1 Il faut un certain courage aux « pétitionnaires » comme on les appelle pour demander un poste de gardien de phare ; raillés par vos anciens voisins marins pêcheurs vous vous engagez non pas pour exercer un métier mais une « occupation ». La profession est peu valorisante, déconsidérée par les populations maritimes, et pourtant les demandes ne manquent pas sur les bureaux des ingénieurs ; la considération du titre n’a que peu joué et c’est plutôt du côté de la sécurité de l’emploi et de la jouissance d’une retraite 1 , ce si grand privilège, qu’il faut chercher pour essayer de comprendre les motifs qui poussent ces hommes à franchir le pas.

Les demandes

2Si nous connaissons assez bien les candidats admis au service des Phares, il est aussi intéressant d’étudier l’ensemble des postulants afin d’apprécier le milieu dans lequel évoluaient les gardiens : qui demandent les postes, combien sont-ils, quelles sont leurs motivations, pourquoi sont-ils acceptés ou refusés ?

3 Nous possédons bon nombre des demandes formulées entre 1839 et 1914 par les candidats finistériens 2 . Nous pouvons ainsi connaître pour chaque année le nombre, l’origine et la profession des candidats et nous déduisons facilement la proportion de nominations par rapport aux candidatures. Ce chiffre varie assez peu ; il n’est pas fonction a priori des périodes de crises économiques au niveau national. Si l’on considère que pendant la période 1815–1851 la tendance est plutôt à la stagnation alors que la période suivante, de 1851 à 1873, connaît une amélioration du climat économique 3 , on pourrait penser retrouver ces fluctuations dans le nombres des demandes. Il n’en est rien ; elles ne sont pas plus nombreuses avant ou après l’accession au trône de Napoléon III. Par contre l’augmentation des demandes correspond beaucoup plus fidèlement aux crises économiques locales, comme dans les années qui suivent le début des crises « sardinières » ou des saisons catastrophiques de pêche.

4 Alors que l’on compte en moyenne 3 à 8 demandes annuelles dans le Finistère entre 1839 et 1914, on observe que certaines années les candidats sont beaucoup plus nombreux. En 1856 on compte 11 dossiers dont plusieurs sont rédigés par des marins démobilisés après la campagne en mer Noire. En 1860, 13 demandes sont formulées alors que la campagne de Chine bat son plein ; s’agit-il de marins qui reviennent à terre ou au contraire d’inscrits qui tentent d’échapper à cette expédition lointaine et meurtrière ? La forte progression de 1873 et 1874, 13 et 14 demandes respectivement, répond plus sûrement à la forte restriction budgétaire qui frappe la Marine. La baisse programmée des effectifs actifs oblige à trouver une autre occupation. En 1881–1882 on observe une forte hausse avec plus d’une vingtaine de lettres de postulants qui redoutent sans doute les conséquences de la très grave crise sardinière ; en 1893 on comptabilise 19 demandes pour seulement 8 en 1891 et 9 en 1892 ; en 1902, 1903 et 1904 on obtient respectivement un total de 17, 18 et 21 offres de la part d’une population maritime durement éprouvée par la grande crise de 1902 4 . Cette hausse apparaît aussi dans le Morbihan bien que les documents soient rares et incomplets. Les ingénieurs connaissent bien le phénomène et le mentionnent à plusieurs reprises. En 1903 le ministère de la Marine insiste pour placer d’anciens officiers-mariniers mais il lui est répondu que les très rares vacances qui se produisent « dans notre service [sont] toujours retenues d’avance pour les nombreux candidats dont les autorités locales demandent avec insistance la nomination surtout depuis que sévit la crise sardinière 5  ». En 1908 on compte au plus fort de la tempête 28 demandes, chiffre inégalé jusque là et que l’on ne retrouve qu’après la Grande Guerre au plus fort de la crise économique générale de 1924. Par contre la population des marins-pêcheurs parvient à supporter les conséquences de la crise de 1929 avec plus de facilité si bien que les demandes au cours de cette période restent très faibles : 5 en 1929, 3 en 1930, 1 en 1931, aucune en 1932, 1 en 1933…

5L’administration des phares n’est plus perçue comme le refuge des années précédentes. Il est vrai que les salaires sont très bas et que par ailleurs le nombre de postes à pourvoir diminue du fait de l’automatisation.

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6Une fois la candidature enregistrée, les postulants retenus pour cet emploi de gardien sont inscrits sur une liste d’aptitude. Une fois recensées, les candidatures sont maintenues pendant sept ans si bien que cette liste officielle, établie dans chaque département, prend rapidement des allures d’inventaire. Très longue et sans réelle utilité, elle sert en fait de prétexte aux ingénieurs pour refuser les postes en alléguant une attente importante. Cette inscription sur les tableaux des « bons à nommer » ne garantit jamais l’obtention d’un poste qui, de toute manière, n’est pas systématiquement offert aux candidats placés en tête de l’état nominatif.

7 D’après les dossiers de demandes rédigées dans le Finistère entre 1880 et 1914 on s’aperçoit que plus de 90 % des postulants réussissent leur examen d’entrée : un bon dossier médical, une dictée, les quatre opérations d’arithmétique simples réussies, un casier judiciaire vierge, suffisent largement pour connaître les joies de l’enregistrement sans garantie aucune d’être appelé plus tard 6 . Les renseignements recueillis durant l’instruction d’une demande d’emploi sont toujours assez vagues : si le pétitionnaire n’a pas la réputation caractérisée d’un ivrogne, d’un querelleur ou d’un fainéant, s’il ne paraît pas totalement dénué d’intelligence, en bref, si l’on n’a aucune raison précise de conclure au rejet de la demande, on le déclare bon à nommer. Par contre, quand il s’agit d’embaucher un nouvel agent dans le service des Phares, les ingénieurs et les conducteurs ne peuvent se satisfaire d’une information aussi succincte et ils se renseignent beaucoup plus précisément sur le candidat. Les informations les plus fiables sont celles que l’on possède sur un agent ayant déjà été employé comme gardien-auxiliaire dans un phare, ou bien sur un fils de gardien, un marin des bateaux baliseurs, un ouvrier des chantiers à la mer occupé par les Ponts et Chaussées… Mais la plupart des candidats inscrits sont hors de portée quand on souhaite embaucher un auxiliaire et on ne peut pas non plus, dans l’urgence, tous les soumettre à un stage pratique qui permettrait d’opérer un véritable classement en fonction des qualités reconnues de chacun : c’est ainsi que des gardiens, même incompétents, sont nommés sans autre forme de procès.

8Dans ces conditions, l’inscription des candidats sur la liste d’aptitude offre l’inconvénient de faire naître des espérances le plus souvent déçues. Si un ingénieur apporte un témoignage plus précis sur un individu qu’il propose pour un emploi vacant, on ne s’occupe plus alors de savoir s’il figure ou non antérieurement sur la fameuse liste. Enfin le tableau ainsi établi comprend tellement de noms – plus d’une centaine dans le Finistère à la veille de la Grande Guerre – que même si on se limite aux seules propositions de nominations, les inscrits n’ont qu’une chance infime d’être nommés au cours des sept années durant lesquelles ils satisfont aux conditions d’âge. Il valait mieux sans doute ne pas conclure par le « bon à nommer » si l’on émettait quelques réserves sur les aptitudes des candidats et ne conserver à disposition que les auxiliaires qui avaient déjà fait leurs preuves. Cependant personne ne s’avise de changer la formule pourtant absurde :

Il n’est pas certain d’ailleurs que le changement, s’il était généralisé, ne donne pas lieu à des difficultés de la part des personnalités qui apprécient ou provoquent les demandes, et qui, se désintéressant le plus souvent de la nomination effective, tiennent principalement à faire savoir à leurs protégés occasionnels que grâce à leur influence, ils ont été inscrits sur la fameuse liste 7 .

9 Ces considérations s’appliquent en toutes circonstances et expliquent que d’une manière générale on ne s’astreint pas à choisir sur la liste. Les exemples de lettres rédigées par des « personnalités » restent très fréquentes 8 dans les dossiers de demande et apparaissent dès la construction des premiers phares ; elles arrivent nombreuses sur les bureaux des préfets et des ingénieurs chargés des chantiers dès les années 1830 mais elles sont toujours très mal perçues par l’administration des Ponts et surtout par les ingénieurs locaux.

10Ainsi en 1849 le sieur Le Duff formule une demande pour obtenir un poste au phare de l’île de Batz avec la recommandation de poids de son ancien chef d’unité, le général Lamoricière. L’ingénieur chargé du dossier prend bonne note tout en soulignant le caractère très déplacé des propos du postulant et du général qui affirmaient :

[Les places sont] occupées par des agents qui n’ont jamais servi l’État. Avant d’être des récompenses, ces places sont des fonctions, et des fonctions d’une immense importance puisque de l’exactitude et de la sobriété des gardiens dépend souvent la vie d’une foule de marins soit du commerce soit de l’armée de mer 9 .

11 Parfois l’autorité préfectorale doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir satisfaction. À la quatrième demande du Sieur Allot est encore jointe une lettre du préfet du Finistère qui signale que le candidat a été « chaudement recommandé par une dame Le Flô que je n’ai pas l’honneur de connaître mais qui paraît très attachée au Président de la République 10  ». Une telle recommandation pousse les ingénieurs à revoir leur opinion et le sieur Allot est nommé au Minou en novembre 1849 parce que veillait sur sa destinée la femme d’un général, né à Lesneven, en bons termes avec le prince-président. Comme il n’est pas question de désobéir aux injonctions de la préfecture, le département des Ponts donne son accord, contraint et forcé. Cependant, dès que l’occasion se présente, il rappelle à qui de droit les conséquences de nominations imposées.

12En 1854 l’ingénieur en chef du Finistère s’adresse au préfet pour porter à sa connaissance la mauvaise tenue de deux gardiens :

Les sieurs Brisson et Fily, gardiens à Penmarc’h, nommés le premier par la haute autorité de votre prédécesseur et le second sur la recommandation de M. l’abbé Dufeigna, sont deux ivrognes qui compromettent le service et qui de plus ont été l’objet il y a un an de mesures sévères de votre part. Le sieur Havas, gardien à l’île Vierge, nommé sur la recommandation de M. le sous-préfet de Chateaulin donne lieu d’un autre côté à des plaintes graves en raison de sa violence et de son insubordination qui est d’autant plus inexplicable que le gardien chef de l’île Vierge est d’un caractère doux 11 .

13Le ton ironique et acerbe de cette lettre est suffisamment rare à l’époque pour être signalé ; si un ingénieur des Ponts prend le risque de mécontenter le corps préfectoral, c’est que les motifs de sa colère sont à la mesure des blâmes encourus. En l’occurrence ses griefs devaient être légitimes car Havas est muté à l’île de Sein, Brisson à l’île Vierge et Fily rétrogradé à la troisième classe.

14Les interventions diverses, fréquentes surtout pour les demandes, ne sont pas toujours couronnées de succès. Au fil des années, les ingénieurs départementaux prennent les affaires en main et très vite passent outre les recommandations diverses dont ils ne tiennent pas compte lorsqu’ils nomment seuls et de plein droit les gardiens. Il faut croire d’ailleurs que ce genre d’interventions irrite toujours autant en haut lieu. Une circulaire ministérielle du 23 novembre 1863 tente de clarifier la situation :

Je vois avec regret qu’un certain nombre d’agents et même des fonctionnaires du département de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics, en vue d’obtenir de l’avancement ou des récompenses et même pour des affaires d’un ordre purement intérieur… croient devoir recourir à l’intervention de personnages étrangers à la hiérarchie des corps. Outre que cette intervention pourrait être la cause d’embarras pour l’Administration supérieure, elle laisserait croire que sa sollicitude et sa bienveillance ont besoin d’être réveillées sur les intérêts du personnel qui est placé sous sa direction… 12 .

15Pourtant le directeur du service des Phares, Léonce Reynaud en personne ou le ministère de la Marine ont pu, eux aussi, intervenir en faveur d’anciens militaires ou marins, dans des cas très rares, auprès du ministère des Travaux publics.

16En 1869 le sieur Galliou rédige une demande auprès du préfet du Finistère pour obtenir un poste de gardien de phare. Sur son dossier on peut lire : « Vu la recommandation particulière dont ce candidat a été l’objet de la part de M. Le Directeur général des Phares en raison de ses services militaires… ». Il est dès lors difficile de lui refuser le poste demandé. L’arrêté préfectoral du 27 novembre 1869 y pourvoit et le sieur Henry Ernest Galliou est nommé au phare du Portzic. Pour peu de temps d’ailleurs, car le nouveau gardien est doté d’un très mauvais caractère et supporte fort mal la vie confinée des phares. Il propose sa démission qui est acceptée le 15 octobre 1870, moins d’un an après sa nomination.

17 Ce genre d’interventions pouvait donc se révéler gênante a posteriori , car rien n’assurait qu’un bon militaire pût et dût être un bon gardien.

18On retrouve dans les dossiers des recommandations signées non seulement par des préfets mais aussi par des personnages aussi divers qu’influents.

19 Au plus haut de la hiérarchie, on peut citer un secrétaire d’État, ingénieur des Ponts et Chaussées, Armand Rousseau 13  :

Mon cher Considère, un brave homme de douanier qui a été mon camarade d’enfance à Kéremma, il y a 40 à 50 ans, me fait demander de vous recommander son fils, matelot des classes, qui sollicite une place de gardien de phare à l’île de Batz.

20François Joseph Dupont, le fils du douanier est nommé deux mois plus tard, au phare du Stiff où il reste six ans avant de rejoindre le phare de Batz ; la recommandation a joué à plein mais les renseignements pris sur le postulant étaient très encourageants. Il y a fort à parier que sa nomination était déjà acceptée, la lettre du « camarade » Rousseau accélère seulement le cours des choses.

21 Les officiers de la marine militaire, quand l’occasion se présente, ne manquent jamais d’aider les matelots les plus valeureux ayant servi sous leurs ordres. Nous retrouvons parfois quelques recommandations comme celle du lieutenant de vaisseau Jourden, commandant de l’aviso Élan , de l’École de pilotage 14  :

Monsieur l’ingénieur en chef, veuillez me permettre de recommander à votre bienveillante attention un de mes anciens marins, Abily Jean, actuellement en congé à Landéda [Finistère], qui a fait récemment une demande pour être admis dans les gardiens de phares. Grâce aux relations constantes que le commandant d’un petit navire comme l’ Élan a journellement avec ses subordonnés, j’ai pu me convaincre de la parfaite honnêteté de mon protégé, de sa sobriété, de sa conduite exemplaire, de son esprit de devoir et de discipline, et c’est pourquoi je n’hésite pas à vous en faire aujourd’hui un éloge aussi mérité…

22La demande est datée du 30 septembre 1896, la recommandation du 16 janvier 1897, la nomination du 8 avril 1898 ; pour ce gardien les éloges de son ancien commandant ont été particulièrement efficaces. Mais les meilleurs marins ne s’acclimatent que difficilement dans les phares car, après sept ans passés dans le service, l’homme avoue sa lassitude et sa démission est acceptée le 25 mars 1906.

23Les préfets interviennent fréquemment :

Monsieur l’ingénieur en chef, j’ai l’honneur de vous adresser ci-jointes 5 pièces pour être annexées à la demande d’emploi de gardien de phare du Sieur Guilcher (Jean-François-Marie) de l’île de Sein, que je vous ai transmise avec avis favorable le 22 juillet dernier. J’attache un sérieux intérêt à ce que cette demande aboutisse à bref délai. Le Préfet (illisible) 15 .

24Il est encore une fois particulièrement difficile de refuser et l’ingénieur en chef s’enquiert auprès de son ingénieur d’arrondissement de la valeur de ce candidat « afin de répondre à une recommandation très pressante » en vue de faire nommer le sieur Guilcher à la première vacance. L’ingénieur ordinaire de Brest répond que, même si ce candidat convient, sur la liste d’attente deux candidats plus anciens et plus efficaces méritent d’être nommés avant lui :

Milliner (Henri), fils d’un ancien gardien au phare de l’île de Sein, très bon sujet, ayant fait de nombreux intérims. Demande du 14 mars 1886. Guilcher (Jean-Noël) a rendu de très bons services dans les travaux des phares. Demande en 1888. Ces deux candidats me semblent plus recommandables 16 .

25 Mais l’avis préfectoral l’emporte et, malgré les protestations du service local des Ponts et Chaussées, Jean-François Guilcher est nommé à dater du premier octobre 1891 gardien de 4 ^e classe au phare de Penmarc’h en remplacement du sieur Maubras appelé à un autre poste. En août 1894, une seconde recommandation rédigée par le conseiller général Alavoine réclame le retour du gardien auprès de sa famille sur l’île de Sein ; le 18 août l’ingénieur en chef répond qu’il a adressé au ministre des Travaux publics, des propositions tendant à la nomination du gardien Guilcher au phare de l’île de Sein. Le 24 août, le préfet intervient de nouveau :

[J’attire d’une] manière toute spéciale, votre bienveillante attention sur le sieur Guilcher qui demande une place de gardien au phare de Sein. Cet individu est auprès de moi l’objet des plus vives recommandations et je serais heureux qu’il fût possible de lui accorder la faveur qu’il sollicite. Le Préfet.

26Ces hautes relations jouent encore en sa faveur et le gardien quitte Penmarc’h pour son île natale mais l’ingénieur de l’arrondissement de Quimper s’insurge contre cette pratique et craint, à juste titre, de forts mouvements d’humeur de la part des autres gardiens, excédés par de tels passe-droits.

27 L’année suivante, une grave crise d’épilepsie oblige ce gardien protégé à demander un congé de trois mois pour raisons de santé. Le médecin assermenté découvre en fait une « intoxication alcoolique chronique » qui demande des soins importants et surtout la volonté réelle du gardien de cesser de boire. Il n’en fut rien et par décision ministérielle du 26 décembre 1895 le gardien Guilcher, « gardien de phare à l’île de Sein, atteint d’une maladie incurable qui le met dans l’impossibilité de continuer ses fonctions, cessera d’être employé à partir du 1 ^er janvier 1896 ».

28 Ironie du sort, le gardien Henri Milliner, pressenti par l’ingénieur de Miniac, avait lui-même été l’objet de recommandations antérieures de la part du député du Finistère Cosmao-Dumenez 17  :

Monsieur l’ingénieur en chef, je vous demande la permission de recommander à votre bienveillance la demande du nommé Milliner, de l’île de Sein, sollicitant un emploi de gardien de phare. Cet ancien marin a déjà fait le service à l’île de Sein et au phare d’Armen, on aurait été très satisfait de ses services.

29 Ce gardien qui présente aux yeux de l’administration les meilleures garanties doit attendre que la demande pressante du préfet soit satisfaite puis il obtient le poste d’Armen le 1 ^er juin 1892.

30Pourtant les préfets n’obtenaient pas toujours gain de cause, loin s’en faut. Yves-Marie Leplomb présente sa demande en mai 1911 mais le conducteur de Quimper refuse de l’inscrire sur la liste d’attente, le candidat ne sachant ni nager ni conduire une embarcation. Le préfet insiste cependant pour que l’administration embauche son protégé. En mars 1913, le service maritime de Brest l’inclut dans une équipe d’ouvriers chargés de travaux d’entretien au phare du Four où il apprend à nager. Ensuite seulement il est nommé aux Pierres-Noires en février 1914.

31 Parmi les élus un autre député du Finistère, de Kersauson 18 , intercède en ces termes :

Monsieur l’ingénieur en chef, le nommé Troadec, ancien quartier-maître canonnier sollicite l’emploi de gardien de phare à l’Île Noire, rade de Morlaix […]. Je viens, Monsieur l’ingénieur en chef, vous prier de vouloir bien appuyer, si cela est possible la demande de mon protégé ; les souvenirs que vous avez laissés à Morlaix m’encouragent à m’adresser à vous, convaincu que vous voudrez bien vous intéresser à ma demande. Veuillez agréer, Monsieur l’ingénieur, l’assurance de ma haute considération.

32Mais son protégé, qui n’avait jamais rédigé de lettre de demande auparavant ni déposé de dossier de candidature, n’est évidemment pas nommé !

33À un député de Loire-Inférieure, Jules Galot :

Monsieur l’ingénieur en chef, permettez de recommander à votre bienveillante attention la demande du Sieur Joseph Crozon de Tréboul, qui sollicite un emploi de gardien de phare. Crozon est un excellent sujet, dans une situation digne d’intérêt 19 .

34… l’ingénieur en chef répond avec beaucoup de diplomatie :

Malgré les bonnes notes de votre protégé, je ne puis vous indiquer l’époque probable de sa nomination, les demandes antérieures à la sienne étant très nombreuses et les vacances fort rares.

35 D’ailleurs on peut se demander pourquoi notre postulant, originaire du Finistère, s’adresse au député de Paimbœuf. Il faut croire qu’il connaît bien les arcanes du pouvoir car il ne se contente pas de ce seul renfort ; une seconde lettre accompagne sa demande, signée de l’officier en second du contre-torpilleur Épervier , Émile Guépratte :

Quand j’étais à la division navale d’Indochine j’avais sous mes ordres un matelot canonnier nommé Joseph Crozon, originaire de Tréboul en Douarnenez. Cet excellent serviteur, de la valeur duquel j’ai gardé le meilleur souvenir, s’est posé l’an dernier comme candidat à un poste de gardien de phare dans le département… Il me demande d’intercéder en sa faveur. J’ai accueilli de grand cœur la requête de ce bon et fidèle compagnon d’une campagne longue et pénible 20 .

36Joseph Crozon ne fut jamais nommé gardien de phare.

37On pourrait multiplier les exemples à l’envi et remarquer que l’irritation des ingénieurs était encore plus grande lorsque les intervenants étaient étrangers à leurs départements.

38Les maires participent aussi à cette pratique courante de la recommandation. Ainsi le maire de Plouvorn :

Monsieur l’ingénieur, un jeune homme de ma commune, le sieur Crenn Jean-Marie, vous a adressé une demande pour être admis comme employé dans un phare. Je viens, à sa prière, appuyer la demande qu’il vous a adressée. Crenn vient de faire un an de service comme soldat de la 2 ^e portion du contingent de 1885. Il se conduit très bien. Il a une bonne instruction. Enfin son père est cantonnier sur la route départementale de Landivisiau à la mer 21 .

39L’ingénieur en chef répond trois jours plus tard, le 12 décembre 1887, en précisant qu’il lui paraît difficile d’accepter cette demande :

Je crois devoir ajouter que les candidats à l’emploi dont il s’agit, sont nombreux. 135 demandes sont en ce moment inscrites sur le registre spécial tenu dans mes bureaux.

40Le jeune homme n’est pas inscrit maritime mais ancien cultivateur et, sans doute pour cette raison, il est écarté du choix final.

41De la même manière le 28 janvier 1890 le maire de Saint-Léger-de-Fougeret, dans la Nièvre, recommande chaudement à l’ingénieur en chef du Finistère le nommé Joseph Cottin, ancien sous-officier d’artillerie, classe 1884, qui souhaite obtenir une place de gardien de phare. Le 30 janvier il lui est répondu qu’il a bien été inscrit sur le registre spécial des demandes d’emplois de gardiens. En conclusion l’ingénieur précise :

123 candidats reconnus aptes sont inscrits avant vous. Le personnel de mon service étant au complet et les vacances peu fréquentes, je ne puis vous laisser espérer d’être nommé d’ici longtemps.

42 La liste d’aptitude, inutile pour les nominations, est immédiatement évoquée dès qu’un candidat jugé a priori inexpérimenté se présente. Ici la recommandation n’a pas joué, mais le malheureux candidat était un « terrien » ne connaissant rien à la mer d’autant plus qu’il n’avait pas fait son service dans la Marine.

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43 Les recommandations d’un maire, d’un conseiller général, d’un député, d’un amiral, d’un préfet, pour un emploi ont certainement joué bien que les meilleurs candidats, jugés comme tels par les ingénieurs et les conducteurs, aient toujours été embauchés. La très bonne appréciation de la hiérarchie, les services en mer sur les baliseurs, les intérims réussis, l’apprentissage auprès de membres de la famille 22 ou la participation aux travaux de construction en mer interviennent plus sûrement dans le jugement final que la protection appuyée des notables locaux. Dès les débuts officiels de l’histoire des gardiens, on recense des faits en ce sens.

44En 1845 Jean François Foricher est nommé au service du feu de Plouguerneau installé sur le clocher de l’église paroissiale. Il n’assure que six mois ces fonctions car il décède en mars 1846. Son jeune frère qui connaît bien le service pour avoir aidé son aîné est immédiatement nommé pour le remplacer.

45 En 1849, le maire de l’île de Sein, par ailleurs gardien, constate que le chef Bernard connaît de sérieux ennuis de santé qui le tiennent fréquemment éloignés du phare. Il demande en conséquence que son fils le remplace. Il avance pour justifier cette nomination que son garçon l’a aidé à de nombreuses reprises et qu’il connaît parfaitement le service 23  :

Je vous prie Monsieur de donner connaissance au Préfet pour le prier de ce que ce soit mon fils qui le remplace comme étant le plus instruit et le plus capable à la fonction.

46Le conducteur ne s’oppose pas à cette nomination et le fils assure l’intérim avec son père.

47Alexandre Brézel présente sa demande officielle le 13 juillet 1891 en soulignant que plusieurs de ses proches parents « sont gardiens de phares en mer ». L’ingénieur chargé du dossier apprécie les arguments :

Le sieur Brézel comptait 10 années de service à l’État. Il est recommandable tant par lui-même que par sa famille dont plusieurs membres se sont rendus ou se rendent encore utiles à l’administration dans le service des Phares 24 .

48 Il s’agit de son frère Jean, de son beau-frère Paul Hippolyte Salaün et de son cousin Guéna 25 .

49 Lorsque Camille Salaün présente sa candidature en juin 1899, au lendemain de son 24 ^e anniversaire, il n’oublie pas de rappeler les services de son père :

Jacques Salaün qui est dans est dans les phares depuis trente-deux années […] est actuellement gardien-chef au phare de Saint-Mathieu.

50 Lui-même a déjà servi trois ans dans l’administration des phares, embarqué comme mousse puis novice sur le Baliseur n°3 . Matelot de première classe, il achève son service militaire sur le cuirassé Pothuau sur lequel il est décoré de la médaille Saint-Stanislas de Russie. Un parcours exemplaire qui le mène tout naturellement à l’embauche en 1901, sans autre recommandation.

51Pour les promotions et les mutations cette forme de patronage s’observe plus rarement, les règles étant connues d’avance et de tous. Les fâcheux passe-droits connus dans toutes les administrations de l’époque et tant décriés n’interviennent jamais clairement pour la promotion d’un agent des phares. Les passages d’une classe à l’autre, d’un poste à l’autre, répondent à des critères relativement stricts et très peu d’écart existent dans les traitements des gardiens, sauf, peut-être, pour les plus mal notés d’entre eux qui connaissent une progression de carrière beaucoup plus lente. Mais les avis extérieurs jouent très peu dans les considérations des ingénieurs lors de l’élaboration de leur liste des gratifications, des mutations et des avancements. Nous avons conservé quelques rares recommandations pour appuyer une demande de ce type :

Jacquelin est à Saint-Mathieu depuis longtemps et serait bien heureux d’obtenir de l‘avancement […]. Excusez ma prière, si elle est importune, mais je sais que faire des heureux est votre bonheur ; Mr. Cras, notre excellent ami me l’a souvent dit. Offrez je vous prie mes salutations empressées à Mme Fenoux, et vous, Monsieur, croyez à ma gratitude, et à ma considération la plus distinguée 26 .

52Le gardien en question passe à la seconde classe du grade en janvier 1888 soit 7 ans après sa dernière promotion ce qui constitue un temps d’attente assez court pour la période mais pas du tout exceptionnel. On peut penser que la recommandation a un peu joué. Ce n’est pas toujours le cas :

Mon cher ingénieur en chef, Je me permets de vous recommander mon voisin Cloitre, gardien de phare du Minou, qui sollicite sa nomination à la 2 ^e classe. Il a cinq ans en 3 ^e classe et paraît mériter la bienveillance de l’Administration. Je le connais depuis longtemps : sa réputation et son attitude sont excellentes. Votre très dévoué (illisible) 27 .

53Le lendemain, 11 septembre 1885, l’ingénieur Fenoux se renseigne auprès du conducteur local pour connaître la situation du gardien. Le 12 septembre, la réponse lui parvient, précisant que le gardien Cloitre est un bon élément :

Sur l’état de l’avancement il figure le 11 ^e à titre d’ancienneté.

54Il ne passe à la seconde classe qu’en avril 1890 après huit ans de troisième classe soit un intervalle régulier dans le service du Finistère. La recommandation n’a pas joué.

55Au plus haut niveau de l’État certaines personnalités s’adonnent aussi à cet exercice et notamment des ministres : par une lettre du 3 septembre 1915, Gaston Doumergue, alors ministre des Colonies, appelle la « bienveillante attention » de son collègue des Travaux publics, Marcel Sembat, sur le cas de M. Masson, gardien de phare au Créac’h d’Ouessant qui sollicite sa nomination au phare du Stiff toujours à Ouessant :

Nous aurions été heureux de pouvoir faire des propositions favorables à la demande que le gardien Masson, dont nous apprécions la manière de servir, nous a présentée en ce sens le 29 août dernier ; mais […] le chef gardien Salaün, du phare en mer des Pierres-Noires, a posé sa candidature au même emploi, et les raisons tirées de la comparaison des titres respectifs des deux candidats nous paraissent nettement concorder avec l’intérêt du service pour que la préférence soit donnée à Salaün.

56La recommandation n’a donc pas joué et c’est Camille Salaün, déjà rencontré, qui après treize ans passés en mer obtient le poste si convoité. Évidemment nous ne savons rien des motifs qui poussèrent un ministre originaire du Gard à s’intéresser à la carrière d’un lointain agent secondaire de l’administration des Travaux publics en poste dans le Finistère.

57De la Chambre des députés, le 15 décembre 1906, Georges Le Bail adresse une lettre à l’ingénieur en chef du Finistère en ces termes :

[J’appelle d’une] façon toute spéciale votre bienveillante attention sur Louis Guiziou, gardien du phare à Loctudy que je serais heureux de voir nommer à un poste de convenance et de tout repos, si la suppression du poste qu’il occupe actuellement est décidée, comme il le pense. Guiziou compte 21 ans de service et il a cinq enfants à sa charge. Les rhumatismes dont il est atteint le mettent dans l’impossibilité de faire un service dans un grand phare ou dans un phare situé en mer…

58 Il est vrai que le phare de Loctudy devait alors connaître un changement de feu et, à cette occasion, la suppression du poste de gardien classé. Mais, compte tenu de l’âge du gardien en service au fanal – il avait 58 ans – et de l’impossibilité de le reclasser dans un établissement équivalent, il est jugé préférable d’attendre la retraite du Sieur Guiziou : son poste n’est donc pas supprimé. Dans ce cas la recommandation correspondait au choix du service des Phares ; peut-être a-t-elle conforté ce service dans sa décision ? Il faut souligner par ailleurs que Georges Le Bail, loin d’être un inconnu sur la scène politique nationale 28 , a rédigé plus d’une quarantaine de lettres de recommandation, retrouvées dans les archives, dont un quart des candidats du Sud-Finistère entre 1890 et 1914 avaient bénéficiées. En définitive, Yves-Louis Guiziou décède le 19 octobre 1910 dans son phare…

59L’avancement s’effectue au mérite et à l’ancienneté et c’est si rare à l’époque qu’il convient de le souligner. La plaie du favoritisme, du clientélisme, les recommandations de toute nature, les interventions édilitaires n’ont pratiquement jamais influencé les décisions des ingénieurs du service des Phares. Seuls maîtres en la demeure et très attachés à leurs prérogatives, ils n’acceptent que très rarement les ingérences extérieures.

L’origine géographique

60Seul un nombre limité de communes côtières des départements maritimes, fournit des candidats au recrutement. Par exemple, dans le Finistère, des localités n’apparaissent jamais ; ainsi l’île Molène, où pourtant la population maritime de pêcheurs est extrêmement nombreuse et guère plus riche qu’ailleurs, ne fournit aucun gardien entre 1860 et 1914. Il est vrai que l’île est dépourvue de phare, mais rien n’interdisait à ses enfants de postuler pour les établissements voisins des Pierres-Noires ou du Four. De même on constate qu’aucun des résidents des communes de Camaret, du Guilvinec ou encore de Concarneau ne figurent sur la liste des gardiens admis. Mais il faut se souvenir que, pour ces populations, la pêche est l’activité noble ; une activité dans la marine marchande reste acceptable. Par contre les militaires sont à peine tolérés, tout comme les fonctionnaires : les agents des ministères des Travaux publics ou de la Marine – maîtres de port, syndics des gens de mer, guetteurs sémaphoriques ou gardiens de phares – sont ouvertement moqués pour avoir abandonné leurs principes et opté pour l’exercice d’une fonction jugée indigne de leur origine.

61Ce recrutement purement départemental et même local ne s’affirme d’ailleurs que progressivement car dans les premières années, de 1838 à 1870 environ, parmi les gardiens nommés dans le Finistère dont j’ai pu retrouver l’état civil, il apparaît qu’une partie d’entre eux ne sont pas originaires du département :

62Joseph Berthé, nommé à 58 ans chef gardien à Sein en 1839, était natif de Bar-sur-Aube où il exerçait la profession de fabricant de bleu de Prusse. Comment est-il arrivé sur cette île désolée au bout du monde ?

63 Étienne Bernard, né sur l’île de Ré, ancien saunier et marin, est nommé maître de phare au Bec du Raz en 1836 puis à Sein en 1838 et où il rejoint son compatriote Jacques Penaud, rhétais lui aussi, et gardien à Sein. À la mort de son collègue, Penaud devient maître au Stiff et enfin au Créac’h entre 1838 et 1881 29 .

64François Alexis Giboy est né à Paris et occupe le poste de gardien au phare du Portzic entre 1848 et 1883.

65 Jean Cazes, natif de Foix, effectue son service au phare de l’île Vierge entre 1866 et 1902 30 .

66Pierre Jacquelin, né à Ivry-le-Pré dans le Cher est nommé gardien à Saint-Mathieu de 1874 à 1904.

67Leur présence à Brest s’explique par leurs activités antérieures car plusieurs d’entre eux ont effectué leur service militaire dans les troupes d’infanterie de marine avant leur démobilisation dans le grand port de la flotte du Ponant.

68La tendance au recrutement local est fort ancienne puisque, à l’occasion de l’amélioration du phare des Baleines sur l’île de Ré, équipé de nouveaux braseros en 1734, le ministre de la Marine rappelle quelques principes :

[Il convient] d’éviter de nommer des étrangers pour gardiens dans les isles de Ré et d’Oléron et […] il serait plus à propos de choisir des gens de l’endroit […], chacun est accoutumé à son sol […], un étranger […] peut y déplaire et quelquefois abandonner son emploi. L’habitant qui connaît le local a plus de ressources et d’amis qui peuvent le seconder en cas de besoin. L’étranger peut déplaire à quelques-uns, on peut lui jouer des tours ou cabales 31 .

69 Après l’instauration de la III ^e République, plus aucun gardien non finistérien n’est recruté dans le département, sauf cas exceptionnels – mutations d’office ou nominations de mécaniciens ouvriers qualifiés dont le recrutement s’avérait difficile.

70 Ainsi Claude Vigaud, né à Roanne, est embauché pour ses connaissances techniques car il a effectué son service militaire dans la marine nationale en tant que mécanicien, qualification très recherchée. Nommé à dater du 1 ^er juillet 1889 gardien-chef au phare du Créac’h il accomplit douze années de service mais demande dès son installation sa mutation car le climat de l’île ne lui convient pas. Comme on ne lui propose aucun poste à terre il décide de démissionner en août 1901.

71 En ce qui concerne le département limitrophe du Morbihan on retrouve le même schéma. Pour une période plus tardive, de 1914 à 1939, le recrutement aussi est presqu’exclusivement local 32  : sur 70 gardiens classés recrutés, 55 (81 %) sont nés dans le Morbihan, plus particulièrement à Belle-Île (16) et à Groix (12), et toujours dans une commune littorale. Par contre on remarque l’absence ou la faible participation de certaines communes : ainsi Lorient ne fournit qu’un seul gardien. La grande ville offre sans doute des emplois mieux rémunérés et plus attractifs et la pêche industrielle demande des bras. Parmi les 15 gardiens non morbihannais nous retrouvons 5 finistériens, 1 natif de l’île d’Yeu, 2 de l’île de Ré, 2 corses et 1 calaisien. Il reste quatre gardiens seulement nés loin de la mer et encore doit-on signaler la présence d’un gardien né à Saint-Denis dans la Seine mais qui suivit, dès son plus jeune âge, son père douanier à Quiberon ainsi qu’un Algérois qui effectue ses sept ans de service militaire dans la marine à Lorient. Sauf Marquet, né à Chateauneuf-du-Rhône et Bouquin né dans le Loiret, tous les gardiens recrutés connaissent la mer avant leur recrutement.

72 On note aussi le même phénomène en Corse : la consultation des arrêtés ministériels annuels de notation et d’élévation de classe permet de remarquer que, sur 14 gardiens élevés à la classe supérieure entre 1915 et 1919, un seul ne porte pas un nom à consonance corse 33 . Il est très vraisemblable que ce recrutement local se retrouvait à l’échelle de tous les départements français. Quelquefois cependant les demandes s’avèrent insuffisantes et les postes à pourvoir se trouvent vacants, notamment dans la Loire-Inférieure ou la Seine-Inférieure où le recrutement semble particulièrement difficile à la fin du siècle dernier. Les grands ports marchands du Havre et de Saint-Nazaire offrent des possibilités d’embauche beaucoup plus intéressantes. Ce sont alors des gardiens le plus souvent finistériens ou morbihannais qui complètent les effectifs.

73Ces nominations de marins bretons en Bretagne s’expliquent d’autre part assez naturellement par la difficulté pour un gardien étranger au département et surtout à la région de s’intégrer dans une communauté locale souvent très fermée. Le phénomène est identique en Corse ou dans les grandes îles de l’Atlantique. Les commentaires contemporains ne laissent guère planer de doute sur la qualité de l’accueil dans ces communes perdues :

Le caractère des femmes est en général assez taciturne […]. Avenantes avec l’étranger qui passe, hostiles à l’étranger qui s’installe et qui séjourne 34 .

74Ces agents étrangers au village doivent surmonter un handicap supplémentaire et rédhibitoire : l’absence de maîtrise de la langue bretonne. Aubains en leur propre pays, ceux qui ne sont pas originaires de Basse-Bretagne tenteraient en vain de converser avec les gardiens locaux qui éprouvent un malin plaisir à s’entretenir en breton devant « l’étranger ».

75Ainsi le sieur Berthé nommé à Sein en 1838 s’accommode-t-il très mal de la vie sur cette petite île perdue. Il est d’ailleurs révoqué au bout de 6 mois car, pour tromper son ennui semble-t-il, il boit plus que de raison, négligeant son service.

76Les deux gardiens rhétais, nommés à Sein en 1838 et 1839, connaissent les mêmes difficultés d’adaptation et demandent à maintes reprises leur transfert sur le continent. Penaud obtint enfin l’île d’Ouessant… en 1863 ; quant à Bernard, il ne survécut pas à une grave maladie contractée sur l’île en 1845, et meurt à l’âge de 31 ans.

77 Encore convient-il de trouver des candidats locaux de remplacement qui répondent aux critères élémentaires : lire et écrire. Sein n’en compte que fort peu si l’on en croit l’ingénieur Lepord 35 qui signale avoir cherché « un candidat qui n’offrît pas les inconvénients déjà éprouvés de la part des gardiens originaires de l’île de Sein » c’est-à-dire leur méconnaissance de la langue française et de son écriture. Le choix des gardiens pour les phares insulaires se porte cependant sur les îliens car il convient « de nommer au phare de l’île de Sein un habitant de l’île car les étrangers ne se soucient pas d’y rester 36  ».

78Dans ces conditions Jean Miliner, matelot et adjoint au maire, est nommé le 21 décembre 1858.

79 En ce qui concerne les îles, en général, on s’aperçoit d’ailleurs que le recrutement tend à se localiser : la conscience, même implicite, d’appartenir à une communauté distincte se traduisait par une forte propension à distinguer les îliens des étrangers, avec d’ailleurs toute une gradation dans la notion d’étranger 37 . C’est notamment le cas pour le Finistère ou le Morbihan ; par exemple, seuls les postulants originaires de Sein ou d’Ouessant obtiennent les postes locaux : à Ouessant, entre 1836 et 1896, 25 gardiens furent nommés dont 9 seulement étaient nés dans l’île ; en 1936 sur les 16 agents que compte l’île, 14 sont natifs du lieu et les deux derniers sont mariés avec des îliennes 38 .

80On retrouve ce même type de recrutement très restreint dans le Morbihan où tous les gardiens des feux et fanaux des grandes îles sont bellilois ou groisillons à la veille de la Seconde Guerre mondiale ou encore au Pilier où le personnel est en majorité natif de l’île de Noirmoutier.

81Les difficultés d’adaptation d’un gardien étranger sont encore plus patentes à Eckmühl où est nommé en mai 1897 un maître de phare pour diriger le nouvel établissement électrique. Ce mécanicien spécialisé, si rare sur le marché du travail, Alexandre Naud, vient du phare de la Coubre en Charente-Maritime d’où il est originaire puisque né à Marennes. Cependant, très rapidement, l’entente avec les autres gardiens se détériore et les cinq agents qui servent sous ses ordres décident d’informer l’ingénieur en chef de cette mésentente qui est fondée, selon eux, en grande partie sur la brutalité du maître. Une enquête est menée en 1901 qui conclut à « l’opportunité d’éloigner le plus vite possible le maître de phare ». Cette décision, qui semble donner tort au supérieur hiérarchique, est motivée par les renseignements, tous défavorables, recueillis auprès de la population locale hostile au gardien Naud.

Mais ce n’est pas une raison suffisante pour donner tort à ce dernier car le seul fait qu’il ne soit pas breton, suffit pour expliquer que les habitants de Penmarc’h ne lui soient pas sympathiques 39 .

82La population locale avait pris fait et cause pour les agents bretons et se chargea d’amplifier une rumeur vénéneuse à l’encontre du maître de phare. Une sombre histoire de lettres anonymes achève de convaincre l’administration de la nécessité d’un déplacement rapide pour le bien de Naud. En décembre 1901 il est muté au grand phare de Belle-Île.

83 Un siècle plus tard les gardiens des phares du Rosédo et du Paon, à Bréhat, Jeanne et Claude Tollari, nous avouaient en 1994 leur très grande difficulté d’adaptation sur l’île et le peu d’efforts consentis par cette communauté insulaire très fermée pour les accueillir. D’origine corse, ce gardien avait débuté sa carrière en 1973 au phare en mer de Herpin en face de Cancale avant d’obtenir en 1976 ce poste sur une île jugée a priori plus accueillante. Dix-huit ans après leur installation, mari et femme nous exposaient l’impossibilité pour eux de s’intégrer ; les Bréhatins reconnaissaient l’utilité de leur métier et toléraient leur présence dans des locaux de l’administration, mais n’avaient rien tenté pour établir avec eux des relations chaleureuses 40 .

84Pour éviter sans doute ces risques de confrontations, les ingénieurs éliminent systématiquement toutes les sollicitations de candidats étrangers au département et poussent même l’ostracisme jusqu’à rejeter les demandes des gardiens classés en poste dans une autre région.

85L’inspecteur général, Quinette de Rochemont, directeur des Routes et des ports, ancien directeur du service des Phares, conseiller d’État, recommande chaudement d’accepter le déplacement du gardien-chef du phare d’Antifer :

Monsieur Morin vient en effet de nous présenter une demande de changement de résidence. Je vous demande de vous entendre avec monsieur Ducrocq pour lui faire offrir ce poste de gardien-chef à Penfret.

86 L’ingénieur en chef du Finistère accuse réception mais ne donne jamais suite prétextant une promesse donnée à l’un des gardiens de l’île de Sein 41 . Le gardien, malgré les plus chaudes recommandations et d’excellentes notes, n’obtint jamais ce poste pourtant peu demandé.

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87Comme le recrutement reste essentiellement départemental, les déplacements interdépartementaux sont peu nombreux : une douzaine de départs du Finistère, volontaires ou non, pour la période étudiée. Pourtant il apparaît que ce département comme le Morbihan fournit des gardiens aux autres régions : d’une part, la proportion de phares en mer, de postes difficiles donc, y est très importante et les gardiens nommés peuvent être obligés de quitter leur région d’origine pour obtenir des postes plus faciles ; d’autre part, la grande pauvreté de l’existence dans les îles et sur la côte pousse à l’engagement dans le service des Phares mais aussi à l’éloignement pour les candidats refusés. Enfin, dans certains ports de la pointe de Bretagne, la situation de bien des pêcheurs reste précaire ; intégrer l’administration – les Phares et balises, la marine de l’État, les sémaphores, les Douanes, la Poste – est souvent la dernière solution viable qui s’offre aux habitants du Cap Sizun, de Sein, de Groix ou de Belle-Île… Comme les vacances restent fort rares dans le département et même dans toute la région, les candidats prennent le risque d’obtenir une affectation à des centaines de kilomètres de leur village de naissance.

88Nous avons, par exemple, retrouvé le cas d’Ignace Havas, gardien à la Vierge, à Penmarc’h puis à la pointe du Raz, qui rejoignit Honfleur en 1876 comme maître pour les établissements du port, à la suite de la demande de l’ingénieur du Calvados qui n’avait pu recruter sur place un agent suffisamment compétent. En 1883, Havas est admis à faire valoir ses droits à la retraite et il faut lui trouver un successeur.

89L’ingénieur du Calvados s’adresse à son collègue du Finistère pour lui demander de l’aide :

Je n’avais point dans le département de candidat possible ; mais on m’a dit que dans le Finistère il est certains chefs-gardiens auxquels le poste pourrait convenir 42 .

90La promotion attachée à ce départ ne suffit pas à susciter des candidatures ; le chef gardien de la pointe du Raz, sollicité, décline l’offre en ces termes :

Cet emploi [de maître] qui est le but de toute mon ambition, je ne puis à mon grand regret l’accepter à cause de l’éloignement où je serai de ma famille 43 .

91Pourtant il sait qu’il retrouvera en Normandie Clet Donnart originaire de Primelin qui a quitté sa région à 25 ans, affecté en août 1881 au phare de Honfleur où il reste jusqu’en septembre 1887 avant de rentrer dans le Finistère.

92Pour le remplacer, l’ingénieur en chef du Calvados demande encore une fois à ses camarades en poste dans le Finistère de lui trouver un gardien local.

93Pierre le Bars, fils du maire d’Esquibien, qui ne trouve pas de poste en Cornouaille accepte finalement la proposition normande car l’ingénieur de Quimper lui a fait miroiter un retour assez rapide auprès des siens, comme pour son prédécesseur du reste… Il ne revint jamais dans le Finistère.

94Quelques décennies plus tard Henri Perrot suit le même chemin et est nommé en Seine-Inférieure.

95Pour sa part, Auguste Lescop, nommé à Armen en 1911 demande sa mutation avec insistance mais au bout de dix ans d’enfer il préfère accepter un poste hors du département. Il arrive lui aussi au Havre en 1922.

96De même les trois phares en mer de Loire-Inférieure, le Grand-Charpentier, le Four et la Banche ne sont guère prisés par les agents locaux si bien que les ingénieurs de Saint-Nazaire demandent fréquemment à leurs collègues lorientais et même quimpérois de diriger les candidats bellilois, groisillons ou capistes vers le département voisin où ils sont pratiquement assurés d’obtenir les postes si peu demandés. Il est vrai que les candidats locaux hésitent avant de se lancer dans cette aventure car des emplois mieux rémunérés sont courants dans cette cité portuaire et industrielle.

L’uniforme et les sanctions

97 L’admission dans le service des Phares marque l’entrée dans une longue période d’apprentissage pour les recrues, pas toujours très jeunes, apprentissage qui est plus celui de la patience et de la résistance à l’ennui que de techniques, et qui ne suscite pas l’enthousiasme : certains ont pu parler de dressage. Endosser un uniforme est le premier pas vers la prise de conscience de leur fonction par les gardiens. L’éducation toute militaire qu’ils reçoivent leur rappelle constamment le sens de la hiérarchie et du devoir, du moins l’espère-t-on en haut lieu, bien que les résistances soient tenaces. Le directeur Reynaud le comprend rapidement et expose dans son règlement de 1860 les détails de l’uniforme 44 .

98L’uniforme des maîtres et gardiens de phares est le suivant :

1. Pour les maîtres de phare : Tunique en drap bleu, à collet renversé, orné de chaque côté d’une étoile brodée en or ; casquette en drap bleu, avec une ancre surmontée d’une étoile brodée en or ; gilet de drap bleu en hiver, et de coton blanc pendant l’été ; boutons de la tunique et du gilet en cuivre doré, portant les mots « Maître de phare » ; pantalon de drap bleu en hiver, et de toile écrue en été.
2. Pour les chefs-gardiens et gardiens de toutes classes : veste de marin en drap bleu, à collet renversé, orné de chaque côté d’une étoile en soie jaune pour les gardiens-chefs, et en laine jaune pour les gardiens ordinaires ; pantalon et gilet comme ci-dessus ; boutons de la veste et du gilet en cuivre, portant les mots : « Gardien de phare » ; chapeau de marin en cuir bouilli, avec une ancre surmontée d’une étoile, et les mots : « Chef-gardien de phare » ou « Gardien de phare », peints en blanc 45 .

99En fait les gardiens ne portent pratiquement jamais cet uniforme, que l’administration ne fournit pas. Leur maigre salaire ne peut pourvoir à son acquisition, si bien qu’ils se contentent de la casquette réglementaire et des boutons à ancre de marine distribués par le service.

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100L’existence de sanctions encourues pour des manquements aux règlements permet aussi de rappeler aux gardiens les obligations attachées au service public. La loi organique de 1853 ne peut passer sous silence les éventuelles punitions auxquelles s’exposent les nouveaux fonctionnaires subalternes. L’article 36 l’indique clairement :

[En cas de négligence dans le service] ou d’actes répréhensibles, les punitions encourues sont :

1. La retenue d’une partie du traitement.
2. La révocation.

Ces punitions sont prononcées par le préfet, sur le rapport de l’ingénieur en chef.

101Sept ans plus tard le règlement de 1860 précise que, si les circonstances paraissent l’exiger, l’exclusion d’un gardien est prononcée :

… immédiatement par l’ingénieur ou par le conducteur chargé de la surveillance du phare, qui pourvoirait d’urgence au remplacement de ce gardien ; mais cette mesure ne serait définitive qu’après l’approbation du préfet 46 .

102De telles situations se sont certainement présentées entre 1853 et 1860, il convient donc de renforcer le pouvoir de toute la hiérarchie et surtout d’accélérer les modalités de révocation. Ces cas restent rares cependant, et l’impression qui se dégage tout au long de la période étudiée reste la grande tolérance des ingénieurs envers les gardiens fautifs. Sans doute aussi la lourdeur administrative des démarches à accomplir pour sanctionner un gardien et l’impossibilité matérielle de pourvoir les postes vacants découragent plus d’un ingénieur. Il faut néanmoins que la faute soit grave pour entraîner une sanction qui peut aller jusqu’à la révocation, temporaire ou définitive : Théodore Armand en poste au Stiff est révoqué en février 1857 mais il est réintégré sept ans plus tard après avoir fait amende honorable.

103Au cours des premières décennies de fonctionnement, les ingénieurs se contentent généralement d’infliger des déplacements, des rétrogradations puis des amendes aux gardiens récalcitrants.

104L’une des premières amendes infligées dans le Finistère remonte au 30 septembre 1867 : 5 francs sont retenus sur le salaire de François Tanguy « en punition d’un manquement à son service », sans plus de précision.

105L’arrêté préfectoral du 23 février 1869 autorise « à infliger au sieur Lannuzel, gardien au phare de St Mathieu une amende de cinq francs pour manquements à ses devoirs d’agent subordonné ».

106 François Giboy est condamné à « une retenue sur son traitement des 2/3 pour désordre lors du dépouillement du scrutin du 14 décembre 1873 47 . À deux doigts de la révocation, ce républicain convaincu avait contesté violemment le résultat du scrutin, mais il est défendu par son ingénieur en chef qui souhaite vivement le conserver dans les cadres :

[Cet agent s’est] toujours acquitté de son service avec zèle et intelligence […] de nature à lui faire pardonner certains actes inconsidérés provenant de l’exaltation naturelle de son caractère 48 .

107Il s’agit du seul et unique motif extra-professionnel rencontré ; les causes essentielles de sanctions sont de deux ordres : les irrégularités dans le service, c’est-à-dire l’abandon de poste, et l’intempérance, les deux étant souvent liées.

108Cependant la retenue sur salaire disparaît du nombre des mesures disciplinaires en novembre 1900 :

[Ces pénalités] frappent souvent des familles n’ayant que peu de ressources et causent une gêne sensible dont souffrent les femmes et les enfants ; elles sont en désaccord avec le principe de justice et de bienveillance qui doit inspirer une administration démocratique 49 .

109À deux reprises aussi des gardiens finistériens sont révoqués pour vol : en 1856 François Cornen est accusé de vendre une partie de l’huile nécessaire à l’appareil d’éclairage. Condamné, il doit démissionner. Pareille mésaventure frappe le gardien Hilarion Le Noret accusé lui aussi d’avoir volé de l’huile et du filin appartenant à l’administration ; il remettait le produit de ses larcins au sieur Miniou qui lui donnait en échange des bouteilles d’eau-de-vie. Il est révoqué en 1897.

110Le premier gardien clairement condamné pour ses habitudes alcooliques est Louis État, ancien militaire dans un régiment de zouaves. Il est nommé le 27 juillet 1871 au phare de Penfret. Les rapports des ingénieurs sont pourtant alors très élogieux. Le candidat sait « bien lire et bien écrire : il fera un très bon gardien-chef ». Hélas, dès son arrivée sur l’île, il passe ses journées à boire et délaisse complètement son service. Les observations répétées de son chef, du conducteur, de l’ingénieur n’y font rien : « État continue de se soûler et de faire la mauvaise tête ». Le 19 décembre 1871 un énième rapport signale les habitudes « d’intempérance et d’indiscipline du sieur État » et demande sa révocation au préfet. La peine est prononcée le 21 décembre après 5 mois d’activité seulement.

111Trois ans plus tard, Jean-François Le Coz, en poste à Sein, subit le même sort ; dans un premier temps on opère une retenue de salaire puis il est rétrogradé et enfin révoqué en janvier 1874 :

Dans le courant du mois de décembre 1873 il s’est présenté deux fois au phare en état complet d’ivresse pour y prendre son service qu’il n’a pu tenir 50 .

112Le plus souvent on s’en tient aux amendes même si le comportement de certains gardiens nous paraît aujourd’hui totalement répréhensible :

[Le sieur Tirilly, gardien au phare de Penmarc’h] est rentré au phare en état d’ivresse. Considérant qu’il résulte de ce que le sieur Tirilly s’est livré à des écarts qui lui ont déjà attiré des remontrances dont il n’a tenu aucun compte ; attendu que l’inconduite du sieur Tirilly est de nature à compromettre le service qui lui est confié et qu’il convient de prendre une mesure disciplinaire. Arrêtons, une retenue de 25 francs sera opérée sur le salaire du sieur Tirilly sur le mois de juin courant 51 .

113Seulement pourrait-on ajouter !

114 En 1889 « l’abaissement de classe » 52 , déjà pratiqué, apparaît officiellement dans la liste des sanctions applicables. Le règlement de 1894 en précise les modalités :

[Cet abaissement intervient] pour les gardiens classés ou la réduction des émoluments pour les gardiens hors classes 53 .

115Enfin les ingénieurs disposent d’un moyen simple mais brutal pour punir les agents les plus indisciplinés. Ils opèrent à leur encontre des mutations forcées ou, plus souvent encore, des permutations. Notre gardien Tirilly en est victime, puisqu’il est contraint d’abandonner le phare de Penmarc’h pour le phare en mer de Penfret, manière comme une autre de lui infliger une punition et de le contraindre, espère-t-on, à la tempérance.

116Les sanctions prononcées vont du simple rappel à l’ordre sous forme de réprimandes verbales à la révocation immédiate. Entre ces deux extrêmes, il existe toute une série de mesures intermédiaires : notation sévère, avancement retardé, retenue de salaire, mutation d’office… L’existence de cette large et subtile palette de punitions prouve que le pouvoir administratif s’évertue moins à sanctionner les gardiens qu’à les surveiller et les contraindre à respecter les règlements. Le dispositif répressif semble efficace, les sanctions tendent à diminuer, toutes peines confondues. Les agents les plus rétifs démissionnent généralement rapidement ; ceux qui restent s’adaptent avec plus ou moins de bonheur à leur fonction et s’assagissent. Enfin il ne faut pas oublier que leur nombre décroît après 1895 et que les blâmes infligés suivent une même courbe descendante.