas à Nantes au xviiie siècle : la loge Saint-Germain a orienté son travail vers le domaine caritatif et social. On lui doit la création d’un hôpital orphelinat pour les enfants de militaires et les enfants abandonnés117.
77Désaguliers, chapelain du prince de Galles, a posé les principes de base de la Franc-maçonnerie dans l’objectif d’établir les différents niveaux maçonniques. Parmi ses principes, figure la nécessaire croyance en Dieu. Cependant, fait majeur, la liberté de religion est admise. « Les Constitutions d’Anderson » de 1723 stipulent en son paragraphe 1 : « Only to oblige them to that Religion in which all men agree, leaving their particular opinions to themselves. » C’est-à-dire, « Seulement à la Religion que chacun accepte, conservant ses opinions pour soi-même. » Cette disposition est aussi facilitée par la Constitution du royaume adoptée par le Parlement britannique en janvier 1689, qui déclare illégale l’établissement d’une Cour de Justice pour des « causes ecclésiastiques ». Fait moins connu, le pasteur John Wesley, fondateur du « méthodisme » qui devait si fortement marquer le protestantisme, a été initié à la loge no 38 de la Grande Loge d’Irlande118. Anderson et Désaguliers ont un autre point commun, au-delà de leurs divergences théologiques : une fidélité absolue à la foi protestante et un rejet du catholicisme romain qualifié de « papisme ». Les Stuarts étant catholiques, ils soutiennent les Hanovre, partisans de la succession protestante en Grande-Bretagne. Enfin, l’on refuse d’initier « l’athée stupide et le libertin irréligieux ».
78Cette domination protestante sur la maçonnerie spéculative, alors que la maçonnerie opérative était par définition catholique, pousse naturellement le Vatican, par la voix du pape Clément XII, à réagir vivement en 1738 et condamne catégoriquement la franc-maçonnerie naissante et la qualifie de perverse. Cette même année inaugure une longue série de bulles papales d’excommunication des francs-maçons. Le Pape reproche à l’Ordre sa tolérance religieuse : on ne met pas sur un même plan la vérité et l’erreur ! En 1887, le pape Léon XII dénonce dans sa bulle « les alliances diaboliques » et confirme l’excommunication des francs-maçons. Cette condamnation n’est pas de nature théologique. Elle est politique : la franc-maçonnerie, dominée par le courant anglican, échappe au contrôle catholique et constitue, pour l’Église de Rome depuis la Réforme, une nouvelle menace inattendue. Cependant, les ecclésiastiques fréquentent les loges, notamment celle du Croisic comme nous le verrons plus loin. Par méconnaissance de la bulle ?
79À partir de 1740, la franc-maçonnerie française recrute tout d’abord essentiellement dans la noblesse, puis s’ouvre peu à peu au monde des négociants, aux marchands, fonctionnaires royaux, juristes, capitaines de navires et officiers militaires. Ainsi beaucoup de négociants protestants sont à l’origine de la création de loges dans les ports de l’ouest, Nantes, Bordeaux ou bien encore La Rochelle. Également sur le littoral méditerranéen où ils sont prépondérants à Marseille119. Le vecteur portuaire est prédominant car il représente la principale voie de circulation des biens et des idées. C’est ainsi que le 13 octobre 1721, une première loge est fondée en France par Désaguliers dans le port de Dunkerque : la loge L’Amitié et Fraternité sous les auspices de la Grande Loge de Londres120. La nomination du duc d’Antin comme Grand Maître des « Loges du Royaume », en 1738, permet une relative tolérance de la part de la monarchie absolue. En 1771, le duc de Chartres – futur Philippe-Égalité – devient Grand Maître. Il réunit les loges constituées et connues dont celles de Nantes et constitue le Grand Orient de France (GODF) en juin 1773. Il est de fait que la minorité protestante en France a joué un rôle moteur dès le xviiie siècle dans l’essor de la franc-maçonnerie. Le frère et pasteur Antoine Court de Gebelin (1719-1784) devient le représentant officiel du protestantisme auprès du Roi dans la rédaction de l’édit de Tolérance de 1787.
Les protestants nantais et la franc-maçonnerie
80La présence de la franc-maçonnerie est attestée à Nantes dès 1744. La loge Saint-Jean de Jérusalem est la plus ancienne. Sa constitution fut accordée à un frère dénommé « de Peillac », vraisemblablement par la loge anglaise de Bordeaux. Elle laisse place quatre ans plus tard à la loge La Concorde puis à celle des Cœurs-Unis en 1766 sous l’égide du Grand-Orient de France nouvellement créé121. Entre 1787 et 1789, elle compte 50 frères dont 6 militaires, 4 capitaines de navire et 40 négociants soit 80 % des membres. 21 affiliés sont protestants pour la plupart d’origine étrangère soit 42 % des membres. On retrouve les principaux noms des négociants protestants croisés dans nos recherches ou évoqués dans notre étude : Roques, Karcher, Van Neunen, Rossel, Möller, Hummel, et même le Suisse et Bordelais Charles Henri de Luze. Benoist Bourcard, le futur secrétaire du consistoire réformé en 1804, a cédé sa place de Vénérable à Pierre-Frédéric Dobrée122. Membre du Corps national des Volontaires Nantais, compagnie de la Fraternité durant la Révolution, il écrit à ses parents le 10 septembre 1789 : « J’ai l’honneur d’être Premier Lieutenant de la Compagnie de La Fraternité, composée de 80 maçons. Nous faisons régulièrement la garde de la ville123. »
81Parallèlement, une autre loge naît en 1750 : la loge Saint-Germain. Elle est en nombre la plus importante puisque, de 1780 à 1789, 191 frères y sont recensés. 115 armateurs et 30 capitaines en font partie124. Mais elle ne compte que 4 protestants connus (2 %) (Haëntjens père et fils, Uhloff, Van Holy). Mathurin Trottier, catholique et principal négrier sur la place nantaise en est aussi membre. L’image d’une maçonnerie nantaise protestante mérite donc d’être relativisée même si la loge des Cœurs Unis révèle une surreprésentation des membres de confession protestante au xviiie siècle. D’autres loges voient le jour ; telle La Parfaite où est initié Thomas I Dobrée en 1806, Williams Patterson, l’agent commercial des États-Unis à Nantes, ou bien encore L’Harmonie avec Paul Jean Clemenceau, grand père de Georges125.
82D’autres loges, Les Amis Réunis, Paix et Union comptent un tout petit nombre de protestants connus à leurs créations dont Philippe Rosway. Les négociants forment la majorité des membres auxquels il convient d’ajouter beaucoup de capitaines de navires et d’officiers de l’armée. Le soir de son allumage des feux, 5 profanes sont initiés : deux protestants, Martin Schultz et Jacques Abraham Passart. Mais aussi 3 catholiques qui ne devaient pas connaître la bulle papale d’excommunication ou qui passaient outre126.
83Une nouvelle loge, Mars et les Arts, est fondée en 1799. C’est le tournant du xixe siècle : parmi les 101 membres recensés, les négociants sont très minoritaires au profit des militaires. Le commandant en chef de l’Armée de l’ouest est maçon ainsi que son aide de camp, le capitaine Joseph Hugo, futur père de Victor Hugo127. Mais l’effectif est fort variable ensuite car les campagnes militaires nécessitent de nombreux déplacements. Quelques protestants connus sont recensés par Henri Librec ; Jacques Roques, Paul Jacobi (pâtissier originaire des Grisons en Suisse) et un cousin Joseph Jacobi, négociant, André Schinistschneider, Charles Mangin (sympathisant), Élie Révérend.
84Par ailleurs la situation à Nantes est toujours très marquée par les guerres de Vendée. Au début du xixe siècle, on aspire à la paix après les violences révolutionnaires. La maçonnerie a alors une influence considérable sur la ville : les frères Savenau secrétaire général de la Ville, Huet secrétaire général de la préfecture, Sotin administrateur du département de Loire-Inférieure occupent les postes clefs. Le préfet Godefroy Redon de Belleville nommé en 1804 est aussi maçon128. Mais une influence mise sous étroite surveillance du pouvoir. Joseph Bonaparte, le frère de l’Empereur est le Grand Maître du Grand-Orient et les loges sont effectivement administrées par Cambacérès. Et on n’aime guère les dissidences ou les propos républicains en loge. Ainsi la lettre du ministre de la police demandant au préfet de Nantes de « surveiller avec une attention scrupuleuse et sans être aperçu tous les orateurs de sociétés maçonniques ou autres réunions129 ».
85Durant la Restauration, l’heure n’est pas à la détente à l’égard des loges nantaises. C’est plutôt le temps de la revanche et le sous-préfet, le Vicomte de Cardaillac révoque à tour de bras les fonctionnaires suspectés d’être francs-maçons. L’armateur Thomas I Dobrée se fait alors très discret dans la vie publique quant à son appartenance maçonnique. Léonce Pelloutier, fils d’Ulrich et futur grand-père de Fernand Pelloutier, est membre de la loge Mars et les Arts. Il s’affiche comme républicain dans un manifeste cosigné avec Victor Mangin, « Patriotes, réveillez-vous ». Ce qui vaut à Victor Mangin d’être traduit en cours d’assises sous l’inculpation d’excitation contre le gouvernement, avant d’être acquitté130. Le 26 mai 1834, la mort du frère Lafayette provoque un rassemblement de maçons place Launay. Les meneurs sont Pelloutier, Guépin, Mangin et érigent un catafalque pour célébrer les funérailles de la liberté.
86Le maire, Ferdinand Favre, est bien embarrassé par la famille Pelloutier. Ce protestant non maçon doit gérer Léonce mais aussi, son frère de sang Ulrique-Auguste-Louis loin d’être un frère maçon. Bien au contraire : il est monarchiste légitimiste et impliqué dans l’affaire de la duchesse de Berry. Le préfet reçoit la consigne de surveiller Léonce Pelloutier et d’interdire les prédications des saint-simoniens. Le xixe siècle maçonnique voit ainsi l’arrivée de républicains affirmés dans les loges nantaises sous la restauration. Le frère Charles Victor Mangin fonde avec son père, le journal « l’Ami de la Charte » en 1819. Le journal, anticlérical, attaque violemment le gouvernement. Ce qui lui vaut d’être envoyé un temps en prison131.
87Mars et les Arts demeure la loge la plus importante à Nantes durant tout le xixe siècle : elle compte aussi en son sein des protestants tels que Oscar Möller, le filateur Émile Péquin, des sympathisants tels que Achille Grignon-Dumoulin dont l’épouse est protestante, et père du futur maire de Rezé, Ange Guépin, saint-simonien dont l’épouse est aussi protestante… Pierre Cambronne, Général de Division du 1er Empire, est aussi membre actif de la loge et marié à Marie Osburn, anglaise et protestante. Leur représentation est certes minoritaire mais significative notamment lorsqu’ils occupent le « plateau » de vénérable.
88On retrouve d’autres paroissiens de l’église de Nantes sur les colonnes de Mars et les Arts : le pianiste compositeur et facteur de piano, Frédéric Dolmestch né en 1813 à Zurich et décédé le 23 avril 1892 à Nantes. Il exerçait dès les années 1845 au conservatoire de Nantes. Marié à Jeanne Moyré Lamartellière, ses quatre enfants sont tous baptisés au temple de Nantes132. Nous retrouvons également le négociant d’origine suisse, Charles Pabst, ou bien encore l’Américain John Neuville Eaton133.
Une maçonnerie portuaire atlantique
89Les relations maçonniques nantaises sont étroites avec une autre loge de la Loire-Inférieure, La Parfaite Fraternité à l’Orient du Croisic. Ses membres s’assemblent en une loge libre en 1774. Venant d’horizons divers et initiés pour la plupart à l’étranger, ils sont tous quasiment issus du milieu aisé du port. La loge composée alors de 17 fondateurs est reconnue par le Grand-Orient de France le 7 septembre 1775134. Elle compte en son sein les consuls de Suède et de Prusse, des bourgeois, 3 nobles et 2 ecclésiastiques. Quand nous étudions les tableaux de la première vie de cette loge (1774-1782), nous trouvons un nombre important de frères nés et initiés à l’étranger. « Il y a présomption de protestantisme en ce qui concerne135 » :
Gottlieb Fischer, né et initié à Konigsberg, fondateur ;
Pierre-Thierry Nopper, né et initié à Hambourg, fondateur ;
Chrestien Daniel Schwark, né à Elbing et initié à Dantzig, fondateur ;
Jean Bronkhorst né à Rotterdam (consul de Prusse) ;
François Destoppelaaar, hollandais né à Amsterdam ;
François Giraud, fondateur, né à Rotterdam.
90Parmi ses membres fondateurs, Éric Gardeman, consul de Suède et négociant, membre fondateur également de la loge. Né en 1737 à Göteborg, initié en ce même lieu, il jette l’ancre dans le port du Croisic. Ce luthérien doit abjurer pour épouser Marie Dubochet, la nièce du maire Charles Dubochet, négociant et capitaine de vaisseau, frère en loge reçu maçon aux colonies « angloises » de l’Amérique. Charles Dubochet est le vénérable de ladite loge. Il est issu d’une famille convertie au catholicisme lors de la révocation de l’édit de Nantes et descendant des Dubochet de Kerliviny, famille calviniste qui s’enfuit en Angleterre en 1685136. L’abjuration, bien que recueillie par le recteur du Croisic, René Carvaro de Kergorré, ne se fit pas dans l’église mais dans la chapelle du couvent des capucins (actuelle chapelle Notre Dame des Lauriers). C’est François Lebourgeois, en religion, Frère Angélique de Rennes et vicaire, et en maçonnerie Frère François, qui reçoit entre ses mains « les erreurs de Luther », le 23 février 1774, afin qu’Éric Gardeman épouse Marie-Renée Dubochet cinq jours plus tard. Car le frère François est membre de La Parfaite fraternité. Outre le frère capucin, la loge compte aussi un prêtre de Citeaux, Jean-Louis Coquerel, futur prêtre assermenté du Croisic137 !
91L’âge moyen est de 31 ans. Sur les 21 membres que compte la loge durant cette première période, 8 sont négociants (38 %), 6 sont nobles ou bourgeois rentiers (28,57 %), 2 sont consuls mais également armateurs négociants (9,5 %), 2 sont ecclésiastiques catholiques. On compte 1 avocat, 1 capitaine de navire et 1 militaire. La dispersion des membres, plus souvent en long déplacement en mer que présents sur les rives du Croisic et la période prérévolutionnaire, plongent la loge en sommeil durant 22 ans à partir de 1782. 4 frères réveillent la loge endormie en 1804 et reprennent les travaux jusqu’en 1814. Parmi ses membres nous trouvons à nouveau des marins venus du Nord :
Jan Jannen ;
Peter Laurent ;
John Nielson ;
Nicolas Rickels ;
Johan Frederic Reinners ;
Jan Vanvleimen ;
Peter Nielse Bodessen ;
Klass Ruccke ;
92On retrouve à nouveau Jean Bronkhorst sédentarisé au Croisic et vénérable en 1809, ainsi que son fils Jean dit « Bronkhorst fils ». Ils sont tous notifiés « capitaines marins », « avec ce que cela comporte comme suppositions concernant leur appartenance à la Réforme138 ». Cet épisode du xixe siècle dans le port du Croisic ne rejoint-elle pas la réflexion de Roger Joxe au sujet de la pénétration des idées réformées via les ports du xvie siècle139 ? C’est au carrefour des chemins, des grandes voies de communication, fluviales, maritimes que les hommes se croisent et échangent leurs idées au hasard des marchés, des sympathies nées lors d’escales, des comptoirs de négoce et centres de production. La franc-maçonnerie naît aussi de ces rencontres d’hommes éclairés habitués à côtoyer la diversité. En plus des négociants locaux, les membres sont des militaires, des marins ou des douaniers mais qui restent peu de temps au Croisic. En 1811, sur les 24 membres inscrits, 21 sont absents du Croisic… Pierre Coyé, de son état propriétaire et dont on ne connaît que très peu de choses, au patronyme plutôt provençal, est le dernier vénérable de la loge avant sa mise en sommeil pour de très nombreuses années… et le rallumage de ses feux en 2004.
93Une autre loge retient notre attention. Celle dite des Sectateurs des Mystères de Memphis entre 1810 et 1832 à Paimbœuf sur la rive sud de l’estuaire de la Loire et dont le titre distinctif fait référence aux rites maçonniques égyptiens nés au début du xixe siècle, dans le sillage de la Campagne d’Égypte de Bonaparte. Elle compte au moins deux protestants connus : Jean Jacomety, restaurateur suisse originaire du pays des Grisons, et Théodore Hardouin négociant originaire du Havre. Tout comme celle du Croisic, elle a du mal à tenir ses travaux durant l’ère du préfet Cardaillac. Constituée en 1811 elle doit fermer en 1832. L’atelier comprend quelques commerçants, artisans, fonctionnaires locaux et un notaire, mais la grosse majorité des 42 membres est formée de marins du commerce presque toujours en mer et les travaux s’en ressentent140. Le frère Jacomety, né à Vicosoprano en Suisse en 1773, est le Maître des banquets de la loge. Restaurateur hôtelier et propriétaire de l’hôtel réputé Saint-Julien sur les quais de Paimbœuf, sa renommée lui vaut les honneurs de la presse en 1853. Yvon Chéné suppose que « c’est en travaillant le décor de son livre Les Louves de Machecoul, qu’Alexandre Dumas s’arrêta à l’hôtel Saint-Julien et en fit un récit élogieux141 ».
94Nous ne retrouvons pas les grandes figures protestantes de la seconde moitié du xixe siècle ou du début du xxe siècle dans les loges nantaises. À commencer par les acteurs politiques de confession protestante. Les maires, Favre, Lechat ou Bellamy n’adhèrent pas à la franc-maçonnerie. Mais Georges-Évariste Colombel, maire de Nantes de 1882 à 1885 est adhérent ainsi que son fils Georges également maire de 1848 à 1852. L’anticléricalisme virulent, voire l’anathème antireligieux qui anime les loges nantaises, explique probablement la distance des maires pratiquant leur confession vis-à-vis de la maçonnerie.
95Ferdinand Favre n’entretient pas toujours de bonnes relations avec les maçons surtout en 1848. Le 11 mars de cette année-là, Ange Guépin nommé commissaire du gouvernement provisoire pour le département de Loire-Inférieure (équivalent du préfet) l’invite à installer les Ateliers Nationaux pour occuper les ouvriers au chômage. Favre peu partisan de cette action est limogé. Certes, à cette époque, Guépin n’est pas encore maçon mais soutenu par les républicains en poste et pour la plupart maçons comme son adjoint Michel Rocher. Ferdinand Favre est pourtant entouré d’élus majoritairement francs-maçons depuis son accession à la mairie en 1832 : François Le Sant (pharmacien, et beau-père d’Ange Guépin de son premier mariage), Thomas Chéguillaume (industriel du cuir et protestant), Louis Vallet (filateur), François Polo (marchand de draps), Camille Mellinet (frère d’Émile futur Grand Maître du GODF), Louis-Prudent Douillard (que l’on retrouve également dans les BMS de l’église réformée), René-Julien Rissel (raffineur de sucre)… Connaissait-il la nature maçonnique de son entourage politique ? C’est Évariste Colombel, protestant et franc-maçon, qui le remplace jusqu’en 1852 avant que Ferdinand Favre ne retrouve son poste avec le soutien de Louis-Napoléon. Julien-Charles Lechat est aussi « entouré » de francs-maçons : Édouard Normand, Georges Colombel tous deux futurs maires de Nantes et le député radical et futur libertaire Charles Laisant pour ne citer que ces exemples. Il en est de même pour Paul Bellamy dont les conseils en hygiénisme social, les comblements des bras de l’Erdre et de la Loire émanent principalement de la loge Paix et Union Mars et les Arts Réunis (dite PUMAR). En effet, sur les 9 maires qui succèdent à Julien-Charles Lechat jusqu’à l’élection de Bellamy en 1881 et 1910, 6 sont francs-maçons membres pour l’essentiel adhérents de PUMAR. Louis Vieil, son influent 1er adjoint, est lui-même maçon et vénérable de la loge Libre Conscience de 1909 à 1917142.
96Les francs-maçons sont donc bien au fait de la Ville puisqu’ils la tiennent. Car Nantes est insalubre et, chaque année, plusieurs centaines de personnes décèdent du choléra avec une recrudescence durant les périodes des pluies. Les épidémies sont concentrées sur les bords de l’Erdre en bas du quartier du Marchix143. Le frère Thouvenin, conseiller municipal du maire Alfred Riom, lui-même maçon, lance en 1892 une commission maçonnique chargée de trouver une solution qui aboutit en 1895 au projet et à la réalisation du « tout-à-l’égout » et de bassins d’épuration, projet soutenu par le directeur de la Compagnie des Eaux, Georges Échenoz, également franc-maçon144. Plus tard le frère Maurice Schwob, israélite de confession et directeur du journal Le Phare titre au sujet des travaux : « il n’y a d’autres solutions que le comblement ». Et ce n’est pas toujours de gaîté de cœur que la municipalité Bellamy se rallie aux préconisations nées en loges nantaises145. Il en va de même dans le milieu industriel et négociant rentier à l’image des protestants Émile Péquin et de Childéric Anthus. Des figures industrielles d’origine catholique comme Mathurin et Joseph Brissonneau, à l’origine de la société industrielle Brissonneau et Lotz de machines diésels et chaudières et d’une grande partie du matériel du métro parisien, sont membres de Mars et les Arts. On peut aussi citer Jean-Maurice Amieux et Paul Grandjouan.
97La descendance Pelloutier compte deux membres francs-maçons : Léonce Pelloutier et, dans une loge éphémère non reconnue par le GODF, Fernand Pelloutier leader syndicaliste à Saint-Nazaire à la loge Karl Marx rattachée à l’obédience « Les Chevaliers du Travail146 ». Cet Ordre, né aux États-Unis, s’adresse uniquement aux ouvriers manuels dont il est censé défendre les intérêts. L’histoire de cette loge nantaise a pour origine Charles Brunelière (1847-1917). Armateur nantais agnostique, il s’oriente vers les idées socialistes et crée au sein de la Bourse du travail, le syndicat des vignerons du vignoble nantais. En créant la loge Karl Marx, il agrège Pelloutier mais aussi Aristide Briand147. Et surtout Paul Lafargue, gendre de Karl Marx.
98Trois nazairiens de confession protestante, ou sympathisant, sont aussi membres de Mars et les Arts avant la constitution d’une loge nazairienne : le premier se nomme Paul Lepeltier, pharmacien et originaire du nord de la France. Il est initié en 1854. Le second se nomme Constant Guichet. Ce médecin originaire de Donges n’apparaît pas dans les registres protestants mais loue un local à Saint-Nazaire pour la célébration du culte en 1860. Il est initié en 1864. Enfin le troisième se nomme Alphonse Durand. Né à Saint-Nazaire, ce capitaine au long cours est initié le 25 mars 1864. Nous ne savons rien de cet homme. Est-il d’origine protestante ou bien sa conversion au protestantisme se produisit-elle dans un port du nord ? Ainsi sur un total de 12 nazairiens initiés à Nantes avant la création d’une loge à Saint-Nazaire, 25 % ont un rapport direct ou indirect avec les protestants dans une ville naissante au milieu du xixe siècle. Trois membres, c’est peu et à la fois significatif sur 12 si on compare ce chiffre à celui de 1998. Sur les 130 francs-maçons répertoriés dans les différentes loges de Saint-Nazaire, deux maçons admettaient leur appartenance à la confession réformée148.
99En 1868, la loge L’Étoile des deux Mondes du GODF est constituée à Saint-Nazaire et disparaît en 1874149. Curieusement nous n’y retrouvons pas les frères de confession protestante cités plus haut. Une autre loge naît en 1887 et subsiste toujours : Le Trait d’Union où nous ne retrouvons pas de protestants connus figurer sur les registres. La maçonnerie connaît une évolution très sensible à la fin du xixe siècle à Nantes mais aussi un peu partout en France. Nous avons constaté en effet que la franc-maçonnerie se structure dans tous les ports dès le xviiie siècle et sur toutes les rives des océans. Corsaires protestants, aventuriers, nobles ou simples négociants se retrouvent dans ces lieux ouverts vers le large. Bordeaux en est un exemple. La naissance de la loge L’Anglaise en 1732 sur les quais de la Garonne a pour origine des gens de mers : 3 Anglais probablement officiers de marine et négociants150. Les procès-verbaux sont même rédigés en anglais avant que la loge crée une loge La Française et qu’elle soit probablement à l’origine de la première loge nantaise comme nous l’avons vu plus haut. Les ports atlantiques de La Rochelle, Royan, Rochefort-sur-Mer dont le temple de la loge de l’Accord Parfait fondée en 1776 est le premier classé monument historique, témoignent des liens qui unissent incontestablement les mondes protestants maritimes atlantiques et maçonniques151.
Des pasteurs francs-maçons
100Au niveau national, deux cas retiennent notre attention ainsi que ceux de deux pasteurs plus localement. Le premier est Frédéric Desmons dont il est inutile de réécrire sa biographie. Rappelons seulement qu’il suit ses études de théologie à la Faculté de théologie de Genève et est reçu docteur en théologie en 1855. Il est initié au GODF à l’âge de 31 ans dans la loge l’Écho à Nîmes le 8 mars 1861152. Il accède rapidement aux responsabilités nationales et devient à plusieurs reprises Grand-Maître de l’obédience. Il se distingue des autres pasteurs francs-maçons quant à sa vigilance en faveur de la suppression des références à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme en maçonnerie. Ce qui provoque une scission entre les tenants de la référence au Grand Architecte de l’Univers (GADLU) et les partisans de la liberté de conscience. Que dit Desmons à ce sujet :
« Nous demandons la suppression de cette formule parce qu’elle nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la maçonnerie. […] Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux Églises autoritaires le soin de formuler leur syllabus. Mais que la maçonnerie reste ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales […]153. »
101En 1877, le convent du GODF déclare que la présence de la Bible n’est plus obligatoire sur l’autel des serments. « Ce n’était pas, comme certains de ses ennemis l’ont écrit, une déclaration “forcenée d’athéisme” mais, simplement, l’expression de la libre-pensée maçonnique, refusant d’être assujettie à un dogme154. » En définitive, Desmons quitte à regret le ministère pastoral et embrasse une brillante carrière politique : tour à tour conseiller général, député puis enfin sénateur jusqu’en 1909. En abrogeant la référence au GADLU, Frédéric Desmons a eu sans doute tort, pour le courant évangélique, de séparer l’ordre religieux de l’ordre maçonnique. Mais ce qui importe pour Desmons, c’est la liberté de conscience. Le deuxième cas se nomme Michel Nicolas (1810-1886). Pasteur, professeur de la Faculté de Montauban où il enseigne durant 47 ans, il est classé parmi les libéraux. Il fut même accusé d’athéisme par quelques-uns de ces coreligionnaires. Ces cas ne sont pas uniques et les exemples de pasteurs initiés en maçonnerie ne sont pas isolés au milieu du xixe siècle. Nous pourrions aussi évoquer David Munier (1798-1872), pasteur et théologien genevois, brillant prédicateur, professeur et plusieurs fois Recteur de l’Académie genevoise155.
102Les deux derniers cas locaux concernent en premier lieu un pasteur de Nantes : Pierre de Joux dit Dejoux, nommé à Nantes en 1803 à la suite de la démission du pasteur Molles, n’appartient pas à la même obédience maçonnique de la plupart des chefs et notables protestants de la ville, mais au courant maçonnique dit du « Régime Écossais Rectifié ». Initié à Genève, il est proche du rite ésotérique martiniste rattaché à la mystique judéo-chrétienne. Nous ne le retrouvons à aucun moment sur les colonnes des loges nantaises. Il publie un petit ouvrage en 1802 où il expose la nature de la franc-maçonnerie et ses rapports généraux avec la société156. En conflit avec la paroisse nantaise, il finit par se convertir au catholicisme à Paris le 11 octobre 1825 en abjurant « l’hérésie de Luther » entre les mains de l’archevêque de Paris, Hyacinthe-Louis de Quélen157. Le second concerne un pasteur de Vendée : Jean-Benjamin Gautier, pasteur à Pouzauges durant le consistoire nantais de 1821 à 1833 puis pasteur de Fontenay-le-Comte jusqu’à sa démission en 1861. Il ne cache pas son appartenance à la franc-maçonnerie. Dans les registres du consistoire, sa signature est maçonnique158. Ces cas cités pour l’exemple sont loin d’être anecdotiques159. Ils s’inscrivent dans une période de l’après Révolution de 1848 puis du Second Empire marquée par des fractures antireligieuses en France160. Les hommes du xixe siècle, chrétiens catholiques ou protestants, libres penseurs et ou francs-maçons se sont opposés, non pas pour tenter de résoudre le rapport institutionnel entre les Églises et l’État qui aboutira à la loi de 1905, mais autour d’un combat frontal contre la République mené par l’Église catholique encore très influente dans les campagnes.
103Tout comme à Nantes, les ports de l’Arc Atlantique de Bordeaux au Havre en passant par La Rochelle et Brest comptent des protestants engagés en maçonnerie dont des maires jusqu’au xxe siècle. La proximité avec les ports explique-t-elle cette double appartenance ? Incontestablement à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle, au regard des raisons évoquées plus haut161. Les ports sont les principaux points de passages et d’échanges entre les ressortissants de différentes nations, des lieux par nature multilingues où se rencontrent les gens rompus aux risques des métiers de la mer. Les loges leur offrent un espace de liberté et de solidarité.
104La présence nombreuse dans les loges de négociants et d’armateurs liés au commerce triangulaire explique-t-elle la progressive désaffection des protestants pour la maçonnerie nantaise dès le milieu du xixe siècle ? C’est pourquoi nous ne pouvons affirmer une spécificité uniquement portuaire et protestante dans l’histoire maçonnique nantaise du xixe siècle à nos jours. Sinon une influence marquée à la fin du xviiie siècle. Si les maçons nantais du xixe siècle ne cachent pas une réelle empathie à l’égard du protestantisme, c’est plus par anticatholicisme et aucun d’entre eux ne franchit le pas vers la religion réformée à ce stade de nos connaissances. Le positionnement politique d’un maire tel que Ferdinand Favre, proche de gouvernements peu tournés vers les maçons explique-t-il ce détachement ? Mais aussi, plus simplement sans doute, les loges maçonniques de la fin du xixe siècle sont très anticléricales et adogmatiques. Elles versent, comme dans beaucoup d’endroits en France, dans l’activisme politique où s’affrontent différentes tendances du socialisme.
105L’adhésion à la franc-maçonnerie est naturelle pour des républicains de tendance radicale. Des maçons connus pour leur autoritarisme et sectarisme à l’égard des religions tels que Paul Griveaux, maire de Chantenay, ne sont sans doute pas étrangers à la prise de distance du milieu réformé toutefois très républicain, et dont certains marqués à gauche comme Paul Bellamy, à l’égard des loges maçonniques à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle162. Leur militantisme politique les plaçait à la limite de ce que l’on peut attendre des loges maçonniques, au risque de se perdre. Le Grand Orient sera d’ailleurs amené à engager une nette séparation entre l’activisme politique de ses membres et la réflexion philosophique basée sur le rituel et le symbolisme.
106Le protestant contemporain à Nantes ou à Saint-Nazaire connu pour son appartenance à la franc-maçonnerie ne l’est pas pour des raisons d’appartenance à un corps social maritime ou portuaire en l’occurrence. Cependant, il appartient pour l’essentiel à la mouvance libérale et fréquente souvent plus assidûment le temple maçonnique que le temple protestant. Pourquoi ? Sans doute par aversion à tout dogme autoritaire, à la manière du protestant et franc-maçon Ferdinand Buisson dont le nom orne le fronton de nombreuses écoles laïques élémentaires de France. Fondateur de l’Église libérale de Neuchâtel en 1869, il préconisait alors, « une Église sans sacerdoce, une religion sans catéchisme, un culte sans mystères, une morale sans dogmatique, un Dieu sans système obligatoire. Nous essayerons de montrer qu’il est possible et qu’il est urgent d’opposer à l’orthodoxie intolérante, une association fondée sur ces bases et aussi religieuse et libérale163 ». Protestant et franc-maçon, deux cheminements ni complètement séparables, ni complètement séparés comme l’affirme le pasteur Pierre Bailleux : « Cette double appartenance est sans ambiguïté : la franc-maçonnerie n’est pas un substitut à ma foi protestante, elle en est un complément heureux164. »
Notes de bas de page
1Perthuis A. et De la Nicolliere-Teijeiro S., Le Livre doré de l’hôtel-de-ville de Nantes, t. II, Nantes, Imprimerie Grinsard, 1873, p. 32-35.
2Collectif, Thomas Dobrée, un homme, un musée, op. cit., p. 64.
3Bovar A., op. cit., p. 31.
4Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Éditions Edgar Bourloton, t. II, 1889-1891.
5Sa fille, Louise décède peu après le 22 septembre 1831 à l’âge de 21 ans. Son fils Gabriel est un membre très actif du consistoire, ADLA, 124 J 30. Sa fille Élisa épouse au temple le 14 octobre 1824, le négociant Jules Gouïn, juif converti, ADLA, 124 J 23.
6Robert A., Bourloton E. et Cougny G., op. cit., p. 23.
7Il avait épousé en premières noces la fille du Général Harpe, d’origine vaudoise et protestante, ADLA, 124 J 11.
8Tout a été écrit ou presque sur le Général Cambronne. Nous renvoyons à une importante bibliographie dont celles récentes de Calvet S., Cambronne, La légende de Waterloo, Paris, Éditions Vendémiaires, 2016, 288 p, et Huet J.-P., Cambronne, Général d’Empire, Tours, Éditions Sutton, 2018, 196 p.
9Martin P., L’or brun de l’estuaire : l’industriel, le port et le paysan, Nantes, Coiffard librairie éditeur, 2015, 164 p.
10Geslin C., « Engrais », Dictionnaire d’Histoire de Bretagne, Morlais, Skol Vreiz, 2008, p. 298.
11Pageot A., « Un administrateur de Nantes, Ferdinand Favre », Nantes, ASANLI, nos 112-113, 2e trimestre 1959, p. 14-15.
12Perthuis A. et De la Nicolliere-Teijeiro S., op. cit., p. 89.
13Hillerin L., La duchesse de Berry, l’oiseau rebelle des Bourbons, Paris, Flammarion, 2010, 510 p.
14Julliard J., Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Points Histoire, numéro 79, Éditions du Seuil, 1985, p. 13.
15Dermoncourt P., « La duchesse de Berry au château de Nantes », Paris, Revue des Deux Mondes, période initiale, t. 3, 1833, p. 576-584.
16Protestant orthodoxe, très hostile à la République car son père a été guillotiné sous la terreur. Kirschleger P.-Y., La religion de Guizot, op. cit.
17ADLA, 124 J 55, séance du consistoire du 6 février 1829.
18Le Marec Y., « Définir et unir la classe ouvrière : les ouvriers, les bourgeois et la grève à Nantes en 1836 », Rennes, PUR, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 101, no 3, 1994, p. 85-110. Créveuil G., « La condition ouvrière et la crise de 1847 à Nantes (suite et fin) », Paris, Revue d’Histoire du xixe siècle, coll. « 1848 et les révolutions du xixe siècle », t. 39, no 180, juin 1948, p. 39-61.
19Librec H., op. cit., p. 47.
20Il était marié avec une genevoise, Claire Louise Odier, 1833-1874. Eugène Réveillaud la consultera, Petit P., « Républicain et protestant : Eugène Réveillaud (1851-1931) », Strasbourg, Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 64e année, no 3, juillet-septembre 1984, p. 238.
21Gribaudi M. et Riot-Sarcey M., 1848, la révolution oubliée, Paris, La Découverte, 2009.
22À Nantes Louis-Napoléon (7 225, voix, 40 %) n’arrive que de justesse devant Cavaignac (6 713, 37 %) et Ledru-Rollin (3 708, 20 %). Notons que le candidat monarchiste, Changarnier, recueille 404 voix soit 8 % de son score national. À Chantenay, c’est Cavaignac qui arrive en tête des suffrages.
23Bois P., « La vie politique au xixe siècle », Histoire de Nantes, op. cit., p. 309.
24RobertA., Bourloton E. et Cougny G., op. cit., p. 616 et Réault J., op. cit., p. 126. (124 699 votants, 153 494 inscrits).
25L’expédition française envoyée à Rome au printemps 1849, afin de soutenir le pape Pie IX à l’encontre des républicains qui l’ont chassé de Rome (24 novembre 1848) donnait des gages au parti de l’Ordre et aux catholiques, animés par Montalembert. Ils assurent le succès de la candidature de Bonaparte à l’élection présidentielle.
26Kahn C. et Landais J., Nantes et les Nantais sous le Second Empire, op. cit., p. 281.
27Robert A., Bourloton E. et Cougny G., op. cit., p. 616.
28Réault J., op. cit., p. 128.
29ADLA, 124 J 32. Benjamin Vaurigaud procédera à ses obsèques. Le pasteur souligne sur le registre des sépultures « membre du consistoire de Nantes ». « L’Hôtel de Ville avait été tendue de noir », Le Phare de la Loire, lundi 22 juillet, no 14, 169.
30Baptisé camélia du nom d’un botaniste, le jésuite morave Caméli, le camélia s’appelait alors « Rose du Japon ».
31Gaillard A., op. cit., p. 17.
32Pageot Auguste, « Un administrateur de Nantes, Ferdinand Favre », Nantes, ASANLI, nos 112-113, 2e trimestre 1959, p. 14.
33Bovar A., op. cit., p. 78.
34Lettre citée dans Bovar A., op. cit., p. 78.
35Lettre écrite le 28 mai 1863, BMN, 51112.
36Marnot B., op. cit., p. 569. Le trafic total annuel en tonnage de jauge nette passe de 348 747 t en 1860 à 228 192 t en 1862, soit une baisse de 35 %, tandis que Saint-Nazaire passe de 75 229 t en 1860 à 275 874 t en 1862 soit une hausse de + 150 %. Voir aussi le chapitre consacré à Jean-Simon Voruz.
37Catholique, issu de la bourgeoisie bretonne anoblie sous l’Empire, le vicomte Victor Lanjuinais (1802-1869) est élu à la Chambre des députés en 1837 et siège au centre-gauche. Il fut ministre de l’agriculture en 1849 et exerce un intérim de 3 mois comme ministre de l’instruction publique et des Cultes en 1849.
38Réault J., op. cit., p. 128.
39ADLA, 84 V1 C.
40Réault J., op. cit., p. 128.
41Philippe Aubert, « Le protestantisme français, de la royauté à la République », le Roi, le Protestant et la République, Édition Cêtre, 1996, p. 21.
42ADLA, 124 J 43.
43Guin Y., « Guépin (Ange, Pontivy 1805 – Nantes 1873) » Dictionnaire de Nantes, Rennes, PUR, 2013, p. 480-481. Floreska Guépin, convainc Guépin de s’atteler à la création d’écoles professionnelles de jeunes filles. C’est à cette époque qu’il fraiera avec le milieu protestant et franc-maçon comme les Grignon-Dumoulin, Amable Sibille, Émile Péquin ou bien encore Frédéric Dolmestch.
44ADLA, 124 J 154, délibération de l’assemblée générale 1907.
45Durand-Gasselin Emmanuel, Livre de la famille Hippolyte-Marie DURAND-GASSELIN, Issy-les-Moulineaux, 1931, p. 45.
46Encrevé A., Les protestants et la vie politique française. De la révolution à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2020, p. 7.
47Aubert P., « Le protestantisme français, de la royauté à la République », le Roi, le Protestant et la République, Besançon, Édition Cêtre, 1996, p. 21.
48Perthuis A. et De la Nicolliere-Teijeiro S., op. cit., 1873, p. 105-109.
49Robert A., Bourloton E. et Cougny G., op. cit., p. 157.
50ADLA, 124 J 31.
51Il est le père de Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904) dont la loi de 1901 sur les associations porte son nom. Il fut inscrit avocat au barreau de Saint-Nazaire et conseiller municipal de la ville en 1870.
52Lettre citée dans Rochcongar Y., op. cit., p. 231.
53Le 7 avril 1885, Arthur Benoît et son épouse Alice Lechat présentent leur fille Christine au « Saint-Baptême ». Charles Lechat est présent et signe le registre, ADLA, 124 J 18.
54Il fait également baptiser ses deux fils, Francis et Évariste au temple en 1864 et 1865, ADLA, 124 J 12 et ADLA, 124 J 15.
55Il est par ailleurs président de la Société académique de Nantes et publie un article sur « Condorcet » Annales de la Société académique de Nantes, 2e semestre 1876.
56Il est très sévèrement battu par le candidat monarchiste légitimiste Ernest Guibourg de Luzinais par 644 voix contre 304.
57Chanson tirée de Satire de l’Ouest, 2 mai 1885. Kerviler R., Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, livre premier, les Bretons, t. 10, Rennes, Librairie Générale de J. Plihon et L. Hervé, 1898, p. 130. Plihon était son adjoint à la mairie.
58ADLA, 124 J 34. Malheureusement, leurs bustes ont été dérobés en 2013.
59Pacteau de Luze S., Les protestants et Bordeaux, Mollat, 1999, 288 p.
60Fiérain J., « Croissance et mutation de l’économie (1802-1914) » Histoire de Nantes, op. cit., p. 342.
61ADLA, 124 J 17 et 18.
62Blanchard R., Le Livre doré de l’hôtel-de-ville de Nantes, Supplément 2, Nantes, Imprimerie Salières, 1901, p. 5-7.
63Profession de foi consultable sur le site « Gallica ».
64« Discussion du projet de loi relatif à la marine marchande », Paris, Impr. des Journaux officiels, 1893, 32 p.
65Jolly J., Dictionnaire des parlementaires français ; notices biographiques sur les ministres, députés et sénateurs français de 1889 à 1940, Paris, PUF, 8 volumes publiés de 1960 à 1967.
66Bourgalais P., Les miroirs du silence : L’éducation des jeunes sourds dans l’Ouest, 1800-1934. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2008, p. 263.
67ADLA, 124 J 14.
68Travail à partir de 13 ans, journée de 10 h pour les moins de 16 ans, 11 h pour les moins de 18 ans et les femmes et interdiction du travail de nuit. La loi crée le corps des inspecteurs du travail.
69Lalouette J., La loi du 9 décembre 1905 : quelques considérations sur ses principes et leur élaboration, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, Villeneuve d’Asq, 2008, p. 60.
70Siegfred A., Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIe République, Paris, 1913, p. 88. Et l’auteur de poursuivre : « Ainsi cette ville républicaine et même très républicaine ne répand d’influence politique en dehors que par ses éléments conservateurs ».
71Rapport fait au nom de la commission des travaux publics, chargée d’examiner le projet de loi ayant pour objet l’amélioration et l’extension du port de Nantes par la chambre des députés, Paris, Martinet, 1912, 102 p.
72Naud F., Les parlementaires de Loire-Inférieure sous la Troisième République, 1871-1940, Mayenne, Éditions régionales de l’Ouest, 2009, 311 p.
73Gueissaz M., « Protestants et laïques d’origine protestante dans la loi de 1905 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 78, 2005, p. 16-26.
74Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du xixe siècle, Évreux, 1927, t. 19.
75Les trois enfants d’Ernest sont baptisés au temple, ADLA, 124 J 16 et 18.
76Décret du 30 mars 1874. Barbance M., op. cit., p. 81.
77ADLA, 124 J 14.
78La famille avait dû abjurer durant les dragonnades comme l’immense majorité des protestants de Vendée. « Abjurer ne veut pas dire qu’ils étaient métamorphosés en catholiques », Vatinel D., « Clemenceau, retour sur un destin », documentaire 52 mn, LCP, 10 novembre 2018.
79Tout comme le Maréchal de Lattre de Tassigny en 1889.
80ADLA, 124 J 14.
81Les ouvrages et études consacrés à Georges Clemenceau sont très nombreux. Retenons à titre indicatif les ouvrages de Jeanneney J.-N., Clemenceau, portrait d’un homme libre, Paris, Mengès, coll. « Destins », 2005, 192 p. Et du même auteur, Clemenceau : Dernières nouvelles du Tigre, Paris, éd. du CNRS, 2016, 217 p. Ainsi que la biographie de Duroselle J.-B., Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, 1080 p.
82« Je n’aurai pas d’obsèques bien entendu. Vous ne voyez pas Millerand avec sa Ligue, Poincaré avec sa serviette, en rang d’oignons derrière mon cercueil ? Je serais capable de revenir à moi ! Pas de prêtre, surtout… Défense à tout curé d’approcher. Barrage à 300 mètres… au large ! Et pas de femmes qui pleurent. La Paix !… Et pas d’hommes non plus ! ». L’intégralité du testament de Clemenceau est consultable sur le site internet du Sénat.
83Vatinel D., Documentaire, op. cit.
84Doessant S., Le général André, de l’affaire Dreyfus à l’affaire des fiches, Paris, Éditions Glyphe, 2009, 416 p. Fait qui sera même reconnu tardivement par l’extrême-droite Française à l’instar de la publication de Dardenne H., Lumières sur l’affaire Dreyfus, 1964, Paris, Nouvelles Éditions Latines, p. 389.
85ADLA, 124 J 55.
86Benjamin Vaurigaud est resté plus de 30 ans pasteur à Nantes. Sa biographie très complète est consultable dans la thèse de Carluer J.-Y., Les Protestants Bretons, xvie-xxe siècles, op. cit.
87ADLA, 84 V 1, lettre du 30 mai 1857 du préfet Henri Chevreau.
88Le 10 septembre 1852, vu le décret organique des cultes du 26 mars 1852, un arrêté modifie l’organisation des consistoires et porte règlement pour la formation de conseils presbytéraux dans chaque église.
89Pacteau S., « L’Église réformée de Bordeaux et la séparation des Églises et de l’État », Toulouse, Privat, Annale du Midi, revue archéologique et philologique de la France méridionale, t. 90, no 137, 1978, p. 193. Fabre R., « Raoul Allier et le projet de Séparation des Églises et de l’État 1904-1905 », ETR, t. 82, 2007, p. 27-36.
90Mayeur J.-M., La séparation de l’Église et de l’État, Paris, 1966, p. 34-35.
91ADLA, 124 J 57 et Launay M., « Le protestantisme nantais au début de la IIIe République (1870-1914) », Enquêtes et documents, Rennes, PUR, 1985, p. 101-122.
92Ibidem.
93Dartigue-Peyron J., Faut-il abolir le Concordat ? Paris, Fischbacher, 1884.
94Revue Chrétienne, Paris, Trente-Unième année, 1884, p. 125-126.
95Ibid., p. 125. Paul Bert, issu d’un milieu janséniste, avait pour devise « Ni Dieu ni Maître ».
96Ibidem.
97Ibid., p. 126.
98Ibid., p. 38-39.
99Dartigue-Peyron J., « La Séparation de l’Église et de l’État », Paris, Revue Chrétienne, t. 1, 1885, p. 383-384.
100Ibid., p. 386.
101Sans défendre l’Église catholique, le pasteur regrette les décrets du 28 mars qui tendent à supprimer leurs facultés de théologie, ibid., p. 388.
102Ibid., p. 391.
103« Pas de privilèges : que les ministres du culte soient assimilés aux autres citoyens, astreints aux mêmes charges, obligés d’obtenir des diplômes pour embrasser la carrière ecclésiastique, rien de mieux. Mais l’égalité des charges implique l’égalité des droits. Qu’ils aient donc le droit de siéger dans les conseils municipaux, généraux, dans le Parlement, si le suffrage des concitoyens les y appellent », ibid., p. 39.
104Ibid., p. 397.
105ADLA, 124 J 140.
106Ibidem.
107L’union consistoriale comprend alors les départements actuels de la Loire-Atlantique, du Maine et Loire, de la Sarthe et de la Mayenne.
108ADLA, 124 J 58.
109L’inventaire eut lieu le 22 février 1906. Tous les biens furent déclarés « propriété de l’Église réformée évangélique de Nantes », ADLA, 92 V 255.
110Ligou D., Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, PUF, coll. « Dictionnaire Quadrige », 2006, 1376 p.
111Henri Librec, de son vrai nom, Henri Billy. Il fut notamment le directeur général des services techniques de la ville de Rezé après la seconde guerre mondiale.
112À noter que, tout comme ce fut le cas lors de la Saint-Barthélemy où les protestants furent épargnés à Nantes, la municipalité nantaise refusa en 1942 de révoquer les fonctionnaires connus pour leur qualité de franc-maçon. « Ce n’était pas par sympathie pour leur cause mais une mesure de répression, dictée par l’occupant ou ses valets, ne pouvait être qu’impopulaire », Librec H., La franc-maçonnerie dans la Loire-Inférieure. 1744-1948. Les Loges de Nantes. Le Croisic, Machecoul, Ancenis, Paimbœuf et St-Nazaire. Imprimerie du Commerce, Nantes, 1949, p. 5. Orient de Saint-Nazaire (Collectif) : Cent ans et plus de Franc-maçonnerie à Saint-Nazaire, 2e édition complétée, Ti3L imprimerie, La Roche-sur-Yon, 2000.
113Saunier É., « Introduction », Les Francs-Maçons et la mer, de la loge au quai, cat. expo., 24 avril-24 octobre 2015, Paris, Éditions Musée de la Franc-maçonnerie, 2015, p. 5.
114Nefontaine L., Le protestantisme et la Franc-maçonnerie, des chemins qui se rencontrent, Genève, Labor et Fides, 2000, 122 p.
115Sohyer J.-P., Jean-Théophile Désaguliers, un Rochelais de l’exil… à la lumière, Périgny, Imprimerie IRO, 2017, 124 p.
116Duby G., Le Temps des Cathédrales. L’Art et la société (980-1420), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1976, 396 p.
117Wurlod E.-J., Paix & Union, Mars et les Arts Réunis, Histoire d’une Loge nantaise, Paris, Éditions Actualités de l’Histoire, 1999, p. 85.
118Ligou D., op. cit., p. 43.
119Beaurepaire P.-Y., Franc-maçonnerie et sociabilité. Les métamorphoses du lien social xviiie-xixe siècles, Paris, Éditions maçonniques de France, 2013, p. 279.
120Sohyer J.-P., Jean-Théophile Désaguliers…, op. cit., 124 p.
121Le Vénérable Maître, Étienne Maître Bricard, avait été probablement initié à Blaye sur la rive nord de la Gironde, ce qui atteste les relations maçonniques dans le milieu portuaire. Librec H., op. cit., p. 75 et Wurlod E.-J, op. cit., p. 91.
122Ibid., p. 76-77. Liste des membres croisés avec les registres protestants.
123AMN, Papiers Dobrée, lettre citée dans Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 47.
124Saunier É., « Des armateurs et des capitaines francs-maçons négriers », Les Francs-Maçons et la mer, op. cit., p. 47.
125Librec H., op. cit., p. 94.
126Wurlod E.-J., op. cit., p. 85.
127Ibid., p. 29. Joseph Hugo rencontre à Chateaubriand Sophie Trébuchet avec laquelle il aura trois enfants dont Victor.
128C’est ce préfet qui installe Pierre Dejoux pasteur de l’Église consistoriale de Nantes, des départements de Loire-Inférieure et de Vendée après la démission du pasteur Pierre Molles.
129Librec H., op. cit., p. 32.
130Ibid., p. 42.
131Mangin V., L’ami de la charte en prison, ou Un mois de retraites, Nantes, Mangin imprimeur, 1827, 126 p. Dans cet ouvrage il prend la défense des albigeois, p. 120.
132ADLA, 124 J 14.
133À noter qu’Eaton et Dolmestch utilisent parfois la signature maçonnique dans des documents du consistoire, Librec H., op. cit., p. 128.
134Chéné Y., Franc-maçonnerie et protestantisme dans l’estuaire et ses proximités : la Loge du Croisic, « La Parfaite Fraternité », notes personnelles, Herbignac, 1998, archives privées, p. 1.
135Ibid., p. 2 et Librec H., op. cit., p. 137.
136Dubochet s’orthographie aussi Du Boschet. « Un fait divers se rapporte à cette famille à la fin du xvie siècle. Guillaume Du Boschet en 1597 avait fait inhumer dans la chapelle Saint-Germain de Saint-Molf sa belle-mère Marie Taffau qui “pendant son vivant avait toujours été notoirement hérétique et fait profession de la nouvelle religion” », Le curé de Saint-Molf porta plainte pour profanation et obtint gain de cause. La dépouille de Marie Taffau fut exhumée et il fut fait « commandement à toutes personnes de quelque qualité ou condition qu’elles soient de non enterrer à l’avenir aucun corps des hérétiques en les chapelles ou aucun lieu saint, sous peine de 500 livres d’amendes et punition corporelle », Tulot J.-L., Familles protestantes de Haute-Bretagne au temps de l’Édit de Nantes, (Nantes, Vieillevigne, Le Croisic, Rennes). (Édité à l’occasion du 400e anniversaire de l’édit de Nantes), Nantes, Centre Généalogique de l’Ouest, avril 1998, p. 268.
137À notre connaissance, Jean-Louis Coquerel n’a aucun lien de parenté avec Athanase Coquerel, figure du protestantisme libéral français au xixe siècle, Librec H., op. cit., p. 137.
138Chéné Y., op. cit., p. 2.
139« C’est ainsi que le colporteur qui passe, le marin qui gagne le port […] pouvaient apporter de leur province le souffle du dehors », Joxe R., op. cit., p. 37.
140Librec H., op. cit., p. 144-145.
141Chéné Y., op. cit., p. 3. « Je partis de Nantes pour Paimbœuf. Je n’avais vu la mer qu’au Havre, et l’on m’avait dit que ce n’était presque pas la mer. […] Nous dînâmes chez le Philippe du lieu : il se nommait Jacomety ; notre dîner nous coûta cinquante sous à table d’hôte ; c’était dix ou vingt sous de différence avec les tables d’hôte du reste du royaume », Dumas A., Mes Mémoires, Paris, Robert Laffont, t. 2, ch. 168, coll. « Bouquins », 1989.
142Librec H., op. cit., p. 132.
143En 1892, on dénombre 592 décès d’une épidémie de choléra, Ravilly É., Sallier-Dupin (de) J.-Y., La ville de Nantes de la monarchie de juillet à nos jours, t. 1, 1830-1914, Nantes, Éditions Reflets du Passé, 1985, p. 199.
144clio de midi à minuit, « Les francs-maçons nantais : des républicains engagés dans la cité, 1870-1905 », Commission d’Histoire de la Franc-maçonnerie de l’Estuaire de la Loire, article non daté, vers 1995, p. 9-10.
145Paul Bellamy ne verra pas l’aboutissement des grands travaux de comblement. Fleury D., Nantes. Le comblement de la Loire et de l’Erdre (1926-1946), Nantes, Éditions du Château des ducs de Bretagne, 2007, 16 p.
146Librec H., op. cit., p. 136.
147En fait Charles Brunelière est exclu de sa loge mère La Libre Conscience. « Le chantier “Karl Marx” sera dissout en 1897, suite aux dissensions entre anarchistes, allemanistes, socialistes, entre partisans de la grève générale et les autres », clio de midi à minuit, op. cit., p. 14.
148Enquête réalisée par Ludovic Marcos dans le cadre du 400e anniversaire de l’édit de Nantes en 1998. À titre de comparaison en 2021, et après consultation auprès des loges nazairiennes, 4 de leurs membres sont inscrits sur la liste électorale de l’EPUdF (paroisse de Nantes et de Loire-Atlantique).
149Le titre distinctif de la première loge du GODF à Saint-Nazaire est repris en 1966 lors de la création d’une loge mixte à l’obédience du Droit Humain.
150Révauger C., « La Naissance de l’Anglaise à Bordeaux en 1732 », Les Francs-Maçons et la mer, op. cit., p. 15.
151De grands noms de la franc-maçonnerie l’ont fréquentée comme La Fayette, La Pérouse ou encore Édouard Grimaux. Médecin, pharmacien et grand chercheur chimiste, ce dernier est protestant et marié à Léontine Boutet, issue d’une famille de la bourgeoisie terrienne protestante vendéenne. Ils se marient en 1857 à Sainte-Hermine où il est inhumé au cimetière protestant de la commune en 1926. Fournier J. (texte annoté et illustré par Bujeaud C.), Édouard Grimaux, un grand savant vendéen, ouvrage édité par les Amis du temple protestant de Sainte-Hermine et par Histoire & Patrimoine du canton de Sainte-Hermine, 2012.
152Ligou D., « Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République », Paris, Théolib, 2012.
153Ligou D., Dictionnaire de la franc-maçonnerie, PUF, 1998, p. 366.
154Wurlod E.-J., op. cit., p. 18.
155Ligou D., « Les protestants et la Franc-maçonnerie au début de la Troisième République », in Collectif, Les protestants dans les débuts de la Troisième République, Colloque de Paris, 3-6 octobre 1978, Suppléments de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Paris, 1979, p. 229-241.
156Dejoux P., Ce que c’est que la franche-maçonnerie, Paris, nouvelle édition par Amadou R., Paris, Cariscript, 1988, 139 p.
157xxx, Biographie Universelle, Ancienne et Moderne. Supplément, Paris, Michaud Libraire-Éditeur, t. 62, 1837. Dans cette biographie, nous trouvons la liste de tous les ouvrages écrits par Pierre Dejoux. Cabanel P. et Encrevé A., Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, t 2, Paris, Les éditions de Paris Max Chaleil, 2020.
158Information qui semble choquer Paul Romane-Musculus : « Que valait la foi de ce pasteur… », Romane-Musculus P., op. cit., BSHPF., vol. 130, 1984, p. 245.
159D’autres pasteurs sont connus antérieurement pour leur appartenance maçonnique comme Louis-Victor Gabriac pasteur d’Orthez. Issartel T., « Entre protestantisme et franc-maçonnerie : le pasteur Louis-Victor Gabriac (1759-1830) », BSHPF, t. 142, 1996, p. 597-628.
160Hivert-Messeca Y., « La Bible entre l’équerre et le compas : les protestants du Second Empire vus par les francs-maçons », BSHPF, vol. 145 (janvier-février-mars 1999), p. 161-186.
161Le parallèle peut être fait avec le Havre. Pringard O., République et Franc-Maçonnerie au Havre 1815-1945, Luneray, Éditeur Bertout, 2002, 598 p., et Reinhart C., Les Reinhart, une famille protestante du négoce du coton et du café du Havre, 1852-1962, thèse de doctorat, Chaline J.-P. (dir.), université Paris IV-Sorbonne, 2005.
162À propos de Paul Grivaux, « Comment cet homme dont l’engagement a été total et les mérites évidents sombrera-t-il dans l’oubli ? Victime sans doute de son autoritarisme […] », clio de midi à minuit, op. cit., p. 20.
163Cabanel P., Le Dieu de la République, aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2003, 282 p.
164Bailleux P., « Protestantisme libéral et franc-maçonnerie libérale », Franc-maçonnerie et religions, La Pensée et les Hommes, no 33, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1996, p. 70.

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Les protestants et Nantes
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