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Conclusion

p. 275-282


Texte intégral

1Nous avons voulu évaluer la place des protestants au sein des différentes dynamiques du contexte portuaire, économique, social et politique à Nantes et à Saint-Nazaire principalement au xixe siècle. Cet ouvrage analyse leur action dans un siècle qui voit la disparition du commerce triangulaire et l’installation durable de la métallurgie en Basse-Loire. Nous avons dévoilé leur positionnement politique de la Révolution française au tournant républicain des années 1870. La mise en perspective de la présence active des protestants sur la Loire contribue à l’histoire globale d’un estuaire bordé par Nantes et Saint-Nazaire où les protestants se sont intégrés. C’est également l’histoire d’un fleuve modelé par l’homme pour dynamiser la fonction d’échange portuaire et parer à son envasement. C’est aussi une histoire de rives, façonnées par les comblements des bras de la Loire pour gagner de nouveaux espaces à Nantes et les remblaiements pour construire la ville nouvelle de Saint-Nazaire et son port, à laquelle les protestants en responsabilité ont largement contribué. Leur statut de minorité ne fait pas des protestants nantais une corporation à part peu soucieuse de la société dans laquelle ils évoluent ; ils ne vivent pas en ghetto et, bien au contraire, participent à la vie de la cité. Leur confession religieuse ne leur confère aucun titre de vertu supérieure. Ils ont leurs qualités et leurs défauts comme tout un chacun. Si certains ont fait fortune, comme beaucoup de catholiques sur les quais de Nantes, la majorité d’entre eux sont de conditions moyennes et modestes à l’instar de l’essentiel de la population nantaise et nazairienne.

Un dénominateur commun : les ports et la Loire

2Aujourd’hui, le protestantisme luthéro-réformé est toujours minoritaire mais solidement ancré à Nantes et, dans une moindre mesure, à Saint-Nazaire. Dès le début de la Réforme au xvie siècle, malgré l’hostilité dont ils furent victimes, les protestants se sont amarrés aux rives de l’estuaire du plus long fleuve de France ; puis au gré de l’activité économique, dès le milieu du xviiie siècle tant dans le domaine du commerce colonial, que de la production industrielle où ils sont majoritairement aux commandes. Alors que les protestants retrouvent la liberté de culte, au début du xixe siècle, leurs activités se conjuguent à plus d’un titre avec la mer et l’estuaire de la Loire. Durant cet âge d’or protestant méconnu, cette minorité a réellement pesé sur le virage économique et urbain pris par Nantes et Saint-Nazaire.

3Le protestantisme rural du xvie siècle a disparu depuis longtemps. Les nouveaux « religionnaires » sont, pour beaucoup d’entre eux, de nationalité étrangère et leurs noms sont intimement liés à l’activité du port. Négociants hollandais du xviie siècle, manufacturiers et armateurs suisses, britanniques ou allemands des xviiie et xixe siècles : tous ont participé à l’essor et au dynamisme des deux cités ligériennes. Rien ne les prédisposait en apparence à s’assimiler ainsi, et à occuper les postes clés, ce, jusqu’au début du xxe siècle ; sinon un sens inné du négoce, leur goût pour l’innovation commerciale et industrielle. Le huguenot haï du xvie siècle n’a rien de commun avec le protestant nantais ou nazairien du xixe siècle. Toutefois ils ont à l’évidence en commun la Loire. Une certitude : la Réforme emprunte l’estuaire du plus long fleuve de France, axe de circulation et de commerce. C’est également par la Loire et par la mer que les protestants fuient lors de la révocation de l’édit de Nantes en 1685. C’est à nouveau par la Loire qu’ils reparaissent, sur les rives de Paimbœuf et d’Indre autour des premières manufactures de la révolution industrielle et du développement des échanges au xixe siècle : contremaîtres britanniques, ouvriers spécialisés suisses, marins venus du nord. C’est pour la Loire qu’ils s’installent à Saint-Nazaire et autour de l’estuaire, site idéal de construction navale. Le protestantisme à Saint-Nazaire a pour raison d’être objective la naissance d’une « ville champignon » surnommée « Petite Californie » : ce promontoire rocheux, de 600 âmes en 1820, est aujourd’hui une ville de 70 000 habitants au sein d’une agglomération de plus de 120 000 habitants et le premier port de construction navale en France.

4Les dimensions géographique et historique interagissent énormément dans notre étude. En effet, l’élément maritime et fluvial façonne l’histoire collective de ces femmes et de ces hommes dans le temps. Cette dimension « géohistorique », expression née sous la plume de Fernand Braudel, s’applique à la présence des protestants sur les rives de la Loire1. Car la mer et la Loire sont leurs constantes ; marins « estrangers » redoutés dans le port du Croisic au xviie siècle, armateurs et manufacturiers hollandais installés sur les quais de Nantes2. La Loire relie les réussites ou les aléas de ces hommes et de ces femmes. La Loire les retrouve au xixe siècle. La campagne reste peu perméable aux pénétrations protestantes, quels que soient les siècles. En revanche, telles les alluvions fertiles que déverse régulièrement le fleuve, les protestants reviennent dans les villes bordant la Loire. Y a-t-il un protestantisme propre à la Loire ? Certes non, puisque l’immense majorité des protestants dont il est question n’est pas native de la terre sur laquelle elle prend racine mais s’y rattache en vertu de son activité. La raison d’être du protestantisme, dans cette partie de l’ouest de la France, est la présence d’un fleuve sur lequel viennent donc se greffer des communautés attachées aux échanges, à de puissants réseaux européens et aux manufactures.

5C’est l’estuaire de la Loire, la porte océane, qui conduit des dynasties protestantes à s’installer à Nantes, afin d’y commercer. Le port est à la fois leur moyen et leur objectif, ce lieu de l’entre-deux « qui participe d’entités qui s’opposent, à commencer par l’élément le moins maîtrisé qui soit encore – quoi qu’on en dise – la mer, et l’une des formes les plus abouties de la civilisation, la ville3 ». Plus généralement, les protestants contribuent au développement des villes qui naissent de la vitalité des ports et non l’inverse. Au xixe siècle, Nantes ne compte pas de quartier réservé aux protestants. Si l’on observe une concentration essentiellement autour des ponts et sur les îles, à l’instar des indienneurs ou des métallurgistes, c’est dans un souci d’implantation fonctionnelle et professionnelle. Ils savent également afficher et tenir leur rang : nombre de « folies », ces petits châteaux romantiques, ont pour propriétaires des protestants comme les Petitpierre, Voruz ou bien encore Dobrée. Au fil du temps, les protestants ont été assimilés et sont partie prenante de la cité.

6Peut-on parler d’un protestantisme breton à Nantes au début du xixe siècle ? Géographiquement oui, puisqu’on les retrouve essentiellement dans la cité dite « des ducs de Bretagne », mais d’origine non. C’est la Vendée qui permet de former un consistoire en 1803 dont le chef-lieu est à Nantes. Ce n’est que dans la seconde moitié du siècle que le troupeau protestant se diversifie et compte parmi ses membres un fort contingent issu de la Bretagne historique. Dès le début de notre étude, nous avons mis en exergue la puissance des protestants suisses. Nous avons constaté leur influence fondamentale, de par leur nombre et leur activité. Ils n’avaient pourtant pas le pied marin mais la mer représentait alors l’espace incontournable pour acheminer leurs marchandises. Les quais de la Loire sont les vecteurs de leur négoce. Peut-on parler d’un « vingt-septième canton suisse » à Nantes4 ? Ils participent incontestablement à la traite négrière, certes de façon indirecte, mais en toute conscience. Comme l’écrit Bouda Etemad :

« Les Suisses impliqués dans la traite négrière peuvent être classés en trois groupes. Le premier réunit des fabricants et des négociants qui, depuis la Suisse, fournissent des marchandises de traite, principalement des indiennes. Le second, des indienneurs suisses qui s’expatrient pour remplir la même fonction à proximité des débouchés. Le troisième, des commerçants et des manieurs d’argent suisse qui ajoutent la traite négrière à leurs multiples activités5. »

7Il n’est pas question d’instruire un « procès en sorcellerie » posthume à l’égard des protestants suisses qui ont armé des navires négriers ou confectionné leurs articles à destination de la traite. Les mentalités de l’époque, le poids du fret des indiennes qui représente encore à Nantes 40 % de la richesse du port et 45 % des emplois ouvriers au début du xixe siècle, expliquent le déni et la résistance nantaise face au combat abolitionniste. Que dire de la très grande majorité des armateurs catholiques ? Cependant, les protestants jouent un rôle déterminant dans l’abolition du trafic honteux. Ils contribuent à la mutation du port de commerce en port de production industrielle.

8Les protestants portuaires présentent une autre caractéristique : à Nantes comme à Saint-Nazaire, à de rares exceptions près, à l’image d’Henri Canaud ou d’Antoine Labouchère dans sa jeunesse, peu d’entre eux pilotent les navires qu’ils arment ou bâtissent. Ils préfèrent confier à des capitaines et subrécargues le soin de mener à bon port les cargaisons. Comme les Hébreux, ils restent à terre. Mais pas pour les mêmes raisons. Les Hébreux voyaient dans les ports la cause des invasions et des razzias. A contrario, les protestants perçoivent dans le port la source de leur salut… économique. Il apparaît donc très clairement que le protestantisme nantais entretient au xixe siècle un lien étroit avec le port, son industrie et la mer. Aussi, les protestants nantais liés au port peuvent être classés en trois catégories : un premier groupe de négociants et d’armateurs, un second de fabricants et d’industriels, enfin le dernier de concepteurs et de politiques.

9Les premiers, négociants et armateurs, sont particulièrement présents au début du xixe siècle et dominent au sein de l’église comme dans l’économie de la cité. Les seconds, fabricants et industriels, les indienneurs, métallurgistes et ferblantiers jouent, un rôle majeur sans commune mesure avec leur importance numérique. Nous pouvons affirmer que la métallurgie nantaise et de la Basse-Loire, dans sa conception et l’élan impulsé, est d’origine protestante. Enfin, la place conquise en politique par les protestants est surprenante avec une apparente facilité, dans un environnement très catholique. Mis à part leur discrète opposition au roi Charles X durant la Restauration, ils se fondent dans l’opinion générale. Ils pratiquent l’ouverture, ne se replient pas sur leur communauté. Ils sont loyalistes, oscillant entre orléanisme, libéralisme, opportunisme sous le Second Empire. Somme toute, ils se rallient avec enthousiasme à la République, parfois par intérêt douteux à l’instar de Gabriel Lauriol, mais la plupart du temps par attachement à leur éthique6. Leur culture économique, leur orientation théologique les prédisposent à la modernisation de la société française. En 1898, lors du troisième centenaire de l’édit de Nantes, beaucoup d’entre eux sont engagés dans la révision du procès de l’affaire Dreyfus. La réaction catholique antiprotestante à la fin de ce siècle se manifeste notamment par la question des sépultures, plus particulièrement dans l’ouest de la France. L’influence protestante est disproportionnée dans l’imaginaire catholique. Elle relève plus de la paranoïa que de la réalité. Alors que des familles ne demandent qu’à exercer paisiblement leur culte, la hiérarchie de l’Église catholique ne voit que subversion en Loire-Inférieure.

10Les opinions politiques protestantes sont globalement sans équivoque. Les membres du consistoire et du conseil presbytéral appartiennent pour l’essentiel à l’opinion conservatrice. Ceci explique sans doute la longévité politique de Ferdinand Favre qui a parfaitement su concilier la droite légitimiste avec la bourgeoisie orléaniste puis le bonapartisme avec les élites soucieuses de la préservation de l’ordre établi. Pour autant, être protestant ne signifie pas unité de vue politique et solidarité confessionnelle. Le sénateur Voruz est défait par son propre camp ainsi que le député-maire Bellamy, dans une moindre mesure, par son coreligionnaire du conseil presbytéral et à l’Assemblée Nationale, Maurice Sibille. Ils sont témoins des ruptures politiques dans une fin de siècle traversée par des guerres, des insurrections et où la France tente péniblement de trouver une stabilité politique. La nouvelle génération de la fin du siècle penche à gauche et se rallie définitivement à la République, au prix de quelques divisions. Les protestants du xixe siècle savent prendre le pouvoir de par leur gestion économique de la cité.

11Nantes est-elle un terreau qui unit protestantisme et capitalisme, selon la formule de Max Weber7 ? Est-ce la prise du pouvoir économique sur le politique comme le soutient le philosophe Régis Debray : « La fusion entre le monde des affaires et celui du politique, les allers-retours entre le service public et le secteur privé, des pratiques dont on sait qu’elles sont monnaie courante dans le monde protestant8 » ? Pour répondre à cette question, notons que les protestants, en affaires, au xixe siècle, sont des hommes de leur époque, certainement plus intuitifs et cultivés que la moyenne dans le milieu qu’ils côtoient. Mais que dire alors de la très large majorité des catholiques œuvrant sur le port ? Il est vrai que la surreprésentation des protestants dans les affaires, 10 à 15 % dans l’industrie alors qu’ils dépassent à peine 0,50 % de la population nantaise, illustre leur capacité à s’engager et à prendre des risques. Les protestants ont donné à la Chambre de commerce des « hommes d’appareils » qui ont occupé les plus hautes fonctions, de même dans l’industrie, à l’image de Thomas I Dobrée, de Philippe Gengembre ou bien encore de Jean-Samuel Voruz. La bourgeoisie protestante est, certes, majoritairement conservatrice mais elle est plus novatrice que la bourgeoisie catholique : elle agit en faveur de l’enseignement populaire, ouvre des écoles et des lieux de formation y compris pour les jeunes femmes. Les protestants jouent, par exemple, un rôle déterminant à Nantes dans l’émergence d’un enseignement gratuit à l’image de Thomas I Dobrée. Les mêmes assistent les vieillards et les plus pauvres en investissant financièrement dans des asiles ; ou bien encore, la famille Petitpierre qui investit très tôt dans une crèche9. Comme à Bordeaux, elle manifeste un réel attachement à la création d’institutions sociales. Il en est de même s’agissant de La Rochelle.

12Les Say, Dobrée, Haëntjens, Favre, Lauriol ou bien encore Sibille s’investissent personnellement dans les sociétés savantes. Dans le domaine culturel, Thomas II Dobrée et Pierre-Antoine Labouchère sont les purs produits des fortunes accumulées par ces dizaines de négociants et armateurs (47 recensés dans l’église à la veille de 1830), qui expliquent, comme le souligne Jacky Réault, « le maintien d’abord puis la prospérité et le rayonnement de leur église10 ». Leurs contributions à la sauvegarde du patrimoine culturel français et européen sont exceptionnelles.

Des innovateurs

13Beaucoup ont un point commun même si leur finalité diverge : ce sont des incubateurs, des capitaines d’industrie et des innovateurs. Nous dirions, en ce xxie siècle, des « Startupeurs ». Ils ne sont pourtant qu’une poignée d’hommes et de femmes. Mais certains d’entre eux forment une élite, nourrie de voyages, de rencontres culturelles et commerciales, qui vit avec son temps. Encore faut-il s’interroger sur le concept d’élite dans le cas présent. Si les protestants occupent des places prépondérantes dans certains domaines, ils ne dominent pas la société nantaise au titre de leur confession. C’est pourquoi nous privilégions le terme d’innovateur plutôt que celui d’élite, le terme ayant un caractère péjoratif, même s’ils apparaissent comme telle. Ils ont ce point commun avec les marins huguenots du xvie siècle : un goût pour l’aventure et le négoce. Ils s’adaptent et se reconvertissent admirablement lorsqu’un secteur est en crise – l’indiennage ou le sucre pour ne citer que ces exemples – et engendrent des initiatives nouvelles. Comment ne pas être fasciné par le personnage de Ferdinand Favre : alors que le commerce des indiennes s’effondre, il investit dans les engrais aux portes de la révolution agricole du xixe siècle et ouvre la voie à la pratique de la fertilisation industrielle des terres par amendement des résidus de l’industrie sucrière. Alors que la majorité des portuaires s’arc-boute sur le commerce passé de la canne à sucre au départ de Nantes en droiture vers les Antilles, Ferdinand Favre regarde en aval sur l’estuaire, vers Saint-Nazaire et le futur. Il soutient, avec Voruz, en persuadant la Chambre de commerce, un projet de service transatlantique au départ de Saint-Nazaire, certes à destination des Antilles, mais aux conséquences industrielles nouvelles et commerciales très positives qui n’ont rien à voir avec celles révolues des colonies. Alors que beaucoup investissent encore dans le cabotage sur la Loire et ne croient pas au développement du transport par chemin de fer, Favre imagine une ligne ferroviaire entre Nantes et Paris, ce, malgré les doutes et les railleries. Il en est de même pour Thomas I Dobrée : il arme des expéditions novatrices vers l’Extrême-Orient et l’île Bourbon tandis que ses concurrents regardent toujours avec nostalgie vers les Caraïbes.

14Autre constat de notre étude : lorsque l’on consulte les archives du consistoire et du conseil presbytéral, il est évident que les protestants nantais du xixe siècle ne reviennent jamais sur les épreuves que leurs coreligionnaires des xvie et xviie siècles ont subies. L’esprit du troisième centenaire de l’édit de Nantes, en 1898, est la contribution de la Réforme à la société française ; il n’est pas question de régler des comptes. L’enjeu est d’affirmer l’unité des protestants alors très divisés. Cela correspond-il à leur mode de vie empreint de discrétion et à leur volonté de réussir socialement ? Les familles réformées ont tourné depuis longtemps la page des guerres civiles. Elles ne se sont jamais repliées sur elles-mêmes et, pour certaines d’entre elles, ont été « absorbées » par les catholiques à l’image des Voruz ou Haentjens. En société, les rares portraits ou photographies contrastent avec le faste des salons de la bourgeoisie nantaise. À l’exception de l’extravagant Alphonse Cézard, les protestants s’affichent avec honorabilité mais toujours avec discrétion, sans aucun signe ostentatoire de richesse malgré le rang social qu’ils occupent. Ils tiennent avec rigueur les comptes de leur maison à l’instar d’un Thomas II Dobrée, que nous pourrions qualifier de « néo-châtelain », austère et fuyant toute mondanité. Par ailleurs, dans la seconde moitié du xixe siècle, les conflits interreligieux ont pour théâtre les cimetières sur fond de reconquête catholique dans les campagnes.

15En définitive, nous avons toujours voulu replacer l’histoire des protestants de l’estuaire de la Loire dans le contexte général du xixe siècle et xxe siècle naissant, tant sur le plan de l’Église, que celui de la situation politique nationale et économique. Cette recherche ouvre des horizons sur le patrimoine maritime protestant lié aux ports et aux industries, de la mer du Nord à la Méditerranée en passant par la Manche et l’Atlantique. Il reste encore à explorer la vie et les attaches des familles dont les noms n’apparaissent pas ou très peu dans notre étude : les négociants Peyrusset, Bardot, Admyrault de La Rochelle et liés à Nantes, Wilfelshein, Von Bobart, Alliot, Quérard, Backman ; les industriels Rothe, indienneur, Guibert-Lassalle pour la construction navale, Mathey-Doret, Callame, les avocats Gouillard, de Peslouan, Lemarchand, artisans, et tant d’autres comme la famille rezéenne Grignon-Dumoulin. Qu’est-il advenu de leur descendance ? Nous sommes convaincus que nombre d’archives privées et familiales demeurent encore à découvrir et… à ouvrir. Nous savons que la très grande majorité des pasteurs missionnaires empruntait la CGM, Compagnie des Messageries Maritimes au départ de Bordeaux ou de Marseille à destination de l’Afrique et de l’Extrême-Orient, cantonnée aux dessertes de l’empire colonial français. Nous aurions également voulu découvrir des missions protestantes réalisées par l’entremise de la CGT, Compagnie Générale Transatlantique, au départ de Nantes et de Saint-Nazaire. Mais ont-elles existé… ?

16La géographie influe naturellement sur l’histoire du port de Nantes puis, plus tardivement, sur celui de Saint-Nazaire. Notre recherche est une porte ouverte sur les liens entre protestants qui unissent ou concurrencent les ports français au xixe siècle. Nous les avons furtivement dessinés, avec Le Havre, La Rochelle, et Bordeaux, tant sur le plan économique que familial. Mais qu’en est-il des relations avec les protestants des ports de la Méditerranée et ceux du nord de l’Europe ? Le « protestantisme maritime français », et dans une moindre mesure européen du nord, mériterait de dresser un panorama des ports dans lesquels il interfère, contribuant ainsi à leur prospérité au xixe siècle. Enfin, nous avons pu constater, lors des dépouillements des registres de l’église réformée, une démocratisation des communautés protestantes nantaises et nazairiennes au fil du temps. La bourgeoisie protestante n’est pas majoritaire au sein de sa minorité. Le protestantisme de l’estuaire de la Loire ne se résume pas à la caricature d’une classe sociale opulente et influente. Les convertis, les femmes et les hommes de ce monde discret, souvent plus pieux qu’il n’y paraît, sont eux majoritaires. En définitive, notre recherche n’est qu’une contribution, à l’échelle locale d’un port français dans lequel les protestants ont occupé une place majeure au xixe siècle. Place méconnue des Nantais et oubliée avant tout par les protestants eux-mêmes.

Notes de bas de page

1Braudel F., « Géohistoire : la société, l’espace et le temps », Les ambitions de l’histoire, édition établie sous Alya (de) R. et Braudel P., Paris, Poche, Éditions de Fallois, 1997.

2Pour les protestants du Croisic, nous renvoyons à J.-L. Tulot, op. cit., p. 255, archives municipales du Croisic, série G.G.1.

3Mathé A., « Le port, un seuil pour l’imaginaire : La perception des espaces portuaires », Les Annales de la recherche urbaine, no 55-56, 1992, p. 183-198.

4Etemad B., La Suisse et l’esclavage des noirs, Lausanne, Éditions Antipodes, 2005, 184 p.

5Etemad B., « Investir dans la traite. Les milieux d’affaires suisses et leurs réseaux atlantiques », in Augeron M., Poton D. et Van Ruymbeke B. (dir.), Les huguenots et l’Atlantique…, op. cit., p. 527.

6Le journaliste Thierry Le Gourrierec n’épargne pas Lauriol : « Un des types les mieux réussis de l’arrogante bourgeoisie de 1830, qui a bien pu supplanter la noblesse, mais qui n’a pas réussi à la faire oublier… un vrai de Broglie, républicain en miniature, pour sa morgue du grand seigneur… très à l’aise dans son salon et à la Bourse, où il se sent dans son élément. Un peu gêné dans le monde… de ses électeurs. Quoi que M. Lauriol fasse, il ne réussira jamais à se faire passer pour un démocrate sérieux et convaincu. Il n’en sera tout au plus que la contrefaçon », Le Phare de La Loire en date du 6 février 1870.

7Weber M., L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, Gallimard, 2004, Pocket/Plon, coll. « Agora », 2010, 534 p.

8Debray R., « Notre pays est-il gagné par la culture protestante ? Entretien croisé avec Régis Debray et Olivier Abel », Réforme, no 3721, 21 septembre 2017, p. 5.

9Réault J., op. cit., p. 188.

10Ibid., p. 48.

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