1La manufacture des toiles « bretagnes » peut être définie par deux paramètres : le premier est spatial et le second humain. Définir son aire d'extension ne présente guère de difficulté, par contre retrouver les véritables causes qui l'ont suscitée s'avère plus malaisé.

Un espace manufacturier

« Quarante paroisses situées dans la partie méridionale du diocèse (de Saint-Brieuc) s'occupent presque uniquement de la fabrication des toiles de Bretagne et cette espèce d'industrie emploie au-delà de trente-cinq mille personnes occupées en temps de paix au filage, fabrication, blanchissage, apprêt et transport des toiles1 ».

2C'est ainsi qu'un Briochin, le docteur Bagot, évoquait la manufacture des « bretagnes », dans les années qui ont précédé la Révolution française. Les termes utilisés pour décrire cette activité font bien apparaître ce qui l'a toujours caractérisée : son extension, le grand nombre de bras employés à de multiples activités et, enfin, le problème de savoir s'il s'agissait vraiment d'une industrie.

3La meilleure description de la manufacture demeure un rapport rédigé au milieu du xviii^e siècle. Il s'agit d'une étude réalisée par de Coisy, inspecteur des manufactures de Bretagne, et destinée à l'intendant de la province2. On y apprend ainsi que ce n'étaient pas seulement quarante, mais soixante paroisses et trèves qui approvisionnaient régulièrement les marchés aux toiles de Quintin, Uzel, Loudéac.

4Cet ensemble dessinait un quadrilatère dont les pointes extrêmes atteignaient les faubourgs de, Corlay, Pontivy et Moncontour. Trente- neuf paroisses et trèves composant l'essentiel de cet espace appartenaient effectivement à l'évêché de Saint-Brieuc. Le reste de la manufacture relevait de l'évêché de Quimper pour dix-neuf paroisses et de ceux de Dol et Tréguier pour deux3. L'axe structurant la manufacture était constitué par les trois cités qui étaient autant de marchés aux toiles : Quintin, Uzel, Loudéac.

Carte 2. - la manufacture des toiles « bretagnes » en 1751

Paroisses et trèves composant la manufacture des toiles « bretagnes » en 17514

5Pendant les deux siècles d'existence de l'activité toilière dans le centre- Bretagne, des modifications touchant son aire d'extension peuvent être observées. Elles ont affecté sa partie méridionale et plus particulièrement la zone d'approvisionnement du marché de Loudéac. C'est ainsi que les communes de Bréhand-Loudéac, Croixanvec, Rohan, Saint-Samson, Saint-Gonnéry, aujourd'hui situées dans le département du Morbihan, ont participé au développement toilier régional. Le Méné contrôlé par les marchands d'Uzel et de Moncontour s'est, lui aussi, partiellement consacré à la production des toiles ; mais en comparaison avec les autres marchés, celui de Moncontour n'a jamais pu rivaliser avec ses concurrents, ni en quantité ni en qualité, en ce qui concerne les toiles présentées.

6Alors que les cités de Quintin et de Loudéac occupaient le centre de leurs aires d'approvisionnement, la situation d'Uzel était plus particulière. Rongé dans sa partie centrale par l'influence de ses deux concurrents, ce marché avait dû s'ouvrir vers l'ouest en pénétrant les paroisses de l'évêché de Cornouaille et vers l'est en s'infiltrant dans le Méné.

7Il serait inexact de laisser croire que chaque tisserand de la manufacture ne fréquentait qu'un marché. De nombreux exemples prouvent qu'en dépit d'habitudes le plus souvent liées à la proximité des lieux d'échange, les producteurs vendaient leurs toiles sur deux marchés. Pour prendre un seul exemple, les ouvriers de Grace commercialisaient leur production aussi bien à Uzel qu'à Loudéac Toutefois cette mobilité repo- sait avant tout sur la spécificité des différents artisans. Pour le paysan- tisserand, ouvrier occasionnel, la vente prenait un caractère spéculatif qui explique facilement ses déplacements. Au contraire, pour l'ouvrier à plein temps, un trop long trajet joint aux aléas de la vente ne compensait pas le désagrément d'une journée de travail occupée à une autre activité.

8Si l'ensemble de la manufacture présentait une apparente unité économique, il n'en allait pas de même concernant l'organisation seigneuriale. Celle-ci était dominée par trois duchés. Ceux de Rohan, de Lorge et de Penthièvre qui se partageaient inégalement la zone de cette étude. Plus à l'ouest, s'étendait enfin la seigneurie de Corlay5.

9Dans l'histoire de la manufacture des « bretagnes », les marchés ont joué un rôle déterminant. Ceci se vérifie quand on associe leur localisation avec celle des principales voies de communication. « L'Indicateur fidèle » rédigé au xviii^e siècle par l'ingénieur Michel, fournit une réponse partielle à cette interrogation. La planche XIV du guide de Michel signale les grands chemins bretons et les localités qu'ils desservaient alors. Dans une province dominée par les pénétrantes militaires est-ouest, l'existence d'axes nord-sud traversant Quintin et Loudéac prouve l'influence économique de ces deux cités6. En complément de la carte de Michel, celle de Cassini permet de redécouvrir un réseau de chemins ruraux drainant les productions locales de toiles vers les trois marchés de la manufacture.

10Quelques éléments d'analyse démographique empruntés à la thèse d'Alain Croix, sont directement applicables à l'aire de la manufacture des « bretagnes7 ». C'est ainsi que, pour cette région entre 1667 et 1770, on observe un accroissement des densités de population. Le lien paraît évident entre activité textile et augmentation du nombre des hommes. Les différentes cartes réalisées par Alain Croix permettent aussi de suivre le glissement du centre de gravité démographique de la région toilière depuis Quin- tin vers le sud, au profit de l'axe Uzel-Loudéac.

Carte 3. -Les grandes seigneuries de la manufacture

Carte 4. - Les évêchés de la manufacture

Carte 5. - Indicateur fidèle

11Sans faire intervenir d'autres éléments que ceux déjà évoqués, tout pourrait conduire à imaginer une apparente autonomie de la manufacture. Cette approche s'avérerait fallacieuse, dans le cas d'une production qui était destinée à des consommateurs étrangers à la région. Il importe donc de relever les éléments qui faisaient l'originalité de cette région et, plus encore, de reconnaître ceux qui ont suscité l'accroissement de la production toilière.

CARTE 6.- carte de Cassini

L'influence des seigneurs locaux

12Les auteurs anciens qui se sont attachés à évoquer l'industrie textile de l'évêché de Saint-Brieuc font remonter son origine au Moyen-Âge8. À la suite de Gaultier de Kermoal, certains ont même voulu lui fixer une cause et une date de naissance précises : 1472, année du mariage de la Quintinaise Jeanne du Perrier avec Jean de Laval9 Ce dernier, outre sa ville éponyme, était alors seigneur de Vitré et Bécherel. Il s'agit de trois cités qui, toutes, ont connu un développement toilier important à l'époque moderne.

13Une telle vision semble un peu limitée et ne résiste guère à l'analyse des comptes de la seigneurie de Quintin pendant le xv^e siècle10. Leur lecture permet de relever que dès l'année 1434 un Olivier Guimard exerçait le métier de tisserand à Quintin. Dix ans plus tard, les mêmes sources signa- lent la présence de filasse de lin dans la chambre des archives du château. Ce produit était destiné au travail des femmes de la « maison », ainsi que le consigne le registre.

14Un rapport de 1476 conforte l'impression d'une ancienneté de la production toilière au sein de l'évêché de Saint-Brieuc11. On peut y lire que :

« Les marchands de Saint-Brieuc [...] Quintin [...] Lamballe [...] Mon- contour faisant toiles (avaient) coutume de les mener en cette ville (Nantes) pour les vendre ausdix Espagneux ».

15Il est donc bien difficile d'imaginer que depuis 1472 quatre années avaient suffi aux marchands de la future manufacture pour s'implanter dans le grand port ligérien.

16L'intérêt que l'on peut retirer de ce dernier document est double. Tout d'abord, il ne limite pas la zone de production des toiles au seul comté de Quintin. Ensuite, il fait apparaître l'ancienneté des liens économiques entre la Bretagne et l'Espagne. Dès 1430 un traité de commerce avait été signé entre le roi de Castille, Jean II, et le duc de Bretagne, Jean V.

17Quelques informations recueillies dans les textes anciens évoquent aussi des relations commerciales sans grand rapport, semble-t-il, avec une influence seigneuriale. La première, relevée chez Monchrestien, mentionne « le grand trafic et correspondance (qui) commença sous notre roi Loys XII [...] puis s'étraignit d'avantage en la minorité de Charles-Quintf12 ». La seconde, puisée dans l'analyse du trafic de Séville, signale, pour la même période, la présence de toiles bretonnes en Andalousie13. En 1511, le navire espagnol San Cristobal partant pour Saint-Domingue, emportait avec lui cinq cents varres14 de toiles « bretagnes ».

18Il serait téméraire d'imaginer que ces tissus venaient obligatoirement de l'évêché de Saint-Brieuc. Toutefois leur dénomination conduit à s'interroger : elle correspond à une appellation donnée ultérieurement aux toiles tissées dans la manufacture des « bretagnes ». Cependant, comme l'a constaté Jean Tanguy, cette zone de production ne constituait pas encore un ensemble cohérent au xvi^e siècle15.

19La connaissance de ce siècle a été facilitée par l'étude des livres d'achats des Ruiz, importateurs espagnols de toiles bretonnes16. Entre 1561 et 1566, Simon Ruiz a acquis mille huit cent quatre fardeaux de toiles bretonnes17. Cinquante-six fardeaux venaient de Quintin18, trente-sept de « Pleuc » et trois cent soixante-huit de « San-Brioc ». Toutefois l'essentiel des achats (six cent vingt-huit fardeaux) provenait de la région de Pontivy où quatre grandes foires attiraient les marchands exportateurs désireux d'acquérir des toiles. Il ne faut pas exagérer l'importance des transactions que l'on y pratiquait. À chaque foire, le volume de vente oscillait seulement entre sept cents et huit cents fardeaux. Une comparaison de ces chiffres, avec ceux des productions de la manufacture au xviii^e siècle, les place dans le rapport d'un à trois19.

20À partir de 1560, le développement toilier régional qui paraissait prendre un certain essor a vu son élan brisé par les événements politiques. La seconde moitié du xvi^e siècle correspond, en effet pour la Bretagne, à une période d'insécurité militaire. Depuis longtemps celle-ci a suscité l'intérêt des érudits locaux20. Si ces recherches évoquent surtout les faits d'armes et les violences éprouvées par les populations civiles, elles permettent aussi de découvrir l'influence des conflits sur l'activité toilière.

21Entre 1560 et 1570, le Loudéacien Kerguézangor de La Ville-Audren a mis à feu et à sang le centre-Bretagne. Cet ancien précepteur des enfants du duc René de Rohan s'est signalé à l'attention des autorités provinciales par les multiples exactions qu'il a commises. La plus fameuse, l'assassinat de dix marchands rennais qui fréquentaient les foires locales, a d'ailleurs provoqué son arrestation. Il est aisé d'imaginer, au travers de cet exemple digne d'un gentilhomme-brigand du Moyen-âge, tous les désagréments subis par le commerce local des toiles.

22L'épisode des guerres de la Ligue, entre 1589 et 1599, occupe une place importante dans la liste des entraves apportées à la principale activité locale. Non seulement ce conflit a mis aux prises de nombreux hommes d'armes, mais aussi il les a fait vivre militairement sur le pays. En outre, dans le cadre provincial, un tel conflit semble avoir bouleversé certaines structures traditionnelles et ravivé des oppositions seigneuriales. La nomination de Mercœur à la fonction de gouverneur de la Bretagne et sa prise de position pour la Ligue furent à l'origine d'une nouvelle guerre féodale. Voulait-il reconstituer l'unité provinciale à son profit ? Tout porte à le croire, puisque sa reddition à Henri IV fut finalement obtenue par le mariage de sa fille avec un bâtard royal, le duc de Vendôme.

23Pendant cette décennie, la région comprise entre Saint-Brieuc et Pontivy a subi les méfaits d'une occupation militaire joints aux brutalités de la soldatesque. Dès 1589, Mercœur assiégeait le château de Pontivy qu'il ne pouvait investir21. Il se retournait alors contre celui de Quintin dont il se rendait rapidement maître22. L'année suivante Moncontour tombait sous ses coups. Toutefois, ces redditions rapides précédaient des reconquêtes aussi fulgurantes par les troupes royales. L'année 1591 demeure célèbre, localement, par le combat des « Trois-Croix » (Loudéac23). En ce lieu, une bataille rangée opposa troupes royales et Ligueurs. La violence du heurt fut telle qu'on releva une centaine de morts sur le champ de bataille. Cela ne mit pourtant pas un terme à la guerre et, en 1592, Corlay puis Quintin furent à nouveau prises par les Ligueurs24.

24De tels événements ont profondément marqué les esprits des populations du centre-Bretagne. C'est ainsi que plusieurs complaintes composées à la fin du xvi^e siècle et se rapportant à la Ligue étaient toujours chantées avant 1939. La première, intitulée « Beaumanoir de Bodiffet », évoque les aventures puis la décapitation d'un petit seigneur de Plémet25. À l'exemple de Kerguézangor, ce personnage avait su profiter de l'insécurité ambiante pour se transformer en détrousseur de marchands. L'histoire n'indique pas de façon précise la spécialisation de ces marchands, mais tout incline à en faire des vendeurs de toiles.

25La seconde chanson est plus explicite puisqu'elle évoque directement les malheurs de Bourjon, marchand de toiles à Loudéac. Composée sous forme de dialogue, elle donne alternativement la parole à Bourjon et à ses voleurs :

26L'intérêt de ce texte réside dans l'évocation de termes propres à l'activité textile comme le « pesselage », la « trempe ». Le premier mot, synonyme de sérançage, évoque la transformation du lin brut en filasse. Le second a trait au « blanchiment » des toiles écrues dans de vastes cuves. Il ressort enfin de cette complainte que, dès le xvi^e siècle, l'essentiel de la richesse d'un marchand de toiles était constitué par le produit qu'il vendait.

27Le retour de la paix accompagné d'un affermissement du pouvoir bourbonien ne semble pas avoir profité à la région. Dès 1604, un décret signé par Henri IV interdisait aux Français de commercer avec l'Espagne26. Tout porte à croire que cette interdiction n'a guère été suivie d'effet. Cependant, elle survenait à un moment où la Bretagne sortait à peine des vicissitudes occasionnées par la Ligue.

28La politique extérieure conduite par Richelieu a suivi les mêmes voies défavorables aux Habsbourgs d'Espagne. En riposte ceux-ci ont décidé un embargo sur les importations françaises et plus particulièrement sur les toiles appelées « Quintines27 ». En dépit des multiples entraves qui s'opposaient au commerce breton, Nantes semble avoir conservé des liens privilégiés avec Bilbao.

29À cette époque en Espagne, les circuits commerciaux traditionnels connaissaient de profondes modifications. Le xvii^e siècle espagnol se caractérise par le déclin des grandes foires régionales et par la lutte qui a opposé Medina del Campo à Rioseco et Villalon. Tout ceci, sur fond d'écrasement des « communidades » et de la bourgeoisie locale, semblait conduire à l'inéluctable déclin des relations commerciales entre la Bretagne et l'Espagne. Dans ces conditions, si l'on veut parler de renaissance toilière après 1650 entre Quintin et Loudéac, il faut donc rechercher d'autres causes.

L'influence protestante

30Depuis longtemps déjà historiens et sociologues ont mis en évidence les liens existant entre capitalisme et protestantisme. C'est ainsi que certains auteurs régionaux ont voulu voir une influence huguenote dans le renouveau toilier du centre-Bretagne au xvii^e siècle28. Les recherches menées par Jean-Luc Tulot sur les communautés réformées de Quintin, Moncontour, Loudéac, Pontivy, survenaient à point pour vérifier cette hypothèse29.

31Dans son enquête sur les familles protestantes, Jean-Luc Tulot a retrouvé les noms de certains seigneurs de la manufacture. On relève ainsi celui des Gouyquet originaires de Plémy mais ce n'était que hobereaux, au regard des comtes de Quintin. En effet, aux xvi^e et xvii^e siècles, les différents propriétaires de cette seigneurie avaient un point commun : tous étaient protestants. Toutefois, si les Rieux, les Coligny, les La Trémouille ont bien été comtes de Quintin, ils n'ont guère résidé dans cette ville.

32La situation s'est modifiée en 1638, avec une nouvelle vente du comté. Les nouveaux acquéreurs, eux aussi protestants, étaient Amaury Gouyon de La Moussaye et son épouse, Henriette de La Tour d'Auvergne. À la différence de leurs prédécesseurs, ils ont fait de Quintin leur résidence principale. Le prosélytisme de la comtesse s'est manifesté localement jusqu'à sa mort en 1677. Entourée d'un petit cercle de familiers professant la même foi calviniste, elle a même fait bâtir un lieu de culte au hameau de L'Hermitage. L'impact religieux protestant semble avoir été faible sur les habitants de Quintin puisque Jean-Luc Tulot l'estime, au maximum, à quatre pour cent de la population.

33Il aurait été intéressant de connaître, en plus de leurs noms, les professions des « réformés » de Quintin. Ceci est rarement possible. Seules les enquêtes religieuses ou les actes d'abjuration répondent à cette question. C'est ainsi qu'en 1682 les huguenots Geffroy Le Nepvou, Jean Oysel ou Loisel, Yves Le Pescheux et Antoine Tourault étaient qualifiés de marchands de toiles. Le premier nommé habitait à Saint-Brandan et les trois autres à Quintin. C'est sans doute la même profession qu'il faut attribuer à François Dédié, bien qu'il soit seulement qualifié de « marchand en gros ». Tout ceci semble bien faible pour reconnaître une quelconque influence calviniste sur le renouveau toilier dans la région de Quintin après 1650.

34Afin de comprendre ce qui avait pu conduire à cette hypothèse d'une influence protestante, il semble intéressant de prendre l'exemple de la famille Uzille. L'ancêtre, Gaspard Uzille, né dans les Flandres, apparaît au cours du xvii^e siècle à Quintin. Il y est signalé comme sénéchal et sa présence s'explique par ses choix calvinistes qui étaient identiques à ceux des seigneurs du lieu. L'installation des Uzille à Quintin se vérifie sur plusieurs générations. En effet, le petit-fils de Gaspard a occupé, lui aussi, la fonction de sénéchal. Pendant cette période, les Uzille ont contracté des alliances matrimoniales avec les Ango, les Prigent, les Chassin. Il s'agit d'autant de familles dont les patronymes étaient ceux de marchands de toiles à Quintin. Il ne fallait pas chercher plus loin la confusion sur les origines de la manufacture.

35Le même phénomène peut être observé à Pontivy à propos des Martin, eux aussi protestants. Paul Martin, sieur de Gramusse, était un avocat castrais venu exercer des fonctions d'officier seigneurial auprès du duc de Rohan. Sa succession a été assurée par ses enfants qui ont joué un certain rôle entre Loudéac et Pontivy au début xviii^e siècle. Comme dans le cas des Uzille, le mariage de sa petite-fille Céleste avec Jean-Rodolphe Baron du Taya futur sénéchal et marchand de toiles à Quintin n'implique pas une quelconque influence du protestantisme sur le commerce local.

36À propos des deux exemples cités, il semble normal d'adopter une attitude réservée quant au rôle économique qui peut être attribué aux protestants du centre-Bretagne. Eu égard aux différentes personnalités mentionnées, il s'agissait de possesseurs de capitaux et de manieurs d'argent. Il paraît logique qu'ils aient orienté leurs activités vers des secteurs susceptibles d'accroître leurs revenus. La participation de la bourgeoisie protestante au développement toilier régional relève donc d'un phénomène d'accompagnement, elle n'en est pas la cause première. Ceci se vérifie après 1680, en une phase où la manufacture a augmenté son rythme de production ; or, à cette période, les principaux « leaders » huguenots avaient déjà émigré vers Jersey30. Gravitant dans l'aire d'influence seigneuriale, ils ont eu aussi peu d'influence que celle-ci, sur le monde de la toile.