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Les cahiers de doléances

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Philippe Grateau

Première partie. Cahiers de doléances et cultures politiques

Chapitre I. Cahiers de doléances et opinion publique

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviiie siècle, Paris, Seuil, 1992, 317 p. ; (...)
  • 2 Keith Baker, « Politique et opinion publique sous l’Ancien Régime », AESC, janvier-février 1987, p (...)

1Les recherches récentes1 ont montré comment le concept d’opinion publique s’est affirmé dans la seconde moitié du xviiie siècle. Même si le concept de public reste une entité abstraite, mal définie et sans fondements sociologiques clairs, la pression de l’opinion publique est devenue telle qu’un véritable « transfert de l’autorité suprême, de la personne publique du monarque à la personne souveraine du public s’est opéré »2. Ainsi le gouvernement renonce au secret et cherche au contraire, par brochures et pamphlets interposés, à canaliser et convaincre l’opinion. Le mot peuple connaît par là même un glissement sémantique décisif : péjoratif et synonyme de populace sous la Régence, il se charge, à la fin du siècle, d’une connotation positive porteuse de sagesse.

  • 3 Keith Baker, art. cit., p. 44.
  • 4 Christian Jouhaud, Mazarinades : La Fronde des mots, Paris, Aubier, 1987, 287 p.

2La convocation des Etats généraux constituerait l’aboutissement de cette évolution séculaire puisque d’une part, le roi se résout à recourir « au tribunal public, [cet] ultime cour d’appel »3. D’autre part, il trace dès janvier 1789 les frontières sociales du public : désormais, ce dernier comprend tous les Français âgés de vingt cinq ans et couchés sur les rôles d’imposition. Les élites modifient donc bel et bien leur vision des gens de peu. Durant la Fronde4, l’opinion n’était qu’une force d’appoint, un levier d’action aussi bien pour ceux qui tenaient le pouvoir que pour ceux qui luttaient contre lui. Au printemps 1789, les masses font une irruption légale dans la vie politique : alors que dans le passé le vouloir politique des humbles ne se manifestait que par une transgression – violente ou non – de l’ordre, il peut désormais, en toute impunité, se véhiculer par la parole.

  • 5 L’expression est extraite de la lettre de convocation du 24 janvier 1789.
  • 6 Le mot est celui du roi dans la lettre de convocation du 24 janvier 1789.

3Néanmoins, si le roi prend acte des évolutions en cours, il reste encore, à bien des égards, conforme aux traditions les plus affirmées. Le roi reste fidèle à une certaine vision de la société. Le souverain désire avant tout rassembler l’ensemble des corps constitués : son plus cher désir n’est donc pas de connaître les vœux du plus humble de ses sujets mais ceux « des habitations les moins connues de son royaume »5. La communauté reste la cellule de base de cet univers politique où l’individu, comme entité autonome, n’existe pas encore. Le but de cette convocation, que l’on ne sait pas encore ultime, est de forger une unanimité. L’idée de division, de majorité, de minorité fait horreur parce qu’elle nuit à la « tranquillité »6 à laquelle tous les Français – y compris le roi – aspirent. Cette réunion n’est, par ailleurs, que consultative : à aucun moment l’idée d’un transfert de souveraineté n’effleure Louis XVI. Conformément à la mission qui lui a été conférée lors de son sacre, il œuvre à faire le bonheur de ses sujets. La recherche du consentement des gouvernés ne remet pas en cause la solidité des liens unissant le couple traditionnel roi/sujets. Enfin « l’audace démocratique » de cette ultime convocation des Etats ne doit pas faire oublier qu’elle n’est qu’un recours de la dernière chance, après que toutes les autres solutions – sans aucun doute considérées comme les plus raisonnables par les hommes de pouvoir – ont été essayées.

4La convocation des États généraux tient par conséquent autant de la tradition que de la nouveauté. L’institution est ancienne, elle remonte à 1302 et s’est réunie sept fois au xive siècle et dix fois entre le xve et le début xviie siècle. Les derniers remontent à 1614, ils avaient alors rassemblé 135 membres du clergé, 138 nobles et 187 représentants du tiers état. Chaque ordre venu avec ses cahiers de doléances avait alors délibéré et voté séparément.

5Même si, en 1789, le roi légalise le tribunal de l’opinion publique qui n’avait jusque-là qu’une existence de fait, il n’a pas su ou voulu choisir entre tradition et nouveauté. D’où les ambiguïtés du règlement du mois de janvier qui allie à la fois le principe de l’élection et la règle de l’unanimité. Dans un cas comme dans l’autre, la campagne électorale prend un relief particulièrement vigoureux. Partisans et adversaires de la monarchie absolue, élites éclairées et élites conservatrices ont vite compris l’impérieuse nécessité de convaincre. Considérée comme levier d’action ou comme incarnation de la volonté nationale, l’opinion publique est désormais légitime. Qu’ils soient d’audacieux réformateurs ou de farouches partisans du roi, d’ambitieux arrivistes ou des gardiens de l’ordre, les « leaders d’opinion » animent une véritable campagne électorale où l’on s’affronte à coups de journaux, de brochures ou de pamphlets.

  • 7 Ce sont, notamment, les mots de l’historienne américaine Béatrice Hyslop dans son Répertoire criti (...)
  • 8 Gilbert Shapiro, John Markoff, Bulletin d’histoire de la Révolution Française, Années 19901991, Pa (...)

6Le déroulement de cette campagne, les circonstances de rédaction des cahiers de doléances amènent les historiens désireux d’exploiter de tels documents à se poser trois problèmes critiques classiques : l’influence des modèles, le rôle des notables, le décalage entre la réalité et la description. Nous ne voudrions pas, dans cette partie, revenir sur ces questions que les historiens de la première moitié du xxe siècle regroupaient derrière les termes de « sincérité » ou « d’authenticité »7. Gilbert Shapiro8 a définitivement levé ce doute légitime : les théories d’un Hippolyte Taine ou de son lointain descendant Pierre Gaxotte, si prompt, dans le contexte que l’on sait, à dénoncer la main diabolique des loges maçonniques, ne sont aujourd’hui plus admises. Les cahiers de doléances, tous les historiens s’accordent à le dire, constituent un bon témoignage de l’état de l’opinion à la fin de l’Ancien Régime. Nous ne reviendrons pas sur ces acquis, nous nous interrogerons plutôt sur la manière dont se forge l’opinion. C’est en déplaçant ainsi les projecteurs que nous voudrions aborder ces questions de participation, de modèles et de meneurs.

La participation électorale : comparants et comparution

  • 9 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », The french Revolution and the (...)
  • 10 Ran Halévi, « La monarchie et les élections : position des problèmes. », ibid., p. 387401.
  • 11 Ran Halévi, ibid., p. 388.
  • 12 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », ibid., p. 375. La thèse de Se (...)

7Tout historien de la Révolution se prend à rêver de dresser une carte de la participation électorale qui dessinerait la géographie d’un civisme avant la lettre. Or, en dépit des suggestions fortes de François Furet9, des incitations de Ran Halévi10 et de la masse documentaire disponible, nous ne possédons pas de « travaux d’ensemble sur la participation électorale de 1789 »11. Les élections sont demeurées « les parents pauvres de l’historiographie de la Révolution française »12. Faut-il imputer cette carence à l’indifférence des historiens ou aux lacunes documentaires ? Là encore il convient de faire preuve de prudence en revenant aux textes et au contexte. Œuvre collective, le cahier est le fruit d’une unité électorale qui n’est ni le sujet, ni le feu, mais la communauté, qu’elle soit de métier ou de paroisse. Plus que la participation des Français conçus comme une somme d’individualités, c’est la « participation collective », celle des plus petites unités électorales, qui a une réelle signification dans le contexte politique et culturel de l’époque.

Une forte participation des collectivités

La comparution des paroisses

  • 13 Ces précieuses informations sont tirées du volumineux ouvrage d’Armand Brette, Recueil de document (...)

8Le 9 mars 1789, l’église Saint-André, à Châteauroux (Indre), accueille les 320 députés représentant les 141 villes et paroisses du bailliage. Seules 13 communautés manquent à l’appel : 6 comparaissent à Montmorillon (Vienne), 2 à Guéret (Creuse) et 2 à Issoudun (Indre) tandis que les 3 dernières n’apparaissent nulle part13. Ces informations sont connues et répertoriées pour 157 des 462 (34 %) circonscriptions électorales. Nous disposons donc là d'un échantillon représentatif qui nous permet d'examiner le comportement de quelques 18 987 villes et paroisses de France face à la convocation des États généraux de 1789.

  • 14 Ibid.

Tableau 1 : La comparution des paroisses aux assemblées bailliagères 14 (157 bailliages étudiés)

Tableau 1 : La comparution des paroisses aux assemblées bailliagères 14 (157 bailliages étudiés)

9Le tableau n° 1 montre que les vœux du roi ont été exaucés. Les paroisses manquantes sont très minoritaires (2,7 %). Elles sont presque aussi nombreuses à faire le déplacement dans deux chefs lieux. Boutigny (aujourd’hui Boutigny sur Essonne, Essonne) et Dominois (Somme) poussent la conscience encore plus loin : la première délègue des députés aux bailliages d’Étampes (Essonne), de Melun (Seine et Marne) et de Nemours (Seine et Marne), la seconde se fait représenter à Amiens (Somme),

10Abbeville (Somme) et Montreuil (Pas de Calais). Cette quasi-unanimité est d’autant plus remarquable que de nombreuses contraintes administratives, économiques et culturelles ont pesé sur la convocation.

  • 15 Ran Halévi donne quelques exemples dans « La monarchie et les élections : position des problèmes.  (...)

11L’inexpérience politique des paysans et l’improvisation liée aux incohérences du règlement expliquent déjà bien des défaillances constatées. Les paroisses de confins reçoivent souvent plusieurs convocations : les frontières administratives sont, il est vrai, mal connues. De plus, la concurrence entre députés des villes et députés des champs et la proportionnalité de la représentation conduisent à une véritable « chasse aux paroisses » : des bailliages s’arrachent des paroisses mi-parties ou convoquent des fermes isolées voire des enclaves sans habitants. Cette véritable « fièvre électorale […] aboutit souvent à une majoration extrême, toute artificielle, du nombre de défauts »15.

  • 16 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

12Le coût des déplacements et la perte de temps sont dissuasifs pour les paroisses les plus pauvres ou les plus éloignées du chef lieu de bailliage. Avant d’élire ses députés la communauté de La Bosse (Ille et Vilaine) en Bretagne précise que : « bien entendu, ils (les députés) seront remboursés des frais qu'ils pourront être obligés de faire »16. Les habitants de Trégenestre (commune de Meslin, Côtes d'Armor) préfèrent déléguer leurs pouvoirs :

  • 17 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

« les délibérants […] ont déclaré que, sans facultés, pouvant à peine se procurer le nécessaire, il leur est impossible de faire le voyage de Rennes, qu’ils prient Messieurs les députés de la ville de Moncontour (Côtes d'Armor) de présenter leurs doléances »17.

13À Bréal sous Vitré (Ille et Vilaine), Pierre Levrot et Joseph Croissant, désignés députés par l'assemblée de paroisse réunie le 29 mars, déclinent l’honneur qui leur est fait :

  • 18 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

« ils ont représenté au général que, par cette délibération, il les avait chargés de sa députation pour se trouver à l'hôtel de ville de Vitré (Ille et Vilaine) le premier jour de ce mois, que c'était par erreur et malentendu, puisque ce devait être à Rennes le sept, que leur peu de fortune, leurs embarras de campagne et leur peu de connaissances les mettant hors d'état de remplir leur commission, ils s'en désistaient et priaient le général d'en nommer deux autres à leur place et avec les mêmes pouvoirs. Sur quoi ayant délibéré et n'ayant trouvé parmi eux ni dans la paroisse aucun autre plus en état, il a prié les personnes de messieurs Laurent François Marie Chaillou de Kernedern, avocat au parlement, habitant depuis plusieurs années au château des Bretonnières proche de ce bourg quoiqu'en paroisse d'Erbrée (Ille et Vilaine), qui a parfaitement connaissance de la situation de cette pauvre paroisse et monsieur Bellier de la Fernière, aussi avocat demeurant à Rennes, rue aux Foulons, l'un des propriétaires de ladite paroisse auxquels ils donnent par la présente tous généraux et spéciaux pouvoirs »18.

  • 19 Le cahier d’Herbigny est publié in Blossier A., Cahiers de doléances du bailliage de Honfleur, Caen (...)

14Les deux élus montrent bien l'embarras des ruraux qui se heurtent à une double barrière sociale et culturelle. Ils ont « peu de fortune », ils sont occupés « à leurs embarras de campagne » et ne disposent que « de peu de connaissances ». A cela, il faudrait ajouter tous les aléas du quotidien : maladie des représentants élus, chemins en mauvais état ou mal dégagés en cette fin d’hiver. Pourtant, en dépit de la surestimation des chiffres, de la pauvreté et du complexe d’infériorité des paysans, peu de paroisses se dérobent devant leur nouveau devoir électoral. Même la plus petite des communautés du royaume, celle d’Herbigny (Calvados), composée d’un seul feu, accomplit son devoir19. L’opinion publique, déjà sûre de ses droits, prend conscience de son poids et entend bien en user.

15Les procès verbaux consultés par Armand Brette ne précisent cependant pas si chaque député était en possession d’un cahier de doléances. Faute de pouvoir raisonnablement mener l’enquête pour les 18947 communautés mentionnées dans son Recueil, limitons notre observation à une grande sénéchaussée : celle de Rennes.

La majorité des paroisses rédige un cahier

  • 20 See Henri, Lesort André, op. cit. Les deux assemblées ont été présidées par le sénéchal de la juri (...)
  • 21 Ces exemples se trouvent dans Sée Henri, Lesort André, op. cit.

16Les communautés qui, comme Maroué (Côtes d’Armor) près de Lamballe (Côtes d’Armor), disent vouloir « éviter la multitude de cahiers de doléances » sont rares. La sénéchaussée de Rennes n’en compte que 21 (5,4 % de l'ensemble) sur les 391 assignées à comparaître. En réalité, seules 5 communautés restent complètement silencieuses. Toutes les autres, à l’image des quelques exemples qui suivent, se manifestent plus ou moins : Quintenic (Côtes d’Armor), Hillion (Côtes d’Armor) et Saint Denoual (Côtes d’Armor), toutes les trois présidées par le même personnage, adhèrent « à ce qui sera trouvé de plus juste par l'ordre du tiers de Rennes ». Les habitants de Saint-Léonard (commune actuelle d’Épiniac, Ille et Vilaine) n'ont « rien à rajouter au cahier de La Boussac dont ils ont eu connaissance »20. Les paroisses de Tréglamus (Côtes d’Armor), Gurunhuel (Côtes d’Armor) et Roz Landrieux (Ille et Vilaine) s’en tiennent à leurs délibérations antérieures et les donnent en guise de cahier. Même quand elles adhèrent – volontairement ou poussées par un habile président – à un autre cahier, les communautés glissent parfois une recommandation spécifique à leurs députés. Ainsi, les villageois de Maroué (Côtes d’Armor) adhèrent au cahier de Lamballe (Côtes d’Armor) mais remettent à leurs élus la délibération du général datée du 22 décembre 1788 et les chargent de demander « la suppression des haras ». À Saint-Léonard (commune d’Épiniac, Ille et Vilaine) l’assemblée qui « n'a rien à ajouter au cahier de la Boussac » précise tout de même que « les trois quarts de cette petite paroisse appartient à deux seigneurs et au recteur et est presque toute en bois, étang et landes »21. Celle de Langast (Côtes d’Armor) insiste sur l'abolition de la corvée et l'égalité devant l'impôt tandis que les habitants d’Hillion (Côtes d’Armor), plus prolixes, demandent la liberté de rouir le lin, réclament la suppression des ordres mendiants et exigent d'être affranchis des rentes seigneuriales.

17Même si elles ne rédigent pas un cahier à proprement parler, les paroisses qui ne parvinrent pas à faire entendre le moindre murmure sont très rares. Si la sénéchaussée de Rennes est représentative des autres circonscriptions, les Français, conscients de leurs poids et de l’influence grandissante du tribunal de l’opinion, ont massivement participé à cette « première » électorale. Néanmoins, la mobilisation des paroisses peut tenir davantage de personnalités locales, curé, seigneur, syndic ou robin que d’une réelle volonté politique de l’ensemble des villageois. Seule une approche du niveau élémentaire de la consultation, celui de la paroisse, peut nous fournir quelques indications.

Les comparants

En droit

  • 22 Lettre de convocation du 24 janvier.

18En droit, les ultimes élections de l'Ancien Régime sont très démocratiques. En effet, « sa Majesté a désiré que les extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu'à elle ses vœux et ses réclamations »22. Pour cela, le roi invite tout membre du troisième ordre, âgé d'au moins 25 ans, et inscrit sur le rôle des impositions, à participer à la rédaction des cahiers de doléances et à l'élection des députés. En dépit du caractère très large de la convocation, une partie des Français est exclue d'emblée. La lettre du 24 janvier fixe un premier seuil : celui de la résidence ; « les sans aveux », les mendiants jetés sur les routes par la crise agricole, les sans domicile, les insolvables en tout genre ne sont pas consultés et ne s'expriment donc pas.

  • 23 Duhet, 1789, Cahiers de doléances des femmes et autres textes, Paris, Des Femmes, 1981, p. 31.
  • 24 Elles sont pour la plupart champenoises.

19D'autre part, en invitant les chefs de feux le roi exclut une moitié de la société : les femmes. Les voix des Françaises parviennent cependant jusqu'à nous mais elles le doivent à leur métier. Les communautés de couturières, de lingères ont comme les corps de métiers masculins rédigé des cahiers de doléances. Des auteurs anonymes ont diffusé des textes comme la « Pétition des femmes du tiers état au roi ou l'Avis de madame B** B** »23 qui ont un accent très moderne. Ils dénoncent la devise des femmes « travailler, obéir & se taire » qui relève « d'un système digne des siècles d'ignorance, où les plus forts ont fait les lois & soumis les plus faibles mais dont aujourd'hui la lumière & la raison ont montré l'absurdité ». Ces imprimés, de la main d'auteurs éclairés et cultivés, demeurent exceptionnels, les femmes n'ont que très rarement participé aux assemblées chargées de rédiger les cahiers. Dans le second ordre, les veuves ou les filles tenant fief ne sont pas invitées elles-mêmes à s'exprimer lors de l'assemblée de bailliage, elles se font représenter par un homme. La noblesse éclairée parisienne avait pourtant l'habitude de fréquenter les célèbres salons féminins du moment. Dans les assemblées villageoises, en dehors de quelques communautés24 champenoises, les veuves devenues chefs de famille ne s'attardent guère devant l'église ou tout autre « lieu ordinaire des délibérations » : ces réunions sont affaires d'hommes. Seuls quelques procès-verbaux mentionnent la présence de femmes, mais ils constituent l’exception : le plus souvent, les femmes s'excluent d'elles-mêmes comme d'ailleurs un bon nombre d’hommes.

En fait, des situations très variées

  • 25 Ran Halévi, art. cit., p. 394.

20Tous les historiens des cahiers ont tenté d'établir un « taux de participation », mais l'exercice est délicat pour l'Ancien Régime. Ran Halévi suggère de « confronter les noms inscrits sur les procès-verbaux des assemblées primaires […] avec les rôles fiscaux pour 1789, du vingtième et surtout de la taille”. Il avoue cependant que « le bilan (d’une telle approche) n’est pas disponible et ne le sera pas de sitôt »25. Les éditeurs et commentateurs de cahiers de doléances ont ouvert quelques pistes. Où nous conduisent-elles ? Même si quelques exemples ne font pas loi, le tableau 2 nous livre deux informations : la « participation » est faible et les écarts sont considérables d’une paroisse à l’autre. Néanmoins, au-delà de l’apparente transparence des chiffres, on a sans doute mieux mesuré nos lacunes documentaires que la réalité électorale de 1789.

Tableau 2 Quelques exemples de « participation électorale » en 1789

Tableau 2 Quelques exemples de « participation électorale » en 1789

21Deux types d’obstacles se dressent sur la route de l’historien de la politique d’Ancien Régime : le premier tient aux sources, le second à la pertinence des questionnements.

Lacunes et incertitudes documentaires.

  • 26 Ran Halévi, ibid.
  • 27 Sée Henri, Lesort André, op. cit.
  • 28 On ne sait cependant pas si tous les analphabètes présents ont apposé leur marque.

22Comme le souligne Ran Halévi, « malgré son extrême minutie, la procédure mise en place par Necker ignore les notions fondamentales de l’analyse électorale moderne : inscription préalable, liste des votants, calcul des proportions, bref tout ce qui peut aider à l’établissement de statistiques ordonnées et comparables »26. Les seules sources disponibles sont les procès-verbaux. Ils comportent en général une énumération des présents et une liste de signatures. Ces informations ne peuvent cependant pas tenir lieu de recensement des votants dans la mesure où la majorité des greffiers termine sa liste de présents par la mention des « autres qui ne signent ». Or ces « autres » constituent parfois des majorités, ainsi, à Saint-Goueno (Côtes d'Armor), « le plus grand nombre ne sait signer mais adhère à tout »27. Le nombre « des autres » restera toujours mystérieux en dehors de rares exceptions, comme le procès-verbal de Saint Gilles du Mené (Côtes d'Armor) qui comporte des croix attestant de la présence de ceux « qui ne savent signer »28.

  • 29 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Nous soulignons.

23La liste nominative des comparants des procès-verbaux n’est guère plus fiable : il n’est pas rare de compter plus de signataires que de présents recensés. Le greffier de Balazé (Ille et Vilaine) qui signale qu’outre les 38 comparants figurent « plusieurs autres tant propriétaires, laboureurs qu'ouvriers, en très grand nombre dont l'énumération serait trop longue pour avoir place dans ladite délibération »29 témoigne sans doute d’une pratique répandue mais inavouée.

24Les chiffres sont encore plus suspects quand ils sont ronds. Que penser par exemple du procès-verbal de l'assemblée de Saint Senoux (Ille et Vilaine) qui signale 700 présents en se gardant bien de les énumérer ? Manifestement, il s'agit d'une approximation destinée à souligner l'unanimité qui s'est établie autour du cahier. La suspicion est encore plus forte pour l’assemblée de Saint Broladre (Ille et Vilaine) qui signale 200 présents (naturellement non énumérés) pour 200 feux. Quelquefois encore, les procès-verbaux comportent plus de signatures que de comparants !

25Il semble donc bien illusoire d'accorder une trop grande confiance à ces chiffres. Sur les 370 cahiers de la sénéchaussée de Rennes, seul le cahier de Torcé (Ille et Vilaine) paraît crédible : le président énumère 130 comparants suivant l'ordre du rôle de capitation. Comme il manque quelques noms, on peut penser qu’il a fait un appel nominal, mais aucune preuve ne le confirme.

Le cahier de doléances, les représentants et le problème de la représentativité

  • 30 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », ibid., p. 376.

26Comme l’a montré François Furet, Necker n’a pu se résoudre à choisir. Le financier a ménagé « la chèvre et le chou ». Le prudent ministre évite de heurter les susceptibilités aristocratiques en conservant le vote par ordre. En retenant le principe de la proportionnalité et le doublement du tiers, il introduit la nouveauté démocratique conforme à l’esprit d’équité du siècle des Lumières. Les cahiers de doléances empruntent encore largement à l’ancienne tradition monarchique. Ils sont la trace écrite de la parole d’un ou plutôt des peuples qui s’adressent à leur souverain. Leur fonction n’est pas d’exprimer « un vouloir politique commun à partir des intérêts ou des volontés des individus, mais d’exprimer et de transmettre, de bas en haut, et jusque tout en haut, la demande par définition homogène des corps du royaume »30.

  • 31 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Nous soulignons.

27Ce retour au « textuel et contextuel » nous invite à modifier nos approches. En plaquant la question de la participation sur les cahiers de doléances, ne leur applique-t-on pas une logique qui leur est extérieure ? Marc Bouloiseau l’a fort justement souligné pour la sénéchaussée de Rouen : la finalité du procès-verbal n’est pas d’apporter un quelconque « label démocratique » mais bien de garantir « l’authenticité » (au sens juridique du terme) de l’acte. La société de 1789 s'imagine encore comme un corps où la tête compte pour l'ensemble. Une fois énumérée la « sanior pars », l'ensemble du corps social est représenté. Avec une vingtaine de noms le greffier dispose de suffisamment de garanties d'authenticité, la liste des comparants peut s'interrompre, il devient inutile de la prolonger davantage : l'acte signé n'acquerrait aucune valeur supplémentaire. Les 18 comparants de Saint Maugan (Ille et Vilaine), dans l’évêché de Saint-Malo (Ille et Vilaine), soulignent involontairement la finalité du procès-verbal : « Les paroissiens de Saint Maugan (Ille et Vilaine), à l’exception de ceux qui ne savent signer ont, en témoignage déposé leurs signatures ce jour dit et an »31. Il s’agit bien de « témoigner ». Si, en vertu de l’adage « testis unus, testis nullus », on ne peut se contenter de trois ou quatre noms, il est tout à fait inutile d’allonger démesurément la liste des témoins. Le greffier n’est donc ni paresseux ni économe du papier timbré lorsqu’il ajoute les fameux « et autres » si curieux pour un esprit du xxe siècle. La question de savoir si la liste de comparants est complète ne se pose même pas, elle n’a tout simplement pas de sens en 1789.

  • 32 François Furet, « Les États généraux de 1789 : deux bailliages élisent leurs députés. » Conjonctur (...)

28Un second problème se pose à ce niveau élémentaire de la consultation électorale : le corps électoral est il conforme à la société villageoise ? Toutes les classes sociales sont elles bien représentées ? Là encore, les mêmes réserves méthodologiques s’appliquent. Le souci de proportion n’existe pas dans une société organique fondée sur le principe de la « représentation ». Les procès-verbaux sont donc par définition très avares d’information de ce genre. Pour François Furet qui a mené l’enquête pour les bailliages de Troyes et d’Orléans, « les paysans occupent massivement la scène »32. Toute la société rurale est présente, du manouvrier au riche laboureur en passant par tous les échelons de l’artisanat rural. On objectera que la pyramide sociale des électeurs s’est quelque peu inversée par rapport à celle de la société (on compte 456 journaliers et ouvriers pour 728 laboureurs et 712 vignerons). Les petites gens sont elles pour autant cantonnées au second rôle ?

  • 33 Denis Jeanson, Cahiers de doléances. Eure et Loire, t.I, Denis Jeanson éditeur, Tours, 1990, p. 13

29Rien n’est moins sûr. Là encore les dénombrements reflètent peut-être plus la logique du greffier attentif à l’authenticité de l’acte que la réalité sociale de l’assemblée électorale. Dans la société d’Ancien Régime, l’essentiel est que chaque corps soit représenté, peu importe le nombre de représentants. D’ailleurs, le doublement du tiers, qui obéit à la logique démocratique, n’a été « arraché » que tardivement. De toute façon, cette nouveauté est neutralisée par la règle du vote par ordre à laquelle le roi n’a pas renoncé. Qui plus est, les traditions, les longues pesanteurs culturelles sont parfois plus fortes et plus lourdes que le vouloir politique affiché. Denis Jeanson33 souligne à juste titre le paradoxe des rédacteurs qui, dans le cahier, revendiquent sinon l’égalité du moins l’équité et qui, dans le procès-verbal, déclinent leur identité par ordre décroissant d’importance. Le greffier, par habitude et par déférence mentionne d’abord les personnages les plus influents, curé, syndic, membres de la municipalité, gros laboureurs. Ce n’est pas seulement caprice de celui qui tient la plume puisque les signatures semblent obéir aux mêmes règles de préséance. Le président, le greffier, les notables signent les premiers comme si le commun des journaliers et autres bordiers s’était naturellement écarté. L’acte solennel qu’est la rédaction d’un cahier s’inscrit dans la grande tradition hiérarchique. Les analyses statistiques dans ce domaine reflètent sans doute plus l’ombre de la société que la société elle-même. Le poids des habitudes, le sens inculqué de la hiérarchie sont trop tenaces pour disparaître par enchantement.

30Un dernier point, maintes fois signalé même si on n’en a pas toujours mesuré la portée, ébranle les certitudes statistiques de l’étude des comparants : le caractère impératif du mandat. Les élus du printemps 1789 ne sont que des porte-parole, certes dignement et dûment choisis, mais simples vecteurs du vouloir politique de la communauté. Ce ne sont ni les élus, ni les signataires du procès-verbal qui importent, mais le contenu du cahier. Ce dernier est une œuvre collective à laquelle chaque membre du corps social apporte légitimement et légalement sa contribution. Bien des réunions « à faible participation » ne sont en fait que des réunions qui se déroulent dans de bonnes conditions. L’assemblée parvient sans trop de conflits à se mettre d’accord sur un texte. Les signatures des notables et des gens de peu familiarisés avec l’écrit ne font qu’authentifier l’acte.

  • 34 Sée Henri, Lesort André, op. cit.
  • 35 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Pour les habitants de cette paroisse la rédaction du cahier n’a, (...)

31Les informations les plus nombreuses proviennent en fait de situations conflictuelles. La réalité sociale explose parfois derrière le masque de l’unanimité. La logique démocratique vient alors se greffer sur le tronc des traditions séculaires. Ce sont des participations extrêmement faibles ou au contraire très fortes qui révèlent le plus souvent les sourdes tensions. Parfois, les habitants boudent la consultation ; ainsi dans la petite ville bretonne de Montfort (Ille et Vilaine) « après avoir super cédé environ une heure en attendant les autres habitants et sur ce qu'il ne s'en est présenté un plus grand nombre, avons contre eux donné défaut […]. Tous les habitants avaient été convoqués attendu qu'il n'y a pas dans cette ville aucun corps et communauté d'arts et métiers »34. Les citadins, représentés par une municipalité, sont, moins encore que les ruraux, habitués à « prendre la parole ». Cependant, les ruraux ne se montrent pas toujours plus enthousiastes que les « bourgadins », le procès-verbal de Montreuil sur Pérouse (Ille et Vilaine) signale 12 présents, « les tous composant le général de ladite paroisse sans qu'il se soit trouvé d'autres habitants quoique convoqués et priés de s'assembler à lui »35. Saint Germain sur Ille (Ille et Vilaine) n'a réussi à ne réunir que deux habitants en dehors « des délibérants ordinaires pour la présente année 1789 ». Les paroissiens ont pu laisser, comme à l'accoutumée, agir les habitués de la chose publique. À l’inverse, ils ont peut-être manifesté de la défiance à l’égard des notables en refusant de cautionner un cahier qui ne reflète pas leurs aspirations. La faible comparution dans la petite ville de Bain (Ille et Vilaine) tient à ce type d’opposition. Les habitants, décidés à parler, rédigent un cahier dissident où ils expliquent les raisons de l’apparente indifférence politique des paysans :

  • 36 Sée, Henri, Lesort André, op. cit.

« la délibération du 5 avril dernier n'a été faite que par des procureurs, quelques autres bourgeois de la ville et l'ont fait signer à quelques paroissiens particuliers de ladite paroisse sans vouloir souffrir qu'il y eut fait aucune plainte des choses qui accablent les particuliers de la susdite paroisse de Bain »36.

32A l’inverse, les fortes participations aux assemblées dissidentes montrent comment les petites gens font masse dans le but de contrarier les ambitions des notables.

33Ces incidents ne sont peut-être que « faits divers » aux yeux des élites qui rêvent de grand dessein pour le royaume, mais ces micros événements révèlent la vigueur de la campagne électorale à l’échelle locale. Deux exemples bretons illustrent les capacités de résistance des humbles.

34Le premier se situe dans l’évêché de Saint-Malo, à Plélan (Ille et Vilaine). Le dimanche 5 avril, la réunion se déroule pour le mieux « au lieu ordinaire des délibérations, sous la présidence de Godefroy Pierre Joubaire, procureur fiscal de Plélan en l’absence du juge ». Tous les notables du cru se sont fait un devoir d’assister à cette importante réunion puisqu’on relève parmi les signatures celle du sieur Sevoy, contrôleur des actes ; celle de Jean-François Allaire prêtre chapelain de la chapelle de Thélin résidant au bourg de Plélan ; celle d’un receveur des domaines du roi ainsi que d’un avocat. L’assemblée élit député « Allaire du Gué, procureur fiscal, bachelier en droit ». Tout s’est bien déroulé puisque, une fois le cahier rédigé, le président peut ajouter que « presque toutes les voix se sont élevées pour y donner une entière approbation ». Tout juste apprendon, de manière quasi anodine à la fin du procès-verbal, que

« nous [le président] avons été représentés que, sans nous en donner connaissance, une partie des habitants s’était retirée dans un cabaret pour y donner un cahier particulier de doléances, ce qui a sursis à notre commission et donné lieu à la majeure partie des habitants au cahier ci-joint de se retirer, auparavant de l’avoir souscrit, de quoi nous avons donné acte aux soussignés et autres ne sachant le faire, eux le requérant ».

35Que de tensions et de conflits derrière la banalité des mots ! « Presque » est chargé d’une lourde signification qui nous échapperait si le cahier auquel l’officiel procès-verbal fait une si fugace allusion ne nous était pas parvenu. La seconde assemblée, officieuse, s’est tenue si on veut bien croire le cahier « le dimanche 5 avril 1789 ».

« Le public de la paroisse de Plélan-le-Grand, s’étant assemblé au pied de la croix du cimetière de ladite paroisse pour délibérer et représenter les plaintes de notre paroisse et pour obéir aux ordres et ordonnances que notre roi nous demande pour la conservation de tous nos biens ».

36Le feu couvait à Plélan : les 33 signataires du cahier dissident précisent dans un dix-septième et dernier article que

« nous [les paroissiens] sommes ruinés par les procureurs de notre paroisse. Nous ne pouvions vous la porter plus vite à cause des messieurs de notre paroisse ; il fallut encore dimanche la faire ailleurs, parce que nous ne pouvions la faire avec eux ; encore ils voulaient nous la déchirer ; nous avions attaché l’ordonnance à la porte de l’église ; ils la firent prendre et l’emportèrent ; il nous fallut prendre un jeune garçon pour nous la faire ; encore ils voulaient le faire mettre en prison ; nous vous demandons que le jeune homme soit récompensé ».

37Cette affaire montre bien l’état d’esprit en ce printemps 1789. Chacune des deux assemblées s’estime légitime. La première, maîtresse du « lieu ordinaire des délibération », sûre de la caution morale apportée par les notables locaux et abritée derrière le règlement, jette le discrédit sur la seconde en prétendant qu’elle se tient au « cabaret ». Les villageois dissidents ne s’en laissent pas conter, ils déclarent s’être assemblés «au pied de la grande croix du cimetière ». La querelle de l’espace n’est pas anodine, le cimetière est un espace public ouvert à tous. Les dissidents soulignent ainsi la légitimité de leur réunion. Ils s’excusent de ne pouvoir appliquer le règlement à la lettre en s’en remettant directement au roi. Bien qu’ils aient 33 signatures au bas de leur cahier contre 22 au premier cahier, ils n’utilisent pas l’argument du nombre pour justifier sa représentativité. Ici, la règle démocratique de la majorité ne s’est pas encore substituée à la coutume du mandat impératif.

38Le second exemple provient de la petite paroisse de Messac (Ille et Vilaine) (61 feux). Mécontents de la réunion électorale du 4 avril, les habitants s’assemblent une seconde fois, « le 6 avril, en la demeure et sous la présidence de Julien Fredel de Préguérin ». Ils expliquent d’abord les raisons de cette seconde réunion : « la défiance et la crainte qu’ils ont de leurs juges et officiers de ne vouloir leur écrire fidèlement leurs plaintes et souhaits, en ayant des preuves par les trisons (sic) ci-devant leur faites ». Les dissidents énumèrent ensuite 54 comparants, signalent la présence de

  • 37 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

« trois cents autres habitants qui ont déclaré ne savoir signer » et « déclarent protester de nullité de tout ce qui a été fait de la part de leurs procureurs et délibérants, qui ont souscrit un autre procès-verbal des jours précédents, en tout ce qui pourrait leur nuire et préjudicier aux intentions de Sa Majesté ; les tous nés français ou naturalisés, compris dans les rôles des impositions de cette paroisse composée de soixante et un feux, contenant 4 000 journaux de terre culte ou à peu près. Tous lesquels, pour obvier aux ordres de sa Majesté, portés par les lettres données à Versailles [Yvelines] le 24 janvier […] dont ils ont déclaré avoir une petite connaissance par la lecture de quelques mots lus à l’issue de leur grand messe par le recteur de leur paroisse le 5 du présent ; sans leur avoir donné l’ample lecture ni instruction plus ample, ce qui les a déterminés à s’adresser à nous (Fredel de Préguérin) avec confiance »37.

39A l’inverse de leurs compatriotes de Plélan, les paroissiens avancent des données chiffrées. Non contents des 54 comparants pour 61 feux qui feraient un taux de participation de 88,5 %, ils signalent encore « trois cents présents ». Pris au pied de la lettre, ce chiffre dénoncerait une illégalité : les membres de mêmes familles signalés par nombre d’homonymes ayant voté. Pourtant, les dissidents ont un véritable souci de légalité : ils se placent sous la protection du roi, dénoncent les méfaits de la robe locale et reprennent mot pour mot les termes de la lettre de convocation du 24 janvier. Ils craignent sans doute les éléments qui jouent contre leur cahier : ils se sont réunis chez un particulier et non sur un lieu public reconnu, ils ne peuvent se targuer de la présence d’un juge, ils connaissent mal le règlement. L’argument du nombre, qui dans une logique démocratique serait mis en avant, n’est cependant pas souligné. Ces deux exemples exceptionnels ou exceptionnellement révélateurs démontrent le nombre des comparants n’est pas la principale source de légitimité.

  • 38 Ran Halévi, art. cit., p. 394.

40Il paraît donc bien vain de tenter à tout prix de dresser des statistiques qui, au fond, échappent à la logique du cahier de doléances et de ses rédacteurs. Comme le souligne justement Ran Halévi, « c’est donc une affaire entendue, on ne saura jamais le nombre de Français qui prirent part à cette consultation »38. De toute façon, aucune méthode de dénombrement des comparants ne nous renseignera sur l’essentiel : la participation effective. Qui prend la parole ? Notables ? Présidents ? Les plus riches ? Les plus influents ? Discute-t-on réellement ? Se contente-t-on de recopier un des multiples modèles alors en circulation ?

Les modèles et leur influence

  • 39 H. Taine, op. cit.

41Au printemps 1789, de véritables cahiers « préfabriqués » ont circulé dans toute l'étendue du royaume. L’existence de ces modèles a longtemps fait douter les historiens de l’authenticité des cahiers : Hippolyte Taine39 y voyait même la preuve de la mainmise des avocats sur la consultation. Les historiens de l’opinion se posent aujourd’hui d’autres questions : comment s’est fabriquée l’opinion qui s’exprime au printemps 1789 ? Comment agissent les médiateurs ? Quelle est leur influence réelle ? Peut-on la mesurer ? Comment réagissent les paysans ? En d’autres termes, il ne s’agit plus de savoir si les modèles ont été utilisés mais comment ils le furent.

  • 40 Habituellement, l’historien est contraint de faire la démarche inverse : il reconstitue ou tente d (...)

42Ce problème de l’usage du modèle peut être abordé de deux manières complémentaires : l’une quantitative, l’autre qualitative. L’étude quantitative est limitée à l’exemple breton. La sénéchaussée de Rennes est en effet un champ d’observation privilégié où l’on peut comparer le modèle initial à l’usage qu’en font les paysans 40. L’approche qualitative est guidée par les sources : elle s’appuie sur quelques cas particuliers où les discussions autour du modèle ont laissé des traces.

Un modèle dans son contexte : « les charges d’un bon citoyen de campagne »

Le contexte breton : une politisation précoce

43Les débats sont particulièrement avancés en Bretagne où la noblesse et la bourgeoisie se disputent les voix paysannes. Les aristocrates agitent l'épouvantail de la gabelle et se présentent comme les garants des immunités provinciales tandis que les patriotes chantent les vertus de l'égalité fiscale et pourfendent les droits seigneuriaux. La perspective de la réunion des États provinciaux ne fait qu'exacerber les passions. Dès octobre 1788, les municipalités rédigent des arrêtés à l'intention de leurs députés ; le mois suivant, les arrêtés sont publiés et envoyés aux paroisses de la province. Le 19 décembre, l'assemblée des dix paroisses de Rennes rédige un nouvel arrêté, elle le fait imprimer et l'envoie aux généraux de paroisses de la province en leur demandant d'y adhérer. À l'approche de la réunion, les députés bretons arrivent à l'hôtel de ville de Rennes et, du 22 au 27 décembre ils rédigent un véritable cahier de revendications qui résume les délibérations antérieures. Dès l'ouverture des États, le conflit éclate entre les privilégiés et le Tiers, chacun campe sur ses positions. Le 5 janvier, les députés du Tiers adressent une lettre synthétisant les délibérations de la fin décembre aux généraux de paroisses bretons. Ces manifestes patriotes se préoccupent surtout des questions politiques, de réforme constitutionnelle, d'égalité devant l'impôt mais ils restent muets sur la question des droits seigneuriaux qui intéresse au premier plan les paysans. Au cours des mois de janvier et de février 1789 les généraux de paroisses délibèrent mais ils ne se contentent pas d'adhérer purement et simplement aux arrêtés citadins, ils commencent à exprimer des vœux spécifiques qui préfigurent les véritables cahiers de doléances.

  • 41 Voir annexe 1, p.347-349.
  • 42 Le (ou les) auteurs de ce cahier type sont restés anonymes.
  • 43 Alain Croix, « Bonheur et santé ! Regard culturel sur les cahiers de doléances du pays Nantais », (...)

44Ce contexte d'effervescence politique et de floraison d'imprimés est tout naturellement favorable à l’éclosion de modèles. Deux d’entre eux se taillent un large succès dans la province41. L'un, intitulé « à M. les Généraux de paroisses » est l'œuvre d'un comité de patriotes nantais : le « comité Cottin ». Le second, « les Charges d'un bon citoyen de campagne »42, est connu grâce à la paroisse de Plestan (Côtes d'Armor) qui envoya l'imprimé en guise de cahier. Les deux textes sont rigoureusement identiques à deux articles près : le premier propose de puiser dans les revenus ecclésiastiques pour réduire le déficit de l’État, le second soulève l'épineuse question des communs accaparés par les seigneurs. Lequel des modèles inspire l’autre ? Le « comité Cottin » a-t-il repris les Charges après avoir pris connaissance des aspirations rurales ? Ou inversement, les auteurs des Charges ont-ils jugé bon de retirer deux articles trop audacieux ? L'un risquait de compromettre la tentative de rapprochement entre le tiers et le clergé, l'autre s'attaquait dangereusement au principe de propriété si cher aux patriotes citadins. Henri Sée et André Le sort penchaient au début du siècle pour une initiative rennaise mais Alain Croix a rendu « à Nantes (Loire-Atlantique), à Jacques Cottin et Pierre Giraud du Plessis et au début novembre 1788 la paternité des idées »43 qui circulaient en Bretagne.

45Quoi qu'il en soit, ce sont les Charges qui dominent dans la sénéchaussée de Rennes, sans doute parce que c'était la version locale. Composé de 22 articles précédés d'un préambule, le modèle présente 7 articles de « plaintes » puis 14 de « vœux » après un article de transition (article 8). Sept paragraphes abordent la fiscalité royale et trois sont consacrés aux droits seigneuriaux. Ces derniers occupent moins de place dans le cahier, mais le ton employé à leur égard ne souffre aucune ambiguïté : il n’est question que de « corvées et servitudes » « féodales », « odieuses », qui donnent lieu à la « dévastation des campagnes » et à des « vexations » de la part des officiers seigneuriaux. Cinq articles, plus politiques, soulèvent la question de la représentation du tiers, deux proposent la réorganisation du système judiciaire, les articles 20 et 21 se préoccupent du sort des recteurs et de l'assistance tandis que l'article 14 demande l'égalité devant l'emploi. Enfin, en guise de conclusion, le dernier article invite habilement les ruraux à adhérer par avance à ce que sera le cahier du tiers de Rennes.

46Ce modèle, version Charges ou Cottin, a été publié et probablement envoyé à tous les généraux des paroisses bretonnes. Il laisse des traces dans toute la province, y compris dans les zones les plus reculées de la Basse Bretagne.

Les « Charges » : un exemple de succès

  • 44 Alain Croix, ibid.

47La figure 2 donne une idée du succès emporté par ce modèle dans la sénéchaussée de Rennes (Ille et Vilaine) puisque 163 des 370 cahiers de la circonscription (44,05 % du corpus) s'en inspirent directement ou indirectement. La figure 3 montre cependant une inégale diffusion : le modèle a été particulièrement utilisé à proximité de Rennes, en particulier dans la région de Vitré (Ille et Vilaine) ; inversement une seule paroisse de l'évêché de Tréguier (Côtes d'Armor) y fait référence. L'influence semble donc s'estomper avec l'éloignement géographique. Dans le pays nantais, l’influence des Charges reste forte mais beaucoup moins dominante qu’en pays rennais : Alain Croix44 trouve trace du modèle dans 39 des 199 (19,6 %) cahiers conservés. Les paroisses du diocèse de Saint-Malo confirment cette impression : les Charges n’emportent qu’un succès mesuré à proximité de la capitale diocésaine tandis que les communautés des pays de Montfort (Ille et Vilaine) et de Montauban (Ille et Vilaine) plus proches de Rennes, puisent largement dans le modèle.

  • 45 Avec 45 cahiers, l’échantillon ne se prête qu’à une étude qualitative.
  • 46 À titre indicatif, 6 des 45 cahiers du diocèse s’inspirent des charges.

48Le diocèse de Dol (Ille et Vilaine), même s'il ne comporte que peu de paroisses45, paraît révélateur. La faible diffusion des Charges, qui est certes toute relative46, s’explique par la présence de la ville épiscopale. Dol, comme Saint-Malo (Ille et Vilaine) d'ailleurs, disposent des moyens culturels et sociaux pour composer des cahiers originaux ; elles y mettent peut-être même un point d'honneur. Cette originalité par rapport à la capitale provinciale se répercute sur les campagnes environnantes. L'exemple de Dol est tout à fait significatif : la robe de la cité épiscopale, logée intramuros, a, en vertu de ses droits, assisté aux différentes assemblées paroissiales de la ville. Quelques uns de ses représentants furent même admis, en raison de leurs fonctions politiques, aux délibérations de la municipalité. À deux exceptions près, tous les présents mentionnés sur le procès-verbal de Notre-Dame-de-Dol (Ille et Vilaine) participent, à l'assemblée de la municipalité. Parmi eux figure Le Monnier de Pontaubry qui préside les assemblées de l'Abbaye (commune de Dol, Ille et Vilaine) et de Carfantain (commune de Dol, Ille et Vilaine) le 29 mars, se rend à Saint Broladre le 31 et il termine son périple à Saint Georges de Gréhaigne (Ille et Vilaine) le 5 avril. Pasquier, président de l'assemblée de Notre Dame de Dol (Ille et Vilaine), a, quant à lui, dirigé les débats des paroisses de Sains (Ille et Vilaine) et de Mont Dol (Ille et Vilaine). Coudé, président de l'Abbaye près de Dol (commune de Dol, Ille et Vilaine), anime également les assemblées de Cherrueix (Ille et Vilaine), Lillemer (Ille et Vilaine) et La Fresnais (Ille et Vilaine) . Enfin les paroisses de Bonaban (aujourd’hui La Gouesnière, Ille et Vilaine ) et de Roz Landrieux (Ille et Vilaine) adoptent leurs cahiers sous la présidence de Renoul de Baschamps, avocat à Dol. Les hommes de loi, les officiers seigneuriaux de la ville ont ainsi contribué à limiter l'influence du modèle rennais. Ils ont au contraire accentué l'emprise de Dol sur les campagnes environnantes. Dans l'évêché de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor), seules Lamballe (Côtes d'Armor) et Moncontour (Côtes d'Armor) étaient en mesure de jouer ce rôle, mais elles-mêmes se sont appuyées sur les Charges qu'elles répercutent sur les paroisses voisines.

Figure 2 : Cahiers originaux et cahiers inspirés d’un modèle dans la sénéchaussée de Rennes (370 cahiers étudiés)

Figure 2 : Cahiers originaux et cahiers inspirés d’un modèle dans la sénéchaussée de Rennes (370 cahiers étudiés)

Les raisons du succès

49Une telle vitalité mérite que l’on en recherche les origines. La première raison tient sans doute à la publicité dont le modèle a été l'objet. Les patriotes ont soigneusement orchestré sa diffusion : imprimé, envoyé aux généraux de paroisses, aucune communauté de la sénéchaussée ne pouvait l'ignorer. Mais cet argument ne suffit cependant pas à expliquer son audience. Les délibérations de décembre, les arrêtés de janvier, tout aussi largement diffusés, n’ont pas eu pour autant la même popularité. C'est bien le contenu du modèle qui a été déterminant.

50Tentons de mesurer l’audience de chacun des articles du modèle. Pour cela, nous avons dénombré pour les 163 cahiers de doléances inspirés des Charges les articles adoptés ou rejetés. Un article est considéré comme recopié même si l’emprunt n’est que de quelques mots. Cette méthode élimine les nombreuses nuances de l’adoption mais permet de mesurer le rôle de chaque article. Comme le montre la figure 4, aucun article ne fait véritablement l'unanimité. Le succès des Charges ne tient pas à l’un de ses paragraphes en particulier. Les paysans n'ont pas besoin des Charges pour dénoncer le régime seigneurial qu'ils ne connaissent que trop. En revanche, pour les questions générales, ils reprennent les articles du modèle sans éprouver le besoin de le modifier. Les citadins au contraire, expédient rapidement les droits seigneuriaux, ils se contentent de recopier l'article 17 des Charges qui en demande le rachat, mais ils n'hésitent pas à s'écarter des Charges pour élaborer des projets qui prennent parfois l'allure de véritables textes constitutionnels. Entre ces deux comportements extrêmes, toutes les combinaisons sont possibles. Le succès des Charges tient sans doute à cette multitude de possibilités. Le modèle est à la fois assez précis, efficace et diversifié pour que chaque communauté y trouve son compte et puisse s'en inspirer.

Figure 3 : La diffusion des « Charges d’un bon citoyen de campagne » dans la sénéchaussée de Rennes

Figure 3 : La diffusion des « Charges d’un bon citoyen de campagne » dans la sénéchaussée de Rennes

51Quelques articles sont cependant plus fréquemment repoussés. Le préambule, par exemple, n'a guère suscité d'enthousiasme. Bien des cahiers préfèrent en venir directement aux faits, d'autres tiennent à rendre un hommage personnel au roi ou encore s'attachent à peindre, au besoin en assombrissant un peu, un tableau de leur situation. L'article 8 n'est qu'une transition formelle, seuls les cahiers reprenant le plan du modèle l'utilisent. Plus intéressantes me semblent les attitudes à l'égard des articles 20 et 21. L’article 20 consacré à l'augmentation de la portion congrue n’est repris que 20,5 % des cahiers. Les Charges recommandaient de supprimer l'article quand le curé était décimateur. Les assemblées estimant qu'un honnête revenu ou une médiocre pension suffisent à l'entretien du clergé ne se sont pas privées d'écarter l'article, même quand le recteur n'était qu'un modeste congruiste. Le projet de création d'une caisse pour les pauvres (article 21) ne convainc guère les assemblées puisque 64,5 % d’entre elles écartent la proposition. Les Bretons présentent souvent d'autres solutions, notamment celle de restaurer la destination primitive de la dîme (un tiers pour l’entretien du clergé, un tiers pour celui des édifices, un tiers pour les pauvres).

  • 47 Dupuy Roger, op. cit., p. 1956.

52Les articles 2, 10, 15, et 22 obtiennent un plus large succès : moins d'un cahier sur deux les élimine. L'adoption des articles 2 et 15 ne surprend guère : la haine de la milice est unanime et l'aspiration à l'égalité devant l'impôt est sans doute la revendication la plus partagée des Bretons et des Français en général. Cette idée s’est infiltrée dans toutes les couches de la société. Les paysans ne sont cependant pas guidés par le seul intérêt fiscal. L'audience du paragraphe 15 qui réclame une meilleure représentation du tiers et le vote par tête témoigne de la « politisation précoce des campagnes »47. En ce printemps 1789, villes et campagnes sont solidaires et agissent de concert : 55,8 % des communautés adhèrent par avance au futur cahier de Rennes, comme les invite l’article 22 des Charges.

  • 48 Le Mené Michel, Santrot Marie Hélène, Cahiers de plaintes et doléances de Loire-Atlantique en 1789(...)

53Au total, c’est la polyvalence du modèle qui en a fait le succès. Bien structuré, habilement construit, ce modèle est, dans sa partie centrale, entièrement consacré aux problèmes qui occupent les élites citadines : la représentation du tiers et le vote par tête. L'article 7 associe subtilement l'absence de représentants aux États de Bretagne et l'inégale répartition de l'impôt. La charnière centrale du modèle et la conclusion constituent sans aucun doute les passages essentiels pour ses concepteurs et ses rédacteurs. Les patriotes ont aussi su trouver les mots justes pour rallier les ruraux à leur cause, ils ont su attaquer avec des mots « forts » le régime seigneurial, ils ont ainsi suscité l'intérêt paysan et, finalement, ils ont offert « un cadre efficace pour un monde rural varié »48. La vivacité, le ton de la dénonciation du régime seigneurial présenté comme « odieux » et « vexatoire » ont sans doute inspiré confiance aux paysans. Les auteurs ont réussi à s’adapter à la demande rurale. Cette adaptation réussie tient à la vitalité des échanges entre les patriotes citadins et les ruraux. Les deux mondes s’influencent réciproquement. Les premiers manifestes patriotes, cantonnés aux questions politiques et constitutionnelles, se sont enrichis au contact de la demande paysanne. Loin de se contenter d’adhérer aux propositions urbaines, les généraux de paroisses ont rédigé des contreprojets indiquant clairement les priorités paysannes. Nous sommes bien là à des lieues de la servilité évoquée par Hippolyte Taine ou Pierre Gaxotte ; il ne suffit pas aux sociétés de pensée de rédiger de brillants modèles pour emporter l'adhésion, les paysans se chargent de les adapter, de les censurer ou simplement de les rejeter. Nous débouchons là sur la question fondamentale : celle de l’usage du modèle.

Figure 4 : l’usage du modèle.

Articles des Charges retenus par les cahiers qui s’en inspirent

(163 cahiers étudiés)

(163 cahiers étudiés)

L’usage et le rôle des modèles

Le modèle est une source d’inspiration soumise au feu de la critique

Les comparants critiquent…

  • 49 Laurent Gustave, op. cit. Le procès-verbal mentionne vingt noms auxquels il faut ajouter trois pré (...)

54Les débats, les discussions autour du modèle se sont définitivement envolés. Une petite paroisse champenoise de 35 feux, Aulnay-l’Aître (Marne), fait toutefois exception à cette règle et nous offre une belle illustration des circonstances de la rédaction des cahiers de 1789. L’assemblée des habitants se réunit le 11 mars 1789 sous la présidence du lieutenant de justice Claude François Mélaud assisté du syndic de la paroisse, Nicolas Pierre Roux. Les habitants suivent attentivement les opérations : ils consacrent en effet plusieurs réunions à la rédaction et sont au moins 23 au moment de signer le procès-verbal49.

55Le contenu du cahier est très soigné. Les habitants consacrent d’abord six paragraphes aux problèmes locaux. Ils décrivent la médiocre qualité des terres, rappellent la violence des orages de 1774 dûment constatés par les officiers de la ville de Vitry-le-François (Marne). Puis ils passent à la situation de la propriété dans la paroisse. Ils exposent avec force détails les conséquences de la suppression du droit de parcours sur l’économie locale, dénoncent le seigneur qui a affermé les dîmes et se plaignent des excès du « gros manquant », taxe que les habitants trouvent trop lourde compte tenu de la médiocre qualité de leur vignoble « appelé gavet ». La précision de la description et des détails atteste d’une connaissance du terrain qui exclut l’idée d’une influence extérieure.

  • 50 Le modèle n’a pas été retrouvé, on ne sait donc pas combien il comportait d’articles en tout.

56Les habitants d’Aulnay-l’Aître ne sont pas pour autant imperméables aux idées foraines : la suite du cahier est en effet composée d’extraits d’un modèle intitulé « les questions proposées au tiers-état ». Les villageois s’en sont inspirés mais gardent un esprit critique tatillon. Ils affirment avoir « choisi les numéros qu’ils ont jugé à propos d’être demandés pour servir de base à leur cahier ». L’assemblée a bien « choisi » dix-huit articles et a conservé la numérotation du modèle qui comportait au moins quarante cinq articles50.

57Reste à savoir comment s’est opérée cette sélection rigoureuse. Le cahier, en sa dernière partie « d’observations et de remontrances », lève partiellement le voile qui entoure habituellement de tels documents. La communauté explique en effet ses choix :

« à l’égard des autres questions qui ne sont pas insérées dans ledit cahier, les habitants n’ont pas été d’avis, ne leur paraissant pas avantageuses à l’État et même il veut faire connaître que l’impôt territorial deviendrait trop à la charge aux cultivateurs par des raisons qu’ils vont expliquer ».

58Non contents d’écarter certains articles du modèle, les paroissiens justifient leurs choix. Échaudés par les expériences du dixième et autre vingtième, ils savent bien que la charge fiscale d’apparence « plus juste et plus exacte » finirait par retomber sur « la classe la plus indigente ». L’assemblée des habitants préfère « oser espérer […] que le clergé et la noblesse qui possèdent les plus grands biens du royaume, pourront diminuer leurs dépenses superflues et les employer plus utilement aux frais de l’État ». Les modestes paysans d’Aulnay-l’Aître ne s’en laissent donc pas conter. Ils s’écartent du modèle proposé pour présenter leurs problèmes particuliers, ils choisissent, censurent, s’expliquent et suggèrent. Le document est certes exceptionnel. L’exception ne tient cependant pas à la discussion, mais à son caractère visible. Le greffier local a transmis toutes les étapes de la genèse du cahier.

59Aucune communauté ne se contente de reproduire servilement un modèle, toutes les assemblées ont précisé, complété, illustré, modifié, coupé ou censuré un canevas toujours soumis à lecture publique. Lecture et explication sont en effet de règle. En Basse Bretagne, elles sont même données « tant en français qu'en breton ». L’assemblée des habitants de Nouvoitou (Ille et Vilaine) a eu connaissance des Charges, elle en adopte le préambule mais ne retient aucun des articles. En revanche, le modèle est probablement lu dans son intégralité comme en témoigne la manière dont les habitants ont soulevé la question des revenus du recteur : « Devons nous demander l'augmentation de la portion congrue de notre recteur ? » s'interrogent-ils, cet emploi de la forme interrogative suppose que quelqu'un a lancé l'idée, peut-être le président en donnant lecture de l'article 21 des Charges. De toute façon, la réponse est claire :

  • 51 Sée Henri, Lesort André, op.cit.

« il (le recteur) n'a pas gagné notre confiance, il nous a trompés, sans doute devons nous la demander, sa portion ne suffit pas à le faire vivre en pasteur, il faut de l'équité, il peut avoir un successeur plus exact et moins porté contre nos intérêts »51.

60L'écrit et le style du président ont sans aucun doute gommé la vigueur des échanges et des invectives. La lecture publique de l'article 21 a provoqué de toute évidence un beau tollé, l'accord général a finalement été trouvé grâce à un préalable d'importance : l'augmentation est destinée au successeur.

61La discussion conduit parfois à préciser le modèle, un correctif du cahier de Laillé (Ille et Vilaine) n'apporte qu'une petite touche mais très significative. L'article des Charges dénonçant les « vexations » des officiers seigneuriaux est repris mais, en marge, une autre main précise bien ce qu'il faut entendre : il s'agit des « procureurs fiscaux ». Ces mentions, aussi laconiques soient elles, attestent du regard critique porté sur les modèles qui sont rarement exclusifs.

Les communautés comparent les propositions

62Le nombre même de modèles possibles limite toute influence exclusive. Les paroissiens de Carfantain (Ille et Vilaine) déclarent avoir reçu 7 imprimés. Quand les imprimés ne suffisent pas, les cahiers du voisinage font office de modèle : l’assemblée de Messac (Ille et Vilaine), mécontente des agissements du président Martin Frétaud de La Marchandais, s'est ainsi adressée à Julien Fredel de Préguérin qui avait déjà présidé l'assemblée de Saint Senoux (Ille et Vilaine). Les habitants de Messac ne tiennent pas à faire un cahier original à tout prix, ils s'inspirent largement de Saint Senoux (Ille et Vilaine) mais ils ont choisi leur modèle. D'une manière générale, l'authenticité d'un cahier réside précisément dans ce choix.

  • 52 Tous ces cahiers sont publiés par Sée, Henri, Lesort André, op.cit.

63L'exemple des paroisses de Baguer Morvan52, Lanvallay et Saint Judoce (Côtes d'Armor) paraît à cet égard très significatif : les trois assemblées tenues le même jour (1er avril) ont des présidents différents mais présentent bien des similitudes comme le montre la figure 5.

64Trois modèles généraux servent de canevas : « les instructions du Duc d'Orléans », « Les délibérations de Rennes [Ille et Vilaine] des 22 au 22 décembre » et les « Charges d'un bon citoyen de Campagne ». Baguer Morvan mélange savamment les « délibérations de Rennes », « les instructions du Duc d'Orléans » et ses doléances propres. Lanvallay tient son assemblée électorale le même jour, « à 9 heures du matin, au lieu ordinaire des délibérations » et déjà, les habitants ont pris connaissance du cahier de Baguer-Morvan puisqu'ils lui empruntent trois de ses articles originaux ; ce simple exemple donne une idée de la rapidité de la circulation de l'information au printemps 1789. La communauté de Lanvallay (Côtes d'Armor) ne s'en tient pas pour autant au cahier de la paroisse voisine, les habitants adoptent 4 articles des Charges, retiennent 2 articles des « instructions du duc d'Orléans » que Baguer-Morvan avait écartés et enfin ils composent 26 paragraphes originaux. Quant au cahier de Saint-Judoce, il offre de grandes analogies avec celui de Lanvallay mais les habitants ne se limitent pas à une servile copie, ils ajoutent des doléances personnelles et un article des Charges ignoré par Lanvallay. Ces exemples ne sont certes que des cas particuliers mais montrent bien comment le nombre et la variété des modèles empêchent toute situation de monopole et d’exclusivité.

  • 53 Gilbert Shapiro et John Markoff, Bull. de la Com. d’Hist. de la Rev. fr., 1990-1991, p. 1970.
  • 54 Pour une approche plus précise des emprunts, on se reportera à l’annexe 2, p. 349.

65Une approche quantitative conduit aux mêmes conclusions. À la suite des éditeurs de cahiers de la « Commission d’Histoire économique et sociale de la Révolution française », Gilbert Shapiro et John Markoff53 ont, à partir de quelques cahiers pris dans différents bailliages, étudié les modalités de l’emprunt à un cahier modèle. Leur conclusion est claire : « dans ces communautés qui ont utilisé des modèles, l’emprunt fut très sélectif ». On pourra certes leur reprocher l’étroitesse de leur échantillon (l’un n’est composé que de quatre cahiers !) mais une approche plus générale aboutit aux mêmes constats. Les 157 cahiers de la sénéchaussée de Rennes (Ille et Vilaine) qui se sont inspirés des charges tout en conservant la structure en paragraphes numérotés comportent 3 555 plaintes et remontrances parmi lesquelles 1 661 proviennent du modèle. Plus d’une plainte sur deux (53,3 %) est en réalité originale. Pour la majorité des cahiers, le modèle ne constitue bien qu'un canevas, un vivier dans lequel les assemblées puisent l'inspiration. Trois cahiers seulement (1,9 %) se contentent du modèle, et encore ont-ils éliminé certains articles. Tous les autres jouent des multiples combinaisons possibles : ils recopient tout ou partie du modèle et ajoutent ensuite leurs doléances propres, parfois le modèle est relégué à la fin du cahier. Les communautés choisissent quelques articles puis illustrent d'exemples précis. Parfois, elles retranchent ou ajoutent au gré des situations locales. Sur les 157 assemblées retenues, 91 (près de 58 %) présentent un cahier dont la moitié est composée d’articles originaux54. L’adhésion à un cahier type n’a rien d’aveugle, elle semble au contraire mûrement réfléchie comme le prouvent abondamment les incidents qui se sont déroulés dans la paroisse bretonne de Sens (Ille et Vilaine).

Figure 5 l’usage des modèles et la circulation des idées.

Trois exemples de la sénéchaussée de Rennes :

Baguer-Morvan, Lanvallay et Saint-Judoce

Baguer-Morvan, Lanvallay et Saint-Judoce

Les communautés soupèsent les arguments

66La rédaction du cahier y est particulièrement conflictuelle. Les participants à l’assemblée composent un premier cahier largement inspiré des Charges auquel ils ajoutent un supplément. Les paroissiens s’y plaignent « de ne pas avoir assez délibéré, n’ayant pas été bien accueillis ni entendus dans leurs remontrances et d’avoir été injuriés, intimidés dans nos libres fonctions ». L’ajout est consacré aux problèmes locaux et dénonce, entre autres « les lods et ventes perçus par la seigneurie proche ». Les paroissiens ne sont pas pour autant satisfaits et rédigent un second cahier signé par six d’entre eux. Les auteurs du second cahier prétendent refuser

  • 55 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

67« les manœuvres du procureur fiscal et de l’ancien sénéchal de la juridiction de Sens (qui) n’ont pas voulu recevoir leurs délibérations […]. Le sieur de la ville Mané a d’autorité privée, enlevé et spolié les procès-verbaux où l’on devait choisir les députés, […]. Le procureur fiscal avait choisi et le dit Mané choisit son fils »55.

68Les deux cahiers s’inspirent des Charges d’un bon citoyen de campagne et ils reprennent les mêmes articles à l’exception du numéro 8 qui n’est qu’une figure de rhétorique servant de transition entre les doléances et les vœux. Néanmoins, le second cahier apporte quelques corrections. Le mot « ecclésiastique » de l’article 11 est remplacé par « prêtre », l’article 14 est écourté ; dans l’article 15 un « moins respectés » se transforme en « plus méprisés ». Le supplément est repris lui aussi mais il est précisé. Les rédacteurs demandent toujours la destruction des fuies et garennes mais ils insistent : « les ravages des lapins […] dans les pièces de terre des vassaux rendent la destruction absolument nécessaire ». Le premier cahier s’en prenait aux « dîmes vertes » le second réclame « que la dîme soit anéantie et abolie ». Dans la première mouture, les habitants « envisageaient de délibérer » au sujet du maître d’école alors que dans le second cahier ils exigent un maître d’école auquel il sera accordé cent livres. Il serait fastidieux de dresser la liste complète des modifications apportées : elles ne sont que détails quasi insignifiants aux yeux du lecteur moderne. Ce souci de la précision et du détail révèle néanmoins les discussions autour du modèle : chaque idée, chaque mot sont pesés, commentés avant d’être adoptés. Les divergences tiennent souvent plus à la forme qu’au fond : les cahiers n’ont pas été rédigés à la légère. Le cahier de Sens (Ille et Vilaine) montre le poids de la communauté et l’intérêt qu’elle porte à son cahier. Les avocats présents souhaitaient faire élire un des leurs et s’en tenir aux Charges, mais la communauté les a contraints à accepter un supplément. Là encore, ils ont sans doute tenté de freiner les ardeurs des paroissiens qui concoctent un second cahier : à Sens, le modèle ne fait pas seul l’opinion. Aux yeux des paroissiens, ses fonctions sont ailleurs.

Le rôle du modèle

Le modèle permet de s’informer et de s’affranchir du clientélisme local

69Loin de toujours confisquer la parole, le modèle contribue parfois au contraire à la libérer. Comme nous l’avons vu précédemment, l’assemblée électorale de Bléruais (Ille et Vilaine) se tient le 6 avril chez le

« principal propriétaire roturier de la paroisse, sur le refus du sieur Rozé, procureur fiscal, et la rétention qu’il a fait des ordres du roi et de l’ordonnance de monsieur le sénéchal de Rennes et sa déclaration de ne rien faire que dans le château du seigneur de Bléruais, dont il est fermier, où, poussé par un si grand attachement à la noblesse que s’il lui devait la vie, il prétendait intimider la paroisse et la faire signer un cahier de doléances qui commençait par ces mots : “il plaira à la noblesse de payer comme nous, et nous lui aurons obligation”. Après lui avoir fait savoir que ce n’était pas dans les châteaux des nobles qu’on devait faire les assemblées du Tiers et l’avoir à différents jours attendu à la sacristie, on s’est déterminé à prendre, malgré les craintes qu’il voulait inspirer, le plan des autres paroisses ».

Le procès-verbal ajoute, en note :

  • 56 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

« Qu’il n’y a point de sénéchal depuis la mort de M. Penhouët, personne n’ayant voulu la place à cause d’un tel procureur fiscal, et que le présent modèle de procès-verbal, dont nous avons pas eu le temps de tirer un double, nous a été donné par un ami qui en avait deux »56.

  • 57 Christian Kermoal, Intermédiaires culturels et élites paysannes à la veille et au début de la Révo (...)

70Les villageois ne craignent donc pas de « prendre le plan des autres paroisses ». C’est au contraire un puissant moyen d’information. Les paysans se plaignent quand ils n’ont rien reçu. Ils ont alors tôt fait de soupçonner les notables, curé ou robin, de rétention d’information ou de tentative d’intimidation. Dans le contexte culturel de l’époque, c’est l’absence de modèles qui est anormale. L’utilisation de modèle est d’ailleurs « commune et ancienne »57. La solidarité entre les paroisses joue pleinement. Les paysans, conscients des enjeux – au moins au niveau provincial – entendent bien saisir l’occasion offerte. Les ultimes élections de l’Ancien Régime ont la particularité de permettre à chaque village de composer son propre programme. La multiplication des modèles, les échanges d’idées autorisent des choix indépendamment des différentes tutelles locales. Ni le seigneur, ni son procureur fiscal ne sont en mesure d’exercer leur ascendant habituel.

Le modèle garantit la valeur juridique de l’acte

71La quête d’un « modèle de procès-verbal » auprès « d’un ami qui en avait deux » témoigne là encore du souci d’authenticité. Rompus aux traditions procédurières et forts de leur expérience de lutte contre le régime seigneurial depuis le milieu du siècle, les paysans savent d’instinct qu’il faut suivre non seulement l’esprit mais la règle de la loi. Le recours au modèle, c’est l’assurance de ne pas se perdre dans le dédale de la procédure, c’est la garantie de légalité, et, par la même, celle d’être entendu. L’application scrupuleuse des règles est d’autant plus nécessaire que la monarchie innove. Aucun paysan, même les plus « antiens » consultés par les habitants de Créhen (Côtes d’Armor), ne peut se targuer de son expérience en la matière. Le modèle donne des repères sécurisants pour des villageois impressionnés à l’idée de s’adresser au roi en personne.

72Une véritable avalanche d’imprimés s’est abattue sur le royaume. Des modèles tout faits, de diffusion nationale, provinciale ou locale ont circulé. Les communautés villageoises y ont massivement recouru mais ne se sont pas bornées à ratifier purement et simplement les canevas proposés. Déçus furent sans doute ceux qui s’imaginaient un paysan prêt à accepter n’importe quelle proposition bien rédigée. Les communautés sont aptes à juger la valeur des cahiers qui leur sont soumis. La question des modèles, longtemps posée en termes de diffusion du haut en bas de l’échelle sociale, de la ville vers la campagne, des élites cultivées vers les paysans ignorants, doit être reposée en inversant les données. Les causes du succès ou des échecs de tel ou tel modèle tiennent d’abord à son contenu. Un modèle emporte des succès d’abord et avant tout parce qu’il plaît. Sa fortune dépend de sa capacité à traduire l’opinion publique du moment. S’il en est un bon reflet, il a des chances, pour peu qu’il soit bien diffusé, d’obtenir de larges échos. Les idées circulent aussi de bas en haut de la société. L’ultime convocation des États généraux, en introduisant le principe de l’élection, a contraint les représentants traditionnels à se mettre à l’écoute du peuple. L’élection n’est plus toujours acquise de droit, la nouvelle donne politique opère une véritable révolution culturelle. Incontestablement les modèles contribuent à forger l’opinion mais ils ne la font pas. Au fond, ils n’en sont peut être que les miroirs. Les modèles fournissent des cadres, des schémas, des pistes de réflexion mais en aucun cas ils ne confisquent la parole. Au contraire, en formulant des suggestions, ils constituent des documents de réflexion. Le canevas, quand il est lu publiquement, oblige chacun des participants à s'interroger et à réfléchir. Les idées ne s’enchaînent elles pas ainsi au fil des discussions et des échanges ? Encore faut il que le président laisse le débat se dérouler. Un notable adroit, sachant manier l'écrit comme l'oral, peut toujours, sinon manipuler, du moins orienter les débats de l'assemblée.

Les leaders d’opinion

  • 58 Anne Fillon, Louis Simon villageois de l’ancienne France, Rennes, Ouest France, 1996, p. 93.
  • 59 Les habitants de Guignen (Ille et Vilaine) accusent le président de l’assemblée de « captiver » le (...)

73Louis Simon, l’étaminier de la Fontaine-Saint-Martin (Sarthe) cher à Anne Fillon écrit dans ses mémoires : « chaque syndic fit donc son cahier ou doléances, selon l’avis des habitants. Je fis le mien, puis je le donnai à Monsieur Dorvault qui le fit voir à M. le curé et à Mme l’abbesse : ils n’y firent aucun changement »58. Si chaque syndic, à l’image de Louis Simon, a effectivement fait son cahier en le soumettant aux autorités locales, qu’elles soient civiles ou religieuses, les Français n’ont eu que l’illusion de la parole. Les délais imposés par la procédure et la date de la séance d’ouverture des états jouent en faveur des notables locaux. Embarrassés pour traduire leurs sentiments, pour passer de l’oral à l’écrit, les paysans se tournent tout naturellement vers leurs porte parole et leurs porteplume habituels : le curé, le médecin, le maître d’école, le riche laboureur ou, plus souvent encore, l’avocat, le notaire ou le juge ; bref tous ceux qui par leur profession, leur richesse ou leur charisme personnel sont aptes à « captiver »59 l’assemblée et à canaliser l’opinion. Tous, par souci d’efficacité, par une réelle volonté de réforme ou encore par ambition, ont eu la possibilité de contrôler « la parole paysanne ». Le bilan d’ensemble invite à la prudence : tous les cas de figure se rencontrent.

Les notables : de la présence soupçonnée à la présence affichée

74Les communautés rurales n’ont elles pas laissé faire les gens cultivés de la paroisse, hommes de loi, curés, médecins ou tous ceux qui par leur profession, leur culture, leur rôle économique local sont aptes à « captiver » l’assemblée et à canaliser l’opinion ? Plutôt qu’une approche qui se voudrait exhaustive, observons quelques exemples.

Le curé

75Le représentant local du premier ordre du royaume est le personnage auquel il est difficile d’échapper. Chargé d’informer ses ouailles, de diffuser les brochures, d’annoncer la convocation, impliqué dans la vie de ses paroissiens, intéressé par les questions de l’éducation et de charité, le curé ne peut manquer de prêter une oreille attentive à ce qui se dit sous le porche ou à l’intérieur de son église. Sa présence physique se sent parfois au contenu du cahier : des articles très informés sur les questions religieuses, une attention particulière aux questions de charité ou une véhémente dénonciation des désordres engendrés par le cabaret témoignent souvent de sa présence. Les habitants, hors de la présence du curé, ne rejettent pas les occasions de fréquenter ce haut lieu de sociabilité.

  • 60 Michel Le Mene, Marie Hélène Santrot, Cahiers des plaintes et doléances de Loire Atlantique, Nante (...)

76A la Bénâte, en Loire Atlantique, contrairement aux règlements royaux, « monsieur le recteur a présidé faute d’officier public, n’y en ayant pas dans le lieu, et ceux de la juridiction étant fort éloignés » 60. Les habitants violent donc en toute bonne conscience les règle fixées et se tournent spontanément vers leur guide spirituel. Il faut dire que dans cette paroisse il était difficile d’échapper à la famille Goéau puisque le frère du recteur, Jacques Goéau, sieur de la Noé, est le premier cité au procès-verbal d’élection et élu député. Le recteur ne fait pas de la figuration et entend bien préserver son autorité morale. Cinq des dix articles de ce cahier sont consacrés aux questions religieuses. Si la restitution de la dîme au recteur et l’abolition du casuel se retrouvent fréquemment dans les cahiers ruraux, les demandes d’unification du catéchisme et d’uniformisation des actes de l’état civil témoignent sans doute davantage des préoccupations de Goéau que de celles de ses paroissiens.

Le médecin et le chirurgien

77Parfois, c’est le médecin qui imprime sa marque sur le cahier. À Héric (Loire Atlantique), le chirurgien dont la présence est signalée par le procès-verbal est très certainement à l’origine de cet extraordinaire catalogue de revendications sanitaires :

  1. « 20° Chirurgiens et apothicaires chimistes réunis aux universités.
  2. 21° Examen plus rigoureux et preuves de capacité plus grandes pour ceux des campagnes et qui s’embarquent ou qui servent dans les armées.
  3. 22° Établissement de deux sages-femmes instruites dans chaque paroisse de campagne.
  4. 23° Peine de mort contre les empiriques et charlatans.
  5. 24° Défense de recevoir des médecins et avocats par dispense de science ».

78Ces attaques virulentes contre ce qu’aujourd’hui nous appellerions l’exercice illégal de la médecine confinent trop au corporatisme pour ne pas avoir été inspirées par Jean Vigeant, premier nommé après le président sur le procès-verbal. Une telle intervention, aussi visible, demeure toutefois exceptionnelle : la majorité des chirurgiens dont la présence est attestée n’intervient pas dans les débats. Le monde de la basoche est en revanche omniprésent.

La basoche : le passage obligé

  • 62 Armand Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des États généraux de 1789, Paris, I (...)

79A l’inverse des curés, sa présence est non seulement légale mais impérative. Le règlement royal du 24 janvier stipule en son article 25 que les assemblées paroissiales devaient se tenir « devant le juge du lieu, ou en son absence devant tout autre officier public »62. Cet article qui vise à garantir la légalité ouvre une porte dans laquelle s’engouffrent avocats, notaires, juges, procureurs. La basoche a littéralement monopolisé la direction des débats dans les assemblées paroissiales des provinces à forte présence seigneuriale. Ainsi, dans la sénéchaussée de Rennes (Ille et Vilaine), la basoche s’assure une prépondérance indiscutable puisqu’elle préside 83 % des 379 assemblées qui ont conservé leur procès-verbal. Les plus consciencieux se sont même imposé un rythme soutenu en assurant la présidence de plusieurs assemblées allant jusqu’à six en six jours pour deux d’entre eux. Les assemblées « auto dirigées » y ont en revanche fort rares : elles ne représentent que 8 % de l'ensemble du corpus (villes comprises). Cette situation paraît anormale aux ruraux : en général, le syndic assure la présidence mais il mentionne « l'absence des juges ».

  • 63 Les proportions restent cependant variables : en Eure et Loire par exemple, les hommes de loi ne p (...)

80La basoche a incontestablement pesé – et pas seulement en Bretagne – sur la consultation de 178963. Dans chaque juridiction, le procureur fiscal ou le sénéchal ont reçu l’ordre du roi comme une mission qu’ils étaient honorés de remplir. De leur côté, les communautés souhaitent rédiger un procès-verbal en bonne et due forme, elles se tournent donc naturellement vers les juges, les greffiers et autres avocats qui sont des experts reconnus de tous. Les remarques de Marc Bouloiseau concernant le bailliage de Rouen valent pour d’autres sénéchaussées :

  • 64 Marc Bouloiseau, Les cahiers de doléances du bailliage de Rouen pour les Etats généraux de 1789, P (...)

« il s'agissait de donner aux débats un caractère officiel, et aux opérations électorales une authenticité indiscutable. Le procès-verbal qui conférait aux députés élus le pouvoir de présenter au bailliage les vœux de la paroisse devait revêtir la forme d'un acte juridique qui engageait la responsabilité collective des habitants »64.

81D’ailleurs, les juges présidents ne sont jamais contestés en tant que juristes, mais parce qu’ils sont les hommes du seigneur local : c’est bien leur double fonction que discutent les paysans.

Les leaders locaux : les notables subis et les notables choisis.

  • 65 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

82Les paysans les plus riches, sont également présents dans les communautés comme en témoigne la communauté de Bléruais65 (Ille et Vilaine) qui se réunit le « 6 avril 1789 sous la présidence de maître Pierre Nogues, principal propriétaire roturier de la paroisse ». Riches et cultivés, principaux employeurs et premiers contribuables, ils sont naturellement tentés d’agir. Ils souhaitent peser de tout leur poids sur la consultation. Malheureusement pour l’historien, ces interventions sont aussi certaines que discrètes. Seul le contenu de quelques cahiers comme celui de Thorigné (Ille et Vilaine), en Haute Bretagne, trahit la forte présence des coqs de village. Les habitants s’interrogent en effet sur la nécessité d’imposer les plus pauvres en ces termes :

  • 66 Idem, op. cit.

« ce serait une erreur de vouloir dispenser le bas peuple de participer (aux) impositions suivant ses facultés, parce que cette classe d'individus ne profitera jamais de cet avantage ; un seul exemple suffit à le prouver : tel ouvrier, manœuvre, charpentier, maçon, etc. gagne dans deux jours de quoi subsister pendant une semaine ; il travaille pendant six jours ; la suivante, il dépense au cabaret ce qui lui est resté après son pain payé ; il oublie même ses vêtements. Il serait donc plus qu'extraordinaire de dispenser de faire participer cette classe aux impôts de l’État »66.

83Absent ou en minorité, le quatrième état ne s'est pas manifesté à Thorigné (Ille et Vilaine) mais il ne faudrait pas généraliser trop vite.

84À tous les notables plus ou moins « subis », il faut ajouter les leaders « choisis ». Ces derniers ne sont ni très riches, ni très cultivés, mais ils ont la langue bien pendue et l’assurance que leur confère leur ascendant sur les villageois. Une note à la fin du procès-verbal de Rougé (Loire-Atlantique) montre le climat qui entoure la rédaction des cahiers :

  • 67 Idem, op. cit.

« En cet endroit nous dits habitants attestons que Louis Jeuvre, boucher et cabaretier de sa vaccation et faisant fréquemment lecture des billets de publication en a fait un à l'issue de la grand messe de ce jour, conçu à peu près en ces termes : “Prenez garde à ce que vous allez faire Messieurs du général touchant les affaires du Roi, si vous êtes exilés il en sera bien ri, les petites bonnes gens auront leur tour…”. Interpellé de nous déclarer par l'ordre de qui il a fait cette publication, de qui il le tenait et de qui il était signé, il a répondu qu'il était signé d'Antoine Brosille qu'un passant le lui avait remis et qu'il a pris sur lui d'en faire lecture »67.

85Louis Jeuvre appartient au groupe des « intermédiaires » culturels. Son métier le place au cœur d'un haut lieu de sociabilité : le cabaret, cercle d'échanges, de discussions et de brassage d'idées. Sa culture lui confère un rôle important dans la paroisse, « il fait fréquemment lecture des billets et publications ». La menace de Louis Jeuvre tendrait à montrer que les cahiers ont été rédigés par les notables mais l'allusion à la revanche « des petites gens » atteste de l'influence que les plus pauvres exercent, au moins par leur présence, fut-elle silencieuse. On pourrait multiplier à l’infini les exemples mais l’essentiel n’est pas là : la question fondamentale est de connaître leur rôle au-delà de la simple mise en forme des cahiers.

Le rôle des notables

86Les notables ruraux, de toute évidence, pèsent sur la consultation. Ont-ils pour autant confisquer la parole ? Sont-ils parvenus à canaliser l’opinion au point de la manipuler ? La réponse n’est ni simple ni unique. Les notables et les paysans ont besoin les uns des autres : la carrière des leaders dépend des voix paysannes, inversement, les ruraux réclament la plume des élites. Mais, en même temps, la méfiance est de règle. Dans ce jeu des influences réciproques, les paysans ne sont pas nécessairement les plus démunis. Il ne faudrait pas trop rapidement conclure sur la passivité politique et culturelle des comparants. Chaque paroisse présente un cas particulier où s’établit un rapport de force dépendant à la fois du nombre et de la personnalité des notables, et de la capacité de résistance de la communauté. Si l’étude de chacune des situations est évidemment impossible, on peut, à partir d’exemples choisis, tenter d’élaborer une échelle du niveau d’intervention des élites.

Craintes et dépendances réciproques : de la discrète désapprobation à la dissidence ouverte

  • 68 Sée Henri, Lesort André, op. cit.
  • 69 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

87Ici et là les paysans s’inquiètent de la présence envahissante des élites. L’assemblée de Guitté (Ille et Vilaine) doute ainsi de l'authenticité des cahiers : « l'admission des procureurs fiscaux dans les délibérations a fait manquer plusieurs paroisses, mais ce qui est plus inouï, a trompé la plus grande partie des autres »68. La timidité paysanne à l'égard du seigneur et de ses officiers, la crainte de représailles tempèrent sans aucun doute l’audace des revendications. C’est du moins ce dont est persuadée la communauté de Brain (aujourd’hui Brain sur Vilaine, Ille et Vilaine) lorsqu’elle affirme qu’elle « a peut être tardé à parler des droits de péage dans l'idée que les paroisses voisines en eussent fait mention, mais (elle) a vu qu'une crainte révérentielle les a réduites au silence »69. Les interrogations, les doutes émis par ces deux communautés d’habitants témoignent en fait des capacités de résistance paysanne.

  • 70 See Henri, Lesort André, op. cit.

88Si les villageois se méfient d’une basoche envahissante, les procureurs se plaignent parfois des communautés récalcitrantes et avouent parfois leur incapacité à les dominer. À Saint-Goueno (Côtes d'Armor), l'ancien trésorier qui remplace les juges ordinaires transcrit les vœux exprimés mais ajoute après sa signature : « ouvrage informe mais on ne peut rien attendre de mieux des gens de la campagne ». Au Merzer (Côtes d'Armor) et à Betton, les juges marquent leur désapprobation et « refusent designer ». L’avocat Turquet de Beauregard, président de l'assemblée de Plouaret (Côtes d'Armor) et Vieux Marché, signe mais ajoute : « sans approbation de tous les articles qui attaquent la propriété » Le président de Parcé (Ille et Vilaine), sans doute à l'abri des regards paysans, précise après sa signature : « sans approbation des prétendus torts et griefs portés aux articles 5, 7, 8, 10, 11, 12, et 14 qui paraissent assez mal fondés et ne méritent pas grande attention »70. Deux de ces articles s'attaquent aux droits seigneuriaux. Deux autres sont consacrés aux revenus ecclésiastiques : les paroissiens réclament l'abolition du casuel, des dîmes vertes et refusent de verser les dîmes hors de la paroisse. Les articles 7 et 9 revendiquent l'égalité devant l'emploi ainsi que la suppression des droits de tutelle perçus sur les mineurs. Enfin l'article 5, peut-être le plus important aux yeux des paysans, dénonce les afféagements. Ces vœux, « non fondés » selon les mots du sénéchal qui préside l'assemblée semblent, bien au contraire, très justifiés : les landes de la baronnie de Vitré (Ille et Vilaine) ont bien été afféagées dans la seconde moitié du xviiie siècle, et les décimateurs « étrangers » – les prieurs de la Dauphinais et de Saint-Christophe-les-Bois (Loire-Atlantique) ainsi que les hôpitaux Saint-Nicolas et Saint Yves de Vitré – prélèvent bien une somme annuelle de 600 livres. Les habitants, sûrs de leur bon droit ont bel et bien contraint le sénéchal à écrire leurs plaintes et doléances. S'il refuse de se plier, le notable risque fort de mécontenter la communauté.

89Ces nombreux incidents qui troublent les réunions témoignent de la vigilance des communautés. Dans le meilleur des cas, les mécontents ne craignent pas, une fois le président jugé trop directif parti, d'ajouter un supplément. À Thorigné, un feuillet d'une autre écriture et dépourvu de signatures est épinglé au milieu du cahier. Les auteurs de cette addition exclusivement antiseigneuriale craignent d'éventuelles représailles mais ils parviennent à se faire entendre et à exprimer leur mécontentement.

90Plus autonomes encore, quelques assemblées de paroisses rédigent un second cahier. À Guignen (Ille et Vilaine), le climat paraît très tendu :

  • 71 Idem, op.cit.

« les affiches mises à la porte de l'église furent enlevées nuitamment de Dimanche dernier au lundi […] Monsieur Bouillaud du Fougeray faisant fonction de juge de la Vicomté de Guignen et Joseph Jean Lemoine, procureur fiscal d'icelle, voulant captiver le général ont, à la connaissance publique, cherché à obliger les habitants de leur donner la rédaction de leurs plaintes et leurs voix pour les nommer députés, ce que les habitants ont refusé. En conséquence ils se sont retirés sans vouloir signer »71.

91Là encore, le juge et le procureur fiscal sont renvoyés à leurs occupations, les assemblées se montrent parfois difficiles à manipuler, plusieurs éléments encouragent les habitants à s'opposer aux présidents envahissants.

Les atouts des paysans

  • 72 Roger Dupuy, op.cit., p.1956.
  • 73 Sée Henri, Le sort André, op. cit.

92La campagne électorale fut courte en raison des impératifs du calendrier imposés par le roi. Les sujets ne sont pas démunis pour autant. La crise d’Ancien Régime ne date pas du printemps 1789, les débats sont déjà sur la place publique quand le conseil arrête sa décision de réunir les États généraux. Les campagnes participent déjà pleinement à la pièce qui se joue alors. En Bretagne qui, il est vrai, présente une situation particulière en raison de « la politisation précoce »72 de la province, les idées, les libelles et autres pamphlets circulent déjà depuis 1788. Le général de paroisse a déjà délibéré, il s'est fait une opinion, parfois il a préparé ses doléances. Ainsi, André Joseph Moëzy, sieur du Tertre, procureur fiscal de la juridiction du Pinel, ne risque guère de s'imposer aux habitants de Saint-Germain du Pinel (Ille et Vilaine) qui, dans leur délibération du 2 février, ont déjà exprimé leurs doléances. Cette délibération connaît d'ailleurs un large succès, le général de Brielles (Ille et Vilaine) la reproduit intégralement dans sa délibération du 22 mars, et il s'en inspire onze jours plus tard pour rédiger le cahier de doléances. Ce serait une erreur que d'imaginer les paysans vivant dans un mode clos, à l'ombre de leur clocher, bien à l'abri des influences de la ville, – corruptrices pour les uns, lumineuses pour les autres– comme si les missionnaires, les agents du roi, les routes royales et tant d’autres choses n’étaient que vue de l’esprit. La circulation des idées n'obéit pas aux règles qui commandent le déplacement des hommes. La méfiance à l'égard du « forain » ne signifie en aucune manière rejet des idées venues de l'extérieur. Au contraire, c’est l’isolement qui est ressenti comme anormal. La communauté de Messac (Ille et Vilaine) se plaint ainsi du manque d’information : « ils (les habitants) n'ont reçu aucune instruction de la part de leur recteur ni autre des mémoires et délibérations envoyés de la part des communes de Rennes »73. Les villageois n’entreprennent de rédiger leur cahier « qu’après s’être fait donner lecture par le soussigné des délibérations des 10 paroisses de Rennes ». Les notables n’agissent donc pas en terrain vierge, d’autant plus qu’ils ne sont jamais seuls.

  • 74 Jean Richard, « L’élaboration d’un cahier de doléances : Pierre Claude Perrot, curé de Brazey-en-P (...)

93L’étude menée par Jean Richard74 pour la paroisse bourguignonne de Brazey-en-Plaine (Côte-d’Or) montre bien la concurrence entre les différents notables locaux. Quand se tient la réunion chargée d’adopter le cahier de paroisse, le curé, Pierre Claude Perrot, déjà très impliqué dans les affaires de la communauté, propose, en tant que porte-parole et porteplume habituel de la communauté, un projet de cahier. La mise en débat contraint cependant le curé à modifier son œuvre. Grâce à une étude précise et détaillée de chacun des articles, Jean Richard a pu reconstituer l’ébauche du modèle proposé et il montre comment Perrot a dû composer avec d’autres leaders aux vues différentes. Jean Richard peut conclure avec certitude :

  • 75 Jean Richard, op. cit., p. 22.

« ce cahier, Perrot n’a pas été le seul à le composer. Dans ses rédactions successives, il trahit l’intervention d’autres personnages : Le fermier Philippon, riche laboureur en froid avec son curé, mais passionné pour les lectures de caractère politique et soucieux, lui aussi, d’exprimer son opinion par écrit ; peut-être aussi l’abbé Thomas, qui est dissimulé, à nos yeux, par l’ombre de son curé. Et sans doute aussi tel ou tel membre de la communauté, qui, par son intervention au cours de l’assemblée générale ou bien auparavant, a amené Perrot à modifier sa rédaction »75.

94Ce cas souligne combien il est difficile de faire l’opinion.

  • 76 Tous ces cahiers sont publiés par See Henri, Lesort André, op. cit.

95Louis Julien Filly du Perray, sénéchal de la baronnie d'Orgères (Ille et Vilaine) en Haute Bretagne en fait l'expérience en se rendant à Goven (Ille et Vilaine). Président de l'assemblée de Bréal (Ille et Vilaine) le 1er avril, il participe, comme sa signature l'atteste, à la réunion de Lassy (Ille et Vilaine) qui se tient le même jour76. Lors de cette dernière, il dirige les débats à sa guise puisque les deux cahiers sont rigoureusement identiques. Quand il se rend le lendemain à Goven (Ille et Vilaine), il espère contrôler l'assemblée. Il prépare même ses feuillets : l'article 1 du cahier de Lassy porte en effet la mention de « Goven » mais le mot est raturé et remplacé par « Lassy ». La rédaction du cahier avait donc précédé la discussion mais les habitants de Goven sont déterminés, ils refusent le cahier proposé par Filly et proposent de donner lecture d'un cahier qu'un certain monsieur de Miniac avait rédigé pour eux. Devant le refus d'obtempérer du président, les 11 trésoriers se transportent à Rennes (Ille et Vilaine) pour se plaindre des agissements de Filly du Perray devant le sénéchal de la ville. L'officier de justice de Rennes leur remet une lettre adressée au sénéchal de la baronnie d'Orgères. Mais Pierre Cloteaux, qui s’en était chargé, l'égare en chemin. Cette disparition semble bien obscure : on s'étonne en effet de voir ainsi une pièce si importante, obtenue après une démarche à Rennes, se perdre aussi facilement. Néanmoins, décidés à convoquer l'assemblée électorale mais « craignant que les difficultés ne fussent renouvelées », ils prient le nommé Guyet, écrivain, de les accompagner à Goven. Filly du Perray étant absent, « l'écrivain » peut en toute quiétude rédiger un troisième cahier empruntant largement à ceux de Bruz (Ille et Vilaine) et d'Orgères (Ille-et-Vilaine), l'un et l'autre conçus dans des assemblées présidées par Pierre Joseph Besnard, procureur fiscal de la baronnie d'Orgères. Les ruraux ne sont donc pas démunis face à la toute puissance du sénéchal, la longueur de son nom et le nombre de ses titres ne les impressionnent pas. Ils savent trouver des « écrivains », ils n'hésitent pas à se rendre à Rennes et, pour s'assurer d'être bien entendus, ils chargent leur député, Pierre Cloteaux, celui qui avait perdu la première lettre, de remettre un double de leur cahier au sénéchal de Rennes en personne. Ce document là, notre député ne le perd point ! Les paroissiens de Goven (Ille et Vilaine) utilisent des modèles, ils font appel à des médiateurs, ils manient une langue qui n’est pas la leur, mais le cahier est bien à eux. Ils ont trouvé le moyen de se faire entendre en dépit des pressions exercées par le président.

96De plus, les élites ne sont pas toujours hostiles aux paysans : elles partagent même, dans une large mesure, leurs préoccupations. Fils de leur siècle, les serviteurs de Dieu, les hommes de loi et de l’art sont souvent animés d'un réel souci de bien public. Pris entre leur culture, les aspirations paysannes et la fidélité à l'égard de leur employeur, les officiers seigneuriaux sont dans une situation plus délicate. Jacques Nais, à Plessala (Côtes d'Armor), ne prend pas de risques : « seul officier sur les lieux, il refuse de souscrire en l'absence du sénéchal et du procureur fiscal de la juridiction du Rochay ». À Baguer Pican (Ille et Vilaine), le cahier est l’œuvre de Gilles Joseph Marie, notaire de la paroisse. Lors d'un procès criminel le 7 août 1793, il déclare pour se disculper que « le ci-devant comte de Noyan avait trouvé mauvais qu'il eût écrit le cahier de doléances de Baguer Pican et tenu à ce sujet des propos durs, il cessa de fréquenter cette maison et fut même trois ans sans parler au ci-devant comte ». Confronté à un procès où il met sa vie en jeu, l'accusé exagère sans doute son rôle. Mais, le cahier montre qu’en dépit de ses relations avec le comte, le notaire s'est montré capable de prendre ses distances. Il a mis sa culture et ses talents au service des paroissiens. Ainsi l’article réclamant le droit de tuer les pigeons est peut-être venu de l'assemblée mais ceux qui évoquent « les restes gothiques de la vassalité et les lois admirables de l'Angleterre » n'ont sûrement pas été formulés en ces termes par les habitants.

  • 77 Sée, Henri, Lesort André, op. cit.
  • 78 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

97Même s’il souhaite diriger les débats, le notable doit composer avec les paysans qui sont sûrs de leur bon droit : ils obéissent en effet à la volonté du roi. La destination des cahiers donne une garantie supplémentaire aux villageois. Tout notable trop envahissant contrarie le souverain qui veut consulter le plus modeste de ses sujets. S’opposer à cette volonté toute puissante, c’est commettre, en quelque sorte, un crime de lèse majesté que le second cahier de Bain (Bain-de-Bretagne, Ille et Vilaine) se charge de dénoncer. Les habitants multiplient les témoignages de fidélité, ils se disent « très contents d'obéir au roi ». La lecture « des lettres publiées à la grand-messe a soulevé l'enthousiasme », même s'ils demeurent persuadés « qu'il y avait des endroits qui avaient été ôtés en plusieurs mots »77. La lettre royale constitue un bouclier qui les met à l’abri des menaces d'un modeste seigneur ou de son procureur fiscal. Les habitants de Plélan (Ille et Vilaine), qui ne rédigent pas moins de trois cahiers, se disent ainsi « très contents de payer environ 10 000 livres de capitation, fouages et vingtième au roi »78 pour mieux dénoncer la fiscalité seigneuriale. Au-delà des effets de rhétorique, la remarque souligne combien le souverain pèse sur la consultation.

98Tous ces incidents, toutes ces allusions montrent les limites de l'influence exercée par les présidents ou les notables, mais combien de paroisses ont vu s'exercer la « tyrannie » d'un agent seigneurial ? Combien de paysans sont restés frustrés, leur révolte rentrée ? Sans doute ne sont ils pas si nombreux. La maladresse d'un président ou une situation locale provoquent des tensions ici et là mais, ces cas particuliers, pour spectaculaires qu'ils soient, ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. La majorité des cahiers résulte de concessions de part et d'autre, les habitants crient leur colère ; le notable qu’il soit président, greffier ou simple assistant atténue, enveloppe, nuance, en un mot il transcrit et, ce faisant, par la force des choses, il infléchit, tempère ou accentue. Ce passage nécessaire de l'oral à l'écrit contraint les communautés à rechercher un médiateur, il ne peut pas en être autrement dans le contexte culturel de 1789. Les intermédiaires les plus habiles ne se contentent cependant pas du rôle de médiation. Dans le théâtre des élections du printemps 1789, ils sont aussi les souffleurs, voire les auteurs, des pièces qui se jouent « au lieu ordinaire des délibérations ». L'étude comparée des cahiers produits par les assemblées présidées par un même homme nous permet de mieux cerner le rôle d'inspirateur de celui qui est chargé de diriger les débats.

99Les notables et les communautés : état du rapport de force à travers l’exemple des « présidences multiples » de la sénéchaussée de Rennes

Méthode

100Pour les 370 cahiers de doléances de la sénéchaussée de Rennes (Ille et Vilaine), nous avons recensé tous les cas de « présidences multiples » ainsi que toutes les réunions électorales dirigées par un président dont la présence est attestée en tant que comparant ordinaire dans une autre assemblée. Certaines paroisses présidées par la même personne n'ont pas rédigé de cahier. Saint Léger (Saint-Léger-des-Prés, Ille et Vilaine), Lourmais (Ille et Vilaine) et Lanrigan (Ille et Vilaine) par exemple, déclarent toutes les trois, dans les mêmes termes, adhérer aux délibérations de Rennes. Le président a manifestement confisqué la parole et nous en sommes d'autant plus convaincus qu'un de ses collègues en a fait autant à Saint-Sulpice-la-Forêt (Ille et Vilaine) et à Mouazé (Ille et Vilaine) ; mais la dernière paroisse s'est empressée de rédiger un cahier une fois le président parti.

  • 79 Il s’agit de la proportion d’articles originaux par rapport à l’ensemble des articles du cahier.
  • 80 See Henri, Lesort André, op. cit.

101En ajoutant ces différents cas particuliers, nous parvenons à regrouper 101 assemblées pour lesquelles il devient possible de mesurer l'influence du président. Pour chacun des cahiers retenus, nous évaluons un « degré d'autonomie » exprimé en pourcentage. On compte pour cela le nombre d'articles empruntés aux cahiers rédigés antérieurement. Si un article présente quelques nuances de forme, il est néanmoins considéré comme recopié. En revanche, ceux qui proviennent d'un autre modèle sont comptés comme originaux dans la mesure où l'assemblée manifeste son autonomie à l'égard du président. Une fois fixées ces règles, un calcul très simple 79 nous permet d'établir un « degré d'originalité ». Les cas évidents de parole confisquée, comme à Saint-Sulpice-la-Forêt, sont classés parmi les cahiers intégralement inspirés par le président qui présentent un « degré d'originalité » de 0 %, le cahier de Mouazé, rédigé après coup, figure au contraire parmi les cahiers originaux à 100 %. Reste cependant le cahier de Bléruais80 (Ille et Vilaine) : les comparants, en lutte avec le procureur fiscal chargé de diriger leur assemblée ainsi que celle de Saint-Maugan (Ille et Vilaine), refusent le modèle proposé, désignent eux-mêmes Noguès, procureur fiscal de Saint-Senoux (Ille et Vilaine), comme président. Ils l'élisent député et adoptent le cahier que celui-ci avait rédigé pour Saint-Senoux. Nous avons bien là une copie intégrale, mais volontaire ; ce cahier est bien original à 100 % par rapport à celui de Saint-Maugan (Ille et Vilaine).

Résultats : l’échelle d’intervention du notable président

102L'étude de ces 101 assemblées peut se traduire par la figure 6. Trois ensembles inégaux se distinguent nettement : un quart des assemblées laisse le président agir à sa guise, un autre quart rejette catégoriquement le modèle proposé et manifeste ainsi une totale autonomie, les autres parviennent à rédiger des cahiers qui sont le résultat d'un échange entre l'animateur des débats et les comparants. Le président propose, l'assemblée discute, amende, adopte, rejette ou ajoute. L'apport de chacun varie au gré des situations, les assemblées les plus soudées et déterminées s'imposent, les plus indifférentes laissent agir l'homme de loi, tout dépend des conditions locales, de l'existence ou non de problèmes spécifiques dans la paroisse et surtout de la personnalité du président, de son adresse, de ses talents d'orateur, de sa capacité à convaincre. La basoche joue donc un rôle déterminant, parfois même exclusif. Si les acteurs des « présidences multiples » sont représentatifs de l’ensemble des notables, un quart des cahiers de doléances ne seraient que le reflet de la pensée de l’élite ! Néanmoins, ce n'est là que la vision la plus pessimiste, l'adoption du modèle du président peut traduire un souci d'efficacité : les préoccupations des Français ne se rejoignent-elles pas au-delà des situations locales ?

Figure 6 Le rôle du président d’assemblée.

Degré d’originalité des cahiers rédigés au cours d’assemblées à présidence multiple

Degré d’originalité des cahiers rédigés au cours d’assemblées à présidence multiple

Conclusion : médias, médiateurs et opinion publique

103Même s’il est légitime de comparer les élections de 1789 à celles qui suivirent, les cahiers de doléances et la convocation des États généraux de 1789 restent un moment unique de notre histoire. Le cahier doit être lu pour ce qu’il est : le résultat d’un referendum, pris naturellement dans son sens premier de consultation et non de vote. Ni collection d’opinions individuelles, ni simple somme de desiderata adressés au prince tout puissant, les cahiers de doléances ont été écrits collectivement lors de réunions prévues à cet effet. Dans ces conditions, il est tout à fait naturel que les modèles circulent et que les notables émergent. Toutes proportions gardées, les cahiers témoignent aussi bien de l’état de l’opinion pour la fin de l’hiver 89 que nos élections ou nos sondages le font aujourd’hui. Par leur rang social, les élus de 1789 n’étaient sans doute pas représentatifs de leur société. Mais les élus d’aujourd’hui le sont-ils mieux ? Les modèles de 1789 ne sont pas plus stéréotypés que les discours électoraux.

  • 81 Sauf en Bretagne où les cahiers des charges pour les députés du Tiers sont écrits avant les doléan (...)

104Les médias et les médiateurs ont changé. Ils se nomment aujourd’hui hommes politiques, journaux, radio, télévision. Sans se lancer dans un autre débat, médias et médiateurs d’hier ne font pas plus l’opinion que ceux d’aujourd’hui ou de demain. Fruits de leur temps, les cahiers de doléances offrent beaucoup plus de liberté qu’une lecture trop rapide pourrait le laisser croire. Pour la première81 et la dernière fois de son histoire, l’électeur ou plutôt la communauté électorale de base, a composé elle-même son programme en puisant ici et là idées et formules. C’est bien cette liberté du sujet citoyen qui fait tout l’intérêt de cette source.

Notes

1 Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviiie siècle, Paris, Seuil, 1992, 317 p. ; Keith Baker, « Politique et opinion publique sous l’Ancien Régime », AESC, janvier-février 1987, p. 4147. ; Keith Baker, Au tribunal de l’opinion. Essai sur l’imaginaire politique au xviiie siècle, Paris, trad., 1992. ; The french Revolution and the creation of Modern Political Culture, vol. I, The political culture of old Regime, Londres, New York, Toronto, 1987. Sarah Maza, « le tribunal de la nation : les mémoires judiciaires et l’opinion publique à la fin de l’Ancien Régime », AESC, janvier-février 1987, p. 7390.

2 Keith Baker, « Politique et opinion publique sous l’Ancien Régime », AESC, janvier-février 1987, p. 44.

3 Keith Baker, art. cit., p. 44.

4 Christian Jouhaud, Mazarinades : La Fronde des mots, Paris, Aubier, 1987, 287 p.

5 L’expression est extraite de la lettre de convocation du 24 janvier 1789.

6 Le mot est celui du roi dans la lettre de convocation du 24 janvier 1789.

7 Ce sont, notamment, les mots de l’historienne américaine Béatrice Hyslop dans son Répertoire critique des cahiers de doléances pour les Etats Généraux de 1789, Paris, 1933, 669 p.

8 Gilbert Shapiro, John Markoff, Bulletin d’histoire de la Révolution Française, Années 19901991, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1992, p. 1970.

9 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », The french Revolution and the creation of Modern Political Culture, vol. I, The political culture of old Regime, Londres, New York, Toronto, 1987, p. 375-386.

10 Ran Halévi, « La monarchie et les élections : position des problèmes. », ibid., p. 387401.

11 Ran Halévi, ibid., p. 388.

12 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », ibid., p. 375. La thèse de Serge Bianchi, Vie, pratiques et sociabilité politiques en milieu rural dans le sud de l’Île-de-France (Essonne et Val-de-Marne), Université de Paris I, 1995, 4 volumes dactylographiés, remet cette affirmation en cause, pour deux départements franciliens.

13 Ces précieuses informations sont tirées du volumineux ouvrage d’Armand Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des États généraux de 1789 d'après les actes de la convocation conservés aux Archives nationales, Paris, 18941915, 4 volumes.

14 Ibid.

15 Ran Halévi donne quelques exemples dans « La monarchie et les élections : position des problèmes. », ibid. p. 393.

16 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

17 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

18 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

19 Le cahier d’Herbigny est publié in Blossier A., Cahiers de doléances du bailliage de Honfleur, Caen, 1913, p. 113115. Ce document exceptionnel, au-delà du cas de Jacques Domin, seul habitant de la paroisse, témoigne de l’état d’esprit des Français en ce printemps 1789.

20 See Henri, Lesort André, op. cit. Les deux assemblées ont été présidées par le sénéchal de la juridiction : Jacques Jean Merdrignac.

21 Ces exemples se trouvent dans Sée Henri, Lesort André, op. cit.

22 Lettre de convocation du 24 janvier.

23 Duhet, 1789, Cahiers de doléances des femmes et autres textes, Paris, Des Femmes, 1981, p. 31.

24 Elles sont pour la plupart champenoises.

25 Ran Halévi, art. cit., p. 394.

26 Ran Halévi, ibid.

27 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

28 On ne sait cependant pas si tous les analphabètes présents ont apposé leur marque.

29 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Nous soulignons.

30 François Furet, « La monarchie et le règlement électoral de 1789. », ibid., p. 376.

31 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Nous soulignons.

32 François Furet, « Les États généraux de 1789 : deux bailliages élisent leurs députés. » Conjoncture économique et structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse, Paris, La Haye, 1974, p. 433-448.

33 Denis Jeanson, Cahiers de doléances. Eure et Loire, t.I, Denis Jeanson éditeur, Tours, 1990, p. 13.

34 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

35 Sée Henri, Lesort André, op. cit. Pour les habitants de cette paroisse la rédaction du cahier n’a, semble-t-il, pas suscité de réunion extraordinaire. Le général de paroisse composé de 12 « délibérants » constitue le corps politique de la paroisse et représente ordinairement la totalité (la généralité) des paroissiens.

36 Sée, Henri, Lesort André, op. cit.

37 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

38 Ran Halévi, art. cit., p. 394.

39 H. Taine, op. cit.

40 Habituellement, l’historien est contraint de faire la démarche inverse : il reconstitue ou tente de reconstituer le modèle à partir des cahiers de base.

41 Voir annexe 1, p.347-349.

42 Le (ou les) auteurs de ce cahier type sont restés anonymes.

43 Alain Croix, « Bonheur et santé ! Regard culturel sur les cahiers de doléances du pays Nantais », Populations et cultures, Études réunies en l’honneur de François Lebrun, Rennes, AFL, 1991, p. 434.

44 Alain Croix, ibid.

45 Avec 45 cahiers, l’échantillon ne se prête qu’à une étude qualitative.

46 À titre indicatif, 6 des 45 cahiers du diocèse s’inspirent des charges.

47 Dupuy Roger, op. cit., p. 1956.

48 Le Mené Michel, Santrot Marie Hélène, Cahiers de plaintes et doléances de Loire-Atlantique en 1789, Nantes, 1989, p. 33.

49 Laurent Gustave, op. cit. Le procès-verbal mentionne vingt noms auxquels il faut ajouter trois présents qui n’apparaissent que par leur signature. On peut constater, là encore, la relativité des données chiffrées.

50 Le modèle n’a pas été retrouvé, on ne sait donc pas combien il comportait d’articles en tout.

51 Sée Henri, Lesort André, op.cit.

52 Tous ces cahiers sont publiés par Sée, Henri, Lesort André, op.cit.

53 Gilbert Shapiro et John Markoff, Bull. de la Com. d’Hist. de la Rev. fr., 1990-1991, p. 1970.

54 Pour une approche plus précise des emprunts, on se reportera à l’annexe 2, p. 349.

55 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

56 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

57 Christian Kermoal, Intermédiaires culturels et élites paysannes à la veille et au début de la Révolution, (l’exemple du Trégor, 17701780), communication au séminaire de doctorat de A. Croix. L’auteur rencontre ce recours au modèle en 1786 dans la paroisse de Trédrez. Il s’agissait alors de formuler la réponse à la question du Parlement de Rennes sur la manière de soulager les pauvres.

58 Anne Fillon, Louis Simon villageois de l’ancienne France, Rennes, Ouest France, 1996, p. 93.

59 Les habitants de Guignen (Ille et Vilaine) accusent le président de l’assemblée de « captiver » le général de paroisse.

60 Michel Le Mene, Marie Hélène Santrot, Cahiers des plaintes et doléances de Loire Atlantique, Nantes, 1989, Conseil général, T.I, p. 287.

62 Armand Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des États généraux de 1789, Paris, Imprimerie Nationale, 1894-1915, p. 77.

63 Les proportions restent cependant variables : en Eure et Loire par exemple, les hommes de loi ne président qu’un peu plus de 40 % des assemblées. In Denis Jeanson (éditeur), Cahiers de doléances de la région Centre. Eure et Loire, Tours, Denis Jeanson, 1990, p. 12.

64 Marc Bouloiseau, Les cahiers de doléances du bailliage de Rouen pour les Etats généraux de 1789, Paris, PUF., 1960, T. I, p. LXIX.

65 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

66 Idem, op. cit.

67 Idem, op. cit.

68 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

69 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

70 See Henri, Lesort André, op. cit.

71 Idem, op.cit.

72 Roger Dupuy, op.cit., p.1956.

73 Sée Henri, Le sort André, op. cit.

74 Jean Richard, « L’élaboration d’un cahier de doléances : Pierre Claude Perrot, curé de Brazey-en-Plaine », La Révolution en Côte d’Or, publication du Comité départemental pour l’histoire économique et sociale de la Révolution française, Nouvelle série, fasc. 11.

75 Jean Richard, op. cit., p. 22.

76 Tous ces cahiers sont publiés par See Henri, Lesort André, op. cit.

77 Sée, Henri, Lesort André, op. cit.

78 Sée Henri, Lesort André, op. cit.

79 Il s’agit de la proportion d’articles originaux par rapport à l’ensemble des articles du cahier.

80 See Henri, Lesort André, op. cit.

81 Sauf en Bretagne où les cahiers des charges pour les députés du Tiers sont écrits avant les doléances.

Table des illustrations

Titre Tableau 1 : La comparution des paroisses aux assemblées bailliagères 14 (157 bailliages étudiés)
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Titre Tableau 2 Quelques exemples de « participation électorale » en 1789
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Titre Figure 2 : Cahiers originaux et cahiers inspirés d’un modèle dans la sénéchaussée de Rennes (370 cahiers étudiés)
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Titre Figure 3 : La diffusion des « Charges d’un bon citoyen de campagne » dans la sénéchaussée de Rennes
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Titre (163 cahiers étudiés)
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Titre Baguer-Morvan, Lanvallay et Saint-Judoce
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Titre Degré d’originalité des cahiers rédigés au cours d’assemblées à présidence multiple
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