Témoignages. Militants du monde ouvrier
p. 169-183
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Index géographique : France
Texte intégral
1Au cours d’une table ronde animée par Brigitte Waché, plusieurs militants du monde ouvrier ont apporté leurs témoignages sur les conditions de leur rencontre avec la JOC, sur leurs engagements ultérieurs et sur l’importance de la formation acquise au sein des mouvements d’action catholique. Un échange avec les participants au colloque a permis d’insister ensuite sur quelques points particuliers dont plusieurs sont repris ici après les témoignages proprement dits.
Rencontre avec la JOC
2Madeleine Le Dantec – Mon appartenance à la JOC remonte à 1947. Mais j’ai un cursus qui est peut-être différent des autres. Je suis issue d’un milieu rural. J’ai commencé à faire de la JAC et j’ai découvert l’ACO lorsque j’avais vingt ans. Donc c’est tout à fait différent des autres militants. J’ai découvert la JOC au cours de journées d’études1 et, en 1948, j’ai été engagée volontaire dans un gros milieu de travail. J’ai choisi de m’engager dans un milieu de travail, parce qu’à la JOC, il y avait des militants dans les petites entreprises, dans la confection, dans les bureaux, mais il n’y avait personne dans les gros milieux de travail. J’ai pris la décision de m’embaucher. C’est ce que nous appelions l’action au travail et je suis partie dans une entreprise avec 1 000 salariés parmi lesquels on embauchait 200 femmes.
3La JOC avait deux objectifs : porter témoignage et en même temps se fondre dans le milieu ouvrier et prendre vraiment ses conditions. Pour moi, j’avoue que venant du milieu rural, ça m’a été difficile de connaître le milieu ouvrier, de prendre les conditions du milieu ouvrier. Premièrement il y a eu une coupure avec ma famille qui ne comprenait pas que je puisse travailler en usine et deuxièmement que j’allais y perdre la foi. Après, m’insérer dans le monde ouvrier parce qu’il y avait 200 femmes, c’était du travail au rendement, il faut se faire accepter, être l’une d’entre elles et ensuite prendre des responsabilités au point de vue syndical.
4Jean Le Dantec – Ma rencontre avec la JOC est un peu bizarre, parce que j’ai été militant sportif. J’ai commencé par le sport. Je me suis trouvé responsable d’une association sportive qui s’appelle toujours la Jeanne d’Arc. J’étais entraîneur, animateur, joueur, etc. Et je suivais quand même la JOC à travers une équipe de copains que j’ai rencontrés par ailleurs et j’ai découvert la JOC, surtout à partir du vingtième anniversaire en 1947. 1947 au Mans, ç’a été un grand boom parce que la fête qui a eu lieu sur le plan religieux à La Couture et sur le plan « ambiance » aux Jacobins était quelque chose d’impressionnant, puisqu’on avait réussi à réunir plus de 12 000 jeunes à ces différentes réunions. C’est surtout à partir de ce moment-là que j’ai découvert la JOC.
5Marie-Thérèse Vesque – Pour moi, c’est complètement différent. J’étais apprentie lingère-couturière chez les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, Grande Rue, et on était encadré par des jeunes ; on était trois ou quatre apprenties et la personne qui m’a formée, Paulette, était militante jociste, responsable de la section JOCF du Pré. Elle m’a demandé de venir à une réunion de la JOC. Je ne pouvais pas refuser. J’ai été à la réunion. C’était en 1937, et c’était la préparation du dixième anniversaire de la JOC à Paris, au Parc-des-Princes. C’est là que ça m’a marqué, parce qu’il fallait préparer des chants, des chœurs parlés et on avait des uniformes. Il fallait des jupes bleu-marine, des corsages blancs et l’insigne de la JOC. On avait reçu l’insigne. Et ç’a été formidable au Parc-des-Princes, parce que c’était bondé et il y avait la messe dans le centre du Parc-des-Princes, avec tous les chœurs parlés et tous les témoignages de jeunes. Voilà comment je suis arrivée à la JOC.
6Maurice Beaudor – Je suis né en 1921, dans une famille qui était chrétienne de tradition. J’ai donc suivi l’évolution normale à l’époque et je suis passé par le stade communion, confirmation, tout ce qui était, disons, normal, qui faisait partie de la société du moment. Je me suis trouvé à douze ans. À l’époque, à douze ans la vie écolière était terminée, on passait très rapidement à la vie ouvrière et c’était vraiment une frontière à franchir. Je suis donc rentré en apprentissage à quatorze ans comme serrurier du bâtiment et j’avais préalablement fait du scoutisme. Mais la vie de travail était telle qu’il y avait une fracture entre le scoutisme et la vie ouvrière et je ne trouvais pas dans le scoutisme ce dont j’avais besoin au niveau de la vie ouvrière.
7Je suis venu à la JOC en 1938 par le biais d’un camarade et j’ai été très accroché par Cardijn et sa façon d’aborder les problèmes : « Sois fier ouvrier ! ». Et je crois que c’était vraiment à l’époque une option. J’ai continué la JOC de 1938 à 1944. J’ai été responsable fédéral pendant la guerre et c’est à la JOC que j’ai connu ma femme2 qui elle-même a été, pendant la guerre, responsable d’une partie de la Bretagne au niveau fédéral. Après 1944, j’ai complètement rompu puisque je suis parti militaire rejoindre l’armée de Lattre de Tassigny et j’ai été absent du Mans jusqu’en 1949 car j’étais en occupation.
8Mais la JOC m’a apporté trois choses qui ont toujours été mes pilotes. D’une part, croire en l’homme, respecter l’homme, apprendre qu’on ne faisait rien sans les autres et qu’il fallait les autres pour réaliser quelque chose, et une méthode de réflexion : « voir, juger, agir ». Je crois que ç’a m’a toujours servi dans toute ma vie militante.
9Pierre Piau – En ce qui me concerne, mon premier contact avec la JOC est très banal et correspond beaucoup à des centaines de jeunes de mon âge, c’est-à-dire que, lorsque je suis rentré au travail à quinze ans, j’ai été mis en contact par un directeur de colonie de vacances à laquelle j’avais participé, la colonie de Perseigne, avec un jociste du Vieux Mans. J’habitais sur le quartier de la cathédrale. Mon père était petit fonctionnaire. Je n’avais donc jamais eu de contact avec le monde ouvrier. Ce premier contact avec la JOC s’est fait dans le Vieux Mans. Ça m’a d’ailleurs frappé parce c’était, à cette époque-là surtout, un quartier très défavorisé et la première action qui a été menée a été une action de solidarité. Après, je me suis orienté vers la politique. Mais pour en revenir à ce que disait Maurice, il est vrai que cette méthode de « voir, juger, agir », qui était d’ailleurs commune à tous les mouvements spécialisés d’action catholique, a bien marqué notre vie et nous a permis de prendre des positions et d’y voir plus clair.
Engagements ultérieurs
10Madeleine Le Dantec – Avant de préciser l’engagement que j’ai eu dans mon milieu de travail, je voudrais signaler aussi que la JOC avait une branche « loisirs » et je ne voudrais pas passer à côté parce que j’ai rencontré une de mes amies qui travaillait en même temps que moi à l’usine, mais qui était dans les bureaux. Comme elle était responsable de la branche « loisirs », nous avons organisé pendant les quinze jours de congés payés que nous avions, des camps de vacances. Bien sûr en bicyclette pour rayonner et en train pour les grands trajets. Nous partions peut-être à sept, huit ou dix. Cela a permis à de jeunes travailleuses de découvrir la montagne. Nous avons fait la presqu’île du Cotentin, nous avons fait les Alpes et nous avons fait les Pyrénées. Et nous faisions ça en quinze jours. C’était formidable, parce que nous les connaissions sur le milieu de travail et en plus, il y avait tout de même une découverte de loisirs, pour des jeunes qui n’avaient jamais vu ni la mer, ni la montagne. C’était donc très intéressant pour nous.
11J’ai été syndiquée à la CFDT, CFTC à ce moment-là, et j’ai travaillé quatre ans dans l’usine dont j’ai parlé tout à l’heure. J’ai eu des responsabilités syndicales, comme déléguée du personnel, au comité d’établissement, et comme j’étais la seule femme parmi tous les hommes ouvriers qui étaient de la CGT, j’ai donc été responsable de la commission sociale. C’était très intéressant pour moi, parce que, étant responsable des colonies de vacances, de choses comme ça, ça me permettait d’aller dans les familles ouvrières. Je serai comme mes camarades, au sujet du « voir, juger et agir », je dois beaucoup à la JOC. Pour moi, ç’a été une autre façon de connaître le milieu ouvrier, voir aussi, c’était ça que la JOC nous disait, de voir qu’en tout homme c’était le Christ qu’on voyait et pour nous, ç’a été formidable.
12J’ai donc été quatre ans dans cette usine et je menais le combat ouvrier avec celui qui est devenu mon mari, mais qui était, lui, dans les blouses blanches, qui était dans les techniciens, et moi j’étais au bas de l’échelle et pendant quatre ans nous avons mené cette bagarre ensemble au point de vue syndical, jusqu’à notre mariage.
13Après mon mariage, j’étais au PSU. À travers les différentes scissions, une branche familiale s’est constitué pour devenir la Confédération syndicale des Familles. J’y suis toujours adhérente. En même temps j’ai été vice-présidente et administrateur de l’UDAF qui est l’Union départementale des Associations familiales, qui regroupe l’ensemble. Je crois que c’est à peu près tout. J’ai abandonné mes responsabilités l’année dernière au point de vue de l’UDAF. Je suis toujours adhérente à la CSF et, en plus, on le verra après, je suis toujours à l’ACO.
14Jean Le Dantec – Mon épouse vient un peu de raconter notre jeunesse. Et il est certain que le fait d’avoir eu des contacts avec la JOC d’abord et après en usine dans un milieu syndical (puisque j’étais également à la CFTC devenue CFDT par la suite) m’a mis dans une situation difficile. Car d’un côté, il y avait les blouses blanches dans les services administratifs, services techniques et autres, et de l’autre les bleus qui étaient dans l’usine, sur les machines, et disons, avec des responsabilités peut-être beaucoup plus matérielles qu’on pouvait l’avoir dans les bureaux. Il y avait quand même à l’époque plus de 1 000 salariés et je vous assure que c’est pas toujours évident d’arriver à faire le lien entre deux tranches bien distinctes : les blanches et les bleus. D’où la difficulté de se retrouver et d’avoir une action commune, parce qu’on se retrouvait également après en JOC et on se retrouvait dans les grèves etc. Le conférencier précédent, M. Launay, a signalé toutes les grèves qu’il pouvait y avoir dans la région nantaise. Je peux dire aussi que, sur le plan de la Sarthe, sur le plan du Mans, puisque Le Mans était quand même la plaque tournante de l’industrie en Sarthe, le nombre de mouvements sociaux qui ont eu lieu a été très important et les syndicats étaient très sensibilisés à cette action qui était menée.
15Marie-Thérèse Vesque – Je n’ai pas eu tout à fait ce même parcours parce que moi, j’ai été à la JOC de 1937 à 1945. Donc j’ai vu toute la période de la guerre. On était plutôt axé, nous, sur le quartier. Quand je suis revenue du congrès de 1937, on m’a demandé de créer des sections, de prendre contact avec ma paroisse, pour arriver à faire une section de JOC. Et là, il a fallu, avec le clergé, discuter, et trouver des éléments pour créer une section jociste. Il fallait trouver un local, il fallait bagarrer. Moi qui étais très timide, j’ai peiné à prendre contact avec les uns et les autres. Et ç’a été une action de quartier, parce qu’il y a eu les bombardements, les réfugiés arrivaient de l’Est. La paroisse Sainte-croix avait mis à notre disposition un grand local qui servait de patronage, avec cuisine rue de L’Évantail. Chacun participait au logement de passage pour ces réfugiés. Et on s’était mis en relation avec le Secours national qui faisait une récolte de vêtements et on triait les vêtements. On prenait des jeunes de nos quartiers et on allait trier les vêtements Avenue Olivier Heuzé. Et on a eu une action formidable, c’était surtout sur les employés de maison. On habitait Sainte-Croix et les employés de maison étaient exploités à cette époque-là. Il n’y avait pas de congés ni rien, alors on a créée des contacts avec les employés de maison et on avait une forte majorité d’employés de maisons à la JOC sur Sainte-Croix, puique j’appartenais à Sainte-Croix.
16Maurice Beaudor – Je crois que j’ai parcouru un peu tout l’éventail des activités qu’on peut avoir dans une vie. Je me suis marié en 1948 avec une responsable fédérale de la JOC qui au niveau national était responsable d’un secteur de la Bretagne. Nous sommes rentrés d’Allemagne fin 1949 et il a fallu nous réintégrer dans le milieu manceau. En 1950, on a, à une quinzaine de couples, – j’insiste beaucoup sur le terme couple parce que sans le couple, rien n’aurait été possible – mis en route l’ACO. C’était pas très évident ce pivotement de la JOC vers un mouvement adulte. Ce n’était pas écrit. Il a fallu l’arracher. Donc nous avons sur ce plan-là fait de l’ACO, et l’ACO nous a – je dis personnellement, mon couple – beaucoup donné.
17Au niveau de l’engagement temporel, je suis rentré à la Régie Renault en février 1950 en tant que syndicaliste, pour tenter de renouer les fils car la CFTC de l’époque avait été démantelée par la direction et il ne restait que quelques camarades. À l’époque, la Régie Renault représentait 3 500 personnes. J’y suis rentré pour une période relativement courte qui était convenue avec l’organisation. Et puis, finalement, j’y suis resté trente-deux ans. J’ai fait tout le périple du militant ouvrier, c’est-à-dire délégué du personnel, délégué du comité d’établissement, délégué au comité central d’établissement, représentant syndical. J’ai donc parcouru sur les trente-deux ans tout l’éventail des responsabilités syndicales et je dois dire que c’est la JOC qui m’a permis de faire ce parcours, parce que les points, les jalons, les points-phares, c’est elle qui les avait fixés. J’ai donc fait tout un parcours syndical. Parallèlement, en 1950, on était dans la crise du logement. Je rentrais d’Allemagne. Nous avons lancé à une quarantaine de camarades une opération « castors » qui pendant quatre ans nous a tenus et nous avons fait quarante logements. Parallèlement à ça, j’ai été, je dirais, simple adhérent à la fois du MRP dans les années 1950-1955, puis, le monde ouvrier étant ce qu’il était, et la confrontation avec nos camarades de la CGT et de FO ont fait que j’ai glissé progressivement vers la FGDS, pour ceux qui à l’époque se souviennent, et puis au PSU, pour finalement échouer au PS que j’ai d’ailleurs quitté il y a une vingtaine d’années quand je suis parti en retraite. Mais ça c’est une autre histoire.
18Donc notre vie de couple a couvert tout l’éventail syndicaliste, politique, et ma femme était très engagée dans la partie familiale. Elle a été à l’origine, pour les Manceaux, du démarrage de l’Office des personnes âgées du Mans. Elle en a été la secrétaire jusqu’à son décès. Et nous avons eu quatre enfants. Donc le rôle de la femme n’était pas de rester à la maison et de faire la cuisine. Il a fallu partager pour équilibrer chacun nos engagements. Et je crois que sans le couple, je n’aurais pas réalisé la trajectoire que j’ai réalisée. Le syndicalisme m’a beaucoup donné. Je lui ai donné, mais il m’a beaucoup appris.
19En 1981, j’ai quitté la Régie : soixante ans, retraite. Les retraités, au niveau de l’organisation syndicale, étaient très mal représentés et l’organisation n’avait pas perçu l’importance que prendrait la retraite. Donc en février 1981, j’ai démarré péniblement une section syndicale de retraités à la Régie Renault. Il faut dire que, au mieux de sa forme, vers 1970, la Régie Renault comprenait 11 000 personnes et que la section syndicale CFDT qui avait remplacé la CFTC comprenait à l’époque entre 1 000 et 1 100 adhérents.
20En 1970, l’organisation syndicale m’a demandé de remplacer l’administrateur qui était à la CRI (Caisse retraite interentreprises) que nous avions créée en 1955 à la Régie. J’ai donc été administrateur de la CRI juqu’en 1984 et j’ai participé aux assemblées générales de la CRI jusqu’au décès de ma femme en 1995.
21J’ai donc parcouru l’éventail des activités et tout ça grâce à la JOC, je le dis, et grâce aussi à plusieurs aumôniers. Combien de fois, à la sortie de l’usine (car j’ai travaillé trente-deux ans en équipes alternées : après-midi, matin nuit), quand j’étais du matin, avant de rentrer à la maison, je passais voir le père Marc Bourge et tous les deux on faisait le bilan. Je dois beaucoup à Marc Bourge. Je dois beaucoup au père Jean-Marie Mossand, jésuite qu’un certain nombre d’entre vous ont connu, car quand j’étais à Paris, je profitais de mes temps plus ou moins libres pour aller voir le père Mossand à la chapelle de la gare Montparnasse. Donc l’Église, en tant que prêtres, m’a beaucoup soutenu. Je n’en dirai pas autant au point de vue de la hiérarchie. Je me rappelle de nos rapports entre l’ACO et le cardinal Grente et ça n’était pas de la bibine comme on dit vulgairement. L’ACO a, en Sarthe, couvert et aidé beaucoup de camarades, et elle eu une grosse influence sur le militantisme. Elle a entretenu le militantisme et entretenu le respect des hommes. Je dois dire que dans ma carrière syndicale plus d’une fois nous avons rendu service à des copains, plus d’une fois on m’a reproché de ne pas avoir syndiqué ces gens-là mais mon optique a toujours été de dire : « L’homme, l’homme toujours, et l’homme on doit le respecter. » Les adhésions, on ne les arrache pas, les gens y viennent parce qu’ils y croient. Je crois que tout ça sans cette JOC et sans cette ACO, je ne l’aurais pas réalisé seul.
22Pierre Piau – J’ai un parcours un peu identique à celui de Marie-Thérèse Vesque, sauf que nous ne couvrons pas tout à fait la même période, puisque moi je n’ai pas connu du tout l’avant-guerre. Aussitôt après mon entrée à la JOC entre 1941 et 1948 et surtout pendant la période de l’Occupation, il y a quand même eu un certain nombre d’actions. D’ailleurs c’est ce qui m’a permis de prendre conscience que j’appartenais à un milieu ouvrier que je ne connaissais pas du tout et ça m’a donné la fierté d’appartenir à ce monde. Les actions ont surtout été menées dans les quartiers, bien sûr, par appartenance aux équipes d’urgence dont tu parlais tout à l’heure, en cas de bombardements, actions sur une période assez courte d’ailleurs de collage de tracts entre autres contre la réquisition des femmes par l’armée allemande, puisqu’elles étaient réquisitionnées pour aller faire des travaux de couture à l’usine de La Plume exactement. Donc tout ça a permis de grosses discussions ; et tous les faits des quartiers – puisque nous travaillions surtout sur les quartiers – étaient ramenés le soir, une fois par semaine en réunion, ce qui permettait, avec notre aumônier qui était à ce moment-là le chanoine Breteau que beaucoup de Manceaux connaissent bien, de voir à la lumière de l’Évangile comment nous pouvions interpréter ce que nous pouvions y faire.
23Aussitôt après la guerre, évidemment, il y a eu des temps forts et Jean Le Dantec évoquait tout à l’heure 1947. Je pense que nos camarades ruraux se souviennent également de 1947 puisque c’était une journée, plus exactement un week-end qui avait été pris pour les mouvements d’action catholique et notre slogan au départ était de dire, nous serons plus de 10 000, c’est d’ailleurs ce qui s’est réalisé comme a dit Jean tout à l’heure. Mais par la suite, l’activité s’est orientée davantage vers un organisme familial qui était le MPF (Mouvement populaire des familles) d’abord, qui est devenu par scission le MLP (Mouvement de libération du peuple) qui avait surtout une connotation politique. Et là nous avons travaillé très sérieusement parce que nous sommes entrés en relation avec des gens de la nouvelle gauche, avec le PSU, ce qui nous a mis en contact avec un certain nombre de professeurs du lycée technique et autres, et par conséquent nous a obligés aussi, nous, à aller dans ce sens-là. C’est pourquoi souvent nous avons eu affaire au professeur Georges Jean qui était à ce moment-là professeur de lettres à l’École normale au Mans, pour venir en formation, pour décortiquer un article de journal, décortiquer un livre, ainsi de suite, pour nous permettre d’améliorer notre formation.
24Ensuite, mon parcours après le MLP a été bien sûr la CSF, la Confédération Syndicale des Familles, et surtout l’Action familiale, c’est-à-dire l’action vers le maintien à domicile puisque j’ai participé à cette association, d’abord en tant qu’administrateur ensuite en tant que président pendant un certain nombre d’années. Et cela m’a permis de participer à la vie nationale de cet organisme par le conseil d’administration national et ainsi de suite. Mon parcours est donc très limité, très court.
25Marie-Thérèse Vesque – Pour moi, ç’a s’est passé de 1937 à 1945. À la JOC, on a eu une formation qui nous a permis de sortir de nous-mêmes et après, en 45, je me suis mariée avec un responsable de la JOC. Et c’est là qu’a commencé toute notre action. Au départ on était au MPF, c’est-à-dire le Mouvement Populaire des Familles. Il y avait des anciens dirigeants qui étaient plus âgés que nous et qui étaient dans différents organismes familiaux, syndicaux ou politiques. Ils nous ont contactés sitôt qu’on a été mariés. Ils nous ont dit : « Vous n’allez pas rester tranquilles, vous venez nous aider. » On nous a demandé de lancer un service de travailleuses familiales pour aider les familles lors des naissances, car les mamans accouchaient chez elles. Or nous, on avait une formation, mais on n’avait pas un bagage terrible. On a démarré un service de travailleuses. Naturellement, sur un plan national, il y avait des services de travailleuses familiales dans tous les départements. Il a fallu qu’on prenne contact, qu’on fasse des statuts. On nous a donné des statuts, on a été aidé. Il a fallu faire des démarches, aller voir les directeurs des caisses d’allocations. On a passé des conventions avec différents organismes qui étaient sur la place de la ville : ç’a été les cheminots, ç’a été les caisses agricoles, etc. Pour ce service de travailleuses qu’on a tant bien que mal démarré, il fallait former les travailleuses, il fallait trouver des jeunes filles, les envoyer en école. Il y avait des écoles qui naturellement ont été suivies et puis, on a fait ce qu’on a pu et maintenant, ce qu’il faut reconnaître, c’est que le service de travailleuses familiales a drôlement évolué et c’est le service de l’aide à domicile de la rue Nationale. Petit à petit ç’a a monté et maintenant, c’est un grand service3. On a démarré avec deux travailleuses, trois, quatre.
26Ensuite, on a suivi toute la filière des amis : MLP, UGS et PSU. Et on a fait une action après la guerre au sujet des jeunes foyers parce que beaucoup se sont mariés et il y avait la crise du logement. Alors on a participé aux réquisitions de logements par la préfecture et on a squatté – d’ailleurs ce qui nous a valu des difficultés – les maisons de passe de la rue des Pans Gorron… On a logé au moins cinq ou six familles et là, le propriétaire a porté plainte, la police est venue et on nous a emmenés dans un panier à salade. On a tous été dans le panier à salade à la police et mon mari a été poursuivi et on a été au Palais de Justice à Angers. Mais le propriétaire n’aimait pas les maisons de tolérance et mon mari a été relaxé. Mais comme les logements étaient libres depuis plusieurs années, les familles sont restées rue des Pans Gorrons, jusqu’à ce que la transformation du Vieux Mans se fasse petit à petit.
27On a créé aussi un mouvement des jeunes foyers. Là on s’est adressé à des gens qui n’étaient pas chrétiens, des laïques, ils sont venus. On a fait des statuts, il y avait des cheminots, il y avait du monde et on a squatté aussi des logements. Il y a même eu une toile de tente qui a été mise devant le théâtre, d’une famille qui n’avait pas de logement. Et puis on a aidé les réquisitions. Alors tout ce qu’on voyait comme maison qui était libre et qui avait des pièces en plus, on mettait la réquisition dessus. Voilà un peu le parcours qu’on a eu.
28Pierre Piau – Je voudrais simplement apporter une petite précision, un supplément d’information à ce que tu as donné tout à l’heure. C’est que pendant toute la période du MLP (Mouvement de Libération du peuple), il y a eu tout ce travail de militants qui a été fait, ç’a été par exemple, le dimanche matin, d’investir un quartier, et de tirer toutes les sonnettes pour aller vendre notre journal et expliquer un petit peu notre point de vue sur des problèmes politiques.
Importance de la formation dans le cadre de la JOC et de l’ACO
29Jean Le Dantec – Je voudrais insister autant sur les engagements ultérieurs que sur la formation. Parce qu’il y a toujours eu une continuité de la formation, tant au niveau de la JOC que de l’ACO. C’est une continuité dans les différentes sortes de formation parce que, à la JOC comme à l’ACO, il y a d’une part l’agir et d’autre part, la réflexion et l’action. Pour les responsables, il y a toujours eu à la JOC des sessions intensives, si on peut dire, au niveau d’une région. Je me rappelle avoir été à l’île Berder (pour ceux qui sont de la Bretagne et qui connaissent bien le coin du Morbihan) où on faisait nos formations d’une semaine sur le plan de la région, au niveau de la JOC. Après il y a eu également une formation, au niveau, par exemple de l’ACO, parce que, que ce soit à la JOC ou à l’ACO, il y a toujours une double vision : d’un côté on tient les chaînes du monde ouvrier, de l’autre côté on tient les chaînes de l’Évangile et de notre responsabilité apostolique. Sur un point ou sur un autre, il y a toujours une formation. Elle est quelquefois différente parce que, sur le plan professionnel, on a souvent des responsabilités professionnelles ou syndicales. Mais aussi, sur le plan apostolique, il y a toujours des sessions, même des formations bibliques puisque de plus en plus, on fait une formation biblique pour ceux qui le souhaitent, bien sûr, pour réfléchir un peu à nos responsabilités et voir d’où on vient sur le plan apostolique parce qu’on accroche l’Ancien Testament après le Nouveau Testament et c’est très important et pour l’ACO et pour nous qui sommes membres de l’ACO.
30Maurice Beaudor – Au niveau de l’ACO, elle nous a permis de mettre sur la table notre vie de militants et de voir si nous étions chrétiens dans cette vie de militants. Je crois que ça, c’est un aspect qui marque. C’est cela qui nous a permis, en louvoyant, de faire le point entre notre insertion dans la vie et notre vie de chrétiens. Je vous dirai simplement qu’un jour, et ça marque, mon fils discutait avec sa mère et j’ai voulu me mêler de la discussion, mon fils m’a dit : « Toi, ferme-la, tu n’étais jamais là. » Et je vous jure que ça m’a marqué.
31Pierre Piau – Au sujet de la formation, je crois que ce qui est très important bien sûr, c’est la formation religieuse, la formation qui a été apportée, mais c’est tout ce que la participation à la vie d’un mouvement nous a apporté sur un plan humain, sur un plan culturel, à tout point de vue. Et moi je sais que personnellement si je me retourne et que je vois le chemin parcouru, je me demande quelquefois : « Qu’est-ce que je serais devenu si je n’avais pas rencontré la JOC ? » Certainement, elle m’a apporté. Bien sûr, il a fallu donner, mais si on met les deux choses dans le plateau de la balance, on est gagnant encore, on a reçu beaucoup plus qu’on a pu donner.
32Marie-Thérèse Vesque – La JOC nous a apporté une formation personnelle, une assurance face aux problèmes qui se présentaient à cette époque, nous qui sortions d’un milieu primaire. Elle nous a marqués aussi en nous aidant à faire passer un message religieux moderne et à bousculer les traditions.
Discussion4
Les aumôniers
33Pierre Piau – Il a déjà été question de la formation des aumôniers qui accompagnaient les équipes de JOC ou ACO. Aujourd’hui, c’est vrai, il existe quand même une formation. Les prêtres qui sont chargés d’aider les équipes ont peut-être reçu une formation, ce qui était beaucoup moins vrai il y a vingt ans. À la limite, les prêtres, dans les paroisses, qui voulaient favoriser la vie d’une section aussi bien jaciste que jociste, c’était tout simplement leur sensibilité personnelle qui les attirait vers ces problèmes d’action catholique. Voilà ce que je pense.
34Marcel Launay – À Nantes, c’est clair, il y avait des gens qui étaient initiés.
35Pierre Piau – Moi, je n’en suis pas convaincu du tout en ce qui concerne le séminaire.
36Marie-Thérèse Vesque – Il y a eu des prêtres qui ont été formidables. Il y a eu le père Lucas qui était un jésuite et aumônier fédéral de la JOC en 1942-1944 ; il y a eu le père de La Roncière, aumônier fédéral de la JOCF à la même époque ; il y a eu un tas de prêtres qui étaient compréhensifs et qui nous ont beaucoup aidés quand même.
37Pierre Piau – C’est vrai, mais c’est par leur volonté. Je veux dire encore c’est leur sensibilité qui les a poussés vers ça.
38Maurice Beaudor – Les prêtres de paroisse étaient dans pas mal de cas, dans les années 50-70, dépassés par les problèmes que leur posait l’ACO. Par contre, il y en a plusieurs qui nous ont insufflé la volonté d’avancer. Je me suis toujours reposé la question que Gilbert Declerq5 posait : tenir les deux bouts de la chaîne. Et ça, ce n’était pas facile.
39Pierre Piau – Pour ce qui est de la formation des prêtres, je ne sais pas exactement ce qu’était la situation juste avant la guerre. Mais si on prend les écrits, la Dépêche du Maine, par exemple qui était un journal du diocèse du Mans, si on prend des réflexions qui ont été apportées en 1936, au moment du vote du Front populaire, il est clair que la position de la hiérarchie d’une part et que la position des séminaristes qui ont été mobilisés pour faire des bandes, pour envoyer du courrier, ils n’avaient pas du tout avancé dans ce domaine-là.
40Marcel Launay – Il y a quelque chose de très important. C’est pour ceux des prêtres qui sont partis au STO et qui ont été marqués par le STO et qui en revenant n’ont plus supporté aussi facilement la formation « sulpicienne » qu’on leur destinait, et qui, eux, se sont engagés. Pour certains, le STO a été quelque chose de tout à fait important.
41Pierre Piau – Parce qu’ils ont pris contact avec le milieu ouvrier à ce moment-là.
42Il y a un problème aussi qu’on n’a pas évoqué du tout et qui tient une place très importante dans le développement de l’ACO et dans l’évangélisation du monde ouvrier, c’est le problème des prêtres ouvriers, qui mériterait d’ailleurs à lui tout seul une discussion. Mais enfin, là encore, la position des hiérarchies a été totalement différente. En ce qui concerne le diocèse du Mans, on ne peut pas dire qu’on ait été tellement gâté et favorisé dans ce domaine-là tant qu’on a eu Monsieur le cardinal… Après ç’à été.
43Madeleine Le Dantec – Le père Alix, ç’a été très bien quand même. Remplaçant le cardinal et le père Chevalier, le père Alix a pris des positions sur la condition ouvrière en Sarthe qui ne lui ont pas apporté que des sympathies dans différents milieux. Notre aumônier d’ACO ayant eu un accident de la circulation, c’est le père Alix qui a assuré l’intérim et qui se déplaçait à la maison pour préparer les réunions du comité diocésain ACO.
44Maurice Beaudor – Oui, mais après la mise en place des pères jésuites Lucas et de La Roncière, les choses n’ont pas été faciles, tant s’en faut. L’arrivée des prêtres ouvriers (Noël Barré, Joseph Boudot, s.j.) a ouvert la voie, avant que la hiérarchie nous dise « je voudrais avoir, moi, dans mon diocèse, un prêtre du diocèse qui soit P.O. » Ça n’a pas été facile.
45Marie-Thérèse Vesque – Pour revenir aux prêtres ouvriers, ils ont souffert, parce qu’ils ont pas été admis. Il y en a qui sont partis et qui n’ont jamais accepté la condamnation de l’Église.
46Jean Le Dantec – Si vous le permettez, je voudrais ajouter juste un mot, pour dire que, sur le plan local, d’ailleurs c’est vrai partout dans d’autres départements, il y a une Mission ouvrière qui s’est créée en 1982-1983. Il est certain que cette Mission ouvrière regroupe des prêtres ouvriers, des religieuses en monde ouvrier, l’ACO, les jeunes de Fripounet et Perlin, le GREPO, toutes les parties vivantes de l’Église locale sont réunies et se retrouvent dans cette Mission ouvrière.
À propos du STO
47Pierre Piau – Lorsqu’il s’agit de notre parcours propre, il est évident que nous n’avons pas été assujettis ni mobilisés ni réquisitionnés pour le STO. Mais il y a tout de même un certain nombre de nos copains, ne serait-ce que celui auquel je faisais allusion tout à l’heure qui m’a amené à la JOC, André Bouvet, entre autres, est mort en déportation. Il y a beaucoup de nos copains qui ont été appelés au STO et qui, effectivement, pour un certain nombre, malheureusement, ne sont pas revenus d’Allemagne.
48Marie-Thérèse Vesque – Moi j’ai travaillé à la manufacture de gants chez Philippe. Comme coupeurs de gants, de 1939 à 1944, chez Philippe rue Notre-Dame, à Sainte-Croix, il n’y avait que des femmes. À une époque, les Allemands voulaient prendre les femmes chez Philippe, les emmenaient à La Plume, et de La Plume, elles partaient en Allemagne. Les patrons de Philippe, ont passé un marché avec les Allemands, pour éviter que les femmes partent en Allemagne, parce qu’on n’était pas sûres ne pas y aller à cette époque-là. C’était en 1943. Elle a préféré passer un accord avec les Allemands, travailler, faire des gants pour les Allemands, plutôt qu’on parte en déportation. Ça, ç’a été net et clair chez Philippe.
49Maurice Beaudor – En 1941, j’ai été deux fois déporté par Todt pour aller à Lorient sur la base des sous-marins. Deux fois j’ai pris la porte et j’ai été me réfugier pendant une période de six mois dans la zone interdite où on était pratiquement, disons, le plus tranquille. Et à mon retour je suis rentré à la SNCF et pendant deux ans j’ai été à la réparation des machines et puis, chauffeur de route, et ensuite sur le triage du Mans, remise en état de ce qu’on pouvait remettre en état (mai-juin 1944).
50Marcel Métivier – Pour revenir au STO, une précision : le milieu rural était bien plus verni que vous, dans le sens que ceux qui étaient appelés au STO trouvaient à se camoufler à vingt kilomètres. Et il y avait des échanges quelquefois de gens de vingt kilomètres qui venaient chez nous, etc. Ils n’avaient pas de cartes d’alimentation, bien entendu. Il ne fallait pas qu’ils soient pris, ils se camouflaient, mais ils aidaient dans les travaux de la ferme ou autres et ils mangeaient, pour la bonne raison que les agriculteurs pendant la guerre étaient moins malheureux en nourriture que vous.
51Pierre Piau – Il faut reconnaître qu’on a contribué à planquer dans le milieu de la JAC un certain nombre de gens qui étaient réfractaires au STO, qui étaient envoyés en permission et qui oubliaient de repartir. On les mettait dans des fermes. On en a mis dans le Bélinois, il y en a eu à côté de Lisieux, enfin il y en a eu un certain nombre.
52Marie-Thérèse Vesque – À Laigné-Saint-Gervais, etc.
53Marcel Métivier – On n’était pas très loin de la Mayenne. Des échanges se faisaient entre l’est de la Mayenne et nous, le nord-ouest sarthois, si vous voulez, à l’initiative de gens qui étaient quelquefois des anciens combattants de 14-18 et qui n’aimaient pas les Allemands à ce moment-là.
54Marie-Thérèse Vesque – Oui, vous nous avez beaucoup aidés.
55Maurice Beaudor – Je suis rentré à la SNCF, parce que, à l’époque, la SNCF servait à planquer le maximum de jeunes pour éviter qu’ils aillent en Allemagne.
L’engagement syndical détourne-t-il de l’engagement politique ?
56Jean Le Dantec – Je vais citer un fait personnel. Le maire du Mans, pendant quatre mandats, a été un maire communiste. J’avoue qu’on a été très bien géré sur le plan municipal mais la question sur laquelle je voulais m’expliquer, ce maire, Monsieur Robert Jarry, m’a convoqué un jour non pas à la mairie mais au parti communiste parce qu’il voulait des chrétiens présents dans la prochaine liste, pour son prochain mandat. Il est vrai qu’il y avait peut-être des idées de nombre de votes ! Mais il est certain quand même que j’ai été contacté. On a discuté pendant plus d’une heure ou une heure et demi avec Monsieur Jarry et on a essayé de se comprendre. Je lui ai expliqué : « J’ai une responsabilité au niveau départemental sur le plan syndical, il est difficile, compte tenu de mes responsabilités (n’oubliez pas qu’à l’époque on faisait 48 ou 50 heures quand ce n’était pas 55 heures de travail par semaine… c’était pas 35 heures !) de tenir une branche syndicale et en même temps de pouvoir prendre un engagement politique dans une municipalité. »
57Madeleine Le Dantec – Au point de vue de l’engagement politique, j’ai d’abord été demandée par le MRP et quelques années après j’ai été demandée par quelqu’un du PSU qui était sur une liste. Mais je pense que si je n’ai pas pris un engagement politique, enfin, si je n’ai pas été au conseil municipal, c’est parce que j’avais un engagement autre part et je crois que c’est un choix. Ce n’est pas une question d’idée, mais c’est parce que j’étais engagée, j’avais un choix familial et je n’ai pas été sur un plan municipal.
Action catholique et vie paroissiale
58Maurice Beaudor – Il est sûr que l’on a été écartelé pendant toute une période parce que les contacts avec la CGT étaient difficiles mais ils n’étaient pas admis dans toute une partie de la chrétienté locale, des paroisses. Je peux vous donner une petite anecdote. Quand Monsieur Maury a demandé le renouvellement de son mandat au niveau de maire du Mans, moi, en tant que syndicaliste, j’ai signé une pétition pour soutenir Monsieur Jarry qui à ce moment-là présentait son premier mandat. Si vous connaissez l’église Saint-Martin, sur le parvis de l’église Saint-Martin, je me suis fait accoster un dimanche matin et quelques personnes m’ont dit : « Qu’est-ce que vous venez faire ici, vous n’y avez pas place ? »
59Madeleine Le Dantec – Du point de vue du clergé, les aumôniers d’action catholique, les aumôniers de la JOC ne posaient pas de problème. Au-delà, j’ai eu la chance d’avoir sur le milieu de travail où j’étais qui était la paroisse de la Cité des Pins, une équipe de prêtres qui étaient venus là et qui m’ont facilité la tâche. J’avais des réunions de la JOC sur le plan local et j’avais aussi des réunions avec les jeunes du quartier, mais parce que cette équipe me favorisait l’entrée du milieu.
60Marie-Thérèse Vesque – Il faut reconnaître que ce n’était pas facile parce qu’on militait, on faisait des actions avec le parti communiste, on était au mouvement de la Paix, autrement, on n’était pas tellement aidé. Certains prêtres nous aidaient, mais la paroisse, non. La paroisse, non. Moi, j’ai pas été aidée par la paroisse. C’étaient des aumôniers de la JOC ou de l’ACO qui nous aidaient.
Notes de bas de page
1 Sur sa rencontre avec la JOCF, Madeleine le Dantec a l’occasion de préciser : « Après avoir été un peu vers le scoutisme, je découvre la JOCF par le biais des employées de maison, qui étaient vraiment des bonnes à tout faire, des filles paumées, en 1947. Engagée uniquement l’après-midi pour promener des enfants dans un milieu aristocratique, je fus surprise par ce monde superficiel de l’argent, qui ne connaissait ni la valeur ni la dignité des employées qui étaient à leur service.
À une journée d’études organisée par la JOCF, j’ai été frappée par les propos tenus par une responsable JOCF : “Nous n’avons pas de militantes dans les grandes usines.” J’ai donc ressenti ceci comme un appel. Je suis partie à la recherche d’un travail dans une grosse boîte. »
2 Paulette Monceau-Beaudor (1921-1995) adhère à la JOC en 1937, devient responsable fédérale de la Sarthe en 1939 et permanente animatrice de la JOCF de Bretagne du 21 septembre 1941 au 30 mars 1946. Plus tard elle devient membre responsable de l’ACO en Sarthe jusqu’à son décès le 22 mars 1995. Entre-temps, elle a épousé Maurice Beaudor le 17 janvier 1948. Elle adhèra au MPF (Mouvement populaire des familles) créé en 1941 et devenu MLP (Mouvement de libération du peuple) en 1950. Lors de la scission de 1951 qui débouche sur la création du MLO (Mouvement de libération ouvrière), elle devient responsable départementale de ce mouvement. Elle milite à la Confédération nationale des associations populaires familiales, structure née en 1952 dans le sillage du MLO, qui se transforme en 1976 en CSCV (Confédération syndicale du cadre de vie) où Paulette Beaudor exerce des responsabilités jusqu’en 1986. Parallèlement, elle participe à une expérience Castors entre 1950 et 1954 et elle contribue activement à la mise en place de l’OPARM (Office des personnes âgées et retraitées du Mans) qui regroupe une quarantaine d’associations et sert d’interface entre les administrés et la ville. (Cette note a été rédigée à partir d’informations fournies par Maurice Beaudor.)
3 À ce sujet, Pierre Piau précise : « L’association d’aide aux familles dont tu as parlé tout à l’heure, d’aides ménagères, à laquelle tu as participé pour le démarrage, est une association qui actuellement existe toujours bien sûr, mais gère quand même 500 salariés. Donc c’est une affaire qui est devenue très très importante. »
4 Comme pour la table ronde des militants du monde rural, les échanges de la discussion ne sont pas retranscrits intégralement. Seuls les passages correspondant aux développements les plus substantiels sont reproduits. Les principaux thèmes abordés sont annoncés par des sous-titres en italiques.
5 Sur Gilbert Declercq, militant nantais, voir supra la communication de Marcel Launay, « Les militants de l’Action catholique ouvrière dans le diocèse de Nantes de 1950 à 1975 ».
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