1Les points de rencontre entre deux historiographies, l’une concernant les femmes et/ou le genre, l’autre la religion, assez étrangères l’une à l’autre, surtout pour la période contemporaine, se multiplient aujourd’hui. Non seulement les chercheurs classés en histoire religieuse se sont intéressés aux femmes, mais les spécialistes de l’histoire des femmes prennent davantage en considération, et de façon beaucoup plus complexe, leurs options religieuses1. Du côté catholique, entre les sœurs du xix^e siècle, revues par Claude Langlois et les militantes de l’Action catholique au siècle suivant, les dames d’œuvres ont été redécouvertes2 et les débuts du militantisme catholique féminin étudiés. Plus particulièrement, Odile Sarti a effectué une étude générale sur la Ligue patriotique des Françaises3 (LPDF) et Bruno Dumons a consacré plusieurs articles à la Ligue des femmes françaises4 (LFF) en attendant son ouvrage de synthèse. Une recherche à l’échelle d’un département offrait-elle alors un intérêt suffisant, d’autant qu’il n’existe de fonds propres ni dans les archives publiques ni dans les archives diocésaines et que la quête de fonds privés supposait une enquête de plus longue durée5 ? Trois raisons incitaient cependant à y aller voir de plus près : l’adoption d’une échelle limitée et son apport possible6, encouragée par le fait qu’Odile Sarti évoquait à plusieurs reprises le Morbihan mais à peine le Finistère ; le parti tiré par d’autres chercheurs et personnellement, pour d’autres sujets, des sources imprimées ; enfin, l’idée que le diocèse de Quimper et de Léon, terre de chrétienté et doté d’une presse catholique étoffée, ne pouvait ignorer et passer sous silence la constitution d’organisations catholiques féminines. Six publications, dont les caractéristiques principales sont résumées par commodité dans un tableau sommaire, ont donc été dépouillées. Une question préalable s’imposait : qu’entendre par militantisme ? L’expression attribuée à une intervenante d’Ergué-Gabéric, en 1912, « à genoux pour prier le Christ, debout pour le défendre7 », pouvait fournir une définition satisfaisante et servir de fil conducteur. Les éléments de réponse aux trois interrogations suivantes : comment cette presse parle des femmes de la fin des années 1890 à 1914, quelles indications elle fournit sur le militantisme féminin dans le diocèse de Quimper et de Léon, quelles peuvent être les données éclairant l’état des lieux ainsi établi, structurent les trois parties de cette étude.

Tableau des périodiques finistériens systématiquement dépouillés entre 1898, ou le début de leur publication, et 1914

2Note 88

Les femmes vues par la presse catholique locale

3Trois temps se dégagent à propos de l’évocation des femmes à la fin du xix^e siècle. Au tournant des années 1890-1900, les femmes en tant que telles ne sont guère visibles dans les quatre parutions consultées déjà existantes. L’emploi de l’universel masculin9 est particulièrement frappant dans La Semaine Religieuse. Dans son contenu rédactionnel, le mot « femmes » n’apparaît en évidence qu’à une seule occasion, pour annoncer les retraites qui leur sont réservées, la distinction des sexes restant la règle. En dehors de ce cas, il est question des fidèles, des paroissiens, des pèlerins, toujours de façon asexuée. Quand des femmes individualisées font l’objet de mentions particulières, il s’agit surtout de religieuses et, plus secondairement, de dames bonnes chrétiennes au moment de leur décès. La même présentation asexuée se retrouve dans Le Courrier du Finistère tandis que La Résistance et L’Écho paroissial, publications plus urbaines, sont davantage amenées à évoquer les dames d’œuvres. À partir de sa fondation, en 1898, le journal brestois10 donne une information régulière sur les œuvres féminines, de l’ordre d’une douzaine, depuis l’œuvre des catéchismes jusqu’au comité des œuvres de mer ou à l’œuvre militaire, Brest oblige. L’Écho paroissial fournit des renseignements sur les membres, les objectifs et les activités. Parfois, le dévouement de telle ou telle est souligné, ainsi celui de l’amirale Barrera, « la providence des pauvres et soutien de nos œuvres11 », regrettée à son départ, mais les cercles d’études comme les conférences d’actualité sont réservés aux hommes et la Fédération brestoise des sociétés catholiques, formée en 1901, n’accorde pas plus de place aux femmes. De fait, celles-ci sont surtout prises en compte comme catégorie dans les annonces publicitaires, notamment pour les médications, et lorsque La Semaine religieuse reprend, dans son numéro du 11 janvier 1901, un article intitulé « l’apostolat de la femme », il s’agit de manière très classique de l’apostolat domestique « de la femme chrétienne au foyer trop souvent nul et trop timide ».

4Il est donc possible d’estimer que le tournant constaté dans les années 1901-1903 n’est pas ici précédé d’un appel à une mobilisation féminine sortant de son rôle habituel. Ce tournant accompagne ou suit l’action des femmes, signe d’une certaine autonomie de celle-ci. Elles sont mentionnées désormais en raison de leur place et de leur rôle dans la résistance face à la politique de Combes et de la constitution de mouvements spécifiquement féminins. Alors que l’historiographie souligne aujourd’hui comme un trait essentiel l’ampleur et le degré de la mobilisation des femmes12, les journaux catholiques font simplement un constat de leur présence dans les manifestations de 1902, de leurs actes, des procès qui leur sont parfois intentés, sans réflexion particulière sur ce point. Ne font-elles pas partie des fidèles ? En la matière, les journaux républicains et les rapports de police se montrent plus sensibles à cet aspect féminin, exprimant le plus souvent un effet de surprise13, parfois une dénonciation. L’appel de la LFF, créée le 29 septembre 1901, paraît assez rapidement dans La Semaine religieuse du 1^er novembre qui le publie « bien volontiers » mais sans autre commentaire. Deux semaines plus tard, La Résistance du 16 novembre fait paraître l’« émouvant appel » de la LFF en vue des élections en précisant que cette ligue n’est pas un mouvement féministe. Il faut attendre le 2 mars 1902 pour une première mention dans L’Écho paroissial avec, cette fois, la précision que la Ligue se place sur le terrain constitutionnel. La LPDF, fondée en mai 1902, semble évoquée pour la première fois dans La Résistance du 5 juillet où la LFF prévient ses adhérentes qu’il s’agit d’une œuvre « entièrement distincte ». L’Écho paroissial en fait une mention le 25 janvier 1903. La Semaine religieuse, après avoir reproduit dans son numéro du 28 février 1902 « L’appel aux chrétiennes de France » lancé par un groupe de chrétiennes de Lille et approuvé par la hiérarchie, dont M^gr Dubillard, évêque de Quimper, ne revient aux ligues féminines que plus d’un an après. La LPDF est présentée en tant que telle dans le numéro du 12 juin 1903.

5À partir de cette année-là jusqu’en 1914, l’évocation des femmes ne cesse plus et s’enrichit pour trois raisons principales, qui paraissent tenir de l’évidence, si ce n’est que le dépouillement même de la source permet précisément d’en faire le constat. Les femmes ont, tout d’abord, poursuivi au fil du temps leur participation au mouvement protestataire, suscité par la fermeture des écoles, les mesures de laïcisation des hôpitaux, les enlèvements de crucifix puis les inventaires, les expulsions des séminaires et presbytères, la « chasse aux femmes14 », qui s’étend pour le moins jusqu’en 1912. Les femmes sont aussi plus présentes car il y a désormais prise en compte du sexe féminin dans les considérations sur l’action possible des femmes catholiques, la condition des femmes qui travaillent ou l’enjeu qu’elles représentent sur ce plan15. Enfin, œuvrer dans les ligues dont la création est permise par la loi sur les associations de 1901 est reconnu comme la forme spécifique du militantisme catholique au féminin. Il paraît significatif que, dans l’énumération des œuvres de la paroisse Saint-Louis de Brest en 1914, la LPDF soit située à part des œuvres de piété, de bienfaisance et d’enseignement. Elle est considérée comme l’œuvre « de propagande16 » et les expressions « d’apostolat de la femme » et « d’action catholique » lui sont réservées. De fait, l’évocation « des femmes » dans la presse catholique étudiée passe avant tout, quand ce n’est pas quasi exclusivement, par le biais des ligues. La femme militante se trouve là, alors que la paroissienne charitable qui n’y adhère pas ou la manifestante occasionnelle, qui elle aussi « prie et est debout », n’ont pas la même image.

Le militantisme féminin
dans le diocèse de Quimper et de Léon

6Il s’agit ici d’apprécier l’information que les journaux analysés permettent d’obtenir sur l’implantation locale des ligues féminines et sur leurs caractéristiques. À vrai dire, la différence de traitement est telle entre la LFF et la LPDF que l’usage du pluriel n’est pas sans poser problème. Les indications sur la LFF s’avèrent, en effet, des plus réduites. L’Écho paroissial évoque brièvement l’antenne brestoise appelant à une union de prières pour les élections législatives de 1902 et à l’exercice du chemin de croix pour les municipales de 1904. La Résistance fait plus longtemps référence au mouvement en 1901, 1903, 1908, 1911 mais il s’agit simplement d’en réitérer l’appel sans guère de commentaires. Alors que l’on pouvait s’attendre à une place plus grande pour la LFF de l’amirale de Cuverville, dont le mari représente le Finistère au Sénat de 1901 à 191217, l’information ne porte quasiment que sur la LPDF. À partir du moment où celle-ci s’est clairement distinguée de la LFF, fin mai 1902, après les élections, la source utilisée ne permet d’avoir quelques précisions que sur cette organisation.

Conditions d’implantation de la Ligue patriotique des Françaises

7À travers la presse, une chronologie et une géographie de son implantation peuvent être estimées. De Quimper en 1902 à Plouguerneau en 1914, la formule paraît convenir pour représenter l’histoire de la LPDF finistérienne avant la guerre. La presse ne fournit pourtant pas de renseignements explicites sur les débuts de la Ligue dans le département18, mais son action lors des expulsions des Filles du Saint-Esprit dans l’été 1902 à Quimper peut être supposée. Alors que dans les trois « citadelles » du Léon, Le Folgoët, Ploudaniel et surtout Saint-Méen, où les femmes de la paroisse défendent leur école de filles de façon spontanée19, son intervention ne paraît pas aussi notoire, la préparation quimpéroise rend la LPDF quasi évidente. Lorsque les menaces de fermeture des écoles de Quimper et de Kerfeunteun, commune limitrophe, se confirment, le rassemblement devant ces écoles, le 21 juillet, est suivi de trois journées de manifestations menées par des femmes. Le 22 juillet, un cortège de femmes et de filles traverse la ville pour se rendre à la préfecture où une délégation demande à être reçue. Le scénario se répète le lendemain avec regroupement des enfants qui chantent devant les grilles sous la direction d’une « dame ». Le 25 juillet, un nouveau cortège accompagne une députation à la mairie avant de se rendre à l’église de Locmaria à l’autre bout de la ville. Dans la journée du 18 août, le rôle du parti de l’Action libérale populaire, dont la LPDF est une composante, est public20. L’ALP a lancé, en effet, un appel à la protestation, dans les cinq départements bretons, le jour d’ouverture de la session des conseils généraux. Une « trombe humaine », selon les termes du Finistère21, avec notamment des délégations venues de Douarnenez et de Concarneau, envahit Quimper. Les femmes y sont très présentes comme en témoigne une photographie, conservée aux archives diocésaines, montrant des dames en grand chapeau à fleurs au milieu d’un rassemblement de femmes en coiffe. L’indication de certains patronymes et de l’expédition d’un télégramme à la baronne Reille, future présidente de la Ligue, montre que les militantes sont bien là, même si la mise sur pied de comités ordonnés paraît plus tardive. Ceci rejoint le constat d’O. Sarti pour qui « la Ligue émerge de la protestation » mais, au vu du cas cornouaillais, ne peut-on dire en même temps qu’elle la précède ?

8À défaut d’établir une temporalité et une cartographie très fines, le regroupement des données éparses dans les publications étudiées permet de constater que les trois temps dégagés dans l’histoire plus générale de la LPDF se retrouvent aussi pour le Finistère. Un premier élan marque les années 1902-1905. La Ligue est vraisemblablement présente à Brest dès 1902, puisque L’Écho paroissial du 25 janvier 1903 évoque une collecte réalisée en son nom. D’après la presse, la fondation officielle du comité de Quimper se fait en 1903 où des groupes se constituent également à Morlaix et Landerneau. En février 1904, les comités de Douarnenez et de Concarneau se structurent avant celui de Quimperlé en novembre. À partir de ces centres, les communes avoisinantes sont touchées – mais l’exception brestoise se remarque – et, d’emblée, la Cornouaille maritime et du sud s’impose comme la zone la plus active, avec la rapide formation d’un comité de Cornouaille qui entreprend de poursuivre l’implantation de la Ligue vers le centre du département. Alors qu’O. Sarti parle de comités créés par des prêtres en Bretagne dès 1903, nulle trace de ce fait n’apparaît dans la presse finistérienne. Entre 1906 et 1911, bien que les comités cornouaillais restent plus vigoureux que celui de Brest en « langueur » ou celui de Landerneau « en déclin », un certain essoufflement se fait sentir. Outre le climat lié aux tensions électorales et à l’échec général de l’ALP aux élections législatives de 1906, la succession entre les épiscopats de M^gr Dubillard et de M^gr Duparc au siège de Quimper a probablement ralenti localement l’implication du clergé dans la promotion de la Ligue22, orientée désormais vers l’action sociale catholique. Aussi, en 1911, la venue de M^lle Valette, déléguée de Paris, est-elle présentée comme une tournée « d’organisation » dans le Finistère. Entre 1912 et 1914, le redressement se traduit en particulier par la recherche d’une implantation plus solide dans le nord du département. Un comité du Léon, vivement souhaité par M^gr Duparc, se forme enfin en 1912 et l’on peut retenir comme significative d’une évolution en cours la démarche du curé de Plouguerneau. En janvier 1914, l’abbé Talabardon demande, en effet, au comité de Brest de contribuer à fonder une section de la LPDF dans sa paroisse23. Mise en place échelonnée, activité variable, présence inégale caractérisent donc l’établissement de la Ligue dans le Finistère, sans que l’on sache si ses difficultés internes des années 1913-1914 y ont eu un écho car la presse n’en dit mot.

9Elle permet, en revanche, de retrouver le constat social commun à la Ligue : une affaire de dames, un recrutement de femmes24. On peut retenir comme symbolique du premier aspect les patronymes des présidentes des comités de Cornouaille et de Léon qui signent l’adresse de ces comités à Pie X en 1912, respectivement, de Rémond du Chélas de Couesnongle et de Durfort de Lorge, comtesse de Guébriant. Comme dans l’ensemble de la France, les noms à particule caractérisent les dirigeantes, ainsi, parmi d’autres, de Penfentenyo à Quimper, de la Villemarqué à Quimperlé, de Parscau à Morlaix, de Lesguern ou de Boisanger à Landerneau… Mais les noms de la bourgeoisie sont également bien représentés, notamment de la bourgeoisie d’affaires, commerciale et usinière : Radiguet à Landerneau, Marfille à Brest, de Mauduit à Quimperlé, Lemarié à Concarneau, Chancerelle à Douarnenez, de Lécluse à Audierne, ainsi que des professions libérales par le biais des femmes de médecin en particulier comme mesdames Giffo ou Pilven à Quimper. Par ailleurs, beaucoup de leurs époux sont engagés dans la vie politique à différents échelons, ainsi M. de Guébriant est maire de Saint-Pol-de-Léon, M. Billette de Villeroche, maire de Concarneau, M. Soubigou est élu député de la troisième circonscription de Brest en 1910. La militance peut donc être vue comme une affaire de couple dans bien des cas. Lancée par des dames, la Ligue vise à mobiliser les femmes le plus largement possible. Si l’impression que l’extension contribue à une démocratisation de l’encadrement lui-même demande à être confirmée, la presse donne des aperçus sur ce processus de mobilisation, les actions entreprises et l’audience obtenue.

Traits communs et particularismes locaux

10Réunions et conférences organisées par les militantes pour convaincre du bien-fondé de la Ligue sont évoquées par les journaux sous forme d’annonces, de comptes rendus ou d’articles consacrés spécifiquement à la LPDF. L’inégalité de l’information est patente25 mais paraît bien correspondre à l’inégalité dans la réalité. Une exploitation plus minutieuse ne manquerait pas d’intérêt, ainsi la diversité des intervenant(e)s ou des lieux de réunion, tels l’Auto-garage à Brest, une salle prêtée par les propriétaires de l’usine Béziers à l’Ile-Tudy… mais seuls deux traits apparus comme dominants seront retenus ici. Le premier est la place essentielle des comités de Quimper et de Cornouaille, la distinction entre les deux n’étant pas toujours facile à faire. La LPDF quimpéroise, au sens étroit ou plus large, se montre particulièrement active et mobilisatrice. Dès 1904, les réunions de recrutement s’accompagnent de projections, celles données à Pont-l’Abbé en 1909 portent sur la vie de Jeanne d’Arc, et rapidement les congrès locaux sont suivis de séances récréatives. Les interventions sont multipliées et le bilan pour 1907 estime à quatre-vingt le nombre des conférences tenues autour de Quimper. C’est dire l’importance du second trait, propre à tout le département cette fois, la nécessité de maîtriser la langue bretonne26. Cette question s’est trouvée posée à tous les mouvements catholiques et la LPDF s’y montre très sensible. Pour devenir populaire et recruter plus massivement, elle se devait d’être bretonnante, d’où le soin pris de traduire ou de résumer les interventions faites en français, de mettre en valeur des conférencières parlant breton comme M^lle de La Landelle en Cornouaille ou M^lle de Kermenguy en Léon, de rédiger en breton les tracts distribués dans les campagnes et même d’envisager un supplément breton au Petit Écho de la Ligue. Par ailleurs, le chant n’est pas oublié comme agent et signe de ralliement. Le Progrès relate le chant du « Euz an Arvor de la Ligue » au pèlerinage de Sainte-Anne de Fouesnant en 190727. La Semaine Religieuse se réjouit, quant à elle, dans son numéro du 20 octobre 1905, de la création de l’hymne breton de la LPDF par l’avocat Henri du Rusquec, un des collaborateurs quimpérois les plus importants. Deux lignes, peut-être le refrain, sont citées :

Plega a ranko hon ene bourien
Gant unvaniez a merc’hed kristen

11que l’on peut traduire par « nos ennemis devront plier devant l’union des femmes chrétiennes28 ».

12Le pèlerinage est une des formes d’expression des militantes qui ont pris pour devise « prier, agir, souffrir29 ». De ces trois modes, le dernier n’apparaît qu’allusivement dans la presse, ainsi à propos du « travail de mortification personnelle » demandé au congrès de 1913. Pour le premier, l’évocation des pèlerinages précisément est plus aisée dans la presse que celle des pratiques d’adoration, de communion réparatrice, de retraite, de messe mensuelle… en accord avec les fondements spirituels du mouvement. L’action, plus longuement traitée, est préconisée dans trois directions essentielles qui ne cessent de se recouper : contribuer à la formation religieuse et morale de la population, agir dans la cité, « se donner aux œuvres ». L’accent est donc mis sur la participation à la catéchèse, à la diffusion des bons livres et plus encore de la bonne presse où la Ligue est très engagée30, ainsi que sur le pétitionnement local ou national contre la séparation, pour la Répartition proportionnelle scolaire (RPS), pour la limitation des débits de boisson, contre de nouvelles lois scolaires, contre les nouvelles danses ou pour le rétablissement des aumôniers de marine, thème dont le succès n’étonnera pas dans le Finistère31. Les œuvres sont multiples, des ventes de charité à la création d’ouvroirs (Pleyben, Quimper, île de Batz), de patronages de filles ou d’enfants (Brest, Bénodet), de sections de la Croix blanche (Saint-Pol, Roscoff) aux conférences pour la formation des jeunes filles (Quimper). Certaines créations prennent de l’importance comme l’œuvre de la dentelle et du crochet à Concarneau qui, selon un rapport de 1913, donnerait du travail à cent quarante femmes, cinq cent quarante jeunes filles et une centaine de jeunes garçons32. Il n’est pas toujours aisé de faire la part de la LPDF car certaines œuvres existaient déjà, animées par les dames qui deviennent membres de la Ligue. Celle-ci vient alors coiffer l’ensemble comme à Saint-Pol-de-Léon. Le cas brestois est marqué par la création d’un secrétariat du peuple, d’un bureau de placement et d’une colonie de vacances pour filles33.

13Somme toute, l’information donnée par la presse finistérienne permet d’apprécier des caractéristiques communes à la LPDF dans son ensemble et leurs inflexions locales, telles ici la place du milieu maritime ou la version bretonnante. Cette presse donne également quelques éléments de réponse à la question de savoir si l’audience recherchée a été atteinte. En l’état, les données chiffrées sont bien fragmentaires mais rendent possible une estimation de 10 000 à 11 000 adhérentes vers 1904. Huit ans plus tard, fin 1912, la LPDF finistérienne déclare 18 000 adhérentes34. La progression est notable et la Ligue compte certainement parmi les organisations les plus nombreuses du département à moins qu’elle n’en soit la première. Le Finistère occuperait donc une place honorable avec peut-être plus de 3 % de l’effectif national si on estime celui-ci à quelque 550 000 – 600 000 adhérentes. Toutefois, les ligueuses finistériennes, alors que leur département devient le plus peuplé de Bretagne à la fin du xix^e siècle, ne représenteraient qu’autour de 15 % (?) des ligueuses de Bretagne35. Plus que d’autres, cette donnée suscite la réflexion. Pourquoi une mobilisation moindre dans le Finistère ? Cette question se doit d’être associée à celle posée par la répartition départementale contrastée.

Une faiblesse relative

14Pour éclairer cette situation, le contenu même des publications consultées suggère une hypothèse. La dernière colonne du tableau en fin d’introduction montre la place inégale accordée au militantisme catholique féminin. Il s’agit là d’une estimation sommaire mais fondée à partir de la fréquence de l’information sur les Ligues et, plus secondairement, de sa richesse et de son importance tout en tenant compte des nuances dans le temps36. Le classement ainsi obtenu ne fait aucun doute. Globalement, La Semaine Religieuse vient en tête en raison d’une information régulière et d’une fréquence qui va croissant entre 1904 et 1907 puis, après un creux en 1909-1910, de la place remarquable accordée à la LPDF à partir de 1911. La LPDF est ainsi évoquée dans plus d’un numéro sur deux en 1912. En bonne logique, L’Action libérale et son successeur, L’Indépendant du Sud-Finistère, se devaient d’en parler avant que le relais ne soit pris par Le Progrès du Finistère à la fois concurrent et héritier de L’Indépendant37 en 1908. Cette année-là, il est question de la Ligue en moyenne dans un numéro sur cinq de cet hebdomadaire quimpérois. Par la suite, les allusions sont moins nombreuses, mais elles subsistent. L’Écho paroissial, qui qualitativement donne l’information la plus diversifiée sur les femmes, met plus particulièrement en valeur la LPDF en 1904 (temps fort de l’ALP), 1907 (délivrance de la franc-maçonnerie) ou 1913 (appui du clergé). En comparaison, La Résistance, publiée à Morlaix, se montre d’une plus grande discrétion sur les ligues féminines dont, certaines années, rien n’est dit. Elle est, en revanche, la seule à corriger le déséquilibre notoire entre la LFF et la LPDF. Le Courrier du Finistère, quant à lui, fait preuve de beaucoup de réserve : une première mention de la LPDF à propos d’une conférence à Douarnenez sur les retraites ouvrières en 1905, une seconde en 1909, précédée de l’indication : « On nous prie d’insérer ces lignes » à propos d’une autre conférence, puis une allusion en 1911 et deux en 1912. L’erreur est toujours possible dans ce genre de recensement, mais sa prise en compte ne remet pas en cause l’importance des différences d’information. Fondamentalement, celles-ci paraissent donc non seulement le reflet d’une situation existante mais aussi de différences d’appréciation qui ne portent pas tant sur le militantisme féminin que sur la forme prise dans le cadre des Ligues. Comment expliquer sinon l’écart maximum entre La Semaine Religieuse et Le Courrier du Finistère que l’on peut définir comme le journal des curés du Léon38 ?

Spécificité léonarde

15La diversité des positions résulte certainement de facteurs multiples, démographiques, sociaux, politiques, culturels, facteurs qui s’inscrivent aussi dans l’espace finistérien. Les ligues féminines catholiques constituées en France en 1901 et 1902 sont à fondement avant tout urbain, laïc, élitiste et conservateur. Sans tomber dans un déterminisme simpliste, on remarquera que la Cornouaille du sud, où la LPDF est la plus implantée, correspond à la zone du Finistère relativement la plus bousculée démographiquement, la plus urbanisée, la plus engagée dans l’activité maritime et l’industrialisation des produits de la pêche avec ses conséquences sociales contrastées. Ceci contribue à en faire une zone des plus disputées politiquement39 et peut inciter à la mobilisation des femmes dans le débat, d’autant que celles-ci peuvent être plus influentes dans la famille et dans la cité en raison de l’absence des hommes partis en mer. A contrario, le milieu léonard, plus rural, plus unitaire, plus égalitaire parfois et incontestablement plus clérical, n’offrait sans doute pas des conditions aussi favorables au développement de ces Ligues. On rejoint ici le constat fait de façon plus générale pour la constitution de l’Union catholique par Vincent Rogard40, les organisations nouvelles ne faisaient pas figure de nécessité dans ce milieu. Bien entendu, à défaut de développer, il importe de nuancer un constat présenté de façon trop sommaire. Ni le Léon ni la partie trégoroise du Finistère ni la Cornouaille ne sont uniformes socialement, religieusement et politiquement. Dans la région morlaisienne, l’aristocratie joue par exemple un rôle important, ce qui éclaire la prudence de La Résistance, évoquant à la fois la LFF et la LPDF. La situation cornouaillaise peut être très contrastée. On retiendra néanmoins comme distinction la plus caractéristique la possibilité de développement d’une démocratie cléricale en Léon.

16L’orientation ouverte des clercs vers le ralliement, la démocratie chrétienne, le Sillon y constitue un frein au développement des Ligues car elle signifie la prise de distance avec un conservatisme plus classique. Cette distance, manifeste dans l’élection d’Albert de Mun, rejeté par le Morbihan, comme député en 1893, va jusqu’à la rupture ouverte dans le Bas-Léon avec l’élection de l’abbé Gayraud, représentant de la démocratie chrétienne, candidat du Courrier, dans la troisième circonscription de Brest en 189741. Or précisément, aux législatives de 1902, les « curés grands électeurs42 » du Léon entrent en rébellion non seulement contre les châteaux mais aussi contre M^gr Dubillard, hostile au maintien de l’abbé Gayraud et s’entendant avec les notables monarchistes pour susciter une candidature concurrente. Il est remarquable que la LPDF ne figure pas dans les œuvres de la paroisse modèle de Lannilis tenue par l’abbé Ollivier43, ancien supérieur du grand séminaire de Quimper et mentor du clergé léonard, de 1895 à 1914. Avec quelques nuances, le cas du Léon rejoint celui de la Flandre de l’abbé Lemire44. Le contraste avec les circonscriptions aristocratiques morbihannaises empêche donc de généraliser ce dernier exemple à l’ensemble de la Bretagne et le lien avec les notables, qu’O. Sarti voit comme un facteur possible de succès dans les zones rurales, apparaît ici plutôt une raison d’insuccès. Bien que la politique combiste ait amené ensuite un front commun des catholiques et bien que M^gr Duparc reprenne les choses en main et pousse à l’Union catholique, surtout après 1911, la distance à l’égard des nobles subsiste. Les élections locales témoignent de tensions maintenues, ainsi à Plabennec en 1911, où le sillonniste Saïk ar Gall, qui a l’appui du Courrier, affronte le notable de Coatpont, ou à nouveau dans une élection législative partielle dans la deuxième circonscription de Brest en 1913, lorsque le jeune avocat démocrate Paul Simon bat Gaston de L’Hôpital, maire de Landerneau, qui avait l’appui du Progrès et de du Rusquec par exemple. Le Courrier, plus embarrassé, regrette alors la division apportée par la candidature Simon, mais les vicaires sillonnistes ont joué en sa faveur. L’union catholique autour de notables ne va donc pas de soi et, comme Vincent Rogard l’a noté en ce qui concerne l’ACJF45, cette situation freine l’expansion de la LPDF. Les journaux le laissent pressentir à plusieurs reprises. Au premier congrès quimpérois, relaté dans L’Action libérale du 25 mars 1905, les débuts sont qualifiés de « pénibles », la Ligue étant perçue comme « trop politique ». Bien plus tard, alors que l’infléchissement vers l’action sociale est réalisé, L’Écho paroissial du 27 mai 1911, note que la LPDF « trouve des adversaires même parmi les catholiques », toujours en raison de cette même caractéristique. En 1911 aussi, Le Courrier dénonce nommément l’appartenance à l’Action française d’aristocrates léonards, comme de Vincelles et de Kermenguy, ou de notables et commerçants quimpérois ; or leurs épouses encadraient la Ligue. Entre 1911 et 1914, alors que M^gr Duparc ou l’abbé Roull, curé de Saint-Louis de Brest, ne cessent de mettre désormais en valeur la LPDF, La Semaine religieuse comme L’Écho paroissial déplorent les réticences rencontrées : « La Ligue n’est pas assez connue46 », « tous les cantons ne marchent pas47. » En 1913, le Bulletin mensuel des œuvres prend soin de préciser que, devant les ligueuses du Léon, réunies à Saint-Pol le 26 août, M^gr Duparc « a confirmé la recommandation [de la Ligue] faite à son clergé pendant les retraites ecclésiastiques48 ». Dans le numéro de son journal, du 1^er mars 1914 une nouvelle fois, l’abbé Roull, faisant allusion au rapport de M^me de Vincelles, secrétaire du comité régional du Léon, conclut qu’il « aurait voulu que MM. les curés et les recteurs qui ne se sont pas encore décidés à établir la Ligue dans leurs paroisses eussent pu l’entendre. Leurs idées sur la Ligue se seraient certainement modifiées ». Le cas de la LPDF apparaît donc comme une confirmation d’une spécificité finistérienne, bien établie, qui joue de la même manière dans l’histoire de l’ACJF et de l’Union catholique.

Réticences cléricales

17Est-ce à dire que le sexe, le genre, n’auraient rien à y voir ? D’autres indices laissent à penser que non et que ce cas s’insère dans l’histoire interne du catholicisme et de la place que l’Église accorde aux femmes49. Au congrès régional de Quimper en 1912, dont le compte rendu paraît dans La Semaine Religieuse du 1^er mars, les ligueuses attribuent les réticences – et il s’agit bien d’abord du clergé – à trois causes. « Beaucoup n’y voient qu’une organisation inutile, d’autres qu’une association politique antigouvernementale. Pourquoi ne pas ajouter qu’un certain nombre redoutent, par la Ligue, l’ingérence féminine dans des questions où la femme n’a rien à voir. » Qu’est-ce qui commande l’attitude du recteur d’une paroisse léonarde lorsqu’il rappelle à ses ouailles, après l’annonce par la châtelaine d’une réunion de la LPDF, qu’il rassemble les mères chrétiennes à l’église à cette heure-là et que la « dame du manoir » ira où elle voudra50 ? Certainement le refus, par un recteur qui entend bien rester maître dans sa paroisse, de la prééminence nobiliaire et du non-respect de la hiérarchie verticale dans l’Église mais aussi d’une prétention féminine ? La lecture de la presse catholique confirme en tout cas la difficulté de définir la place et le rôle exacts des femmes laïques dans la vie du catholicisme. Peuvent-elles être reconnues et acceptées comme une « élite auxiliaire », d’autant que les deux termes peuvent devenir éventuellement antinomiques ? Le contenu des propos tenus ou rapportés dans les journaux consultés est révélateur de bien des ambiguïtés car les femmes sont appelées à la militance tout en considérant qu’elles ne sont pas faites pour cela. Dans la conférence prononcée lors de la retraite des dames en 1909 à Saint-Louis, et qui traite précisément de la femme selon l’idéal catholique, celle-ci reste la femme pieuse, épouse, mère, femme d’œuvres pour « aider les malheureux » et surtout pas la femme intellectuelle ou féministe vivement dénoncée51. La Semaine Religieuse du 25 décembre 1903 reprend l’idée que « les voix des femmes ne sont pas faites pour les réunions publiques ». En 1912 encore, les qualités d’intervention d’une oratrice sont expliquées par le fait qu’elle a été formée par son frère, curé de Pontivy52. Certes, la Ligue se défend de tout féminisme mais, à sa manière, « elle témoigne de l’avènement de la militante catholique, […], cette variante religieuse de la montée du féminisme » selon les termes d’Yvon Tranvouez53. Le constat des Quimpéroises laisse supposer que des tensions entre ligueuses et clergé sont perceptibles en dépit, ou à cause, d’un plus grand succès dans cette région. Les ligueuses ne sont d’ailleurs pas dépourvues elles-mêmes de contradiction à ce propos puisqu’elles appellent de leurs vœux la présidence des réunions mensuelles des sections locales par les curés, recteurs ou vicaires et qu’elles leur demandent de « veiller à l’assiduité des dizainières à ces réunions54 ». Le statut de la LPDF et la manière dont il est défini, tantôt comme une œuvre, tantôt comme un mouvement accompagnant les œuvres, parfois comme une union catholique des femmes, contribuent aussi à l’ambiguïté.

18Les appels de M^gr Duparc et une plus grande acceptation de la LPDF dans le diocèse avant 1914 ne débouchent guère sur l’affirmation de la place des femmes dans les organisations nouvelles destinées à assurer le maintien d’une société chrétienne. En effet, la mobilisation pour l’Union catholique est de fait réservée aux hommes et, dans le premier congrès diocésain des œuvres, prévu à Quimper pour septembre 1914, ne figure qu’une seule femme parmi les rapporteurs sur le thème unificateur de l’enseignement ménager55. La militance féminine, même conçue comme une coopération obéissante, resterait-elle « impensable56 » ?

19L’approche de la militance catholique féminine à l’échelle d’un département-diocèse ne bouleverse pas des constats plus généraux mais elle permet de les affiner, de les nuancer et de les voir à la base. L’utilisation de la presse locale comme seule source n’est pas suffisante pour apprécier au plus près l’histoire de ce mouvement, mais elle permet de tisser une trame assez solide pour en évaluer les étapes, les caractéristiques, l’importance et les limites. Le cas du Finistère paraît à la fois typique, qu’il s’agisse de la chronologie, des dirigeantes, des objectifs ou des réalisations, et spécifique dans une certaine mesure car les ligues n’y ont pas l’ampleur attendue. La plus puissante nationalement, la LPDF, ne pouvait gagner du terrain qu’avec l’appui du clergé mais celui-ci reste mesuré avant 1914, notamment en raison d’une orientation démocrate chrétienne manifeste surtout dans le Léon. Il faudrait prolonger l’histoire de la militance et de l’action catholique des femmes pendant et après la Grande Guerre dans le Finistère57, mais on peut penser que la dissolution de la LPDF dans l’Action catholique et la spécialisation de cette dernière, ici en milieu rural, répondant comme l’a souligné Gérard Cholvy à un besoin de démocratisation, devaient y être bien reçues.