Chapitre III. Initiatives privées pour un projet public
p. 63-88
Texte intégral
Le Théâtre sortira de l’alcôve et regardera dans la rue.
Firmin Gémier, La Revue mondiale, n° 7, le 1er mars 1923.
1Le Théâtre du peuple, qui permet d’éclairer la théorie du théâtre populaire de Gémier, constitue par ailleurs une chronique des initiatives privées visant, à la charnière du vingtième siècle, la promotion du théâtre populaire dans un contexte politique favorable.
2Les élections législatives d’avril-mai 1902 se font sur la question religieuse. Grâce à la discipline républicaine, le Bloc des Gauches les remporte avec 350 sièges contre 250 à ses adversaires. Appartiennent à ce Bloc des Gauches le Parti Républicain Radical et Radical Socialiste et le Parti Socialiste. Le Parti Républicain Radical et Radical Socialiste, fondé en juin 1901, est un parti complexe, diversifié. Il regroupe la grande famille radicale, aux multiples implantations locales et régionales, à l’écoute de la France provinciale et républicaine, autour de la philosophie des Lumières et des principes de 1789. Tous s’accordent à faire disparaître toute trace de l’Ancien Régime et, en particulier, celle d’union du Trône et de l’Autel. En 1902, Jean Jaurès parvient à fonder le Parti Socialiste français dont il devient le leader. Il cherche à réaliser une synthèse du jacobinisme issu de la Révolution française, du socialisme français (dit souvent « utopique ») et du collectivisme issu du socialisme germanique. Rejetant toute idée de coup de force, il veut entreprendre l’éducation du peuple. La composition de la Chambre des députés, en mai 1902, ouvre la voie à une politique radicale visant l’achèvement de la laïcisation du pays par le moyen de la séparation de l’Église et de l’État. Après la démission de Waldeck-Rousseau le 4 juin, Émile Combes, devenu l’incarnation de l’anticléricalisme radical et provincial, forme un gouvernement qui bénéficie d’une réelle stabilité puisqu’il ne démissionne que le 18 janvier 1905.
3Dans ce contexte, on peut, avec Eugène Morel, se demander si l’essor du théâtre populaire et la prolifération de structures s’en réclamant ne relèvent pas d’un phénomène de mode
« Comme on approche des élections, il est probable que le théâtre populaire sera très bien porté cet hiver, et les duchesses donneront la comédie coram populo. Il fonctionne rue Danton une société populaire de musique pour laquelle on vient de la Plaine Monceau1. »
4Le mouvement, dont Romain Rolland souligne l’hétérogénéité, naît en province tandis qu’à Paris, la Chambre des députés discute de la décentralisation et que le député Julien Goujon demande : « L’État doit-il protéger l’art dramatique, l’art lyrique ? Doit-on subventionner les théâtres dits nationaux et les scènes de province faisant de la décentralisation2 ? »
5Dans la République renaissante émerge un désir de fédéralisme en réaction au jacobinisme culturel. Si diverses qu’elles soient, les manifestations de province qui ouvrent la voie du théâtre populaire proposent des formes théâtrales en rupture avec la scène à l’italienne.
Une scène nouvelle en régions
6Les spectacles populaires qui fleurissent en province à la fin du dix-neuvième siècle reprennent du modèle suisse perdurant depuis le Moyen Âge la représentation en cadre naturel. Ils arrêtent un nouvel espace de jeu, un lieu théâtral ouvert : ouvert sur la nature reconstituée d’un jardin de rocaille pour La Légende de Chambrille en 1897 dans le parc municipal de La Mothe Saint-Heray, ouvert sur la montagne comme le Théâtre de Bussang. La scène n’est plus l’espace de jeu qu’abrite un théâtre mais le lieu autour duquel le public se rassemble pour la représentation : dans le Dauphiné, à Chabrillan et Étoile, Nouananto-Nou de Gatien Almoric est joué dans une grange. À Salbart, on dresse une scène dans les fossés des ruines d’un château pour Bonne Fée de Pierre Corneille3 en 1896. Le spectacle transforme ainsi en théâtre un espace civil. En Bourgogne, à Alise, La Tragédie de Sainte Reine se joue sur une estrade près de la chapelle de Sainte Reine et de sa fontaine miraculeuse. À Barcus, au Pays Basque, pour une pastorale en 1895, le théâtre se fait sur la place.
7Ces représentations retiennent du théâtre la notion de theatron, le définissant d’abord comme un lieu de rassemblement humain. Elles créent des théâtres provisoires dans les lieux qui en sont dépourvus ou désinvestissent le cadre étriqué des théâtres réguliers pour de larges espaces plus propices au rassemblement. Elles renouent ainsi avec deux modèles historiques, le mystère dont elles reprennent les tréteaux, le théâtre antique comme à Orange où le théâtre romain accueille les représentations à partir de 1869.
8À la verticalité des théâtres réguliers, ces représentations opposent l’horizontalité. Le public s’y répartit en amphithéâtre, se nivelle au lieu de se hiérarchiser, se côtoie au lieu de se faire face. C’est vers la scène que se focalisent les regards.
9Les représentations, qui se déroulent en été, organisent le théâtre dans un autre rapport au temps. Les théâtres réguliers sont permanents. Les manifestations de province proposent des représentations uniques. Ce sont des événements. Parce qu’il est ponctuel, éphémère, le spectacle ne procède pas des habitudes de vie mais les bouleverse. Parce qu’il est exceptionnel, il attire un public important de curieux, autochtones ou parisiens en villégiature. Cinq à six mille spectateurs, dit-on, assistent à La Tragédie de Sainte Reine. Maurice Pottecher parle de deux mille spectateurs pour Le Diable marchand de goutte à Bussang.
10Les représentations de province atteignent un nouveau public, hétérogène parce que multiple, qui diffère par le nombre et la nature de celui des théâtres réguliers. Formellement, il s’agit d’un théâtre de la foule, qui semble avoir rassemblé un peuple en public. Théâtre de la communauté civile et non théâtre de classe, théâtre de la réconciliation nationale, il vise à restaurer « entre les éléments aujourd’hui désunis du peuple la fraternité à laquelle nous aspirons tous4 ».
11Ces manifestations, qui distribuent le théâtre selon de nouvelles modalités spatiales, le structurent dans un autre temps, opposant la fugacité à la pérennité des théâtres réguliers. Le théâtre, circonscrit au moment de la représentation, de la rencontre du public et du spectacle, est le moment éphémère d’un rassemblement exceptionnel dans un lieu quelconque que la représentation rend extraordinaire. Moment insolite, il devient enchantement, subjugue chaque spectateur et nivelle ainsi en humanité une hétérogénéité sociale. C’est une fête. Cet événement peut se renouveler d’une année à l’autre. Ainsi, La Tragédie de Sainte Reine se déroule tous les 7 septembre. Les spectacles de Ploujean, en Bretagne, de La Mothe Saint-Heray dans le Poitou, de Bussang, d’Orange, sont donnés plusieurs années consécutives. Le théâtre devient rite. La représentation annihile le temps et l’espace d’une société inscrite dans l’histoire et lui substitue l’espace et le temps d’une communauté humaine. Le spectacle donne réalité à un mythe, celui de l’humanité transcendant la contingence de l’histoire, auquel le théâtre grec et le mystère font écho. Il s’agit à la fois d’un nouveau théâtre et d’un théâtre qui renoue avec une tradition séculaire.
12Au-delà de ces analogies formelles, les spectacles de province s’organisent selon des projets divers idéologiquement et esthétiquement. Certains visent la reproduction du modèle grec. Au Théâtre Antique d’Orange, on reconstitue « ces œuvres antiques qui constituent notre patrimoine commun, à nous qui sommes les enfants de l’ancienne Grèce et de Rome5 ». Dans cette perspective, la manifestation célèbre une race originelle dont témoigne une littérature dramatique. Ces spectacles procèdent du théâtre de verdure, ou théâtre de nature, théâtre d’été à l’attention de la bourgeoisie et de l’aristocratie en villégiature. À Orange, Nîmes, Cauterets, Champigny, Aulnay-sous-Bois…, les acteurs du Théâtre Français tels Mounet-Sully et de Max jouent les tragédies antiques ou inspirées de l’antique. Ces représentations, qui retiennent du modèle grec l’aspect formel, déçoivent les initiateurs de l’art populaire. Pottecher en parle comme d’une « fête de lettrés ou d’archéologues6 ». Certains, plus acerbes, soulignent leur aspect rétrograde :
« Pour ressusciter le théâtre populaire des anciens, il ne s’agit pas de copier servilement, quoiqu’habilement, le cadre des grandes Dionysies, de restaurer ou de construire des gradins et des scènes gigantesques, d’écrire des trilogies ou de traduire en harmonieux vers français les chefs-d’œuvre de Sophocle et de jouer Œdipe Roi dans les ruines du théâtre d’Orange, mais d’adapter aux conditions de la vie populaire moderne l’esprit qui enfanta et anima les fêtes théâtrales de la Grèce7. »
13Certains spectacles, reproduisant sur le même schéma le modèle médiéval, s’inscrivent dans la continuité d’une commémoration religieuse : La Tragédie de Sainte Reine, sainte locale, est jouée chaque année par les jeunes filles d’Alise, selon une tradition séculaire. La représentation précède une procession des villageois aux lieux indiqués par la légende. Dans ces deux cas, les manifestations reproduisent à l’identique des modèles historiques.
14D’autres spectacles, le plus souvent à l’initiative d’un notable local, s’en inspirent : Cloarec, maire de Ploujean, dirige un ensemble d’acteurs qui jouent Le Mystère de Saint Gwenolé le 14 août 1898 devant leurs concitoyens. Maurice Pottecher, fils de l’industriel local, Benjamin Pottecher, fonde le Théâtre du Peuple à Bussang en 1895. Sous le pseudonyme de Pierre Corneille, le pharmacien Saint-Marc crée le Théâtre Populaire poitevin…
15La plupart de ces initiateurs sont auteurs : la décentralisation se définit comme création dramatique originale. Du modèle grec ou du modèle médiéval, ils peuvent reprendre la forme, quelquefois consécutivement. Ainsi Pierre Corneille, après avoir donné La Légende de Saint Chambrille en septembre 1897, renoue avec « la forme classique de la tragédie en vers8 » pour Erinna, prêtresse d’Hésus le 11 septembre 1898. Cette filiation génère une esthétique qui intègre la musique et la danse dans l’écriture théâtrale. Ainsi, au théâtre de Barcus :
« Comme dans le modèle grec, la scène se passe ici en plein air, la parole y est toujours chantée et rythmée, ponctuant des danses. Les mouvements sur la scène se règlent à la cadence des vers et à chaque sentiment exprimé correspond un rythme particulier. Un chœur bien caractérisé, représenté par les “infidèles” où Satan évolue pendant toute la pastorale comme le chœur antique, mais ici en vrai démoniaque, soutenant toujours les méchants. Enfin, comme dans le théâtre grec, les sexes n’y paraissent jamais confondus, les pastorales sont représentées ou par une troupe d’hommes ou par une troupe de femmes9. »
16La représentation, qui met souvent en scène une œuvre de conception savante, une composition de lettré sur des modèles ignorés du grand public, est conjointement d’expression commune puisque s’y retrouvent des mythes ou des légendes locales. En Bretagne, Le Mystère de Saint Gwenolé reprend la légende de la submersion de la ville d’Is ; à Bussang, Le Sotré de Noël met en scène le folklore vosgien. Enfin, le texte dramatique peut être écrit en langue vernaculaire comme le théâtre alsacien de Greber. Nouanato-Nou est une pièce écrite en langue régionale du Dauphiné. Dans le Poitou, Un pesan de chez nous d’A. Gaud sera joué en même temps que La Légende de Saint Chambrille, à La Mothe Saint-Héray. En 1904, le Théâtre Populaire poitevin présentera À chacun sa destinée de Pierre Corneille et Les Terrailloux, moralité en patois de H. Martin. À Chef-Boutonne, dans les Deux-Sèvres, Gaud organise les représentations d’Ine Merienne chez Jacquet Labertuche le 25 septembre 1898, Les Idaies dou bouhoumme Louichet Lavenot le 21 mai 1899.
17Étrange par sa forme, familier par son expression, le spectacle bouleverse le rapport théâtral normatif puisque ses acteurs en sont souvent des amateurs locaux, plus ou moins paysans comme l’auteur à Chabrillan pour Nouananto-Nou. Ce sont des Alsaciens, des paysans basques, des Bretons, des Bourguignons ou des Lorrains, tous amateurs. Dans le Poitou, Corneille et Gaud ne font appel qu’à des gens du pays, renforcés de quelques amateurs de bonne volonté, et présentent un spectacle à des conditions de prix frisant la gratuité. Le théâtre est l’art qu’une communauté génère.
18Formellement, ce théâtre est hors du temps : il emprunte sa forme à des modèles archaïques, puise ses thèmes dans un fonds mythique, s’écrit parfois dans une langue dialectale. Est-ce une scène régionaliste, célébrant la « race » d’une communauté restreinte ? S’agit-il, comme le désirent ses initiateurs, Pottecher, Corneille, Cloarec, Charles Bordes ou Greber, d’une forme théâtrale nouvelle qui emprunte au passé pour fonder l’avenir ? Elle s’inscrit dans l’actualité d’une communauté civile à laquelle le théâtre dit ce qui la fonde et l’unit, dans un projet de théâtre selon une perspective artistique originale, restituant l’expression à une humanité jusque-là tenue pour mineure et en reprenant, avec la musique et la danse, les formes de prédilection.
19Cette « jeunesse ardente […] animée d’une foi profonde en un art moins hautain où l’humanité tout entière aurait sa part des joies dont quelques-uns s’enivrent10 » poursuit un but moral et esthétique, proposant du théâtre une nouvelle définition, de l’art une approche neuve, et suscitant des productions dramatiques originales. Son objectif est civique :
« Union et réconciliation des éléments les plus divers du peuple, séparés par l’intérêt, et fraternisant dans la communauté des émotions pathétiques ou joyeuses que suscite la magie théâtrale11. »
20Lettrés, ils suivent un courant qui a vu le jour dans le reste de l’Europe quelques années plus tôt. En 1889 est inauguré à Vienne le Volkstheater. Ces jeunes gens, qui veulent un « théâtre qui s’adresse au peuple tout entier, non à une partie du peuple, et qui, en rendant l’art au peuple d’où il est sorti, n’abaisse point l’art mais l’assainit et le revivifie12 », accompagnent le renouveau dramatique dont le Théâtre-Libre est la scène. Ils relèvent le défi de cette jeune génération d’auteurs qui crée une littérature dramatique sur un postulat révolutionnant l’opinion établie : le peuple n’est pas une masse inculte qu’il faut instruire pour son bien mais l’initiateur d’un art nouveau. Toutes ces initiatives se confondent dans une même éthique, donnent corps à des réalisations dont l’analogie formelle ne saurait occulter les différences qualitatives. Maurice Pottecher lance en province un mouvement de « renaissance artistique » qui fonde le théâtre populaire d’initiative privée. Deux ans plus tard, à Paris, Louis Lumet crée le Théâtre Civique.
21Dès le début de sa carrière, Gémier se lie personnellement à ces initiateurs du théâtre populaire. À Paris, il joue dans un des premiers spectacles du Théâtre Civique, Contre la guerre, le 12 janvier 1900. Lumet devient son ami et, avec lui, Charles-Louis Philippe et J. G. Prod’homme qui ont fondé L’Enclos, revue littéraire et sociale d’avant-garde. Gémier mettra en scène le premier au Théâtre Antoine. Du second, il retient la traduction de l’œuvre en prose de Wagner13. Jusqu’à la fin de sa vie, Lumet accompagne la carrière de Gémier. Le journal du TNP se fait l’écho des visites-conférences de L’Art pour Tous que fonde Louis Lumet après le Théâtre Civique. Gémier rencontre Maurice Pottecher par l’intermédiaire de La Revue d’art dramatique. En 1927, Gémier ira à Bussang applaudir son nouveau sociétaire de l’Odéon, Pierre-Richard Wilm. À l’issue de la représentation, invité à monter sur la scène, il félicite Pottecher, souligne son rôle majeur dans la fondation du TNP et propose de mettre son Amys et Amyle au répertoire de l’Odéon, ce qu’il fait le 13 avril 1928.
Deux précurseurs : Maurice Pottecher et Louis Lumet
22On sait que le Théâtre du Peuple de Bussang fut fondé le 1er septembre 1895 à l’occasion de l’unique représentation du Diable marchand de goutte, pièce écrite par Maurice Pottecher, dans une prairie où on installa, face à la montagne, une scène provisoire. Le Théâtre Civique donna son premier spectacle à la Maison du Peuple, 47 rue Ramey à Paris, le samedi 3 juillet 1897.
23Pottecher ouvre son théâtre populaire par une pièce où il raconte comment le Diable se fait colporteur d’alcool pour perdre les habitants d’un village vosgien et sème la division chez les paysans. Les acteurs principaux sont les membres de la famille Pottecher et leurs amis. Des habitants du village de Bussang, « ouvriers de l’usine Pottecher et paysans, […] une trentaine de personnes, se meuvent à l’aise sur la grande scène ouverte, jouant en quelque sorte le rôle du chœur antique, non seulement pour faire un fond de tableau à la pièce mais pour vivre et prendre part à l’action14 ». Au Théâtre Civique, le spectacle commence par une partie récitative et musicale à laquelle participent, nombreux, les compagnons du Théâtre-Libre. Au violon solo, Lagarde joue deux pièces d’Haendel. Mevisto dit ensuite l’introduction du Peuple de Michelet, Berthe Reynold Chansons de Hauser et Zeller un passage extrait de L’Enfant de Jules Vallès. Claes donne alors un texte de Louis Lumet, L’Anniversaire, Charlot Souvenirs d’un jeune homme de Henry Bauer, Hattier un texte de Saint-Georges de Bouhélier, Danses pastorales. Puis Mevisto Ainé présente Les Marionnettes de Privas et Fille d’ouvriers de Jouy. La seconde partie est introduite par un morceau de Prune, interprété par Richard Hammer au violon solo. Prod’homme dit un texte d’Octave Mirbeau, Le Calvaire, puis Eugénie Nau Le Sage Empereur de Léon Riotor. Hattier donne Le Fils de Caïn d’A. Lantoine avant que Richard Hammer ne joue, au violon solo, une pièce de sa composition et deux pièces de Delibes. Charlot lui succède avec un texte de Louis Lumet, Le Messie rouge. Madame Deschamps chante de vieilles chansons françaises. Puis Mevisto dit un texte de Clémenceau, Paul. Enfin, Mademoiselle Claes dans le rôle d’Elisabeth et Zeller dans celui de Félix jouent La Révolte de Villiers de l’Isle-Adam.
24Toutes les représentations du Théâtre Civique se feront en lieu clos tandis que les premières représentations à Bussang sont à ciel ouvert. Seule la scène est alors construite, démontée immédiatement après la représentation. En 1896 sont édifiées la scène dont le fond s’ouvre à volonté sur la montagne, les coulisses, les loges et la façade du théâtre. En 1897, le parterre est encore à ciel ouvert, protégé par un velum, mais on bâtit deux galeries perpendiculaires à la scène et une tribune qui réunit ces galeries latérales et surplombe le parterre. En 1898, après des critiques sur la mauvaise acoustique du théâtre, on prolonge l’avant-scène au-dessus de la fosse d’orchestre, on ferme la tribune de l’extérieur par des stores et on pose des tapis qui assourdissent les pas. L’électricité est installée en 1904. Le Théâtre du Peuple sera partiellement reconstruit en bois après la première guerre mondiale. La salle sera couverte et fermée.
25Lumet et Pottecher se démarquent de tout projet commercial. « Et pour témoigner hautement de notre haine envers le grand corrupteur moderne, l’Argent, nos représentations seront gratuites15. » Le Théâtre Civique perçoit une participation de cinquante centimes par spectateur qui couvre les frais de location de salle ou d’amélioration du théâtre. À partir de 1896, le Théâtre du Peuple de Bussang donne les reprises en représentation gratuite, les créations en représentation payante. L’argent sera utilisé à l’amélioration du confort du théâtre et à la réalisation des spectacles à venir. Pottecher et Lumet ne cherchent pas à promouvoir un théâtre régulier, à fonder une entreprise lucrative de divertissement mais à susciter, selon le mot de Lumet, « une fête d’art16 ». Le projet est désintéressé, l’optique égalitaire17.
26On pourrait ironiser. Cet altruisme bénéficie de généreux mécènes : Henry Bauer pour le Théâtre Civique, l’industriel Benjamin Pottecher pour le Théâtre du Peuple. On ferait un contresens. Lumet, Pottecher, comme Pierre Corneille considèrent que l’art n’est pas un luxe. La culture a vocation didactique. Par le biais de la distraction et du plaisir, l’art permet d’améliorer l’âme du spectateur « du triple point de vue de la morale, de l’esthétique et de l’intelligence18 » et doit être déclaré « d’utilité nationale19 », subventionné en tant que tel par les institutions républicaines.
27Éthiquement analogues, les initiatives des deux hommes se distinguent sur plusieurs points : elles ne s’inscrivent pas dans la même perspective temporelle. Le Théâtre du Peuple de Bussang, créé en 1895, survit à Maurice Pottecher. Louis Lumet fonde le Théâtre Civique en 1897 puis L’Art pour Tous en 1901. La pérennité du premier en fait une institution, la brièveté du second une expérience. À Bussang, chaque année, les représentations du Théâtre du Peuple ont lieu en été tandis que celles du Théâtre Civique sont irrégulières20. Le Théâtre du Peuple s’installe à Bussang dans un lieu fixe lorsque le Théâtre Civique reste ambulant, donnant des représentations ponctuelles le plus souvent en quartiers ouvriers.
28Si les représentations de Bussang s’organisent en un rituel pour lequel il n’est que très rarement fait appel à des artistes extérieurs, celles du Théâtre Civique sont des événements qui sollicitent le concours des personnalités parisiennes du spectacle, de la littérature et de la politique : Anatole France préside la représentation d’avril 1900. Henry Bauer, Laurent Tailhade, Jean Jaurès, Léopold Lacour interviennent en conférence. Eugénie Nau, Berthe Reynold, Louise France, Mévisto, Gémier, anciens du Théâtre-Libre, de Max, Marie Marcilly et Andrée Ribbes sont bénévolement en représentation au Théâtre Civique.
29De par ces modalités, la fête d’art que propose le Théâtre du Peuple peut être assimilée aux Dionysies comme en témoigne le regroupement du public. Maurice Pottecher en raconte la première représentation :
« Sur le chemin montant, une procession commence ; pèlerins variés, de toute condition, de tout costume et de tout esprit. Une même curiosité, confiante et pacifique, les conduit ; les blouses se mêlent aux vestons clairs, les chapeaux à fleurs font de l’ombre sur les antiques cornettes : “gens du village”, paysans descendus de la colline, soldats, officiers, ouvriers, patrons d’usine, familles bourgeoises accourues des bords de la Moselle, quelques chars à bancs montés de la plaine d’Alsace, quelques breaks garnis de touristes et de voyageurs d’été. Ils sont venus au nombre d’environ deux mille21. »
30La procession, qui réfère tant au modèle grec antique qu’au modèle médiéval, unifie le public : autochtones ou touristes, Mosellans ou Alsaciens… ils sont deux mille à Bussang à la fondation du Théâtre du Peuple. Ils sont quatre cents rue Ramey quand se crée le Théâtre Civique. Louis Lumet raconte que la salle était comble. Trois cents personnes n’ont pu entrer. Là aussi, de la diversité des individus naît une foule qui
« ondoie, recule, avance, déferle aux galeries, envahit le parterre, comble les loges, reflue aux couloirs – la foule que peignit Carrière, habits et figures effacés, brouillés, d’un même ton grisâtre, les visages çà et là surgissant, presque sans lignes, n’étant plus que les aspects simplifiés de la joie, de la colère, de l’énergie, de l’attention – la foule, orchestre de nuances et de bruits, vibrant dans un unisson formidable22 ».
31Ce sont des théâtres de la foule. Cependant, le public de Pottecher partage un sentiment sinon d’appartenance du moins d’attachement à une région alors que celui du Théâtre Civique se fond en communauté de travailleurs. Lumet, décrivant le spectacle du 13 avril 1900, écrit : « L’entente des travailleurs manuels et intellectuels s’affirma dans l’enthousiasme, dans la joie23. »
32Si le projet fusionnel est commun à Pottecher et Lumet, le Théâtre Civique affirme un ancrage politique, socialiste, lorsque le Théâtre du Peuple souligne d’abord son attachement à la morale républicaine. Pottecher rêve de réunir une communauté civile, « le premier des philosophes de la nation et le dernier des portefaix de la halle24 ». Il fonde son théâtre dans un lieu particulier, un lieu exceptionnel du territoire français, à quelques kilomètres de la ligne des Vosges, du territoire français que la défaite de 1870 a annexé à l’Allemagne. Il n’est pas anodin que soit évoqué le public monté de la plaine d’Alsace. La première représentation qu’organise Pottecher à Bussang prend, dans cette optique, une valeur singulière. Le 22 septembre 1892, à l’occasion du centenaire de la République, il monte à l’intention des habitants de Bussang Le Médecin malgré lui de Molière. Les acteurs sont les membres de sa famille et quelques villageois. L’œuvre retenue est investie d’un double statut puisqu’elle appartient au patrimoine dramatique national et a été écrite à partir d’un canevas ancien. Dans les scènes où Molière les fait parler un patois reconstitué, les paysans que met en scène Pottecher utilisent le dialecte de la Haute-Moselle. Cette représentation, qui prélude à la fondation du Théâtre du Peuple, est symbolique. Elle s’inscrit dans une perspective républicaine : comme à Paris où l’Opéra et la Comédie-Française donnent des spectacles gratuits, Pottecher décide de fêter par une représentation théâtrale l’anniversaire de la République. La représentation se déroule selon des modalités éloquentes, aux lanternes, autour du kiosque à musique municipal, lieu où la communauté villageoise a l’habitude de se rassembler pour se divertir. Les acteurs sont amateurs et appartiennent à la même collectivité que le public, celle du village. Le texte que joue et entend cette communauté villageoise qui célèbre la République mêle au français le dialecte haut mosellan, associe la langue vernaculaire à celle de la Nation. La situation géographique particulière de Bussang exaspère le sentiment patriotique ; la représentation le conforte. En mêlant la langue nationale et la langue locale, elle les conjugue en une œuvre du patrimoine dramatique national. Symboliquement, la conjonction des langues fait du public de Bussang à la fois le peuple d’une région de France et le peuple de la nation. Pour le projet de théâtre qui anime Pottecher, il importe que soient assis sur les mêmes gradins tous ceux qui constituent la structure sociale nationale, du « financier le plus opulent [au] plus dénué des traîne-misère25 », comme si le Théâtre du Peuple de Bussang était un microcosme.
33Le public du Théâtre du Peuple, animé d’un sentiment patriotique, qu’aucun bellicisme ne ternit, est d’abord local mais aussi national, du fait même de la situation frontalière. Pour lui, la patrie est à la fois la « petite patrie26 », la Moselle, et la patrie à laquelle elle s’est fédérée, la France. Au contraire, celui du Théâtre Civique, parisien, n’a pas d’identité régionale. Il vient de nulle part ou plutôt il vient de partout. Si le projet didactique est identique chez Pottecher et Lumet – proposer une fête d’art à une vaste assemblée – le spectacle donné diffère en raison même de la nature de son destinataire. Pottecher le guide de la petite patrie à la grande. Le Diable marchand de goutte, Morteville, Le Sotré de Noël27 évoquent aux spectateurs le cadre familier de leur propre vie. Des montagnards, des Vosgiens sont mis en scène. L’action dramatique est singulière et renvoie à la petite patrie. Sur le mode tragique ou farcesque, la représentation donne à lire un drame universel. Toutefois, le régionalisme n’est ni secondaire ni formel. Il procède de la didactique du théâtre du peuple, ouvert à tous, compris par tous. Le dramaturge doit « écrire une œuvre destinée à être comprise et applaudie par des hommes de la même race que lui et presque du même sang, des hommes dont il connaît l’histoire, les instincts, les passions et les aspirations28 ».
34Pour Pottecher, comme pour Gémier, l’auteur dramatique, secrétaire du peuple, en est le guide et non l’évangéliste. Le théâtre du peuple n’est pas une école de propagande. Dans la préface du Diable marchand de goutte, Pottecher se défend d’avoir cherché à fustiger l’alcoolisme. Le dramaturge « après avoir touché la sensibilité des spectateurs [doit] intéresser leur raison en leur laissant emporter du spectacle où ils sont venus un sujet de réflexion sur les problèmes les plus graves de leur destinée collective29 ». Son projet pédagogique est à la fois éthique et civique. Il ne saura le réaliser que si le public lui est intime, s’il en connaît « les images qui lui sont familières et les préoccupations essentielles30 », s’il en partage la vie. Pottecher écrit pour le Théâtre du Peuple à l’écoute de la réalité sociale et humaine qui l’entoure.
35Lumet construit le théâtre populaire à Paris sur un rêve d’absolu, un idéal de beauté et de bonheur, comme une alternative parfaite au monde qui l’environne. « Nous chanterons la joie que l’homme peut avoir des éléments qui entretiennent la vie, l’Air, la Lumière, l’Eau, le Feu, les Nourritures. Nous proposons au monde un nouveau rêve de bonheur31 », écrit-il. Il définit le projet de théâtre populaire au travers de textes empreints de références à la terre, de métaphores rurales. Dans un univers citadin, ces textes exaltent le travail agricole et la communion de l’homme avec la nature, dessinent un univers archaïque, comme un creuset lyrique de l’humanité. Dans sa Théorie32 sur le théâtre, reprenant le modèle grec originel, il définit la représentation comme « une fête religieuse où les hommes célèbrent leurs passions et leurs exploits ; ils divinisent leur vie magnifiée, les aventures des ancêtres, l’existence de la cité. C’est une communion solennelle ». L’œuvre de Lumet est celle d’un poète : de la musique des mots naît la communion émotionnelle. Les spectacles du Théâtre Civique, à l’exception du dernier, proposent des textes de toutes natures, des fragments musicaux, une conférence et la représentation d’une œuvre dramatique en un acte. D’abord hétéroclites, ils s’organisent ensuite thématiquement : Sur la justice, Contre la guerre, La Solidarité. Les œuvres présentées illustrent la réalité civile, qu’il s’agisse d’œuvres du patrimoine fonctionnant en miroir ou d’œuvres contemporaines comme L’Épidémie d’Octave Mirbeau, créée au Théâtre Antoine le 29 avril 1898. Dans le même temps, parce que faute de traditions culturelles communes, il en appelle au patrimoine artistique, le Théâtre Civique donne à ressentir, sur le mode émotionnel, ce qui peut apparaître comme une connaissance strictement intellectuelle. Après le Théâtre Civique, Lumet poursuivra, avec L’Art pour Tous, cette politique d’appropriation artistique.
36Républicain et socialiste, Gémier associe les démarches de Pottecher et Lumet dans son projet de théâtre populaire. Le Théâtre du Peuple et le Théâtre Civique inventent une scène originale dont le processus didactique, basé sur la communion émotionnelle, a mission civique puisqu’il vise le rassemblement en communauté d’un public hétérogène. L’œuvre de Pottecher génère une création dramatique originale alors que celle de Lumet embrasse toute la création artistique, toutes les formes d’art vivant. L’initiative de Pottecher suit la filiation de la pensée de Renan pour qui une nation, principe spirituel, possède une âme qui se construit du passé par la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, du présent par le consentement actuel, le désir de vivre ensemble. C’est l’âme d’un peuple que le théâtre de Bussang met en scène, peuple lorrain et français.
37L’expérience de Lumet précède puis accompagne le mouvement d’émancipation intellectuelle de la classe ouvrière. Les initiatives de province, dont celle de Pottecher, l’expérience de Lumet, soulèvent une question majeure : l’acteur du théâtre populaire est-il professionnel ou amateur ? La scène offre-t-elle au peuple sa miniature ou en fait-elle l’acteur de son propre drame ? D’autres créateurs se confrontent à cette problématique. Lorsqu’il fonde le Conservatoire de Mimi Pinson, Gustave Charpentier soumet la création d’un théâtre lyrique du peuple à l’alternative suivante : former un grand nombre d’artistes en établissant un enseignement lyrique et musical ouvert aux enfants des couches populaires, ou diffuser une culture lyrique en s’adressant à des professionnels33. Dans ce cas, une subvention est nécessaire. Charpentier opte pour la première hypothèse. Lumet s’inscrit dans la seconde perspective. Cependant, grâce au concours d’artistes qui, par militantisme politique, interviennent bénévolement, le Théâtre Civique se prévient de tout aspect mercantile. Le projet de Lumet préfigure celui de théâtre service public « c’est-à-dire d’une salle qui aurait pour fonction de restituer aux hommes d’une période donnée l’ensemble des œuvres du répertoire de sa propre culture et de l’amener à mieux percevoir ainsi les exigences de la culture moderne34 ».
38Pottecher s’oppose à l’idée de recourir à des acteurs amateurs dans un théâtre populaire régulier parisien35. Il les emploie à Bussang, associés à des professionnels. Ce regroupement participe du projet festif, liant expression et création, sur le schéma du Festspiel suisse. Deux questions restent posées au théâtre populaire : initiateur d’un art nouveau, le peuple a-t-il statut d’inspirateur, de concepteur, d’exécutant ? Une œuvre dramatique populaire a-t-elle vocation à constituer un patrimoine ou n’est-elle conçue que pour l’éphémère de la fête d’art, pour le moment de rencontre de la représentation et du public ?
39Dans ses réalisations, Gémier y répond par deux formes complémentaires : la fête et le théâtre.
40Parce qu’il se construit en filiation du Théâtre-Libre, pour le renouveau de l’écriture dramatique, le mouvement de théâtre populaire d’initiative privée infléchit la perspective d’un point de vue littéraire : le théâtre du peuple se constitue en patrimoine alternatif du théâtre bourgeois.
Du théâtre d’amateurs au théâtre professionnel
41Il est convenu de présenter le combat pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus, comme la grande rencontre des intellectuels et du peuple. On y voit la naissance, le 12 mars 1898, à l’initiative de Gabriel Séailles, Henri Michel et Georges Deherme, de la Société des Universités Populaires. Soutenu par Anatole France ou Ferdinand Buisson, ce mouvement des Universités Populaires cristallise une évolution des mentalités. Les intellectuels se rallient au socialisme.
« Le socialisme était une grande aventure de l’esprit en même temps qu’un enchantement du monde. Tout se passe comme s’il avait pu remplir fonctionnellement auprès des nouveaux clercs qu’étaient les intellectuels le vide spirituel laissé par une religion en reflux36. »
42Les écrits relatifs au théâtre populaire renvoient parfois à un mysticisme, mysticisme souvent teinté de sentiment de culpabilité :
« L’élite et la foule ne furent point d’accord. La faute en revient à l’élite. Elle s’est enfermée trop longtemps dans sa tour d’ivoire, absorbée dans de fastidieuses discussions d’école. Elle a oublié le peuple. Celui-ci, livré à ses rhéteurs, à ses romanciers sans scrupule, à ses comptes rendus de cour d’assise, se bute toujours à l’irritante question sociale37. »
43L’élite intellectuelle a failli à la mission que lui confiaient les pères fondateurs de la République. De 1896 à 1905, dans un contexte social d’enthousiasme laïque, se reconstruit une morale civile qui propulse la fraternité, parente pauvre des vertus républicaines, au premier plan, donnant ainsi naissance au mouvement des Universités Populaires. Elles se développent à Paris et en province entre 1898 et 1902, à l’initiative d’une élite intellectuelle radicale, libérale ou socialiste, héritière de la Révolution française, nourrie de la pensée de Condorcet, ralliée à l’idée de progrès.
44Le 1er mars 1902, il y a quarante-sept Universités Populaires à Paris, quarante-huit en banlieue, quarante-huit en province. S’installant dans des lieux autonomes dont certains accueillent non seulement des conférences publiques mais aussi une bibliothèque, une salle de spectacle, voire un jeu de quilles et une buvette, les Universités Populaires se déplacent aussi d’école communale en brasserie ou cabaret, dans ces lieux familiers de la population ouvrière. Même si beaucoup d’entre elles se créent à la demande des ouvriers, elles restent des entreprises post-scolaires qui rééditent les formes de l’école primaire à destination d’une population qui l’a trop tôt quittée38. Dans la plupart des cas, le rapport didactique autoritaire, l’apprentissage passif qui s’établit dans « les quartiers les plus populeux39 » de la ville entre « une foule d’écoutants bouche bée40 » et des intervenants écrivains ou hommes politiques tels Durkheim, Alain, Charles Péguy ou Ferdinand Buisson, amènent la désertification des savantes conférences.
45Le public ouvrier reste toutefois fidèle aux soirées récréatives et d’abord à leurs représentations théâtrales. On notera pourtant que le théâtre est alors compris pour certains comme médiateur d’enseignement. Ainsi,
« M. Gonzalve La Flize désirait agir sur l’imagination, la qualité la plus développée chez les intuitifs, et, naturellement, voulut agir par le spectacle. Il désirait organiser des récitations en action devant un public populaire : fragments de comédie, passages d’épopées, proses et vers, Molière et Hugo, les classiques et les modernes41 ».
46L’action des Universités Populaires donne très concrètement naissance au Théâtre du Peuple de la Coopération des Idées que fonde l’ouvrier libertaire Georges Deherme le 3 décembre 1899 à l’Université Populaire du même nom. En 1886, à Paris, rue des Boulets, dans l’arrière-boutique d’un marchand de vins, la Coopération des Idées était née à l’initiative de quelques ouvriers qui avaient mis en commun leur désir de raisonner, ainsi que les livres qu’ils possédaient, et se rencontraient à date fixe, un soir par semaine, pour causer. En 1894, la Coopération des Idées devient le titre d’un manifeste où Deherme affirme
« les principes d’où devaient sortir, comme un germe vivant, les Universités Populaires : prolonger l’instruction primaire de l’apprenti et la compléter par l’instruction éthique-sociale ; mettre à la portée du cœur, de l’esprit, des sens du prolétaire, le plus possible de beauté morale, scientifique, artistique, beauté qu’il ne rencontre jamais autour de lui, qu’il ne peut aller chercher au loin faute de temps et de ressources, et dont il finit par perdre le besoin et le goût pourtant dans son cœur ; faire vivre devant lui, par la parole de conférenciers compétents et sincères, non pas une opinion mais toutes les opinions, en adoptant sur ce point l’unique devise : n’exclure que l’exclusion ; l’obliger ainsi à faire un choix parmi ces vues contradictoires, et, par cela même, à penser personnellement ; lui permettre de trouver ailleurs qu’à l’homicide cabaret, à l’ignoble café concert, à l’infâme bal de barrière, la douceur de se reposer, de s’instruire, de se distraire, de s’amuser en commun, de vivre enfin. Toutes proportions gardées, n’est-ce pas le programme de l’honnête homme, à la manière du grand siècle42 ? »
47Le théâtre populaire parisien se met en place au faisceau d’une double perspective : la première, jubilatoire, suit la ligne des initiatives de province ; la seconde, éducative, participe du mouvement d’émancipation intellectuelle de la classe ouvrière. On notera cependant que le public du Théâtre de la Coopération des Idées, qui s’installe plus tard dans un ancien café-concert, 157 rue du Faubourg Saint-Antoine, appartient davantage à l’artisanat qu’au prolétariat. Les habitants du Faubourg Saint-Antoine sont artistes et ouvriers d’art. Ce théâtre populaire parisien peut alors être considéré comme une des modalités de la culture de résistance.
48L’Université Populaire organise des représentations théâtrales chaque dimanche. La salle, qui contient quatre cents places assises, accueille jusqu’à cinq cents spectateurs. Au fond de la salle s’élève une estrade : c’est une scène de quatre mètres de large sur quatre mètres cinquante de profondeur que dessert un étroit couloir de coulisses sur trois côtés. Deux petits escaliers de bois conduisent, par les fonds cour et jardin, aux loges des hommes et à celles des femmes. La scène est séparée de la salle par un rideau. Les pièces sont d’abord jouées sans décor. « On se borna donc à fermer la scène sur trois côtés par des châssis tendus de toile grise et présentant une porte dans le fond43. » Mais bientôt, à la demande du public, « se mit-on entre camarades, dessinateurs, peintres, menuisiers, à clouer les châssis, à tendre des toiles, et à peindre avec acharnement (on y passa des nuits !) de vrais décors44 ». Comme la scène, les décors sont réalisés par les membres de l’Université, les frais se limitant à l’achat des bois et de la toile. En 1903, le théâtre possède six décors : une place publique, un jardin, une chambre rustique, un salon, une chambre quelconque et un décor de tragédie réalisé, dans l’esprit du mouvement des Universités Populaires, avec le concours de deux artistes, Devaux, architecte de l’Imprimerie nationale, ancien élève des Beaux-Arts et Célos, peintre-décorateur.
49Le Théâtre de la Coopération des Idées compte jusqu’à quatre troupes internes d’acteurs amateurs qui montent des spectacles divers. Afin de pouvoir assurer un spectacle tous les dimanches, le théâtre fait appel à d’autres groupes d’amateurs tels que les Amoureux d’Art, la Société de Musique et de Déclamation, le Cercle Théâtral de l’Émancipation, l’Association Populaire pour la propagation gratuite de l’Art, la Lyre Sociale de la Rive Gauche, le groupe Théâtral Universitaire, La Marianne. Il en appelle aussi aux écoles professionnelles. S’y produisent Couvelaire et les élèves du Conservatoire, des professeurs de diction et leurs élèves tels que Madame Lherbay-Fiorentino de la Comédie Française, Céalis du Théâtre Sarah-Bernhardt. Le Théâtre de la Coopération des Idées fonctionne comme une résurgence du Théâtre d’Application, théâtre d’essai subventionné par l’État où, de 1894 à 1897, se produisaient les élèves du Conservatoire.
50Le Théâtre de la Coopération des Idées n’est pas une entreprise commerciale : « Nul avilissant calcul de gros sous, qui châtre impitoyablement chez nos plus illustres auteurs les plus beaux élans de l’artiste45. » Il est demandé à chaque spectateur une participation de cinq sous auxquels s’ajoutent cinquante centimes pour la cotisation mensuelle de membre de l’Université. Comme celles de province, l’initiative de Deherme, relayée ensuite par Dargel, réunit en public une société civile, organisée ici autour de la vie économique d’un quartier. Œuvre d’une communauté pour elle-même, ce théâtre fait appel à des amateurs, acteurs ou décorateurs qui appartiennent comme les spectateurs à l’Université. Du projet enfin est occultée toute problématique économique. Cependant, même si Dargel estime que « le Théâtre du Peuple ne deviendra quelque chose de vivant qu’à condition de créer sa propre littérature dramatique46 », il ne parvient pas à produire une création dramatique originale après son École des juges, « paysannerie comique ». Le Théâtre du Peuple de la Coopération des Idées accueille donc un répertoire éclectique : répertoire classique et moderne, pièces nouvelles avec les comédies mondaines de Capus et Porto-Riche, mais aussi les auteurs du Théâtre-Libre et de la Revue d’art dramatique : Liberté de Maurice Pottecher est le premier spectacle de la Coopération des Idées. Suivent Mirbeau avec Les Mauvais Bergers, L’Épidémie et Le Portefeuille, Descaves avec La Cage et Tiers État, Les Loups de Romain Rolland, La Nouvelle Idole de François de Curel, Le Maître de Jean Jullien, La Grève de Jean Hugues.
51Le mouvement des Universités Populaires, qui donne naissance à ce premier théâtre populaire parisien qu’est la Coopération des Idées, se poursuit quoi qu’en dise Romain Rolland. En 1913 par exemple, le Conservatoire Renée Maubel jouera Mireille à l’Université Populaire du Pré-Saint-Gervais. Avec le concours d’artistes des théâtres nationaux, seront proposées des créations originales comme Tartuffe en costume de ville, à l’Université Populaire du Faubourg Saint-Antoine :
« C’est volontairement et à bon escient que nous rompons ce soir, avec les traditions, et jouons Tartuffe en costumes modernes. Les types créés par Molière sont éternels, et ceux qu’il a campés dans Tartuffe sont de toute actualité. En les plaçant dans un cadre actuel, en les interprétant avec nos costumes, avec nos gestes familiers, nous les faisons revivre dans l’intensité de l’heure présente47. »
52À la charnière du vingtième siècle, le théâtre populaire, qui semble émaner à Paris de la culture de résistance, s’inscrit en filiation du Théâtre-Libre : Le Théâtre-Libre, écrit Pottecher, « a jeté des semences que l’avenir recueillera […]. Il disparaît au moment où s’éveille le Théâtre populaire48 ».
53La Revue d’art dramatique soutient la création d’un théâtre populaire parisien. Le 5 novembre 1899, Lucien Besnard y publie sa lettre au Ministre de l’Instruction Publique par laquelle il demande à l’État d’appuyer leurs efforts. Besnard propose que soit nommé un délégué chargé d’étudier à l’étranger, surtout à Berlin, le fonctionnement des théâtres populaires existants et annonce un concours doté de cinq cents francs récompensant le meilleur projet de théâtre du peuple. Au jury de ce concours se retrouvent les initiateurs du théâtre du peuple et du théâtre populaire, Pottecher et Lumet, les intellectuels compagnons du Théâtre Civique comme Henry Bauer, les auteurs du Théâtre-Libre, Jean Jullien, Lucien Besnard, Lucien Descaves, Octave Mirbeau, Gabriel Trarieux. Un comité se constitue, regroupant Henry Bauer, Lucien Besnard, Maurice Bouchor, Georges Bourdon, Lucien Descaves, Robert de Flers, Anatole France, Gustave Geffroy, Jean Jullien, Louis Lumet, Octave Mirbeau, Maurice Pottecher, Romain Rolland, Camille de Sainte-Croix, Édouard Schuré, Gabriel Trarieux, Jean Vignaud, Émile Zola. À défaut d’arrêter des options esthétiques communes49, il se définit un objectif clair et retient un projet, celui d’Eugène Morel50.
54Au début de sa carrière, Gémier voit se développer à Paris des structures se réclamant du théâtre populaire, structures dont l’initiative, comme le souligne Denis Gontard, se « cristallise toujours autour de la forte personnalité d’un animateur51 » : acteurs formés par Antoine au Théâtre-Libre et au Théâtre Antoine comme Armand Bour ou Henri Beaulieu, directeur de théâtre comme Émile Berny, commissaire du gouvernement auprès des théâtres subventionnés comme Adrien Bernheim, tous professionnellement liés au théâtre.
55Certains sont des théâtres fixes. Le Théâtre du Peuple est créé le 14 novembre 1903. Henri Beaulieu donne alors dans l’ancien Théâtre Moncey, 50 avenue de Clichy, Thérèse Raquin d’Émile Zola. Lorsqu’il quitte la troupe d’Antoine, Armand Bour crée le Théâtre d’Art International au Théâtre de la Bodinière avec l’aide du mécène Georges Lieussou puis, le 10 octobre 1903, dans l’ancien café-concert Trianon, boulevard Rochechouart, le Théâtre Victor Hugo que Bour voudra théâtre populaire. Il quitte Montmartre en décembre 1904 pour le Théâtre des Bouffes-Parisiens, passage Choiseul, théâtre dont il abandonne la direction en décembre 1905. Le Théâtre Populaire d’Émile Berny s’ouvre le 19 septembre 1903 dans l’ancien café-concert des Folies-Belleville, 8 rue de Belleville. La soirée inaugurale propose Monsieur Badin de Courteline, Le Portefeuille de Mirbeau et Danton de Romain Rolland, précédés d’une causerie d’Eugène Morel sur le théâtre populaire. Berny acquiert ensuite le droit au bail du Théâtre des Batignolles où il transporte son Théâtre Populaire dans le projet d’en faire le Théâtre des Arts, ce à quoi il échoue. Le Théâtre des Fantaisies-Parisiennes compte également parmi les théâtres populaires parisiens. Fondé en 1903 par Charles Dermez, administrateur général et directeur de la scène du Théâtre de l’Ambigu, du Théâtre de la Porte-Saint-Martin et du Châtelet, il est situé à Montmartre, 25 rue Fontaine. Dermez le dirigera jusqu’au 15 septembre 1907. Il s’installe dans l’établissement qui avait successivement accueilli le Concert des Folies-Parisiennes, le Théâtre des Funambules, le Théâtre Chirac et le Théâtre Sans-Gêne. Repris par José Bussac qui garde Dermez en tant que directeur artistique, le théâtre fermera définitivement ses portes le 31 mars 1909. Le programme de la saison 1904-1905 souligne « l’homogénéité parfaite d’interprétation, le souci d’art qui préside à la mise en scène ». Il vante « une salle coquette, un hall animé, un bar décoré d’originale façon et où se fait entendre un gentil petit orchestre féminin, enfin et surtout le prix minime des places ». Au cours de la saison 1905-1906 seront donnés La Rabouilleuse d’Émile Fabre avec Eugénie Noris, Le Chemineau de Jean Richepin, Les Remplaçantes de Brieux, L’Honneur de Sudermann. On trouve également la Comédie-Mondaine. Théâtre de quartier situé rue des Martyrs, à l’emplacement de l’ancien café-concert à la mode, le Divan Japonais, ce théâtre est dirigé à partir de 1904 par Poncet qui en change l’affiche chaque semaine. Le Théâtre Molière s’installe aux Bouffes-du-Nord. Il faut enfin citer l’Athénée-Saint-Germain, seul théâtre populaire parisien fixe installé sur la rive gauche, 21 rue du Vieux-Colombier. De 1899 à 1906, il accueille de jeunes auteurs et organise des représentations privées.
56D’autres sont des théâtres ambulants. Le Théâtre Populaire de la rue de Tocqueville, de brève existence, donne son premier spectacle les 10 et 11 octobre 1897. C’est Mariage Libre où Georges Alexandre vante les bienfaits de l’union libre. La critique l’assassine : « C’est un théâtre inexpérimenté, tout à fait enfantin, et le public n’a pu prendre au sérieux une thèse ainsi présentée. Il s’est fort égayé52. » C’est enfin l’Œuvre des Trente ans de Théâtre d’Adrien Bernheim. Le Comité de l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre tient sa première séance le 30 décembre 1901. Le premier spectacle des Galas Populaires se déroule au Concert Européen, rue Biot, près de la Place Clichy, le 1er mai 1902. Les Galas Populaires d’Adrien Bernheim ne sont pas à proprement parler une entreprise de spectacle : ils assurent les ressources d’une caisse de secours aux artistes. L’Œuvre disparaît en 1922.
57Toutes les structures ainsi créées proposent l’accès au spectacle selon des tarifs très bas. Les Galas Populaires de Bernheim proposent des places à 2,50 F, 1,50 F et 50 centimes. Au Théâtre Populaire d’Émile Berny, le prix des places s’échelonne de 0,25 F à 1,50 F. Les places du Théâtre du Peuple de Beaulieu sont à 0,50 F, 1 F et 2 F. À titre de comparaison, à la même période, le prix des places au Théâtre Antoine varie de 1 à 8 F. Le salaire journalier des ouvriers parisiens les plus pauvres – journaliers, carriers, terrassiers – est alors de 5 F. Cette politique de prix bas est leur seul point commun. Chacun appréhende singulièrement la fonction du théâtre populaire. Ainsi, Henri Beaulieu, qui vise le rassemblement de la société civile, fonde son Théâtre du Peuple
« sur les confins de quatre arrondissements […]. Il est à proximité de populations très différentes : l’ouvrier de Clichy et des Épinettes, le petit bourgeois des Batignolles et de Montmartre, le rapin de la rue des Martyrs et le poète du boulevard Rochechouart n’ont qu’à descendre leur escalier ; et les “amateurs” de la Plaine Monceau ou du Boulevard sont toujours disposés à monter sur la Butte sacrée si le spectacle vaut l’ascension. Ce théâtre était donc merveilleusement situé pour devenir non pas précisément un théâtre populaire de quartier, comme le Théâtre de Belleville, mais plutôt un Théâtre du Peuple où, selon la définition de Maurice Pottecher “les divers éléments dont l’ensemble constitue un peuple, peuvent prendre part et s’intéresser également à l’œuvre représentée53 ” ».
58D’autres, ciblant le public des classes défavorisées, s’installent dans les quartiers où vivent les classes laborieuses, souvent dans d’anciens cafés-concerts. Certains vont à leur rencontre comme les galas populaires qui, ambulants, jouent dans les salles des faubourgs : dans les théâtres Montparnasse (7 mai 1902), Grenelle (8 mai 1902) et Gobelins (9 mai 1902) dirigés par Hartmann et Larochelle, au théâtre de Saint-Denis (14 mai 1902), à la salle Wagram, au Ba-ta-clan, à Belleville, aux Bouffes-du-Nord, au Théâtre Moncey avant que Beaulieu y fonde le Théâtre du Peuple, au Trianon avant qu’Armand Bour y fonde le Théâtre Victor Hugo (2 avril 1903 et 17 juin 1903), à la salle Huyghens (18 février 1903)…
59Toutes organisent un projet pédagogique à l’attention du public défini. Pour Adrien Bernheim, le théâtre populaire a pour mission de vulgariser le patrimoine dramatique national. Son projet procède de la politique de vulgarisation culturelle que mène l’État depuis la fondation de la Troisième République. Cet enseignement de masse « donne aux petits Parisiens des faubourgs le véritable moyen d’applaudir chez eux, à leur porte, les chefs-d’œuvre de notre grand répertoire classique54 ». Représentations d’œuvres intégrales ou spectacles coupés, précédés de conférences que le Conseil Municipal de Paris suggère de reproduire à l’attention des enfants des écoles, les Galas Populaires, poursuivant l’œuvre scolaire, permettent la diffusion massive du patrimoine dramatique par les acteurs des théâtres nationaux dont Bernheim sollicite la contribution bénévole. Il reçoit l’aval de l’État. Le Conseil Municipal de Paris lui attribue une subvention. Elle s’élève à 12 000,00 F en 1906. Adrien Bernheim ne sollicitera aucune subvention de l’État en raison de sa qualité de fonctionnaire. De même, Armand Bour, qui avait continué « à la Bodinière son œuvre de vulgarisation du théâtre international55 » fonde le Théâtre Victor Hugo « dans le quartier le plus populeux de Paris, un théâtre de beauté où les œuvres représentées, choisies dans le répertoire de tous les pays seront parfois angoissantes, parfois amusantes mais toujours originales et jamais ennuyeuses56 ». Ce théâtre, qui ne vivra qu’une saison théâtrale, reçoit, de l’aveu de son fondateur, le soutien de « plusieurs membres autorisés de la presse parisienne » et le concours des « plus éminents artistes de la Comédie-Française tels que Mounet Sully, Paul Mounet, Albert Lambert et Mademoiselle Lara57 ».
60Le Théâtre du Peuple de Beaulieu, le Théâtre Populaire de Berny, qui renvoient au mouvement dramatique né du Théâtre-Libre, proposent deux voies au théâtre populaire. Le Théâtre du Peuple de Beaulieu vise le rassemblement de la communauté civile :
« L’hétérogénéité de l’auditoire est au Théâtre du Peuple le premier caractère qui frappe un spectateur attentif. J’y suis allé plusieurs fois. J’y ai rencontré chaque fois, assis côte à côte, des amis appartenant aux classes les plus diverses et exerçant les professions les plus variées : ouvriers et bourgeois, typographes et comptables, étudiants et acteurs, artistes et gens de lettres, rentiers, petits et gros, ouvrières et élèves du Conservatoire58. »
61Le Théâtre Populaire de Berny, théâtre de quartier, veut s’adresser à la classe ouvrière :
« Persuadé que la création d’un Théâtre Populaire central était une chimère et qu’on n’obtiendrait ainsi qu’un théâtre de plus, ouvert à un public semblable à celui des autres théâtres parisiens, nous sommes allés chercher le peuple chez lui en édifiant à Belleville d’abord un premier théâtre de quartier où le répertoire, l’interprétation, la mise en scène, le confortable constitueraient le véritable et viable Théâtre Populaire59 »
62L’architecture de chacun des théâtres témoigne de ces options : le Théâtre du Peuple de Beaulieu est un théâtre à l’italienne, avec ses loges, des fauteuils d’orchestre, ses galeries. Le prix des places se distribue selon l’organisation traditionnelle, même s’il reste très en dessous des tarifs communément pratiqués. Le Théâtre Populaire de Berny est « une salle d’aspect démocratique60 » de conception analogue à celle du Théâtre du Peuple de Pottecher à Bussang : vaste salle de 1 200 places, elle se distribue en 650 fauteuils de rez-de-chaussée et 550 fauteuils en une unique galerie. Au cours de la saison 1903-1904, le Théâtre Populaire accueille 134 500 spectateurs payants, 148 700 en 1904-1905.
63L’un et l’autre sont des théâtres réguliers, des entreprises commerciales dont il faut assurer la pérennité financière. Le souci économique, auquel échappent Pottecher, Lumet ou Dargel, est premier. Il faut monter les spectacles et payer les acteurs. Sur ce point encore les options de Beaulieu et Berny divergent. Beaulieu, élève d’Antoine, a retenu comme Gémier la leçon de la troupe d’ensemble. La troupe du Théâtre du Peuple est composée de dix hommes et de cinq femmes auxquels se joignent ponctuellement des élèves. Chez Beaulieu, du directeur à l’acteur, tous perçoivent le même salaire, 400 F par mois, et le même intéressement aux bénéfices. À défaut d’en avoir l’architecture, le Théâtre du Peuple possède la gestion d’un théâtre démocratique. Au Théâtre Populaire n’est pas véritablement attachée une troupe fixe. Berny fait appel à un très grand nombre d’acteurs. En 1903-1904, quatre-vingt-treize comédiens (quarante-huit hommes et quarante-cinq femmes) participent aux représentations. En 1904-1905, il fait appel à cent onze acteurs (soixante-cinq hommes et quarante-six femmes). Beaulieu et Berny développent une politique d’abonnements qu’ils conçoivent selon la perspective originale développée par La Revue d’art dramatique. C’est d’abord, traditionnellement, un soutien du public au théâtre. « L’abonnement, c’est la subvention par laquelle un État ou un prince encourage ce qu’il croit digne de l’être […] mais cette subvention, c’est le public qui la donne. C’est l’encouragement à soi-même61. » L’abonnement, par ailleurs, entre dans le processus didactique. « L’abonnement seul permet d’atteindre le but moral que nous visons. Ce n’est qu’en voyant constamment de belles choses que le goût se forme ; l’éducation exige la répétition62. » Dans cette perspective, le Théâtre Populaire de Berny propose aux écoliers des matinées à prix réduits. En janvier 1904, le Théâtre du Peuple compte 250 abonnés qui soutiennent l’œuvre du théâtre en assurant financièrement sa viabilité. Au Théâtre Populaire, les syndicats, les associations et les Universités Populaires relaient cette politique d’abonnements. Si Berny et Beaulieu reproduisent dans leurs théâtres la gestion par abonnement de soutien du Théâtre-Libre, c’est à l’adresse d’un nouveau public, la foule, à laquelle se joint l’élite intellectuelle et artistique.
64Du Théâtre-Libre, Beaulieu et Berny reprennent explicitement l’éthique :
« Le Théâtre du Peuple de M. Henri Beaulieu peut devenir bientôt le véritable Théâtre-Libre de notre époque, celui où les auteurs présenteront des œuvres qu’on n’accueille pas ailleurs parce qu’elles ne sont point bâties selon la formule du jour, ou parce qu’elles choqueraient certains préjugés du public63. »
65Il s’agit de poursuivre l’œuvre du Théâtre-Libre, de donner « l’essor à un répertoire spécial, à une nouvelle génération d’auteurs qui attend son tour64 » et le porter à la connaissance d’un public de masse. À sa première saison, le Théâtre Populaire monte soixante-seize auteurs, soixante-dix au cours de la seconde saison. Bien qu’il parle de créer « une tribune ouverte à tous ceux qui, ayant quelque chose d’intéressant à dire, se soucient plus de répandre leurs idées que d’en tirer profit65 », Beaulieu n’accueille pas de créations dramatiques originales. Berny les intègre peu : sept en 1903-1904, cinq en 1904-1905. Les structures de Berny et Beaulieu relèvent davantage de la diffusion que de la création et vulgarisent un répertoire alternatif, construit en réaction au théâtre bourgeois parisien où :
« C’est la bourgeoisie qui va au théâtre, et elle y entre par les deux portes, par celle de la salle et celle de la scène. Car nos auteurs, connaissant à quel public ils ont affaire, lui servent les images et les idées qui lui sont le plus souvent familières et c’est, sur nos scènes, tout le long du siècle qui vient de finir, c’est de plus en plus avec celui qui commence, le lamentable défilé des petites révoltes bourgeoises, des adultères bourgeois, des amours bourgeoises, quand il ne s’agit pas de dénoncer quelque article gênant du Code bourgeois. Si ce n’est plus tout à fait du théâtre d’élite, c’est toujours du théâtre de caste66. »
66L’Honneur de Sudermann, La Fille Élisa de Goncourt sont joués au Théâtre du Peuple et au Théâtre Populaire. Berny monte Les Tisserands de Hauptmann, Les Revenants d’Ibsen, Le Maître de Jean Jullien…
67Théâtre d’une certaine société civile, celle des travailleurs manuels et intellectuels qu’évoquait Louis Lumet, des « libres savants, libres ouvriers, libres artistes » que Lucien Besnard appelle à se fédérer pour travailler « à l’affranchissement […] du peuple par l’art et de l’art pour le peuple67 », le Théâtre du Peuple et le Théâtre Populaire s’opposent au théâtre bourgeois, « théâtre d’intestins en mal de digestion ». Le théâtre devient ainsi un « moyen de lutte sociale […] un moyen de hâter la décomposition d’une société donnée et de préparer l’avènement d’une société nouvelle68 ». Le théâtre social y constitue ainsi un répertoire spécifique, fonds commun destiné à la population hétéroclite parisienne, « dans des quartiers excentriques qui forment en quelque sorte la première province française avec une population composée d’éléments venus de tous les points de notre beau pays69 ». Si ce théâtre a mission didactique, il est d’abord spectacle, plaisir de la représentation. Au Théâtre du Peuple comme au Théâtre Populaire s’imbriquent les projets esthétiques et civiques. Berny conçoit son entreprise comme un nouveau théâtre d’art70.
« Nous monterons des œuvres historiques, philosophiques, morales ou sociales qui feront penser ; mais ces œuvres devront se présenter sous une forme théâtrale et donner le plaisir d’une émotion triste ou gaie, intéresser toujours, instruire souvent, mais sans que la leçon s’aperçoive71. »
68« Berceau de l’art social72 », ce théâtre s’accorde aux options esthétiques développées par Romain Rolland. Au-dessus de la scène du Théâtre Populaire, trois cartouches synthétisent les objectifs de cette scène nouvelle : « Joie. Intelligence. Force. »
69Comme le Théâtre du Peuple de Pottecher, le Théâtre Civique de Lumet, le Théâtre Populaire de Berny reçoit le soutien des intellectuels de la Revue d’art dramatique, des auteurs et des acteurs, compagnons du Théâtre-Libre, mais aussi d’hommes politiques. Le comité de patronage du Théâtre Populaire regroupe Victorien Sardou, Deandreis, Couyba, Bellan, Albert Carré, Antoine, Coquelin aîné en tant que président de l’Association des Artistes, Octave Mirbeau, Romain Rolland, Aderer, Bourdon, Jean Vignaud, Nozière, De Flers, Pottecher et Morel.
70La littérature dramatique nouvelle, soumise à l’appréciation d’un public de masse, induit une écriture scénique originale. Élève d’Antoine, Beaulieu entend par mise en scène
« non point le luxe des décors et des costumes, le déploiement d’un grand nombre de figurants, etc. mais bien la mise en scène d’une pièce, c’est-à-dire l’art de la situer d’abord dans son milieu, par le décor, l’ameublement, les accessoires, de créer en un mot l’atmosphère ; puis – et c’est pour moi l’essentiel, de faire jouer cette pièce, de lui faire rendre son maximum d’intensité et d’effet, en un mot de la faire vivre73 ».
71Au Théâtre Populaire cependant, le public apprécie la dynamique de l’image plutôt que le mot. Le critique Maurice Kahn note, au cours d’une représentation, que « le comique de situation enlève la salle ; le comique de mots ne franchit pas la rampe […] il faut que le théâtre de Beaulieu tienne compte de cette indication et compose son répertoire d’œuvres fortes plutôt que d’œuvres délicates74 ». Une nouvelle composition du public invite à la recherche d’une esthétique dans la ligne qu’Antoine a tracée, celle du « mouvement intégral, de la gestuelle comme trame, comme maillage de la représentation, du continuum gestuel qui garantit l’intelligibilité d’un texte75 ». Quelle image scénique donner au tableau de la vie ? Sous quel angle présenter le peuple, acteur du drame ?
72Pour Romain Rolland, le théâtre du peuple s’adresse au spectateur non en tant qu’individu mais comme élément constitutif d’une foule auquel il renvoie sa miniature. La représentation réfère à l’aventure collective d’une humanité conçue comme groupement. Chez Antoine, elle évoque une destinée individuelle, un fragment d’humanité dont le jeu de la foule aide à la focalisation dramatique. Les dynamiques sont inversées : chez Antoine, la singularité s’ouvre à la généralité de l’humanité. Pour Romain Rolland, la globalité s’ouvre à la singularité. Le théâtre du peuple est celui de l’épopée historique où
« à l’unité factice d’une foule, troupeau que réunissent des instincts aveugles, elle substitue l’unité morale d’une famille, liée par le triple lien du sang, des épreuves et des pensées fraternelles. Elle édifie la personnalité individuelle sur des assises séculaires76 ».
73Lorsque Antoine cherche à élargir le champ optique, Romain Rolland le circonscrit en mouvements successifs. Une approche cinématographique décrirait la perspective d’Antoine comme le passage progressif du zoom avant au zoom arrière, celle de Romain Rolland comme la rythmique d’une suite de plans fixes et de plans rapprochés. Antoine marque ainsi « sa prédilection pour les scènes de dimensions modestes77 », souligne l’importance du décor dans l’économie de la représentation et définit une poétique du « fragment ». Romain Rolland au contraire propose de « travailler en grosses notes », de « peindre avec un balai », exclut du théâtre populaire « tout ce qui est fait pour être vu et entendu de près78 » et préfère aux décors, « dont seuls sont dupes ceux qui sont excessivement naïfs, et ceux qui le sont excessivement peu79 », une « haute et large estrade nue80 ».
74Accompagnant la laïcisation de l’État et la progression de la représentation socialiste dans les institutions républicaines, le mouvement dont Le Théâtre du peuple constitue la chronique, serait un phénomène de mode si ses intervenants majeurs, collaborateurs de La Revue d’art dramatique, ne suivaient la carrière de Gémier et son combat pour la cinquième scène nationale. Le théâtre populaire, qui se construit en filiation du Théâtre-Libre, procède d’une éthique partagée par ceux qu’on appellera « les intellectuels », écrivains ou librettistes, appartenant souvent aux classes supérieures de la société, foncièrement attachés aux valeurs républicaines et transférant une foi chrétienne désormais impossible dans le socialisme. Comme le mouvement des travailleurs manuels qui crée des coopératives indépendantes de l’État, le mouvement des travailleurs intellectuels fonde des structures culturelles parallèles, mouvement orphéonique, universités populaires ou théâtres. Mais lorsque les coopératives répondent à une attente vitale et participent de la culture de résistance en organisant des réseaux d’entraide pour faire face aux conditions de vie difficiles, les intellectuels inventent des formes de musiques, théâtres ou universités populaires en alternative à leurs propres institutions culturelles dont ils soulignent la sclérose et l’inadaptation à l’émergence des temps nouveaux qui se lèvent, « l’âge des foules ». Le Théâtre Civique comme le Théâtre Populaire montrent qu’à Paris, dans cette invention, ils rallient artistes et hommes politiques, animés d’un même rêve qui prend forme peu à peu : le socialisme. Le Théâtre National Populaire s’élabore ainsi à la convergence de l’art et de la politique, en interaction avec la construction complexe du socialisme français qui cesse d’être un mythe lorsque ses représentants interviennent dans la gestion de l’État.
75Gémier contribue à ce mouvement d’initiative privée, à la création de ces structures culturelles parallèles lorsqu’il crée le Théâtre National Ambulant au projet à la fois artistique et politique.
Notes de bas de page
1 Eugène Morel, Revue d’art dramatique, mars 1902, p. 116.
2 Goujon, Archives de l’Assemblée Nationale, 15 février 1895, A. SO., t. 1, p. 431.
3 Pierre Corneille est le pseudonyme choisi par Saint-Marc, fondateur du Théâtre Populaire poitevin.
4 Maurice Pottecher, La Revue universelle, 6 juillet 1901.
5 Faure, Archives de l’Assemblée Nationale, 2 mars 1899, A. SE, t. 1, p. 757.
6 Maurice Pottecher, « Le Théâtre populaire à Paris », Revue d’art dramatique, septembre 1899, p. 401.
7 Richard Auvray, La Revue hebdomadaire, n° 236, 28 novembre 1896.
8 Henri Clouzot, La Revue universelle, 6 juillet 1901.
9 E. Molinier, ibidem.
10 Louis Frédéric Sauvage, « La Renaissance du théâtre populaire », La Nouvelle Revue, 15 mars 1900.
11 Maurice Pottecher, Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. viii.
12 Maurice Pottecher, La Revue universelle, 6 juillet 1901.
13 En 1910, J.G. Prod’homme publie sa traduction des textes théoriques de Wagner.
14 Anne Hauttecoeur, « La scénographie au Théâtre du Peuple », Les Vosges, Au Pays de Maurice Pottecher, Tournai, Casterman, 1995, p. 64.
15 Louis Lumet, Le Théâtre Civique, Paris, Ollendorff, 1900, p. 8.
16 Louis Lumet, Matines, octobre 1897, p. 48.
17 Il n’y a pas de billet de faveur au Théâtre Civique. « M. Sarcey lui-même, nous dit M. Louis Lumet donnera ce soir, s’il vient, ses cinquante centimes » (Montorgueil, L’Éclair, 2 juillet 1897).
18 Louis Frédéric Sauvage, « La Renaissance du théâtre populaire », La Nouvelle Revue, 15 mars 1900.
19 Maurice Pottecher, Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. 279.
20 En 1897, le Théâtre Civique joue le 3 juillet à la Maison du Peuple à Montmartre, le 6 août dans le quartier Montparnasse, aux Mille Colonnes rue de la Gaîté, le 16 août dans le quartier Plaisance, salle du Moulin de la Vierge 102 rue de Vanves, le 2 novembre à Montmartre encore. Le 13 mai 1899, les représentations reprennent, d’abord rue Ramey pour un spectacle en l’honneur du poète Eugène Pottier. Au Théâtre Moncey, le 2 juin, est proposée une soirée à thème : Sur la justice. Lumet présente un autre spectacle à thème, Contre la Guerre, aux Mille Colonnes le 4 novembre 1899, au Théâtre des Gobelins le 12 janvier 1900, à la Salle Issaure le 3 mars. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 13 avril, il organise une manifestation sous la présidence d’Anatole France. Le 9 juin enfin, La Solidarité est donnée à la Maison du Peuple de la rue Ramey. Le Théâtre Civique disparaît après avoir donné, sur la scène du Nouveau Théâtre, la pièce de Romain Rolland, Danton, au profit des tuiliers grévistes du Nord, le 30 décembre 1900.
21 Maurice Pottecher Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. 93-94.
22 Marcelle Tynaire, La Fronde, 5 juin 1899, cité par Louis Lumet, Le Théâtre Civique, op. cit., p. 42.
23 Ibidem, p. 47.
24 Maurice Pottecher, Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. 7.
25 Ibidem.
26 Romain Rolland, Le Théâtre du peuple, essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, op. cit., p. 148.
27 Anne Hauttecoeur, dans l’ouvrage précédemment cité, a réalisé un précieux travail de compilation des synopsis qui rend compte de toutes les œuvres jouées au Théâtre du Peuple de Bussang.
28 Maurice Pottecher, Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. 101.
29 Ibidem, p. 111-112.
30 Ibid., p. 111.
31 Louis Lumet, Le Théâtre Civique, op. cit., p. 47.
32 La Plume, novembre 1897, citée par Louis Lumet, Le Théâtre Civique, op. cit., p. 39.
33 Louis Lustret, « Gustave Charpentier et le Théâtre du Peuple », Revue d’art dramatique, novembre 1902.
34 Jean Duvignaud, « Idéologie et théâtre : du “théâtre populaire” à “l’agitation culturelle” », Cahiers Théâtre Louvain, n° 7-8, 1968-1969, La Renaissance du livre, p. 16.
35 Romain Rolland, Le Théâtre du peuple, essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, op. cit., p. 127.
36 Christophe Prochasson, Les Intellectuels, le socialisme et la guerre 1900-1938, Paris, Seuil, 1993, p. 20.
37 Jean Vignaud, « Le Théâtre à Berlin », Revue d’art dramatique, 5 octobre 1899.
38 Christophe Prochasson, « De la culture des foules à la culture des masses », Histoire de la France, Choix culturels et mémoire, Paris, Seuil, 1993.
39 « Universitaires et ouvriers, les spectacles d’instruction populaire à Lille », Revue d’art dramatique, 5 octobre 1899.
40 Ibidem.
41 Ibid.
42 Henri Dargel, « Le Théâtre populaire à la Coopération des Idées », Revue d’art dramatique, 15 avril 1903.
43 Henri Dargel, « Lettre », L’Art du théâtre, 24 avril 1902.
44 Ibidem.
45 Ibidem.
46 Ibid.
47 Comoedia, 4 février 1913.
48 Maurice Pottecher, Le Théâtre du Peuple, Renaissance et destinée du théâtre populaire, op. cit., p. 105.
49 Lucien Besnard, dans La Revue d’art dramatique de juillet 1897 avait fait un compte rendu très critique des représentations du Théâtre Civique. Il dénonçait le spectacle coupé « que remplacerait avec avantage l’intégrale représentation d’une œuvre poignante et forte ». Il s’interrogeait sur le répertoire : « Les ouvriers de Paris ne se soucient guère de payer dix sous pour entendre des vers d’Hugo ou de Baudelaire, ni même les proses de M. Bauer. Ce sont victuailles dont ils n’ont cure… »
50 Eugène Morel, Projets de théâtres populaires, Ollendorf, Paris, 1901.
51 Denis Gontard, La Décentralisation théâtrale, 1895-1952, Paris, SEDES, 1973, p. 33.
52 Rt 3278, Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France.
53 Maurice Kahn, Pages Libres, n° 161, 30 janvier 1904.
54 Archives de l’Assemblée Nationale, 1906, annexe 344 SO, 13 juillet 1906.
55 Camille Le Senne, Le Siècle, 6 avril 1903.
56 Rt 2898, Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France.
57 Ibidem. Au Théâtre Victor Hugo, Armand Bour montera Cadet Roussel de Richepin, Le Droit des vierges de Paul-Hyacinthe Loyson, Les Pantins de Gustave Grillet, Don Quichotte de Jacques Le Lorrain. Ce sont des créations qui ont peu de rapport avec le répertoire international annoncé. Il n’est pas exclu que, comme d’autres avec lui, Armand Bour ait exploité la veine « théâtre populaire » et implanté son théâtre boulevard Rochechouart pour suivre la mode.
58 Maurice Kahn, Pages Libres, n° 161, 30 janvier 1904.
59 Émile Berny, « Rapport sur le théâtre populaire à Paris », Deuxième congrès international des auteurs et compositeurs, RJ 4450, Département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France.
60 Ibidem.
61 Eugène Morel, La Revue d’art dramatique, décembre 1900.
62 Ibid.
63 Maurice Kahn, Pages Libres, 30 janvier 1904.
64 Émile Berny, « Rapport sur le théâtre populaire à Paris », op. cit.
65 Maurice Kahn, Pages Libres, 30 janvier 1904.
66 Georges Bourdon, La Revue bleue, 25 janvier 1902.
67 Lucien Besnard, Revue d’art dramatique, 1901.
68 Jean Jaurès, Revue d’art dramatique, décembre 1900.
69 Émile Berny, « Rapport sur le théâtre populaire à Paris », op. cit.
70 Ibidem.
71 Émile Berny, cité par Alphonse Séché, « Le Théâtre Populaire de Belleville », L’Art du théâtre, 1905, p. lxxi.
72 Émile Berny, « Rapport sur le théâtre populaire à Paris », op. cit.
73 Henri Beaulieu, conférence donnée le 28 janvier 1905 à l’École des Hautes Études Sociales.
74 Maurice Kahn, Pages Libres, 30 janvier 1904.
75 Jean-Pierre Sarrazac, « Préface », Jean-Pierre Sarrazac et Philippe Marcerou, Antoine, l’invention de la mise en scène, op. cit., p. 16-17.
76 Romain Rolland, Le Théâtre du peuple, Essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, op. cit., p. 141-142.
77 Jean-Pierre Sarrazac, « Préface », loc. cit., p. 18.
78 Romain Rolland, Le Théâtre du peuple, Essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, op. cit., p. 125.
79 Ibidem, p. 120.
80 Ibid., p. 121.
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