Chapitre XII. La déchirure
p. 303-331
Texte intégral
1Le premier tiers du xixe siècle a prolongé le délabrement d'une manufacture déjà profondément affectée par les révisions douanières espagnoles de 1779 et par le blocus maritime anglais de 1793 à 1802. Entre cette dernière date et 1830, l'état permanent de guerre qui caractérise la période impériale a été suivi de l'accession à l'indépendance des colonies espagnoles d'Amérique latine. Les marchands de toiles « bretagnes » ont alors tenté de résister à toutes ces contraintes, en s'ouvrant au marché intérieur français ou en ranimant leurs exportations. Mais les concurrences prussiennes, anglaises puis belge ont eu raison de leurs velléités. Les conséquences de ce repli ont été catastrophiques pour les tisserands de la manufacture qui ont alors été confrontés au dilemme : l'exil ou la mendicité.
Chronique d'une mort annoncée
2La paix d'Amiens (1802) qui mettait un terme à la deuxième coalition contre la France, fut ressentie, à Quintin et dans toute la manufacture, comme l'aube d'une ère nouvelle. Voici comment, sous la Restauration, les Quintinais ont rapporté cet événement :
« Arriva la paix d'Amiens [...] elle ouvrit un instant les mers et toutes les toiles en magasin, tant dans l'intérieur de la fabrique que dans les ports voisins s'écoulèrent pour leur destination habituelle. L'espoir renaissait mieux fondé que jamais : on sait par quelle cruelle perfidie il fut aussitôt déçu. Tous les capitaux envahis ou compromis amenèrent un engourdissement tel qu'on ne s'en releva presque plus1 ».
3C'est pourtant de cette phase consulaire et impériale qu'il importe maintenant de parler.
Une difficile reprise
4L'analyse des lettres de commerce expédiées ou reçues par les Quintinais Bouan et Garnier des Garennes et par l'Uzelais Morice permet de reconstituer les vicissitudes qui ont alors affecté la manufacture2. Dès le 9 avril 1803, Morice était avisé du blocus constant de l'Elbe et de la Weser par les Anglais. Une telle situation qui marquait la reprise des hostilités entre la France et l'Angleterre, présentait toutefois un avantage pour la manufacture : il excluait momentanément les toiles silésiennes du marché de Cadix et provoquait, en Bretagne, une hausse du prix de l'aune tissée. Mais ce n'était que feu de paille et l'excessive cherté des productions bretonnes décourageait « les acheteurs espagnols [...] venus pour faire des emplettes considérables, le 3 mai à la foire de Bordeaux ». Deux semaines plus tard, Bouan exprimait son pessimisme en ces termes :
« Il est à craindre que nos toiles baisseront s'il y a des coups de canons tirés ».
5Adoptant sa stratégie de marchand à une conjoncture indécise, et craignant une rupture prochaine avec le Portugal, le Quintinais profitait de la baisse momentanée des productions locales pour faire confectionner des chemises qu'il destinait au marché parisien.
Tab 30. - Prix de l'aune de toile au marché de Quintin sous le Premier Empire dans la catégorie des « bretagnes » étroites

(Source : M. Hervé, Planguenoual)
6Pendant toute cette période, Saint-Malo qui avait perdu ses prérogatives de principal port exportateur des toiles « bretagnes », a dû partager cette fonction, avec Nantes, Bordeaux et Bayonne. En raison du blocus maritime anglais, les exportateurs des différents ports ont fait appel à des pavillons neutres (américains, danois, portugais, espagnols). La présence de ces étrangers, à Nantes et Saint-Malo en juillet 1804, stimulait momentanément le cours des toiles « bretagnes », mais conduisait Bouan à écrire à ses acheteurs caditains :
« Les inquiétudes des politiques du jour ne me permettent pas de (me) livrer à des spéculations ».
7D'ailleurs, en janvier de cette année, peu soucieux de courir des risques maritimes il avait utilisé les services des rouliers de sa ville pour convoyer quatre balles de toiles jusqu'à Bordeaux puis, de là, à Bayonne. C'est dans ce port qu'elles embarquèrent pour Cadix.
8L'utilisation du pavillon de certains pays neutres et en particulier de celui des États-Unis, permit de renouveler l'expérience interlope du siècle précédent ; mais dès 1805 de nouveaux problèmes politiques surgirent. L'initiative vint des Anglais qui, sans tenir compte des réactions des neutres, obligèrent tous les navires étrangers à subir la visite de leur cargaison et saisirent les marchandises françaises. Alors qu'en mai les toiles « bretagnes » avaient connu une hausse motivée par la présence de vaisseaux neutres, l'annonce de l'arrestation de plusieurs bâtiments américains3 provoqua, en août, une baisse de six à dix pour cent des productions de la manufacture. Tout ceci conduisit les marchands locaux à redoubler de prudence, d'autant que les nouvelles reçues du Portugal envisageaient l'entrée en guerre de cette nation au sein d'une énième coalition. L'année 1806 semble avoir été mauvaise pour la manufacture, au point que Morice déclarait le 20 novembre :
« Depuis huit mois je n'ai pas vendu une aune de toile ».
9C'est bien pour réduire Albion que Napoléon, reprenant une idée de la Convention, décida, par le décret de Berlin du 21 novembre 1806, le Blocus continental.
10Le continent se ferma donc aux productions anglaises provoquant une chute momentanée de leurs exportations de près des trois quarts. Si cette crise put finalement être surmontée, c'est grâce à la contrebande qui s'organisa avec la complicité des douaniers et des consuls français. Par Helgoland, Hambourg, les marchandises anglaises s'introduisirent sur le continent. Pour la manufacture des « bretagnes », les mauvaises nouvelles se sont alors succédé comme un leitmotiv. En septembre 1807, Morice était avisé de la prise de Copenhague et de la flotte danoise par la marine anglaise. Un mois plus tard il apprenait « les événements de Lisbonne ». Novembre n'apportait pas de meilleures nouvelles avec les « brouilleries de la cour de Madrid ». La situation se prolongea jusqu'en 1809, de sorte que le marchand uzelais pouvait écrire le 4 janvier de cette année :
« Malgré que les toiles soient à vil prix [...] il est rare d'en trouver [...]. La fabrication est diminuée des trois quarts ».
Tab. 31. - Situation de la manufacture de 1810 à 1818

. (Source : ADCA. 6M 938)
11L'année 1808 peut être considérée comme une date charnière dans l'histoire économique de la manufacture. Elle marque aussi bien les débuts de l'occupation de l'Espagne et du Portugal par les armées napoléoniennes que les soulèvements du Mexique, du Pérou et de la Colombie contre leur métropole et leur ouverture au commerce anglais. L'espoir breton de commercer directement avec « le trésor américain » était réduit à néant. C'est ce qui ressort d'un courrier marseillais envoyé à Morice, le 28 octobre 1809. À cette date, les platilles silésiennes qui ne pouvaient plus s'exporter par Hambourg, étaient convoyées par terre jusqu'au port phocéen où des navires barbaresques et marocains les embarquaient pour Cadix. Le correspondant marseillais de Morice qui lui rapportait ce fait, concluait :
« Les nôtres seraient également accueillies si les Anglais ne s'opposaient à l'extraction des produits de nos manufactures. »
12L'occupation des rivages andalous par les troupes françaises provoqua « un feu de paille sur les toiles », pour reprendre une expression de Morice, mais dès février 1810 la manufacture retomba dans sa léthargie. Les tentatives de vente directe de productions françaises sur le marché espagnol furent à leur tour victime de la prohibition. Comme le soulignait Morice en juin 1811 :
« La junte [...] les fait brûler [...]. C'est le coup mortel porté à notre fabrique ».
13Deux rapports, rédigés, l'un sous l'Empire par Jean-Baptiste Digaultray, l'autre sous la Restauration par François-Cyprien Baron du Taya, permettent de mieux comprendre comment la manufacture a conservé une certaine activité entre 1793 et 18154.
14Laissons d'abord la parole à Digaultray :
« C'est à cette époque (la Convention) qu'on peut faire remonter principalement Us premières tentatives de débouché à l'intérieur des toiles dites Bretagnes. Quelques marchands voyagèrent, d'autres écrivirent. On fit quelques envois dans les principales villes, à Paris même. Quelques ventes eurent lieu au moyen de l'extrême modicité des prix. Un fabricant distingué de la Vendée, déserte à cette époque, vint s'établir à Quintin où il fit quelques essais de tissus façon Cholet. Les idées de quelques tisserands se développèrent. La fabrication parut faire un pas vers son amélioration ; mais tout cela ne palliait le mal que très faiblement, et la misère fut extrême ».
15Bien qu'il ait repris sensiblement les mêmes idées dans son rapport, Baron du Taya apporte quelques informations supplémentaires. Tout d'abord il évoque des modifications dans la largeur des toiles tissées. Jusqu'alors il n'existait que deux variétés de laize : les larges et les étroites ; or sous la Révolution et l'Empire, les producteurs de la manufacture ont fourni des toiles écrues en deux tiers. Ensuite, il signale que cette modification était une réponse aux besoins du marché intérieur français qui a consommé jusqu'aux trois quarts de la production locale. Il faut toutefois relativiser l'importance des toiles tissées et, plus encore, le revenu qui pouvait en être tiré.
16Pour s'en faire une idée il suffit de reprendre les informations contenues dans les archives commerciales de Bouan et de Garnier des Garennes. Ainsi, sur les cent trente-six lettres écrites par Bouan entre le 7 janvier 1803 et le 16 février 1806, cinquante-deux étaient destinées à des Nantais, trente à des Bordelais, vingt-cinq à des Parisiens et seulement huit à des Caditains. Le phénomène de vente sur le seul marché national français apparaît encore plus nettement dans la correspondance d'Augustin Garnier des Garennes. Bien que les sources conservées se limitent au deuxième semestre de 1813, elles demeurent probantes. Avec cinquante-trois lettres destinées à Paris, cette ville était alors le principal centre de consommation des « bretagnes ». Saint-Malo n'a été mentionnée qu'à vingt-quatre reprises et il convient de dire que l'armateur Apvril-Kerloguen a été seize fois concerné. Ce nouveau type de vente a pris deux aspects : l'expédition par rouliers ou le colportage.
17La famille Mazurié installée à Quintin s'est alors faite l'intermédiaire obligé entre la zone de production et celles de consommation5. Les voitures de cette société allaient aussi bien à Brest qu'à Paris, Nantes, Bordeaux où d'autres convoyeurs prenaient le relais pour Châlons-sur-Saône, Bayonne, Pau, Toulouse6. Un travail de fourmi réalisé par les colporteurs s'est aussi mis en place. Le phénomène, déjà relevé à propos de certains décès à La Motte sous la Révolution, s'est amplifié sous la période napoléonienne.
18Cette reconversion marchande de la manufacture peut être diversement retrouvée. Elle apparaît aussi bien au travers du livre de comptes de Morice que sur certains registres d'état civil ou sur les souches des « passeports pour l'intérieur ».
19Entre 1794 et 1818, Morice a fait appel à deux cent trente-huit colporteurs, soit une moyenne annuelle proche de dix. Les années 1812 et 1813 semblent avoir été les plus fastes pour ce type de commerce, puisque Morice a vendu des toiles à trente-trois et vingt-huit reprises. Il faut toutefois relativiser l'importance des livraisons fournies aux colporteurs : quarante-deux pour cent concernaient des longueurs inférieures à trente aunes. Les tisserands locaux qui avaient révisé les laizes traditionnelles ont aussi modifié la nature de leurs productions. Outre les toiles nouvelles en deux tiers, Morice a aussi mentionné dans ses livraisons, la présence de serviettes, de nappes, de mouchoirs à « barres de coton ».
20Mais qui étaient les colporteurs ? Une réponse peut être fournie grâce au registre de la municipalité de La Motte7. À la date du 9 décembre 1798, on peut y lire en effet :
« Ces colporteurs ne vendent que des toiles d'autrui qu'ils paient h leur retour de voyage [...]. Quant à nos colporteurs à cheval, il s'en trouve beaucoup qui ne chargent leurs chevaux qu'au moyen de fonds qu'ils prennent h intérêt ».
21Il s'agissait d'une reconversion des « marhoteurs » que l'ancienne législation de la manufacture n'avait pu éradiquer. Cinq mentions de décès de colporteurs à cheval ont été enregistrées sous le premier Empire à la Motte et elles permettent de juger de l'aire d'activité commerciale de ces vendeurs : Thouars, Angers, Saintes, Cérences, Josselin8.
22Ce nouveau type d'activité n'a pas seulement concerné La Motte, on le trouvait aussi à Saint-Hervé et Trévé. Dans cette première commune, un relevé des trois cent vingt-et-une professions mentionnées par les actes d'état-civil, pour les ans III et IV, fournit quatre-vingt-quatre tisserands et trente-huit colporteurs9. Une comparaison des différents patronymes permet d'observer le fréquent passage de l'activité de tisserand à celle de colporteur, au cours de cette période.
23Les informations les plus intéressantes concernant cette période ont été fournies par les archives communales de Trévé, grâce aux souches des « passeports pour l'intérieur ». Il faut savoir que, durant la Révolution et une grande partie du xixe siècle, on désignait sous cette appellation les formulaires que devait posséder tout voyageur. Établis par l'autorité municipale de la commune de résidence, ils peuvent être considérés comme l'ancêtre de la carte d'identité, à la différence qu'ils devaient être renouvelés à chaque déplacement. Pour les trente premières années du xixe siècle, ces documents permettent de redessiner un vaste « arc atlantique » commercial qui s'étendait du Havre à Bayonne et était alors fréquenté par les gens de la manufacture.
Destinations des passeports délivrés à Trévé pour les habitants de la manufacture de 1807 à 183010

24Le tableau réalisé grâce à ces passeports, permet de constater que les marchands traditionnels de toiles de Trévé se sont, eux aussi, lancés sur les routes de la vente. Le même phénomène peut être observé au Quillio en 1809, avec l'enregistrement du décès de Jean-Marie Legris-Duval à Aire- sur-l'Adour dans les Landes11. Cependant les motivations qui expliquent tous ces déplacements ne relevaient pas des mêmes raisons commerciales, en particulier pour les tisserands. En effet, trente de ces ouvriers n'ont déposé qu'une seule demande de passeport et tout porte à croire qu'il s'agissait d'une émigration définitive vers Nantes ou la Vendée. Les années 1809 et 1810 marquées par « la suspension de tout commerce » comme le signalaient les édiles de Saint-Brandan12, semblent avoir favorisé les nombreux départs enregistrés à Trévé.
25La seconde Restauration a pu laisser à croire, un moment, que la fin des guerres napoléoniennes allait rouvrir toutes grandes les portes de Cadix aux productions de la manufacture. Cette illusion s'est rapidement effondrée devant les réalités politique et économique. Dès le 5 août 1817, Morice constatait que « les brouilleries des Amériques » avaient considérablement ralenti les demandes et provoqué une baisse. Paradoxalement, cette chute des prix bretons, estimée à vingt-deux pour cent, provoquait, toujours selon Morice, un afflux de fonds étrangers. C'est qu'à Cadix et Porto, les retours des flottes de La Havane, La Vera Cruz et Rio de Janeiro avaient été jugés satisfaisants. Mais cela constituait tout au plus un courant d'affaires, l'essentiel de la production locale qui venait encore de diminuer d'un tiers, était désormais destiné au marché français13.
26Dans ce contexte peu favorable, les mécanismes de la décolonisation en Amérique latine, déjà partiellement enclenchés sous l'Empire, prenaient un essor irrésistible. En 1816 l'Argentine accédait à l'indépendance et, deux ans plus tard, c'était au tour du Chili. 1821 marque la même évolution pour le Mexique et le Pérou. En écho le Conseil d'arrondissement de Loudéac, évoquant ces nouvelles modifications, avertissait les autorités supérieures du « grand état de souffrance » de la manufacture14. Est-ce à dire que tous les marchands de toiles allaient subir, sans réagir, cette conjoncture défavorable ?
27Non, et dès 1823, à la suite d'un rapport présenté au Conseil général des Côtes-du-Nord par François-Cyprien Baron du Taya, l'autorité départementale décidait d'aider les tisserands et les marchands de toiles15. Au cours de la session de 1824, un compte rendu précis destiné au ministre de l'Intérieur fut rédigé16. Après avoir décrit la manufacture et ses débouchés américains, les Conseillers exposèrent les différentes entraves à l'exportation. La principale résultait d'une double concurrence exercée depuis longtemps par les toiles silésiennes et depuis peu par les toiles irlandaises. Les premières qui copiaient les « bretagnes », étaient d'un coût inférieur de dix pour cent. Quant aux secondes, bénéficiant d'accords douaniers favorables aux intérêts anglais, elles ne payaient que quinze pour cent de droits de douane, alors que les productions bretonnes étaient imposées à vingt-huit et demi pour cent de la valeur du produit. Le problème des surtaxes frappant les importations dans la péninsule ibérique était aussi évoqué. Afin de concurrencer efficacement leurs rivaux, les marchands de la manufacture proposèrent donc au gouvernement français l'envoi d'agents commerciaux dans les ports des colonies espagnoles et portugaises et, surtout, l'octroi de primes à l'exportation. Comme enfin sur le sol national la concurrence des toiles belges était forte, les marchands de la manufacture imaginèrent d'imposer à ces nouvelles venues une taxe de trente pour cent.
28La réponse à toutes ces demandes parvint au Préfet des Côtes-du-Nord dans la première quinzaine de décembre17. Rédigée par M. de Saint-Criq, président du Bureau de commerce et des colonies à qui le ministre de l'Intérieur avait transmis le dossier, elle se présenta comme un démenti cinglant face aux prétentions bretonnes.
29Selon de Saint-Criq, l'inégale imposition des toiles anglaises ne s'appliquait qu'au Brésil et résultait d'un accord préférentiel signé en 1810 entre les deux gouvernements ; pourquoi se plaindre puisque les productions bretonnes devaient seulement acquitter vingt-quatre et non vingt-huit pour cent ! À propos des surtaxes perçues par les royaumes ibériques sur toutes leurs importations, l'explication tenait au seul intérêt de ces royaumes. À l'exemple de l'Angleterre qui avait supprimé les primes à l'exportation, de Saint-Criq n'y voyait aucun intérêt pour les toiles « bretagnes ». Quant à l'envoi d'agents commerciaux en Amérique latine, cela ne présentait aucun avantage, « Le gouvernement du roi [...] (ayant) suppléé [...] par d'autres moyens plus conformes h sa politique ». Bien qu'en conclusion le Conseiller d'État ait feint de répondre aux souhaits bretons d'une augmentation de quinze pour cent sur les productions belges, il liait cette modification à un projet de loi qui serait présenté, ultérieurement, aux Chambres.
30Cette fin de non-recevoir n'a pas entamé la volonté de survie de la manufacture. Le 10 août 1826 à Quintin, le Conseil général des Côtes-du-Nord et le Préfet du département provoquèrent une réunion de crise. Présidée par le sous-préfet de Loudéac cette assemblée s'ouvrit en présence des « négociants et manufacturiers » de Quintin, Uzel, Loudéac, Moncontour, Le Quillio. Il faut dire que la situation était critique : alors qu'en 1824, quatre mille cinq cents balles de toiles avaient été exportées, ce chiffre était tombé à trois mille l'année suivante et les estimations les plus optimistes, pour 1826, espéraient mille balles tout au plus. Dans le même temps, le coût du produit avait connu semblable décroissance, passant de mille trois cents francs à mille francs l'unité. Comme le rapporte le procès- verbal de la réunion à Quintin, « les tisserands ne (pouvaient) plus gagner de quoi faire subsister leurs familles18 ».
31Quelles grandes idées sont ressorties de cette réunion ? Considérant que le prix élevé des toiles résultait d'une absence de production de lin dans la manufacture, il fut décidé d'y favoriser cette culture. Mais, pour opérer cette transformation radicale, il était nécessaire de faire appel à l'État afin qu'il réduisît les droits perçus sur les graines importées du Nord de l'Europe. Momentanément, une aide de cinquante mille francs prélevée sur les deniers publics permettrait de donner du travail aux fileuses et d'abaisser le prix du lin en bois de vingt-cinq pour cent.
32Sans tenir compte des objections présentées par M. de Saint-Criq, les marchands de toiles s'efforcèrent d'expliquer comment fonctionnaient réellement les douanes d'Amérique latine. Les productions bretonnes étaient forfaitairement imposées sur une évaluation faite d'après les prix de 1817, alors que leurs concurrentes l'étaient sur les factures du moment. Forts de cette démonstration, les marchands locaux en profitèrent pour redemander à l'État une aide à l'exportation de cinquante francs par balle. Ils ajoutèrent le souhait d'une taxation plus élevée, à l'égard des toiles belges et allemandes. Il est vrai que ces dernières commençaient à inonder le marché parisien et s'y vendaient au prix de vingt-six sous l'aune, alors que dans la manufacture des « bretagnes » cette longueur coûtait trente-six sous.
33Jusqu'alors le préfet avait soutenu ses administrés mais, sur la pression de sa hiérarchie, voici la déclaration qu'il fit au Conseil général des Côtes-du-Nord, à la session de 1827 :
« La fabrique de toiles ne peut se soustraire au système général de perfectionnement introduit dans toutes les fabriques. Les moyens à employer doivent être l'objet des méditations des négociants qui s'occupent de cette branche d'industrie mais ne sont point du domaine de l'administration19 ».
34Ce désintérêt pour l'activité locale était clairement exprimé et chacun était renvoyé à ses responsabilités.
35Il est vrai que la « corporation » des marchands de toiles n'était pas exempte de reproches. Déjà sous le Consulat elle avait formulé des demandes du même type à savoir : réduction des droits de douanes en Espagne et retour à la surveillance de la production par la réouverture des anciens bureaux de visitef20. Bien que ces derniers aient repris leur activité à Loudéac en 1805 et à Uzel en 1806, on peut douter de leur efficacité21. En effet, régulièrement de 1815 à 1830 lors des sessions du Conseil général, parmi les contraintes nuisibles au bon fonctionnement de la manufacture, on trouve des remarques concernant la qualité et la laize des toiles exportées. La création de Chambres consultatives en 1804 à Loudéac, Moncontour, Quintin, Uzel ne semble guère avoir été plus motivante pour la profession22.
36Ces ancêtres de nos Chambres de commerce et d'industrie ne connurent pas la même réussite. Un courrier préfectoral de 1821 signalait même que celle de Moncontour avait cessé toute activité et que celle de Quintin ne s'était pas réunie depuis plusieurs années « faute d'intérêt23 ».
37Dans l'ensemble des facteurs qui ont contribué à l'extinction de la manufacture, on ne peut passer sous silence l'aspect technique. En un siècle qui s'est caractérisé par la multiplication et le perfectionnement des moyens de production, les outils du tisserand local demeuraient obsolètes. Déjà en 1811, Jean-Baptiste Digaultray maire de Quintin écrivait :
« Dans la manufacture des « bretagnes »[...] où la fabrication est aux mains du peuple [...] le fabricant le plus aisé [...] n 'est pas plus avancé que le plus pauvre [...]. Comment attendre, dans cette position, non seulement le perfectionnement des instruments et des outils mais même un bon assortiment de la matière de la fabrication24 ».
38Pourtant, dès 1802 Baron du Taya avait ramené de Paris deux métiers à tisser à navettes volantes25. La popularisation de ces modèles dans la manufacture permet de comprendre ce qu'écrivaient les membres de la Chambre consultative d'Uzel en 1824 :
« Aucune mécanique ne s'est introduite parmi nous, si on excepte des métiers à navette volante qui nous ont procuré un emploi plus étendu de nos fils, par la fabrication de draps de lits, linge de table26 ».
Vaines tentatives de modernisation
39De 1830 à 1847 il n'y a pas eu une session du Conseil général des Côtes-du-Nord où cette assemblée ne se soit préoccupée d'apporter son soutien à la manufacture27. Bien que certaines actions départementales semblent s'être parfois chevauchées, les principales concernaient l'amélioration de la transformation du lin en fil et la modernisation des métiers. Les deux objectifs étaient déjà apparus essentiels sous les régimes précédents, mais ils n'avaient pu être menés à terme. C'est bien pourquoi la majorité des aides aux différents ouvriers de la filière toilière a été fournie par le département.
Graph..32. - Nombre de marchands de toiles patentés à Quintin

(Source : AC, Quintin, G 28)
Graph. 33. - Adjudication du bureau de marque des toiles d'Uzel

(Source : AC, Uzel)
40Au début de la monarchie de Juillet, un nommé Tanot fut envoyé en Flandre pour s'y perfectionner dans les méthodes de préparation du lin28. En 1833, au retour de ce voyage, le Conseil général qui l'avait chargé de former des écoucheurs pouvait déclarer :
« Des ouvriers se forment et bientôt ils s'établiront dans le pays de grande culture d'où l'on n 'exportera plus que de la filasse29 ».
41Tanot ne limitait pas son aire d'activité aux seuls Trégor et Goëllo, puisqu'en 1834 il exerçait aussi à Quintin30. L'optimisme des élus départementaux allait rapidement s'évanouir et, dès 1837, force était de constater que tous les ouvriers formés à la méthode flamande avaient abandonné ce mode de préparation. Objectivement, les membres du Conseil général reconnaissaient que cet échec tenait « au mécanisme porté au plus haut degré de perfection » alors que dans « ce pays [...] l'ouvrier dénué de ressources [...] fait ce que faisaient ses pères dans un autre siècle31 ».
42C'est bien pour éviter semblable déconvenue que, dès 1836, les députés locaux, Armez et Glais-Bizoin, proposèrent au Conseil général, le choix « d'un homme intelligent, lequel serait envoyé en Irlande, en Écosse, en Belgique, en Saxe, en Silésie, enfin sur les différents points où il se fabrique des tissus de fil et où se trouvent les perfectionnements signalés32 ». Une année s'écoula avant qu'à l'issue d'une réunion préfectorale à laquelle assistèrent seulement cinq marchands de toiles, le choix se portât sur Frédéric Rouxel33. En août 1838, celui-ci rendit compte de son voyage qui lui avait permis de découvrir la Flandre française, la Belgique, la Hollande, la Westphalie, le Hanovre, la Prusse, la Silésie, la Russie et de terminer son périple par l'Écosse et l'Irlande. Dans chaque pays il s'était intéressé à la nature du sol qui portait du lin, à la préparation des terres avant culture, aux engrais utilisés. Son attention avait aussi été attirée par les méthodes de rouissage et de broyage ainsi que par les techniques de filature. De cet examen complet, Rouxel concluait à la nécessité d'utiliser des « mécaniques » pour préparer le lin et de créer une association des producteurs34.
43Le voyage de Rouxel et sa présentation des usines Marshall de Leeds en Grande-Bretagne avaient définitivement convaincu les pouvoirs publics locaux de la nécessité d'importer des machines et de créer des usines. C'est ainsi que, dans sa session de 1839, le Conseil général des Côtes-du-Nord proposa d'accorder une prime de soixante mille francs à tout industriel ou à toute société susceptible d'implanter une usine à filer le lin à la mécanique35. Après des tentatives infructueuses auprès de la société Decarte-Girard-Van Troyen et Cie, seule la maison Schlumberger et Cie de Guebwiller donna un accord de principe. Toutefois, n'ayant pu trouver des capitalistes locaux désireux de s'associer à son entreprise, elle se retira au profit de Clerc-Kaiser et Cie du Havre. À son tour, cette entreprise adopta la même attitude, et ce n'est pas l'augmentation de l'aide départementale portée à quatre-vingt-dix mille francs qui pouvait modifier sa décision36.
44Puisque l'extérieur n'accordait aucun intérêt à la survie de la manufacture, ses membres les plus dynamiques n'ont compté que sur leurs forces. Dès son retour de voyage, F. Rouxel avait installé dans la vallée du Gouët à Saint-Brieuc, une petite usine de sérançage et de filage du lin qui utilisait une machine importée d'Irlande37. Une autre alternative était désormais possible depuis que le mécanicien lannionnais Le Bonniec offrait, pour trois cents francs, un appareil capable de réaliser à la fois le broyage du lin et son spatulage38. Toutefois comme le constataient amèrement les membres du Conseil général, en 1841 :
« Ce ne sont pas les bonnes méthodes qui manquent à la fabrication, ce sont les capitaux39 ».
45Les pouvoirs publics se montraient ouverts à toute proposition susceptible de secourir l'industrie toilière, mais leur statut institutionnel, comptable des finances publiques, ne les incitait guère à prendre les risques qu'imposait une économie libérale. Il faut dire qu'en face la plupart des marchands n'ont pas voulu ou pas pu se décider à devenir des industriels. La création du Comité de l'association linière en 1838 le prouve40. Cette association était destinée à venir en aide au monde de la toile, en fournissant aux fileuses et aux tisserands une matière première à moindre prix. Ce n'était, toutes proportions gardées, qu'une centrale d'achat. Et c'est bien ce que lui reprochait le sous-préfet de Lannion qui écrivait le 13 juillet 1839 :
« J'attendais quelque chose de mieux qu'une simple souscription de cette réunion d'hommes honorables appelés de tous les coins du département. Deux cents actionnaires à cinq actions de mille francs auraient fourni un capital suffisant d'un million de francs pour fonder une filature ou plusieurs de moindre importance qui eussent donné de l'occupation à tous nos tisserands et rendu vie à notre commerce des toiles dans toutes ses branches ».
46Au cours du xixe siècle, un certain nombre de marchands de toiles n'ont pas seulement occupé la traditionnelle fonction de commerçant, ils se sont aussi orientés vers la production. Parmi ceux-ci il faut évoquer François-Cyprien Baron du Taya. Ce personnage, né à Quintin en 1782, était fils et petit-fils des anciens sénéchaux de cette ville. Il était persuadé qu'entre les tisserands et les marchands devaient exister des intermédiaires chargés d'organiser la production.
47C'est pourquoi il installa deux ateliers de filage et de tissage à L'Hermitage-Lorge, lui se chargeait des achats de lin et de la commercialisation des toiles41. Alors qu'en 1843 le salaire journalier des fileuses et des tisserands était tombé à vingt-cinq et soixante-quinze centimes, il payait ses ouvrières et ses ouvriers de zéro franc quarante à un franc. Mais, pour mener à bien son entreprise, Baron du Taya ne disposait pas de capitaux suffisants. Si la visite de ses ateliers par une délégation du Conseil général lui procura bien une aide de trois mille cinq cents francs, on était loin des trente mille francs susceptibles d'assurer l'avenir du projet42.
48Baron ne se découragea pas pour autant et, en 1847, il participa à la création du Comité linier d'Uzel. Comme dans les actions précédentes, il s'agissait de favoriser l'extension de la culture du lin au sein de la manufacture. Alors que le kilo de « lin en bois » était vendu de quinze à vingt centimes au marché de Guingamp, il atteignait quarante centimes sur ceux d'Uzel et de Loudéac. Pour favoriser cette nouvelle entreprise, le Comité linier reçut en 1848 et 1849 deux aides de trois mille francs octroyées par le ministère de l'Agriculture. Les résultats ne semblent pas avoir été à la hauteur des espérances43. En 1852, une statistique de l'arrondissement de Loudéac concernant les surfaces cultivées en lin fournit cent quarante-quatre hectares alors que ce chiffre était de deux cent quarante-six en 184044.
49Cet échec de la manufacture peut être relevé dans les délibérations du Conseil Général de 1847, puisqu'on lit à cette date :
« Déjà nous avons trop donné à des mesures qui n 'ont pas produit d'appréciables résultats ».
50La même assemblée concluait en 1849 :
« Depuis plus de vingt ans la fabrication des toiles est dans un état complet de dépérissement45 ».
51Tout ceci peut être observé aussi bien à Uzel qu'à Quintin. La location des halles de cette première cité a subi une décroissance qui rappelle la réduction sensible du nombre de marchands de toiles patentés à Quintin. L'année 1840 marque la fin des dernières grandes expéditions de toiles « bretagnes » et la cessation d'activité des derniers marchands d'importance, Bouan fils ou Guillo-Lohan46.
Conséquences économiques et humaines
52Jusqu'au début du xixe siècle, ce qui caractérisait les communes de la manufacture, c'est la permanence d'une activité agricole de type archaïque. Les vicissitudes de la production toilière et plus encore celles de son exportation ont conduit à des tentatives d'amélioration de l'agriculture locale.
Impossibles améliorations agricoles
53La première modification du monde agricole tient au recul progressif du domaine congéable et à l'acquisition d'une certaine autonomie par une partie des agriculteurs. Il est malaisé de saisir pleinement l'importance du phénomène, mais les actes notariés qui l'évoquent semblent avoir prolongé un phénomène qui a déjà été évoqué pour le siècle précédent. Pour la période an XI-1828, treize actes rédigés par les notaires de Quintin, Uzel, Loudéac ont été conservés. Bien que ce nombre d'actes paraisse restreint, chacun concernait au moins une dizaine de convenants.
54Les raisons qui ont conduit les propriétaires du sol à modifier son statut semblent résulter de deux causes. La première cause, facilement observable, était un besoin pressant d'argent par une noblesse désargentée. On vérifie ce phénomène, autour d'Uzel et de Quintin, avec des actes rédigés par Loz de Beaucours, Keroignant-Trézel, du Bouexic, de Bellingant, de Carcado47. La seconde tenait à un changement de propriétaires. Lorsque ces derniers étaient étrangers à la région, ils ont souvent éprouvé le besoin de transformer le statut du vieux domaine congéable en fermage traditionnel. Dans d'autres cas, ils ont vendu des exploitations qui leur paraissaient d'un faible rapport. C'est ce qui ressort des contrats rédigés par M. de Janzé dans les cantons de Loudéac et de La Chèze, par M. Riollay dans celui d'Uzel, par le marquis de La Fayette autour de Quintin48. Ces modifications ne doivent pas être interprétées comme un bouleversement du monde rural, mais plus comme un frémissement qui a seulement touché quelques laboureurs et certains marchands de toiles susceptibles d'acquérir des terres.
55Un second phénomène, relevé à Loudéac et au Quillio, mérite d'être mentionné : la vente de « communs ». De 1807 à 1819, la mairie de Loudéac a procédé à l'adjudication des landes proches des différents hameaux. Même si les surfaces mises à l'encan n'ont jamais été très importantes, seuls les notables locaux ou les paysans aisés ont pu s'en rendre maîtres49. C'est le besoin d'argent de la municipalité du Quillio qui explique ses premières loties des landes du Cosquer et de Lorette en 182950. Comme à Loudéac, les portions mises en ventes étaient de petite taille. Il a fallu attendre 1839 et une ordonnance royale pour voir la vente d'une grande partie des landes du Quillio51. Il est vrai que la situation désastreuse de la manufacture y poussait fortement. Pourtant, suite à l'enquête « commode velincommodo », des contestations sont apparues. Alors que quelques propriétaires locaux revendiquaient tout ou partie de ces terres, les paysans pauvres s'opposaient à la disparition des communs.
56Le besoin de fermes-modèles destinées à vulgariser les techniques agricoles modernes s'est alors fait sentir dans l'arrondissement de Loudéac. Dès 1831 Houssemen, marchand de toiles à Uzel, proposa au conseil général des Côtes-du-Nord une souscription ou un emprunt pour financer ce type d'exploitation qui aurait aussi une fonction de fabrique d'instruments aratoires52. Bien que les membres de l'assemblée départementale aient approuvé les vues d'Houssemen, ils ne purent les financer.
57En 1840, l'abbé Le Mercier, prêtre de Loudéac, fonda, au lieudit La Belle Joie, une ferme-école dans « le but de réunir des garçons pauvres et de diriger leurs talents et leur instruction vers l'agriculture53 ». Les premiers travaux semblent avoir été prometteurs, puisque quatorze hectares furent rapidement arrachés à la lande. Cependant cette initiative s'avéra trop localisée et son objectif trop modeste pour influencer durablement « les populations de ce pays, abattues par la chute de son commerce des toiles54 ». Et ce n'est pas quelques subventions de trois cents francs votées par le Conseil général du département ou gracieusement attribuées par le ministère de l'Agriculture, qui pouvaient subvenir aux besoins d'une telle entreprise.
58C'est sous la monarchie de Juillet que se développa le mouvement des comices agricoles déjà amorcé sous le régime précédent. Comme dans le centre-Bretagne l'activité toilière n'offrait plus de perspectives, certains notables marchands se sont alors retirés sur leurs terres où ils se sont livrés à une série d'expérimentations et d'études théoriques destinées à bonifier les sols et à améliorer les races animales.
59En 1821, le premier comice agricole mis en place dans les Côtes-du- Nord eut pour cadre le canton de Plœuc et pour initiateur François-Cyprien Baron du Taya. Son fonctionnement servit de modèle à celui d'Uzel établi en 183655.Il est vrai que parmi les membres fondateurs de ce dernier, outre le nom de Baron du Taya on relève aussi celui de l'avocat Alexandre Glais-Bizoin. Le nombre des membres de cette dernière association s'élevait à soixante-dix et la souscription individuelle était fixée à trois francs. Selon Paul Houée, le comice agricole d'Uzel a été le plus dynamique de tous ceux qui sont alors apparus dans l'arrondissement de Loudéac56. Il était placé dans une région naturellement plus riche et l'effondrement toilier l'a secouée de sa léthargie agricole. Sa chance c'est d'avoir été dirigé par des personnalités marquantes : Glais-Bizoin (1836-1848), Baron du Taya (1848-1862), de Cuverville (1862-1868).
60La préoccupation initiale du comice d'Uzel, ainsi que l'annonçait Glais- Bizoin, en 1839, était double. Il s'agissait de distribuer des graines de façon massive et d'essayer, en public, des instruments aratoires perfectionnés afin d'en démontrer l'utilité et les bienfaits. Tous ces efforts avaient pour but de briser le carcan qui gardait l'agriculture prisonnière du système de jachère. En modifiant l'assolement traditionnel et la variété des plantes destinées à la fumure du sol, on pouvait ainsi développer le cheptel et engraisser les terres. Avec Baron du Taya, les membres du comice d'Uzel prolongèrent les distributions de graines de chou et de « turneps » y ajoutant aussi celles de lin.
61À ce propos, il existait une différence d'appréciation entre Baron du Taya et les autorités préfectorales. Pour l'un, la manufacture pouvait se suffire en produisant elle-même sa matière première, alors que pour les autres les productions du Goëllo et du Trégor y suffisaient. C'est d'ailleurs ce que transcrivait en 1849 une missive du sous-préfet de Loudéac :
« Quant à la culture du lin, il faut la soutenir sans doute, sans chercher néanmoins à lui donner le développement que le président du comice paraît désirer. L'industrie toilière n 'est plus dans le canton qu 'une industrie secondaire. Elle ne peut venir qu'après l'agriculture57 ».
62D'autres comices sont apparus, à la même époque, dans l'aire de l'ancienne manufacture : Loudéac et Plouguenast (1838), La Chèze (1842), Collinée (1850). Ces différentes naissances prouvent bien que c'en était fini de l'activité textile traditionnelle, même s'il a fallu attendre la loi de 1850 pour voir le partage définitif des biens communaux.
Incidences sur la population
63Ce demi-siècle de reconversion économique s'est traduit, dans la manufacture, par de profonds bouleversements humains. Ceux-ci apparaissent au travers des recensements réalisés à partir de 180158. Il est vrai que tous ne présentent pas le même degré de fiabilité, mais l'ensemble fournit un profil général qui demeure grossièrement valable quand on l'associe à d'autres sources59.
64La courbe de longue durée établie grâce aux recensements et concernant les communes toilières permet de relever deux phases. La première correspond au premier tiers du xixe siècle et elle se caractérise par une croissance à peu près régulière du nombre des habitants. Au contraire, à partir de 1831, on observe un déclin qui s'est prolongé tout au long du siècle. Dans le détail, des anomalies affectent les années 1806 et 1841. Il semble malaisé de retrouver les causes de la première anomalie, par contre la seconde s'explique par un début d'émigration.
65Bien que de nombreux renseignements puissent être relevés dans les recensements, ceux-ci ne sont pas apparus susceptibles de faire ressortir les particularités qui pouvaient exister alors entre les différentes zones de la manufacture. C'est pourquoi, seules les « communes témoins » qui avaient déjà été étudiées démographiquement entre 1679 et 1788, ont paru mériter une nouvelle analyse pour la phase 1801-1840.
66La transcription graphique des informations fournies par les registres d'état civil, a heureusement complété ce que ne laissaient pas apparaître les recensements. La natalité, dans ces sept communes où la production toilière était l'activité dominante, a connu son maximum en 1821 et ultérieurement elle n'a cessé de décroître. Quant à la mortalité, la période consulaire semble avoir prolongé ce qui avait été déjà observé avant la Révolution. C'est ainsi que de 1801 à 1804, une suite ininterrompue de mauvaises récoltes a fait resurgir les affres de la famine, non seulement dans la manufacture, mais aussi dans tout le département. Paradoxalement le choléra de 1832 ne semble pas avoir été aussi meurtrier que dans le reste de la France et c'est, au contraire, les années suivantes qui ont été désolantes pour le centre-Bretagne.
Graph. 34. - Recensement des communes de la manufacture de 1801 à 1901

. (Source : DDE, 22)
Graph. 35. - Évolution démographique de la manufacture des « bretagnes » de 1801 à 1840

. (Sounes : AC, Loudiac, Quint in, Uzel\ La Motte, Saint-Brandan, Saint-Thilo, Trévé)
Tab. 32. - Évolution démographique de la manufacture des toiles « bretagnes ».

(Sources : AC Loudéac, La Motte, Trévé, Uzel Saint-Thélo, Quintin, Saint-Brandan
Tab. 33- — Analyse de l'évolution démographique de la manufacture des toiles « bretagnes ».

(Sources : AC Loudéac, La Motte, Trévé, Uzel, Saint-Thélo, Quintin, Saint-Brandan
67L'analyse démographique, pour la phase 1801-1840, permet d'observer une baisse de la natalité, par rapport aux périodes précédentes. C'est ainsi que le quotient naissances-mariages est descendu à 4,75, alors qu'il s'élevait à 5,06 pour toute la période 1679-1788. Par deux fois, dans les décennies 1801-1810 et 1831-1840, on assiste aussi à une surmortalité. Celle-ci a favorisé une diminution du nombre des hommes et elle explique, partiellement, les chiffres fournis par les recensements de 1806 et de 1841. La conservation de relevés nominatifs pour Quintin permet de mieux appréhender le phénomène60.
Évolution de la population de Quintin

68La situation quintinaise justifie les appréciations négatives précédemment formulées par Digaultray ou Baron du Taya puisque, par six fois, l'accroissement naturel de la cité s'est avéré négatif. Toutefois les différences facilement observables, entre les recensements réalisés de 1801 à 1836, font découvrir le phénomène d'attirance exercé par cette ville. C'est en conservant des habitudes héritées du xviiie siècle qu'elle a pu, momentanément, maintenir une population importante dans ses murs. La phase 1836-1841 est bien celle qui fixe de manière irrémédiable la mort de l'activité toilière à Quintin et l'exil d'un grand nombre de ses ouvriers.
Quand les Bretons se vendaient
69Pour l'ensemble de la manufacture, il est souvent malaisé de suivre cet exode des populations toilières. La sécheresse des recensements, ou parfois leur inexactitude, conduit souvent à ne pouvoir relever tous les départs qui se sont peu à peu transformés en grands flux migratoires. Les départs d'ouvriers en quête de travail ont sans doute été consignés par les autorités communales, mais en dehors de Trévé les enregistrements des départs n'ont pas été conservés. C'est pourquoi il a paru intéressant d'aborder ce phénomène sous l'angle des « achats d'hommes ».
70On désignait par cette expression, la possibilité donnée à un conscrit de ne pas effectuer son service militaire et de fournir un remplaçant. Pour authentifier ce changement de conscrit, un acte officiel était rédigé devant notaire. C'est ainsi que six cent quatre-vingt-onze contrats rédigés entre 1805 et 1830 ont été retrouvés chez les notaires de la manufacture61.
Origine des achats d'hommes

71À la lecture de ce tableau on demeure étonné du petit nombre de notaires qui, à Quintin et Loudéac, ont rédigé de tels actes. Tout porte à croire qu'il s'agit d'un problème de sources, d'autant que ce genre d'engagement était un phénomène déjà connu sous l'Ancien régime. En effet, trois actes notariés rédigés dans la première cité et qui évoquent des substitutions d'hommes pour la milice, ont été retrouvés62. Ces départs ne représentaient pas encore un exutoire au trop plein d'hommes de la manufacture, mais ils peuvent permettre d'interpréter un courant qui a pris de l'ampleur avec les levées en masse de la Révolution et plus encore avec celles de la période napoléonienne. Outre les besoins toujours plus nombreux en hommes qui n'ont cessé pendant plus de vingt années, il faut aussi rappeler l'extrême détresse qui touchait alors l'ensemble des divers ouvriers de la manufacture.
72La transcription graphique de tous les « achats d'hommes » fait apparaître un premier clocher d'engagements à la fin de la période impériale. L'explication qui peut en être donnée est aisée, puisqu'à cette période la Grande Armée était aux abois et que, seul, le marché intérieur français demeurait ouvert aux producteurs bretons de toiles. Les pics que l'on retrouve en 1818, 1822, 1827, ne résultent plus des contraintes militaires, mais sont étroitement associés au déclin de la manufacture.
Graph. 36. - Achats d'hommes dans la manufacture 1805 à 1830.

(Sources : Arch. Not., M° Dibou, Jéhanno, Vessières, Le Verre et Saint-Drenant pour l'ensemble de leurs fonds)
Graph 37. — Sommes versées pour les achats d'hommes de la manufacture de 1805 à 1830

(Sources : Arch. Not., M° Dibou, Jéhanno, Vessières, Le Verre et Saint-Drenant pour l'ensemble de leurs fonds)
73Quels habitants de la manufacture étaient susceptibles de s'enrôler, au risque de perdre la vie en période de guerre ? De 1805 à 1830 et en reprenant la terminologie utilisée par les notaires, trois professions semblent avoir été plus enclines à fournir des remplaçants : les gens de la toile, les paysans et les domestiques. Pour les premiers si la cause était toujours la même, on peut s'interroger sur ce qui motivait les deux autres catégories.
74II serait faux de laisser croire que ces paysans et ces domestiques étaient des ouvriers tisserands congédiés, pourtant on ne peut s'empêcher de rappeler ce qui a été dit sur la filière de production des toiles dans la manufacture.
75Qui furent les remplacés ? Il est relativement facile de les connaître, puisque les notaires ont toujours signalé leurs noms et leurs adresses. La plupart, un peu plus de soixante-dix pour cent, étaient originaires des Côtes- du-Nord. Il s'agissait de jeunes gens issus de familles aisées. Pendant toute cette période, la manufacture a servi de vivier aux conscrits fortunés qui n'éprouvaient aucune envie de s'immortaliser sur les champs de bataille européens. À Saint-Brieuc, Lamballe, Guingamp, certains ont ainsi pu échapper à l'horrible destin qu'annonçait le tirage d'un « mauvais numéro ». Leur attitude qui prolongeait les revendications antimilitaristes des cahiers de doléances, s'est prolongée sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet, même si les conséquences funestes étaient alors moins prévisibles. C'est ainsi qu'aucun fils de marchand de toiles de la manufacture n'a rempli, contre son gré, ses obligations militaires. Quant aux ruraux qui ont adopté la même attitude, il s'agissait des héritiers des « coqs de villages ».
Graph. 38. - Professions des remplaçants.

(Sources : Arch. Not, Me Dibou, Jéhanno, Vessières, Le Verre et Saint-Drenant pour l'ensemble de leurs fonds)
76On demeure étonné par le pourcentage de vingt-deux pour cent s'appliquant aux remplacés originaires des départements normands, principalement de l'Orne et du Calvados. C'est que, de longue date, il existait des relations commerciales soutenues entre la Normandie et la manufacture : achats d'animaux bretons et ventes de productions chaudronnières normandes avaient été, depuis des siècles, pratiques courantes63.
Graph. 39. - Profession des pères des remplacés

(Sources : Arch. Not., Mer Dibou, Jéhanno, Vessières, Le Verre et Saint-Drenant pour l'ensemble de leurs fonds)
77Ceci conduit tout naturellement à s'interroger sur ceux qui pouvaient servir d'intermédiaires entre le conscrit et son remplaçant. Pour comprendre le phénomène il suffit de prendre quelques exemples. Le premier est fourni par Jacques-Philippe Desmonts. Ce personnage, d'abord qualifié de cultivateur, était originaire de Bernière-Le-Patry (Calvados) et il apparaît pour la première fois le 7 juin 1813, dans les actes de Me Pouligo notaire à Quintin64. Il semble avoir bénéficié d'appuis locaux, puisqu'en cette année de grande activité militaire, les marchands de toiles, Bouan de Quintin et Jolly de Moncontour, lui ont trouvé quatre hommes susceptibles de s'engager. Les différents tabellions de la manufacture ont ensuite signalé sa présence entre Quintin et Uzel jusqu'en 1827. Bien que de nombreux documents aient disparu, trente-trois actes d'engagement rédigés en sa présence ont cependant été retrouvés. Cette activité singulière a suscité des vocations d'intermédiaires locaux. Sont alors apparus des courtiers, comme Jean-François Blivet tailleur d'habits à Allineuc, Guillaume Penault boucher à Uzel, Jean-Marie Robin jardinier à Quintin. C'est leur connaissance du milieu rural et plus encore des affres des habitants de la manufacture qui expliquent leur succès.
78Après 1830 il y a eu des « agents d'affaires ». Le plus célèbre était le Briochin Feuillie qui, entre 1840 et 1842, « a enlevé » onze hommes dans les seuls environs d'Uzel65. Une correspondance entre le préfet des Côtes-du- Nord et le Ministre de la guerre nous en apprend plus sur Feuillie. Il était accusé d'agir dans les campagnes par l'intermédiaire d'agents secondaires et d'expédier les malheureux remplaçants « sur des maisons établies dans les principales villes de l'Ouest ». Sur les cinq cents suppléants qu'avait fourni le département, en 1841, cent avaient été recrutés par Feuillie. Il n'était pas seul à écumer une région victime de la crise toilière, puisque le sous-préfet de Loudéac y signalait, à la même époque, la présence de courtiers représentant des « maisons » de La Roche-sur-Yon, Alençon, Évreux.
79Le besoin pressant de subsistance était le mobile évident de tous les engagements, mais à combien s'élevaient ces achats ? On peut parler d'une bourse des valeurs du conscrit breton, car la prime d'engagement dépendait de la conjoncture militaire française. La présence d'intervenants extérieurs comme Desmonts semble même avoir aussi provoqué une certaine inflation. Ainsi en 1813, trois de ses transactions ne pouvaient manquer d'attirer l'attention, puisqu'elles étaient de trois mille six cent cinquante- quatre francs, quatre mille trois cent cinquante francs et de six mille francs. En comparaison avec les prix pratiqués localement, cela représentait une augmentation de trente pour cent.
80Si, pour les notables locaux soucieux d'épargner la vie de leurs enfants, le sacrifice n'était pas au-dessus de leurs moyens, il prenait une autre importance dans des catégories sociales moins fortunées ; aussi de nombreux exemples d'actes concernant ces familles évoquent-ils des rentes en nature versées à la mère ou à l'épouse du remplaçant. C'est que de nombreux remplaçants, à l'exemple d'Yves Le Couturier, journalier originaire de Saint- Brandan, étaient sans ressources. Outre les mille francs d'engagement fractionnés en trois versements, la femme de Le Couturier était assurée de recevoir, pendant six ans, une rente de onze décalitres de seigle, quatorze décalitres de blé noir et autant d'avoine.
81Après une chute des prix qui se vérifie au début du règne de Louis XVIII, ceux-ci ont repris une lente progression, mais ils n'ont alors jamais dépassé deux mille francs, même après 1840. Pourquoi payer plus cher des individus que tout poussait déjà à s'exiler !
Une misère généralisée.
82Comment ce demi-siècle d'indigence généralisée à toute une région a-t-il été perçu localement ? Les documents qui l'évoquent sont rares et le plus souvent incomplets. Loin de proposer des solutions susceptibles d'en réduire les effets, ils se contentent d'en relever les manifestations. Au cours de la phase impériale, voici ce qu'écrivait le maire de Saint-Brieuc :
« L'hiver approche, les denrées de première nécessité augmentent malheureusement ; presque journellement l'ouvrage manque aux ouvriers de tout genre [...]. Beaucoup d'entre eux ont déjà pris des passeports pour aller chercher du travail à Nantes, à Cherbourg et dans les villes voisines66 ».
83À la même époque, son collègue de Loudéac évoquait « la foule de pauvres étrangers, ainsi que de cette cité (qui se présentait) journellement aux portes pour y demander l'aumône67 ».
84Les années 1811 et 1812 semblent avoir été catastrophiques pour la région ainsi que le transcrivent certaines délibérations municipales. Toujours à Loudéac, le maire qui demandait une subvention de six cents francs pour le bureau de bienfaisance reconnaissait, le 15 mai 1811, que c'était « peu pour distribuer pendant l'année à deux cents pauvres68 ». À Trévé où la situation était identique, les édiles prévoyaient un crédit de mille cinq cents francs convertible en achats de grain et de filasse et destinés aux pauvres69. Depuis Allineuc, une demande de mille francs parvenait aux services de la préfecture « pour secourir les indigents de cette commune dont le nombre se multiplie tous les jours en raison de la chute du commerce [...]. Mille individus sont hors d'état de pourvoir h leur subsistance et ne vivent que d'aumône70 ». Le 27 janvier 1812, un courrier de Jean-Marie Morice confirmait la situation de la manufacture :
« La misère est ici à son comble. Les deux dernières récoltes ont été mauvaises, les fermiers sont ruinés, les tisserands ne gagnent pas l'eau à boire71 ».
85Paradoxalement ce genre de doléances a disparu avec le retour des Bourbons et il n'est réapparu que sous le règne de Louis-Philippe, avec l'obligation d'ouvrir une école primaire dans chaque commune. C'est pour justifier leur incapacité à répondre aux obligations de la loi que Saint-Thélo et Saint-Hervé ont établi une correspondance avec la préfecture. Dès 1831, le Conseil municipal de Saint-Thélo évoquait « l'état de misère où (étaient) réduits les quinze seizièmes des habitants, par la stagnation totale du commerce72 » et c'est la même analyse que l'on retrouve formulée en 1832 pour Saint-Hervé73.
86Dans les années suivantes, la situation n'a cessé de se dégrader au point que les municipaux loudéaciens constataient amèrement en 1841 « la classe ouvrière [...] devient de plus en plus malheureuse depuis la chute du commerce des toiles » et d'ajouter « Tous les tisserands dans la commune [...] sont en grande partie indigents74 ».
87Cette même année, une vaste enquête a été menée pour connaître la situation économique des populations du département des Côtes-du-Nord, mais seules les informations concernant l'arrondissement de Saint-Brieuc ont été conservées75. On y découvre aussi bien la grande détresse des fileuses de lin du Goëllo que le grand dénuement des ouvriers des cantons de Quintin et de Plœuc ; or cette dernière zone approvisionnait le marché aux toiles de Quintin.
Tab. 34. - La pauvreté en 1841.

(Source : ADCA, 22, 3 X 19)
88Au milieu de cet océan de détresse, les notables quintinais associés aux représentants de l'État se mobilisèrent pour résister à la chape de misère qui s'abattait sur leur ville. En 1838, un atelier de charité destiné à fournir du travail à domicile aux fileuses et aux tisserands indigents fut créé à Quintin. Afin d'éviter une concurrence avec les autres ouvriers de la cité, les salaires devaient être inférieurs de dix pour cent à ceux pratiqués localement. En 1864, qui semble marquer le stade ultime de cette entreprise, son capital était ainsi constitué.
89L'atelier s'est vu attaquer aussi bien par certains tisserands que par certains marchands devenus fabricants. Les uns et les autres lui reprochaient de faire concurrence à l'industrie privée et de sortir de ses attributions, en ne se bornant pas à employer des ouvriers invalides et en formant des apprentis. Pourtant, comme le reconnaissaient ingénument les membres de la Commission administrative, les techniques utilisées aussi bien pour le filage que pour le tissage demeuraient archaïques. Plus grave aux yeux des opposants, la production de l'atelier s'était orientée, depuis 1854, vers la fabrication de toiles de coton.
90Dans le tableau réalisé en 1864 pour justifier de l'état des sommes versées à l'entreprise philanthropique, on demeure frappé par certains aspects76. C'est bien au cours de la décennie 1840-1849 que l'effort le plus important a été réalisé pour résister aux effets de la crise toilière. Dans les années qui ont suivi, seuls les dons individuels se sont prolongés. Tous ces éléments confirment bien que la production des toiles « bretagnes » qui avait été l'activité principale du département des Côtes-du-Nord, est désormais apparue comme un élément accessoire.
Tab. 35- Sommes versées à l'atelier de charité de Quintin

(Source : A C, Quintin, Q1)
Notes de bas de page
1 AC, Quintin, F 17
2 AP, M. Hervé, Planguenoual, pour Bouan ; AP, M. Mazurié des Garennes, Saint-Malo, pour Garnier des Garennes, AP, famille Guillon pour Moricre
3 Kaspi (André), Les Américains, Paris, 1986, t. 1, p. 123.
4 ADCA, 6M et 9M
5 Durand (René), Le département des Côtes-du-Nord sous le Consulat et l'Empire, 1800-1815, Paris, 1926, t. 1 p. 99
6 AP, M. Mazurié des Garennes, Saint-Malo, pour A. Garnier des Garennes
7 AC, La Motte, registre des délibérations du Conseil municipal
8 Ibid., registres d'état-civil, 1809-1812
9 AC, Saint-Hervé, registres d'état-civil, ans III, IV.
10 AC, Trévé
11 AC, Le Quillio, registres d'état-civil, 1809
12 AC, Saint-Brandan, registre des délibérations du Conseil municipal, 1810
13 ADCA, 2 N 25
14 ADCA, 1 N 8
15 ADCA, 9 M
16 ADCA, 1 N 10
17 ADCA, 1 N 12
18 adca, 1 n 12
19 ADCA, 1 N 13
20 ADCA, 1 N 11
21 ADCA, 3 K 1
22 ADCA, 9 M 1
23 ADCA, 9 M 1.
24 ADCA, 9 M 7
25 AP, M. de Bagneux, fonds Baron du Taya
26 Ibid
27 ADCA, 1 N 16 à 33
28 ADCA, 1 n 18
29 ADCA, 1 n 19
30 ADCA, 1 n 20
31 ADCA, 1 n23
32 ADCA, 1 n 22
33 ADCA, 1 n 23
34 ADCA, 1 n 24
35 ADCA, 1 n 25, 26,27
36 ADCA, 1 n 25.
37 ADCA, 1 n 27
38 Ibid
39 Ibid.
40 ADCA, 9 M 7, 9 M 8, 1 N 29,30.
41 Brouard (Yvon), La manufacture des toiles « Bretagnes » 1800-1865, mémoire de maîtrise, Rennes, 1993 p. 92
42 ADCA, 1 N 36
43 Brouard (Yvon op. cit., p. 94
44 ADCA, 1 N 33
45 ADCA, 1 N 35
46 AP, M. Hervé, Planguenoual pour Bouan et M. Boca pour Guillo-Lohan
47 Arch. Not., Me Jéhanno pour Me Perrio, 1810, 1818,Me Pouligo, 1820, 1822. Me Veissières pour Me Tilly, 1817, Me Le Couédic, 1824. Mes Le Verre et Saint-Drenant pour Me Saffray, an XI, 1814, 1816
48 Arch. Not., Me Le Verre et Saint-Drenant pour Me Saffray, an XI Me Vessières pour Me Le Coué- dic, 1824. Me Jéhanno pour Me Perrio, 1820
49 Arch. Not., MeLe Verre et Saint-Drenant pour Me Saffray, 1810. ADCA, 3 E 40
50 Arch. Not., Me Veissières pour Me Le Marchand, 1829
51 Ibid., 1839
52 ADCA, 1 N 16
53 Annuaire des Côtes-du-Nord, 1841
54 Ibid.
55 ADCA, 7 M 54
56 Houee (Paul), Coopération et développement agricole en Bretagne centrale, thèse de sociologie, Poitiers, 1966, p. 24
57 ADCA, 7 M 54
58 DDE 22
59 AC, La Motte, Loudéac, Quintin, Trévé, Saint-Brandan, Saint-Thélo, Uzel, registres des naissances 1801-1840
60 AC, Quintin, F 4
61 ADCA, 3 E 40 et Arch. Not., Me Dibou, Jèhanno, Vessiètes, Le Verre et Saint-Drenant
62 Arch. Not., MeJéhanno pour Me Chandemerle, 1729, 1735. Me Thomas, 1769
63 Arch. Not., MeJéhanno pour Me Chandemerle, 1739. Me de Pallière, 1772. Me Thomas, 1782
64 Arch. Not., Me Jéhanno, pour Me Pouligo, 1813
65 AD, 1 R 679
66 AC, Saint-Brieuc, D 1
67 AC, Loudéac, Registre des délibérations du Conseil municipal
68 AC, Trévé, Registre des délibérations du Conseil municipal
69 AC, Loudéac, Registre des délibérations du Conseil municipal
70 AC, Allineuc, Registre des délibérations du Conseil municipal
71 AP, Famille Guillon, Trévé, pour J.-M. Morice
72 AC, Saint-Thélo, Registre des délibérations du Conseil municipal
73 AC, Saint-Hervé, Registre des délibérations du Conseil municipal
74 AC, Loudéac, Ibid
75 ADCA, 3 X 19
76 AC, Quintin, Ql
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