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Le syndicalisme maritime français

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Ronan Viaud

Conclusion

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Géographique :

France

Texte intégral

1Au début des années 1950, le syndicalisme maritime s’est imposé comme un interlocuteur incontournable pour l’État et le patronat. Les différentes organisations syndicales représentatives participent au Comité central des pêches maritimes et au Conseil supérieur de la marine marchande, ainsi qu’au conseil d’administration des deux compagnies de navigation dont l’État est l’actionnaire majoritaire. Des conventions collectives nationales encadrent les relations entre les organisations syndicales et les employeurs.

  • 1 Denis Segrestin, Le phénomène corporatiste en France. Essai sur l’avenir des systèmes professionne (...)
  • 2 Denis Segrestin, La CGT et les Métiers : la dimension professionnelle de l’action syndicale vue à (...)

2Le statut d’inscrit maritime a entraîné la constitution d’une forte identité professionnelle chez les différentes corporations maritimes : capitaines, officiers, marins de commerce et pêcheurs. Qualifiées à juste titre de professions fermées par Denis Segrestin1, elles ont développé un syndicalisme de métier. En effet, les différentes tentatives de fédération commune ou d’interfédération des états-majors et du personnel subalterne ont échoué. La plus longue expérience, celle la Fédération des officiers de la marine marchande CGT ne durera que douze ans et son éclatement en 1957 permettra aux capitaines et officiers de pont de conserver leur hégémonie culturelle sur la corporation tout entière. La cohabitation au sein d’une même organisation, comme dans la FNSM, des marins de commerce et des pêcheurs est difficile, car les métiers qu’ils exercent sont très différents. Dans la marine marchande, les syndicats locaux du personnel subalterne comportent toujours à la fin des années 1940 des sections d’inscrits et d’agents du service général à bord. La réussite de la FFSPM, centrée sur la défense des intérêts des pêcheurs artisans, atteste également du poids des métiers, au-delà du statut commun d’inscrit maritime. La CFTC fait d’ailleurs le choix de créer dans un premier temps des organisations distinctes pour les officiers, les marins de commerce et les pêcheurs. Le poids des identités professionnelles a en fait toujours pris le dessus sur le mythe de l’unité des inscrits maritimes brandi à de très nombreuses reprises au cours de la période étudiée2.

3Un des traits marquants du syndicalisme maritime est la longévité de ses dirigeants. En plus de cinquante années d’existence, la FNSM ne connaît que six secrétaires généraux, et l’un d’entre eux, Rivelli, reste à sa tête pendant plus de vingt ans. La FFSPM est fréquemment appelée la « fédération Lamort », du nom de son unique secrétaire général de 1932 à 1957. Il en est de même pour la Fédération des pêcheurs à la part de l’Océan, plus connue sous le nom de « fédération Tristan », ou pour la Fédération des capitaines au long cours, dirigée par François Mas de 1917 à son décès en janvier 1935. Cette permanence se retrouve au niveau local, que l’on songe aux parcours d’Auguste Durand, secrétaire du syndicat des marins CGT de Bordeaux de 1913 à 1940, de Pierre Ferri-Pisani et Charles Pasquini à Marseille ou d’Eugène Ehlers à Dunkerque, tous trois ayant eu en même temps des responsabilités nationales. Cette longévité des dirigeants restera de mise dans la seconde moitié du xxe siècle, puisque Augustin Gruénais ne quittera ses fonctions de secrétaire général de la FNSM qu’en 1978, que Jean Miniou dirigera la FNSOMM de 1945 à 1957, puis la Fédération nationale des syndicats d’officiers mécaniciens CGT de 1957 à 1976 et Jean Philipps, qui succède en 1952 à Ferri-Pisani à la tête de la Fédération de la marine marchande CGT-FO, en reste le secrétaire général jusqu’en 1975. Le syndicalisme maritime est donc un syndicalisme de personnalités qui, pour la grande majorité d’entre eux, ont très peu navigué.

  • 3 Denis Segrestin, « Du syndicalisme de métier au syndicalisme de classe : pour une sociologie de la (...)
  • 4 Le Travailleur de la mer, mai-juin 1953.

4À côté des représentants syndicaux des personnels et des employeurs, l’État joue, tout au long de la période étudiée, un rôle important dans la gestion des professions maritimes. Du fait de l’existence du statut d’inscrit maritime, c’est avec lui que les organisations syndicales négocient les questions relatives aux régimes des pensions et de prévoyance. Dans les pêches, il doit répondre aux demandes de contingentement des importations de poisson ou d’iode, accusées de provoquer l’effondrement des cours. Il intervient également fréquemment pour régler les différends entre les pêcheurs et les usiniers ou les mareyeurs à propos des prix d’achat du poisson. Il met également en place à plusieurs reprises des systèmes d’aide à l’armement surtout dans la marine marchande. Celle-ci est pour lui un secteur économique stratégique, puisqu’elle assure les liaisons avec les colonies. Lors des grands mouvements de grève, le gouvernement n’hésite pas à réquisitionner les personnels ou à mettre à la disposition des compagnies de navigations les marins de la flotte militaire afin de rétablir le trafic avec les colonies. Les organisations syndicales utilisent d’ailleurs cet aspect, mettant l’accent sur le statut de « service public » de la marine marchande pour tenter de la maintenir hors de portée de la logique de l’économie privée3. Au début des années 1950, cette gestion tripartite des relations sociales dans le monde maritime semble avoir trouvé un équilibre, ce qui n’exclura pas des conflits de grande ampleur comme la grève générale des officiers en avril et mai 1953 pour le retour à la semaine de 40 heures4.

5Dix ans après la fin de la période étudiée, en 1960, alors que le France est lancé à Saint-Nazaire, l’avenir des professions maritimes est plein d’incertitudes : la flotte de cabotage est menacée de disparition en raison de la concurrence de la route et du rail, le développement du transport aérien hypothèque le devenir des navires de passagers, l’accession à l’indépendance des colonies augure une réorganisation complète de nombreuses lignes au long cours, les pavillons de complaisance commencent à se multiplier, l’industrialisation des pêches entraîne une diminution du nombre total de marins embarqués alors que les tonnages pêchés ne cessent de progresser, laissant entrevoir le risque d’épuisement des ressources halieutiques. L’attitude et l’évolution du syndicalisme maritime face à tous ces bouleversements constituent un vaste champ de recherches possibles.

Notes

1 Denis Segrestin, Le phénomène corporatiste en France. Essai sur l’avenir des systèmes professionnels fermés en France, Paris, Fayard, 1985, p. 22-23.

2 Denis Segrestin, La CGT et les Métiers : la dimension professionnelle de l’action syndicale vue à travers le cas des marins et des verriers, Paris, Institut d’études politiques, thèse pour le doctorat de recherche en sciences politiques, 1974.

3 Denis Segrestin, « Du syndicalisme de métier au syndicalisme de classe : pour une sociologie de la CGT », Sociologie du travail, vol. 18, n° 2, avril-juin 1975, p. 165.

4 Le Travailleur de la mer, mai-juin 1953.

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