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Firmin Gémier

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Catherine Faivre-Zellner

Conclusion

Texte intégral

  • 1 Jacqueline De Jomaron, « Un théâtre “pour le peuple” », Le Théâtre en France, op. cit., p. 305-306

1« Malgré des invraisemblances de programmation et un idéalisme aux limites du chimérique, Gémier a posé les bases du TNP de Jean Vilar, celles de la décentralisation théâtrale et des subventions d’État1. » Le TNP de Gémier, comme celui de Vilar, est le théâtre d’une République qui se reconstruit. Il se fonde sur une chimère, l’idéal démocratique, génère l’utopie du projet citoyen et célèbre l’illusion de l’unité sociale.

2On ironisera sur l’idéalisme de Gémier, comme sur celui de Vilar. Ou on leur objectera la Révolution. Dans toutes ces critiques, pas un mot sur le public qui est là, en foule, dans la salle des fêtes du Trocadéro ou de Levallois-Perret, à Chaillot ou en Avignon. Le théâtre de Gémier, celui de Vilar donnent à vivre ce qui unit.

3Au-delà du statut de messager, Gémier mérite celui de héraut : celui qui transmet solennellement un message dans le cadre ordonnancé d’une cérémonie. Transmettre un message, le passer d’une génération à l’autre. Gémier se veut un maillon sur la grande chaîne du théâtre. Il écrit ce qui le rattache à la tradition théâtrale, à cet art d’artisans, qu’il ne conçoit pas en rupture mais dans la continuité de l’Histoire. Histoire de l’humanité appréhendée dans l’optique dynamique du progrès social, histoire de la scène où la tragédie grecque, le mystère médiéval, Shakespeare et Molière témoignent de l’essence populaire du théâtre. À la suite d’Antoine, le discours théorique de Gémier construit la notion de théâtre-citoyen.

  • 2 Jean Vilar, Le Théâtre service public, op. cit., p. 396.

4Le héraut proclame la parole d’un souverain. L’action de Gémier procède d’un mouvement collectif dont il n’est qu’un représentant. Avec les socialistes, il dit l’avènement du peuple, nouveau maître du monde. À la suite du Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher, du Théâtre Civique de Louis Lumet et d’un faisceau d’expériences parisiennes et provinciales, il invente le Théâtre National Ambulant. L’État, qui consent à la fondation du Théâtre National Populaire en rachat du sacrifice national, désigne Gémier pour le diriger parce qu’il représente le groupe de créateurs engagés depuis vingt ans dans ce projet et qu’il bénéficie du soutien des forces politiques et syndicales. Gémier imagine le TNP en scène républicaine. On lui accordera « la plus mauvaise salle qui soit, l’édifice le plus laid, l’ensemble architectural le plus aberrant : le Palais du Trocadéro. Bon pour le peuple2 ».

5Héraut, Gémier cherche la forme d’une proclamation par tâtonnements empiriques, avec d’autres artisans de la scène. Consacrant sa carrière à édifier l’art théâtral des temps nouveaux, il met en cohérence un texte, un jeu, une scénographie selon une dynamique de co-écriture, qui procède de Molière et Shakespeare et préfigure notre création contemporaine. De ce travail collectif qu’il fédère surgissent les options esthétiques modernes. Gémier invente une scène où la ligne, la couleur, la lumière et le geste rythment l’œuvre dramatique.

6Avec les artistes novateurs, Gémier conçoit la culture comme un plaisir et rejette la sclérose d’une hiérarchisation patrimoniale. Apportant à la scène moderne une conception du théâtre comme espace global où l’imaginaire se construit de façon mélodique, il bouleverse l’appréhension canonique de la scène, modifie le rapport frontal pour intégrer le public dans la boîte à illusions.

7Plus qu’un messager, Gémier est un bâtisseur pour qui seule la réalisation valide l’option théorique. Pragmatique, il avance à tâtons, soumis au jugement de la foule, souveraine. Cette démarche suscite d’incontestables faiblesses : le Trocadéro, salle de spectacles plutôt que théâtre, n’accueille pas ce théâtre de la foule dont Œdipe roi de Thèbes proposait l’expression. Ces faiblesses sont inhérentes à la théorie du théâtre populaire dont Gémier est le porte-parole. Elles se rattachent d’abord au concept d’art populaire, projet culturel fondé sur une indifférenciation de toutes les manifestations d’expression humaine. Elles sont ensuite liées au principe de la fête d’art. Retenant l’attention de tous, comprise par tous et suscitant une émotion que tous souhaitent partager, elle peut conduire la conjugaison des trois arts frères à la dérive spectaculaire.

8Jean Vilar échappe à ces embûches. Entre 1920 et 1952, relayé par les instituteurs, par les structures syndicales et politiques, le mouvement d’éducation populaire s’est étayé. Les mineurs sociaux sont devenus des acteurs culturels. Gémier et Vilar accompagnent ce processus, le premier en restituant aux classes populaires l’accès sans réserve à la culture, le second à l’art dramatique, cherchant l’un comme l’autre à entraîner le prolétariat dans cette dynamique. À la suite d’Antoine, ils visent le renouveau d’une écriture dramatique qu’ils veulent accessible à tous. Gémier ne trouve qu’en Molière et Shakespeare le répertoire du théâtre populaire. À ces deux vieux camarades, Vilar associera Brecht, mais aussi Corneille, Hugo ou Kleist.

9Peut-on alors parler de faiblesse conceptuelle lorsque la théorie du théâtre populaire à laquelle Gémier apporte une forme concrète bouleverse tous les préjugés ? Est-ce une faiblesse d’avoir montré que le théâtre populaire est d’abord un plaisir ?

10S’il convient de situer Gémier à la place qui lui revient légitimement dans l’histoire de notre théâtre, parmi les créateurs et les théoriciens, évitons toute emphase. Il est un chaînon de l’artisanat théâtral moderne.

Notes

1 Jacqueline De Jomaron, « Un théâtre “pour le peuple” », Le Théâtre en France, op. cit., p. 305-306.

2 Jean Vilar, Le Théâtre service public, op. cit., p. 396.

© Presses universitaires de Rennes, 2006

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