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Chapitre II. Les protestants nantais et l’industrialisation portuaire
p. 49-82
Texte intégral
Thomas I Dobrée : une stratégie maritime internationale et l’adaptation à une nouvelle économie
1La lettre de Thomas I Dobrée qui suit mérite d’être ici retranscrite intégralement :
« À l’Empereur de Chine
L’humble soussigné se prosterne devant toi plein de respect pour ta personne et de vénération pour les innombrables qualités de ton esprit – vaste génie, chêne majestueux ! Permets à un frêle roseau de courber la tête devant toi, en t’exprimant son admiration permets lui de t’offrir l’humble présent qui accompagne cette missive pour t’être offert par un simple négociant. Ta grandeur ne la dédaignera pas puisqu’il lui est offert de bon cœur dans la vue de lui faire plaisir. Ces médailles ont été frappées en France depuis que Louis Dix Huit y a ramené la paix, ce fut la paix qui permit au Fils-de-France de rouvrir le commerce français que trente années de guerre avaient interrompu avec tes États, cette pensée est agréable au soussigné et c’est elle qui le conduit à te faire cette offrande. Il sera heureux d’apprendre que loin d’avoir été rejeté par ta sublime puissance, mais comme qu’au contraire elle a été pour elle comme un parfum de bonne odeur – agréable, extrêmement agréable1. »
2Cette lettre peut prêter à sourire. Elle est pourtant signée de Thomas I Dobrée et témoigne de sa bonne connaissance des rituels exigés de tout étranger souhaitant commercer avec l’empereur de Chine. Ses relations avec les négociants britanniques lui ont appris que cette marque de politesse peu ordinaire pour un Européen conditionnait les éventuelles relations commerciales avec « l’Empire du Milieu ». C’est ainsi que l’ambassadeur d’Angleterre, Lord Macartney, qui avait refusé de se prosterner à neuf reprises comme il est exigé par le protocole devant l’Empereur Jiaqing, ferma, et pour longtemps, nombre de portes chinoises aux négociants de Sa Majesté britannique2.
Les Dobrée : une grande famille protestante nantaise
3La famille Dobrée est l’archétype du protestantisme nantais : armateur, négociant et fortuné. Rappelons que ces protestants originaires de Guernesey ont laissé de nombreuses traces dans le patrimoine de la ville et de la Loire, des forges de Basse-Indre (aujourd’hui ArcelorMittal) jusqu’au remarquable musée Dobrée confié au département et à la cité par l’ultime héritier, Thomas II (1810-1895). Pierre-Frédéric Dobrée s’installe à Nantes en 1775. De souche normande, la famille probablement issue des villages normands d’Aubrais ou d’Obrée, quitte la France avant la révocation de l’édit de Nantes pour Guernesey. Un village porte également le nom d’Obret. Dans les documents officiels conservés à Guernesey, le patronyme s’orthographie de différentes façons : Dauberaye, Daubray, d’Aubraye… C’est sous ce dernier que la tradition veut que Jehan Daubraye se soit exilé à Guernesey à la suite du comte de Montgomery afin de fuir les persécutions catholiques3.
4Pierre-Frédéric est référencé parmi les « protestants des Lumières », ce qui ne l’empêche pas, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, de participer à la traite négrière en s’alliant à Benjamin Trottier. Les activités des Dobrée ont été peu liées à la traite, sans doute en raison des liens commerciaux étroits conservés avec les Britanniques où l’abolitionnisme a plus vite gagné les esprits. Sans compter le caractère aléatoire des gains ; l’expédition calamiteuse du navire La Véronique en 1788 a échaudé Pierre-Frédéric Dobrée. Dès son arrivée à Nantes, il est en lien avec le milieu protestant dont les Pelloutier. Il est hébergé chez Frédéric Meinert, un saxon protestant et travaille chez Jean-Daniel Schweighauser, armateur et banquier bâlois dont il épouse la fille Marie-Rose avec l’aide de Meinert pour constituer la dot. Son autorité et son influence sont telles qu’à sa mort, en 1801, des funérailles officielles sont organisées par la ville de Nantes, avec piquet de gendarmes à cheval et musique militaire pour escorter le défunt jusqu’au carré protestant du cimetière Miséricorde4.
5Pourtant, quelques années plus tôt, la réputation de Pierre-Frédéric Dobrée, est entachée. Une lettre anonyme en date du 5 juillet 1778, envoyée à Benjamin Franklin, dénonce Pierre-Frédéric Dobrée comme espion au service des Anglais. Il est accusé de leur envoyer des informations par le biais de son père, Bailli de Guernesey. On sait désormais que cette lettre fut expédiée par un autre négociant nantais, Jacques-Donatien Leray de Chaumont (1725-1803), aristocrate très investi dans la guerre d’indépendance américaine et compagnon de route de Lafayette. Dobrée tout comme Schweighauser protestèrent contre ces accusations mais il est vrai qu’un certain nombre de navires à destination de l’Amérique du Nord étaient interceptés par des corsaires bien informés et que ces navires appartenaient en partie au père de Pierre-Frédéric Dobrée5. Cette histoire est très révélatrice du poids particulier de la famille Dobrée et de leurs réseaux sur le port de Nantes. Les corsaires de Guernesey sont particulièrement bien informés et redoutés. 96 navires sont interceptés du mois d’août 1778 au mois de mai 17836. Dans les papiers Dobrée, conservés aux archives municipales de Nantes, on note que Pierre-Frédéric Dobrée envoie des petites sommes d’argent via son père à destination de marins français détenus à Guernesey. Pour se dédouaner ?
6C’est tout un trafic à la tête duquel on retrouve Pierre-Frédéric Dobrée : vente d’armes, négoce de vivres et de diverses fournitures manufacturées en échange des produits sous embargo anglais, comme l’indigo. L’Indigo, cette couleur bleu foncée recherchée et nécessaire aux indienneurs nantais7 ! Indigo vendu également aux indienneurs de Londres via… les entrepôts de Guernesey. Visiblement, Pierre-Frédéric Dobrée sait toujours adapter ses activités en vertu des aléas et circonstances. Ces affaires pour le moins opaques faillirent même lui coûter la vie durant la Révolution française. Républicain de la première heure, il n’en est pas moins incriminé à nouveau de collusion avec l’ennemi anglais en 1793 par dénonciation de Charles de La Rogerie, second capitaine d’un corsaire de Cherbourg capturé par un corsaire de Guernesey. La Rogerie l’accuse ni plus ni moins d’informer sa famille et Guernesey des mouvements de navires français. Dobrée échappe à la guillotine une première fois grâce au soutien des représentants de la ville. Mais Carrier le fait à nouveau arrêter en 1794. Et c’est probablement sa nomination dans le même temps comme vice-consul des États-Unis par le Général Washington, sur proposition du consul de Bordeaux qui a contribué à sa libération, qu’il obtient la vie sauve. Mais ce n’est pas fini : il est à nouveau incarcéré en 1796 sous le Directoire, soupçonné de collusion avec Guernesey. Mais libéré pour dénonciation calomnieuse8.
Thomas I Dobrée : une enfance britannique
7Né le 6 avril 1781 à Nantes, Thomas I Dobrée est en fait élevé à Guernesey par ses grands-parents au décès de sa mère, Marie-Rose Schweighauser, le 11 novembre 1781, peu après sa naissance tandis que son père Pierre-Frédéric demeure à Nantes pour ses affaires9. Sa formation est une histoire de famille(s). Il n’a que quatorze ans lorsque son père l’envoie parfaire ses humanités dans la langue de Shakespeare au collège anglican de Blandford-Forum dans le comté du Dorset au sud de l’Angleterre, sous la tutelle du docteur en théologie et clergyman anglican George Chisholm, directeur du collège10. Cet établissement fut créé par le Bishop Wake, lui-même natif de Blandford11. L’école existe toujours. Cette « Endowed School » est devenue « Church of England Boys School » et désormais « Grammar School » à Milldown road.
8Il a été supposé que le choix de Blandford était dû à la proximité du port de Southampton où débarquaient les marins de Guernesey. Ce n’est peut-être pas la vraie raison ; près de quarante-trois miles (soixante-dix kilomètres) séparent les deux villes et d’autres ports comme ceux de Poole et de Weymouth sont bien plus proches. La probable raison de ce choix est la proximité de Nicholas-Pierre Dobrée (1755-1843) oncle de Thomas I et frère de Pierre-Frédéric. Plus connu sous l’acronyme « N.-P Dobrée », il est pasteur de l’Église épiscopalienne (Church of England). Après sa formation, il sert dans le Dorset, à Dorchester non loin de la ville de Blandford-Forum où Thomas I est envoyé. Nicholas est par ailleurs le père de Thomas-Godfrey Dobrée, futur membre influent, aux côtés de son cousin, au consistoire de Nantes avant de s’installer au Havre pour ses affaires. On retrouve aussi le révérend N.-P. Dobrée, le 1er mai 1817, de passage à Guernesey pour la pose de la première pierre de l’église anglicane St-James12.
9Thomas I Dobrée ne cache pas son ennui dans la ville de Blandford où l’enseignement consacré au latin, à la grammaire, l’arithmétique et la danse lui apporte les quelques rudiments nécessaires. Mais sa tante, Véronique Schweighauser, juge l’enseignement de l’école déplorable13. Par conséquent, la famille de Thomas I Dobrée l’envoie en formation à Hambourg chez l’un de ses oncles, Henri Roques, fils d’un pasteur de l’église luthérienne de Celle en Hanovre. Roques est un professionnel du commerce d’indiennes et l’époux de sa tante Véronique Schweighauser. Thomas I apprend la langue allemande et perfectionne ses connaissances en matière de négoce. Il est logé à la campagne, chez un pasteur avant de s’établir à Hanovre chez le père de son oncle14. Menacé par la loi du 18 brumaire 1799 (16 novembre) qui considère tout émigré « coupable de conjuration contre la patrie » et passible de la peine de mort, il obtient un passeport auprès de l’ambassade d’Espagne et rejoint Nantes en 1801 où il retrouve son père, Pierre-Frédéric, qu’il ne connaît que fort peu. Malencontreusement, ce dernier décède subitement cinq mois plus tard, le 13 octobre 1801 à 8 heures du matin au château de la Gaudinière chez son ami Chaurand, lui-même armateur et au centre d’un réseau protestant rochelais au sein duquel les intérêts s’entremêlent15. Installé quai de la Fosse, Thomas I reprend les affaires de son père. Il n’a que vingt ans lorsqu’il prend la société Veuve Schweighauser et Dobrée avec le concours de sa belle-mère, Catherine (née Paschen) puis de son oncle. C’est son mariage, en 1808, avec Frédérique Élisabeth Möller, fille de Joachim Jean Möller négociant et consul du Danemark, qui accélère son parcours : grâce au soutien financier de son beau-père16. Et, surtout, grâce à la dot de 192 520 francs, l’équivalent de 3,1 millions de francs en 1997, soit environ 500 000 euros de son épouse, il fonde sa propre maison d’armement. Thomas I s’affirme alors comme l’un des armateurs et notables incontournables de la ville. Héritier de la maison Montaudouin acquise par son père, quai de la Fosse, et de l’immeuble dominant des Salorges à proximité sur le port, il installe ses bureaux au 1 rue Suffren dans le nouveau quartier bourgeois nantais de la place Graslin où il résidera ensuite.
10À sa mort en 1828, son fils, Thomas II Dobrée prend sa suite mais s’intéresse plus aux humanités qu’au négoce qu’il abandonne rapidement. Il est à l’origine d’une collection d’objets d’art et d’un musée prestigieux. La popularité du patronyme à Nantes est trompeur : les Dobrée se sont bien intégrés à la vie économique mais pas vraiment dans la société nantaise. Par une approche prosopographique, on constate en effet que les mariages restent dans l’entre-soi : Pierre-Frédéric épouse une protestante, Marie-Rose Schweighauser, héritière d’une famille bâloise active à Nantes. Son fils se marie à Frédérique Möller issue d’une famille d’origine norvégienne et protestante de négociants à Nantes. Son petit-fils épouse une irlandaise calviniste, Jane Walsh. À cela il faut rajouter, dans la famille, un cousin et à la fois beau-frère de Thomas I Dobrée (marié à sa sœur aînée, Marie-Rose) Thomas-Godfrey Dobrée, lui aussi négociant. Moins connu, Thomas-Godfrey, fils de N.-P. Dobrée, fait partie des évangéliques du « Réveil », initiateur de plusieurs sociétés évangéliques. Il prendra une part très active dans le monde du négoce au Havre et sera un membre très influent de l’Église réformée évangélique dans cette même ville. Tous sont des membres actifs au sein du consistoire de Nantes après 1802. Enfin, les relations économiques qu’entretient Thomas I Dobrée demeurent principalement tournées vers des négociants de confession protestante. Il est très proche de son ami et principal subrécargue, Jean-Anne Thomas Duboisviolette, catholique, bien que ses parents soient parrain et marraine de Catherine Möller17. La stratégie des opérations commerciales de Thomas I témoigne de son sens inné des affaires et de son positionnement quant aux mutations portuaires de la Loire qu’il appréhende à la fois avec attention bienveillante et prudence. Le portrait de Thomas Dobrée réalisé par Jean-François Sablet en 1807 est le seul connu à ce jour. Il n’a alors que vingt-six ans ; c’est un portrait de notable, celui d’un homme au fort tempérament qui tient à afficher son rang. Il n’est pas encore à la tête de sa société (Société Thomas Dobrée et Cie, 1812) ni responsable à la Chambre de commerce de Nantes (1813) sur laquelle il veillera très attentivement. Il n’est pas encore membre du conseil municipal. Car Thomas I a d’autres projets en tête. Dont un très singulier : celui d’armer un navire à des fins commerciales pour la Chine. On est loin de la stratégie d’arrière-garde des armateurs nantais obnubilés par la reprise éventuelle de la traite et par l’exclusivité commerciale avec les colonies antillaises. Pour cela, Thomas I n’hésite pas à activer des réseaux au plus haut sommet de l’État y compris auprès du Roi Louis XVIII par l’entremise du Duc d’Angoulême.
Thomas I Dobrée ou la vision d’un Nantais en Extrême-Orient
11Les produits chinois ont toujours fasciné les Européens, bien avant Thomas I Dobrée. La route de la soie, les voyages de Marco Polo ont marqué l’imaginaire. Ce trafic d’objets précieux connaît un âge d’or à l’époque moderne quand les routes de navigation permettent de mieux maîtriser ce négoce prestigieux. La fameuse compagnie néerlandaise, Compagnie des Indes Orientales (1602), trouve son origine dans ce commerce. Elle sera l’inspiratrice de la Compagnie des Indes voulue par Colbert en 1664.
12C’est ainsi qu’en octobre 1700, le navire l’Amphitrite accoste sur les quais de Nantes. À son bord, des milliers de pièces en provenance de Chine : objets d’art et d’ornement, soieries, meubles et porcelaines font du port de Nantes une référence française pour le commerce avec la Chine. D’autres vaisseaux déversent sur les quais de la ville des centaines de milliers de plats, couteaux ou bien encore théières18. La mode chinoise retrouve celle des indiennes dans les riches demeures du royaume de France. Mais cela ne représente qu’une faible part du trafic portuaire nantais dominé par la traite et le commerce en droiture avec les Antilles19.
13Et ceci pour deux raisons principales. Il est rapidement interdit d’importer des toiles peintes pour protéger l’industrie textile locale (les indiennes). Par ailleurs, le temps de transport entre la Chine et le port de Nantes est tel que les armateurs préfèrent un commerce plus rapide (une rotation d’une année parfois avec la Chine, pour trois mois avec l’Afrique et les Amériques), plus confortable, moins périlleux avec les Antilles. La traite est certes moins « noble » mais ô combien plus profitable. Ceci explique sans doute le peu d’intérêt des intellectuels nantais pour l’art sinophile contrairement à ceux de Paris.
14Montesquieu à Bordeaux, dont l’épouse Jeanne de Lartigue est protestante, passe rapidement de l’admiration pour la Chine à une contestation active20. Bordeaux a déjà renoué avec le commerce à destination de l’Extrême-Orient. Nantes est à la traîne. Dès 1776, des armateurs protestants bordelais s’engagent vers ces contrées lointaines : Jacques-Alexandre Laffon de Ladebat envoie le navire Le Sartine vers l’Inde et la Chine à l’aide des prêts consentis par des banques suisses ou bien encore Jean-Étienne Balguerie, dit Balguerie Junior qui, à 27 ans, commande le navire L’Hippocampe à destination de Canton21. Son cousin, Pierre Balguerie-Stuttenberg, lui aussi de confession protestante, arme au même moment des navires en direction de la Cochinchine22. Il se passe plus de trente années avant que Nantes ne réagisse. Car c’était sans compter sur la singularité de la nouvelle société fondée par Thomas I Dobrée. Parmi ses associés, on retrouve ses beaux-frères Jean-Henri Möller et Thomas-Godfrey Dobrée membre du consistoire, un cousin Duboisviolette, Trottier (catholique toujours actif dans la traite) et surtout l’influent homme d’affaires d’origine havraise Frédéric de Coninck, lui aussi membre actif du consistoire durant son séjour à Nantes. C’est pourtant un voyage ordinaire qui pousse Thomas I à entreprendre, dans un premier temps, des relations avec l’Inde.
15Un navire, La Licorne, en revient en 1816 avec 150 tonnes de produits divers en consignation pour sa société. Duboisviolette supervise l’opération, constate la faiblesse des comptoirs français en Inde et l’essor commercial de Calcutta. C’est ainsi que Thomas I bâtit une stratégie nouvelle en s’ouvrant vers d’autres horizons commerciaux : la pêche à la baleine, les Indes (Calcutta) la Chine (Canton) et les Philippines (Manille)… Ses origines et sa formation britanniques lui sont sans doute d’une grande utilité pour monter de telles entreprises. Ses relations, sa formation internationale et la maîtrise de plusieurs langues, ce qui n’est pas rare dans le milieu du négoce, orientent incontestablement sa conduite, le poussent à devenir l’un des principaux armateurs de Nantes et un sérieux donneur d’ordre pour les chantiers de construction navale nantaise. Ce qui est peu reconnu alors, c’est l’influence de ses origines britanniques sur ses prises de décisions commerciales et industrielles, comme celles d’organiser le commerce du thé, de tenter un rapprochement avec l’empereur de Chine tel que l’illustre la lettre en introduction de ce chapitre. Et c’est aussi sous influence britannique qu’il se lance dans la pêche à la baleine et qu’il participe à la naissance de l’industrie des forges, à Basse-Indre, plus en aval de la Loire. Sa stratégie maritime mûrement réfléchie s’ouvre vers la révolution industrielle23.
16Les documents conservés de Thomas I Dobrée attestent cette stratégie de diversification de ses activités dans des secteurs modernes à l’époque. Ils éclairent sur ses réseaux d’affaires avec Londres, Bâle, Amsterdam, Francfort, Paris où la vue des affaires était plus large qu’à Nantes24. Et pour développer son négoce, il n’hésite pas non plus à innover dans le domaine maritime.
17C’est un peu grâce à la pêche à la baleine que Thomas I Dobrée va se doter d’un solide armement de navires. Ses relations étroites avec l’Angleterre lui permettent de nouer une relation d’amitié avec la maison Samuel Enderby et Cie, propriétaire d’une dizaine de navires pour la pêche à la baleine. Cette société influence profondément le destin de Thomas I mais aussi celui de l’industrie nantaise et portuaire, dès 1815. Les Britanniques sont alors maîtres de la chasse à la baleine sur l’Atlantique sud, le long des côtes d’Afrique et d’Amérique. Nantes se lance à son tour dans cette activité novatrice. Thomas I arme trois navires à partir de 1817 : un navire acheté d’occasion aux États-Unis d’Amérique à Nantucket, rebaptisé le Nantais, l’Océan II et le Triton fabriqués à Nantes. Il n’agit là qu’en tant qu’agent et commissionnaire au profit de la maison Enderby qui rachète tous les baleiniers. Au regard des résultats, c’est plutôt une bonne affaire : le navire Le Nantais revient de sa campagne au bout de 14 mois, avec le produit de 27 baleines25. Les six campagnes du navire le Triton, durant dix ans, rapportent 66 382 F à la maison Dobrée tandis qu’Enderby touche 97 521 F d’intérêts et 23 630 F de bénéfice26. D’où l’engouement soudain de plusieurs négociants et armateurs nantais coreligionnaires qui arment de nombreux navires pour cette pêche quasi « miraculeuse » : Haëntjens, Pelloutier, Lauriol, Maës et d’autres investisseurs de confession catholique mais en affaire avec Thomas I (Lesvèque, Baudot-Ducarrey, Dufou, Ciret, François, Despécher).
Une innovation : le feutre à doublage des carènes de navires
18La marine anglaise innove : elle remplace peu à peu les énormes câbles de chanvre des ancres de navire par des chaînes de fer et double dans le même temps les carènes de navires en feutre, dès 1815. C’est à cette époque que William Wood, un inventeur Anglais du Middlesex, met au point ce système d’isolation pour les coques de navires. Il découvre qu’un léger feutre de poils ou d’un mélange de poils et de laine, imbibé de goudron, devient parfaitement élastique et résiste à l’action de l’eau. Il fonde alors une fabrique de feuilles de feutre. Le principe consiste à fixer ces feuilles sur les côtés extérieurs et à la cale du vaisseau avec des clous et des planches. Ce feutre protégeait le fond des vaisseaux contre les trous creusés par les vers, particulièrement voraces dans les mers chaudes. Il maintenait l’étanchéité de la coque et allongeait ainsi la durée de vie de la carène. Cette innovation constituait un atout supplémentaire pour Thomas I Dobrée dans ses projets d’expédition vers l’Extrême-Orient. C’est encore par l’intermédiaire de son ami et coreligionnaire Samuel Enderby que Thomas I propose au génial inventeur une association pour créer une fabrique à Nantes. Mais le projet échoue en raison des prétentions exorbitantes de Wood. Cela ne décourage pas Thomas I qui expérimente alors un feutre dont la qualité s’avère supérieure à celle de Wood par l’apport de papier et de résine. Il dépose deux brevets en 1821 et en 1826 ce qui lui vaut une distinction, une médaille nationale et la médaille d’or à l’exposition départementale de 1827. Et c’est bien l’apport à l’industrie nantaise qui est mis en avant27. Le Triton est le premier navire à bénéficier de ce doublage de feutre. Wood tente à son tour d’investir en France. Thomas I n’est pas rancunier mais il a grande mémoire ; il lui fait donc savoir que toute tentative d’implantation en France se soldera par un procès. Ce qui dût porter ses fruits puisque Wood renonça28. La manufacture de Thomas I est implantée rue de Launay, quartier choisi plus tard et développé par l’industriel Voruz, puis à Basse-Indre en 1822. Mais c’est essentiellement grâce aux commandes des arsenaux royaux de Rochefort-sur-Mer et de Toulon que la fabrique fonctionne. Les bénéfices culminent en 1828 à 138 685 francs net pour peu à peu régresser jusqu’en 183629. Le non-renouvellement du contrat par la Marine nationale signe l’arrêt de la manufacture par son fils, Thomas II, qui cesse par là même toute activité commerciale et industrielle pour réinvestir les capitaux dans la rente et les collections d’art comme nous le verrons plus loin.
L’armateur du Fils de France
19De 1818 à 1839, la maison Dobrée est la seule à Nantes qui ait entrepris des opérations commerciales avec la Chine30. Ses projets de renouer avec l’Extrême-Orient sont portés par ses propres navires ou ceux en consignation : ils exportent du vin, de la parfumerie, de la papeterie, des glaces, des lampes… Au retour de Calcutta, les navires rapportent du coton, du salpêtre et surtout beaucoup de thé. Dobrée a pour principal concurrent le bordelais Pierre Balguerie-Stuttenberg qui arme plusieurs navires pour la Cochinchine et bénéficie d’une réduction de moitié des droits de douane31. Balguerie-Stuttenberg a incontestablement une longueur d’avance. Même s’il est également protestant, il ne semble pas nouer de contact avec Thomas I Dobrée, son grand rival de Nantes. Thomas I va alors prendre une mesure radicale : faire construire un trois-mâts de 810 tonneaux capable de rivaliser avec le concurrent bordelais. Dans un premier temps, le navire est appelé La Loire avant d’être baptisé Fils de France en l’honneur du Dauphin, le duc d’Angoulême. Ainsi, Thomas I affirme sa loyauté à l’égard de la monarchie et il ne lésine pas sur les moyens. Avec l’aide de la chambre de commerce de Nantes, Thomas Dobrée s’assure d’un soutien en haut lieu : celui du duc d’Angoulême en personne qui inspecte, à la demande du roi Louis XVIII, les principaux ports de France afin de lui remettre un rapport sur leurs activités32. Le 4 novembre 1817, il baptise à cette occasion Le Fils de France. Lors de la cérémonie d’accueil, la quille est relevée sur son arête et Thomas Dobrée remet au duc un marteau de charpentier en argent pour qu’il enfonce les clous dits « d’escarre ». L’armateur formula par la suite le souhait de faire graver les paroles prononcées par le duc sur une série de douze jetons en ivoire33. Ces manières peuvent elles aussi prêter à sourire. Mais l’enjeu est de taille : ne pas laisser à Bordeaux le monopole de l’innovation commerciale et confirmer le soutien du pouvoir à Nantes devancée politiquement. Bordeaux fut en effet la première ville de France à saluer officiellement le retour des princes de Bourbon, en 1814, à la veille de l’effondrement de l’Empire. Les pasteurs de Bordeaux, malgré quelques réserves, assureront le duc d’Angoulême, présent à la mairie, « de leurs sentiments de respect, de soumission, d’amour et de fidélité envers Louis XVIII34 ».
20Thomas I Dobrée rencontre la duchesse de Berry, en juin 1828, lors de sa visite à Nantes, à l’école du Sanitat. Cette rencontre marqua-t-elle l’esprit de la duchesse ? Celle qui fit beaucoup parler d’elle, à Nantes, quatre ans plus tard, lors de sa tentative de conjuration, offrit à la veuve de Thomas I, Frédérique, une paire de vases de la manufacture royale de Sèvres qu’elle lui destinait35.
21C’est vers l’Inde que Thomas I pensait expédier le trois-mâts flambant neuf. Mais les ordonnances royales du mois d’octobre 1817, incitent très fortement à développer le commerce avec la Chine36. Difficile de refuser quand on a bénéficié de l’adoubement de la famille royale… Le 4 juin 1818, le navire quitte Saint-Nazaire avec, à son bord, des eaux-de-vie, du fer, des cordages et du vin. Près de sept mois plus tard, le 20 décembre, il s’engage dans l’estuaire de Canton jusqu’à l’île de Whampoa. Thomas Dobrée a gagné son pari : le Fils de France est le premier navire français qui renoue avec la Chine après vingt-cinq années de ruptures commerciales. Le 8 juin 1819, le navire est de retour avec un chargement « d’une richesse extraordinaire » selon la Feuille Commerciale et Maritime de Nantes. Il avait quitté la Chine le 27 janvier précédent et fait escale au Cap, à Sainte-Hélène et aux Açores. Cependant, la vente des produits amassés n’est pas aisée. 6 828 sacs de sucre chargés à Manille, 8 148 caisses de thé, de la cannelle, des nankins et des étoffes de soie de Canton. La vente s’écoule jusqu’en 1827. Si le sucre se négocie très rapidement, il n’en fut pas de même pour le thé : les Anglais en avaient importé massivement et le marché européen était saturé. Toutefois le ratio de la vente atteint un solde très significatif de 18,87 %37.
22En activité jusqu’en 1827, le Fils de France effectue six voyages vers Manille et la Chine. À son bord, encore du thé pour les Anglais, du sucre mais aussi du coton chargé à Manille pour le livrer à Canton. Et surtout, des pièces d’art extraordinaires qui vont bouleverser la vie de son fils Thomas II. Tous ces voyages ont été en partie financés par ses relations commerciales avec la Grande-Bretagne : Priaulx et Cie de Guernesey, Innes Beveridge et Cie, Thompson à Londres, Ferguson et Cie à Calcutta. Les voyages de Chine, aux Indes et à Manille de l’armement Dobrée montrent parfaitement bien les liens étroits qui existaient entre Thomas I et le milieu anglais des affaires. Sans les Britanniques, il n’aurait peut-être pas pu financer les expéditions. Et il était aussi impossible d’imaginer un quelconque négoce sans les Anglais qui disposaient de capitaux et d’agents sur toutes les routes de l’Extrême-Orient. Cela ne facilite pas toujours les affaires ; l’exemple du navire l’Indienne, en provenance de Calcutta en 1817, en consignation chez Thomas I, n’était pas francisé et les produits considérés comme étrangers durent supporter des taxes plus élevées. Cela pénalisa la vente des marchandises.
23Cependant, Thomas I Dobrée était loin d’être seul dans sa volonté d’innovation. Juge puis président du tribunal de commerce depuis 1813, il est le représentant de l’assemblée des commerçants, nommé par le préfet, ce qui lui confère une notabilité et une autorité incontournable. Il participe activement aux réflexions et débats sur la relance du commerce portuaire. En 1819, il s’interroge sur l’État actuel des relations commerciales avec les pays de l’étranger ou sur la détermination à prendre sur l’offre de réciprocité faite par l’Angleterre au sujet du commerce entre nos ports et l’Isle de France, ou sur les relations de la France avec ses colonies et vice-versa38. Dans une pétition de 1821, une cinquantaine de négociants soutiennent son programme auprès de la chambre de commerce39. Cette image d’ouverture et de libre-échange ne l’empêchera pas, en 1822, de réclamer une révision du pacte commercial et des mesures protectionnistes pour favoriser le pavillon français ainsi que l’essor des raffineries de sucre. Il envoie une pétition à la Chambre des députés tendant à soumettre très étroitement l’économie des colonies aux intérêts de la métropole. Ce qui ne l’empêche pas non plus de privilégier les liens avec l’Angleterre. Comme le souligne dans sa thèse, Jamal Benjelloun-Zahar, c’est le capital anglais qui permet de monter l’opération Fils de France. Les négociations se déroulent à Londres par l’intermédiaire de Duboisviolette, subrécargue et associé de Thomas I, avec la compagnie Ferguson et Thomson. En créant une « Agency House », les Anglais acceptent de financer les achats du Fils de France à Canton. Cela permet « d’une part de transférer des capitaux en Angleterre et d’autre part, de s’implanter sur le marché français, grâce à la maison Dobrée40 ».
24Curieux retournement de l’histoire de l’estuaire de la Loire ; les Anglais en rêvaient. Contrôler le port de Nantes ! Ce qu’ils n’avaient jamais réussi par la force, ils le firent par le négoce et l’industrie, avec les projets de Thomas I Dobrée et, à quelques encablures de la ville, plus en aval, sur la commune d’Indre. Les Anglais y prennent le pouvoir pour un temps. Dans la métallurgie.
La métallurgie : les protestants aux commandes
25La commune d’Indre se situe à huit kilomètres de Nantes, à cheval sur le lit principal de la Loire en aval. Elle est, avec Nantes, l’une des deux communes implantées sur les deux rives de l’estuaire. C’est là que commence l’industrialisation de la région nantaise, lorsque la métallurgie se développe au xixe siècle sur les rives nord et sud. Dès 1777, une fonderie de canons est créée par des Anglais pour la marine, sur la rive sud, dite d’Indret. Cet établissement qui devient tour à tour manufacture de machines à vapeur pour les bâtiments de la flotte française, arsenal royal ou impérial au gré des régimes, abrite aujourd’hui « Naval Group de Nantes-Indret », (anciennement DCNS-Direction des constructions navales jusqu’en 2017), est toujours rattaché à la délégation générale pour l’Armement et spécialisé dans les systèmes de propulsion nucléaire des sous-marins et bâtiments de surface.
26En face, sur la rive nord, l’usine métallurgique Arcelor-Mittal traite plusieurs centaines de milliers de tonnes d’acier chaque année. Elle a pour origine une usine à laminer le fer fondée en 1821 par des Gallois et Thomas Dobrée I. L’usine dispose de fours à « puddler » pour affiner la fonte et des laminoirs pour produire notamment des feuillards. C’est l’une des premières forges à l’anglaise établies en France sous la Restauration. Associée à Jules Joseph Carnaud, un ferblantier parisien installé à Nantes au milieu du xixe siècle, l’entreprise devient un leader français du fer blanc et de la boîte de conserve. Dans le même temps, Jean-Simon Voruz, né d’une famille suisse de fondeurs installée à Nantes au xviiie siècle, réussit à développer une entreprise industrielle qui fait de Nantes l’un des pôles les plus importants de la métallurgie française dans la deuxième moitié du xixe siècle. De nouveaux marchés s’ouvrent grâce au développement du chemin de fer, à l’arrivée des machines à vapeur et à l’introduction des structures métalliques dans l’architecture. Ils donnent du travail aux fondeurs et Jean-Simon Voruz exploite à merveille cette nouvelle manne. En 1854, il rajoute une fonderie de fer à ses activités et l’installe sur un nouveau site, une des îles de la Loire, formant aujourd’hui l’actuelle Île de Nantes. Un point commun à cette aventure industrielle : tous les protagonistes sont protestants et pour la plupart investis dans l’église réformée. C’est l’histoire d’une saga industrielle qui commence à nouveau le long du fleuve.
Indret
27Le premier établissement d’Indret est créé en 1777 autour des premières machines de 160 chevaux destinées à la fabrication des moteurs à vapeur. Son activité, désormais tournée vers la technologie de la propulsion nucléaire, emploie aujourd’hui plus de 1 800 employés. Ce géant assez méconnu de la métallurgie française a pour fondement un marché passé entre un habile ingénieur fondeur anglais, de confession presbytérienne, William Wilkinson, et la France pour la création d’une fonderie de canons41. Le royaume est en effet en retard face à l’Angleterre d’où l’urgence de créer une nouvelle fonderie et des hauts fourneaux. Par ailleurs, le soutien discret apporté par la France aux Américains lors de la guerre d’indépendance face à la couronne britannique, engendre la création d’un arsenal pour la fonte des canons. La société Schweighauser et Dobrée avait déjà accordé un crédit pour la livraison de 15 000 fusils aux Américains en 1775. Benjamin Franklin, père fondateur des États-Unis, rencontra Pierre-Frédéric Dobrée à Nantes lors de sa venue en France. Ce qui enchanta Pierre-Frédéric car comme il l’écrivit, « Nos affaires, Dieu soit loué, augmentent tous les jours, ainsi que leur solidité. J’ai lieu d’espérer que les profits de celles-ci doubleront ceux de l’année dernière […] J’ai actuellement seize navires sur les bras ». La société de ce dernier avança même 140 000 livres à l’honorable « Committee for the United States ». Elle arma plusieurs navires à destination des Américains « Insurgents42 ». Aussi pouvons-nous nous interroger quant au choix porté sur un Anglais pour armer la flotte française à une époque où Lafayette s’apprête à embarquer pour l’Amérique afin de soutenir les insurgés dans la guerre d’indépendance américaine. On s’interroge aussi sur le choix d’Indret, assez éloigné des côtes maritimes, tant du nord que du sud de la France. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix :
Avant l’engagement de la France, l’appel a été fait à un « habile fondeur anglais avec lequel il a été passé un marché […] Il s’est engagé à former un établissement pour faire couler des canons et des mortiers de seconde fusion, et à procurer à nos ouvriers les connaissances nécessaires pour travailler avec succès d’après ses principes », comme le déclare le ministre de la Marine dans une lettre en date du 10 mars 177743. « Une frégate française, La Pallas, ira, en mai 1778, à quelques semaines de la guerre, chercher en Angleterre les premiers fers qui serviront à la mise en route de la fonderie44 ! » ;
La facilité du transport sur la Loire et l’aménagement des prairies avoisinantes de champs de tirs pour les essais ;
L’isolement du lieu et, par conséquent, la discrétion ;
Surtout, la proximité de carrières d’où était extrait le sable de moulage.
28Il semble que, dans un premier temps, l’approvisionnement se soit effectué en fondant de vieux canons et des fontes françaises au bois provenant du Nivernais et du Périgord. Au démarrage de la fonderie, le rendement est faible et reçoit le soutien financier d’Ignace de Wendel avec lequel Wilkinson crée les hauts-fourneaux du Creusot en 1782 pour desservir Indret en fonte. La Révolution française et le blocus continental sous Napoléon Ier ont pour conséquence le déclin de la fonderie jusque dans les années 1820. Cependant, au même moment, la marine française s’intéresse à la navigation à vapeur mais ne possède ni la technologie ni le savoir-faire pour fabriquer des appareils fiables. Il y a donc intérêt, d’un point de vue économique et stratégique, à posséder une usine qui serait qualifiée aujourd’hui de « R & D », (recherche et développement). C’est ainsi qu’une nouvelle aventure débute sur le site d’Indret avec, à nouveau, à sa tête une forte personnalité de confession protestante : Philippe Gengembre.
Philippe Gengembre 1764-1838
29Cet ingénieur chimiste et mécanicien naît le 22 mars 1764 à Houdain, dans le Pas-de-Calais. Philippe Gengembre fait partie de ces génies « trouve-tout » dans la lignée de l’esprit des Lumières. Il doit ses enseignements, non pas à l’éducation parentale, mais aux soins des plus grands savants parisiens de l’époque qui le prennent littéralement en charge. À treize ans, il est ainsi reçu dans la maison du célèbre et malheureux Antoine Lavoisier, qui lui enseigne la chimie, la culture des mathématiques et la physique45.
30Son parcours est particulièrement brillant : il croise Condorcet avant la Révolution, participe à des expériences à l’École des poudres et salpêtres de l’Arsenal de Paris, sur la composition des gaz, leur identité, puis sur les explosifs. À cet égard, il devient un connaisseur des phénomènes de transmission de chaleur, de combustion, et de l’utilisation de la vapeur comme fluide capable de transmettre l’énergie.
31À la suite de ses travaux sur l’utilisation de la houille et le noir de fumée, il perfectionne la stéréotypie utilisée en imprimerie. En 1789, il « invente » un gaz inflammable, qui porte encore son nom. En faisant bouillir du phosphore dans une solution étendue de potasse, il obtient un gaz qui s’enflamme spontanément à l’air. Il crée le premier éclairage au gaz de Paris. Dans les années 1800, il invente un nouveau balancier, premier système régulier de fabrication des monnaies en France. Ceci lui vaut d’être nommé par Bonaparte, en 1803, inspecteur général des Monnaies46. Comme l’indique Stéphane Girandier, « on peut noter qu’il y a, dans cette création, quelques similitudes avec la fondation en 1777 de la fonderie de canons. Sous l’impulsion du gouvernement, et donc avec les finances de l’État, on fait appel à un spécialiste, un “artiste” comme on disait pour Wilkinson, qui, moyennant un contrat, vient mettre son savoir-faire au service de la marine47 ».
32Dans les milieux des services spéciaux de l’État, Philippe Gengembre n’est pas un inconnu. Il est identifié dans une affaire d’espionnage à l’encontre des Anglais, au profit des Américains, à la fin du xviiie siècle48. Gildas Salaün révèle une histoire très mal connue de cette période. Le gouvernement français avait décidé d’expédier en Amérique des émissaires afin d’y préserver son influence et ses intérêts marchands. Nul ne sait comment il est choisi pour en faire partie, mais il embarque avec son épouse le 16 octobre 1791 au Havre, à bord du navire américain Le Pennsylvania. Il voyage à titre officiel comme négociant, mais en réalité, il est mandaté par le ministre des Relations Extérieures dans le but de tisser un réseau d’informations entre les consulats français établis en Amérique et les contrées américaines et canadiennes, favorables à la France. De 1792 à 1794, il participe même aux fortifications de Saint-Louis dans le Missouri, et exploite des mines de fer près de Charleston en Caroline du Sud. Mais, il semble que Gengembre ait abusé de son mandat officieux en se lançant dans le commerce de vente d’armes notamment avec le Canada encore et largement sous contrôle britannique. Ce qui inquiéta naturellement le gouvernement américain. Il quitte précipitamment le territoire avant d’être arrêté et sans avoir eu le temps d’écouler son stock. Aussi, rapporte-t-il, « je revins des États-Unis avec ma femme et mon fils en bas âge, presque ruiné ». Gengembre espion ? Agent double, en faveur de la France, des États-Unis d’un côté et de l’autre lié aux intérêts britanniques comme fut soupçonné Pierre-Frédéric Dobrée ? Rien ne permet de l’affirmer à ce jour, peut-être un aventurier « touche-à-tout ».
33Revenu en France, Philippe Gengembre entre dans l’administration des Monnaies où il gravit rapidement les échelons, et ceci plus au regard de ses réelles qualités de chimiste et de mécanicien que par son opportunisme et ses relations49. Rapidement remarqué grâce à ses inventions, il fait la connaissance des ingénieurs mécaniciens Jouffroy d’Abbans et de l’Américain Robert Fulton considérés comme les inventeurs opérationnels du bateau à vapeur selon un procédé déjà connu issu des expériences d’un autre protestant, Denis Papin. Gengembre remplit ses cahiers de notes sur la propulsion des navires à vapeur. Bien lui en prend ; la Restauration porte un coup d’arrêt à l’ascension de cet « Ami du Premier consul ». Il est rétrogradé comme simple commissaire du Roi dans l’atelier monétaire de Nantes. Commerçant de bains publics en 1823, il fournit la charpente métallique et le matériel de frappe du nouvel atelier monétaire nantais construit par son fils architecte, Charles Antoine Gengembre, atelier transformé depuis en muséum d’histoire naturelle50.
34Rien ne le prédestinait à créer et à diriger, à côté des forges et de l’arsenal, une manufacture royale de machines à vapeur pour la marine à Indret. La Marine royale, pionnière en la matière, s’est offert son premier navire à vapeur, Le Sphinx, construit à Rochefort-sur-Mer. Un problème cependant : le navire est équipé de chaudières anglaises ; chaudières de l’irréductible ennemi… Tout comme la concurrence avec l’Angleterre est à l’origine de la décision d’un site de construction navale, plus en aval, à Saint-Nazaire, en 1862, c’est l’inexistence de véritables sites français de production de chaudières à propulsion qui va pousser l’État français à créer, sur le site d’Indret, une industrie de machines à vapeur en lieu et place de la fonderie moribonde créée par William Wilkinson. Philippe Gengembre est alors missionné par le Ministère de la Marine en 1827 pour fonder une unité de machines. Il a déjà 64 ans. Ses honoraires sont fixés à 12 000 francs par an51. Il déploie une énergie incomparable pour former le personnel nécessaire au projet. Directeur, il ne rend compte qu’au Ministre. Il s’engage pour superviser la construction de logements destinés au personnel, à proximité de l’usine. Un château surplombant l’usine lui est attribué à titre de logement de fonction. De 1828 à 1838, des appareils de 160 à 220 chevaux sont produits pour équiper des bâtiments à roues à aubes. Les chaudières sont alimentées en eau de rivière ou en eau de mer. L’œuvre de Gengembre est considérable : dans le même temps, il engage la construction sur cale de coques de fer pouvant supporter le poids des machines. En 1836, on dénombre 448 ouvriers pour le chantier naval et 282 pour la manufacture de machines52. Le premier navire expérimental à vapeur français équipé de chaudières conçues par Gengembre et son équipe semble être Le Castor en 1831. Sous la direction de Gengembre, une vingtaine de bateaux sont ainsi construits à Indret, dont certains lancés à Lorient.
35Les activités d’Indret ne passent pas inaperçues aux yeux des décideurs nantais. Peu avant la mort de Philippe Gengembre, le docteur Ange Guépin, édite un opuscule « Voyage de Nantes à Indret ». Ce saint-simonien, franc-maçon, nommé commissaire de la République à Nantes en 1848, est lui-même marié en troisièmes noces avec une protestante53. Il ne tarit pas d’éloge à l’égard du directeur d’Indret et s’intéresse fortement au développement industriel sur la Loire :
« M. Gengembre est un vieillard aux cheveux blancs, qui a conservé malgré ses 73 ans, toute l’activité d’esprit de sa jeunesse. Il aime parler, mais il parle bien : sa conversation est plus instructive que spirituelle, plus intéressante qu’amusante ; elle se ressent des nombreuses études […] entre le laboratoire de Lavoisier où il a été préparateur […] et l’usine dans laquelle se termine une carrière industrielle des plus honorables. M. Gengembre a été lié, et c’était naturel, avec les plus grandes célébrités scientifiques et industrielles de notre époque et de la fin du siècle dernier. […] On aime entendre de sa bouche le récit des entretiens qu’il a eus avec James Watt54. […] Comme constructeur de navire de machines à vapeur, M. Gengembre est encore aujourd’hui l’un des hommes de France les plus experts et les plus capables55. »
36L’ouvrage de Guépin est riche car il dresse un portrait à la fois du personnage Gengembre mais aussi du regard de l’époque porté par un notable progressiste sur le monde ouvrier : « Il serait convenable que l’établissement d’Indret fut occupé par des ouvriers soldats. Cependant, on peut se demander encore s’il ne vaudrait pas mieux que cette usine fût exploitée par une association dont tous les ouvriers seraient membres… ». Et ce n’est pas sans fierté qu’il insiste sur le savoir-faire acquis à face à l’Angleterre : « De cet atelier sont sortis des ouvrages magnifiques, et qui prouvent, d’une manière irrécusable, que nous avons en France des ouvriers aussi habiles que les plus habiles de l’Angleterre56. » Il en profite pour égratigner Thomas I Dobrée en faisant indirectement allusion à ses investissements spéculatifs dans les forges de Basse-Indre, sur la rive nord, en face d’Indret : « J’ai compris depuis que, dans notre société mal organisée, il y a deux sortes d’usines, les unes réellement utiles à l’industrie (Indret NDLR), dans lesquelles on fabrique des produits pour l’avantage de la société et les bailleurs de fond, les autres toutes commerciales […], pieds et poings liés à la merci d’un banquier qui les exploite57. » Cet examen est unique pour l’époque et permet d’analyser la place d’Indret dans le contexte de l’émergence industrielle sur l’estuaire de la Loire.
37L’implication de Philippe Gengembre dans l’histoire de la propulsion maritime française est majeure. C’est ainsi que la loi de finance du 1er janvier 1857 stipule que « tout navire qui ne sera pas pourvu d’une machine à vapeur ne pourra être considéré comme navire de guerre58 ». Les cales d’Indret seront comblées peu à peu au bénéfice de celles de Saint-Nazaire. Il est à noter que les machines de propulsion étaient fabriquées, dès 1849, à destination de navires construits sur d’autres sites. Et c’est encore la raison d’être du site aujourd’hui.
38Une paroisse catholique est créée à Indret en 1843. Quoi de plus naturel dans l’ouest catholique. Mais les personnalités développant le site d’Indret ne cachent pas leur attachement à la religion protestante, sous l’impulsion de William Wilkinson et de Philippe Gengembre. Quelle singulière revanche : c’est à Indret que les malheureux enfants des familles protestantes étaient confiés pour redressement, à un établissement catholique spécialement créé en 1681. On ne sait pas grand-chose des origines protestantes de Philippe Gengembre. Il pratique le culte dans l’usine même, à Indret ou dans les forges de Basse-Indre, aux côtés des Gallois qui ont fondé une « forge à l’anglaise » (c’est-à-dire dotée de fours à puddler) en 1824 avec le soutien de Thomas I Dobrée. Alors qu’en 1819, le maire d’Indre déclarait au préfet que nul protestant ne résidait dans sa commune, un culte protestant est signalé le 14 juin 1825 dans l’enceinte de l’entreprise de John Thomas59. Ce dernier est associé à un autre britannique, Andrew Pope, qui assure lui-même le prêche en anglais60. Fait chevalier de la Légion d’honneur le 10 mai 1835, Philippe Gengembre décède « d’une fluxion de poitrine » le 19 janvier 1838, à l’âge de 74 ans, moins de quatre mois avant l’expiration de son contrat qui arrivait à son terme le 5 mai suivant61. Ses funérailles ont lieu par un froid polaire le 21 janvier 1838. Gildas Salaün indique que « la Loire étant gelée, le convoi, formé de ses collaborateurs et personnels ouvriers, la traverse à pied pour gagner le cimetière des protestants à Nantes62 ». La Loire qui couronna sa carrière, lui rendit un ultime hommage en se figeant pour lui permettre de parcourir son dernier voyage. Sa tombe, rehaussée de son buste en bronze et restauré en 2009, figure toujours dans le carré protestant du cimetière Miséricorde de Nantes. Perpendiculairement au caveau de la famille Dobrée.
Thomas I Dobrée et Basse-Indre
39Les Forges de Basse-Indre créées en 1821 dans la commune d’Indre ont joué un rôle essentiel dans l’industrie métallurgique et sidérurgique française, notamment la raison sociale de J. J. Carnaud et Forges de Basse-Indre, activité essentiellement liée à la ferblanterie et l’industrie de la conserve, pour laquelle Nantes occupe très tôt une position de premier plan. L’activité industrielle porte désormais le nom d’ArcelorMittal. Avec l’arsenal d’Indret, les Forges de Basse-Indre ont longtemps été l’un des composants d’un pôle métallurgique de la banlieue ouest de Nantes, où l’on retrouvait aussi les fonderies et laminoirs de Couëron (1861-1988).
40John Thomas, maître de forges à Pontymister près de Newport, Joseph Davies, négociant à Cardiff, Thomas Hugues, propriétaire à Newport, Andrew Pope et William Brewer rachètent, le 31 octobre 1821, l’ancien chantier naval Crucy63. Ces industriels du Pays de Galles et de confession presbytérienne fondent la société John Thomas, Hugues and Co enregistrée à la Chambre de commerce en mai 1822. Les difficultés commerciales de l’industrie du fer au Pays de Galles, comparées aux perspectives offertes par le marché français, jouaient en faveur d’un investissement en France64. John Thomas est missionné à Nantes comme directeur de l’usine, ce qu’il restera jusqu’à sa mort, en 1829. Il travaille avec un mandataire français, le négociant nantais François Denis Poulet. En 1823, Thomas I, toujours armateur, entre dans le capital à la demande de son ami britannique Enderby et la société devient John Thomas and Co. Il devient le mandataire français à la place de François Poulet. Pas toujours pour le meilleur comme nous le verrons plus tard.
41Le jugement porté par Guépin est sans nuance : « À l’extrémité du bourg de la Basse-Indre se trouvent la forge et le chantier de construction. La forge n’a rien de bien remarquable que sa singulière position : je me suis en effet longtemps demandé sans pouvoir m’en rendre compte pourquoi l’on avait établi une forge dans ce lieu, si loin des mines de fer et des mines de houille65. » Thomas I Dobrée le déplora également. Mais l’idée, au départ, est d’importer de la fonte et du charbon anglais dont le droit d’entrée est faible, dans le but de réaliser de conséquents profits en vendant des fers en deçà du prix anglais. L’idée de recevoir par la mer, puis l’estuaire, du charbon à bon marché pousse Thomas I à investir dans cette industrie prometteuse. L’investissement est basé sur l’idée qu’il est possible pour des Anglais de fabriquer en France des fers affinés à la houille et laminés, afin d’échapper aux droits de douane frappant ces produits à l’importation. Il s’agissait d’une spéculation qui « pourrait être qualifiée de délocalisation, les affaires devenant plus difficiles au Pays de Galles66 ». Mais tout ne se passe pas comme prévu. En premier lieu, les forges du Cher et de la Nièvre via la CGM (Conseil Général des Mines) font pression pour que le gouvernement augmente de 44 % les droits de douane sur les produits anglais. Ainsi le droit d’entrée passe de 2 F de taxe à 8 F par 100 kg. En second lieu, l’installation d’une pompe à feu, machine à vapeur de 65 CV rencontra de sérieuses difficultés. Difficultés administratives, retard du rapport de l’ingénieur en chef des mines peu pressé de donner son aval, refus de la douane de faire entrer une machine à vapeur… si bien que le véritable démarrage des activités de la forge n’eut vraiment lieu qu’en 1824, soit trois ans après la décision de la créer, en 1821.
42En attendant, la manufacture fonctionne à perte et c’est Thomas I Dobrée qui avance 25 000 francs sur consignation de marchandises et grâce à un prêt hypothécaire de 75 000 francs67. En contrepartie, Thomas Dobrée devient l’unique commissionnaire de la compagnie et se voit octroyer une commission de 3,5 % du montant des ventes, une autre de 2 % sur les achats et 6 % pour l’escompte des effets. À partir de là, les relations entre Dobrée et les Gallois se tendent. Dès 1824, Thomas I Dobrée écrit à la société « John Thomas and Co », regrettant que les fonds nécessaires n’aient pas été levés, la compagnie lui étant déjà redevable de 35 000 F, alors mêmes que les factures d’équipements se multiplient. Le mauvais départ de la société pousse Thomas I Dobrée, avec le soutien du banquier Gouïn, à recapitaliser l’entreprise68. Il peut le faire au regard de sa situation financière car de tous les associés, il est le seul à avoir suffisamment de fonds et de crédibilité pour poursuivre l’aventure. Il est alors amené à faire entrer dans le capital ses amis anglais, les Enderby, avec qui il est déjà associé pour la chasse à la baleine. En 1825, la nouvelle société est inscrite à la Chambre au nom de « Compagnie des Forges de Basse-Indre ». Le capital de 500 000 francs est divisé en 20 parts réparties entre les Enderby (11), Thomas Dobrée (3), John Thomas (3) par apport de l’usine et les Pope (3)69. Le siège est désormais basé au domicile de Thomas Dobrée, 1 place Graslin à Nantes. Il fallait donner à cette forge l’image d’une entreprise française afin d’écarter les accusations de concurrence étrangère. Mais les nuages continuent de s’amonceler. La production est faible, pour ne pas dire quasi nulle. Aucune fourniture ne franchit la Loire de la forgerie d’Indret en face sur la rive sud, un comble ! Nous sommes alors en 1826 et, dans le même temps, une forge dite « à l’anglaise » voit le jour à Hennebont dans le Morbihan. Par ailleurs, alors que la forge ne produit presque rien, 150 ouvriers dont un tiers de britanniques y sont salariés. Jacques Fiérain en 1975 et Paul Naegel, plus récemment en 2010, ont étudié dans les détails cette affaire dans laquelle le réseau des coreligionnaires britanniques et de confession réformée a certainement joué un grand rôle à son origine mais dans laquelle on se demande toujours pourquoi Thomas I Dobrée, un homme d’affaires si avisé et talentueux, est allé s’engager jusqu’à épuisement.
43Thomas Dobrée voulait produire 2 500 tonnes de fer par an. Or, en deux ans (1826 et 1827), Basse-Indre n’en avait livré que 2 793 tonnes. À partir de 1828, la production passe de 25 à 15 tonnes par semaine. Il est probable aussi que Thomas Dobrée avait sous-estimé la concurrence des forges françaises. Les approvisionnements qui reposaient sur la proximité maritime et fluviale s’avèrent, tant en fonte qu’en charbon, problématiques. De fait, Dobrée se procurait des fontes, produites au charbon de bois sur l’ensemble du territoire français mais pas par voie maritime. D’où un coût de transport induit non prévu. Pour finir, il lui fallut acheter des houilles en provenance du Nord, du Nivernais et du Massif Central. Les frais de transports pour des quantités modestes pèsent sur la rentabilité du site. Et comme le note Paul Naegel, « ces aléas techniques, dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas été anticipés, s’ajoutèrent aux aléas financiers et expliquent, au moins en première approximation, l’échec initial relatif mais réel de la forge à l’anglaise de Basse-Indre70 ».
44Toutefois, jamais il ne cessa d’envisager de produire ses propres fontes, notamment dans la région, au moyen de gisements de charbons situés près de Nantes, par l’entremise de son beau-frère, Ignace Möller. Ce protestant est le fils de Jean-Joachim Möller négociant norvégien de Hambourg et consul du Danemark à Nantes avant la Révolution. Il réside par la suite en Vendée en son château de Chassenon, racheté en 1807 à la veuve et aux filles Walsh71. À son décès, en 1819, le domaine passe aux mains de son fils Ignace Möller, conseiller général et premier maire de Xanton-Chassenon en 1828, puis d’Ernest Möller, à la mort de son père en 1841.
45Durant la Révolution, la belle-famille de Möller avait accueilli à Hambourg le marquis de Faymoreau. Le château fut racheté plus tard à Marie-Anne Deurbroucq par Joachim Möller. Thomas I Dobrée épouse sa fille, Frédérique, à Nantes en 1809. Son beau-frère Ignace, installé au château de Chassenon, exploite les mines de charbon de Faymoreau dès 1827, avec le concours de Thomas I Dobrée. Ensemble, ils projettent l’installation de trois hauts fourneaux72. La stratégie de Dobrée vise-t-elle l’alimentation en charbon de Basse-Indre ? Très probablement. Une délocalisation des forges fut-elle envisagée vers Faymoreau ? Nul ne le sait mais les relations de plus en plus difficiles avec John Thomas permettent de le penser. Thomas I Dobrée n’en aura pas le temps. Il décède moins d’un an plus tard, en 1828. Les forges de Basse-Indre disposaient pourtant de fontes dans l’arrière-pays nantais, certes au charbon de bois (à Sion-les-Mines, Moisdon-la-Rivière ou encore Riaillé). Des mines de charbon étaient exploitées de longue date dans la même région, comme à Languin (près de Nort-sur-Erdre) et Montrelais (près d’Ancenis), ou encore à Montjean (Maine et Loire), ces deux derniers gisements étant pratiquement en bord de la Loire. Avait-il pour projet d’abandonner Basse-Indre pour s’orienter vers la Vendée afin d’avoir sur place les forges, les hauts-fourneaux et le gisement nécessaire ? Car c’est bien d’épuisement dont Thomas I Dobrée décède. Son ami et autre associé, par ailleurs membre du consistoire, Frédéric de Coninck lui écrit ceci : « Un négociant doit s’arrêter dans la carrière des prospérités et ne pas dépasser les bornes d’une sage ambition aux dépens de sa tranquillité et de sa santé73. » La question qui se pose est de savoir pourquoi Dobrée s’est entêté dans cette aventure ? Sans doute parce qu’il était financièrement tenu par les Enderby. Si les avances de Dobrée atteignent un total de 403 628 francs en 1827, celles d’Enderby sont d’un million de francs dans ses navires baleiniers. Cependant, il n’en sort pas ruiné. Devenu l’unique capitaine à la barre de Basse-Indre, il réussit à encaisser toutes les commissions. Le placement n’était donc pas si mauvais. Mais à quel prix ! Le registre des copies de correspondances écrites en anglais entre Dobrée I et John Thomas, dont une grande partie a été dépouillée par Paul Naegel, montre les tensions naissantes entre ces deux hommes qui fréquentent les mêmes milieux confessionnels et d’affaires74. Deux cultures s’opposent : l’un est un redoutable homme d’affaires, animateur et gestionnaire (manager dirions-nous aujourd’hui) disposant d’un immense réseau de relations tant en France qu’à l’étranger, l’autre semble ne pas être un organisateur et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ne semblait pas maîtriser parfaitement le métier de maître de forge à l’anglaise.
46Ces tensions débutent par des lettres dans lesquelles Dobrée regrette que ni le père de John Thomas, ni les Pope, ni leurs amis aient réussi à capitaliser l’usine ou bien encore Dobrée s’étonne de devoir faire des avances d’argent pour garantir des paiements aux fournisseurs. Il reproche régulièrement à John Thomas des retards dans le règlement de factures. Malgré les tensions, John Thomas obtient la seule médaille d’or à l’exposition des produits industriels à Nantes en 182575. Dobrée, même s’il n’est pas cité, n’est probablement pas très loin de son obtention car les résultats médiocres n’empêchent pas à l’évidence la récompense, le jury vantant même « le nombre considérable de tonneaux de navigation » dû à la production. L’armateur Dobrée est l’homme fort de la Chambre de commerce. Son réseau d’affaires et d’influence pèse dans les milieux décisionnaires en faveur de sa propre communication. Il jouit d’un immense prestige.
47Cependant, les nombreux dysfonctionnements, les réelles insuffisances de John Thomas dans la bonne marche de l’usine entraînent à terme la fermeture de la première forge. Les disparitions successives de Thomas Dobrée en 1828 (sa veuve prend temporairement la direction) et de John Thomas en 1829 signent, en 1831, l’arrêt de l’activité ce qui conduit les Enderby à racheter les parts Dobrée et à revendre l’usine au jeune banquier Adolphe Lebaudy, qui s’allie aux banquiers nantais Jules et Édouard Gouïn76. À nouveau, Thomas I Dobrée avait fait preuve d’audace alors que le milieu négociant nantais rêvait encore de la reprise de la traite. Cet infatigable incubateur n’a pas eu le temps de faire de Basse-Indre le site exemplaire métallurgique et sidérurgique idéalement situé sur l’estuaire de la Loire. Et ceci, malgré ses réseaux importants dont les principaux sont protestants. Néanmoins, l’usine de Basse-Indre du xxie siècle trouve la source de son développement dans le génie et les investissements d’avenir de Thomas I Dobrée.
Jean-Simon Voruz l’industriel nantais
48Lorsqu’on procède à la levée du corps de Jean-Simon Voruz, décédé en son château de Briord sur la commune de Port Saint-Père, à 25 km de Nantes, ce 27 octobre 1896, cela fait 66 ans déjà que Pierre-Samuel, son frère aîné a été tué, à l’âge de 24 ans, durant les journées de juillet 1830 que nous évoquerons plus loin, place Louis XVI à Nantes. Son autre sœur Julienne est morte il y a 10 ans. La presse rapporte le parcours du convoi jusqu’au domicile nantais du défunt au 2 rue Linné où il sera durant trois jours visité par ses nombreux amis et officiels. Convoi conduit par un détachement du 65e régiment d’infanterie de ligne basé à Nantes77. Il faut remonter aux funérailles de Pierre-Frédéric Dobrée, en 1801, pour qu’une escorte militaire accompagne la dépouille d’un notable de confession réformée. Le 30 octobre, après les funérailles au temple, Jean-Simon Voruz est inhumé dans le caveau familial au cimetière Miséricorde à quelques pas des carrés juif et protestant. Sur le registre, le pasteur Jean Dartigue-Peyron n’oublie pas de souligner « ancien membre du conseil presbytéral78 ».
49En cette fin de siècle, une grande figure protestante de la métallurgie nantaise et française rejoint sa dernière demeure. Fin de l’histoire d’un patriarche né d’une famille d’entrepreneurs suisses de confession protestante qui débute à Nantes fort modestement ses activités peu avant la Révolution française, et qui finit sous les ors de notable à la veille du xxe siècle. Au commencement, Pierre Siméon Voruz, artisan fondeur suisse de Moudon dans le canton de Vaud, arrive à Nantes en 1780 pour créer une entreprise de fonderie. Les châteaux et magnifiques immeubles de cette fin du xviiie siècle construits sur la prospérité de la traite négrière attirent Pierre-Siméon bientôt rejoint par son frère Jean-Samuel en 179079. Le futur oncle et le futur père de Jean-Simon sont des ouvriers fondeurs très qualifiés qui ont effectué leur apprentissage dans différentes fabriques françaises. Spécialistes du cuivre, du plomb et de l’étain permettant d’obtenir le bronze ou le laiton, ils trouvent rapidement leur place parmi les forgerons, charpentiers et constructeurs de navires qui fourmillent sur les quais du port ou à même la grève à marée basse80.
50On ne peut pas concevoir l’épopée Voruz sans l’amarrer à la Loire. Tour à tour, nous la retrouvons à son embouchure sur la rive sud à Paimbœuf alors avant-port de Nantes, puis dans différents quartiers de la cité des ducs de Bretagne mais toujours en lien avec le fleuve et l’industrie. L’apogée de l’entreprise Voruz est celle du fils, de Jean-Simon (1810-1896). Trop jeune pour avoir connu et travaillé avec Gengembre et Dobrée, trop âgé pour connaître les mutations industrielles de la fin du xixe siècle, Jean-Simon est, néanmoins dans la moitié du xixe siècle, l’un des acteurs principaux de la mutation du port de commerce nantais en port industriel, jusque-là dominé et géré majoritairement par les armateurs et négociants.
Déjà et encore la Loire
51Son père, Pierre-Siméon, investit d’abord en aval du fleuve, à Paimbœuf, parce que les navires lourdement chargés connaissent des difficultés à descendre et à remonter le fleuve jusqu’à Nantes. Il fonde alors une entreprise de commissionnaires en chargement de bois et de grains et en profite pour créer une manufacture de clous de doublage en cuivre et de canons dits de « bouches à feu » pour la marine. Il fabrique de l’outillage pour les chantiers navals. Plusieurs familles protestantes sont alors recensées sur Paimbœuf et les alentours. Certaines sont suisses, originaires du pays des Grisons. Ont-elles été employées dans l’entreprise Voruz ?
52Lorsque les navires étrangers n’accostent plus sur les quais désertés de Paimbœuf, les frères Voruz transfèrent rapidement leurs affaires à Nantes. Ils fabriquent alors également des moulins à sucre et divers objets pour les plantations des îles, alors florissantes. Bien intégrés dans la petite communauté protestante de Nantes, acquise aux idées nouvelles et aux vertus du progrès, Pierre Siméon et Jean Samuel Voruz se marient bientôt avec des jeunes filles catholiques de la région. L’une est issue de la famille Cossé, investie dans la fonderie nantaise et les raffineries, avec Pierre Siméon le 25 juin 1786. Jean-Samuel épouse, quant à lui, le 11 mars 1805, une fille Collet de Rezé, elle-même fille de bateliers. Ils sont les parents de Jean-Simon. Pierre Siméon Voruz a-t-il falsifié son acte de baptême afin de le faire passer pour catholique ? Probablement. Les mariages mixtes sont interdits en France de 1680 à 1790 et en tant que protestant il ne pouvait épouser une catholique sans se soumettre à l’abjuration dont il ne voulait pas. Le pasteur Barré avait-il trouvé la parade ? Celle de prendre un bateau, sortir des eaux territoriales et célébrer le mariage en pleine mer81.
53Les deux frères s’installent dans la vieille ville à proximité de la cathédrale et dans des prieurés de congrégations religieuses tels que le cloître des Cordeliers et le cloître Notre-Dame vendus en biens nationaux durant la Révolution. Toutes ces fonderies se réduisent à des fourneaux de dimensions modestes mais qui leur permettent toutefois de produire des éléments métalliques pour les navires nantais. Les Voruz auraient ainsi fourni le cuivre et les canons du baleinier Le Nantais de Thomas I Dobrée82. Mais le besoin de regrouper les différents lieux de fonderie se fait de plus en plus pressant ; les déplacements constants entre les forges nuisent à l’essor de leur entreprise. Les deux frères se spécialisent alors dans la fabrication des cloches. À partir de la Restauration, ils livrent la plupart des églises catholiques du département. Ainsi, quelques églises nantaises et des environs sonnent encore des carillons et bourdons produite par la famille Voruz : Sainte-Croix, Saint-Jacques, Saint-Félix, Saint-Martin de Chantenay, et d’autres encore…
54À la mort de Pierre-Siméon, en 1819, et de Jean-Samuel en 1827, les deux fils de ce dernier transfèrent l’activité dans un quartier plus proche du port, à Launay83. En 1829, Jean-Simon et Pierre Samuel sont propriétaires d’un important atelier de 4 000 m² comptant douze fourneaux. Les jeunes héritiers sont aguerris aux techniques de fonderie et du dessin industriel. Initié à la lecture, l’écriture et aux mathématiques, Jean-Simon travaille dès l’âge de 15 ans ; « le matin à la fonderie et l’après-midi, un maître particulier vient lui donner des leçons […] et apprendre à tenir un livre de compte ». « Il faut savoir tenir des comptes et une correspondance car, sans cela, on ne fait rien, on ne peut être que manœuvre », écrit son oncle Louis, en 1823, comme pour l’encourager84.
55Après la mort tragique de Pierre-Samuel en 1830 durant les journées révolutionnaires, Jean-Simon se retrouve à la tête d’une entreprise prospère. Il adopte la formule industrielle dite « à l’anglaise », soit un cycle de fabrication dans le même espace industriel. Jean-Simon connaît parfaitement les techniques britanniques initiées par Wilkinson et reprises plus tard par Gengembre. En 1836, Jean-Simon demande à son maire et coreligionnaire Ferdinand Favre l’autorisation d’installer deux fourneaux « à la Wilkinson » et un four à coke85. Son mariage avec Eudoxie Thibaud, catholique, fille d’un poêlier nantais, le 23 décembre 1833, renforce sa position sur le marché nantais. Tous deux contractent un lourd crédit d’1 million de francs auprès de la banque Perier frères en hypothéquant tous leurs biens. C’est un tournant. Jean-Simon Voruz réussit à développer une entreprise industrielle qui contribue à faire de Nantes l’un des pôles les plus importants de la métallurgie française dans la deuxième moitié du xixe siècle, aux côtés d’autres industriels comme Lotz ou bien encore Dubigeon pour la construction navale et d’un autre protestant, ingénieur mécanicien, Vincent Gâche.
56Ce dernier épouse, en 1831, Rose Favre fille de Pierre David Favre consul de la Confédération suisse et de Françoise Gorgerat dont le témoin de mariage n’est autre que Ferdinand Favre futur maire et cousin éloigné, tous issus du milieu suisse des indiennes. Son entreprise compte jusqu’à 500 ouvriers en 1860. En 1848, Gâche acquiert un grand terrain au bord de Loire sur la Prairie-au-Duc pour y installer une usine moderne, à l’emplacement d’une fabrique d’indiennes disparue. Son établissement comprend quatre activités principales : ajustage, montage, forge et chaudronnerie. Il est l’inventeur de bateaux à vapeur « inexplosibles » (la machine à basse pression remplace la chaudière à haute pression). C’est pourquoi un important boulevard de l’île de Nantes porte son nom. Mais croulant sous les dettes, la société entre dans le patrimoine de Voruz son principal créancier86. Quand l’entreprise se transforme en « Usines J. Voruz aîné », l’économie portuaire nantaise est sur le déclin, toujours tournée vers des activités traditionnelles issues du système colonial et de la traite des noirs. Lorsque le plus jeune frère Voruz, Henry Léon (1812-1901), cède ses parts, Jean-Simon comprend qu’un monde nouveau s’ouvre à lui. Il lui suffit d’ouvrir les yeux et de constater que la révolution industrielle française est en marche. Les innovations techniques se multiplient, portant vers le succès des hommes du peuple qui, par leur génie et travail, savent se hisser au premier plan. Jean-Simon Voruz en fait partie.
L’homme de fer et de bronze
57Jean-Simon est un précurseur qui croit en la science et au progrès. En 1845, il décroche la première commande d’une machine à vapeur pour l’arsenal d’Indret. Dès 1850, il dépose des brevets d’invention tant dans les techniques de fonte, des alliages, de l’amélioration des manœuvres des machines que dans le domaine de l’art. Il dépose ainsi les brevets des lanternes de ville tout comme celui d’une grue roulante sur les quais afin de répondre aux besoins des ports modernes. Il a déjà le sens du mobilier urbain : allier le fonctionnel à l’élégance. C’est le temps où il investit dans d’importants ateliers sur la Prairie-au-Duc, vaste îlot de l’archipel de la Loire à Nantes, situé aujourd’hui à la pointe nord-ouest de l’Île de Nantes87. Avant les comblements du xixe siècle, elle est séparée des îles de Grande Biesse et de Petite Biesse par la « boire de Toussaint », bras de Loire comblé correspondant à l’actuel boulevard portant le nom d’un autre protestant, Gustave-Roch. Ces îles étaient les fiefs des indienneurs protestants qui y faisaient sécher les toiles de la traite. Jusqu’à la fin des années 1920, l’île de la Prairie-au-Duc est également traversée par des canaux qui sont progressivement comblés, et qui facilitent alors le transport par voie d’eau des marchandises de Voruz, matériaux nécessaires à la fonderie depuis ou vers les usines environnantes. La question du transport est en effet une constante source de réflexion : c’est pourquoi Voruz tente d’obtenir que le terminus de la ligne de chemin de fer soit à la Prairie-au-Duc mais sans succès bien qu’à partir de 1887, neuf ans avant sa mort, une ligne de fret desservira ce secteur. L’eau de la Loire alimente les machines à vapeur. Les espaces des prairies permettent de créer des hangars et des bureaux sur plusieurs hectares et l’entreprise compte très vite 1 600 ouvriers. Les débuts sont toutefois difficiles et Voruz se trouve dans l’incapacité de répondre aux commandes des Fonderies Impériales (sous les deux Empires) d’Indret. Quelques défauts techniques de fourneaux, les grèves des ajusteurs expliquent ces déconvenues. Il faut tout le poids et l’intervention en haut lieu du sénateur-maire Ferdinand Favre pour éviter la poursuite en justice88.
58Le développement du chemin de fer, les machines à vapeur, l’introduction des structures métalliques dans les constructions, créent des emplois. Voruz couvre toute la gamme de la fonderie : plaques d’égouts dont certaines subsistent encore aujourd’hui, machines, rivets et croisements brevetés pour les rails de chemins de fer, mais aussi matériel agricole, clous, pièces de marine… et construction de matériels militaires. Il équipe même en armement le Portugal, le Pérou, le Danemark, la Grèce et le Japon. Mais il est aussi fortement suspecté d’avoir fourni des canons et projectiles aux sudistes pendant la guerre de Sécession (1861-1865). Or, ces ventes d’armes n’ont pu s’effectuer sans l’aval des services de renseignement et des autorisations au plus haut niveau de l’État. Le Sud est reconnu comme État belligérant, ce qui leur donne, comme aux Nordistes, le droit d’acheter des armes ou de contracter des emprunts et d’avoir une marine de guerre reconnue. On considère que cette guerre permet de contenir la montée en puissance et l’expansionnisme des États-Unis. L’intérêt politique se double d’intérêts commerciaux : le Sud est libre-échangiste, au contraire du Nord qui applique des taxes très protectionnistes, et la France se voit déjà vendre aux États confédérés du vin français, mais également des produits industriels et de l’armement89. Cependant, son principal donneur d’ordre est français par l’intermédiaire de l’arsenal d’Indret. En 1870, les ateliers de la Prairie-au-Duc produisent 158 canons et mitrailleuses90. Les premières mitrailleuses françaises sont fabriquées par Voruz. Jean-Simon explore tous les domaines du progrès technologique : dans ses ateliers du quartier de Launay (aujourd’hui quartier Mellinet) ou à la Prairie-au-Duc sont produits des prototypes de locomotives. C’est le temps où Jean-Simon fait ses premières armes politiques et devient l’adjoint du maire de Nantes Évariste Colombel, lui aussi de confession réformée, et reçoit les médailles de la ville de Nantes, le diplôme d’honneur de l’exposition universelle de Paris en 1867, puis la Légion d’Honneur91. Il reçoit d’autres décorations : Chevalier de l’Ordre de Dannebrog par le Roi du Danemark et Chevalier de l’Ordre du Christ par le Roi du Portugal en 1868.
59Dès 1847, il est membre du consistoire de l’église réformée de Nantes et sollicite sa naturalisation française. Voruz est alors l’industriel incontournable de Nantes : il entre à la chambre de commerce en 1845 et en devient le président en 1864. Il siège au conseil d’administration du Comptoir national d’escompte de Nantes et à celui de la société d’assurance La Bretagne. De 1841 à 1849, il est élu premier président du tribunal des Prud’hommes. Nommé juge consulaire au tribunal de commerce aux côtés de Ferdinand Favre, maire et président dudit tribunal, en 1863. C’est l’époque où les protestants représentent entre 20 et 33 % des membres du Tribunal de commerce selon les années pour une population réformée nantaise qui ne dépasse pas 1 %. Il est reçu dans la prestigieuse Société Académique de Nantes. L’ouvrier est désormais notable et poursuit une carrière politique locale de maire et de député avant d’être nommé consul de la Confédération helvétique en 1876.
60À l’image de Philippe Gengembre, Voruz est un « touche à tout ». Il collabore avec des artistes : des œuvres monumentales sortent de ses ateliers. La plus célèbre, et encore visible, est le Rhinocéros réalisée pour l’exposition universelle de 1878. De l’artiste Jaquemart, cette œuvre est destinée à agrémenter la cascade du palais du Trocadéro. Œuvre grandiose de 5 tonnes de bronze, elle trône désormais sur l’actuelle esplanade du Musée d’Orsay, à Paris, aux côtés d’une statue allégorique de l’Europe de Schœnewerk également née des ateliers Voruz. Dès 1840, Voruz développe la fonderie d’art ; de nombreuses statues ornent des places et rues de villes de France ; la ville du xixe siècle ajoute au bois et à la pierre le fer92. Nantes compte encore quelques-unes de ses plus belles œuvres urbaines : la statue de Sainte-Anne qui domine les escaliers de la butte du même nom, les bronzes de la fontaine de la place royale, les escaliers du mythique passage Pommeraye (création de l’architecte et protestant Hippolyte Durand-Gasselin), les candélabres du pont de la Motte Rouge et des jardins publics, les arches métalliques du même pont. Il semble que rien n’échappe au notable Voruz93.
L’homme social
61Jean-Simon est un contemporain des premiers saint-simoniens dont Ange Guépin fait partie ainsi que le médecin sympathisant protestant Eugène-Charles Bonamy. En 1835, ce dernier écrit à propos du monde ouvrier : « Vivre, pour lui, c’est ne pas mourir. Au-delà du morceau de pain qui doit nourrir lui et sa famille, au-delà de la bouteille de vin qui doit lui ôter un instant la conscience de ses douleurs, il ne prétend à rien, il n’espère rien94. » Voruz prend-il conscience de la misère engendrée par le système industriel naissant ? Il devient membre fondateur de la Société industrielle de Nantes et se fixe pour objectifs de former et instruire les ouvriers, de les faire accéder aux soins et leur permettre d’épargner. Ainsi naissent une première école des apprentis et une caisse de secours mutuel. Son rôle est important notamment dans l’école où le dessin technique, la grammaire, l’arithmétique sont dispensés deux heures par jour, avant de débuter la journée de travail. « Se souvient-il de ses moments d’études, de l’importance que son père accordait déjà au dessin ?95. » Le diplôme de fin d’études d’apprentissage est loin d’être une formalité : après la sortie de l’école, il faut justifier de trois années probatoires comportant des certificats de travail et de bonne conduite, d’un livret de caisse d’épargne avec au moins 30 F d’économie pour obtenir le précieux brevet. On comprend mieux pourquoi et comment Voruz, patron teinté de paternalisme, a fidélisé ses employés au sein de l’entreprise. Il ne devient pas le premier président du conseil de prud’hommes par hasard.
62On le retrouve aussi dans un domaine où nul ne l’attend : l’agriculture. Une partie de sa fortune est en effet investie dans des terres agricoles à Montbert, propriété de son épouse, et sur 10 hectares au-dessus de la Maine à Aigrefeuille-sur-Maine, dans un parc à l’anglaise dotée d’un chalet en bois acheté lors de l’exposition universelle de 1868. Ce chalet fait fonction de maison d’agrément, où il est possible d’y héberger les invités. Pour Jean-Simon, cet investissement est avant tout expérimental : il s’agit de regrouper les bâtiments agricoles dans le but de simplifier l’exploitation. On initie même quelques procédés industriels : des rails disposés au milieu d’un passage central permettent à un wagonnet d’alimenter les bêtes en foin et d’évacuer le fumier. Jean-Simon est-il alors inspiré par son coreligionnaire Charles Chrétien Haëntjens (1791-1836) ? S’intéressant à la recherche agronomique, ce dernier est l’un des premiers et plus actifs promoteurs de l’agriculture rationnelle en Bretagne. Fils d’armateur protestant installé à Nantes, rien ne le destinait à quitter les rives de la Loire pour acquérir la propriété de la famille Möller, un domaine 500 hectares dit de « Grand-Jouan », en 1822. Associé à l’Alsacien Jules Rieffel, ils font de Grand-Jouan un complexe agro-industriel expérimental de référence, une ferme-école dont la modernité a révolutionné les exploitations agricoles de l’ouest de la France96. À « La Haute-Rivière », sur la commune d’Aigrefeuille-sur-Maine, les métairies sont exploitées de façon plus traditionnelles.
63Jean-Simon n’est alors plus élu au conseil municipal de Nantes. Il devient maire d’Aigrefeuille-sur-Maine en 1878. Curieux retour de l’histoire ; la spécificité protestante de cette commune ancrée sur une terre de tradition catholique ne saute pas aux yeux. Et pourtant, des représentants (dénommés alors « anciens ») protestants de la commune sont déjà signalés au synode provincial de La Roche-Bernard en 1563, en pleine guerre civile aux côtés des représentants de Vieillevigne et de Piriac97. L’ébauche d’une église à Aigrefeuille fut alors vite abandonnée dans ces temps troublés, au profit de l’église de Vieillevigne située à quelques kilomètres. C’est, dans cette même commune que naît Gustave Roch (1844-1923), une figure protestante qui effectuera une carrière politique tant à la mairie de Nantes qu’à l’Assemblée Nationale.
Fin d’un siècle et fin d’un cycle
64Sans les alliances matrimoniales et le soutien financier familial suisse, Jean-Simon aurait-il connu un tel parcours ? Il s’appuie sur les compétences familiales : un cousin, Louis Voruz, arrive en 1859 de Suisse avec ses fils Raoul ainsi qu’Anthony Voruz né en 1838, ingénieur civil. Fernand Voruz né en 1846, conducteur de travaux de machines reprend l’entreprise en 1893 suivi de Paul Voruz, fils de Fernand, qui vivra les derniers moments des entreprises à leur nom. Mais son génie d’investisseur et de créateur, de planificateur (on dirait aujourd’hui « manager »), sa prise de risques constante et une certaine « veine » ont soutenu son parcours. Et l’on se marie au sein du même milieu nantais. Sa fille Emma épouse Gustave Étienne héritier de la société de raffinage associée aux Say dont il détient la moitié des parts de l’entreprise, de propriétés immobilières et d’un compte courant de 1,6 millions de francs98. Jean-Simon vit bourgeoisement. Son hôtel particulier donnant rue Chevert et rue Linné est longtemps sa résidence principale. Puis il fait l’acquisition de nombreuses propriétés. Tout d’abord, une résidence balnéaire de standing, les « Roches Grises » à la Bernerie-en-Retz, entourée d’un parc de plusieurs hectares, avant d’acquérir les fermes citées plus haut.
65La mort saisit sa fille Emma et son gendre Gustave Étienne en 1871 et 187399. Jean-Simon devient alors tuteur de son petit-fils Jean-Baptiste Étienne. L’adversité le saisit à nouveau avec le décès de son fils Antonin Arthur Voruz, ingénieur civil, à l’âge de 43 ans, le 31 octobre 1882100. L’industriel vieillissant s’est alors éloigné de la ville, mais pas trop de la Loire, pour s’installer à Port-Saint-Père. Il acquiert pour le compte de son petit-fils le château de Briord. Jean-Anne-Thomas Duboisviolette, négociant et ami, associé à Thomas I Dobrée en fut avant lui le propriétaire avant de faire faillite et de se défaire en 1833 du château au profit du Comte Pantin de La Guère, vieille famille féodale des confins du département101. Le personnage, extravagant et endetté, est contraint de vendre son domaine, largement hypothéqué, en 1885, au profit de Jean-Simon Voruz. C’est à nouveau le monde du négoce protestant et de l’industrie qui prend possession du vieux domaine, autrefois propriété des huguenots Pierre de L’Espinay et d’Éléonore du Perreau qui abjurèrent à la Révocation102. Voruz améliore le château en le dotant de l’eau courante, du chauffage central et, surtout, en intervenant sur le bâti : c’est à lui que l’on doit la surélévation de la tour postérieure, avec sa toiture en dôme surmontée d’un lanternon ainsi que le balcon de fer qui surplombe la douve. Ce type de bâtiment est l’une des nombreuses « folies » de la région nantaise. Elles expriment la réussite sociale et la richesse des familles négociantes et industrielles. Lorsque Jean-Simon Voruz décède au château le 27 octobre 1896, il laisse à son petit-fils la gestion de son entreprise de fonderie et une fortune considérable. Jean-Baptiste Étienne, que l’on surnomme familièrement « le petit Étienne » ou encore « le petit Étienne Voruz », laisse à Briord un souvenir fort et pour le moins insolite. Ce passionné de chasse à courre vivra de ses rentes dans le château et privilégiera bien plus les messes de Saint-Hubert et les agapes conviviales que les cultes réformés de son grand-père. Jean-Baptiste Étienne, décède le 22 octobre 1949 sans descendance. Les funérailles sont catholiques à Port-Saint-Père.
66Ce château a longtemps été la propriété de la famille Say. Jean-Baptiste Étienne, « l’héritier », va se défaire de l’entreprise Voruz qui commence à montrer des signes de faiblesse face à une concurrence exacerbée. Elle est, dans un premier temps rachetée par deux ingénieurs de l’usine, puis cédée en 1909 aux ACB, Ateliers et Chantiers de Bretagne103. En ce début du xxe siècle, s’ouvre une nouvelle ère : celle des banquiers et des sociétés anonymes. Les entreprises familiales et individuelles vont peu à peu disparaître. Le processus qui a amené de modestes artisans à posséder des usines modernes est totalement lié à celui de la ville qui se transforme, et la localisation même des usines, quartier Launay, puis sur les îles de la Loire, a suivi104. Voruz est l’un des acteurs majeurs de cette transformation nantaise à la fois urbaine et sociétale. Sur le plan économique, social mais aussi politique. Il est assez exemplaire de la mutation des élites urbaines à Nantes : les industriels supplantent les armateurs et les négociants. Autre caractéristique : ce protestant convaincu mais peu disert sur sa foi selon les archives, ne refuse pas de se rapprocher des catholiques. Par opportunisme ? Ce n’est pas un cas unique au sein de la bourgeoisie protestante nantaise de l’époque. La foule immense, présente à ses obsèques, enterre un homme qui marque l’histoire industrielle, portuaire et urbaine de Nantes, mais aussi une époque bientôt révolue à la veille d’un nouveau siècle. Moins d’un an auparavant, une autre figure du protestantisme disparaît : Thomas II Dobrée, inhumé le 7 octobre 1895 au cimetière Miséricorde également, dans le carré et caveau familial protestant. C’est le temps où les noms des grandes familles protestantes nantaises de négociants ou d’armateurs se font de plus en plus rares dans les registres de l’église réformée. Des noms nouveaux attestent d’une « démocratisation » du milieu protestant nantais : les professions notifiées d’ajusteurs, de cuisinières, de menuisiers, d’employés de chemin de fer sont très nettement majoritaires sur ces registres de la seconde partie du xixe siècle. Bien que le port de Nantes connaisse un rebond significatif à la fin du xixe siècle, grâce à l’ouverture du canal de La Martinière, Nantes est bien devenue une ville ouvrière tournée vers la métallurgie plus que vers l’activité de son port au profit de Saint-Nazaire, ville portuaire de production.
Notes de bas de page
1AMN, Fonds Dobrée, 2 A 127. Projet de lettre de Thomas Dobrée à l’Empereur de Chine (datée vers 1818).
2Richard M., « Thomas Dobrée et le Fils-de-France », Voyage à la Chine 1817-1827, Nantes, coll. « Thomas Dobrée », 1988, p. 25.
3Collectif, Thomas Dobrée, un homme, un musée, op. cit., p. 18-19.
4Ibid., p. 46 et p. 54. Les quatre coins d’un riche cercueil étaient tenus par les consuls de Prusse, d’Espagne et de Suisse ainsi que par Chaillou un adjoint au maire.
5Schaeper T., France and America in the Revolutionary Era : the Life of Jacques-Donatien Leray De Chaumont 1725-1803, 1995, Oxford, New York, Berghahn Books, p. 142-145. Rouzeau L., « Aperçus du rôle de Nantes dans la guerre d’indépendance d’Amérique (1775-1783) », Rennes, Annales de Bretagne, t. 74, no 2, 1967, p. 217-278.
6Perhirin M., L’armement nantais de 1749 à 1783, DES, Rennes, Faculté des Lettres, dactyl., 1965.
7Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 35.
8Ibid., p. 45.
9Ibid., p. 39. Elle fut inhumée nuitamment le lendemain, à onze heures du soir, au cimetière protestant du Marchix (approximativement à l’angle de l’actuelle rue Mercœur et de la place Bretagne). Beaucoup de protestants sont présents dont Bourcart et Meinert.
10AMN, papiers Dobrée, 2 A 11 et Chalopin M., L’enseignement mutuel en Bretagne de 1815 à 1850, Rennes, université Rennes 2, 2008.
11Cottret B., Ces reines qui ont fait l’Angleterre, de Boadicée à Elizabeth II, Texto, Paris, Éditions Tallandier, 2016, p. 295. En 1718, William Wake 1657-1737 négocie avec les principaux ecclésiastiques français un projet d’union des églises gallicane et anglaise pour résister aux revendications de Rome.
12Anonyme, Dédicace des églises et du Château Cornet de l’île de Guernesey, Guernesey, Imprimerie de Dumaresq et Mauger, 1823, p. 41. Par ailleurs Le révérend Dobrée a servi comme aumônier de l’armée britannique et décède en 1843. Avis de décès dans, « The Church of England magazine, vol. XIX. January to June 1843 », Londres, p. 26.
13AMN, papiers Dobrée 2 A 46. Lettre de Véronique Schweighauser à Pierre Frédéric Dobrée, son beau-frère.
14Collectif, Thomas Dobrée, un homme, un musée, op. cit., p. 51-52.
15Pineau-Defois L., « Grands négociants nantais en denrées d’exportation (fin xviiie siècle) », Société française d’histoire urbaine, 2011/1, no 30, p. 87-107. Giroire H., Pierre-Frédéric Dobrée (1757-1801), La Vie d’un négociant nantais au xviiie siècle, mémoire de maîtrise, université de Nantes, 1973, p. 254-255.
16Ce serait à Hambourg, lors d’un déplacement d’affaires, que Thomas I épouse Frédérique Möller. AMN, GG 508, acte de mariage de Thomas I enregistré à Nantes le 27 septembre 1809.
17AMN, série GG 507.
18Braud M., « Nantes et la Chine au dix-huitième siècle », in Santrot J. et Richard M. (dir.), Voyage à la Chine, 1817-1827, Nantes, Musées départementaux de Loire-Atlantique, coll. « Thomas Dobrée » 1988, p. 7.
19Meyer J., L’armement nantais dans la seconde moitié du xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1969.
20Janvier M.-H., Montesquieu et la Chine : un scepticisme marqué, 1721-1748, Maîtrise en Histoire, Laval, Québec, 2010.
21Pacteau de Luze S., op. cit, p. 105.
22Marnot B., Les grands ports de commerce français, op. cit., p. 329.
23BMN, Fond Dobrée, op. cit., Dobrée Thomas, Coup d’œil rapide sur la position et les besoins actuels du commerce en France, soumis aux réflexions de MM. Les membres des deux chambres, Nantes, 1820.
24Fiérain J., « Thomas Dobrée, Négociant-Armateur », Voyage à la Chine, op. cit., p. 12.
25Guépin A., Essais historiques sur les progrès de la ville de Nantes, 1832, Nantes, p. 306.
26Lucas P., Les trois premières campagnes du baleinier le Triton (1822-1828), Nantes, 1974. AMN, Papiers Dobrée, op. cit., 0017, Comptes généraux. Fiérain J., op. cit., p. 12.
27Collectif, Thomas Dobrée, un homme, un musée, op. cit., p. 64.
28Fiérain J., op. cit., p. 13.
29« Armateurs d’art, les Dobrée », Liens d’archives, journal d’information des archives départementales, Nantes, septembre 2011, p. 14.
30Benjelloun-Zahar J., La maison Dobrée et l’Asie, thèse d’Histoire, université de Nantes, 1994, p. 350.
31De Joinville P., L’armateur Balguerie-Stuttenberg et son œuvre, Paris, Honoré Champion, 1914, 354 p.
32Louis-Antoine, duc d’Angoulême (1775-1844) est le fils de Charles X. À l’abdication de son père, le 2 août 1830, il est pendant vingt minutes éphémère roi de France sous le nom de Louis XIX avant de partir en exil, Cartron M., Louis XIX celui qui fut roi 20 minutes – Mémoires de Louis-Antoine d´Artois, duc d´Angoulême, Versailles, éditions Via Romana, 2010, 434 p.
33Sur le jeton 1, « Vous avez le premier donné l’exemple de la pêche à la baleine dans la mer Pacifique, c’est très bien. Tout ce qui tend à la prospérité de la France plaît à sa majesté ». Jeton 5, « Je vous autorise à porter mon chiffre dans votre pavillon. Ou bien encore, le jeton 6, le nom de Fils de France que vous lui donnez m’est agréable ». BMN, 2 A 127.
34Pacteau de Luze S., op. cit., p. 134. « Lynch, un maire d’origine irlandaise », dans Histoire des maires de Bordeaux, Les Dossiers d’Aquitaine, 2008, p. 281-286.
35Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 66-67 et p. 305.
36Santrot J. et Richard M. (dir.), Voyage à la Chine, op. cit., p. 24.
37Fiérain J., op. cit., p. 16.
38Collectif, Thomas Dobrée…, p. 64.
39Marnot B., Les grands ports de commerce français, op. cit., p. 330.
40Benjelloun-Zahar J., op. cit., p. 341.
41Girandier S., « L’établissement d’Indret des origines à 1917 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 100, no 3, 1993, p. 357-378. Son père, Isaac Wilkinson, est l’inventeur du procédé de préparation du coke en vue de la fonte au coke.
42AMN, papiers Dobrée, 2 A 3.
43ADLA, Marine 132, Lettre datée de Versailles, 10 mars 1777 et Cottret B., La révolution américaine, Paris, Perrin, 2003, p. 220-224 (coll. « Tempus », 2004).
44Ibid., et Marine 133. Pour la citation, Rouzeau L., « Aperçus du rôle de Nantes dans la guerre d’indépendance d’Amérique (1775-1783) », Annales de Bretagne, t. 74, no 2, 1967, p. 242.
45Salaün G., Philippe Gengembre, Inspecteur Général des Monnaies sous l’Empire, Directeur de la Manufacture Royale des Machines de la Marine d’Indret, Indret, Pôle historique d’Indret, Dossier Spécial, 2011, 26 p.
46Archives de la Monnaie de Paris, Fonds privé Gengembre : Série S.2-1, 4. Et surtout Darnis J.-M., Catalogue des fonds d’archives de la monnaie de Paris (1429-1996), Paris, Monnaie de Paris, t. I, 1996, 330 p.
47Girandier S., op. cit., p. 366.
48Salaün S., « Philippe Gengembre (1764-1838), du mécanicien des Monnaies, au Directeur de la Manufacture Royale de Machines à Vapeur d’Indret », Nantes, Neptuna, no 305, octobre 2009.
49Bien qu’il soit soupçonné de s’approprier les travaux de ses confrères, comme ceux de Jean-Pierre Droz. Salaün G., « Philippe Gengembre (1764-1838) », du mécanicien des Monnaies… op. cit., p. 4.
50Charles Gengembre fait baptiser ses enfants Colomb, Philippe et Sophie (décédée à l’âge de 8 mois) au temple de Nantes, ADLA, 124 J 12. Colomb, architecte et fouriériste, immigre aux États-Unis, Desmars B., « Gengembre (ou Gingembre), Charles Antoine Colomb », Paris, Les Cahiers Charles Fourier, octobre 2013.
51Soit environ, 30 000 euros d’aujourd’hui. Le salaire journalier est de 2 francs en moyenne dans l’industrie (30 centimes d’euros en 2017).
52Girandier S., op. cit., p. 370.
53ADLA, 124 J 33, Victor Guépin, son fils né de la première union, épouse également une protestante, Élodie Mercat qui décède le 2 février 1881.
54James Watt 1736-1819, naît à Greenock en Écosse tout comme John Scott, fondateur des chantiers navals de Saint-Nazaire. Cet ingénieur écossais apporta des améliorations décisives à la machine à vapeur. Elles furent une des étapes clé de la révolution industrielle.
55Guépin A., Voyage de Nantes à Indret, réédition du texte de 1836. Présentation par Le Pichon P. et Huron L., Nantes, Coédition e+pi/Siloë, 1999, p. 56-57.
56Ibid., p. 62.
57Ibid., p. 54. Ange Guépin égratignera aussi Thomas I Dobrée au sujet du mémoire qu’il avait adressé à l’Assemblée Nationale en 1820 afin d’obtenir que la consommation du sucre en France ne soit que d’origine coloniale, et que le trafic du sucre ne soit effectué que par des navires de pavillon français en provenance des mêmes colonies. « Toutes ces mesures extrêmement avantageuses pour les armateurs et commissionnaires pouvant se traduire ainsi : Imposer à la mère-patrie une charge annuelle de 10 millions de Francs », sous-entendu au bénéfice de professionnels comme Thomas Dobrée. Guépin A., Essais historiques sur les progrès de la ville de Nantes, 1832, Nantes, p. 302.
58Girandier S., op. cit., p. 371.
59ADLA, V1-84, police des Cultes.
60Par ailleurs, John Thomas décède le 16 juillet 1829 et ses obsèques sont célébrées par le pasteur Jean Wilson, ADLA, 124 J 31.
61Berrier-Fontaine M., « L’île d’Indret et l’établissement de la Marine Nationale », La Ville de Nantes et la Loire-Inférieure, Nantes, Imprimerie Émile Grimaud et fils, 1898, t. II, p. 211.
62Salaün G., op. cit., p. 7.
63Nous renvoyons les lignes qui suivent vers les travaux de Naegel P., « Basse-Indre : les débuts difficiles de la forge à l’anglaise de Basse-Indre (1824-1825) », HAL, archives ouvertes, [en ligne], 2010.
64Fiérain J., « Thomas Dobrée, négociant armateur », in Jacques S. et Marie R. (dir.), Voyage à la Chine, op. cit., p. 13.
65Guépin A., op. cit., p. 53.
66Naegel P., op. cit., p. 5.
67Fiérain J., « Thomas Dobrée, négociant armateur », op. cit., p. 14.
68Famille juive convertie au protestantisme et dont les enfants sont baptisés au temple de Nantes.
69ADLA, 1 M 1423.
70Naegel P., op. cit., p. 15.
71Cette famille n’a aucun lien avec Jane Walsh, épouse de Thomas II Dobrée. Quant à la famille Walsh de Vendée, d’origine irlandaise catholique jacobite, elle fait partie des négriers notoires qui possédaient des plantations à Saint-Domingue.
72Vatinel D., Dictionnaire des familles protestantes du Poitou, « Möller, famille de Vendée, chantier no 0207 », Monsireigne, Musée régional de la France protestante au Château du Bois-Tiffrais.
73Cité dans Fiérain J., op. cit., p. 14.
74AMN, 8 Z Registre 222 : copies de lettres envoyées par Thomas Dobrée à divers correspondants en anglais et en français par ordre chronologique.
75Naegel P., op. cit., p. 29.
76À l’origine de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Monnier V., Jacques Laffitte, Roi des banquiers et banquier des rois, Bruxelles, Éd. Peter Lang, p. 268. Par le jeu des alliances matrimoniales les Lebaudy sont aussi liés aux Schneider du Creusot.
77« Après les prières et l’allocution à la maison de la rue Linné et au temple protestant où officiait M. le pasteur Dartigue, l’inhumation a été faite au cimetière de la Miséricorde », Brionne, « Deuil », Gil Blas, dimanche 1er novembre 1896, no 6194, p. 2.
78ADLA, 124 J 34. Nom aussi orthographié « Peyrou ». Nous aurons l’occasion de reparler de ce pasteur né à Bellocq (Basses-Pyrénées) le 1er mars 1849, nommé à Nantes de 1885 à 1909, aumônier du lycée Clemenceau de 1893 à 1909.
79Fiérain J., « Croissance et mutation de l’économie (1802-1914) », in Bois P. (dir.), Histoire de Nantes, Toulouse, Privat, 1977, p. 319-362.
80Le Marec Y., L’industriel et la Cité, Voruz fondeur nantais, Nantes, Éditions MeMo E+pi, 2006, p. 10. Cet ouvrage remarquable est le fruit du travail d’un groupe de recherche regroupé au sein de l’association « Entreprises et patrimoine industriel » sous la direction de Yannick Le Marec.
81Ce fut le cas pour l’indienneur suisse Pierre Roulet, originaire de Valengin demeurant à Nantes depuis 1777 (et mort à Nantes rue de Petite Biesse à l’âge de 63 ans le 8 juin 1812). Il se marie avec Thérèse Gilet à bord du bateau La Marie Elisabeth (capitaine Michael Steckling) en présence du consul du Roi de Prusse Jean Ulrich Pelloutier le 9 février 1789, Vatinel D., Voruz famille de Nantes, chantier no 02736, Monsireigne, Dictionnaire des familles protestantes du Poitou.
82Le Marec Y., op. cit., p. 12.
83Baptisés au temple par le pasteur Pierre Dejoux (parfois orthographié De Joux dans différents ouvrages). Pierre Samuel le 27 septembre 1806 et Jean-Simon le 7 juin 1810. ADLA, 124 J 11.
84Le Marec Y., op. cit., p. 17.
85Cook dans le texte. ADLA, 1 M 1491, lettre du 10 mars 1836 citée dans Le Marec Y., op. cit., p. 21.
86Rochcongar Y., Capitaines d’industrie à Nantes au xixe siècle, Nantes, Éditions MeMo E+pi, 2003, p. 191.
87Les sables et prairies des îles sur la Loire étaient propriétés du Duc de Bretagne, d’où l’origine du nom.
88AMN, F37/20, Lettre de Ferdinand Favre, 16 décembre 1854 et Le Marec Y., op. cit., p. 61. Cette grève toucha l’ensemble de la métallurgie nantaise afin de réclamer la réduction de la journée de travail à 10 heures. En vain.
89La France est officiellement neutre. Néanmoins, Napoléon III juge ce conflit profitable à la France : « Si le Nord est victorieux, j’en serai heureux, mais si c’est le Sud qui l’emporte, j’en serai enchanté ». Ameur F., Les Français dans la guerre de Sécession, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2016, 364 p.
90Le Marec Y., op. cit., p. 71.
91Ibid., p. 45.
92Dont beaucoup ont disparu sous l’occupation pour les besoins de la machine de guerre allemande.
93Les statues sont réalisées par Jean-Baptiste de Bay. Son fils, également sculpteur et de confession protestante décède à Nantes à l’âge de 34 ans. ADLA, 124 J 31, le pasteur Vaurigaud indique : « Corps placé dans le caveau de la famille Dobrée avant d’être déplacé à Paris dans le caveau familial ».
94Guépin A. et Bonamy E., Nantes au xixe siècle, Nantes, Prosper Sebire Libraire-Éditeur, 1836. Lyon, Phénix Éditions, 2000, p. 159.
95Le Marec Y., op. cit., p. 36.
96Charles Chrétien Haëntjens est le fils de Mathias Haëntjens (1756-1836) qui, né à Cologne, s’installe à Nantes comme armateur. Mathias est aussi le père d’Henri Haëntjens (1786-1847), négociant et armateur à Nantes, raffineur de sucre, qui fonde la maison d’armement « Haëntjens Frères ». Mathias est aussi le beau-père de Joseph Guillet de La Brosse et de Pierre-Joseph Maës.
97Joxe R., Les protestants du comté de Nantes, op. cit., p. 109.
98Un franc de 1860 équivaut environ à 4 € en 2021 : soit plus de 8 millions d’euros…
99Sa fille, à l’instar de sa mère est catholique. Alors que ses fils sont baptisés au temple.
100ADLA, 124 J 34.
101Caraës J.-F., « Connu sous le nom de Duboisviolette… », Nantes, Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, t. 116, 1979-1980, p. 103-124.
102Caraës J.-F., C’était la clé de tout le Pays de Retz. Regards historiques sur Port-Saint-Père, Maulévrier, Hérault-Éditions, 2001, p. 143-164.
103L’ingénieur Rousseau de La Brosse et Henri Edmond Fouché (marié avec une fille Haëntjens) sont d’origine protestante. Fiérain J., « Continuités familiales et ruptures dans la construction navale nantaise », Enquêtes et Documents, Nantes, 1990, p. 143-163.
104Maginot A., « Jean-Simon Voruz », Nouvel Ouest, no 132, novembre 2006.

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Les protestants et Nantes
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