Chapitre V. Le Théâtre Populaire, institution républicaine
p. 121-172
Texte intégral
À cheval sur le lion populaire.
Firmin Gémier, Journal, le 17 décembre 1921.
1Au printemps 1920, des parlementaires se rassemblent autour de Pierre Rameil, député des Pyrénées-Orientales, rapporteur du Budget des Beaux-Arts à la Commission des Budgets, pour proposer à la Chambre la création d’une cinquième scène nationale, le Théâtre National Populaire. Parmi eux se retrouve Paul-Boncour1 qui, devant cette même assemblée, avait exposé le projet du Théâtre National Ambulant de son ami Gémier. De l’avis de Rameil, cette initiative marque l’achèvement d’un long processus ; elle institue ce « théâtre populaire dont on réclame depuis plus de trente ans la création2 » et l’inscrit dans la perspective républicaine fondatrice : « Issu de la Révolution Française, il sera populaire, éducateur, récréatif et national3. » Comme Paul-Boncour évoquant Bailly, Rameil en appelle aux « grands Conventionnels, convaincus de la puissance éducatrice de l’art dramatique [qui] furent les premiers à envisager la création d’un théâtre du peuple4 ». La fonction éducative du Théâtre National Populaire, clef de voûte de son institution, semble définir la spécificité de la cinquième scène nationale que fonde, le 8 juin 1920, la Chambre des députés, en lui votant un crédit de 100 000 F à titre d’indication et d’encouragement.
2L’État qualifie cette scène en même temps qu’il la nomme, la rattachant à deux concepts, le Peuple et la Nation, que la tradition républicaine française fond en une même entité. Selon l’acception courante, un peuple se définit sociologiquement, géographiquement et historiquement comme une organisation humaine située sur un territoire délimité, caractérisée par un certain nombre de coutumes et d’institutions. Politiquement, le peuple constitue une société civile que régit une autorité souveraine. Dans le système républicain, un contrat démocratique régule le groupement humain qui, de circonstanciel devient ainsi volontaire : le peuple constitue l’autorité politique et désigne ses représentants pour qu’ils gouvernent dans le souci de l’intérêt général. Si un peuple, dans la terminologie générale, se définit en fonction de critères communautaires, rassemblant des individus partageant des caractéristiques communes, la nation se détermine sur des critères différentiels, distinguant par leurs originalités les sociétés humaines. La nation représente la conscience que possède un peuple de sa singularité, de son unité et de son histoire. La tradition républicaine française associe l’histoire de la nation à celle de son peuple. En conséquence, pour la République, une et indivisible, sous le terme de Nation se confondent une entité géographique et historique, une entité civile et une entité souveraine. C’est à la fois un pays, l’ensemble des hommes qui le peuplent et qui exercent leur citoyenneté en le gouvernant par délégation de représentants élus au suffrage universel.
3En 1920, l’État décide que le Palais du Trocadéro abritera la cinquième scène nationale qu’il nomme Théâtre National Populaire. En 1789, la République initiale avait appelé Théâtre de la Nation le second Théâtre Français. Institution spécifique, le Théâtre Populaire se définit dans la confusion de deux concepts, politique et artistique. L’histoire de sa fondation accompagne celle de la Troisième République.
Le projet des politiques
4Proclamée le 4 septembre 1870, la Troisième République naît d’un contexte de fracture : fracture nationale d’abord avec l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, atteignant la Nation dans son intégrité territoriale. Le peuple français est amputé d’une de ses parties qui partageait avec lui jusqu’alors un territoire, des coutumes, des institutions. Fracture civile et nationale, au printemps 1871, lorsque la Commune de Paris creuse entre les citoyens un fossé d’une profondeur incomparable5. Le peuple de Paris a été atteint dans son patriotisme : l’Empire et le gouvernement de la Défense nationale sont rendus responsables de la défaite et de la capitulation finale par une population qui a souffert et qui a le sentiment d’avoir été condamnée volontairement à l’immobilité. Paris perd son statut de capitale historique au profit de Versailles, ce qui non seulement blesse profondément les Parisiens mais renvoie à ces temps que la République voulait révolus où l’autorité souveraine n’était pas populaire. L’Assemblée nationale, élue le 8 février 1871, est dominée par les royalistes tandis que Paris a voté républicain. Politiquement, la province s’oppose à Paris. La répression de la Commune, ses exécutions et ses déportations, rompt le contrat démocratique en excluant les Communards de l’entité citoyenne nationale.
5Or, la Troisième République, qui naît sur la ruine de ses composantes fondamentales, le Peuple et la Nation, fonde un demi-siècle plus tard le Théâtre National Populaire dont Firmin Gémier présente ainsi le spectacle inaugural :
« Jeudi prochain 11 novembre à 3h30, on fêtera la République… Le Peuple, sol humain de la Patrie ! Le voir ou seulement voir son image, sa miniature, rire, danser, chanter, souffrir et montrer sa jeunesse éternelle, sa puissance irrésistible ! En constatant cette force, on ne peut s’empêcher de penser : s’il voulait ! Son âme serait visible dans ces mouvements, ces danses, ces marches, ces hymnes, ces chansons : je la sens vivre, palpiter, j’ai la douce et sublime sensation de poser la main sur le cœur de la Nation. C’est fragile et immense6. »
6Cinquante ans plus tard, la cinquième scène nationale scelle-t-elle symboliquement la fusion républicaine recouvrée ? Cette réconciliation nationale ne se fonde-t-elle pas sur des malentendus qui s’égrènent tout au long de la genèse du Théâtre National Populaire ?
7Le premier, politique, porte sur le projet républicain. Dans la France de la fin du dix-neuvième siècle, la conscience républicaine, l’attachement aux traditions démocratiques modulent les clivages politiques : être politiquement conscient, c’est d’abord défendre la République contre ses adversaires. Lorsque le régime est menacé, la discipline républicaine prévaut sur toute autre considération. Dans les premières années de la Troisième République, en période électorale, il ne s’agit plus au second tour de choisir mais d’éliminer l’adversaire qui reste le partisan de l’Ancien Régime. Après les élections de 1879, lorsque la République renaissante décrète l’amnistie des Communards, le 11 juillet 1880, marque-t-elle symboliquement la restauration du contrat démocratique ? Le régime, dont Jacques Ouzouf7 souligne qu’il tisse une toile d’araignée recouvrant exactement l’hexagone national, se réclame des valeurs qui sont celles de l’humanisme moderne. Le projet socialiste français est analogue. En 1903, Jean Jaurès déclare, dans son discours d’Albi :
« Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ?… c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune… Le prolétariat, dans son ensemble, commence à affirmer que ce n’est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c’est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu’il faut faire entrer la liberté vraie, l’égalité, la justice. Ce n’est pas seulement la cité, c’est l’atelier, c’est le travail, c’est la production, c’est la propriété qu’il veut organiser selon le type républicain. À un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée. »
8Républicains progressistes et socialistes français, qui revendiquent également l’héritage de la Révolution française, définissent-ils sur les mêmes critères l’égalité et la fraternité ? Les uns comme les autres, reprenant la leçon de Condorcet, associent liberté et instruction. Selon le mot de Thibaudet, la Troisième République sera la République des professeurs. Même chez les anarchistes, la formation de l’individu mobilise les énergies collectives autant et plus souvent que la préparation de l’action. Les hommes politiques s’accordent-ils sur un principe d’éducation collective visant à former la conscience citoyenne individuelle dans le souci de l’intérêt général, celui de la Nation ? L’interprétation des principes républicains décline, chez les uns et les autres, des projets divergents qui déterminent autant de perspectives éducatives. Le malentendu politique qui fonde la restructuration républicaine nationale organise ainsi des malentendus pédagogiques aux pièges desquels se prend l’œuvre de Gémier au Théâtre National Populaire.
9Éduquer, c’est élever. Sous le même concept se confondent une dynamique idéologique et une démarche opératoire : le développement et la formation de l’être humain impliquent des choix stratégiques. La Troisième République a organisé l’École Publique dans un projet d’harmonie sociale. Le bien de la res publica implique l’éducation du peuple. L’École diffuse ainsi sans exclusive un même enseignement de base, patrimoine culturel commun sur lequel se forge la conscience nationale et procède par assimilation unifiante de contenus. L’institution républicaine fonde-t-elle le Théâtre National Populaire dans le même but, l’investissant d’une mission de vulgarisation culturelle ? Pense-t-elle au contraire que la scène doit former la conscience nationale à la gestion du bien commun ? Le projet éducatif détermine des choix artistiques : l’œuvre dramatique fonctionnera-t-elle sur le mode autogène, rattachée à une culture littéraire, ou de façon exogène, suggérant le débat social ? Le théâtre sera-t-il un vecteur d’enseignement ou impulsera-t-il l’action civique ? Le Théâtre National Populaire se construit d’une succession de dispositifs dont l’exposé qui va suivre se veut la chronique. Chacun d’eux définit la mission éducative de la cinquième scène nationale en organisant les notions de peuple, de théâtre et de nation dans une dynamique que nous aborderons selon l’analyse proposée par Jacques Fijalkow8 de trois modèles pédagogiques : autoritaire, libertaire et démocratique.
10Le modèle autoritaire privilégie l’objet, le contenu d’enseignement plutôt que le sujet apprenant. Les apprentissages sont organisés en fonction d’objectifs de référence hiérarchisés, définis selon les connaissances à acquérir. Dans le modèle libertaire, le désir d’apprendre est un postulat. La programmation des objectifs d’apprentissage, minimale, demeure ouverte et n’implique pas une assimilation de contenus. Cette pédagogie privilégie le sujet apprenant dont le libre choix dynamise la démarche éducative. Le modèle démocratique responsabilise la démarche d’apprentissage qui s’effectue, de façon interactive, selon un modèle triangulaire : objet ou contenu d’enseignement/apprenant/pairs. Dans le modèle autoritaire où le contenu d’apprentissage est premier, l’apprenant, passif, assimile des savoirs qui lui sont extérieurs tandis que dans le modèle libertaire, l’apprenant définit sa propre hiérarchie de connaissances. Le modèle démocratique, où le contenu d’enseignement et l’apprenant composent à part égale le système éducatif, engage la démarche individuelle d’apprentissage dans un processus social.
11Dans l’histoire de la Troisième République, Le Théâtre et le peuple, esquisse d’une organisation théâtrale9 de Jules Bonnassies, apparaît comme une première référence, à la fois institutionnelle et artistique. Né en 1813, Jules Bonnassies était attaché à la Direction des Beaux-Arts, Bureau des Théâtres. Il fut chargé de procéder, sous la direction de Léon Guillard, au regroupement et au classement des archives de la Comédie-Française d’où il tira la documentation des ouvrages qu’il publia après sa mise à la retraite en 1873. Il s’agit de Comédie-Française, notice historique sur les anciens bâtiments (1868), Administration théâtrale : la censure dramatique (1873), Les Auteurs dramatiques et la Comédie-Française (1874), La Comédie-Française et les Comédiens de province (1875), La Comédie-Française, histoire administrative (1874)), Les Spectacles forains et la Comédie-Française (1875). Il publie par ailleurs deux « pamphlets » : en 1870 La Fameuse Comédienne et en 1872 Le Théâtre et le peuple. En 1877, il ouvre une maison d’édition et de librairie. Il meurt à Paris en 1880.
12Le Théâtre et le peuple est une requête à l’intention de la nouvelle Assemblée qu’il espère devoir sortir des urnes. Bonnassies tend à y démontrer que le théâtre peut contribuer à la régénération nationale et mérite ainsi d’être subventionné par l’institution républicaine. Il propose la fondation d’un théâtre national en réponse thérapeutique à la situation de fracture que connaît la France de 1872. L’ouvrage est composé d’une partie théorique initiale où l’auteur, précisant la fonction politique du théâtre, analyse les rapports du théâtre, du peuple et de la nation dans une perspective républicaine. Dans une seconde partie, il présente des dispositions structurelles qu’il nomme Projet d’organisation théâtrale.
13Le Théâtre et le peuple définit un théâtre nouveau, branche de l’enseignement et non agent de plaisir. La Comédie-Française, histoire administrative et Les Spectacles forains et la Comédie-Française appartiennent à la bibliothèque de Gémier10. Connaît-il Le Théâtre et le peuple ? Certaines similitudes entre les thèses de Bonnassies et celles que développent Paul-Boncour et Gémier à propos du Théâtre National Ambulant sont flagrantes. Dans ses écrits, Gémier reprend non seulement certaines idées mais encore certaines expressions de Bonnassies dont les deux locutions-phares de sa théorie : le théâtre art social, le théâtre église laïque.
14Le projet théâtral de Bonnassies s’inscrit dans une perspective politique. Farouche républicain, il fustige l’Empire, « association d’assassins, de filous et de ruffians qui avait fait de l’abrutissement des masses un moyen de gouvernement11 » menant le pays « aux catastrophes de 1870, où l’honneur, l’esprit, la nationalité de la France périssaient avec ses armes, si l’idée républicaine n’eût sauvé tout cela par la résistance12 ». C’est l’ignorance du peuple, habilement cultivée par les ennemis de la République, qui a mis la Nation en péril. La régénération nationale suppose le développement de l’instruction publique qui relève du devoir de l’État républicain dont elle garantit la pérennité.
15Bonnassies définit le théâtre comme l’art de l’action. Toute abstraction, toute pensée y est compréhensible, quelles que soient les facultés intellectuelles du spectateur, parce qu’elle y revêt la forme la plus concrète dont elle est susceptible, frappant ses sens autant que son esprit. La forme théâtrale lui semble détenir une efficacité quantitative et qualitative favorisant un projet républicain d’enseignement de masse. Au contraire du livre qui s’adresse à l’individu isolé, le théâtre s’adresse à la foule. Son destinataire est collectif, sa procédure didactique unifiante. Citant Schlegel, Bonnassies montre comment le théâtre transforme en assemblée un groupe hétérogène, permet que fusionne en unité émotionnelle une disparité d’individus. Puisque tous les spectateurs s’unissent au partage d’une même émotion, chacun ayant la sensation d’appartenir au même ensemble, la scène annihile le clivage de classe auquel elle substitue la fraternité. Le théâtre, qui ne parle à l’homme que de l’homme, de ses passions, de ses joies, de ses souffrances, des rapports qu’il entretient avec autrui n’est pas dogmatique. Cette « église laïque13 » se conforme au principe de liberté.
« L’action dramatique, qui vit du choc des volontés, émancipe, par l’exemple, l’esprit des spectateurs ; puis l’enseignement qui en ressort prêche une responsabilité humaine bien plus directe et morale que celle prêchée par la loi religieuse14. »
16« Art social par excellence15 », le théâtre vise, au-delà de l’individu privé, la personne civile, et délivre une leçon de sociabilité en invitant chacun à réfléchir librement ses rapports à autrui. En fustigeant la bassesse ou en exaltant la grandeur, le théâtre éduque, porte la conscience à un niveau supérieur, qu’il s’agisse de la conscience individuelle du spectateur ou de la conscience collective du public. Ainsi, il délivre un enseignement civil au triple sens du terme : il traite des rapports entre les individus, concerne l’ensemble des citoyens, se fonde sur des principes laïcs. Bonnassies définit les contenus qui lui semblent opératoires pour atteindre l’objectif d’éducation de masse selon les buts qu’il a fixés. Deux genres dramatiques prévalent : la comédie et la tragédie.
« Dans son acception la plus large et la plus élevée, ce doit être la représentation solennelle des grands faits de l’histoire nationale ; l’analyse pour le tragique, des sentiments qui élèvent l’âme ; pour le comique, la satire, toujours dans l’intérêt général, des vices qui nuisent à l’État, des ridicules qui avilissent le citoyen16. »
17Chacun devient meilleur en même temps que grandit son sentiment d’appartenance à un groupe organisé. Ainsi se construit, en ménageant la franchise des consciences, une morale collective consensuelle et non dogmatique. La scène est définie selon un double statut pédagogique : sa fonction instrumentale élabore et nourrit des contenus d’enseignement. Elle met en œuvre le processus éducatif et rend compte de son accomplissement. Bonnassies appelle théâtre national celui qui témoigne de la cohésion sociale et en cite les exemples du théâtre grec au temps de Périclès, du théâtre anglais sous Elisabeth I, du théâtre espagnol sous Philippe II qui donnèrent naissance à de grandes œuvres dramatiques, forçant ainsi l’admiration des autres peuples. Le projet pédagogique est patriotique : le théâtre, qui éduque les individus en peuple auquel il donne la conscience d’appartenir à une nation, symbolise, sous sa forme nationale, le triomphe populaire devant l’adversité.
« Un peuple arrive à posséder un théâtre national, quand il a traversé victorieusement une phase critique de son existence, où la victoire sur les événements lui a donné conscience de sa force et de sa vitalité17. »
18L’essai de Bonnassies, qui imbrique considérations circonstancielles et idéologiques, projette une restructuration républicaine à partir de la notion de patrie :
« La France n’a dû ses catastrophes qu’à son indifférence et à son ignorance en tout, en politique comme en science militaire, en morale, en art. Si elle veut reconquérir en Europe la place d’initiatrice que lui a léguée la Révolution, elle doit commencer par se relever à ses propres yeux18. »
19À partir de ces principes qui définissent des buts idéologiques, des objectifs circonstanciels pour l’accomplissement desquels une méthode, le théâtre, lui semble opératoire, Bonnassies décrit un Projet d’organisation théâtrale, construit selon une organisation hiérarchisée et centralisatrice à partir d’un dispositif parisien, servant de modèle aux autres scènes, regroupant sept théâtres : la Comédie-Française divisée en deux scènes, le Théâtre-Étranger, l’Opéra, l’Opéra-Comique, le Théâtre-Lyrique et le Théâtre-Italien. Ce théâtre, que Bonnassies appelle national parce que subventionné par l’État, n’est pas populaire : si l’approche théorique initiale définit le peuple selon l’acception républicaine de rassemblement citoyen, le Projet d’organisation théâtrale réserve à l’élite la scène du théâtre national. Pour Bonnassies en effet, l’égalité citoyenne ne recouvre pas l’égalité intellectuelle. Condorcet retenait le même postulat lorsqu’il déclarait :
« Le maintien de la liberté et de l’égalité exige donc un certain rapport entre l’instruction des citoyens qui en peuvent recevoir le moins, et les lumières des hommes les plus éclairés, dans le même pays, et à la même époque19. »
20L’élite, qui, selon Bonnassies, s’organise à Paris, se compose de « l’élite des provinciaux de séjour à Paris et [de] l’élite de la population parisienne, laquelle contient, d’ailleurs, un notable élément provincial20 ». Sa mission consiste à guider la politique d’instruction publique qui remédiera, dans l’intérêt de la Nation, à l’inégalité d’entendement entre les citoyens. Dans la structure qu’imagine Bonnassies, l’élite joue le rôle du maître. En accord avec la doctrine républicaine fondatrice, l’inégalité intellectuelle ne peut se concevoir sur des critères socioéconomiques. Si, théoriquement, Gémier s’accorde à Bonnassies, il ne peut souscrire aux dispositions de son projet d’organisation théâtrale qui se définit d’un clivage de classe. Pour Bonnassies en effet, l’œuvre du théâtre national serait relayée par un théâtre municipal, scène secondaire. Au théâtre municipal, subventionné par la ville, où « toutes les places seraient mises à bon marché21 », la troupe irait de salle en salle afin d’épargner au public « le déplacement et la perte de temps22 ». Réservé aux classes sociales les plus défavorisées dont on ménage le temps, la fatigue et les ressources, le théâtre municipal est un théâtre de vulgarisation, destiné à forger chez un public particulier l’habitude culturelle du théâtre.
« Les progrès continuels de l’instruction […] et l’accroissement prévu du goût pour le théâtre, élevé par l’état à la hauteur d’une institution, pousseront de plus en plus les classes inférieures à émigrer des théâtres secondaires dans ceux de premier ordre. L’ouvrier qui aura pris plaisir aux représentations des grandes œuvres interprétées plus ou moins bien, les voudra voir sur les scènes où l’exécution est parfaite23. »
21Au théâtre municipal, assimilable à ce que seront les théâtres populaires de quartier, sont rattachés les savoirs élémentaires, au théâtre national la culture savante. Pour pouvoir apprécier celle-ci, il faut maîtriser ceux-là. Bonnassies structure graduellement le projet didactique du simple au complexe, de l’élémentaire au supérieur comme dans l’institution scolaire à venir où, sur un fonds commun enseigné à l’école primaire, se construisent des apprentissages plus approfondis ou spécialisés. Les chefs-d’œuvre du patrimoine dramatique relèvent de cette base essentielle. Le théâtre national est un « théâtre-musée24 ». Bonnassies propose d’y présenter toutes les œuvres de l’histoire littéraire, les moins bonnes ou les meilleures :
« De même que le Louvre représente les Lenain et les Lancret à côté des Raphaël et des Rembrandt, les théâtres, pour répondre absolument à leur mission, doivent exposer, auprès des Corneille et des Molière, des Gluck et des Mozart, des créations moins puissantes mais belles et toujours curieuses au point de vue historique, des Hauteroche, des Dufresny, des Dancourt, des Lulli, des Campra, des Rameau, etc, etc.25. »
22Le répertoire s’ouvre de façon rétroactive et encyclopédique à l’élite qui pourra par ailleurs, au Théâtre-Étranger, découvrir les œuvres dramatiques des autres nations. Elle sera ainsi mieux à même, par comparaison, de juger le Beau :
« Les chefs-d’œuvre ne constituent pas l’art à eux seuls : ils n’en sont que le plus grand côté, et c’est peut-être à la comparaison qu’il en fait avec les œuvres moindres que l’homme en doit la délicate intelligence26. »
23La procédure pédagogique, cumulative et républicaine, consiste à former le goût sans dogmatisme et de façon éclectique, à développer l’esprit critique, pour rendre chacun capable d’apprécier en citoyen éclairé : elle est de nature libertaire.
24Le théâtre national, conservatoire, ne s’ouvre pas à la création contemporaine mais reste néanmoins investi d’une double mission, culturelle et civique, car « au théâtre surtout, le tableau de la vie a toujours une signification intéressante27 ». L’œuvre renvoie au présent sur le mode allégorique. En accueillant le répertoire étranger, le théâtre national contribue par ailleurs au rapprochement entre les peuples, créant, dans la perspective de la philosophie des Lumières, une communauté culturelle au-delà des frontières. S’il est national, le théâtre que conçoit Jules Bonnassies n’est pas nationaliste.
« Les relations internationales, les progrès de la science, de la critique, l’unification des mœurs, en rapprochant les peuples, les poussent de plus en plus à s’emprunter des éléments d’inspiration aussi bien que de civilisation28. »
25De même que le répertoire du théâtre national est adapté aux connaissances que possède l’élite, celui du théâtre municipal est conçu pour un public dépourvu d’instruction. Une troupe lyrique, jouant le répertoire de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, une troupe dramatique, jouant celui de la Comédie-Française, diffuseront le fonds culturel élémentaire. Il présentera en outre
« des pièces nouvelles où la pensée sociale se manifesterait davantage, une troupe de drame représentant surtout les grandes scènes de notre histoire nationale et les pièces du Théâtre-Étranger, mais plus librement traduites29 ».
26Le théâtre municipal porte à la scène des connaissances à acquérir, connaissances littéraires des chefs-d’œuvre du répertoire, connaissances historiques dessinant une hagiographie nationale. Elles constituent un patrimoine donné à assimiler. Il s’ouvre par ailleurs aux pièces sociales contemporaines qui renvoient le spectateur à son expérience des rapports civils, à sa propre citoyenneté. Il repose sur un modèle pédagogique ambigu, autoritaire dans la modélisation de ses contenus, démocratique en ce qu’il adapte la scène au sujet apprenant : adaptation de l’œuvre, adaptation du thème aux préoccupations, aux connaissances et aux facultés d’entendement supposées du public.
27L’organisation de province reproduit partiellement celle du théâtre municipal parisien. Bonnassies projette un théâtre national ambulant. National, il serait subventionné par l’État et géré depuis Paris où seraient implantés son administration, ses magasins d’accessoires, de décors et de costumes. Ambulant, il suppose l’itinérance « des troupes de tous genres, formant des ensembles30 » qui lui seraient rattachées. La France serait divisée en quatre ou cinq zones où seraient organisées les tournées dans les salles de théâtre devenues propriétés de l’État. Le transport des décors et du matériel s’effectuerait par voie ferrée. Ainsi se produirait « un continuel mouvement de navette qui exaspérerait bientôt la vie théâtrale31 ». Comme le théâtre municipal parisien, le théâtre de province procéderait de l’instruction publique et serait largement ouvert aux élèves des écoles primaires, des lycées et des cours d’adultes grâce à des distributions de billets. L’organisation du théâtre de province, centralisée à Paris, est une projection démultipliée des sept scènes parisiennes d’où l’élite intellectuelle guide l’instruction publique. L’attaché à la Direction des Beaux-Arts propose d’assurer avec efficacité et au moindre coût la diffusion du théâtre national à l’ensemble du territoire français.
28Les dispositions que suggère Bonnassies, éduquant davantage le goût que l’exercice de la citoyenneté, infléchissent les options théoriques initiales. Au projet idéalisé de Schlegel se substitue un dispositif modélisant l’exemplarité littéraire. Sans être « partisan de la mise en scène pour la mise en scène32 », en cela soucieux qu’on lui apporte « les plus grands soins dans les œuvres littéraires, dont elle complète et rehausse la valeur33 », Bonnassies appréhende le théâtre comme un texte, la mise en scène comme un simple ornement dont l’apparat peut nuire au projet didactique :
« Dans les théâtres lyriques, aussi bien que dans les théâtres littéraires, cette exagération des moyens matériels provoque celle des effets de scène sensibles, et pousse l’écrivain, le compositeur et leurs interprètes à parler aux sens plus qu’à l’esprit et à l’âme du spectateur34. »
29Ici encore, se séparent Gémier et Bonnassies qui pense que le dispositif scénique distrait l’intelligence de la représentation. C’est sur le texte que porte la réflexion du spectateur. L’acteur est un porte-parole. Le théâtre national pourra présenter les œuvres dans une exécution parfaite parce qu’il s’adresse à un public déjà instruit tandis que le théâtre municipal se bornera à des représentations de second ordre. Il importe en conséquence que texte et jeu soient également perçus. Aussi doivent disparaître de tous les théâtres « les places illusoires, d’où l’on voit mal » pour qu’ » aucune nuance du geste, de la mimique et du débit n’y passe inaperçue ». La refonte architecturale des théâtres permettra une réforme du jeu dramatique : Bonnassies juge en effet que, depuis cinquante ans, une déclamation dévoyée a « rendu grossiers l’art et les artistes ». Il considère par ailleurs que la représentation « des ensembles [est] ce qu’il y a de plus désirable dans les représentations dramatiques ». C’est pourquoi il projette de rattacher une troupe à chacun des théâtres que créerait son dispositif car « la formation de tous les acteurs d’un même établissement en société profiterait à l’art35 ». À ces transformations esthétiques s’associe une redéfinition économique de l’entreprise théâtrale : toutes les troupes, parisiennes ou provinciales, et tous les théâtres seraient subventionnés. La République prend en charge l’instrument qui assure sa pérennité.
30Dans une perspective centralisatrice jacobine, Bonnassies propose l’organisation d’une structure hiérarchisée où le théâtre, moyen de communication et de diffusion de masse, sert une action politique interne. En fusionnant au creuset d’une littérature dramatique élevée au statut de patrimoine commun, l’élite et « les classes les moins éclairées de la Nation » reconstruiront l’unité nationale. Cet objectif, immédiat, fonde le Projet d’organisation théâtrale. Le développement théorique initial laisse cependant penser qu’il ne constitue, aux yeux de Bonnassies, qu’une étape dans la perspective de l’action politique externe puisqu’une nouvelle littérature dramatique, traduisant la renaissance du peuple en Nation, permettra à la République française de rayonner à nouveau sur le monde. Si l’ouvrage de Bonnassies nous est peu connu, il semble toutefois s’inscrire, dans la genèse du Théâtre National Populaire, comme un texte initiateur dont la plupart des thématiques et des propositions structurelles seront reprises par les parlementaires de la Troisième République dans les débats sur le théâtre populaire.
31La Troisième République, qui met en œuvre une politique d’instruction publique massive selon une perspective pédagogique autoritaire, centrée sur les contenus plutôt que sur le sujet apprenant, rattache les Beaux-Arts au ministère de l’Instruction Publique. Dans cette optique, centralisatrice et unificatrice qui vise à porter à la connaissance du plus grand nombre les contenus d’une culture générale et où le sujet apprenant est passif, elle mène une politique de vulgarisation artistique, ouvre les musées et les théâtres subventionnés.
32Dans la tradition historique de la Révolution française, la Troisième République institue des représentations gratuites : en 1794, la Convention nationale avait réparti entre plusieurs théâtres parisiens une somme de 100 000 livres pour quatre représentations annuelles gratuites par lesquelles le peuple pourrait fêter « la mort du tyran36 ». Par ces spectacles populaires, la Révolution définissait le peuple en positif des dispositions de l’Ancien Régime comme ensemble des citoyens de la Nation. De la même façon, lorsqu’en 1880 le 14 juillet est décrété fête nationale, l’Opéra donne une représentation gratuite. La mesure s’étend plus tard aux quatre scènes subventionnées : l’Opéra, l’Opéra-Comique, la Comédie-Française et l’Odéon, théâtres-musées à mission exclusivement conservatoire, marques ostentatoires du prestige de l’État, comme le rappellera Raymond Poincaré, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts :
« Monsieur Goujon a parlé des théâtres subventionnés et il ne leur a pas ménagé ses critiques. J’ai dit hier et je répète que ces théâtres sont en réalité des musées. Nous avons des musées nationaux et nous avons des théâtres nationaux. Ici, c’est la sculpture et la peinture qu’on expose ; là, ce sont les œuvres dramatiques et lyriques qu’on entend. La symétrie de cette organisation est parfaite37. »
33La représentation gratuite, qui procède de la commémoration, a vocation civique en ce qu’elle célèbre le choix républicain originel. Elle rappelle à chacun son statut de citoyen organisé dans une structure nationale sans pour autant l’inviter à réfléchir sur son action dans la communauté civile. Par ailleurs, le projet scolaire d’instruction massive conduit l’État à instituer, sur la scène des quatre théâtres nationaux, les matinées classiques du jeudi, représentations gratuites à destination des élèves auxquels sont enseignés les chefs-d’œuvre du patrimoine national. En 1897, 8 000 enfants assistent aux matinées scolaires de la Comédie-Française. Par ces représentations gratuites, l’État emploie les scènes nationales à l’organisation d’un dispositif pédagogique de nature autoritaire où la valeur artistique de l’œuvre est annihilée au profit de son appartenance patrimoniale : sur la scène se joue l’exemplarité littéraire d’une Nation glorifiée.
34Dans une autre optique, l’État inscrit, à partir de 1885 et du rapport de Gailhard à Fallières, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, les représentations populaires à prix réduit au cahier des charges des théâtres nationaux. Données aux moments chômés de la semaine de travail, le samedi en soirée ou le dimanche en matinée, ces représentations ouvrent les théâtres aux classes sociales défavorisées, appelées « petit public ». En 1897, l’Opéra donne vingt représentations à prix réduits, touchant 61 600 spectateurs, l’Opéra-Comique dix, auxquelles assistent 15 500 spectateurs. 143 000 personnes bénéficient des quatre-vingt-dix-huit représentations à prix réduit de l’Odéon. Par sa subvention, l’État compense le manque à gagner. Au nom des principes républicains, en effet, les théâtres-musées doivent être ouverts à tous, comme le rappelait, en 1896, Victor Leydet à la Chambre des députés : le peuple de France finance ses institutions par l’impôt ; chacun de ses citoyens est en droit d’en attendre une utilité individuelle conjointe à l’utilité sociale. S’il n’en a pas l’usage et/ou s’il n’en considère pas l’utilité pour la nation, il peut légitimement en contester la validité.
35La logique contribuable exige qu’en soit vulgarisé l’usage ; il faut les « répandre dans le vulgaire, c’est-à-dire sur tout le public38 ». Or, les quatre théâtres nationaux ne sont, de fait, pas accessibles à l’ensemble des citoyens de la nation. Déjà, en 1882 et 1883, les députés Taillandier et Bontoux avaient souligné qu’ils étaient des entreprises de spectacle comme les autres, voire des théâtres de luxe, économiquement assez viables pour n’avoir pas à recourir aux prébendes de l’État. En conséquence, ces députés avaient proposé la suppression du chapitre budgétaire relatif aux théâtres nationaux39.
36Dans les années 1895-1897, le débat est lancé : les citoyens n’ont-ils pas droit à l’usage de structures dont ils contribuent au financement ? En république, l’égalité des devoirs et des droits du citoyen dans la gestion des biens publics témoigne de l’abolition des privilèges. Fustigeant leur restauration René Chauvin s’indigne « d’un des abus les plus criants qui puissent exister dans une démocratie. Chaque année, les contribuables français payent une somme d’un million et demi pour que les membres de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie aillent au théâtre à bon marché40 ». En laissant ces théâtres subventionnés devenir des théâtres de luxe, des théâtres de caste, l’État a accordé des avantages à certains en dehors de la loi commune car les mesures économiques de réduction des tarifs ne suffisent pas à ouvrir les théâtres nationaux à l’ensemble des citoyens mais permettent au public habituel d’obtenir des places à bas prix et aux marchands de billets de réaliser des profits confortables.
37L’interférence des définitions républicaine et socio-économique du peuple dans les débats institutionnels va permettre le projet de théâtre populaire. Le postulat politique ne résiste pas en effet à la réalité sociale. À Paris, grossi de sa banlieue, vit, dans des conditions précaires, une population hétérogène, instable et sous qualifiée. Les taux de natalité illégitime, de suicide, d’alcoolisme et de criminalité des grandes villes dépassent nettement la moyenne nationale. Les classes laborieuses sont dangereuses. Dans les déclarations parlementaires, l’apparition des mots ouvriers, travailleurs, révèle la faille doctrinale : le sens du mot peuple glisse de populus à celui de plebs, masse qui n’a pour tout bien que sa force de travail. De fait, les classes inférieures de la nation n’accèdent pas aux institutions auxquelles, de droit, elles peuvent prétendre, mais fréquentent des structures parallèles : les cafés-concerts.
38Les députés s’émeuvent de leur prolifération. Le café chantant semble, aux yeux des institutionnels, l’école et le réceptacle des plus sûres recrues criminelles. « Le goût public se pervertit41 » dans ce lieu de perdition pour le corps et l’esprit qui connaît au tournant du siècle une faveur grandissante puisqu’entre 1893 et 1904, ses recettes augmentent de 54 %42.
« La faveur dont jouissent ces établissements auprès du petit public tient à plusieurs causes : d’abord les théâtres réguliers sont relativement assez chers ; puis le café-concert est à la portée de chacun. Il y en a dans tous les quartiers ouvriers un ou deux dans toutes les rues populeuses : chaque semaine, nous recevons au Ministère trois ou quatre déclarations d’ouverture d’établissements de ce genre ; puis le café-concert est accueillant. On y boit, on y fume, on y va même sans faire un brin de toilette ; c’est beaucoup pour l’ouvrier qui rentre fatigué après une journée de travail ; et ces conditions, quoi qu’on fasse, exerceront longtemps encore un attrait puissant sur cette catégorie du public43. »
39La pérennité politique du régime, qui exige l’assise démocratique sur des critères de raison, impose qu’une alternative, procédant du plaisir, soit trouvée au café-concert. Il s’agit de détourner les ouvriers du café chantant en proposant des spectacles d’autre nature, adaptés à leurs ressources et à leurs goûts.
40La faille doctrinale entraîne une révolution pédagogique : l’attention portera prioritairement sur le sujet apprenant plutôt que sur le contenu d’apprentissage. Le 15 février 1895, le vicomte Melchior de Vogüé est le premier à proposer à la Chambre la création d’un Opéra populaire :
« Il serait donc indispensable que, sur un point central des quartiers du travail, on construisît un Opéra aussi modeste que vous voudrez, mais vaste, commode, aménagé pour les gens peu fortunés, pour les familles d’ouvriers44. »
41Exclusivement destiné aux classes inférieures de la société, édifié dans les quartiers où elles vivent et travaillent, il serait
« une maison d’art […] la maison du rêve et du repos à côté des maisons du travail, des usines […] une maison du peuple bien à lui où il satisferait ces goûts artistiques que vous éveillez dans nos écoles, que les initiateurs des concerts populaires ont développé depuis vingt ans dans Paris45 ».
42Au contraire du théâtre municipal ambulant imaginé par Bonnassies, préparant la plebs au théâtre national, la scène dont Melchior de Vogüé demande la création est une institution autonome, répondant aux besoins et aux attentes d’un public spécifique46. Elle fait l’objet d’un amendement aux débats sur le budget des Beaux-Arts47 dont le libellé témoigne d’une réaction politique au jacobinisme culturel.
43Dans la même perspective, l’effort budgétaire de l’État à l’attention des classes inférieures s’étend des scènes nationales parisiennes dont la mission est conservatoire aux scènes provinciales, ces scènes nouvelles en région. À partir de 1900, le chapitre 20 du budget des Beaux-Arts, destiné initialement à la subvention des sociétés musicales, s’accroît afin d’encourager « l’exécution d’ouvrages inédits d’auteurs français vivants [et] la décentralisation48 ». L’argument contribuable continue de prévaloir :
« On vous demande de voter 1 471 000,00 F pour donner des subventions à des théâtres fréquentés uniquement par des gens riches […]. Ainsi, quel que soit le point de vue auquel on examine les subventions, on voit qu’elles n’ont rien de commun avec la répartition égale des impôts par toute la France […]. Demander au budget de toute la France, de tous les habitants de notre territoire, du Midi, du Nord, de l’Est et de l’Ouest de payer des subventions à quatre théâtres, c’est une grosse iniquité. Alors, pourquoi ne pas demander de donner des subventions à tous les théâtres de France ? Si on n’en donne pas à tous les théâtres, il faut n’en donner à aucun49. »
44Mais la Chambre adapte surtout, de façon différée, la politique de l’État à la réalité d’un mouvement culturel qui bouleverse la donne idéologique. La prolifération des orphéons, des spectacles de plein air en province, des représentations en quartiers ouvriers à Paris témoigne de la faculté des classes inférieures à goûter, voire susciter des manifestations musicales ou dramatiques originales. Seront ainsi subventionnés le Théâtre de l’Œuvre50, l’Art pour tous de Louis Lumet, les théâtres de plein air : Orange, Béziers, Carcassonne, Cauterets, Nîmes, Arles, Aix, Aulnay sous Bois, Champigny, La Mothe Saint-Heray, Ploujean, Bussang, Gerardmer… dans des proportions extrêmement variables : 2 500 F pour le Théâtre du Peuple de Pottecher à Bussang de 1904 à 1923, 1 500 F pour le Théâtre Populaire de Poujean de 1904 à 1912, 400 F pour le Théâtre en Plein Air d’Aix en 1906 et 1907… Subventions restreintes mais régulières pour certains, ponctuelles et infimes pour d’autres.
45On pourrait y voir une ligne budgétaire fourre-tout permettant de contenter le plus de solliciteurs possibles, de favoriser un certain clientélisme, à preuve, en mentions marginales du registre ministériel, les noms des hommes politiques intervenant en faveur de certaines manifestations51. Toutefois, cette redéfinition du chapitre 20, aussi confuse que puisse paraître la liste de ses bénéficiaires, montre que les temps politiques ont changé. La Troisième République naissante fondait la mission éducative de l’État sur le rapport déséquilibré de l’élite à la masse. Le clivage de classes impliquait une partition intellectuelle de la nation en mineurs et en majeurs, induisait une politique pédagogique de nature essentiellement autoritaire. Les classes inférieures devaient être initiées à l’Art.
46Au tournant du siècle, ce chapitre budgétaire soutenant « des manifestations d’art populaire véritablement admirables et absolument dignes d’être encouragées par l’État52 », est promu par des parlementaires qui soulignent la primauté de l’égalité sensible sur l’inégalité intellectuelle, développant le processus éducatif collectif non plus au creuset d’un même patrimoine culturel mais au partage d’une même émotion :
« De tels spectacles, dont profitent surtout nos paysans et nos ouvriers, sont dignes d’être encouragés. Ce sont là d’heureux signes de renaissance artistique dont nous devons nous réjouir, car donner de saines émotions esthétiques à la foule, c’est élever et améliorer son âme53. »
47Parmi eux, Charles Couyba, qui soutiendra le Théâtre Populaire de Berny et le Théâtre National Ambulant Gémier, expose un projet de théâtre populaire parisien à la Chambre des députés, le 6 juillet 190154. Après la proposition de Melchior de Vogüé, l’intervention55 de Couyba lance le processus de fondation du théâtre populaire puisqu’elle suscite des commissions parlementaires qui en reprendront les options.
48Né le 1er janvier 1866, à Dampierre-sur-Salon (Haute-Saône), Charles-Maurice Couyba, agrégé, poète et chansonnier sous le pseudonyme de Maurice Boukay, est l’auteur des Stances à Manon dont Paul Delmet écrit la musique, de La Chanson d’amour dont Paul Verlaine écrit la préface, de Nouvelles Chansons, Chansons rouges et Chansons du peuple qui connaissent un grand succès et avec lesquelles il veut débarrasser la chanson des « inepties et grossièretés du café-concert ». Journaliste, il collabore au Gil Blas, à L’Événement, à la Revue bleue. Devenu ministre, il demande et obtient la création de la Bourse nationale de voyage littéraire. Il fait paraître en collaboration avec A. de La Rochefoucauld et Jules Bois une revue idéaliste, Le Cœur. Homme politique, il siège au groupe de la gauche radicale, s’occupe surtout des questions universitaires et artistiques et sera plusieurs fois ministre. Il meurt à Paris le 19 novembre 193156.
49Charles Couyba appelle les parlementaires à subventionner deux structures nationales, à relayer de façon institutionnelle les courants dramatiques qui naissent alors d’initiatives privées. Comme le faisait Bonnassies, il distingue le théâtre savant réservé à l’élite, qu’il appelle théâtre d’art, du théâtre destiné aux « pauvres57 » qu’il appelle théâtre populaire. Lorsqu’il définit le théâtre d’art, Couyba renvoie à un mémoire qu’Alfred Mortier a présenté au congrès d’art théâtral de l’Exposition Universelle de 1900. Le théâtre d’art est « une scène […] préoccupée uniquement de littérature », sur le modèle de celui où « la société cultivée et riche va tous les soirs ». Au contraire du Théâtre National de Bonnassies, à vocation conservatoire, le théâtre d’art est ouvert à la création dramatique. Couyba cite les exemples parisiens des Théâtres du Vaudeville, du Gymnase, du Théâtre Antoine, et du Théâtre Sarah-Bernhardt animés par « des jeunes hommes ardents et courageux, soutenus par une petite fraction du public et des artistes », où se créent les œuvres modernes. Il en cite les auteurs : Ibsen, Bjornson, Tolstoï, Hauptmann, Maeterlinck, Villiers de l’Isle-Adam, Rachilde, Paul Adam, Henry Bataille, Péladan, Quillard, Beaubourg, Hérold, de Bouhélier, de Faramond, Jarry et Trarieux. Dans la mise en place de la politique de décentralisation à laquelle il a contribué, comme dans le projet de théâtre d’art, la logique de Couyba est identique : l’éclosion d’un art nouveau est subordonnée à un financement spécifique de l’État faute de quoi l’effort artistique succombe sous le mercantilisme. Encourager la liberté de création théâtrale sert la Nation et la République. Dans cette optique, il suggère que les théâtres nationaux abandonnent la politique quantitative – représenter un certain nombre d’actes dans un temps déterminé – pour une politique qualitative, s’ouvrent aux artistes jeunes et ignorés, joués sur les scènes « indépendantes », et propose que l’Odéon, « plus particulièrement désigné pour assumer la tâche de faire connaître les jeunes poètes et les dramaturges indépendants de l’avant-garde littéraire », soit investi de cette mission, doté d’une subvention augmentée en conséquence.
50Le théâtre des pauvres, que Couyba appelle indifféremment théâtre du peuple ou théâtre populaire, emprunte son éclectisme aux Universités Populaires. Alternative aux « inepties et [à] la pornographie du café-concert », il n’a pas vocation civique mais constitue une institution spécifique à laquelle peuvent prétendre les pauvres au nom de l’équité contribuable :
« Il n’est pas juste que le pauvre, déjà écrasé par toutes les iniquités fiscales et sociales, continue à payer pour la grande joie du riche. Il n’est pas juste que l’État et les artistes officiels se désintéressent de l’éducation artistique de ceux qui les font vivre et qui leur procurent gloire et profit. »
51Alors que Bonnassies imaginait que la scène du théâtre municipal serve de tremplin éducatif à celle du théâtre national, Couyba, dans la ligne tracée par Melchior de Vogüé, conçoit le théâtre populaire comme une structure autonome visant un public ciblé auquel l’État rétrocède sa part de l’effort fiscal consenti. Il s’organise en fonction d’une population pauvre et laborieuse pour laquelle il adapte le prix des places, qu’il envisage entre cinquante centimes et deux francs, et les horaires : « Le spectacle commencerait à huit heures et demie pour finir à onze heures et demie permettant ainsi aux travailleurs de la ville et de la banlieue de venir et de repartir commodément. » L’architecture et la localisation géographique de ce théâtre sont spécifiques : Couyba propose qu’il soit accueilli au Théâtre du Châtelet, le plus vaste et le plus central de Paris, pouvant accueillir les foules et aisément accessible par les transports en commun. Au contraire de Bonnassies, Couyba ne lui affecte pas de troupe mais y propose les spectacles des quatre scènes nationales : « Le dimanche serait, si l’on veut, la Comédie-Française, et le jeudi, l’Odéon ; le mardi ce serait l’Opéra, et le samedi, l’Opéra-Comique. »
52Cependant, le projet ne vise ni la modélisation, ni l’exemplarité littéraire mais veut donner à consommer massivement ce qui reste le privilège de ceux « que la fortune dispense du travail opiniâtre, de la lutte pour la vie et de l’effort inventif ». Couyba propose la diffusion d’une culture qui ne s’organise pas en système de valeurs mais en manifestations « d’un invincible besoin d’idéal et de beauté » unanimement partagé. C’est pourquoi la chanson, « Cendrillon de la littérature populaire », comme « ses grandes sœurs, la comédie et la tragédie », sera associée aux spectacles du théâtre du peuple, ainsi que la musique ou des conférences, le lundi, illustrées de « projections lumineuses et animées ».
53Le dispositif de Couyba entérine et renforce le clivage de classe par l’organisation de deux structures hermétiques à public ciblé dont les attentes semblent incompatibles. Toutefois, la distribution des composantes nationales en « pauvres » et en « riches » n’induit pas la partition inférieurs/supérieurs que suggèrent les notions de masse et d’élite mais au contraire en inverse le rapport. Pour Couyba, la République qui contribue au plaisir des riches doit favoriser celui des travailleurs dont l’État et les artistes sont débiteurs.
54Le Conseil municipal parisien, propriétaire du Châtelet, rejette la proposition de Couyba qui prélude néanmoins à cinq ans de commissions parlementaires sur la question du théâtre populaire58.
55Leurs travaux sont exposés à la Chambre le 13 juillet 1906. Comme l’avait fait Couyba, Turot, leur rapporteur, souligne l’iniquité des institutions artistiques nationales dans la République, mais surtout en regard de l’Allemagne qui encourage et subventionne le théâtre populaire. Il expose neuf projets parmi lesquels celui de Catulle Mendès. L’un d’entre eux, celui de Camille de Sainte-Croix, est retenu à l’unanimité des membres de la commission.
56Dès 1887, dans un article que fit paraître La Petite République, Camille de Sainte-Croix proposait que la troupe des théâtres subventionnés joue sur les scènes des faubourgs parisiens. Publiciste et homme de lettres, il a fait partie du jury réuni par La Revue d’art dramatique pour le concours de projets de théâtre populaire. La Petite République publie, le 17 juillet 1903, son projet de théâtre du peuple. De l’aveu de Camille de Sainte-Croix lui-même59, ce projet, qui intègre toutes les options jusqu’alors retenues par les initiatives privées de théâtre populaire, doit beaucoup à Gémier. Conçu en positif du théâtre bourgeois, ce théâtre populaire rompt avec le modèle de la salle à l’italienne. Comme le souhaitait Antoine et le prônait Bonnassies, le lieu théâtral serait « une combinaison architecturale prévoyant un grand nombre de places avec possibilité pour tous les occupants d’être bien assis, de bien voir et de bien entendre60 », conforme aux valeurs modernes de progrès, et conçu selon les principes qui régiront le Théâtre National Ambulant Gémier : « Modèle non de luxe mais d’élégance simple, de confort, d’hygiène et de sécurité61. » Le théâtre populaire fonctionnerait sur le modèle de la troupe d’ensemble, « personnelle et spéciale », composée d’artistes de renom et de jeunes artistes débutants, élèves du Conservatoire. Comme l’imaginait Catulle Mendès, comme le sera le Théâtre Ambulant Gémier, il s’agirait d’un établissement financièrement autonome : Camille de Sainte-Croix propose qu’un système de loterie ou de bons à lots constitue le capital du théâtre populaire qui doit rester à l’abri des mécènes et des spéculateurs. La structure parisienne s’organiserait en quatre établissements édifiés, comme le suggéraient de Vogüé ou Catulle Mendès, dans les quartiers ouvriers : aux sommets nord, sud-est et sud-ouest d’un triangle équilatéral inscrit dans la circonférence parisienne et à proximité du Châtelet, à la fois proche « de certains quartiers les plus entamés par la contagion des music-halls [et] du public éminemment intéressant de la jeunesse des écoles62 ».
57Le projet de Camille de Sainte-Croix définit le peuple selon la dichotomie travailleurs/oisifs opératoire chez Lumet ou Romain Rolland. Le théâtre du peuple est celui des travailleurs, travailleurs manuels desquels l’État est redevable, comme le soulignait Couyba, et travailleurs intellectuels. En conséquence, son répertoire éclectique associerait aux œuvres du patrimoine des « spectacles coupés de danses, de pantomimes, de chansons63 ». Scène conservatoire, elle s’ouvrirait aussi, sans a priori normatif, à toute forme de spectacles vivants et serait l’espace privilégié de la création dramatique, portant des œuvres inédites que Camille de Sainte-Croix définit ainsi :
« Grands tableaux de reconstitution évoquant les grandes époques de l’histoire nationale et internationale, glorifiant les actes de civisme, de génie, de splendeur morale, brillantes féeries symboliques avec des mises en scène ingénieuses, légères fantaisies lyriques et satiriques dont le bon goût n’exclura pas la verve pittoresque, spectacle d’art et de fêtes joyeuses, où, sous les attraits de musiques captivantes, de décors enchanteurs, de chorégraphies élégantes, se glissera toujours l’expression moralisatrice de quelque noble idée générale, de quelque grand enseignement scientifique ou social64. »
58Ce théâtre du peuple est celui de la fête d’art. Il a vocation pédagogique : éducateur en ce qu’il moralise, instructif parce qu’il enseigne, il fonde ses contenus sur le souci de l’intérêt général. Lorsqu’il emprunte à l’histoire, ce théâtre civique en tire la leçon humaine plutôt qu’une hagiographie nationale. Il fonctionne sur le mode jubilatoire. Toutefois, à la différence de Bonnassies qui y répugne, que Couyba juge superflu, Gémier et Camille de Sainte-Croix accordent au plaisir sensoriel une fonction majeure dans la didactique du théâtre populaire : les images et la musique parlent à l’intelligence au même titre que les mots. La présentation du projet à la Chambre des députés, en 1906, constitue une troisième étape dans la genèse du Théâtre National Populaire et il semble que, sans le veto du Conseil municipal de Paris à l’utilisation du Théâtre du Châtelet, la structure aurait vu le jour. Gémier en eût été le directeur.
59Paul-Boncour est à la Chambre des députés un autre porte-parole de Gémier qui choisit, devant l’indifférence de l’État, d’entreprendre de façon autonome l’œuvre de théâtre populaire en créant le Théâtre National Ambulant. Jusqu’à la première guerre mondiale, les dirigeants de la Troisième République restent sourds à la leçon de Schlegel.
Le combat du militant
60Après la première guerre mondiale ressurgit à la Chambre la question du théâtre populaire que les multiples commissions avaient doucement enterrée dans les cartons ministériels. L’épreuve de la guerre a infléchi l’image des classes populaires à la Chambre des députés : de mineure, la masse est devenue héroïque. L’État qui lui concédait des droits au nom des principes républicains puis reconnaissait ses devoirs à l’égard de cette collectivité qui faisait vivre le pays, mesure sa dette envers ceux qui ont sauvé la Nation. Gémier fait valoir le sacrifice national du peuple qui « a souffert […] s’est sacrifié […] nous a sauvés65 », qui a prouvé « pendant cinq ans ce qu’il est capable de faire quand il s’agit de servir une idée66 ». La guerre fait basculer le clivage de classes à la faveur des « primaires67 ». Le peuple en tant que masse des petits, des humbles, des pauvres a non seulement révélé sa force dans l’engagement militaire mais encore sa supériorité sur les classes possédantes par une Révolution russe triomphante qui efface l’humiliation de la Commune. Sous une Chambre bleu horizon, il s’unit et s’organise en syndicats dont l’audience et, en conséquence, le poids politique vont croissant. L’égalité citoyenne de droit recouvre une égalité humaine de fait. L’abolition des privilèges ne se résoudrait plus en terme de rétrocession charitable : après que l’État aurait pris conscience de ses devoirs envers le peuple, le peuple imposerait la satisfaction de ses exigences.
61Cet apparent renversement du rapport social se reflète, dans l’histoire de la pensée pédagogique, par l’émergence en France de nouveaux courants qui bouleversent le modèle consacré et interfèrent dans l’approche éducative du théâtre populaire. La pensée politique et pédagogique de gauche, qui conteste le modèle autoritaire sans pour autant y substituer le schéma libertaire, propose le modèle démocratique : éduquer le peuple ne consiste ni à vulgariser des contenus d’enseignement érigés en valeurs ni à organiser la diffusion massive d’objets de plaisir. Elle revendique l’égalité intellectuelle et dénonce l’oppression de classe.
« La stupide distinction entre les “primaires” et les autres, instaurée sauvagement par le régime bourgeois, qui voulait réserver à sa classe le monopole de la culture, a assez duré. Tous les hommes sont aptes à recevoir la bonne parole. Les “primaires”, ce sont ceux qui n’ont pas eu le temps de devenir des “secondaires” ou des “supérieurs”. C’est tout. L’émancipation de la masse fera tomber ces cadres étouffants et stupides68. »
62L’État, débiteur des classes populaires désormais majeures, vote en 1919 la loi fixant à huit heures la journée de travail mais s’inquiète de la gestion du loisir ouvrier. Le discours de gauche fait de la culture une parade contre l’alcoolisme :
« Contrairement à l’opinion bourgeoise généralement répandue, je crois que ce n’est pas la diminution des heures de travail qui développera l’alcoolisme, tout au contraire, nous avons tous reconnu, au cours de la guerre, que c’est dans les mauvais secteurs et les jours de grande fatigue que nous buvions davantage69. »
63Les journaux socialistes soutiennent le projet de théâtre populaire que poursuit Gémier et relaient dans leurs colonnes la campagne qu’il mène par voie de presse, cherchant d’abord l’appui de la Ville de Paris70 pour finalement s’en remettre à l’État.
64Dans Le Populaire, Paul Vaillant-Couturier en rend compte :
« C’est fort d’une haute autorité que j’en prends l’initiative ici. J’ai eu, en effet, sur ce sujet qui m’étais très anciennement cher une longue conversation avec le grand artiste qu’est Firmin Gémier. J’eus la joie de m’apercevoir que nous étions en parfaite communion d’idées sur tous les points. J’ai compris que le meilleur gage de la réussite de notre projet était précisément dans le concours enthousiaste que le technicien accompli des choses théâtrales nous apportait, et c’est encore vibrant de son enthousiasme que j’écris. Je jette ici sans ordre les grandes lignes de nos projets71. »
65L’éthique reste immuable : les contenus culturels ne se hiérarchisent pas sur des critères normatifs de classe mais sur des critères esthétiques. Comme l’affirmait Paul-Boncour, seul existe l’art tout court que chacun a la faculté d’apprécier : « La beauté est à tout le monde, et elle gagne à être aimée72. »
66Le Théâtre Populaire, comme l’École nouvelle, propose des contenus à l’attention d’un apprenant qu’elle veut actif, cherche à mettre en correspondance fonds culturel et réalité sociale. La connaissance active un rapport au monde. En conséquence, la scène du théâtre populaire doit accorder une large place au patrimoine commun dont « des comités d’artistes, d’écrivains et d’ouvriers, suivant le degré d’actualité qu’ils présentent73 » choisiront les chefs-d’œuvre. Au théâtre populaire, le peuple prendra en charge son apprentissage. Dans un geste symbolique, il en édifiera la structure.
« Au service de la même cause, les architectes, les décorateurs, les terrassiers, les maçons et les charpentiers en fer rivaliseront de zèle, de talent et d’adresse professionnels pour bâtir au peuple des théâtres dignes de lui74. »
67À l’image de celui de Berlin, « entreprise coopérative75 » à la gestion de laquelle fusionnent en peuple les travailleurs manuels et intellectuels, le théâtre du peuple s’intègre à l’univers des lendemains qui chantent.
« Et tandis que, sous les mains actives des ouvriers s’élèveront, pierre par pierre, les amphithéâtres du peuple, nous construirons, nous les techniciens de la pensée, par la constitution de compagnies théâtrales, par la réception, l’étude et les répétitions des chefs-d’œuvre, par le groupement des chorales, la grande maison intellectuelle où le peuple n’aura plus qu’à entrer au jour de son joyeux avènement. […] Je vois ces théâtres édifiés, ornés de jardins et près des stades réservés aux sports, au milieu de la ceinture pacifique des habitations à bon marché, des maisons du peuple avec leurs bibliothèques, des grandes coopératives d’alimentation et des gares d’aviation76. »
68Gémier reprend les grandes lignes du projet de Camille de Sainte-Croix : prix réduits, vastes salles édifiées en périphérie de la capitale dans le no man’ s land que constituent les fortifications en passe de démolition, c’est-à-dire proches des quartiers ouvriers ou qui tendent à le devenir. Irénée Mauguet, directeur des théâtres de verdure du Pré-Catelan et de Marnes-la-Coquette, soumet au Conseil municipal de Paris, en 1919, un projet identique d’édification de maisons du peuple avec bibliothèque, salle de conférence pouvant se transformer en cinéma-restaurant où l’alcool serait banni, bains-douches et salle de spectacle de trois mille places sur le modèle de celle qui fut construite à Vienne. La scène serait ouverte à un répertoire éclectique choisi pour sa valeur civique, à la création dramatique, à tout fait culturel passé et contemporain comme la musique, la conférence, la poésie et le cinéma, à toute manifestation d’art dans la sensualité de sa représentation. Y seraient enfin organisées de grandes fêtes auxquelles participera le public :
« À des dates fixes, de grandes fêtes syndicales réuniront, pour l’exaltation du travail enfin triomphant, tous les membres d’une même famille ouvrière. La guerre y sera, une fois l’an, commémorée par une fête de l’Horreur. […] Les auditeurs participeront à l’action, grâce à la suppression de la rampe, instaurée déjà par Gémier au Théâtre Antoine77. »
69Si la forme et la doctrine sont trouvées, dans cette esquisse de théâtre populaire reste occultée la question économique à laquelle répondait Camille de Sainte-Croix. Son financement revient-il aux travailleurs comme le suggère Georges Pioch ? « Le peuple seul – et dans le peuple, je fais réflexion surtout à la classe ouvrière – le peuple seul pourra construire, organiser, subventionner et faire durer l’immense théâtre – huit à dix mille places – seul digne d’être appelé le Théâtre du Peuple78. »
70Ainsi, entre le directeur du Théâtre National Populaire et l’État qui va le nommer s’installe un malentendu pédagogique et politique. Pour l’État, la cinquième scène nationale relève du processus éducatif qui double l’histoire de la République, s’assimile au modèle scolaire de vulgarisation du patrimoine. Pour Gémier, qui choisit la voie socialiste lorsque l’État opte pour la démocratie bourgeoise, la scène populaire participe d’un mouvement idéologique d’émancipation intellectuelle. Le combat de Gémier pour le Théâtre National Populaire commence lorsqu’est fondée la cinquième scène nationale.
71Avant d’entamer une carrière politique, Pierre Rameil avait été acteur et auteur dramatique79. Devant la Chambre, il cherche à concilier l’inconciliable pourvu que soit effectivement fondée l’institution théâtre populaire. Il renvoie d’abord aux principes républicains consensuels arrêtés en un demi-siècle de débats parlementaires. Théâtre-musée, la cinquième scène nationale relaiera l’œuvre scolaire. Au nom de l’équité fiscale, elle pratiquera des tarifs permettant qu’y accèdent les classes sociales défavorisées. Ainsi, selon les dispositions du collège unique, simple extension de la durée du cursus dans un dispositif qui reste celui de l’École Publique de Jules Ferry, nivelant et modélisant, elle enseignera les chefs-d’œuvre du patrimoine dramatique national : « Les matinées du jeudi seront réservées aux élèves des écoles communales, des lycées et collèges car il faut, ce jour, réaliser, dans la mesure du possible, la fusion des classes de la société80. » Institution républicaine, accessible à tous ceux qui contribuent par l’impôt à son existence, cette scène rétrocède au peuple français
« un luxe que nous lui devons, le luxe de la pensée, luxe éducateur qu’il paie par les subventions accordées à l’Opéra et aux théâtres subventionnés et dont il ne profite jamais parce que les théâtres sont chers et exigent souvent une tenue qu’il est impossible au travailleur de s’offrir ou d’endosser après les fatigues d’un travail tardif81 ».
72Toutefois, parce qu’elle est populaire, cette scène s’adressera à un public générique : les travailleurs. Elle « satisfera les travailleurs manuels, chaque jour plus cultivés, et les travailleurs intellectuels qu’un injuste obstacle pécuniaire prive souvent de la jouissance d’une forme de l’art82 ». Nationale, elle interviendra à Paris et en province : pendant le relâche parisien d’été, elle donnera ses spectacles en plein air dans les sites que l’État subventionne au titre de la décentralisation, Orange, Nîmes, Béziers, Bussang, Cauterets ou Carcassonne.
73Rameil, référant à son expérience d’acteur83, partage les options de Vaillant-Couturier :
« Qu’on ne vienne pas nous dire que nous voulons faire au peuple un cadeau qu’il ne sollicite pas. Qu’on ne prétende pas que ses goûts le portent plutôt vers le “caf’conc”. Les masses ouvrières savent parfaitement conduire leurs préférences vers les spectacles d’un ordre élevé lorsqu’on les leur offre au prix du beuglant84. »
74La création du Théâtre National Populaire, qui procède du mouvement de résilience et d’émancipation intellectuelle de la classe ouvrière, reçoit, de l’aveu même de Rameil, le soutien inconditionnel des syndicats85. Son action ne se bornera pas à la diffusion patrimoniale mais, par l’accueil des chefs-d’œuvre étrangers et des pièces des jeunes auteurs, visera « un véritable mouvement de renaissance théâtrale86 » : avec le Théâtre National Populaire, il s’agit bien de susciter un art nouveau pour un peuple nouveau. Rameil évoque explicitement les représentations de Gémier au Cirque d’Hiver.
75Visant l’accord consensuel, Rameil et le groupe parlementaire dont il est porte parole mènent une politique de compromis afin que « les députés de toutes opinions depuis Paul-Boncour jusqu’à Maurice Barrès87 » votent la création de la cinquième scène nationale. Le 8 juin 1920, la Chambre des députés vote le crédit de 100 000 F demandé par Rameil pour la fondation du Théâtre National Populaire. Soumise au Sénat, la proposition est rejetée parce que le projet de théâtre populaire semble insuffisamment étudié. Début août, le Sénat s’incline finalement devant la décision de la Chambre après l’intervention d’Honnorat, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts.
76Le choix de son directeur reste ouvert. Trois noms sont proposés : Antoine, Gémier et Copeau. Rameil, dont le choix se porte incontestablement sur Gémier, souligne le rôle esthétique de chacun dans le mouvement dramatique contemporain : Antoine, artiste courageux et pugnace, donne vie au théâtre moderne. Sa nomination réparerait le préjudice que causa l’État en traitant l’artiste comme un boutiquier. Antoine décline immédiatement88 l’offre de Rameil dont il comprend justement la valeur honorifique. Est proposé Copeau dont les mises en scène ont su revivifier le patrimoine dramatique national. Copeau, qui dans toutes ses déclarations à la presse dit ignorer le projet de Pierre Rameil, décline l’offre début août89, faisant valoir son attachement exclusif à l’œuvre du Vieux-Colombier.
77Copeau refuse la proposition car la question de la troupe n’est pas réglée. Ici encore, Rameil tente de concilier l’inconciliable et parle de constituer, au TNP, « à côté de la troupe fixe – celle des théâtres subventionnés et du Conservatoire – une troupe mobile comprenant des artistes en disponibilité ou en instance d’engagements90 ». Deux perspectives se superposent, celle de Camille de Sainte-Croix qui envisage le théâtre populaire comme une structure autonome à laquelle est affectée une troupe particulière, et celle de Bernheim dont l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre recourt aux artistes des scènes subventionnées. Dans l’hypothèse du consortium, le théâtre populaire se cantonne à une mission de vulgarisation alors que l’autonomie appelle la création. Copeau refuse la proposition, persuadé que la cinquième scène nationale sera un consortium, son directeur un gestionnaire plutôt qu’un metteur en scène.
« Si la troupe des scènes subventionnées est mise à la disposition du nouveau théâtre, chacune avec ses cadres et son répertoire, ne craignez-vous pas que l’action personnelle du directeur ne se trouve, par la force même des choses, atténuée, peut-être annihilée, que ce brave homme de directeur ne puisse parvenir à faire prévaloir ses propres idées ? Bref qu’il soit là plus en régisseur général, en simple fonctionnaire – qu’en artiste véritable91 ? »
78Gémier, qui milite depuis vingt ans pour la fondation du théâtre populaire et qui sans aucun doute est à l’origine du projet Rameil, consent à toutes les dispositions institutionnelles, convaincu, comme les parlementaires qui le soutiennent, que seule importe dans un premier temps la reconnaissance de l’État.
79Si l’insuffisance de la subvention l’inquiète toutefois – « Cent mille francs pour une œuvre de pareille envergure, quelle bagatelle ! Trois mois de vivres ! et encore92 ! » – il accepte la salle des fêtes du Trocadéro. Pourtant, « placé dans un quartier plutôt bourgeois, redoutable aux pièces parlées, le Trocadéro n’est possible que pour les solennités ou des manifestations de gala, animées de lyrisme vocal ou instrumental93 ». À plusieurs reprises, Rameil souligne que le Trocadéro est choisi, à défaut d’une autre salle, pour sa capacité d’accueil de cinq mille places et évoque l’incapacité dans laquelle sont tenus l’État et la Ville de Paris de faire construire un monument onéreux à l’exemple de ceux qu’ont édifiés les grandes villes étrangères94, dont celles d’Allemagne95. Ici encore, Gémier accepte une disposition d’attente et Rameil précise que son groupe propose le Trocadéro « à titre d’essai96 ».
80De fait, l’État adapte aux attentes des parlementaires du groupe Rameil une structure déjà existante. Le Palais du Trocadéro, édifié pour l’Exposition Universelle de 1878, avait été converti en salle des fêtes, comme l’y autorisait sa vaste capacité d’accueil. Dès le début du siècle, l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre y avait donné de fructueux galas. Avant guerre, l’État avait créé dans cette salle un établissement répondant à la mission républicaine de diffusion équitable du patrimoine culturel. En 1911, la Chambre avait doté la structure d’une subvention de 800 000 F sur la promesse que les théâtres subventionnés y donneraient chacun annuellement six représentations populaires à prix réduit. Cette dotation avait permis l’installation d’un chauffage. Mais ces travaux d’amélioration de salle restaient insuffisants : on remédia à la mauvaise acoustique du lieu par une réduction du cadre de scène.
81Sur le plateau, dont le proscenium permettait les larges évolutions et les figurations importantes, on aménagea une scène réduite de 30 à 11 mètres de large par une construction métallique démontable en quelques heures dont la décoration fut assurée par Émile Bertin. Ce dispositif avait permis la pose d’un rideau, jusqu’alors absent, à traction latérale manuelle, et l’implantation de décors. Pour l’amélioration acoustique, on adapta un fond de scène en forme de conque. On installa un meilleur dispositif d’éclairage. Le ministère des Beaux-Arts rattacha enfin deux machinistes à la salle des fêtes du Trocadéro. L’État avait désigné un concessionnaire : Brabant, chef machiniste au Théâtre de la Porte Saint-Martin, qui obtint pour dix ans la faculté de louer le théâtre aux directeurs, aux sociétés et aux œuvres qui voulaient y donner des représentations. Le ministère des Beaux-Arts avait « invité97 » l’Opéra, la Comédie-Française et l’Odéon à y donner des représentations populaires, faisant valoir que, malgré la modicité des tarifs pratiqués, elles resteraient fructueuses, étant donné le grand nombre de places à louer. Il y avait contraint l’Opéra-Comique par son cahier des charges : Carmen fut donné en première représentation, le 14 février 1912. Le prix des places oscillait entre cinquante centimes et trois francs.
82Pour l’État, la fondation du TNP n’est que la reconduction d’un dispositif existant. L’œuvre de Gémier s’organise ainsi sur un désengagement des pouvoirs publics.
83Gémier doit faire face à trois écueils. Le premier, d’ordre stratégique, est lié à l’implantation du Trocadéro dans la ville. Le second, idéologique, renvoie à l’image mythifiée du théâtre du peuple projetée par les socialistes. Avec le Palais du Trocadéro, l’État républicain n’offre pas au peuple le monument qu’il est en droit d’attendre, cette « œuvre d’un peuple tout entier98 », positif du Palais Garnier, « palais théâtral du Second Empire99 », mais bricole l’installation du Théâtre National Populaire dans un quartier inadéquat. La troisième contrainte, d’ordre artistique, que soulignent tous les praticiens de théâtre, pourrait être à Gémier une gageure. Ce lieu « effroyable […] salle de congrès et point salle de théâtre100 », sans machinerie, dont la scène ne peut, pour des raisons de sécurité, accueillir de décors, pourrait permettre « une expérience curieuse à tenter101 » : devenir un espace théâtral shakespearien. La structure bénéficie de l’appui des syndicats et des forces socialistes grâce auxquels Gémier peut résoudre le premier écueil.
84Le TNP fonctionne en deux structures, l’une se fixant au Palais du Trocadéro, l’autre se déplaçant dans des salles implantées en quartiers ouvriers. À l’invitation de l’Union des Conseillers Municipaux Socialistes de la Banlieue, au printemps 1921, la troupe du Théâtre Populaire donne deux séries de représentations avec Blanchette et Boubouroche, Géniat à sa tête, à la Coopérative de l’Utilité sociale du XIIe arrondissement, Boulogne-sur-Seine, Levallois-Perret, Ivry-sur-Seine, Choisyle-Roi, Maison-Alfort, Le Bourget, Aubervilliers, Vitry-sur-Seine, Pantin, Courbevoie, Saint-Denis, Montreuil, à la Bellevilloise, Vincennes, Pavillon-sous-Bois, Saint-Maur, Colombes, Issy-les-Moulineaux, Gentilly, Asnières, le Kremlin-Bicêtre, Malakoff, Chatou, Suresnes. Puis Suzanne Després conduit la troupe, avec La Robe rouge, au Vésinet, à Puteaux, Châtou, Aubervilliers, Vitry-sur-Seine, Nanterre, Alfortville, Livry, Maison-Alfort, Chartres, Suresnes, Pantin, Boulogne-sur-Seine, Aulnay-sous-Bois, Malakoff, Noisy-le-Sec. Ces spectacles reprennent le répertoire des théâtres populaires d’initiative privée qui naissent à Paris au début du siècle.
85La double organisation semble paradoxale. La structure itinérante, qui s’impose à l’échelle de la France, compte tenu des conditions de spectacle qu’offrent les théâtres de province, se justifie au Théâtre National Ambulant comme dans le projet de représentations estivales du TNP en province. À Paris toutefois, l’itinérance implique une ségrégation. Gémier ne partage pas l’opinion de ceux qui prônent l’organisation en multiples structures restreintes. Son projet, national, suppose la fusion émotionnelle d’un public socialement hétérogène. Dans cette perspective, les tournées en banlieue fonctionnent en représentations de propagande, dès la création de la structure. Elles constituent la promotion du TNP, créant des relais de « propagandistes ».
86Les deux autres contraintes, idéologiquement et esthétiquement majeures, conduisent Gémier, confronté à la réalité d’une implantation inadaptée au théâtre populaire et aux représentations dramatiques, à réserver son engagement. En demandant à Rameil d’être nommé pour un an, il souhaite prendre la mesure de l’implication réelle de l’État dans l’œuvre de théâtre populaire. L’institution politique se borne à deux gestes, accompagnant la fondation du TNP. Le spectacle inaugural, qui participe de la commémoration du 11 novembre 1918 organisée en plusieurs manifestations, reçoit une subvention de 100 000 F. Gémier parvient à obtenir par ailleurs une enveloppe de 110 000 F qui lui permet d’assurer le second spectacle du TNP donné à l’occasion des fêtes de Noël. Mais le TNP, qui a besoin de fonds conséquents pour assurer l’entretien et l’administration de la structure, payer la prestation des acteurs, se heurte à l’indifférence des pouvoirs publics qui, renvoyant Gémier à une fonction de concessionnaire, ne donnent pas suite à l’effort initial consenti.
87Ainsi, malgré la parole donnée par la direction des Beaux-Arts, l’État ne finance pas les travaux qu’exige la préfecture de police. Pour des raisons de sécurité, les représentations ne peuvent être données que sur un tréteau nu, sans décoration. Alfred Fourtier précise que cet impératif fut accepté au cours de la première saison : « pour un premier essai mais nous ne pouvions pas continuer indéfiniment [le public se lassant] aux présentations scéniques par trop simples, devant l’éternel rideau vert, seule décoration du plateau102 ». La préfecture de police ordonne la fermeture de la salle du Trocadéro en mai 1921. Les travaux doivent être réalisés à l’automne, permettant la réouverture du TNP en décembre. Fin décembre, « nous eûmes la certitude que rien ne serait fait », déclare Alfred Fourtier103. Gémier, agacé devant l’inertie administrative, laisse envisager son abandon du TNP si l’État ne prend pas en charge les travaux104.
88Gémier brigue alors la succession de Paul Gavault à l’Odéon, pour laquelle sept candidats sont en lice, afin d’articuler deux structures nationales dans une même perspective de création, d’utiliser la troupe et les moyens qu’offre le second Théâtre Français pour l’œuvre de théâtre populaire.
89Gémier est choisi. Dans le monde théâtral et chez certains parlementaires, la nomination de Gémier à l’Odéon, le 1er décembre 1921, suppose qu’il abandonne le Théâtre National Populaire. Certains, comme Charles Bernard, député de la Seine, évoquent une cupidité de Gémier105. D’autres, comme Alphonse Séché, se proposent de le remplacer à la direction du TNP106. La Chambre se range à la proposition de Léon Bérard, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, qui trouve l’argument infaillible, l’argument économique, celui qui suffit à guider les choix institutionnels de la Troisième République en matière de théâtre populaire. Léon Bérard fait valoir que « Monsieur Gémier était le seul qui eût fait ses preuves comme entrepreneur de spectacles. C’est un grand artiste, mais c’est aussi un grand directeur de théâtre107 ». Le bilan des recettes du TNP pour la première saison n’est-il pas de 950 000 F, dont 350 000 de subvention ? Directeur de l’Odéon, Gémier est reconduit à la direction du TNP le 15 mars 1922. Le théâtre du peuple, que l’État fonde pour se donner une bonne conscience républicaine, ne coûtera rien.
90Gémier agit dans la logique du pouvoir à d’autres fins.
« Encore une fois, j’ai pris l’Odéon parce que le Théâtre Populaire ne peut s’organiser sans le secours du second Théâtre Français. Ces deux directions se conjuguent ; ces deux œuvres se complètent : l’expérience de la saison dernière nous l’a prouvé surabondamment. On m’avait offert le Théâtre Populaire pour sept ans ; c’est moi qui ai demandé à faire un essai d’un an. M’en aller ? Pourquoi ? D’ailleurs, cela ne m’est plus possible. L’œuvre commencée m’a créé des liens que je ne puis plus rompre. Depuis 20 ans, j’ai souhaité la création d’une scène populaire ; depuis l’an dernier j’ai travaillé à l’établissement de cette scène ; j’y ai accepté des sacrifices ; j’y ai pris des engagements moraux et matériels considérables. Si demain je voulais me désintéresser du Théâtre Populaire, les milliers d’amis de mes premiers efforts, la Municipalité de la Seine, les membres de l’enseignement, leurs élèves et les parents de ces élèves, mes habitués qui veulent être des abonnés définitifs, tous viendraient me demander pourquoi je les abandonne. Tous ceux-là protesteraient en masse si l’on voulait arrêter l’essor de notre œuvre commune. Il y a derrière mes travaux de l’année qui s’éteint une multitude d’affections qui ne me pardonneraient pas de faillir à une tâche qui est désormais le but de nos aspirations communes108. »
91Il veut remplir la mission dont le peuple – et non l’État – l’a investi, et affirme la dimension collective, socialiste, du projet de théâtre populaire, sa vocation politique et esthétique, le renouveau dramatique qu’il appelle :
« Je ne tiens à aucune place, à aucune récompense, je ne veux que réaliser les idées qui me paraissent utiles aux autres Français. J’accepterai avec joie le concours des subventionnés, je le réclame depuis un an, s’ils veulent me l’accorder, ce concours nous permettra de vivre et de nous organiser définitivement. Mais les œuvres du répertoire, pour si intéressant qu’il soit de les mettre à la portée des publics peu fortunés, ne constituent pas tout notre programme : à côté des pièces à jouer, il y a des idées à servir, il y a des fêtes à organiser, fêtes de communion et de concorde109. »
92Le soutien de Léon Bérard permet à Gémier de détourner le projet institutionnel, de construire le théâtre populaire non pas comme un dispositif de vulgarisation réalisé à moindres frais mais comme un outil d’éducation socialiste.
93Symboliquement, Gémier, qui ouvre sa direction de l’Odéon le 17 mars 1922 avec Molière, conclut le long relâche forcé du TNP en donnant quinze jours plus tard, sur la scène du Trocadéro, deux spectacles de l’Odéon dont une matinée scolaire.
94À partir de 1922, la décision institutionnelle permet à l’Odéon et au TNP de fonctionner comme des établissements complémentaires, les moyens du second Théâtre Français étant mis, au service de la création, à la disposition de la cinquième scène nationale. Très concrètement, cette disposition concerne la troupe. Comme le redoutait Copeau, refusant la direction du TNP sur ce motif, les pouvoirs publics conçoivent le TNP comme un consortium et restent indifférents aux arguments des syndicats d’artistes.
95Gémier forme donc la troupe de l’Odéon sur le modèle de la troupe d’ensemble, modèle l’Odéon à sa facture et intègre « sa littérature » au répertoire. La troupe de l’Odéon s’organise ainsi dans le projet du théâtre populaire, pour les reprises ou les créations. Avec elle, Gémier met en scène La Cagnotte, présentée en décembre 1922 à l’Odéon, en février 1923 au Trocadéro. Pour le TNP, les comédiens de l’Odéon donnent Les Fleurs du vase ou La Guerre des barques. Tous les moyens semblent réunis pour que Gémier puisse faire de son idéal la réalité du TNP.
TNP et Odéon, deux scènes complémentaires
96Le modèle théorique du théâtre populaire chez Gémier rejette le principe de théâtre de quartier, le Théâtre Populaire de Berny ou celui de la Coopération des Idées. La structure s’organise dans un équilibre complexe, au rassemblement de l’élite et du petit public. Les premières annonces publicitaires pour les spectacles du TNP au Trocadéro précisent qu’un « service d’autobus dans toutes les directions assurera les communications les plus difficiles110 ». Le théâtre populaire se veut une structure vers laquelle tous les publics convergent. Le Trocadéro compte environ 3 900 places payantes, auxquelles s’ajoutent les servitudes, places gratuites imposées par l’administration des Beaux-Arts. Comme le Théâtre National Ambulant ou le Théâtre Antoine, le TNP conserve la répartition en baignoires, loges, premières et secondes et n’uniformise pas le prix des places. Les tarifs du TNP varient en 1920 de un à huit francs, en fonction des manifestations et sont de trois à quatre fois inférieurs à ceux des autres théâtres parisiens. Espace de rassemblement, ce théâtre pour la foule est un lieu d’accueil. En 1925 seront créés une librairie et un buffet, où l’on trouve « des consommations de premier choix et des spécialités de pâtisserie alsacienne à des prix très modérés111 ». La salle n’ayant pas l’allure du palais de luxe et de modernité qu’il avait voulu pour le Théâtre National Ambulant, Gémier y entreprend des travaux d’isolation et d’acoustique de façon récurrente pour casser la « légende du Trocadéro frigorifique112 » et celle de son « fameux écho113 ».
97Dans les deux théâtres, Gémier crée un journal : Odéon Magazine à l’Odéon en 1922, au TNP un hebdomadaire, Le Théâtre pour Tous, dont le premier numéro paraît le 17 octobre 1924. On notera le prix dérisoire de son abonnement annuel, trois francs, par ailleurs compensé par une place d’orchestre ou de loge. Si le journal donne des informations sur les programmations à venir, il semble avant tout un lieu d’échange entre le directeur et son public. Dans ses colonnes sont rapportées lettres de satisfaction ou réclamations auxquelles il apporte une réponse. À l’Odéon comme au Trocadéro, Gémier construit son théâtre en fonction du rapport au public. Or, dans les années 1924-1925, dans Odéon Magazine, il écrit à la jeunesse estudiantine : « Inspirez-nous, soyez avec nous114. » À la même époque, dans Le Théâtre pour tous, il présente le Théâtre du Peuple de Berlin, théâtre pris en charge par son public. L’un et l’autre texte soulignent une faille. Gémier a perdu ce rapport essentiel au public, ne sait plus si le théâtre pour lequel il milite répond aux attentes des spectateurs et s’interroge sur la conformité des structures qu’il gère à son rêve de théâtre. Son désarroi apparaît dans un autre texte, à peine antérieur :
« Nos auteurs ne semblent pas avoir conscience de la puissance de pénétration que possède le théâtre ou plutôt qu’il pourrait posséder s’il revenait aux conditions qui firent du théâtre grec un agent de civilisation dont la lumière rayonne encore aujourd’hui sur le monde moderne.
C’est guidé par cette idée que j’ai voulu créer et faire vivre le Théâtre National Populaire. La besogne était rude, la tâche ardue, mais je ne cessais de me répéter ces mots. Il faut se dire que chaque effort apporte tôt ou tard un résultat. Il faut agir, agir bien, agir quand même. Quand on tombe, il faut encore regarder le ciel. Il faut croire, croire obstinément, follement, rageusement. Il faut croire et rire, alors même que la douleur de la chute vous donne envie de pleurer115. »
98Le TNP vivant répond-il au projet d’œuvre commune, à l’utopie des lendemains qui chantent, ou, réalité plus triviale, est-il une entreprise de divertissement ?
99Paul Blanchart reste très discret sur les années qui suivent la fondation du TNP. Inaugurée le 11 novembre 1920, la cinquième scène nationale fondée par Gémier disparaît au terme de sa quinzième saison, le 25 avril 1935. À son emplacement sera édifié le Palais de Chaillot pour l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937. Arrivant à Paris au moment de la disparition de Gémier, Jean Vilar garde de ce théâtre populaire le souvenir d’une « salle-capharnaüm116 ».
100À qui la faute si ce premier TNP est historiquement occulté ? À Gémier ? Aux auteurs ? Au public ? À Fourtier qui dirige seul le Trocadéro après la mort de Gémier ? Au-delà d’une recherche inopérante de responsabilité, la réalité de la cinquième scène nationale soulève des interrogations majeures pour le théâtre populaire.
101À travers la reconstitution que nous pouvons faire de sa programmation, l’histoire des quinze premières années du TNP se constitue de trois périodes, comme celle de l’Odéon dirigé par Gémier. Le premier moment pourrait être nommé de l’euphorie à la désillusion. Jusqu’à la fin de la saison 1922-1923, c’est l’euphorie. Gémier monte cinquante pièces à l’Odéon. Au cours des trois saisons suivantes vient le temps du doute, marqué par une activité ralentie à l’Odéon. Gémier n’y crée que treize pièces nouvelles en 1925-1926. Le deuxième moment, plus bref, s’appellerait le sursaut. Il couvre la saison 1927-1928. À l’Odéon, Gémier donne les œuvres de Romain Rolland et de Maurice Pottecher. Avec la troupe de l’Odéon, il mène les tournées du TNP d’abord à Amiens, au Théâtre Coopératif de l’Union pour L’Autoritaire. Dans les théâtres « de banlieue », il présente ensuite La Bataille. À Amiens, Gémier donne deux représentations, les 29 et 30 janvier 1927. Succèdent aux spectacles de l’Odéon ceux de l’Opéra-Comique, Paillasse et Le Chalet, les 5 et 6 février. À Paris, Gémier joue La Bataille au Théâtre Lyrique du XVIe les 1er, 2 et 3 octobre, à Levallois-Perret les 15, 16 et 17 octobre, au Théâtre Montparnasse du 21 au 27 octobre, au Nouveau Théâtre du 25 octobre au 1er novembre, au Théâtre des Gobelins du 4 au 10 novembre, au Théâtre de Montrouge du 11 au 17 novembre, au Théâtre des Ternes le 24 novembre, au Théâtre Moncey le 1er décembre et aux Théâtre des Bouffes-du-Nord du 2 au 8 décembre. À l’automne 1928, il joue Le Procureur Hallers117. Abandonnant le projet gigantesque du cirque, Gémier revient à l’itinérance et aux théâtres de quartier. La troisième période enfin serait la démission. Gémier délaisse peu à peu l’Odéon, en démissionne. Délégant l’administration du TNP à Fourtier, il travaille à la Société Universelle du Théâtre et meurt brutalement à l’automne 1933. L’organisation du TNP, revenant désormais au seul Fourtier, se fige en « fort andalou ».
102Au cours de sa dernière saison, en 1934-1935, le TNP propose des spectacles le jeudi en matinée et aux moments chômés de la semaine, les samedis en soirée et dimanches en matinée, et n’a aucune autre activité, si ce n’est au moment des fêtes de Noël, du 1er janvier, de la Toussaint ou au jour anniversaire de l’Armistice. C’est une structure d’accueil pour les quatre subventionnés (Comédie-Française, Odéon, Opéra-Comique et Opéra), pour certains théâtres lyriques (Trianon-Lyrique, Gaîté-Lyrique, Théâtre Mogador (pour des compagnies théâtrales privées) Compagnie Cécile Sorel, Compagnie André Brûlé, Théâtre du Petit Monde). Il reçoit également des formations musicales, Orchestre Pasdeloup ou Orchestre russe de Paris, et projette des films français ou américains. La saison 1934-1935 propose douze spectacles de l’Odéon, douze séances de cinéma et huit représentations du Théâtre du Petit Monde118, le jeudi en matinée. En fin de semaine, on peut voir au TNP trente-deux spectacles lyriques, dix représentations théâtrales, assister à trois concerts et à vingt-deux séances de cinéma. Le moment des fêtes est privilégié : le TNP propose pour le 11 novembre un gala lyrique hors série, La Teresina, pour Noël l’opérette Le Pays du sourire. Les 25 et 31 décembre, en matinée, sont données des pièces du Théâtre du Petit Monde. Relèvent du théâtre dramatique deux tiers des spectacles programmés le jeudi, un quart des spectacles de fin de semaine où sont essentiellement présents théâtre lyrique et cinéma. Tous les spectacles de théâtre parlé ont lieu en matinée. Le dimanche, en deux représentations, la Compagnie Cécile Sorel donne Sapho d’Alphonse Daudet et L’Aventurière d’Émile Augier. La Comédie-Française présente, en cinq manifestations, un répertoire équilibrant exactement les œuvres du patrimoine dramatique français, L’Avare, Cinna, Ruy Blas, et les œuvres plus récentes Le Passant, La Belle Aventure, L’Anglais tel qu’on le parle. L’Odéon intervient le dimanche en matinée, pour deux représentations, l’une du Bossu, l’autre du Bourgeois gentilhomme, mais surtout le jeudi où sont jouées vingt et une œuvres du patrimoine dramatique français, dont environ 40 % reviennent à Molière. On y trouve Le Malade imaginaire, Tartuffe, L’Avare, Le Dépit amoureux, Le Misanthrope, Les Femmes savantes, Le Médecin malgré lui, Le Bourgeois gentilhomme, mais aussi Andromaque, Les Plaideurs, Britannicus et Iphigénie ou Le Cid, Polyeucte et Horace. En général, deux textes sont alors proposés, l’un sérieux, l’autre plus léger. Le directeur du TNP, Alfred Fourtier, est un concessionnaire : il ne met en scène aucun spectacle. Le TNP de la saison 1934-1935 a vocation conservatoire. On ne trouve aucun jeune auteur dans le répertoire dramatique proposé. La structure vise un public particulier, à preuve ses moments de fonctionnement : les enfants le jeudi, les travailleurs en fin de semaine. On observera à ce propos l’effort réalisé « pour donner satisfaction au public de banlieue qui sort difficilement le soir […] nous avons décidé la direction du Théâtre National de l’Opéra à nous donner Hérodiade le dimanche en matinée119 ». Établissement à public spécifique, « le petit public », pour lequel sont ménagés des tarifs bas, il fonctionne sur le modèle des représentations populaires à prix réduits des théâtres nationaux à la fin du dix-neuvième siècle et n’accueille aucun autre public. Sur le même modèle, il donne des matinées classiques aux élèves des écoles, relaie le processus d’instruction publique. Sur la scène se joue l’exemplarité littéraire d’une Nation glorifiée. Le jeudi cependant sont aussi projetés des films, présentés des spectacles de divertissement qui peuvent faire appel au cirque. Enfin, il propose une manifestation à une date anniversaire nationale qui n’entretient aucun rapport avec l’éducation citoyenne. Le 11 novembre, comme les 24 et 25 décembre, est un jour chômé. Mais sa programmation accorde une place majeure à l’élément lyrique, décliné en opéra, opéra comique et opérette. La moitié des spectacles de fin de semaine sont produits par l’Opéra, l’Opéra-Comique, le Trianon-Lyrique, la Gaîté-Lyrique et le Théâtre Mogador. Le TNP n’est pas un théâtre : c’est un établissement de spectacles où entrent à parts quasi égales la leçon culturelle et le divertissement.
103Il serait hâtif d’attribuer au seul Alfred Fourtier cette organisation de la structure. Dans tous les théâtres qu’il dirige, Gémier charge un collaborateur des tâches administratives, se réservant le travail artistique : Louis Verneuil au Théâtre Antoine, Paul Abram à l’Odéon, Alfred Fourtier au TNP. Mais, s’il passe la main à Louis Verneuil pour le Théâtre Antoine dès la nomination à l’Odéon, on ne peut affirmer qu’à l’automne 1925, Gémier confie l’Odéon à Paul Abram, le TNP à Alfred Fourtier lorsqu’il décide de fonder la Société Universelle du Théâtre. Après cette date en effet, à l’Odéon, il met en scène les auteurs fétiches du Théâtre Antoine, Gabriel Nigond avec Sophie Arnould (1927), Edmond Guiraud pour Vautrin (1929). Il monte Le Jeu de l’amour et de la mort de son ami Romain Rolland (1928), honore la promesse qu’il a faite à Pottecher, sur la scène de Bussang, de monter Amys et Amyle à l’Odéon (1928). Quel qu’ait été le poids des activités de la SUDT, Gémier continue de diriger l’Odéon jusqu’au 2 février 1930, date de sa démission. Le dernier spectacle qu’il y crée est La Tempête. De la même façon, il dirige le TNP jusqu’au 26 novembre 1933, quand une crise cardiaque le foudroie.
104Gémier regrette certains choix de collaborateurs. S’il ne nomme pas Fourtier – « Une affaire rate ? Bon, c’est la faute d’un collaborateur… Pardon, puisque c’est moi qui ai choisi cet associé, c’est ma faute120 » – il le désigne implicitement. Il semble cependant que par glissements progressifs, de dérive en dérive, l’image de « garage » accolée au TNP se soit constituée peu à peu.
105Quelle est l’image du TNP des temps de l’euphorie ? Théâtre de la foule, se prévenant de toute exclusive, le TNP s’adresse d’abord aux travailleurs et aux enfants des écoles. Pour sa première saison, de son inauguration jusqu’au 26 juin 1921, il donne des manifestations qui peuvent se dérouler n’importe quel jour de la semaine en soirée mais qui, majoritairement, ont lieu en matinée le jeudi et le dimanche, en soirée le samedi. Ce n’est pas un théâtre mais une scène ouverte à toutes les manifestations d’art vivant. Accueillant le peuple dans toutes ses composantes sociales, il propose un éventail de spectacles pouvant satisfaire tous les goûts : théâtre parlé et chanté, concerts, ballets… La structure est conforme à l’éthique du théâtre populaire, fédératrice et plurielle. En volume de représentations, le théâtre parlé et le théâtre chanté se partagent également la programmation, associant vingt représentations dramatiques et vingt représentations lyriques. Le théâtre parlé s’organise en deux répertoires selon qu’il est donné le jeudi en matinée ou à d’autres moments de la semaine. Le jeudi en matinée, l’Odéon propose les œuvres du patrimoine dramatique national. Le dimanche en matinée, l’Odéon et la Comédie-Française proposent Ruy Blas pour la Comédie-Française, Athalie, Le Cid, Les Femmes savantes, Le Médecin malgré lui, On ne badine pas avec l’amour pour l’Odéon. Sont d’autre part données des pièces plus récentes comme Le Père Lebonnard ou Le Grillon du foyer.
106Cette partition nous renvoie au projet de théâtre national imaginé par Bonnassies, ouvert aux œuvres majeures comme aux moins essentielles. Le TNP serait un théâtre national que Gémier destine à la foule alors que Bonnassies le réservait à l’élite. Ici encore, la première image du TNP est conforme aux options théoriques : quel que soit son niveau d’instruction, chacun peut comprendre et apprécier la beauté des chefs-d’œuvre. En outre, sur la scène du Trocadéro, est donnée L’Enfance du Cid, création originale de Maurice Morel, qui sera reprise à l’Odéon quelques jours plus tard. Cette disposition nous ramène à Catulle Mendès pour qui le théâtre populaire devait être un théâtre d’application. Gémier ne présente aucune mise en scène originale au cours de cette première saison mais propose sa récente reprise à la Comédie-Montaigne de La Mégère apprivoisée en matinée de jeudi. Shakespeare clôt cette première saison.
107Si Gémier ne crée pas, il organise. Comme il a réglé Les Chants de la République, il compose les représentations de Noël qui marquent le début d’une activité régulière. Le TNP cible un public : les familles. Les spectacles que Gémier met en place à l’occasion de Noël permettent à la fois de promouvoir le TNP et de rassembler une foule, définie selon des critères affectifs communs. Ainsi Gémier peut apparemment dépasser le clivage théâtre de la masse / théâtre de l’élite. La double acception du citoyen, homme public / homme privé chez Rousseau, sous-tend cette option. Gémier articule un spectacle lyrique en soirée du réveillon avec La Tosca, Werther et un acte de Manon, une matinée de Noël pour les enfants où sont donnés deux créations, un ballet et une pantomime, une matinée du dimanche où l’Odéon présente Le Grillon du Foyer. Les mêmes dispositions sont retenues pour la « fête121 » organisée le 19 décembre à l’initiative de l’État et de la Ville de Paris, dans le cadre de la Journée Nationale pour la distribution des récompenses aux familles nombreuses. Deux ministres la président. Deux spectacles invités la composent : une légende en trois actes, Sainte Odile d’Alsace, et une Revue des chants et chansons populaires qui sera reprise au cours de la saison.
108L’homme privé est aussi un citoyen, ancien combattant. Le 13 novembre, un Gala de la chanson, à l’initiative de la Société des Camarades de Combat, est donné avec le concours d’artistes des théâtres subventionnés. Dès sa première saison, le TNP s’ouvre largement à la chanson, que Couyba appelait Cendrillon de la littérature populaire, mais aussi à tous les arts vivants : opéra, opéra-comique, théâtre, ballet, cirque avec la participation des clowns Fratellini pendant le spectacle des enfants. Ici encore, la réalisation entre en cohérence avec les principes théoriques : le théâtre populaire, qui vise la promotion de l’œuvre populaire au statut d’œuvre d’art, procède d’un combat culturel, partagé par Rolland, Pottecher ou Bloch, contre le système normatif bourgeois. Le théâtre populaire ne se conçoit pas en alternative positive au café chantant par prophylaxie de l’alcoolisme, n’enseigne pas la Beauté mais la donne à découvrir, quel que soit son support expressif, sur le mode du plaisir. Lumet a fondé en 1901 L’Art pour tous sur ce même principe, pédagogiquement démocratique : afin de « répandre la connaissance, le goût des belles choses122 », il organise des visites conférences dans les musées, les ateliers d’artistes, des voyages à l’étranger, des soirées artistiques, littéraires et musicales. À l’art bourgeois sclérosé, qui enferme la culture dans un carcan hiérarchiquement organisé, le théâtre populaire oppose la dynamique de la circulation : circulation des thèmes, des genres, des formes.
109Le théâtre populaire reconnaît la valeur de tous les artistes, quel que soit leur mode d’expression. Gémier poursuit la voie qu’avait empruntée Antoine. Mévisto, artiste de café-concert, était du Théâtre-Libre. Gémier intègre à la troupe de l’Odéon Gabrio, qui vient du Théâtre de l’Eldorado. Comme il avait demandé au clown Chocolat d’être Moïse au Théâtre Antoine, il invitera les Fratellini à jouer dans Les Saltimbanques. Cette circulation du café-concert comme forme d’art populaire au théâtre est un principe que Gémier a adopté dès le Théâtre Antoine en jouant des textes, ceux d’Hugues Delorme en particulier. À l’Odéon, il en reprend une forme, celle de la revue, lorsqu’il demande en 1927 à Jean Bastia et André Lang de composer, à l’attention des comédiens du second Théâtre Français, Odéon Revue. Les comédiens classiques deviennent des artistes de cabaret et de music-hall. Parmi les compositeurs du spectacle se retrouvent le chef d’orchestre de l’Odéon, André Cadou, deux compositeurs d’opérettes, André Mauprey et Georges Van Parys, et l’ami Jaques-Dalcroze. À l’Odéon toujours, Gémier choisit des auteurs selon le même principe. Ainsi Clément Vautel adapte Candide en 1923 comme « une revue pour la Gaité-Rochechouart123 ». Dans Comoedia, Gabriel Boissy lui reprochera sa trivialité et son dialogue de film comique.
110Toutefois, comme le Théâtre Antoine, le TNP et l’Odéon restent des scènes éclectiques. S’il accorde, au fil des créations de l’Odéon, une part de plus en plus importante à la musique et à la danse, Gémier ne systématise pas. À l’automne 1922, il crée un drame, L’Autoritaire, puis La Cagnotte de Labiche. Après Candide, Gémier monte une pièce de Lucien Besnard, L’Homme qui n’est plus de ce monde, qui traite le thème du retour des soldats à la vie civile. Cette circulation des genres se double d’une circulation des thèmes. Comme le Théâtre National Ambulant, le TNP raconte de belles histoires, présentées de façon récurrente sous des formes différentes. Le Barbier de Séville est donné en soirée par l’Opéra-Comique (1921), en matinée scolaire par l’Odéon (1922), Le Chemineau par l’Opéra-Comique (1921) puis l’Odéon (1924), Le Grillon du foyer par l’Odéon (1920) et le Théâtre de la Porte-Saint-Martin (1923). La Comédie-Française donne Ruy Blas, l’Opéra Rigoletto.
111Circulation des formes enfin puisque Gémier introduit le cinéma dans la programmation du TNP. À l’automne 1923, le metteur en scène, qui n’y a pas encore donné de création originale, tente de relever le défi esthétique du Trocadéro, espace shakespearien. Il invente un mode de représentation où s’associent projection cinématographique et spectacle vivant. Le TNP donne L’Empire du soleil, film sur la Provence. Dans la salle, pendant la projection, dansent des farandoles :
« Les visions de l’écran seront rendues plus vivantes par des réalisations scéniques : sur le plateau et dans la salle se dérouleront des farandoles, des danses, des ballets, des représentations du mystère de Noël qui seront tirés de La Grande Pastorale ; l’on entendra des chœurs provençaux soutenus par un nombreux orchestre ; il a semblé à M. Gémier que le spectacle de cinéma tel qu’on le comprend actuellement n’était pas complet : le film est parfois impuissant à exprimer certains sentiments collectifs : le théâtre doit suppléer à ces insuffisances. D’autres films régionalistes suivront. Pourquoi toutes les provinces de France n’apparaîtraient-elles pas dans la lumière de l’écran124 ? »
112Sur le même principe suivra la projection de L’Ami Fritz, soutenue par un orchestre de cinquante musiciens et par le chœur Lutetia tandis que sur scène et dans la salle se déroulent chants et danses d’Alsace interprétés par l’Union amicale d’Alsace-Lorraine. La circulation des formes sous-tend celle des thèmes. L’Ami Fritz est traité théâtralement, joué par la Comédie-Française en 1922 et 1929, et cinématographiquement. Saint-Georges de Bouhélier expliquera plus tard l’abandon de l’expérience par le manque de moyens financiers, la santé défaillante de Gémier125. En réalité, c’est un échec : le public n’adhère pas à cette formule. Les recettes des projections s’échelonnent, par séance, entre 5 832 et 8 442 F. À titre de comparaison, au cours de la même saison, les spectacles d’opéra ou d’opéra-comique sont les plus heureux. Carmen rapporte 24 975 F, Faust 24 910 F, Rigoletto 22 955 F, Électre et Le Voyage de Monsieur Perrichon 14 535 F, L’Arlésienne 14 549 F, La Cagnotte 11 071 F, Ruy Blas 10 124 F.
113Le TNP se bornera, jusqu’à la mort de Gémier, aux projections du jeudi en matinée, destinées aux enfants des écoles. Dans la perspective définie par Édouard Herriot pour le cinéma scolaire, elles seront récréatives et instructives, The Kid ou L’Ami Fritz voisinant avec L’Industrie française ou Le Port du Havre. Ainsi, l’organisation du TNP en lieu polyvalent relève de la théorie du théâtre populaire selon Gémier qui, en 1921, prévoyait quatre catégories de spectacles pour le théâtre populaire.
« 1° drame, comédie moderne, œuvres classiques et œuvres inédites ; 2° musique, opéra, opéra-comique, danses, chansons populaires, concerts symphoniques, conférences ; 3° cinématographe, films éducatifs présentés et commentés avec des entractes de musique symphonique ; 4° cérémonies et fêtes collectives126. »
114À l’exception de la première saison, Gémier ne donnera pas de fêtes mais règlera des cérémonies collectives d’hommage à Renan, Victor Hugo et Tolstoï, où interviendront notamment les artistes des théâtres subventionnés. Le Trocadéro reprendra en soirée le concert donné pendant la cérémonie du transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon. Les seules manifestations de fête collective seront organisées par Albert Doyen en 1923 et 1924. À cette réserve près, l’organisation que Gémier présente règle la programmation du TNP. Les manifestations de théâtre parlé s’appuient largement sur l’Odéon et la Comédie-Française, celles de théâtre chanté sur l’Opéra et l’Opéra-Comique au cours des premières saisons. Les théâtres subventionnés donnent au Trocadéro des spectacles présentés simultanément dans leurs théâtres. La saison du TNP est conçue à l’identique des autres théâtres parisiens. Cette disposition distingue le Théâtre Populaire des structures de vulgarisation comme L’Œuvre des Trente Ans de Théâtre.
115Directeur de l’Odéon, Gémier en utilise largement les ressources au profit du TNP. Aux élèves des écoles, il présente les œuvres du patrimoine dramatique national sous une nouvelle facture : L’Avocat Pathelin (1922), Les Précieuses ridicules (1922), Andromaque (1923), Tartuffe (1923), Phèdre (1923), Le Cid (1924), Cinna (1924), Horace (1924), Le Malade imaginaire (1924) selon l’organisation retenue à l’Odéon pour les matinées classiques d’une conférence préalable suivie en général de deux pièces, l’une légère, l’autre plus sérieuse. On remarque que cette actualisation des chefs-d’œuvre classiques fait l’objet d’une préoccupation constante et soutenue. Gémier propose une nouvelle mise en scène de Mithridate en 1926, de Polyeucte, du Misanthrope et du Médecin malgré lui la même année, du Sicilien ou l’Amour Peintre en 1927, de L’Avare en 1929. À l’Odéon comme au TNP, les matinées du jeudi correspondent au modèle que Bonnassies retenait pour le théâtre national. Sont associés une œuvre majeure et un texte moins connu. Dès 1921, trente-quatre communes envoient à leurs frais 2 235 enfants au Trocadéro127.
116Au cours de la première période du TNP, Gémier présente aux familles, le dimanche en matinée, les chefs-d’œuvre classiques. L’Odéon donne surtout Molière en qui Gémier voit l’auteur français idéal du théâtre populaire avec Le Médecin malgré lui, L’Avare, Les Femmes savantes, Le Bourgeois gentilhomme, mais aussi Corneille avec Le Cid, Racine pour Athalie, Musset ou Beaumarchais avec On ne badine pas avec l’amour et Le Mariage de Figaro. À l’exception du Bourgeois gentilhomme, l’œuvre de Molière et de Corneille sera indifféremment proposée aux enfants et aux familles tandis que les trois pièces de Racine, Musset et Beaumarchais ne seront données que le dimanche. Lorsqu’on examine la programmation du TNP, on remarque que la présentation de ces classiques le dimanche devient irrégulière. On note par ailleurs que Gémier leur substitue deux de ses succès, Le Marchand de Venise et La Mégère apprivoisée, en soirée. Parallèlement et à la même période, il fait entrer son répertoire du Théâtre Antoine à l’Odéon : à la saison 1922-1923, il donne au TNP Le Marchand de Venise qu’il reprend à l’Odéon avec La Rabouilleuse, La Bataille, Le Procureur Hallers, Monsieur Beverley et La Vie publique. La durée des séries montre que La Vie publique (huit représentations) n’a plus de succès. Gémier l’abandonne. L’année suivante, il joue La Mégère apprivoisée au TNP, Le Simoun à l’Odéon. Cette reprise de répertoire, mise en correspondance avec l’échec de L’Empire du soleil, laisserait penser que la veine créatrice de Gémier s’est tarie. Le temps de la désillusion viendrait avec le constat de son échec artistique.
117Pourtant, à l’Odéon, il reprend avec succès La Cagnotte, Un chapeau de paille d’Italie ou Le Mariage de Mademoiselle Beulemans. Gémier programme ces pièces au TNP en même temps que bascule le rapport de volume des représentations de théâtre parlé et de théâtre chanté. Au cours de la saison 1923-1924, dix-sept spectacles parlés, trente-cinq spectacles chantés dont vingt-neuf de l’Opéra-Comique, sont donnés en fin de semaine. La programmation du TNP intègre alors les représentations du Trianon-Lyrique. À la même période, le Théâtre de la Porte Saint-Martin commence ses représentations au Trocadéro du Grillon du foyer, de Cyrano de Bergerac, puis de Vieil Heidelberg et de Madame Sans-Gêne. On note que l’Odéon, après la direction Gémier, inscrira cette pièce à son répertoire. Théâtre de la foule, conçu « pour la joie du peuple128 », le TNP répond aux attentes d’un public que Gémier appréhende en familles de travailleurs, pour qui il donne L’Arlésienne ou Le Grillon du foyer aux périodes de Noël.
118La désillusion est d’abord idéologique. Gémier a rejeté la dichotomie masse/élite pour un indifférencié, le peuple, qu’il considère de façon affective. Pour lui, les abonnés du théâtre populaire en sont les propagandistes. Il construit son projet sur l’utopie du peuple participant à l’œuvre commune. Le Théâtre pour tous, en 1924, sollicite ces propagandistes du monde du travail, tous secteurs confondus : « Dans les usines, les banques, les compagnies d’assurance, les administrations privées ou publiques129. » Par ailleurs, Gémier cherche à substituer une organisation coopérative à une structure marchande. Il projette de remplacer les agences de théâtre par un réseau de correspondants tels que « marchands de musique, libraires, papetiers, cabinets de lecture » pouvant exposer en permanence affiches et programmes, renseigner « à toute heure du jour » sur les activités du Théâtre Populaire et « [centraliser] les demandes des clients, [retenir] les places pour leur compte130 ».
119Si l’Odéon vise la jeunesse estudiantine, le TNP s’adresse au public au sens large comme en témoignent les rubriques de leurs deux publications. Odéon Magazine relate des anecdotes sur l’histoire du second Théâtre Français, sur ses acteurs, transcrit les conférences données en préambule des matinées classiques. Le Théâtre pour tous propose des articles plus spécifiquement consacrés au théâtre populaire. On y trouve la Lettre sur les spectacles de Rousseau, des textes de Romain Rolland : De la nécessité d’un théâtre historique, Théâtre populaire et fêtes civiques, des articles sur le cirque ou la chanson française.
120À la saison 1925-1926, Gémier comprend que son projet de fusion sociale par le théâtre a échoué. L’élite boude le Trocadéro. Même s’il la laisse à ses petites chapelles, s’il la fustige comme en 1911, il s’efforce de la retenir au TNP, donnant des spectacles en soirée, jouant lui-même Le Bourgeois gentilhomme, Le Marchand de Venise et La Rabouilleuse, assurant, dans le journal qu’il fonde, que le but du théâtre populaire est de « vulgariser des chefs-d’œuvre de l’art dramatique et musical, révéler de jeunes auteurs et de bons comédiens131 ». Une tendance identique se dessine à l’Odéon, pourtant « théâtre de la rive gauche […] contrée de l’intelligence, de ceux qui toute leur vie se cultiveront ou chercheront pour les autres132 ». Antoine en rend compte :
« [À l’Odéon] les recettes actuelles, fort belles quoi qu’en dise, sont sans doute fournies par le répertoire dont le directeur-acteur avait déjà éprouvé la solidité Boulevard de Strasbourg ; il est parvenu à constituer un fond d’une douzaine d’ouvrages largement connus à présent du grand public. Il n’a pas hésité non plus à chercher dans les pièces gaies un élément toujours plus aisé d’exploitation même dans l’Odéon pensif. C’est bien Le Chapeau de paille d’Italie et quelques œuvres vaudevilles de ce genre qui font un peu froncer les sourcils des rigoristes. Mais le dilemme est net : ou vivre en procédant avec prudence, ou s’effondrer comme moi – en neuf ans du reste – en jouant la partie fougueusement. Les ouvrages nouveaux, et Dieu sait si Gémier en donne, ne sont d’abord qu’une source de pertes parce que telle pièce neuve, hardie et artiste, fait tressaillir d’épouvante la paisible rive gauche. Ne cherchons donc pas midi à quatorze heures, si l’on veut que l’Odéon soit le second Théâtre Français, une scène hautement littéraire qui enchantera l’élite dont Gémier fixe justement la proportion à une centaine sur quinze cents spectateurs, il faut demander à l’État des sacrifices dont la nécessité est reconnue depuis Louis XIV pour les théâtres modèles133. »
121Pour Noël 1927, l’Odéon donne L’Oiseau bleu, « joie et éblouissements pour petits et grands134 ». L’élite serait-elle responsable de la salle-capharnaüm qu’est le TNP en 1935 ? On pourrait évoquer son snobisme culturel et noter l’inquiétude de Gémier pour ce penchant. Au cours de la première saison, le TNP annonce dans un communiqué publicitaire d’après spectacle au Trocadéro que « l’élite de la société était là très nombreuse et elle était très heureuse135 ». Il faudrait également souligner l’attitude de Gémier à l’égard de ce public particulier qu’est l’élite. À l’Odéon et au TNP, comme au Théâtre National Ambulant, il la sollicite et la provoque. La générale de L’Autoritaire fait scandale parce que Gémier la donne devant le grand public. Au TNP, il reconduit une disposition qu’il a prise depuis 1913 au Théâtre Antoine : le spectacle en soirée commence à 20 heures 30 précises. Même si, idéologiquement, Gémier refuse la dichotomie théâtre de l’élite / théâtre de la masse que proposait Couyba, elle reste concrètement opératoire. Comme à l’Odéon, Gémier crée au Trocadéro des petits actes inédits, Sur trois marches de marbre rose (1922) et La Belle Éveillée (1927), avant de les présenter à l’Odéon. Dans l’une et l’autre structure, il accueille de jeunes compagnies, de jeunes créateurs. À l’Odéon, Jean Sarment donne La Couronne de carton et Le Mariage d’Hamlet, Jean-Richard Bloch et le Théâtre des Jeunes Auteurs présentent Le Dernier Empereur. Au Trocadéro, Jean Aldebert et Aide et Protection jouent Huon de Bordeaux et Merlin l’enchanteur. Les deux scènes s’ouvrent aux troupes et aux théâtres étrangers. À l’Odéon, la Société Universelle du Théâtre propose, en 1926, la compagnie italienne de Ruggero Ruggieri pour Hamlet, en 1928 la troupe hollandaise de Louis de Vries pour Henri IV de Pirandello, Paul Rumert pour La Danse de Mort, le Théâtre Artistique de Moscou pour La Princesse Turandot dans la mise en scène de Vakhtangov. Plus timidement, le Trocadéro ne recevra que le Théâtre Artistique de Moscou pour Le Cadavre vivant dans le cadre des fêtes du centenaire de Tolstoï. Comme à l’Odéon cependant, les créations de Gémier ou d’autres compagnies au TNP sont peu appréciées du public. Ainsi, Les Fleurs du vase et La Guerre des barques, pièces créées par l’Odéon pour le TNP au Théâtre des Folies Belleville en 1923, seront reprises au second Théâtre Français en très courtes séries de six et dix représentations. Elles ne sont pas données sur la scène du Trocadéro, qui ne convient guère à leur atmosphère intime. Faut-il alors mettre en cause les auteurs, comme le fait Gémier à de nombreuses reprises ?
122La désillusion affecte Gémier et Maurice Pottecher à la même période. Anne Hauttecoeur relève qu’en 1926, Pottecher ne donne pas de création à Bussang et précise que « le public s’essouffle, il est moins nombreux, surtout lorsqu’on joue les reprises. Les recettes baissent… Cette désaffection durera pendant quelques années, jusqu’en 1935 au moins136 ». Pottecher parle de « son indolence, de la diminution de ses facultés créatrices. Il se reproche sa paresse ou s’attribue des scrupules137 ». Sans sacrifier à l’explication biographique, on pourrait expliquer cette période que j’ai appelée le sursaut, succédant brièvement à la désillusion et précédant la démission, comme un dernier effort de Gémier pour un ami, au service d’une œuvre commune.
123Dès la première saison du TNP, Gémier mesure l’échec d’un projet pour lequel il a milité avec Pottecher, celui du théâtre citoyen. Spectacle invité, Tamyris138 ne rencontre pas le succès escompté. Ce drame à l’imitation de l’antique où le politique se mêle au passionnel, s’inscrit dans la veine du théâtre de plein air, « théâtre plus ample que la Comédie, inspiré dans son principe de la tragédie populaire, mais animé de sentiments nouveaux et de formes nouvelles139 » dont Gabriel Boissy rappelle qu’en 1903, il cherchait la formule. Le théâtre des petites patries connaît un sort identique : à l’Odéon, La Guerre des barques qui présente des pêcheurs normands est un four. La Dent rouge qui met en scène des Savoyards n’est jouée que dix fois. Au TNP, L’Arlésienne fait recette, non les chants et farandoles populaires de L’Empire du soleil ou de L’Ami Fritz. Les options que Gémier retenaient en 1911 pour le Théâtre National Ambulant semblent caduques pour le théâtre du peuple des années vingt. Ce théâtre mettant en scène la foule civile, Tamyris, La Vie publique, celui dont l’acteur est une communauté, La Guerre des barques, Le Sous-marin L’Hirondelle, ayant pour toile de fond les régions de France, ce théâtre dont l’objectif est d’exprimer des sentiments collectifs donnés à partager, ne trouve aucun écho auprès du public. Or, c’est bien ce théâtre que Gémier cherche à promouvoir au TNP. Il lui prévoyait un comité de lecture qui aurait choisi des œuvres inédites, comité réunissant entre autres Saint-Georges de Bouhélier et Romain Rolland140.
124La désillusion idéologique se double d’un constat plus amer : le théâtre populaire est une utopie.
125À partir de l’automne 1928, Alfred Fourtier, officiellement nommé codirecteur du Théâtre National Populaire, mène exclusivement une politique de gestionnaire : « Nous monterons des spectacles nouveaux lorsque les abonnements, qui ne cessent de progresser, auront atteint un chiffre sérieux141. »
126Plutôt qu’un théâtre de vulgarisation, le TNP devient théâtre de consommation. La gestion de Fourtier depuis 1920 a toutefois permis au TNP de se garantir des mécènes privés puisque le mécénat public faisait défaut, et d’éviter la faillite qu’avait connue le Théâtre National Ambulant. Car, à l’égard des scènes nationales, l’effort de l’État est sélectif. En 1920, est doublée la subvention à l’Opéra qui passe de 800 000 à 1 500 000 F sur le motif que chaque représentation, coûtant 33 000 F, fait une recette de 27 000 F. La subvention accordée au TNP représente 15 % de celle de l’Opéra. Le public fréquente le Théâtre National Populaire en nombre suffisant pour que son exercice soit bénéficiaire. Le bénéfice net de la saison 1927-1928 s’élève à 35 353 F. Depuis la saison 1922-1923, les bénéfices ont permis la réalisation de travaux d’aménagement de salle d’un montant cumulé de 303 591 F. L’équilibre restera cependant instable. Au cours de la dernière saison, Fourtier invente une carte d’accès permanent à tous les spectacles. Au Théâtre National Populaire qui met les opérettes du Châtelet et de Mogador à portée des petites bourses, le public rit ou pleure de situations imaginaires et s’en réjouit. Dix-sept mille spectateurs y assisteront aux six représentations du Pays du sourire, à Noël 1934.
127De la désillusion à la démission, Gémier multiplie les tentatives, partagé entre deux options pédagogiques, libertaire et autoritaire. Les options esthétiques sur lesquelles il a fondé sa théorie du théâtre populaire l’amènent à privilégier deux éléments scéniques : l’image et la musique. Dans une dérive libertaire, Gémier sacrifie peu à peu l’art dramatique aux spectacles lyriques dont il connaît l’attrait auprès du public. L’essentiel du répertoire que donne l’Opéra-Comique au cours des quinze années de fonctionnement du TNP est arrêté dès la première saison. L’œuvre de Massenet occupe une place majeure dans le répertoire lyrique. L’Opéra-Comique donnera régulièrement Manon, Werther, Le Jongleur de Notre-Dame, l’Opéra Thaïs et Hérodiade. Selon le principe de la circulation des thèmes et des genres, Gémier réinvestit ce goût du public pour Massenet au théâtre parlé. En avril 1922, le TNP donne la pièce de Leconte de Lisle que Massenet a reprise pour Les Erinnyes. Gémier met en scène le livret de Grisélidis, à l’Odéon comme au Trocadéro. Il donne Sapho à l’Odéon. En 1935, la Compagnie Cécile Sorel jouera cette pièce au TNP.
128De manière libertaire toujours, il reprend à l’Odéon et donne au TNP des œuvres légères comme La Petite Fonctionnaire ou Le Chemineau. Cette dernière pièce est volontiers présentée d’ailleurs dans les tournées du TNP. Théâtres de la gaîté, Odéon et Trocadéro sont aussi des scènes de larmes avec Le Rosaire qu’André Bisson adapte à partir d’un roman à succès.
129Parallèlement, selon un principe pédagogique autoritaire, Gémier fige le répertoire du patrimoine dramatique national en deux groupes. L’œuvre de Molière est confinée au domaine scolaire, en matinées du jeudi. L’œuvre de Victor Hugo, Hernani ou Ruy Blas, n’est présentée que le dimanche. Le Cid, initialement présenté en matinée de dimanche, rejoint très vite les œuvres scolaires, chaque année reconduites. Par ces dispositions, Gémier renforce paradoxalement une opposition que ses textes théoriques réfutent, entre l’objet culturel et l’objet de divertissement, l’enseignement et le plaisir.
130Pourquoi le théâtre populaire échoue-t-il ? Le public est-il réticent à la mise en scène de la foule dans toutes ses composantes ? En 1924, La Vie publique est un échec à l’Odéon alors que le public du TNP aime les scènes d’auberge de Manon. Les spectateurs répugnent-t-ils à la scène historique à laquelle Gémier, comme Romain Rolland, attribue un rôle essentiel pour le théâtre citoyen ? Le public semble au contraire raffoler de l’épopée nationale. Celle de la période révolutionnaire et celle du Premier Empire servent de toile de fond à de notables succès lyriques comme La Fille de Madame Angot ou La Teresina. Madame Sans-Gêne, d’abord donnée par le Théâtre de la Porte Saint-Martin, sera reprise par l’Odéon.
131Seul le thème est commun. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, l’histoire est une toile de fond, dans la tradition théâtrale du dix-neuvième siècle. Gémier souligne d’ailleurs que « tous les scénarios imaginés jusqu’ici se réduisent à l’aventure de deux amants, les costumes et les mœurs du temps ne servent qu’à nuancer l’historiette142 ». Néanmoins, l’intrigue amoureuse ne lui est pas négligeable : « Du reste, quand je dis que l’Histoire pourrait nous délivrer des aventures galantes et de l’adultère bourgeois, je ne prétends pas du tout qu’elle soit incompatible avec la peinture de l’amour, ce serait absurde143. » Le projet de Gémier, mettant en scène l’Histoire, est bien celui d’un théâtre citoyen, impliquant sphère privée et société civile :
« On a coutume d’opposer l’art social et l’amour. L’amour, qui est la plus grande force vitale, qui est, en somme, toute la force vitale, est nécessairement mêlé aux actions historiques. Il a tenu une place prépondérante dans l’existence de presque tous les héros. Il ne faut donc pas dire amour ou art social. Il faut dire : art social et amour. Seulement, dans le vrai drame historique, l’amour ne se limite plus à l’aventure passionnelle d’un couple. Il est pour ceux qui l’éprouvent un stimulant ou un obstacle à l’accomplissement de leur tâche vis-à-vis des autres hommes. Bref, il intéresse surtout par l’influence qu’il peut exercer, à travers deux âmes, sur la destinée de beaucoup d’êtres humains144. »
132Pourtant, lorsqu’à l’Odéon Gémier exploite le thème historique, Les Dieux ont soif de Pierre Chaine est joué quatorze fois, Le Jeu de l’Amour et de la Mort de Romain Rolland onze fois.
133L’infortune de ces spectacles n’est pas liée à une diminution des capacités créatrices de Gémier car, à la même période, l’Odéon donne L’Oiseau bleu pour cinquante représentations. Cela signifie-t-il que le public aime à rêver sur fond historique et répugne à écouter la leçon de l’Histoire, si plaisante que soit son approche ?
134Gémier recourt volontiers à une variante de la scène historique, la référence médiévale. Elle permet d’associer deux thèmes majeurs du théâtre populaire : les petites patries et le maillage en peuple des hommes dans l’Histoire. Elle appelle en outre l’intégration à la représentation théâtrale des autres formes d’art vivant, cirque, chant et danse populaires, selon la vision mythifiée mais contemporaine du Moyen Âge. Le public apprécie Le Jongleur de Notre-Dame, œuvre de Massenet, tirée d’un mystère ou d’une légende sans doute d’origine médiévale, ses rythmes bruyants de danses, de fête publique, les acrobaties, les tours du jongleur qu’il dédie à la Vierge et grâce auxquels elle lui apparaît. Mais, en 1925, lorsque Gémier présente à l’Odéon Le Vray Mistère de la Passion ?, le spectacle est donné six fois. De la même façon, Le Miracle de Sainte Geneviève, que Gémier monte en 1929, n’est joué que six fois.
135On pourrait expliquer l’échec de ces deux spectacles par la faiblesse de leur intrigue. Mais, sur toile de fond médiévale toujours, Amys et Amyle de Pottecher est construit sur un canevas comparable à celui du Chemineau. C’est une histoire d’amour et d’amitié. Deux amis aiment la même femme. L’un s’efface finalement pour l’autre. Le succès du Chemineau lui vaut d’être monté tant à l’Odéon qu’à l’Opéra-Comique. Toutefois, Amys et Amyle de Pottecher n’est jouée que sept fois à l’Odéon.
136Le théâtre populaire n’appelle-t-il pas certaines œuvres, certains auteurs qui ont compris la spécificité de l’art populaire ? Gémier met en scène Pottecher mais aussi Saint-Georges de Bouhélier qui avait écrit le triomphal Œdipe roi de Thèbes. Il monte Paul Fort « qui s’attelle à écrire des Chroniques de France où il célèbre […] les grandes traditions nationales qui nous relient à nos compatriotes et qui nous font plus ou moins semblables à eux. L’idée qui le dirige est constamment la solidarité de notre groupe humain145 ». Si Pottecher n’est pas chanceux à l’Odéon, Saint-Georges de Bouhélier et Paul Fort ne le sont pas davantage. Du premier, Gémier donne La Tragédie de Tristan et Iseult qui est jouée quatre fois, du second Ysabeau Chronique de France qui, malgré un succès de vingt-deux représentations, ne sera pas repris. Monté en 1927, L’Or de Paul Fort, ne sera donné que huit fois.
137L’échec de ces tentatives n’est-il pas dû aux faiblesses de la mise en scène ? En 1923, le succès de Massenet, Grisélidis, monté par Gémier, n’a eu que douze représentations à l’Odéon. Pourtant, à la même saison, si la reprise que Gémier donne quelques jours plus tard de Notre-Dame de Paris, « mélodrame tiré par Paul Meurice [du roman de Victor Hugo] n’est pas un événement littéraire146 », c’est avec La Petite Chocolatière un des meilleurs de la saison 1923-1924 à l’Odéon. Gémier le monte à sa manière, avec « des comédiens comme tout le monde147 », sur des refrains et des rondes du folklore médiéval adapté par André Cadou.
138De fait, à l’Odéon et au TNP, Gémier se confronte, comme tous les artistes, aux aléas de la création : certains spectacles « marchent », d’autres non. Convaincu cependant que la scène historique telle qu’il la conçoit est une des formes privilégiées du théâtre populaire, il multiplie les essais sur le thème. En 1929, il reprend à l’Odéon une pièce que le Théâtre Aide et Protection a créée au TNP, Huon de Bordeaux. La jeunesse de l’auteur pourrait laisser espérer un succès. Le spectacle n’en a pas plus que les autres mystères, drames historiques, héroïques ou lyriques, présentés au Trocadéro par leurs auteurs, quels que soient leurs cadres, médiéval pour François d’Assise le chevalier de Dieu, savoyard pour Léo Chanez vainqueur des Alpes, exotique pour Mara la possédée de Saphan, même s’ils sont adaptés du théâtre grec comme La Paix de Paul Gsell ou Les Perses de Paul Mazon. Gémier adopte une attitude volontariste, que l’on peut qualifier d’autoritaire. Il n’accepte pas ce phénomène volontiers appelé l’alchimie du spectacle, irrationnel, par lequel s’expliquent le succès ou l’échec. Il persiste donc sur un thème, une certaine écriture, les modélise en forme de théâtre populaire. Il se laisse prendre au piège de la reproduction. Le public se lasse. Or, Gémier dit et écrit souvent que ses origines populaires lui autorisent un statut de secrétaire du peuple.
« Aussi, quand je lis les manuscrits, je me figure être cet auditoire et, comme j’ai la chance d’être le fils d’aubergistes d’Aubervilliers, mon origine populaire, qui fait de moi un démocrate avéré, me permet de deviner assez bien si une œuvre est capable ou non de captiver la foule148. »
139Il n’y a pas de forfanterie dans ces déclarations. Le succès du Théâtre Antoine, du Théâtre National Ambulant, d’Œdipe roi de Thèbes les autorisent. La relation affective, charnelle, que Gémier entretient avec « le petit public », sous-tend son statut de secrétaire du peuple.
140Gémier analyserait-il l’échec de ses tentatives comme un désintérêt du public pour la problématique civile ? Sa désillusion serait une déception de pédagogue, attendant davantage du peuple que ce qu’il veut bien montrer. En effet, Gémier a construit le TNP, théâtre citoyen, en se référant à la fraternité des tranchées. « Les générations nouvelles qui ont pris part à la guerre et qui peut-être y ont contracté une discipline, semblent se préoccuper au contraire des devoirs de l’individu vis-à-vis de la société149. » Cinq ans après la guerre, le public préfère La Cagnotte ou Le Mariage de Mademoiselle Beulemans aux Dieux ont soif, comme s’il avait oublié la leçon de la guerre et s’abandonnait au divertissement. Pourtant, en 1929, le public de l’Odéon reçoit favorablement Les Ventres dorés où Émile Fabre dénonce la perversité du monde de l’argent. Gémier rejette la responsabilité de ses échecs sur les auteurs plutôt que sur le public : « Nous voulons des idées, nous voulons des pièces significatives mais aussi nous voulons de la vie, de l’action150. »
141L’échec pédagogique reposerait sur la faiblesse des outils disponibles. La désillusion me semble fixée à la convergence de ces deux perspectives. Lorsqu’en 1924-1925 Gémier trahit son désarroi, il constate qu’un quiproquo pédagogique s’est installé entre le public et lui. La dynamique interactive ne fonctionne plus. Gémier a figé l’outil d’échange – la pièce – en une forme ; le public a radicalisé sa conduite affective. Quelques années après la guerre, les spectateurs attendent que la scène en appelle au renouveau, à la vie qui revient après l’épreuve. Gémier, qui répond au désir de vie par des spectacles légers et joyeux, ne trouve cependant pas la forme de la scène civile que réclame cette renaissance.
142Comme il n’en trouve pas les auteurs, il la cherche en sacrifiant à l’illusion de la modernité et se tourne vers le cinéma, démissionne de l’Odéon, abandonne la direction du TNP à Fourtier. Il réalise Le Simoun. Il est en train de travailler à une adaptation du Marchand de Venise lorsqu’il meurt.
143Gémier propose ainsi une réponse formelle, instrumentale, c’est-à-dire rationnelle, à la question irrationnelle du théâtre populaire, scène civile, et qui pourrait se résumer à une observation de la Lettre sur les spectacles. Les habitants de la place Saint-Gervais improvisent une fête. Ils en sont si heureux qu’ils veulent la renouveler et reprennent danses et chants mais ne parviennent cependant pas à retrouver le même plaisir. Le théâtre populaire, scène civile, est une fête d’art, éphémère, qui ne peut formellement se reproduire. Définir le septième art naissant comme une nouvelle forme de spectacle populaire, n’est-ce pas choisir la perspective raisonnable devant un phénomène qui ne l’est pas ?
144S’il a été récréatif, le TNP de Gémier a-t-il été éducateur et national ? Il a largement instruit les enfants des écoles à certains chefs-d’œuvre du répertoire dramatique national. Reprenant l’expression que Guy Leclerc emploie à propos du TNP de Vilar, je dirais que le TNP a créé un musée imaginaire151 où figurent Racine avec Andromaque, Britannicus et Les Plaideurs, Corneille avec Horace, Le Cid et Polyeucte, où triomphe Molière. Avec le concours des subventionnés, Gémier a inventé un musée imaginaire qui tisse les liens entre les chefs-d’œuvre du patrimoine européen, Ruy Blas et Hernani, Rigoletto, Faust et La Tosca. Il a enfin fait entrer dans ce musée certaines œuvres populaires, c’est-à-dire ayant un succès populaire : L’Arlésienne, Louise, Cyrano de Bergerac et Madame Sans-Gêne. Sans doute est-ce dans la constitution de ce musée, d’un patrimoine commun, que le TNP a été national.
145Militant pour la pluralité contre la norme, s’ouvrant sans exclusive à toutes les formes d’art vivant, le TNP de Gémier affirme qu’il n’y a pas un art mais une multiplicité d’objets culturels, diversement appréciés d’un public pluriel. Ce TNP est national puisque, brisant l’hégémonie culturelle d’un groupe, parisien et lettré, il renvoie à la réalité d’un groupement humain hétérogène. Au Théâtre National Populaire, Gémier développe le thème des petites patries comme il accueille les formes de spectacles populaires tenues pour mineures.
146Malgré son abandon souvent facile aux goûts du public, le TNP a été éducateur parce qu’il a simultanément donné à apprécier La Walkyrie et Madame Butterfly, Athalie et Le Voyage de Monsieur Perrichon, rapprochant les œuvres pour rapprocher les hommes et cherchant d’abord à susciter leur plaisir. Éducateur enfin, il procède de la pédagogie nouvelle puisqu’il substitue une méthode, l’éclectisme, à l’uniformité.
147Le TNP dont Vilar garde l’image est bien celui que Gémier a originellement organisé. Faut-il le juger ou en tirer l’enseignement des faits confrontés au projet théorique ? Institutionnels et artistes de la Troisième République rappellent la mission éducative du théâtre populaire. Gémier met en place le TNP à cette fin. Il s’y heurte à une problématique artistique : quel enseignement peut délivrer le théâtre, art et divertissement ? Ce ne peut-être une leçon, même citoyenne, car, si la leçon patriotique de La Bataille, la leçon civile de L’Autoritaire, la leçon sociale du Procureur Hallers n’ont pas moins de poids idéologique que celles d’Horace, de L’Avare ou de Tartuffe, la valeur artistique des premières est moindre. La leçon ne peut être culturelle. Les chefs-d’œuvre ne constituent pas une somme à enseigner mais, accessibles à tous, écrits pour tous, et reliant tous les hommes en peuple, ils s’appréhendent sur le mode émotionnel du plaisir. Le projet pédagogique de Gémier, démocratique, tend à mettre en place des conduites plutôt qu’à faire assimiler des contenus, à donner le plaisir de l’art plutôt qu’à l’enseigner. L’expérience du TNP montre cependant que cette démarche repose sur un équilibre fragile, très souvent sujet aux dérives, dérive de l’artiste qui donne au public ce qu’il attend, dérive de l’artiste qui impose au public son approche de l’art.
148La salle-capharnaüm a-t-elle été oubliée dans les cartons de l’Histoire ? Les quinze années de fonctionnement du TNP de Gémier ne constituent-elles pas un maillon dans l’histoire du théâtre populaire en proposant à Vilar la leçon de l’expérience réelle ?
« Recommencer Romain Rolland, recommencer Gémier, non ! et précisément parce que j’ai de l’affection pour ces deux grands bonshommes. Précisément parce qu’ils avaient tenté cela entre 1900 et 1930, j’ai pensé que je devais tenter, organiser administrativement autre chose152. »
149Vilar construira son TNP dans « [un] équilibre difficile ! et combien délicat à maintenir. Équilibre entre le poète, son œuvre, le grand public, les interprètes et les techniciens153 » en se « [préservant] de toute théorie154 », voulant éviter les erreurs que Gémier aurait commises. Dix ans après avoir écrit : « l’art du “théâtre populaire” est donc une révolte permanente155 », Jean Vilar abandonnera lui aussi le TNP.
150Ces erreurs du TNP de Gémier ne sont-elles pas dues au paradoxe de l’institution théâtre populaire ? Comment un établissement peut-il décréter la fête d’art ?
151Si le premier Théâtre National Populaire se construit sur des malentendus, au-delà de ceux qui s’installent entre Gémier et l’État, il repose sur une contradiction interne entre le Gémier citoyen et socialiste, et le Gémier artiste.
152Le premier veut « enseigner […] un idéal social […] contribuer à faire naître chez tous les membres d’une société les sentiments qui rendront leur vie en commun plus juste, plus heureuse, plus harmonieuse en un mot156 ». Pour cela, il fait du théâtre un outil de connaissance grâce auquel chacun, se connaissant lui-même, « sente mieux les raisons qui le rattachent à autrui157 » et crée une structure, le TNP, qui permet à tous l’accès à l’art dramatique. Dans cette perspective, Gémier citoyen et socialiste est l’un des artisans de l’éducation populaire. Gémier artiste, en quête permanente du point de convergence avec le public, cherche incessamment les formes de la fête d’art comme en témoignent son itinéraire de metteur en scène et la pluralité de ses options esthétiques.
Notes de bas de page
1 La proposition émane des députés Rameil, Paul-Boncour, Simyan, Bérard, Godart, Vidal, Auriol, Loucheur et Escudier.
2 Comoedia, 25 avril 1920.
3 Ibidem.
4 Excelsior, 28 avril 1920.
5 « Il est à peine exagéré de dire qu’un “Versaillais” pour un Communard, et un “Communard” pour un bourgeois bien-pensant étaient des sortes de monstres, et d’abord tout simplement des tueurs » (Maurice Agulhon, La République 1880-1932, Paris, Hachette, 1990, p. 17).
6 Firmin Gémier, Ère Nouvelle, 7 novembre 1920.
7 Jacques Ouzouf, Nous les maîtres d’école, Autobiographies d’instituteurs de la Belle Époque, Paris, Gallimard, 1973, p. 9.
8 Jacques Fijalkow, Entrer dans l’écrit, Paris, Magnard, 1993.
9 Jules Bonnassies, Le Théâtre et le peuple, esquisse d’une organisation théâtrale, Paris, Armand Le Chevalier, 1872.
10 Catalogue de livres relatifs au théâtre et à l’art dramatique provenant de la bibliothèque de M. Firmin Gémier en vente à la Librairie Henri Dauthon, 8° NF 31 941, Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France.
11 Jules Bonnassies, Le Théâtre et le peuple, esquisse d’une organisation théâtrale, op. cit., p. 165.
12 Ibidem, p. 185.
13 Ibid., p. 21.
14 Ibidem.
15 Ibid., p. 16.
16 Ibid., p. 23.
17 Ibid., p. 183.
18 Ibidem, p. 189.
19 Condorcet, La Chronique du mois ou les Cahiers patriotiques, janvier 1793, cité par Charles Courtel, La République et l’École, Paris, Presses Pocket, 1991, p. 98.
20 Ibid., p. 141.
21 Ibid., p. 160.
22 Ibidem.
23 Ibid., p. 100.
24 Ibid., p. 93.
25 Ibid., p. 101.
26 Ibid.
27 Ibidem.
28 Ibid., p. 90.
29 Ibid., p. 160.
30 Ibid., p. 177.
31 Ibidem.
32 Ibid., p. 174.
33 Ibid.
34 Ibid., p. 142.
35 Ibidem, p. 104.
36 Romain Rolland, Le Théâtre du peuple, essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, op. cit., p. 176.
37 Poincaré, Archives de l’Assemblée nationale, 1895, A. SO, t. 1, p. 434.
38 Michou, Archives de l’Assemblée nationale, 1897, A. SE, t. unique, p. 727.
39 Bontoux et Taillandier, Archives de l’Assemblée nationale, 1882, A. SE, t. 3, p. 440-458 et 1883, A. SE, t. 3, p. 627-639-792. Comme l’a montré Jack Lang, dans L’État et le théâtre, Paris, Pichon et Durand Auzias, 1968, la subvention d’état n’est alors qu’une contribution au fonctionnement. Jusqu’en 1930, elle entre pour moins de 10 % dans le budget de la Comédie-Française.
40 Chauvin, Archives de l’Assemblée nationale, 1897, A. SE, t. unique, p. 727.
41 Goujon, Archives de l’Assemblée nationale, A. SE, t. unique, p. 433.
42 Dans son rapport du 28 janvier 1904, Jean d’Estournelles de Constant, chef du bureau des théâtres au sous-secrétariat des Beaux-Arts, dresse le constat suivant : en 1893, d’après les relevés de l’Assistance Publique, la recette des théâtres réguliers s’élevait à 18 258 907 francs, celle des cafés chantants à 10 053 199 francs. En 1902, la recette est de 21 365 157 francs pour les théâtres et de 15532729 francs pour les cafés chantants.
43 F 21/4688 Archives nationales.
44 De Vogüé, Archives de l’Assemblée nationale, 1895, A SE, t. unique, p. 433.
45 Ibidem.
46 De Vogüé justifie ainsi l’édification d’une salle pour l’Opéra Populaire : « C’est un instinct, un besoin légitime chez tous ceux qui n’ont individuellement qu’un logis très humble, de posséder pour les diverses expressions de leur vie collective, un monument représentatif dont ils tirent satisfaction et fierté. Dans toutes les civilisations où de puissants éléments démocratiques ont existé, dans les Flandres, dans les cités italiennes, comme à Paris, ce besoin s’est traduit dans un édifice, souvent somptueux, qui s’élevait en face du palais des princes, des hôtels des riches : la maison commune, l’hôtel de ville » (Ibidem).
47 Julien Goujon, Melchior de Vogüé, Berard, Odilon-Barrot, Raiberti, Saint Germain, Gaston Doumergue, Bovier-Lapierre, Charles-Roux, Aynard, Gruet, Saumande, Bansard des Bois, Pourteyron, Guillemet et Deshayes, proposent que soit ajouté au libellé du chapitre 18 « Théâtre nationaux et subvention au Théâtre d’Application », la mention « Théâtre lyrique, Opéra Populaire et principales scènes de province ».
48 Goujon, Archives de l’Assemblée nationale, 1895, A SE, t. unique, p. 432.
49 Michou, Archives de l’Assemblée nationale, 1897, A SE, t. unique, p. 727.
50 Jusqu’en 1899, Lugné-Poe est subventionné au titre des Indemnités et Secours.
51 Allocations aux sociétés musicales, concerts populaires et œuvres de décentralisation artistique, 1904-1925, F 21/4552, Archives nationales.
52 Maurice-Faure, Archives de l’Assemblée nationale, 1899, A. SE, t. unique, p. 757.
53 Ibidem.
54 Dans un rapport fait au nom de la commission du budget, commission qui réunit les députés Mesureur, Berger, Maurice-Faure, Guillain, Trouillot, Couyba, Perreau, Sembat, Thierry, Merlou, Meillet, Isnard, Pourquery de Boisserin, Astier, Charonnat, Le Moigne, Aimond, Bienvenu Martin, Cochery, Bertrand, Lechevallier, Rouvier, Plichon, Berthelot, Ricard, Bourrat, Dulau, Bérard, Berteaux, Hubbard, Dubief, Doumergue et Lockroy (Archives de l’Assemblée nationale, 1901, annexe n° 2643, SO, p. 1187 et suiv.).
55 Selon Georges Bourdon, le projet de Couyba reprend largement celui que Ritt, directeur de l’Opéra, avait soumis au ministère Fallières en 1887.
56 D’après Dictionnaire de Biographie française, sous la direction de Roman d’AMAT, Paris, Letourzey et Ané, 1961.
57 Couyba, Archives de l’Assemblée nationale, 1901, Annexe n° 2643, SO, p. 1211. Les citations qui suivent sont des extraits de la même déclaration.
58 Archives nationales, F21 4688.
59 « Mes préférences au théâtre ? Je les disais l’autre jour à mon ami Ginisty avec qui je travaille cette saison. Elles sont pour les spectacles inattendus et impressionnants, les grands envols lyriques, les inventions féeriques, l’exubérance comique qui jaillit des ingéniosités spontanées, personnelles, hardies. Vous connaissez le projet de théâtre pour lequel Gémier s’associe à moi. C’est selon ses prédilections que nous nous orientons et cherchons une voie neuve : mises en scène fastueuses, fortes connotations tragiques ou bouffonnes, grandes reconstitutions historiques, surprises féeriques » (Le Figaro, 15 septembre 1904).
60 Archives de l’Assemblée nationale, 1906, Annexe 344, 13 juillet 1906, p. 1614.
61 Ibidem.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Firmin Gémier, Ère Nouvelle, 3 octobre 1920.
66 Firmin Gémier, Ère Nouvelle, 17 octobre 1919.
67 Paul Vaillant-Couturier, Le Populaire, 28 mai 1919.
68 Ibidem.
69 Ibid.
70 Firmin Gémier, Ère Nouvelle, 17 octobre 1919.
71 Paul Vaillant-Couturier, Le Populaire, 28 mai 1919.
72 Ibid.
73 Ibidem.
74 Ibid.
75 Firmin Gémier, Le Théâtre pour tous, n° 27, 1925.
76 Ibid.
77 Ibid.
78 Georges Pioch, Vérité, 17, 24, 31 août 1919 et 7, 18 et 20 septembre 1919.
79 Comoedia (3 mai 1920) précise qu’il joua au Théâtre du Gymnase et au Théâtre de l’Œuvre. Lugné-Poe rappelle malicieusement au ministre qu’il avait pu mesurer, en tant qu’acteur, l’acoustique déplorable du Trocadéro : « Je ne crois pas au succès d’abord parce que la salle du Trocadéro est effroyable. C’est une salle de congrès et point une salle de théâtre. J’en ai fait la cruelle expérience souvent et plus particulièrement lors de la représentation de l’admirable Pain du poète Charles Van Lerberghe où j’étais soutenu par un orchestre de 60 musiciens, un sujet de comédie très farce, très populaire, et […] par la magistrale interprétation que fit P. Rameil lui-même, du personnage du Vicaire » (L’Éclair, 4 mai 1920).
80 Comoedia, 25 avril 1920.
81 L’Information, 30 juillet 1920.
82 Comoedia, 25 avril 1920.
83 « Nous en avons eu maintes fois la preuve. Ainsi au Faubourg Saint-Antoine lorsque M. Frédéric Saisset et moi-même avons fait jouer à l’Université Populaire Les Vieux d’Ignace Iglesias, la salle trop pleine débordait de spectateurs debout et pressés dans les accès. Lorsque le Conservatoire Renée Maubel y montait des œuvres du patrimoine lyrique et dramatique, Carmen, Faust, Mireille, Lakmé, Manon ou Ruy Blas, Hernani et les classiques, les caboulots du quartier et les petits cafés chantants se lamentaient et protestaient parce que leurs salles restaient vides tandis que l’Université Populaire voyait augmenter dans de notables proportions le nombre de ses adhérents » (Pierre Rameil, L’Information, 30 juillet 1920).
84 Ibidem.
85 « L’œuvre est démocratique au premier chef. Elle est assurée dans les milieux ouvriers, de l’accueil le plus sympathique et la Confédération Générale du Travail ne manquera point de lui apporter un efficace appui » (Pierre Rameil, Excelsior, 28 avril 1920).
86 L’Information, 30 juillet 1920.
87 Comoedia, 1er août 1920.
88 « M. Antoine nous téléphone à la dernière minute qu’il n’est pas candidat à la direction du Théâtre Populaire du Trocadéro et qu’en aucun cas il n’accepterait ce poste s’il lui était offert » (Comoedia, 9 juin 1920).
89 L’Information, 3 août 1920.
90 Comoedia, 25 avril 1920.
91 Victoire, 15 juin 1920.
92 Ibidem. Dans Comoedia (15 septembre 1920), le secrétaire général du syndicat des comédiens déclare, ironiquement : « Organiser un théâtre populaire avec 100 000 francs de subvention est une plaisanterie. Autant vouloir acheter les Galeries Lafayette avec 25 sous ! »
93 Georges Ricou, Paris Midi, 14 septembre 1920.
94 Excelsior, 28 avril 1920.
95 « Les Allemands ont bien compris, eux, tout le parti qu’on pouvait tirer d’un grand théâtre populaire. Au lendemain de la défaite, ils n’ont pas marchandé. M. Max Reinhardt a pu faire construire à Berlin un théâtre colossal où la foule trouvera accueil pour un prix modique » (Pierre Rameil, L’Information, 30 juillet 1920).
96 Excelsior, 28 avril 1920.
97 Comoedia, 15 février 1912.
98 Paul Rival, Ère Nouvelle, 19 août 1920.
99 Catherine Naugrette-Christophe, Paris sous le Second Empire, le théâtre et la ville, op. cit., p. 154-155.
100 Lugné-Poe, 21 mai 1920, coupure de presse non identifiée, Rt 3282, Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France.
101 Comoedia, 15 septembre 1920.
102 Comoedia, 13 février 1922.
103 Ibidem.
104 Œuvre, 10 février 1922
105 Comoedia, 23 mars 1922.
106 Comoedia, 1er janvier 1922.
107 Comoedia, 23 mars 1922.
108 Comoedia, 2 janvier 1922.
109 Ibidem.
110 Comoedia, 25 novembre 1920.
111 Le Théâtre pour tous, 9 octobre 1925.
112 Le Théâtre pour tous, 28 novembre 1924.
113 Ibidem.
114 Odéon Magazine, n° 42, 1924.
115 Choses de théâtre, n° 16, avril 1923.
116 Jean Vilar, Le Théâtre, service public, Paris, Gallimard, 1986, p. 397.
117 Les 13, 14 et 15 octobre au Théâtre Lyrique du xvie siècle, du 18 au 24 octobre au Théâtre de Montrouge, du 26 octobre au 1er novembre au Théâtre des Ternes, du 2 au 8 novembre au Bataclan, les 17, 18 et 19 novembre au Nouveau Théâtre.
118 Le Théâtre du Petit Monde est un théâtre pour enfants.
119 Le Théâtre pour tous, 23 novembre 1934.
120 Firmin Gémier, Excelsior, 16 juillet 1933. Il n’est toutefois pas exclu que les rapports entre Alfred Fourtier et Gémier aient été très tendus. On remarque dans Comoedia qu’immédiatement après la mort de Gémier, son nom ne figure plus dans les annonces des spectacles du TNP. Seul apparaît : « Alfred Fourtier directeur. » En janvier 1933 revient, dans ces mêmes annonces, « Firmin Gémier fondateur ».
121 Comoedia, 18 décembre 1920.
122 Cité dans Le Théâtre pour tous, 13 février 1925.
123 Comoedia, 24 novembre 1923.
124 Déclaration d’Alfred Fourtier à Comoedia, 9 octobre 1923.
125 Le Jour, 21 avril 1936.
126 Firmin Gémier, Lettre à propos d’un théâtre Populaire, 19 février 1921, reprise dans Théâtre populaire, n° 2, juillet-août 1953.
127 Liberté, 20 avril 1921.
128 Firmin Gémier, Choses de théâtre, n° 4, janvier 1922.
129 Le Théâtre pour tous, 4 décembre 1925.
130 Ibidem.
131 Le Théâtre pour tous, 12 décembre 1924.
132 Firmin Gémier, Odéon Magazine, n° 1, 1922.
133 André Antoine, 1924, cité par Christian Genty, Histoire du Théâtre National de l’Odéon, Journal de bord 1782-1982, Clamecy, Fischbader, 1981, p. 168.
134 Ibidem, p. 178.
135 Comoedia, 10 décembre 1920.
136 Anne Hauttecoeur, 1927, Un siècle de spectacles au Théâtre du Peuple, Les Vosges, Au pays de Maurice Pottecher, op. cit., p. 111.
137 Georgette Jeanclaude, Un Poète précurseur, Maurice Pottecher et le Théâtre du Peuple, Bussang-Vosges, ibidem.
138 Pièce en trois actes en vers de Louis Payen.
139 Gabriel Boissy, Comoedia, 11 avril 1921.
140 Saint-Georges de Bouhélier, Le Jour, 21 avril 1936.
141 Comoedia, 29 décembre 1928.
142 Firmin Gémier, La Revue mondiale, n° 12, 15 juin 1923.
143 Ibidem.
144 Ibid.
145 Firmin Gémier, La Revue mondiale, n° 13, 1er juillet 1924.
146 Gabriel Boissy, Comoedia, 12 février 1924.
147 Ibidem.
148 Firmin Gémier, Odéon Magazine, n° 51, 1924.
149 Firmin Gémier, La Revue mondiale, n° 12, 15 juin 1923.
150 Firmin Gémier, Odéon Magazine, n° 49, 1924.
151 Guy Leclerc, Le TNP de Jean Vilar, op. cit.
152 Jean Vilar, « Le Théâtre National Populaire », Le Théâtre service public, op. cit., p. 205.
153 Ibidem, p. 173.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Firmin Gémier, Le Spectacle d’aujourd’hui, n° 1, 1923.
157 Firmin Gémier, La Revue mondiale, n° 13, 1er juillet 1924.
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